L’entrée des jeunes dans le rapport salarial. Impact de la politique de l’emploi
p. 157-172
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Mots-clés : Insertion
Note de l’éditeur
Communication présentée aux Journées d’études « Structures du marché du travail et politiques d’Emploi », Paris, 3-4 octobre 1985.
Texte intégral
INTRODUCTION
1Depuis dix ans, en France, on assiste à une fermeture caractéristique du marché du travail, qui affecte spécialement les jeunes et tout particulièrement les débutants de faible niveau de formation.
2Ainsi, de 1975 à 1984, alors que le taux de chômage de l’ensemble de la population active passe de 3,8 à 9,5 %, celui des jeunes de moins de 25 ans progresse beaucoup plus vite, passant de 6,7 à 22,1 % pour les hommes et de 10,1 à 30,2 % pour les femmes, si bien qu’en mars 1984 on recensait 887 209 demandeurs d’emploi de moins de 25 ans, soit 40 % environ des demandeurs d’emploi. Dans le même temps, l’ancienneté moyenne du chômage de ces jeunes augmente (passant de 5 à 6,6 mois pour les hommes et de 6,6 à 8,9 mois pour les femmes), ainsi que la proportion de ceux en chômage depuis un an et plus (passant de 8,4 à 26,6 % pour les hommes et de 12,7 % à 37,7 % pour les femmes). Cette exclusion accrue et prolongée des jeunes du marché du travail souligne leur plus grande vulnérabilité par rapport aux autres tranches d’âge.
3Ce processus d’exclusion se double d’un processus de précarisation des conditions d’accès et de maintien dans l’emploi. Non seulement le chômage devient une des modalités les plus fréquentes d’entrée dans la vie active allongeant la période d’insertion, mais il ressurgit au long du cheminement professionnel des jeunes, tant les emplois trouvés sont instables et précaires.
4Certes, cette exclusion et cette précarisation demeurent toujours inversement proportionnelles au niveau de formation ou de diplôme atteint par les jeunes et soulignent combien les discriminations dans l’accès et le maintien dans l’emploi restent sensibles au sexe et à la hiérarchie des formations reçues. Mais, dans un contexte d’élévation du niveau de formation, leur renforcement contribue à favoriser un processus de déclassement et de déqualification.
5L’ensemble de ces difficultés rencontrées par les jeunes a conduit progressivement les pouvoirs publics à reconnaître la question de l’insertion sociale et professionnelle comme une norme pour la société française et à mettre en œuvre, dans le cadre notamment de la politique de l’emploi, tout un ensemble de mesures destinées à compenser ou à surmonter sinon à éliminer ces processus d’exclusion, de discrimination et de déclassement. De fait, depuis 1975, à travers de multiples mesures et dispositifs institutionnels définis dans le cadre de la politique de l’emploi, on peut déchiffrer trois grands objectifs relatifs à l’insertion des jeunes :
contenir voire atténuer le développement du chômage des jeunes,
faciliter leurs modalités d’accès à l’emploi,
élever leur niveau de formation à défaut de pouvoir intervenir dans la négociation des classifications.
6Avec quelle efficacité ces objectifs ont-ils été mis en œuvre ? Quelles limites ont-ils rencontrées ? A quelles contradictions se sont-ils affrontés ? Questions délicates mais essentielles. En effet, comme résultat du fonctionnement de l’ensemble de l’économie, le volume et la qualité des emplois offerts aux jeunes ont des déterminations multiples qui débordent les stricts effets de la politique de l’emploi. Autrement dit, l’analyse des incidences de la politique de l’emploi sur les conditions d’insertion des jeunes risque toujours de laisser dans l’ombre les composantes essentielles du rapport salarial, dans lequel les jeunes sont appelés à s’inscrire, pour privilégier les seuls mécanismes apparents du marché du travail sur lesquels cette politique de l’emploi tente d’intervenir concrètement.
7Une telle observation soulève la question de la signification de l’efficacité d’une politique de l’emploi. De fait, enserrée par d’autres contraintes (l’exigence de compétitivité, l’évolution de la population active sur longue période, les rapports sociaux, etc.), une telle politique ne peut tenir l’emploi comme une variable « objectif », mais seulement engager des processus d’ajustement et d’arbitrage en faveur, certes, de l’emploi, mais en fonction du respect des grands équilibres et en relation avec la politique de gestion des entreprises. Parler d’efficacité d’une politique de l’emploi implique donc de cerner le processus contradictoire1 dans lequel elle s’inscrit et de préciser les limites sur lesquelles elle bute.
8C’est pourquoi, nous nous proposons ici de caractériser la politique de l’emploi de ces dix dernières années en France du point de vue de l’insertion des jeunes au regard des trois composantes du rapport salarial :
la formation et la qualification,
la mobilisation de la main-d’œuvre et l’accès à l’emploi,
le statut et les conditions dans l’emploi,
9trois niveaux du rapport salarial pour lesquels les effets réels d’insertion des politiques de l’emploi se doublent d’effets de discrimination, de transfert et d’exclusion, autant au sein même de la population des jeunes que par rapport aux autres tranches d’âge.
I – LA FORMATION ET LA QUALIFICATION
10Parmi l’ensemble des mesures engagées pour favoriser l’insertion des jeunes, três tôt les pouvoirs publics s’intéressent à leur formation. En effet, les jeunes qui rencontrent le plus de difficultés figurent parmi ceux qui, soit ont le niveau de formation le plus faible, soit détiennent des compétences professionnelles considérées comme obsolètes. On parle alors d’inadaptation et d’impréparation face aux besoins du marché du travail, spécialement à propos des jeunes à la recherche d’un premier emploi.
11De fait, de ce point de vue, la politique de l’emploi recouvre une préoccupation de formation et de qualification des jeunes. Depuis 1977, différents dispositifs furent mis en place. Relevant de différents Ministères, ils concernent aussi bien le système de formation initiale que des préoccupations de perfectionnement professionnel après l’école sous forme de stages. Si les effectifs bénéficiaires de ces dispositifs sont considérables (cf. Tableau 1), ils sont loin de toujours correspondre aux jeunes les plus démunis et de permettre une amélioration de leur qualification. Telle est la critique la plus fréquente adressée en particulier aux Pactes pour l’emploi des jeunes. A travers l’organisation de stages, ne s’agissait-il pas avant tout de dégonfler les statistiques du chômage ? Seule la formule du contrat emploi-formation résiste en partie à la critique, mais elle concerne des effectifs nettement plus réduits.
12Aux stages pratiques en entreprise et aux stages de formation professionnelle des Pactes pour l’emploi de 1977 à 1981 a succédé, outre l’opération « jeunes volontaires », le programme d’actions en faveur de l’insertion sociale et professionnelle des jeunes de 16 à 18 ans et de 18 à 21 ans, tandis qu’on tentait d’accroître la capacité d’accueil du système de formation initiale. Il faut donc attendre l’ordonnance du 26 mars 1982 (programmant le dispositif « jeunes »), pour déceler une orientation plus décisive vers des publics mieux ciblés et vers des formules plus cohérentes avec les besoins des jeunes et plus qualifiantes. Si, dès le début, ce dispositif propose des stages de formation alternée, comportant des séquences en entreprise et dans un organisme de formation, ce n’est que progressivement qu’on en vient à réellement concevoir et à effectivement tenter de mettre en œuvre un processus d’alternance. Une telle évolution dans la formation professionnelle n’est pas sans conséquences sur les relations entre système éducatif et système productif et sur la façon d’envisager la question emploi-formation.
13Actuellement coexistent plusieurs systèmes de formation :
le système de formation professionnelle initiale, chargé d’accueillir et de qualifier un maximum de jeunes et de se transformer de manière à proposer des filières de formation plus articulées entre elles et ouvertes à un plus grand nombre de jeunes ;
le dispositif « jeunes » de formation alternée destiné à permettre un rattrapage à ceux qui ont quitté ou dû quitter l’école avant la fin d’un cycle de formation professionnelle ;
les contrats de qualification et d’adaptation (devant succéder aux contrats emploi-formation etc.) gérés directement par les entreprises et conçus selon le principe de l’alternance, inaugurés effectivement en 1985 ;
enfin, le maintien de la formule de l’apprentissage.
TABLEAU 1. Bilan des actions de formation pour l’insertion des jeunes (effectifs concernés)

* Les contrats Emploi-formation étant susceptibles de bénéficier de l’exonération des charges sociales sont comptabilisés pour une large part dans le total indiqué pour les exonérations.
Sources : Rapport Laroque, p. 189 et Liaisons Sociales no 36/85.
14La diversification et l’élargissement des possibilités de formation (tant du point de vue de la durée que du contenu) et la tentative de mieux cibler les diverses catégories de jeunes concernés ont eu pour objectif, à partir de 1982, de mieux correspondre aux besoins en variant et en assouplissant les formations offertes. On peut cependant s’interroger sur la capacité réelle de ce dispositif renforcé à fournir une réelle qualification aux différentes catégories de jeunes en fonction de leur situation scolaire et de leurs compétences initiales. Le rôle qualifiant de certaines de ces formations peut, en effet, être mis en doute tout comme leur capacité à sélectionner positivement les jeunes concernés. Ainsi, en 1982, 60 % des bénéficiaires de contrats emploi-formation avaient un niveau de diplôme égal ou supérieur au CAP et 8 % d’entre eux étaient déjà diplômés de l’université. De ce point de vue, l’évolution des contrats emploi-formation est significative des effets pervers de mesures centrées sur l’âge des bénéficiaires : ce sont les diplômés de niveau V et au-delà qui bénéficient des formations les plus longues et qui peuvent prétendre aux emplois plus qualifiés.
15Bien en-deçà d’une perspective de qualification, les stages d’orientation ou d’insertion relèvent essentiellement d’une lutte contre l’exclusion et la marginalisation sociales des jeunes. Ici, on pressent que ce n’est qu’à moyen ou long termes que les effets positifs de telles formations pourront être appréciés. L’apprentissage des conditions de travail, la découverte des métiers en vue de l’orientation professionnelle, l’inscription dans un réseau de socialisation, etc. apparaissent comme autant de conditions préalables et nécessaires pour une insertion ultérieure sur le marché du travail.
16Une question centrale demeure posée à l’ensemble de ces actions de formation : à quels types de qualification convient-il de préparer ces jeunes ? Au-delà des exigences générales d’adaptabilité et de transférabilité, de grandes imprécisions et incertitudes demeurent malgré le rapprochement engagé à cette occasion entre système de formation et système productif. Bien souvent, la définition des qualifications préparées reproduit le contenu des formations professionnelles initiales et concerne des spécialités discréditées. Les innovations les plus fréquentes à ce sujet sont mises en œuvre dans les formations expérimentales de la « Mission Schwartz » ; mais elles rassemblent encore de très faibles effectifs. Certes, la masse des jeunes issus des autres dispositifs disposent, au terme de leurs stages, dans le meilleur des cas, d’une validation des acquis, mais le plus souvent le niveau du CAP ne peut pas être atteint en si peu de temps. Dès lors, l’espoir d’une amélioration à long terme de leurs conditions d’insertion professionnelle semble ténu, tandis qu’à court terme, on observe, on le verra, que l’effet de ces stages sur l’emploi des jeunes est très limité. Finalement, tentant d’apporter aux jeunes un plus en matière de formation et de qualification, ces dispositifs fonctionneraient aussi sinon d’abord comme modalité de retrait momentané du marché du travail.
II – LA MOBILISATION DE LA MAIN-D’OEUVRE ET L’ACCES A L’EMPLOI
17Un deuxième axe de la politique de l’emploi vise, au-delà d’un effort pour développer les capacités professionnelles des jeunes, à lutter directement contre leur exclusion du marché du travail. Il s’agit donc ici des effets directs (mais aussi induits) des politiques de l’emploi sur le chômage des jeunes qu’il convient d’apprécier. Encore faut-il distinguer, parmi les dispositions adoptées celles qui visent directement les jeunes de celles qui, bien qu’indirectes, ont des effets tout aussi importants.
18Pour favoriser directement l’embauche préférentielle des jeunes, depuis 1977, les pouvoirs publics ont développé trois types de mesures : l’apprentissage, l’exonération des charges sociales et les contrats emploi-formation complétés par les contrats emploi-orientation et emploi-adaptation (auxquels font place progressivement maintenant les contrats de qualification et les contrats d’adaptation associés aux mesures défiscalisées). Si l’ensemble de ces dispositions concernent des effectifs importants, cependant les contrats de travail auxquels elles donnent lieu sont habituellement de courte durée et très peu sont suivis d’embauches plus stables. Les effets sur l’emploi, en termes de chômeurs évités, sont, pour l’essentiel, à mettre au compte de la formule de l’apprentissage (cf. Tableau 2)2.
TABLEAU 2. Effets des actions directes sur la variation du chômage des jeunes (effectifs en milliers)
1981 | 1982 | 1983 | |
chômeurs évités par le développement de l’apprentissage, dont par l’apprentissage | 26,8 19,2 | 28,2 19,1 | 23,2 18,8 |
Ensemble des chômeurs évités par la politique de l’emploi | 148,0 | 262,0 | 274,0 |
Source : OFCE – Délégation à l’Emploi.
19Si avant 1981, les Pactes pour l’emploi avaient peu contribué à la création d’emplois, permettant simplement d’enrayer temporairement la montée du chômage des jeunes, force est de constater que le renforcement et l’élargissement des formules telles que le contrat emploi-formation ont une faible incidence sur l’emploi depuis 1981, même si le taux de maintien dans l’emploi, six mois après la fin du contrat semble relativement élevé (de l’ordre de 80 %). Cette stabilité dans l’emploi serait la contrepartie positive du faible impact quantitatif de ces formules.
20De même, les stages de formation du dispositif « jeunes 16-21 ans », bien que bénéficiant à un grand nombre de jeunes, ont un impact sur l’emploi extrêmement limité (Cf. Tableau. 3). Comme le signale G. Malglaive dans le rapport national du CNAM (1985), « proclamé comme un moyen de donner aux jeunes « un métier pour réussir », le dispositif mis en place n’en conduit que très peu à l’emploi »3. Selon l’enquête menée par le CEREQ (1985) auprès des jeunes stagiaires de la première campagne, « un jeune sur cinq est encore en stage 16-18 au moment de l’enquête, soit un an et demi après être entré dans le dispositif. Un cinquième des jeunes a un emploi, dont le quart est en apprentissage, 45 % sont au chômage et 8,5 % en inactivité »4. On doit donc en prendre acte. Cependant, une telle conclusion ne conduit pas nécessairement à dénier l’utilité de ce dispositif. Comme on l’a déjà vu, ses véritables succès apparaissent sans doute ailleurs.
TABLEAU 3. Effets du dispositif « jeunes » sur la variation du chômage (effectifs en milliers)
1981 | 1982 | 1983 | |
chômeurs évités par la politique de formation (stages-accueil E.N.) | 15,5 | 5,2 | 0,5 |
Ensemble des chômeurs évités par la politique de l’emploi | 148,0 | 262,0 | 274,0 |
Source OFCE – Délégation à l’Emploi
21Par d’autres actions dirigées vers les entreprises mais indirectes (parce qu’elles visent cette fois les ressources en main-d’œuvre), la politique de l’emploi tente également de favoriser l’embauche préférentielle des jeunes, grâce aux emplois libérés ou créés. Parmi les mesures relevant de la politique « active » de l’emploi, on peut citer la réduction de la durée du travail, l’aide aux chômeurs créateurs d’entreprises, la création d’emplois publics, les pré-retraites, etc. (cf. Tableau 4).
22Les différents volets de la politique active de l’emploi ont eu, notamment en 1982, des effets sensibles sur l’embauche (durable ou provisoire) mais sans doute peu de jeunes ont été concernés. La réduction de ce type d’actions à partir de 1983 confère au dispositif de cessation anticipée d’activité un rôle majeur dans la baisse du chômage, notamment pour les jeunes. En effet, les mesures relatives à la « garantie de ressources » (étendues à partir de 1982) représentent l’incitation la plus importante à la réduction des effectifs de main-d’œuvre ; elles ont des effets immédiats sur la demande d’emploi, mais elles stimulent peu l’embauche. Une enquête du Ministère du Travail en 1981 évalue à 35 % seulement la proportion de jeunes salariés embauchés à la suite de départs en préretraite. Le coût élevé de ces mesures explique leur arrêt ultérieur. Par contre, la proposition de contrats de solidarité, à partir de 1982, accompagnée de la clause de maintien des effectifs et de l’incitation délibérée à l’embauche de jeunes a des effets indirects positifs importants pour l’emploi : de 1982 à 1984, on enregistre dans ce cadre l’embauche de 240 000 personnes, essentiellement de jeunes demandeurs d’emploi.
TABLEAU 4. Effets de la politique active de l’emploi et des pré-retraites sur la variation du chômage (effectifs en milliers)
1981 | 1982 | 1983 | |
politique active de l’emploi | |||
Chômeurs évités | 34 | 116 | 62 |
Dont : emplois publics créés | 26 | 63 | 46 |
Dont : réduction sur de la durée du travail | -- | 40 | -- |
Dont : aide à la création d’entreprise | 8 | 13 | 16 |
politique de « garantie de ressources » | |||
Bénéficiaires réels | (102) | (135) | (235) |
Dont : contrats de solidarité (1982) | -- | (80) | (110) |
Chômeurs évités | 51 | 67,5 | 125 |
Total des chômeurs évités | 85 | 183,5 | 187 |
Ensemble des chômeurs évités | 148 | 262,0 | 274,0 |
Source : OFCE – Délégation à l’Emploi
23Pour favoriser l’embauche préférentielle des jeunes, les pouvoirs publics doivent donc recourir à toute une panoplie d’actions directes et indirectes de mobilisation et de gestion de la main-d’œuvre. Finalement, quels résultats permettent-elles d’atteindre ? Ne s’accompagnent-elles pas d’effets pervers ? Et plus généralement, quelles inflexions de la politique de l’emploi indiquent-elles ?
24De fait, l’ensemble des actions directes de la politique de l’emploi ont des effets réels sur l’insertion des jeunes. Le nombre important de jeunes inscrits dans les stages de formation alternée ou retournés ou maintenus en formation initiale a permis de contenir l’augmentation du chômage (du fait de l’éviction de ces jeunes de la catégorie des demandeurs d’emploi) et de favoriser soit un processus d’orientation et de socialisation (à travers les propositions de stages d’insertion ou de travaux d’utilité collective) soit l’acquisition et le développement de capacités professionnelles (à travers les diverses propositions de qualification). Il semble que de telles actions correspondent aux besoins réels de ces jeunes, dans la mesure où elles visent à surmonter la déliance sociale dans laquelle beaucoup de ces jeunes se trouvent du fait de l’effet « suspensif » créé par le chômage et leur faible niveau de formation. Par ailleurs, si ces actions accentuent encore davantage l’institutionnalisation de la transition sociale et professionnelle (avec toutes les conséquences que celà entraîne du point de vue du fonctionnement du marché du travail), elles contribuent néanmoins à dénouer les relations entre la formation et l’emploi et à faire émerger des propositions qui débordent le cadre restrictif d’une simple gestion sociale du chômage des jeunes.
25Cependant, le nombre et le taux de jeunes chômeurs continuent de croître ; ce qui confirme l’efficacité limitée de telles dispositions du point de vue de l’embauche ou du chômage évité à court terme. D’ailleurs, on l’a constaté, plus que l’ensemble de ces dispositifs spécifiques à l’insertion des jeunes, ce sont les autres volets de la politique de l’emploi qui expliquent l’essentiel de l’inflexion du chômage juvénile. Or, ces dernières mesures, en favorisant la prise d’activité, ne peuvent éviter des processus discriminatoires (autant entre les jeunes que vis-à-vis des autres classes d’âge), qui se présentent comme des effets pervers de substitution et de segmentation dans l’accès à l’emploi des jeunes. Parmi ces effets, on peut mentionner :
le transfert de l’inactivité d’une classe d’âge à une autre, à l’occasion notamment des mesures de « garantie de ressources » ;
l’organisation institutionnalisée du processus de pré-sélection au cours des stages en entreprises ;
une appréciation discrétionnaire de la capacité professionnelle et d’intégration des jeunes organisée dans l’entreprise ;
une prise en charge financière socialisée de l’adaptation des jeunes à l’emploi ;
une segmentation accrue du marché du travail entre jeunes débutants et jeunes chômeurs disposant d’une expérience professionnelle ;
le risque de déclassement des travailleurs à l’occasion de l’embauche ;
la dévalorisation de la filière de l’apprentissage qui apparaît plus exigeante que les autres types de formation alternée.
26Cet ensemble d’effets pervers pose, certes, la question de la cohérence interne à l’ensemble des mesures destinées à favoriser l’accès des jeunes à l’emploi. Mais il soulève également la question des marges de manœuvre et du sens d’une politique de l’emploi dans le contexte économique et social actuel.
27En effet, pour favoriser l’embauche préférentielle des jeunes, les pouvoirs publics doivent donc recourir à toute la panoplie des actions de mobilisation de la main d’œuvre ; et pourtant les résultats de ces actions restent maigres. Comment expliquer la faiblesse de tous ces moyens réunis ? En fait, l’intervention de l’Etat se heurte ici aux contraintes d’adaptabilité et de compétitivité entraînées par la crise économique actuelle. Celles-ci rendent nécessaire une transformation du rapport salarial, qui, certes, déborde largement la question de la mobilisation des jeunes, mais qui l’affecte directement. Pour expliciter ce point, on se contentera de relever ici quelques exigences issues de la politique actuelle de gestion des entreprises :
les garanties antérieures de l’emploi subissent le choc de l’extrême variabilité de la conjoncture et s’opposent aux besoins d’ajustements rapides des effectifs dans les entreprises ;
la hiérarchie des qualifications apparaît, avec les changements techniques en cours et les transformations dans l’organisation du travail qui leur sont associées, comme un frein à l’adaptation des entreprises ; dans certaines branches d’activité, on enregistre déjà des modifications de structure ;
les nouvelles conditions de l’organisation productive se heurtent à la rigidité des collectifs de travail et suscitent des stratégies de « flexibilisation », qui se traduisent non seulement par une restauration de mécanismes plus concurrentiels sur le marché du travail, mais aussi par un développement des flux de mobilité professionnelle.
28Dans un tel contexte, l’Etat est contraint d’accompagner les stratégies des firmes et notamment d’organiser le marché du travail en codifiant les mouvements de main d’œuvre :
gestion des pré-retraites ;
passage du chômage à la formation professionnelle ;
passage d’une première insertion à un emploi durable ;
adaptation de la durée du travail à l’évolution de la production et à la conjoncture ;
élasticité des salaires par rapport à l’emploi ;
mobilisation de toutes les institutions d’Etat susceptibles d’agir sur les conditions d’insertion des jeunes, etc.
III – LE STATUT ET LES CONDITIONS DANS L’EMPLOI
29A quels types d’emplois ouvrent ces procédures d’insertion pour les jeunes ? Engagés dans des stages de formation ou bénéficiant d’une préférence à l’embauche, les jeunes tirent-ils un avantage dans leurs modalités d’accès à l’emploi ? Quels statuts et quelles conditions dans l’emploi leur sont-ils accordés à cette occasion ?
30Pour caractériser les emplois auxquels peuvent accéder les jeunes grâce aux différents dispositifs d’insertion, on s’appuiera sur les enquêtes faites auprès des jeunes de 16 à 18 ans issus de stages de qualification en 1983. Les spécialités de formation préparées dans ces stages correspondent à des groupes de métiers très spécifiques : métiers du bâtiment (12,4 %), de la mécanique générale (11,1 %), de l’électricité (6,9 %), du secrétariat (5,6 %), du commerce (11,9 %) et de l’hôtellerie (10,9 %). La structure des secteurs d’activité formateurs et utilisateurs de cette main-d’œuvre juvénile est également très typée : il s’agit essentiellement des secteurs traditionnels, généralement peu modernisés et peu touchés par les nouvelles technologies : B . T . P. (9,5 % des effectifs des stages de qualification), réparation automobile (7 %), commerce (20 %), restauration (8 %), industries agro-alimentaires et industries du bois et de l’ameublement. La grande majorité de ces entreprises d’accueil sont de très petite taille (63 % ont moins de 50 salariés) et présentent une très faible représentation syndicale. Autrement dit, l’insertion des jeunes de faible niveau de formation participe directement aux divisions du système productif et de la force de travail. Réalisée dans des secteurs, où l’on enregistre un fort « tum-over », elle peut difficilement offrir aux jeunes de réelles possibilités de qualification et de carrière.
31Visant à faciliter l’accès des jeunes à l’emploi, la politique de l’emploi s’inscrit de fait dans un processus de déstabilisation de la main d’œuvre. Pour les jeunes, cette déstabilisation est particulièrement nette à propos de la multiplicité des statuts qui leur sont offerts : contrat d’apprentissage, stagiaire de la formation professionnelle, contrat temporaire de qualification ou d’adaptation, contrat temporaire de T.U.C., etc. Ces différents statuts correspondent à la multiplication des mécanismes d’affectation des jeunes aux emplois, faisant éclater l’unité du salariat et renforçant les différenciations au sein de la population active et même entre les jeunes. Cette déstabilisation participe à la restauration de mécanismes plus concurrentiels sur le marché du travail.
32Les mesures adoptées par la politique de l’emploi participent également au processus de flexibilité de la main-d’œuvre, qui se traduit, pour les jeunes, par des exigences plus grandes de mobilité, correspondant à autant d’avantages pour les entreprises :
permettre un ajustement rapide de l’emploi,
développer l’aptitude à changer de poste de travail,
diminuer le coût de la protection de l’emploi (grâce au plus faible poids des contraintes juridiques régissant le contrat de travail),
permettre de se soustraire à une partie des prélèvements sociaux ou fiscaux,
stabiliser la hausse des salaires, etc.
33Par sa politique de l’emploi en faveur des jeunes, l’Etat serait donc contraint d’organiser un flux de mobilité socialisée. On notera le paradoxe qui conduit à précariser les conditions dans l’emploi des jeunes pour que les entreprises puissent retrouver ou maintenir leur compétitivité. Il y a donc, à l’occasion de l’aide à l’insertion des jeunes, un net recul des garanties dans l’emploi.
CONCLUSION
34Globalement, la politique de l’emploi présente donc une efficacité certaine, dans la mesure où elle contribue effectivement à ouvrir progressivement aux jeunes les différentes composantes du rapport salarial. Mais, chaque fois, on rencontre les limites de cette efficacité.
35Tout d’abord, l’effort en matière de formation conduit l’Etat, par le biais des stages, à offrir aux jeunes en situation d’échec scolaire une qualification et un perfectionnement professionnel. Cette formation accompagnée d’un passage en entreprise permet une adaptation au travail qui élargit les capacités professionnelles des jeunes. Mais, dans le même temps, on assiste, à cette occasion, à l’amorce d’une transformation structurelle dans le processus de préparation à l’emploi (formation par alternance), qui à long terme, peut contribuer à rénover les relations entre système éducatif et système productif.
36Cependant, il s’agit le plus souvent d’actions de rattrapage. L’opportunité des stages de formation alternée des jeunes de bas niveau ne peut se substituer ni à la nécessité de rénover les filières techniques de la formation initiale (afin d’éliminer les sorties scolaires sans qualification valable), ni à la nécessité de développer un processus de formation plus qualifiante, d’une part pour ces jeunes (pour qui les stages actuels conduisent encore trop rarement à la qualification), d’autre part, pour les autres catégories (afin de tirer vers le haut le mouvement de qualification et de libérer ainsi des places pour les jeunes débutants).
37Ensuite, on a constaté que, dans un contexte de chômage durable, l’Etat parvient à renforcer la préférence à l’embauche des jeunes. Les entreprises sont effectivement mobilisées pour accueillir les jeunes, mais il s’agit avant tout de petites et moyennes entreprises des secteurs peu modernisés. Du point de vue des jeunes, les frontières de l’exclusion se déplacent nettement, dans la mesure où progressivement les différents dispositifs visent des publics mieux ciblés selon des mesures sélectives et engagent pour eux une série de discriminations à valeur positive. Mais, pour parvenir à cette mobilisation de la main-d’œuvre juvénile, jusqu’à présent, on n’a pas pu éviter le transfert de la charge de l’inactivité sur d’autres catégories, ni la suppression effective du chômage des jeunes.
38Enfin, la multiplicité des statuts et des conditions dans l’emploi offerte par les différents dispositifs d’insertion répond également aux besoins des jeunes, leur permettant une réelle expérience professionnelle où ils affermissent leur orientation et engagent une reliance sociale. Mais, en diversifiant à ce point les statuts, la politique de l’emploi entretien une précarisation des emplois offerts et favorise une flexibilité plus concurrentielle des postes de travail. Une telle orientation met en cause l’unité du salariat.
39Dans ce jeu de contraintes, si l’ensemble des mesures de la politique de l’emploi relatives à l’insertion des jeunes concerne fondamentalement la gestion du chômage, il ne peut donc qu’osciller entre deux objectifs contradictoires, dont la pondération se réalise par des arbitrages à court terme :
contenir la montée du chômage par des dispositifs coûteux,
faciliter l’adaptation du système productif, en accompagnant socialement les restructurations.
40Or, si à court terme ces contradictions paraissent difficilement maîtrisables, néanmoins, par leurs conséquences, elles engagent de fait des modifications structurelles qui orientent l’évolution sur le moyen et long termes du rapport salarial.
41Finalement, la signification de cet article apparaît dans la mise au jour des modifications durables impliquées par l’ensemble des actions conjoncturelles de la politique de l’emploi et dans la nécessité d’inscrire plus explicitement toutes ces actions dans un projet global, si l’on veut que la politique de l’emploi en faveur de l’insertion des jeunes gagne non seulement en efficacité immédiate mais aussi en crédibilité et cohérence économiques et sociales.
Notes de bas de page
1 Parmi les contradictions qu’affronte toute politique de l’emploi quant à ses effets, on relèvera notamment l’ambiguïté du passage du micro-économique au macro-économique, du partiel au général, du court terme au moyen ou long terme : si toute mesure de politique de l’emploi a pour objectif premier de lutter contre le niveau et les risques d’exclusion du marché du travail, ses effets induits peuvent être autant d’effets pervers au niveau macro-économique, sur d’autres catégories de travailleurs et à moyen ou long termes.
2 La notion de « chômeurs évités » par les politiques de l’emploi est reprise ici au sens et avec les évaluations de l’OFCE et la Délégation à l’Emploi. Cf. notamment : J.F. Colin, M. Elbaum, A. Fonteneau, 1984, « Chômage et politique de l’emploi 1981-1983 », Observations et diagnostics économiques, no 7, avril, pp. 106-117. M. Elbaum, et A. Fonteneau, 1985, « Les politiques d’emploi et leur évaluation. Le cas français au cours des années récentes ». CLES. Cahiers lillois d’économie et de sociologie, no 5, 1er semestre. Dossier : « Les politiques de l’emploi face à la crise ». Journées d’études du LAST, 7 déc. 1984, Université de Lille I.
3 « Observatoire et évaluation du dispositif de formation des jeunes de 16 à 18 ans », vol. 3 : « Fonctionnement du dispositif et stratégies des jeunes », fév. 1985, p. 8.
4 « Itinéraire dans le dispositif de formation et situation à la sortie des stages », Formation Emploi, no 9, janv.-mars 1985, p. 59.
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