1En présentant son étude sur les représentations théoriques du fonctionnement du marché du travail, O. Favereau (1986) signalait que « douze ans après le premier choc pétrolier la crise paraît presque surmontée au niveau de l’inflation ; rien de tel ne s’observe pour le chômage. C’est dire que de toutes les branches de l’analyse économique, l’économie du travail est la plus directement mobilisée par la prolongation de la crise ». Nous voudrions ici souligner d’une part que si ce champ de l’économie politique s’avère bien interpelé il l’est à plus d’un titre, d’autre part qu’une analyse purement « régionale » (la seule économie du « marché » du travail) à peu de chance de prendre la mesure des problèmes que pose la persistance d’une phase de croissance ralentie accompagnée de considérables transformations dans le domaine de l’emploi et du travail. Les ruptures industrielles qui se sont dessinées dès 1970 ont entraîné un irrésistible déclin de l’emploi industriel entretenu par une très faible progression de l’activité, les mutations technologiques (informatisation de la production, automatisation) appellent d’importantes modifications dans le contenu et la structure des qualifications, les modes passés de gestion et d’organisation du travail assis sur la taylorisation, s’avèrent aujourd’hui contestés quant à leur efficacité économique après l’avoir été naguère quant au mode de vie au travail qu’ils appelaient. On assiste, enfin, à la diffusion de nouvelles expériences, dites d’innovations sociales, cercles de qualités, groupe de progrès, démarches participatives. Dans ce contexte se nouent d’importants débats autour de la rémunération de l’activité salariale : analyse des conséquences de la progression des coûts en travail non salariaux pour reprendre la terminologie de R.A. Hart (1984), recherche de nouveaux systèmes de rémunération s’ordonnant, notamment, autour des thèses récentes de M. Weitzman (1984) où l’indexation du salaire portant sur les résultats des firmes, permettrait la stabilité de l’emploi, dénonciations libérales imputant à l’existence d’un salaire minimum une large fraction du non-emploi (et en particulier des jeunes). Enfin, last but not least, les réflexions menées afin d’évaluer les conséquences de nouvelles réglementations concernant la durée ou la flexibilité du travail.

2De ce rapide survol des questions relatives aux dimensions du travail émerge une idée centrale : les bouleversements en cours ne touchent pas seulement que certains aspects du travail ou de l’emploi mais bien l’ensemble du « modèle de travail ». Ils n’ont pas seulement des impacts localisés, micro-économiques, mais plus larges effectuant les liaisons et les comportements globaux (macro-économiques). De ce fait seul un cadre prenant en compte tous les aspects du travail et ses interrelations avec les structures économiques apparaît pertinent. Tel nous semble être celui que fournit l’analyse en termes de rapport salarial. Sous ce terme on désigne l’ensemble des conditions qui régissent l’usage et la reproduction de la force de travail, vaste champ au carrefour du « marché » du travail salarié (emploi, mobilité de la force ou travail), de la production (organisation du travail, qualification), de la répartition des revenus (revenu salarial direct et indirect) et de la définition des modes de vie. Très schématiquement il comprend donc un « versant » donnant sur la production (organisation du travail, gestion des qualifications...) et un « versant » connecté au « marché » du travail (C. Le Bas 1986). Si l’on adopte la représentation keynésienne du circuit macro-économique, on voit qu’il affecte ses trois pôles (production, répartition, dépenses) et ne se trouve pas autonome vis-à-vis de la détermination du niveau d’emploi. On en conclut que cette notion peut être d’un grand secours pour appréhender la façon dont se forme l’équilibre macro-économique et les raisons pour lesquelles il tend à se maintenir.

3Afin de mieux situer le contenu de cet ouvrage, on montrera tout d’abord comment une génération de travaux à partir d’un questionnement sur la régulation d’une économie capitaliste développée, a autorisé une meilleure appréhension du modèle de croissance d’après-guerre et de la place du rapport salarial dans cette dynamique. On s’interrogera, en second lieu, sur l’originalité de cette approche quant à l’analyse de la période de croissance ralentie accompagnée de modifications importantes du contenu du rapport salarial.

I. Rapport salarial et régulation : les acquis d’une première génération de travaux portant sur le régime d’accumulation d’après-guerre

4L’analyse de la dynamique d’une économie industrielle développée et de l’insertion de celle-ci dans l’économie mondiale a été, à partir du milieu des années 1970, fortement renouvelée par toute une série de travaux tant théoriques qu’empiriques ; citons pour les plus importants : M. Aglietta (1976), R. Boyer (1975), G. Destanne de Bernis (1977). L’essoufflement du modèle de croissance d’après-guerre à la fin des années 1960 et au début des années 1970, la cassure de 1973-1974 dans le rythme de progression du produit global, l’entrée dans une phase « longue » d’accumulation ralentie, constituent autant de questions, sans réponses satisfaisantes dans le paradigme orthodoxe, stimulant de fructueuses recherches. On n’établira pas ici l’histoire ou la généalogie de qui constitue aujourd’hui une approche originale de la dynamique économique, on retiendra seulement ce qui fait son unité, qui est forte, mais également sa diversité. La notion de régulation occupe la place centrale dans le dispositif, toutefois, si se trouvent refusés à la fois la notion de régulation des autres sciences et le modèle d’équilibre de type walrassien, apparaissent des différences (voire des divergences) dans les contenus prêtés à cette notion.

5La notion d’ajustement apparait déterminante dans la conception de la régulation que développe les sciences physico-chimiques, G. Canguilhem souligne dans sa contribution à l’Encyclopédie Universalis que la régulation « c’est l’ajustement, conformément à quelques règles ou normes d’une pluralité de mouvements ou d’actes et de leurs effets ou produits que leur diversité ou leur succession rend d’abord étrangers les uns aux autres ». Dans le domaine économique la construction walrassienne en termes d’équilibre général exclut toute idée de régulation, plus exactement « la régulation n’est rien d’autre dans cet univers que l’ensemble des propriétés de l’équilibre général » (M. Aglietta 1976, p. 8). Elle ne retient de l’ajustement que l’ordre final (l’équilibre des marchés). On sait aujourd’hui par les travaux d’Arrow, Debreu, Hahn que le problème de la stabilité de l’équilibre est loin d’être démontré même en situation de concurrence parfaite, le système de prix peut ne pas converger vers l’équilibre, sans parler des difficultés à intégrer la monnaie, les anticipations, les rendements croissants, etc.... Plus fondamentalement le modèle est vide du temps historique. Les notions « classiques » de surplus et de reproduction fournissent les prémisses d’une perspective alternative, encore qu’elles autorisent plusieurs niveaux d’interprétation. Le niveau 1 recouvre les modèles du type schémas de reproduction qui, d’une certaine façon, restent accrochés à la logique de l’équilibre ; ils prédisent les compatibilités nécessaires à la poursuite de l’état stationnaire (reproduction simple) ou de la croissance (reproduction élargie). Le niveau 2 conçoit la reproduction dans ses contradictions ; selon G. Destanne de Bernis (1977) deux grandes tendances rendent compte de la dynamique contradictoire de l’accumulation : l’égalisation des taux de profit d’industries « essentielle au fonctionnement et à la cohérence du système car c’est elle, en particulier, qui assure l’articulation de la production au besoin social, de période en période » (p302), et la baisse des taux de profit. Ces deux ensembles « aboutiraient à la destruction ou à la stabilité stérilisante du système si elles aboutissaient à ce vers quoi elles entraînent tendanciellement le système, mais dont le jeu est constamment déformé et contrecarré par les contretendances qui maintiennent le système dans la dynamique » (p. 301). Dans les travaux du Groupe de Recherche sur la Régulation de l’Economie Capitaliste (GRREC 1981), s’inspirant de cette présentation, il est posé que l’articulation de ces deux tendances, pensées comme deux lois du fonctionnement et du développement du capitalisme, définit précisément la régulation. Les auteurs retiennent d’autre part l’idée que selon les périodes historiques cette articulation revêt des formes différentes. Le niveau 3 autorise un basculement de l’analyse vers une compréhension plus concrète de la dynamique de court-moyen terme d’une économie ; si la reproduction élargie est contradictoire il faut également retenir que les contradictions (ou les déséquilibres) peuvent être surmontées, étalées ou reportées dans le temps, déplacées dans l’espace. La dynamique de l’accumulation apparait cohérente, régulière, apparemment « vertueuse » au moins sur une période, ce que suggère l’étude du mouvement économique d’après-guerre dans les économies dominantes. Le concept de régime d’accumulation prend compte de ces caractéristiques. A la différence des analyses du niveau 2 on soufigne que les régularités, les enchaînements vertueux, le bouclage du circuit macro-économique doivent être éclairés par des institutions (ou des structures) qui leurs donnent une épaisseur, une cohérence. Il s’agit là, selon nous, de l’apport le plus novateur de ce que l’on désigne par l’école de la régulation. R. Boyer (1985a) qui a sans doute le plus contribué à cette avancée note que « la notion de forme structurelle » (ou encore institutionnelle) a précisément pour but d’éclairer l’origine des régularités qui canalisent la reproduction économique au cours d’une période historique donnée. De plus elle étend aux rapports sociaux eux-mêmes, la problématique précédemment explicitée à propos de l’accumulation : les invariants ne peuvent se reproduire qu’au travers des altérations permanentes – particulièrement sensibles dans la longue période – de leur forme et de leur articulation précises. On définira comme forme institutionnelle (ou encore structurelle) toute codification d’un ou plusieurs rapports sociaux fondamentaux. Les formes institutionnelles pertinentes dérivent donc de la caractérisation qui est faite du mode de production dominant. Si l’on se restreint au capitalisme, trois d’entre elles apparaissent fondamentales. D’abord la monnaie, sans doute la plus englobante, car elle définit un mode de connection entre unités économiques. Ensuite le rapport salarial essentiel puisqu’il caractérise un type particulier d’appropriation du surplus. Enfin la concurrence en ce qu’elle décrit des modalités de mise en rapport des foyers d’accumulation » (p. 14). Ainsi la croissance n’est pas une simple dynamique de la production, puisque derrière les flux des quantités, l’évolution et la répartition du surplus commandent les mouvements économiques sur une moyenne-longue période ; la régulation n’est pas un emboîtement, un jeu de mécanismes économiques, il n’y a pas de pure homéostatie économique, elle est affaire d’invariants structurelles réglant les comportements sociaux tels le rapport salarial, les formes de concurrence, le contenu de la gestion de la monnaie, le rôle de l’Etat...

6En définitive, la place des formes institutionnelles dans le dispositif théorique constitue bien la différence essentielle entre les deux niveaux et donc entre les deux « courants » mettant en avant la notion de régulation pour rendre compte de la cohérence comme des contradictions de la reproduction. De ce fait les éclairages proposés quant aux facteurs impulsant la reproduction économique d’après-guerre et les blocages contemporains ne se trouvent pas être identiques. Parmi le « courant régulationniste » un large accord transparait. La forte croissance d’après-guerre et sa quasi-régularité a été mise en rapport avec un type de rapport salarial dit fordiste (ou fordien) marqué par des relations contractuelles patronat-syndicats, une gestion socialisée du salaire indirect, une dynamique spécifique du mode de vie des salariés... Le blocage de la croissance, la baisse de la rentabilité du capital, la diminution du rythme de variation de la productivité se sont accompagnés d’une mise en cause des institutions et des pratiques fordiennes. Economiquement parce que le rythme de progression de la productivité devient moins rapide une fois les pratiques fordiennes diffusées (B. Billaudot, 1979), socialement, parce que s’étiole le compromis qui le supporte : refus du travail à la chaîne, absentéisme, nouvelles aspirations en termes de mode de vie...

II. La phase de croissance ralentie et la modification du rapport salarial : de nouvelles interrogations et perspectives

7La crise économique et les bouleversements qui l’accompagnent confrontent la théorie du rapport salarial à trois types de problèmes auxquels les contributions de cet ouvrage apportent quelques pistes de réponses. Aussi les examinerons-nous successivement avant de revenir plus longuement sur chacune d’elles.

8De nouvelles questions d’abord. Le diagnostic décrit dans les développements précédents tend à souligner que la crise économique actuelle est à la fois économique et sociale en ce sens qu’elle affecte certaines institutions nécessaires à l’établissement des comportements des agents et à l’équilibration des flux économiques. Dans cette perspective il est tentant de lire les modifications qui affectent les différents aspects du rapport salarial comme une transformation nécessaire. Nécessaire en ce sens que l’ancien rapport dominant n’est plus économiquement performant ni socialement apte à prendre en compte les caractéristiques – voire les aspirations – de la main d’œuvre en général plus formée. Nécessaire semble-t-il également à la diffusion des mutations technologiques qui secouent l’appareil productif. Autrement dit, les limites proprement économiques de l’ancien et la nouvelle donne en matière technologique et de formation constitueraient les deux forces de la « modernisation » du rapport salarial. Les recherches récentes tendent à raisonner à partir de couples antithétiques : ainsi M. Aglietta et A. Brender (1984) opposent l’impératif de responsabilisation de la main d’œuvre au mode taylorien d’organisation et de gestion du contenu du travail, R. Boyer (1985a) étudie les différentes configurations de la flexibilité mises en rapport avec les formes de rigidités... En bref, sont identifiées les directions du changement. Toutefois ces quelques réflexions soulèvent de véritables questions : une sortie durable à la crise dans le cadre d’une économie de marché impose-t-elle, comme préalable, une modification substantielle ou à la marge du rapport salarial fordiste ? Les recompositions micro-économiques des relations industrielles prenant la forme d’institutions intégratives dont l’origine reste patronale (comme les cercles de qualité), de pratiques participatives ou d’obligations règlementaires en matière d’expression du personnel (lois Auroux) dessinent-elles un rapport salarial réellement alternatif ? Les éléments de flexibilité introduits dans l’usage de la force de travail marque-t-il un retour à des formes anciennes (concurrentielles) du rapport salarial ? Les directions prises par les inflexions constatées s’avèrent-elles cohérentes entre elles : l’objectif de responsabilisation de la main d’œuvre n’est-il pas opposé à la recherche d’une plus grande mobilité de la force de travail ? Ceci ne façonnerait-il pas des formes nouvelles de segmentation comme le suggère B. Coriat (1986) ? Ce survol permet d’identifier deux exigences méthodologiques : étudiant une période où le neuf se combine à l’ancien il devient particulièrement décisif de reprendre l’analyse des phases de crises longues (les « laboratoires sociaux ») marquées par d’importantes ruptures dans les dispositifs sociaux d’organisation du travail ; s’agissant des nouvelles pratiques ou expériences en rupture avec le modèle passé il convient d’être attentif aux variables accélérant leur diffusion, et, bien entendu, aux perceptions et actions des forces sociales. Tout ceci incite ou invite à une très grande prudence dans l’extrapolation, dans l’espace et le temps, des expériences nouvelles, repérées à des niveaux micro-économiques. L’approche en termes de scénarios menée par R. Boyer (1985b) apparaît de ce point de vue symptomatique.

9Des questions de méthode ensuite. Ces quelques problèmes posés à l’analyse en termes de régulation et de rapport salarial peuvent occasionner un approfondissement de sa problématique voire le redressement de défauts et lacunes. En effet si l’on dispose avec cette approche d’un cadre d’analyse « robuste » permettant de relier les caractéristiques des régimes d’accumulation et les systèmes de travail et d’emploi, de marier deux disciplines de l’Economie jusque là pratiquement disjointes, la Dynamique et l’Economie du travail, elle a été trop longuement menée dans un cadre macro-économique. Ceci a eu au moins deux conséquences assez fortement dommageables. En premier heu trop peu d’attention a été accordé aux formes non fordiennes (ou ante-fordiennes) d’organisation et de gestion des systèmes de travail ; le rapport salarial fordiste étant posé comme dominant (ce qui est juste) mais souvent également, au moins implicitement comme excluant la progression d’autres formes. On a pu montrer (voir A. Barcet et Alii. (1985)) qu’une telle perspective se privait elle-même d’un axe permettant une compréhension plus fine de la dynamique du système industriel qui se reproduit précisément à travers une articulation entre secteur fordien et secteur non fordien. De plus, la crise économique se caractérisant par une certaine réactivation des formes non fordiennes d’organisation de l’emploi et du travail, on est en droit d’en inférer que l’accumulation antérieure de recherches portant sur le noyau fordien pourrait constituer un certain obstacle à leur compréhension. En second lieu les domaines micro ou méso-économiques ont été jusqu’ici pratiquement ignorés (exception faite de monographies portant là encore sur le noyau fordien, l’automobile, et plus généralement le secteur du montage), or, là encore, la compréhension du développement des expériences nouvelles impose que l’on situe les recherches sur des axes micro ou macro-économiques afin d’en extraire des hypothèses fiables quant aux tendances globales.

10Enfin de nouveaux terrains d’investigation apparaissent comme la tertiairisation de l’économie et du travail, ou d’anciennes questions doivent être réexaminées (comme la qualification). En définitive le champ que couvre l’approche en termes de rapport salarial doit être élargi par l’exploration d’autres domaines. C’est dans cette perspective qu’il s’agit de lire les contributions de cet ouvrage. Aussi venons-en à une présentation plus détaillée.

11Dans la première contribution B. Coriat décrit les récentes transformations du contenu des négociations collectives dans l’industrie automobile américaine fortement touchée par la crise économique. Il souligne l’émergence d’un nouveau modèle marqué par plus de flexibilité quant à l’établissement du salaire et l’apparition des dispositions nouvelles : la sous-traitance n’est plus exclue des discussions collectives, la formation devient un objet de discussions, et l’accès aux informations relatives aux nouvelles technologies s’avère encouragé. Il conclut avec prudence sur la question de savoir s’il s’agit là d’un modèle de relations industrielles transitoire ou définitif.

12L’objet de l’étude suivante, due à C. Mercier, est de mettre en correspondance les changements techniques et organisationnels et les transformations du rapport salarial d’une industrie (celle du verre creux) dans une perspective longue. Le principal enseignement que l’on retire, outre l’explication des progrès techniques par rapport à la nécessité de la cohérence interne du procès de travail et aux contraintes externes de valorisation, semble être qu’une fraction du système industriel progresse à un rythme propre eu égard à la productivité qu’elle parvient à dégager, et, réaménage les caractéristiques de sa gestion du salariat selon une temporalité qui ne recouvre pas celle constatée au niveau macro-social. De telles recherches historiques portant à la fois sur les changements techniques et les composantes du rapport salarial qu’il s’agirait d’encourager, pourraient éclairer utilement les restructurations industrielles et les logiques de transformation dans les systèmes d’emploi et de travail de la période présente. Ceci permettrait de renouveler l’étude de la genèse du rapport salarial dominant trop souvent expliquée par « en haut » (les contraintes globales de régulation), et insuffisamment éclairée par les transformations opérant « en bas » (les cohérences de valorisation des différentes industries).

13Les deux contributions suivantes nous invitent à d’autres réflexions beaucoup plus générales. B. Billaudot à partir des observations que lui inspirent les ouvrages de M. Aglietta et A. Brender (Les métamorphoses de la société salariale) et de G. Archier et H. Sérieyx (L’entreprise du troisième type) étudie les issues possibles à la crise du rapport salarial fordiste ; son objectif est « de dégager les lignes de force d’une possible mutation du rapport salarial s’inscrivant dans la perspective de sa disparition, sans prétendre qu’elle est nécessaire pour sortir de la crise actuelle et que cette nécessité l’imposera ». D’une certaine façon ses préoccupations rejoignent celles de B. Ruffieux ; constatant que l’entreprise constitue un élément actif dans le processus de structuration du rapport salarial il plaide pour une analyse fine du fonctionnement interne de la firme et soutient l’hypothèse que c’est au plan des conditions de mise au travail du salariat que se joue le dénouement de la crise. En définitive ces premières contributions à notre sens renouvèlent de façon pertinente l’approche en termes de rapport salarial longtemps limitée au plan macro-économique.

14M. Bellet propose un certain nombre de pistes permettant de confronter l’approche en termes de rapport salarial et le « programme de recherche » s’appuyant également sur une vision marxiste des phénomènes économiques et sociaux qui caractérisent la crise actuelle comme crise de structure du capitalisme d’Etat et débouche sur l’élaboration de nouveaux critères de gestion. Il conclut que ces deux visions renvoient à des conceptualisations très différentes de la cohérence comme des contradictions des formes historiques du mode de production capitaliste. Souhaitons que cette mise en rapport débouche sur un enrichissement du débat.

15Partant du constat de l’insuffisance des conclusions auxquelles parviennent nombre d’études et de recherches sur le travail et le travailleur, l’article de J JM. Bidaux vise à donner une consistance à l’hypothèse de la dimension salariale (au sens de rapport salarial) comme déterminant direct et spécifique de ce couple et de son évolution. La théorie du rapport salarial constituerait alors un cadre pertinent à condition que l’on passe d’une définition de la qualification comme « capacité à... » à un concept la considérant comme processus social de hiérarchisation du travail salarié.

16Dans la communication suivante B. Drugman et Ph. Mouy évaluent l’efficacité des politiques visant à ouvrir aux jeunes – dont on sait qu’ils subissent fortement le chômage – les différentes composantes du rapport salarial. Ils notent que les différents dispositifs d’insertion tendent à multiplier les statuts et les conditions d’emploi ce qui a pour conséquence d’entretenir la précarisation des emplois offerts et d’accroître la flexibilité. Autrement dit ils entament à la marge le rapport salarial fordiste.

17L’article de P. Petit présente un grand intérêt en ce qu’il met au cœur de sa réflexion une caractéristique majeure de la croissance actuelle et future, la tertiarisation, et son incidence sur l’évolution du rapport salarial. De cette contribution émergent plusieurs traits propres à la dynamique d’une nouvelle croissance, retenons une idée forte : « l’extension du tertiaire, dont les salaires ne sont que très indirectement liés à des indicateurs de croissance réelle, dilue le mécanisme de diffusion des gains de productivité industriels qui soutenait l’institution d’une norme salariale au niveau de l’ensemble de l’économie. Les risques d’une inflation de productivité (liée à un ajustement trop mécanique des salaires sur les gains des secteurs les plus performants) se trouvent réduits mais l’hétérogénéité des règles de formation des salaires en est accrue. La tendance à l’individualisation des salaires est un des symptômes du relâchement de l’ancienne norme salariale ».

18Ces propos introductifs ne donnent qu’une idée limitée des problèmes soulevés et des perspectives offertes dans chacune des contributiens. Elles tendent en définitive à souligner qu’un des enjeux (l’enjeu fondamental ?) de la crise économique se situe dans la transformation des rapports concrets de production : quelle place sera donnée dans le contexte de mutations technologiques au travail vivant dans la production ? Quel statut sera réservé dans l’entreprise comme dans la société aux salariés ? Sur ces points les thèses avancées dans ce recueil font avancer utilement la réflexion.