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Le Temple national

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Vincent Petit

Un âge d’or des prêtres parlementaires ?

Le cas de l’Alsace-Lorraine (1871-1918)

Claude Muller

Texte intégral

  • 1 Archives de l’Archevêché de Strasbourg, fonds Raess.

1Par un vote solennel, les évêques réunis en concile à Rome célèbrent le triomphe de la primauté romaine, le 18 juillet 1870, en présence de Pie IX. Le lendemain, 19 juillet, éclate le conflit franco-allemand voulu par Bismarck pour hâter l’unification de son pays. Comme l’écrit Émile Keller, député du Haut-Rhin : « Nous voici à la guerre et l’infaillibilité est proclamée au bruit du canon. Nul ne peut prévoir les événements qui vont s’ouvrir. Mais quand on est catholique et français, on doit avoir confiance dans l’avenir1. » Au moment où la République est proclamée en France, le 4 septembre, l’administration allemande et sa cohorte de premiers fonctionnaires s’installent à Strasbourg. Bientôt, l’Alsace et une partie de la Lorraine sont occupées militairement par l’Allemagne.

  • 2 Claude Muller, « Lettres de Mgr Freppel à Mgr Ræss (1851-1879) », Archives de l’Église d’Alsace, n (...)

2Encore juridiquement françaises en février 1871, les populations annexées obtiennent l’autorisation d’élire des députés pour l’Assemblée constituante française. Mgr Charles Émile Freppel, originaire d’Obernai, évêque d’Angers depuis 1869, écrit à Mgr André Ræss, évêque de Strasbourg : « Plusieurs évêques m’ont écrit pour m’engager à me présenter pour la députation quelque part afin de pouvoir défendre à la tribune les intérêts de l’Église qui seront menacés à coup sûr. Malgré ma répugnance à me jeter dans ces luttes, je n’hésiterai pas à le faire, si vous y voyez un devoir. Dans ce cas j’accepterai la députation que l’on m’offre dans le Haut-Rhin2. » Ces velléités ne sont pas suivies d’effets. Vingt-trois députés alsaciens, soit 12 pour le Bas-Rhin et 11 pour le Haut-Rhin, ainsi que 23 députés lorrains sont envoyés à Bordeaux. Parmi eux, aucun prêtre. Les députés, en majorité libéraux ou radicaux-républicains, affirment leur droit et leur volonté de rester français. Leur « protestation », déposée le 1er mars 1871 est lue à l’assemblée nationale de Bordeaux.

3À la suite de la signature du traité de Francfort, le 10 mai 1871, des territoires lorrains, correspondant grosso modo à l’actuelle Moselle, sont réunis en une Lorraine, appelée Lothringen, dont le chef-lieu est la ville de Metz. Celle-ci est intégrée par Bismarck dans une construction politico administrative inédite, surgie ex nihilo, appelé Reichsland Elsass-Lothringen ou Terre d’Empire d’Alsace-Lorraine. Le Reichsland, propriété commune de tous les États allemands, relève directement de l’empereur, donc du chancelier, qui gouverne par l’intermédiaire d’un Statthalter ou gouverneur sur place.

4Dans le couple insolite Alsace-Lorraine, l’égalité du titre est trompeuse. L’Alsace, composée de la haute Alsace et de la basse Alsace, représente les deux tiers de la population et de la superficie du Reichsland. Les Alsaciens paraissent plus proches de la langue et de la culture allemandes, surtout la forte minorité luthérienne. Le clivage confessionnel apparaît rapidement. « Aux yeux de ces gens totalement aveuglés, la guerre sanglante qui vient d’éclater n’est rien d’autre qu’une guerre de religion, un combat à la vie et à la mort entre le protestantisme et le catholicisme », affirme le pasteur de Climbach. De fait, le clergé catholique joue dès ce moment, habilement ou outrageusement selon les opinions, sur l’amalgame. Prussiens protestants contre Français catholiques.

5Mentionnons surtout, dans le propos introductif, la multiconfessionalité de ces terres orientales : une majorité de catholiques y cohabitent avec une grosse minorité de protestants – en 1869, près de la moitié des protestants de France résident en Alsace et en Lorraine, et pendant l’annexion, le nombre de protestants, plus luthériens que calvinistes d’ailleurs, s’accroît à la faveur de l’immigration « prussienne » – et une plus faible minorité juive – en 1869 toujours, près de la moitié des juifs de France résident en Alsace et en Lorraine. Curieusement, l’âge d’or des parlementaires ne concerne que des prêtres catholiques. Il n’y a ni pasteurs ni rabbins députés pendant la période du Reichsland.

L’irruption de prêtres catholiques au Reichstag

6Le Kulturkampf déclenché par Bismarck – demander à tous les enseignants du secteur public et privé un serment de fidélité au gouvernement, mais aussi séparer les congrégations de leur maison-mère si elle se trouve en France –, avec comme point d’orgue l’expulsion du vicaire général Ignace Rapp, explique l’irruption du clergé catholique dans la vie politique. Un clergé nombreux et instruit – un dixième des prêtres sont des fils d’instituteurs –, faut-il le rappeler. Aux élections pour le Reichstag, le Parlement allemand, à Berlin, qui ont lieu le 1er février 1874, les électeurs doivent choisir 15 députés : 6 en basse Alsace, 5 en haute Alsace et 4 en Lorraine. Des prêtres se présentent à leurs suffrages sur une base « protestataire ».

7À Metz, l’évêque du lieu, Mgr Paul Dupont des Loges, obtient 13 054 voix sur 15 846 suffrages exprimés. Il est le seul prêtre sur les 4 candidats lorrains. En basse Alsace, 2 ecclésiastiques sont élus. Mgr André Ræss, évêque de Strasbourg, obtient 10 679 voix sur 11 947 votants dans la circonscription de Sélestat et bat le pasteur Nessler. Joseph Philippi, curé de Molsheim, l’emporte dans la circonscription Molsheim-Erstein. En haute Alsace, le résultat est remarquable : 4 prêtres élus pour 5 circonscriptions ! Soit : Landelin Winterer, curé de Mulhouse, ayant habilement évité de se présenter dans cette ville calviniste et choisi l’arrondissement très catholique d’Altkirch, dans le Sundgau dont il est originaire ; Joseph Guerber, futur supérieur des sœurs de la Charité dans l’arrondissement de Guebwiller ; Jean-Baptiste Soehnlin, curé de Neuf-Brisach dans l’arrondissement de Colmar ; enfin Ignace Simonis, supérieur des sœurs de Niederbronn dans l’arrondissement de Ribeauvillé. Nous arrivons à un total de 6 prêtres parmi les 11 députés alsaciens ou 7 prêtres parmi les 15 députés alsaciens-lorrains.

8Évoquons ces 7 parlementaires. Aussi bizarre que cela puisse paraître, Soehnlin est encore aujourd’hui, historiographiquement parlant, un parfait inconnu. Philippi n’est connu que pour son rôle de pasteur zélé. Les deux, d’ailleurs, ne se représentent plus aux élections de 1877. Guerber, Simonis, Winterer méritent, au contraire, un coup de projecteur appuyé. Prenant goût à leur fonction de député, retournant assister à chaque session à Berlin, intervenant régulièrement, faisant preuve de compétence, ils sont réélus constamment, les deux premiers jusqu’en 1898, le dernier jusqu’en 1903, le plus souvent sans opposant direct. Insistons sur Winterer, « le grand muphti », véritable évêque du Haut-Rhin, qui peut s’appuyer sur une dizaine de vicaires effectuant le travail pastoral à Mulhouse et lui permettant de se consacrer à son mandat parlementaire. Winterer développe un réseau épistolaire impressionnant, tant en Allemagne qu’en France et en Belgique, et propose l’esprit de l’encyclique Rerum Novarum avant l’heure. Cet archétype du notable fonde sa compétence non sur l’argent, mais sur ses prises de position sur quasiment tous les sujets sociétaux de l’époque selon le point de vue de l’Église. Ignace Simonis, de son côté, s’affirme bientôt comme un spécialiste d’envergure nationale des questions financières, n’hésitant pas à prendre le contre-pied des injonctions de son évêque ou se prononçant, en 1887, contre le vote du budget dit « septennat militaire », malgré les recommandations de Léon XIII.

  • 3 Claude Muller, « Les relations entre Mgr Raess et Mgr Dupont des Loges (1871-1881) », Archives de (...)

9Concernant les deux évêques à présent, le 7 février 1874, Mgr Dupont des Loges écrit à Mgr Ræss : « Alea jacta est, nous voilà élus. Irez-vous à Berlin ? Quand partirez-vous ? Dans quel hôtel descendez-vous à Francfort ? À Berlin ? L’opinion publique ne me permet pas d’hésiter. Je dois lui donner la satisfaction de partir et de me joindre à la députation de Lorraine. Je serais heureux de marcher et de me tenir le plus près de vous3. » Tout est dit en peu de mots. Le Breton, évêque de Metz, connaissant peu de choses sur l’Allemagne, sa culture ou sa langue, choisit, comme mentor, l’évêque strasbourgeois, au sommet de sa gloire personnelle, auréolé de son rôle joué au concile de Vatican I. Mais Ræss, ayant fait ses études à Mayence, et développé depuis plus de cinquante ans un immense réseau en Allemagne, chargé par le Vatican de quelques missions auprès de l’épiscopat allemand avant la guerre franco-prussienne, était fragilisé par le refus de Bismarck de le recevoir à Berlin en décembre 1871.

Les conditions particulières de la représentation des prêtres parlementaires

10Le mercredi des Cendres, 18 février 1874, tout vole en éclat. À la fin d’une longue séance houleuse du Reichstag consacrée à l’Alsace-Lorraine, Mgr Ræss, quasi octogénaire, demande la parole. Il dit que les Alsaciens de sa confession ne remettent pas en question le traité de Francfort. Si la déclaration de l’évêque peut se justifier, puisque ce traité international avait été paraphé par la France, en revanche, elle va à l’encontre du programme électoral du prélat affiché dans sa circonscription de Sélestat. La stupeur passée, tous les députés alsaciens-lorrains, y compris les clercs, se désolidarisent de ces propos. En Alsace, des manifestations immenses conspuent l’évêque, mais des catholiques refusent de le condamner.

11Le hiatus apparaît clairement. Pour Mgr Dupont des Loges, l’élection devient à la fois symbolique et anecdotique. Il ne peut accepter la ligne de son confrère. Il n’exerce plus son mandat, sa protestation ne pouvant engendrer une quelconque collaboration. Philippi et Soehnlin ne retournent plus à Berlin. Par respect pour leurs électeurs ou par obéissance à leur évêque ? Au contraire, ceux que l’on appelle désormais le triumvirat Joseph Guerber, Ignace Simonis et Landelin Winterer contestent ouvertement leur évêque, alors qu’ils ont fait vœu d’obéissance à leur ordination. Ils décident de retourner à Berlin en pratiquant une sorte de protestation participative. Ils ne perdent pas une occasion pour dire que l’annexion est injuste, tout en veillant jalousement aux droits de l’Église dans la société. Comme ils deviennent les seuls à défendre les intérêts de l’Alsace-Lorraine à la tribune du Reichstag, ils favorisent, par leur attitude courageuse, la fusion de la protestation politique et la défense religieuse, qui permet peu à peu l’émergence d’un parti catholique alsacien dans lequel une partie du peuple peut s’identifier.

12En Lorraine, Mgr Dupont des Loges, évêque de Metz de 1843 à 1886, respecté de son clergé, obtient qu’aucun de ses membres ne se présente à la députation. Ceci explique l’absence de prêtres lorrains au Reichstag jusqu’à la mort de Dupont des Loges. Mais Mgr Louis Fleck, nouvel évêque de Metz de 1886 à 1899, originaire de Niederbronn en basse Alsace, ne peut obtenir un tel résultat. À peine est-il installé que des critiques fusent. Le Républicain lorrain du 22 août 1886 ose : « On le soupçonne avec raison de n’avoir pour les Allemands qu’une aversion relative. » Le Mémorial des Vosges du 13 septembre 1886 surenchérit : « Fleck fait partie du petit groupe d’Alsaciens-Lorrains qui se sont assez volontiers soumis à l’autorité nouvelle dont tout le poids s’appesantit sur les malheureuses provinces. » Un rapport de Mgr Fleck au pape datant de 1887 montre combien il est difficile à un évêque de louvoyer entre les exigences d’une partie francophile du clergé et celles tout aussi intransigeantes de l’administration qui veut germaniser. La même situation se présente alors en Alsace. Au décès de Mgr Ræss, en 1887, lui succède son coadjuteur, Mgr Pierre Paul Stumpf, un Alsacien originaire d’Eguisheim, accusé des mêmes maux de collaboration avec « la Prusse » par la partie francophile du clergé.

13La montée sur le trône épiscopal de deux évêques plus enclins à la discussion et à la normalisation des rapports avec l’État précède un projet de restructuration diocésaine imaginé par le Ministerialrath Julius Hamm. Pour mieux équilibrer l’architecture catholique du Reichsland, il imagine la création d’un diocèse haut-rhinois, l’élévation de l’évêché de Strasbourg au rang d’archevêché et le maintien du diocèse de Metz. Mais le projet reste dans les tiroirs. La poussée à la germanisation provoque par réaction, en Lorraine, un exceptionnel tir groupé, véritable grand chelem, aux élections de 1890. Les 4 députés lorrains « protestataires » sont des prêtres catholiques : Jean-Michel Dellès, archiprêtre de Sainte-Ségolène à Metz, en fonction de 1889 à 1893 ; Jean-Baptiste Mangès, prêtre à Walschbronn, de 1890 à 1893 ; Julius-Joseph Neumann, curé de Hayange, de 1890 à 1895 ; et surtout Pierre Kuchly, archiprêtre à Sarrebourg, de 1890 à 1903. C’est la répétition lorraine du raz de marée haut-rhinois de 1874, qui avait vu 4 prêtres parlementaires pour 5 sièges. Si l’on ajoute aux 4 prêtres lorrains les 3 inamovibles membres du triumvirat Joseph Guerber, Ignace Simonis et Landelin Winterer, ce total de 7 prêtres illustre la réussite électorale du parti catholique alsacien-lorrain naissant.

14L’embellie se poursuit aux élections de 1893. Outre la réélection de Pierre Kuchly, il faut noter le remplacement de Mangès par Jean-Pierre Colbus, curé de Neunkirchen, élu député de Sarreguemines-Forbach cette année. Il est élu au premier tour avec l’étiquette « lorrain » devant un candidat de la SPD et un candidat gouvernemental. Il est plus actif et plus remuant que son prédécesseur, c’est pour cette raison qu’il se met à dos les notables, dont Jaunez. Il se prononce contre une loi militaire et est combattu par le Kreisdirektor local. Les notables lorrains l’abandonnent en 1898 et lui préfèrent le baron de Schmid de Sarralbe qui est un rallié. Colbus ne renonce pas. Il se représente, mais il est battu le 20 juin 1898 dès le premier tour par le baron. Il est le sixième et dernier prêtre parlementaire lorrain dans cette période du Reichsland.

  • 4 François Roth, La Lorraine annexée, étude sur la Présidence de Lorraine dans l’Empire allemand, 18 (...)

15Toutefois, il faut opposer Lorrains et Alsaciens. Comme le souligne pertinemment François Roth4, aucun prêtre lorrain ne s’impose véritablement, parlant mal l’allemand, exerçant à peine leur mandat, s’enfermant dans une protestation stérile, n’ayant ni le niveau intellectuel ni les capacités du triumvirat. Trois de ces prêtres quittent la scène parlementaire prématurément. À Strasbourg, le décès inopiné de Mgr Stumpf, en 1890, lance les tractations pour le choix d’un nouvel évêque. Pour les Alsaciens, l’évêque ne peut être qu’un des leurs et le nom de Winterer est mis en avant. Pour les Allemands, il est temps désormais de faire nommer un évêque allemand, chargé de germaniser les âmes. Le choix du gouvernement se porte sur Adolf Fritzen, un Allemand professeur au petit séminaire de Montigny-lès-Metz, un choix ratifié par Rome. Pour atténuer la portée symbolique de la nomination, un évêque auxiliaire alsacien, Charles Marbach, né à Wissembourg, est conjointement nommé. À Metz, en 1899, au décès de Mgr Fleck, un autre Allemand est nommé : Willibrod Benzler.

L’arrivée des « jeunes »

16À la fin du xixe siècle, de jeunes prêtres du diocèse de Strasbourg commencent à renâcler. Ils reprochent au triumvirat son immobilisme, argument qui cache au demeurant des ambitions très personnelles. La tension s’étale dans la presse catholique, qui se décline en une multitude de journaux, et enfle rapidement. Elle aboutit, en Alsace, car il n’y a plus de prêtres lorrains à partir de 1903, à un renouvellement des générations. Les « vieux » doivent laisser leur place aux « jeunes ». En haute Alsace, en 1898, l’abbé Alphonse Rœllinger succède à Joseph Guerber, qui ne se représente pas, à Guebwiller. Il reste parlementaire jusqu’en 1907, date à laquelle il renonce à son siège pour raison de santé. L’abbé Émile Wetterlé, surnommé « Plume », succède pour sa part à Ignace Simonis qui ne se représente pas davantage à Ribeauvillé. Il est constamment réélu en 1903, 1907 et 1912. Landelin Winterer, réélu en 1898, interrompt sa carrière en 1903, comblé d’honneurs par le régime allemand. En basse Alsace, toujours en 1898, l’abbé Nicolas Delsor, curé de Nordheim, gagne la circonscription d’Erstein-Molsheim et reste député jusqu’à la Grande Guerre. Enfin, Denis Will, curé de Hœnheim, promoteur du syndicalisme chrétien, emporte en 1907 la circonscription de Strasbourg-Campagne – la première fois pour un prêtre. Réélu en 1912, il décède inopinément.

  • 5 Christian Baechler, « L’abbé Wetterlé, un prêtre patriote et libéral (1861-1931) », Archives de l’ (...)
  • 6 Archives de l’Archevêché de Strasbourg, casier Rountzenheim.

17Le renouvellement de génération va de pair avec le renouvellement de la protestation. Celle-ci ne signifie plus le retour à la France au tournant du xxe siècle, mais une volonté pour les Alsaciens-Lorrains de ne plus faire partie d’un sous-État, le Reichsland, rappelons-le appartenant en commun aux autres États allemands. « L’essentiel, c’est la mise sur un pied d’égalité de l’Alsace avec les autres états confédérés5 », martèle Émile Wetterlé. Toutefois, des divergences se font désormais jour. Le jeune clergé, formé à l’école allemande, n’a plus la même vision du légalisme que les aînés. L’évolution de Nicolas Delsor est symptomatique. Les luttes anticléricales en France, son expulsion de Lunéville le jour de Noël 1903 et la séparation des Églises et de l’État en 1905 l’amènent à s’accommoder du régime allemand, comme bien d’autres prêtres. « La France est un pays athée et il est difficile à un peuple catholique d’accepter de tomber dans les mains d’un État athée6 », gronde le curé Sigwalt de Rountzenheim.

18La trajectoire d’Émile Wetterlé, surtout, tranche avec celles des autres clercs parlementaires. Hostile au ralliement des catholiques alsaciens au Zentrum allemand, il défend l’idée d’un parti alsacien libéral non confessionnel, se démarquant ainsi de tous ses collègues prêtres. Il s’efforce, avec d’autres, d’obtenir la transformation de l’Alsace-Lorraine en un État fédéral. Emprisonné deux mois, en 1909, pour avoir vitupéré contre « l’arrogance pangermaniste », il critique violemment la Constitution de 1911. Il intervient rarement au Reichstag, surtout à partir de ce moment. Dès la déclaration de guerre connue, Wetterlé s’empresse de quitter l’Alsace. Il participe depuis Paris à la propagande de guerre de la France. Ses prises de position contraignent ses amis politiques restés en Alsace à le désavouer publiquement en l’excluant du groupe parlementaire alsacien-lorrain du Reichstag. En 1919, il est élu député du Haut-Rhin, symbolisant une curieuse transition politique.

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  • 7 Christian Baechler, « Le clergé alsacien et la politique (1871-1939) », Revue d’Alsace, nº 111, 19 (...)

19« L’Alsace-Lorraine est une entité qui n’existe que sur le papier », aux dires du Statthalter Hohenlohe. Insistons sur la différence entre la Lorraine et l’Alsace. Sur le plan politique, les prêtres lorrains sont souvent des élus sans expérience parlementaire et ne se représentant pas. La précarité de leur représentation constitue une des raisons de leur marginalisation. Par opposition, la stabilité de la représentation des prêtres alsaciens, en particulier du triumvirat, est à relever. Comme le remarque Christian Baechler, « c’est l’interprétation cléricale de la démocratie chrétienne qui a prévalu en Alsace7 ».

Bibliographie

Baechler Christian, Le Parti catholique alsacien, 1890-1939 : du Reichsland à la République jacobine, Paris, Éditions Ophrys, 1982.

Baechler Christian, « Le clergé alsacien et la politique (1871-1939) », Revue d’Alsace, nº 111, 1985, p. 125-148.

Igersheim François, L’Alsace des notables : 1870-1914, la bourgeoisie et le peuple alsacien, Strasbourg, BF éditions, 1981.

Mayeur Jean-Marie, Autonomie et politique en Alsace, la Constitution de 1911, Paris, Armand Colin, 1970.

Muller Claude, « Les relations entre Mgr Ræss et Mgr Dupont des Loges (1871-1881) », Archives de l’Église d’Alsace, nº 47, 1988, p. 147-171.

Muller Claude, Dieu, la Prusse et l’Alsace : 1870-1914, Strasbourg, Éditions du Signe, 2013.

Roth François, « Le personnel politique de la Lorraine pendant l’annexion à l’empire allemand, 1871-1918. De la France vers l’Allemagne. De l’Allemagne vers la France », Themenportal Europäische Geschichte, 2007, en ligne : https://www.europa.clio-online.de/essay/id/fdae-1418 (avril 2021).

Roth François, La Lorraine annexée, étude sur la Présidence de Lorraine dans l’Empire allemand, 1870-1918 [1976], Metz, Éditions Serpenoise, 2011.

Notes

1 Archives de l’Archevêché de Strasbourg, fonds Raess.

2 Claude Muller, « Lettres de Mgr Freppel à Mgr Ræss (1851-1879) », Archives de l’Église d’Alsace, nº 49, 1990-1991, p. 115.

3 Claude Muller, « Les relations entre Mgr Raess et Mgr Dupont des Loges (1871-1881) », Archives de l’Église d’Alsace, nº 47, 1988, p. 162.

4 François Roth, La Lorraine annexée, étude sur la Présidence de Lorraine dans l’Empire allemand, 1870-1918 [1976], Metz, Éditions Serpenoise, 2011.

5 Christian Baechler, « L’abbé Wetterlé, un prêtre patriote et libéral (1861-1931) », Archives de l’Église d’Alsace, nº 45, 1986, p. 252.

6 Archives de l’Archevêché de Strasbourg, casier Rountzenheim.

7 Christian Baechler, « Le clergé alsacien et la politique (1871-1939) », Revue d’Alsace, nº 111, 1986, p. 140.

Auteur

Claude Muller est professeur à l’Université de Strasbourg et directeur de l’Institut d’histoire d’Alsace. Il est l’auteur de La Liberté ou la mort : l’Alsace et la Révolution (Place Stanislas, 2009), Vive l’Empereur : l’Alsace napoléonienne, 1800-1815 (ID l’Édition, 2012), Dieu, la Prusse et l’Alsace : 1870-1914 (Éditions du Signe, 2013), Les Alsaciens : une région dans la tourmente, 1870-1950 (Les Arènes, 2012).

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