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Le Temple national

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Vincent Petit

Pasteurs en République

André Encrevé

Texte intégral

  • 1 Dans l’Église luthérienne, on parle en général d’ordination. Aujourd’hui les réformés disent plutô (...)
  • 2 Voir André Encrevé, « La petite musique huguenote », dans Pierre Birnbaum (dir.), La France de l’a (...)

1Pour un pasteur, il n’est pas simple de devenir parlementaire. Certes, dans les Églises protestantes, la consécration1 au ministère pastoral n’est pas un sacrement, et un pasteur peut sans problème interrompre son ministère pour siéger dans une assemblée parlementaire puis retrouver ensuite un nouveau poste de pasteur, voire mener de front ces deux activités. Il reste que les pasteurs conçoivent en général leur ministère comme une vocation qui est plutôt d’ordre spirituel ; ce qui n’est pas tout à fait le cas de l’exercice d’un mandat parlementaire. Par ailleurs, le plus souvent, un pasteur souhaite demeurer le pasteur de tous ses paroissiens, qu’ils soient de droite ou de gauche. Ils s’abstiennent donc, d’ordinaire, de prendre publiquement des positions partisanes tranchées dans le domaine politique. Ils ne s’y résolvent que dans des circonstances exceptionnelles, comme l’affaire Dreyfus par exemple, tout en soutenant, dans ce cas, que leur intervention est d’ordre moral et religieux2. Enfin, leur qualité de pasteur peut leur valoir des attaques directes de la part de leurs adversaires politiques. Cela arrive, par exemple, à Frédéric Desmons qui, candidat à l’Assemblée nationale dans le Gard en juin 1881 (élection partielle), doit faire face au tract d’un « Comité des ouvriers catholiques Républicains radicaux » où l’on peut lire :

  • 3 Cité par Daniel Ligou, Frédéric Desmons et la Franc-maçonnerie sous la IIIe République, Paris, Ged (...)

Ce dernier [F. Desmons] aux yeux des citoyens qui ont voué une guerre sans merci au cléricalisme, en vertu de la robe qui le couvre, ne pourra jamais trouver grâce devant le scrutin. Ce serait une extravagante bouffonnerie que de voir des républicains catholiques, après s’être échappé des étreintes de l’Évangile, aller se jeter dans les bras de la Bible. Élire un pasteur, ce serait un déplorable exemple à donner [...]3.

  • 4 Cette formulation peut toutefois s’expliquer par l’habitude de certains catholiques de ce temps de (...)
  • 5 Le tract affirme que si un pasteur était élu, alors « une foule » de curés se présenteraient en se (...)
  • 6 Ils se réclament en général d’une laïcité « protestante », ou « à l’américaine », pour laquelle au (...)
  • 7 Daniel Ligou, Frédéric Desmons et la Franc-maçonnerie sous la IIIe République, op. cit., p. 102-10 (...)

2Outre la curieuse opposition entre l’Évangile et la Bible4, notons que ces radicaux qui affirment « s’être échappé des étreintes de l’Évangile » – c’est-à-dire, comme le montre le reste du texte, de l’influence du clergé catholique – n’en tiennent pas moins à se présenter comme des « catholiques » spécialement hostiles à un pasteur. Cependant, pour ne pas s’aliéner les protestants, nombreux dans cette circonscription du Gard, les auteurs du tract expliquent ensuite que l’élection d’un pasteur risquerait de faire « revenir les dragons dans les Cévennes », car de nombreux curés pourraient s’inspirer de son exemple, se faire élire en prenant le masque de laïcité, puis jeter ce masque pour mener une politique cléricale, et donc persécuter les protestants5. Même si une telle affirmation n’a pas dû convaincre un grand nombre d’électeurs huguenots, qui verraient plutôt dans l’élection d’un pasteur un gage de sécurité pour eux, c’est bien sa qualité de pasteur qui est reprochée à Desmons par ces anticléricaux d’origine catholique, qui ne semblent pas comprendre le type de laïcité à laquelle les protestants français sont attachés6. À tel point que Desmons décide, à regret7, de démissionner de son poste de pasteur de Saint-Geniès-de-Malgoirès (Gard) avant l’élection, qu’il remporte d’ailleurs largement. Mais, on le voit, pour une partie de l’opinion, la candidature d’un pasteur ne va pas de soi.

Les conditions générales de la participation des pasteurs à la vie parlementaire

  • 8 Nous qualifions de « très anciens pasteurs » deux d’entre eux – Philip et Lambert – parce qu’ils o (...)
  • 9 D’autres pasteurs ont été candidats mais n’ont pas été élus ; en voici une liste non exhaustive. E (...)
  • 10 Il est le fils du pasteur Numa Philip, mais sa mère est une demoiselle de Barjeau. Dans sa jeuness (...)
  • 11 L’article 6 de la Constitution de 1946 édicte que les membres du Conseil de la République sont élu (...)
  • 12 L’article 66 de la Constitution précise que l’Assemblée de l’Union française est composée par moit (...)

3Treize pasteurs (ou anciens pasteurs, voire très anciens pasteurs, comme nous le verrons plus loin8) ont été membres d’une assemblée parlementaire en France entre 1848 et 19589 : Athanase Coquerel (1848-1849 : Assemblée constituante, puis 1849-1851 : Assemblée nationale), Edmond de Pressensé (1871-1876 : Assemblée nationale, puis 1883-1891 : Sénat), Frédéric Desmons (1881-1894 : Chambre des députés, puis 1894-1911 : Sénat), Jules Steeg (1881-1889 : Chambre des députés), Auguste Dide (1885-1894 : Sénat), Charles Altorffer (1919-1928 : Chambre des députés), Charles Scheer (1919-1928 : Chambre des députés), Édouard Soulier (1919-1938 : Chambre des députés), Jean Philip10 (1920-1941 : Sénat), Charles Lambert (1924-1932 : Chambre des députés), Jean Autrand (1928-1932 : Chambre des députés), Charles Vernier (1945-1946 : Assemblée constituante) et Emmanuel La Gravière (1946-1948 : Conseil de la République, élu par l’Assemblée nationale11), et 1946-1958 Assemblée de l’Union française, élu par l’Assemblée nationale12).

  • 13 Nous ne savons pas s’il a terminé ses études de théologie ; en effet, nous n’avons pas trouvé trac (...)

4Une question se pose pour un député que certains présentent parfois comme ancien pasteur : Paul Elisée Bourély (1867-1919), député radical-socialiste de l’Ardèche de 1905 à 1919. En réalité, s’il a bien fait des études de théologie, il n’a jamais été pasteur. En effet, après sa théologie13, il a fait des études de droit et il est devenu avocat, profession qu’il exerce lorsqu’il est élu député. Nous ne pouvons donc pas le retenir.

  • 14 À partir de 1871, Dide, qui habite à Paris, 22 rue de Turin (8e arrondissement), se mêle à la vie (...)
  • 15 Il est élu en raison à la fois de la situation spécifique de 1946 – l’opinion souhaite un renouvel (...)
  • 16 Voir Jean Jolly, Dictionnaire des parlementaires français... de 1889 à 1940, Paris, Presses univer (...)
  • 17 Voir Patrick O’Reilly & Raoul Tessier, Tahitiens : répertoire bio-bibliographique de la Polynésie (...)
  • 18 En 1894, Dide n’est pas réélu, et c’est aussi le cas d’Autrand en 1932. Coquerel est réélu une foi (...)

5La liste des 13 pasteurs que nous retenons montre que ceux-ci sont le plus souvent des élus du suffrage universel direct : c’est le cas pour 10 d’entre eux. Cela révèle que les pasteurs sont moins souvent intégrés à la classe politique, puisqu’il faut déjà être connu du monde politique pour être élu sénateur. Certes, deux pasteurs qui avaient été élus au suffrage direct (Pressensé et Desmons) sont ensuite élus au Sénat, ce qui indique leur intégration progressive à la classe politique (Pressensé étant même élu sénateur inamovible). Mais 2 pasteurs seulement, Dide et Philip – qui sont, le premier, un « ancien pasteur » (Dide) et le second, un « très ancien pasteur » (Philip) –, sont directement élus sénateurs, et font donc partie de la classe politique avant leur élection au Parlement14. Ce sont d’ailleurs, le premier, un ancien pasteur, et le second, un très ancien pasteur, selon la typologie que nous dressons ensuite. Il n’est d’ailleurs pas surprenant qu’il s’agisse d’anciens pasteurs : en effet, il est difficile d’être intégré à la classe politique tout en exerçant pleinement un ministère pastoral (le cas de La Gravière étant particulier15). Par ailleurs, 2 pasteurs sont élus alors qu’ils ne le souhaitent pas réellement. En effet, Altorffer accepte en 1919 de figurer sur la liste du Bloc national du Bas-Rhin, mais seulement à la dernière place, pour aider ses amis et en pensant qu’il n’a aucune chance d’être élu. Pourtant, contre toute attente, la liste est élue en entier et il se retrouve député sans l’avoir réellement voulu16. Vernier, quant à lui, est en congé en métropole durant l’été 1945, et il ne songe pas à se présenter. Mais un télégramme envoyé de Tahiti lui demande de le faire, au nom de la quasi-totalité des électeurs tahitiens ; c’est cette demande pressante qui le conduit à accepter de se présenter17. On le voit, les pasteurs ne sont pas tout à fait des parlementaires comme les autres, même si la plupart y prennent goût et sollicitent leur réélection. De fait, seuls deux pasteurs choisissent de ne pas tenter d’être réélus au moins une fois, La Gravière et Vernier ; mais Vernier a apprécié le travail parlementaire, car il est à nouveau candidat (malheureux) un peu plus tard18.

6Pourquoi ces pasteurs choisissent-ils ce type de participation à la vie publique ? À ce propos, on peut distinguer trois groupes : les parlementaires occasionnels ou par devoir, les anciens pasteurs et les très anciens pasteurs.

  • 19 On sait que la Constitution de l’an III ne prévoit aucune condition de cens pour les électeurs ; m (...)
  • 20 Voir André Encrevé, Protestants français au milieu du xixe siècle, les réformés de 1848 à 1870, Ge (...)
  • 21 Voir André Encrevé, Protestants français au milieu du xixe siècle, op. cit., p. 171-181 et 375-381 (...)
  • 22 En février, son nom est inscrit sur plusieurs listes, mais il ne fait pas réellement campagne ; vo (...)
  • 23 Pressensé, qui a fait campagne pour la séparation en 1848, y est, naturellement, toujours favorabl (...)
  • 24 Voir, par exemple, sa contribution à La Civilisation chrétienne en péril, journée d’étude du 30 ju (...)
  • 25 Il est aumônier et obtient la croix de guerre avec cinq citations et la Légion d’honneur.
  • 26 Par exemple, en 1936 et 1937, il prend la parole dans les deux congrès (organisés par le mouvement (...)

7Le premier, et le plus important – il rassemble 8 des 13 pasteurs –, est formé de ceux qui décident de se présenter à l’occasion de l’une des quatre grandes crises que connaît la France pendant cette période (1848, 1871, 1919, 1945). C’est-à-dire quand la France se trouve dans une situation exceptionnelle, où « tout » semble à reconstruire et où des questions spécifiquement religieuses ne peuvent manquer de se poser. Ces pasteurs estiment que la présence dans les assemblées d’hommes qui ont aussi des préoccupations d’ordre moral et spirituel, et qui connaissent les problèmes ecclésiastiques de l’intérieur, peut se révéler utile. Tel est le cas en 1848 pour Coquerel, alors qu’on expérimente le suffrage universel masculin19 et que l’Assemblée va rédiger une nouvelle constitution. De plus, l’atmosphère sociopolitique du début de l’année 1848 est imprégnée de religiosité diffuse et quelque peu « pré-œcuménique » : songeons aux plantations d’arbres de la liberté en présence du curé, du pasteur et du rabbin (quand il y en a un), par exemple. Cela fait souhaiter à certains que des ecclésiastiques siègent dans les assemblées parlementaires, voire que figurent sur la même liste un pasteur (Coquerel) et un prêtre (l’abbé Deguerry)20. De plus, en 1848, d’aucuns pensent que la séparation des Églises et de l’État sera prochainement à l’ordre du jour de l’Assemblée ; et c’est explicitement dans le but de s’y opposer que Coquerel décide de se porter candidat, d’autant plus qu’un groupe de protestants fait ouvertement campagne pour la séparation21. En 1871, Pressensé se présente – en février22, où il est battu, et en juillet, où il est élu – dans une situation voisine : la nécessité de mettre au point un nouveau régime après la chute de l’Empire et le traumatisme de la défaite, suivi par celui de la Commune. De plus, la question de la restauration monarchique – et donc de la place de l’Église catholique dans l’État – se pose, alors qu’une fraction non négligeable du camp républicain souhaite au contraire instaurer la séparation des Églises et de l’État, à laquelle la droite est très hostile23. En 1919, la Constitution ne change pas, mais la guerre a bouleversé les conditions de la vie politique. De plus, les deux pasteurs alsaciens élus – Altorffer (dans le Bas-Rhin) et Scheer (dans le Haut-Rhin) – ont à faire face à une situation locale tout à fait nouvelle, proche pour l’Alsace de ce qu’elle était pour l’ensemble de la France en 1848 et en 1871. En effet, le retour à la mère patrie de l’Alsace-Moselle ne peut manquer de poser des problèmes politiques et religieux, puisque la séparation des Églises et de l’État n’a pas pu être mise en application en Alsace en 1905, mais que de nombreux Français pensent qu’il est logique – et nécessaire – de l’introduire désormais en Alsace. Et d’une façon plus générale, l’adaptation de l’Alsace à un nouvel environnement administratif et législatif ne peut laisser les Églises indifférentes. Pour 2 des 4 autres pasteurs élus dans l’entre-deux-guerres, la situation offre donc des analogies, même si la question religieuse est moins directement en cause et si c’est surtout le traumatisme de la guerre qui explique leur candidature. Soulier, élu à Paris en 1919, a eu la douleur de perdre deux de ses fils pendant la guerre et, comme bien d’autres Français, c’est d’abord son patriotisme qui motive sa candidature. S’y ajoute une question religieuse : dès avant la guerre, il se préoccupait de ce qu’il voyait comme une perte d’influence de la religion chrétienne en France. Il souhaitait même (fait rare alors dans le monde protestant français) une sorte d’alliance entre les protestants et les catholiques pour tenter d’y remédier. Or la révolution russe de 1917, et donc la victoire d’un communisme athée, ne peut que le renforcer dans sa volonté de tenter de défendre la « civilisation chrétienne » menacée, à ses yeux, par l’action des bolcheviks au pouvoir à Moscou et qui ne cachent pas leur intention de propager leur Révolution – et donc l’athéisme – dans le reste du monde24. Quant à la candidature d’Autrand, élu à Bourges en 1928, elle peut être rapprochée de celle de Soulier. En effet, très fortement marqué par son expérience de la guerre25, président de l’Union des anciens combattants de Bourges, il est élu grâce à l’appui de ses amis anciens combattants. Comme Soulier, c’est son patriotisme qui explique d’abord sa candidature. Mais elle a aussi un aspect religieux car – à nouveau à l’instar de Soulier – il est très hostile au communisme26.

  • 27 Voir Bruno Saura, Politique et religion à Tahiti, Tahiti, Éd. Polymages-SCOOP, 1993.
  • 28 À ce propos, on peut citer ce qu’écrit le pasteur F. Wheatcroft, dans l’article nécrologique qu’il (...)

8Plus tard, avec les deux pasteurs élus en 1945 et 1946, on retrouve une situation politico-religieuse de crise, et une demande de l’opinion d’un profond renouvellement dans la plupart des domaines. Dans ce cadre, la brève participation du pasteur Vernier à la vie parlementaire (d’octobre 1945 à avril 1946) s’explique facilement : c’est une personnalité de l’île de Tahiti (où il est né), il est pasteur de l’Église évangélique du territoire, président du Conseil supérieur des Églises tahitiennes et directeur de l’École pastorale d’Hermon depuis 1936. Or on sait la place que tient cette Église dans la vie politique et sociale locale27. Il est élu en 1945 avec 90 % des voix, sans faire campagne, alors qu’il est en congé (comme nous l’avons vu) et qu’on prévoit une profonde évolution des relations entre les « colonies » et la métropole à l’occasion de l’adoption de la nouvelle Constitution. Il s’agit pour lui d’un mandat temporaire, destiné à faire entendre la voix des Tahitiens à Paris durant une période exceptionnelle. Les motivations de La Gravière sont voisines. Pasteur à Paris dans le 13e arrondissement, connu pour ses idées de gauche (c’est un militant du mouvement du christianisme social), il joue un rôle important dans la Résistance, notamment dans le sauvetage de juifs (il est décoré de la Légion d’honneur, de la croix de guerre et de la médaille de la Résistance), si bien qu’à la Libération on lui propose un poste de maire-adjoint de l’arrondissement où il est pasteur. Il refuse, mais finit par accepter en décembre 1946 de siéger au Conseil de la République. Sa présence dans une assemblée correspond bien à la volonté de renouvellement par la promotion d’hommes qui se sont illustrés dans la Résistance. Comme les 8 autres pasteurs de ce groupe, il conçoit son action comme un prolongement de son ministère sous une autre forme28.

  • 29 Parmi les anciens pasteurs devenus parlementaires, on pourrait aussi penser à Edmond Scherer, séna (...)
  • 30 Voir plus haut, note 7. Il reste que depuis plusieurs années déjà, il a des doutes au sujet de ses (...)
  • 31 Il songe depuis déjà plusieurs années à faire une carrière politique : il est candidat, sans succè (...)
  • 32 Voir Un pasteur républicain au xixe siècle. Lettres de Jules Steeg à Maurice Schwalb, 1851-1898, L (...)
  • 33 Dide n’est pasteur de paroisse que durant un an à Ardaillers (hameau de la commune de Valleraugue, (...)

9Les motivations du deuxième groupe, qui rassemble trois anciens pasteurs, sont différentes. Pour eux, l’engagement en politique signifie un abandon du ministère pastoral sans esprit de retour, c’est une « reconversion professionnelle ». D’ailleurs, à leur propos, il vaut mieux parler d’anciens pasteurs29 que de pasteurs. En effet, Desmons, Steeg et Dide ne sont plus pasteurs au moment de leur élection. Desmons de façon très récente, nous le savons30, mais c’est plus ancien pour Steeg, qui démissionne de ses fonctions pastorales en avril 187731 avec un visible soulagement32, et qui vit ensuite comme journaliste et imprimeur avant son élection en 1881. Tel est également le cas de Dide, qui cesse toute fonction pastorale en décembre 188333, alors qu’il n’entre au Sénat qu’en janvier 1885. Ces trois hommes ont en commun d’avoir connu une évolution assez rapide de leurs convictions religieuses : membres de la fraction extrémiste du courant libéral en théologie dans les années 1860, ils se retrouvent à la fin des années 1870 aux frontières de l’agnosticisme. Leur participation à des assemblées parlementaires n’est donc pas vécue comme une poursuite de leur ministère, mais comme le choix d’une autre carrière dès lors que leurs convictions religieuses ne leur permettent plus d’être pasteur.

  • 34 Voir plus haut, p. 173. Notons qu’il a laissé un récit de sa participation à la vie politique « So (...)
  • 35 À cette époque, après cinq ans d’études dans une faculté de théologie, on soutient une « thèse de (...)
  • 36 Son nom ne figure plus sur la liste des pasteurs de l’Annuaire protestant à partir de 1907.

10Quant au troisième groupe, il est formé de deux hommes, Philip et Lambert, qui ont abandonné le ministère pastoral plus de dix ans avant leur élection et que l’on peut qualifier de « très anciens pasteurs ». Il est possible qu’ils aient connu une évolution de leurs convictions théologiques, mais ce sont plutôt des doutes sur leur vocation pastorale qui sont à l’origine de leur abandon du ministère. Leur situation demande quelques précisions, d’autant qu’ils ne se ressemblent pas l’un l’autre. En effet, Philip, candidat à la Chambre en 1902, puis en 1919, est élu au Sénat en janvier 1920 et il y siège jusqu’en 1941. Après ses études de théologie à la faculté de Montauban et après avoir parfait sa formation dans des universités allemandes, il devient pasteur à Mauvezin (Gers) de 1894 à 1898. Il est ensuite pasteur auxiliaire au Raincy de 1899 à 1901. Il entre en politique en 1902 comme candidat radical-socialiste, nous le savons34, mais sans abandonner totalement la théologie car, pendant un certain temps, il prépare aussi une « thèse de licence en théologie35 », tandis que son nom continue à apparaître de 1902 à 1906 sur la liste des pasteurs publiée par l’Annuaire protestant, sans affectation toutefois. Puis il s’éloigne tant de la théologie36 que de la vie politique active : nommé tout d’abord sous-préfet à Reims, il est ensuite consul de France à Monaco puis à Venise. Mais, la diplomatie l’ayant déçu, il démissionne de ce poste. Et c’est probablement l’épreuve de la Première Guerre mondiale qui le conduit à nouveau vers la politique. En effet, trop âgé pour être mobilisé, il s’investit dans le domaine caritatif, où l’on peut d’ailleurs trouver comme un écho de son ancien ministère pastoral : il s’occupe de l’aide aux prisonniers de guerre par l’intermédiaire de la Croix-Rouge américaine, et aussi de l’aide aux orphelins de guerre. On peut donc penser qu’à l’instar d’Altorffer et de Scheer – mais sans le tropisme alsacien –, il a également souhaité contribuer à l’œuvre de reconstruction de la France après la guerre. Cependant, il n’a exercé un ministère pastoral que pendant six ans et, en 1919, il n’est plus pasteur depuis dix-huit ans.

  • 37 Elle s’intitule « Le socialisme et la morale », s. l., Orphelins imprimeur, 1905. Cela montre qu’i (...)
  • 38 À Boresse-et-Martron, le lieu de culte semble ne s’être maintenu que quelques années, mais l’Annua (...)
  • 39 Nous le savons, il est d’abord « pasteur suffragant » puis « pasteur auxiliaire ».

11Le choix de Lambert (1883-1972), député radical-socialiste du Rhône de 1924 à 1932, s’apparente à celui de Philip, mais son ministère pastoral a été encore plus bref. Il fait, certes, des études de théologie complètes et il soutient en 1905 sa « thèse de baccalauréat en théologie37 ». Nous ne savons pas s’il a demandé la consécration au ministère pastoral. Toutefois, il a probablement eu très tôt des doutes sur sa vocation car, dans un premier temps, il n’exerce aucune fonction dans l’Église. Puis, de 1908 à 1910, il est pasteur-suffragant (il aide un pasteur âgé ou malade) à Versailles. Enfin, en 1911, il dessert, comme « pasteur auxiliaire », une toute petite église à Boresse-et-Martron (Charente), mais semble-t-il à titre personnel et sans y avoir été nommé officiellement38. Puis il cesse toute fonction dans l’Église et il devient avocat. En 1924, quand il est élu député pour la première fois, il a donc abandonné le ministère pastoral – qu’il n’a d’ailleurs jamais exercé en tant que pasteur titulaire, puisque l’on peut être suffragant sans avoir été consacré39 – depuis douze ans. C’est sans doute par l’intermédiaire de sa profession d’avocat (ils sont nombreux au Parlement) qu’il s’intègre à la classe politique. Au fond, pour Philip et Lambert, la longue période qui sépare leur exercice du ministère pastoral de leur participation à la vie parlementaire laisse penser que leurs motivations sont essentiellement d’ordre politique et qu’elles ne sont donc pas fondamentalement différentes de celles des autres parlementaires qui n’ont jamais été pasteurs.

  • 40 A priori, l’abandon du ministère pastoral ne leur interdit nullement de continuer à se considérer (...)
  • 41 Nous évoquons ici le niveau institutionnel ; ils peuvent naturellement conserver des relations per (...)
  • 42 Voir Daniel Ligou, Frédéric Desmons et la Franc-maçonnerie sous la IIIe République, op. cit., p. 2 (...)
  • 43 Voir, par exemple, son livre intitulé La Fin des religions, Paris, Flammarion, 1902. Toutefois, il (...)
  • 44 Valentine Zuber écrit, à propos de ses positions au début du xxe siècle, qu’il est alors un « anci (...)

12Les différences de motivation entre ces trois groupes posent la question des relations que ces hommes entretiennent avec leur Église d’origine quand ils sont parlementaires. En ce qui concerne les trois anciens pasteurs, rapidement ils semblent ne plus se considérer comme membres de l’Église réformée40. Steeg et Desmons n’ont plus aucun rôle dans l’Église, et n’ont probablement plus de relations avec elle41. Leur agnosticisme se manifeste publiquement au moment de leur mort, puisqu’ils ont des obsèques civiles42. De même, Dide lui non plus n’entretient plus aucune relation avec l’Église durant son mandat de sénateur. Il s’éloigne d’ailleurs assez vite de toute croyance religieuse, puis il devient un militant de la libre pensée, athée et hostile à la religion43 ; au début du xxe siècle, on peut même le classer parmi les antiprotestants44.

  • 45 Au moment de sa mort, Marc Forissier écrit à son propos dans Le Christianisme au xxe siècle (févri (...)
  • 46 Nous avons hésité à les faire figurer dans notre corpus ; il nous a semblé cependant qu’il valait (...)

13Pour les deux « très anciens pasteurs », les choses sont moins simples. À ma connaissance, Lambert n’a pas rendu publiques ses convictions religieuses après son abandon du ministère pastoral ; on ignore donc quels sont ses choix religieux quand il siège au Parlement. En revanche, Philip s’est considéré toute sa vie comme un protestant convaincu45. Pour ces deux hommes, on peut donc penser qu’à la différence des trois anciens pasteurs, ce ne sont pas leurs doutes à propos de la foi chrétienne qui a motivé leur abandon du ministère pastoral, mais bien plutôt leurs interrogations sur leurs propres capacités à être pasteurs, ce qui est tout à fait différent. Ces deux « très anciens pasteurs » sont des pasteurs-parlementaires un peu particuliers46.

  • 47 Il meurt le 16 novembre 1941. À nouveau aumônier en 1939, mais cette fois dans la marine, il entre (...)
  • 48 Il est vrai qu’à partir de 1947 il accepte de nouvelles responsabilités, notamment comme juge titu (...)
  • 49 L’un se trouve rue de Provence (chapelle Taitbout) et l’autre rue Madame (église du Luxembourg). I (...)
  • 50 Scheer est au service de l’Église réformée d’Alsace et de Lorraine (reconnue par l’État), il n’est (...)
  • 51 Par exemple, Altorffer et Scheer sont, l’un et l’autre, membres du Conseil de la Fédération protes (...)
  • 52 Voir Le Christianisme au xxe siècle du 8 septembre 1938 et Le Témoignage du 15 septembre 1938.
  • 53 En réalité, après la fin de son mandat parlementaire, il ne rentre pas tout de suite à Tahiti : il (...)

14Naturellement, les 8 pasteurs du premier groupe ne ressemblent pas aux précédents. On le sait, ils regardent leur mandat comme un prolongement de leur ministère sous une autre forme. Mais cela s’exprime de trois façons différentes. Certains démissionnent de leur poste de pasteur au moment de leur entrée au Parlement, sans que ce soit une rupture puisqu’ils retrouvent ensuite une autre paroisse. C’est le cas d’Autrand : pasteur réformé à Bourges en 1928, il démissionne après son élection, ne pouvant guère faire autrement, puisque le Synode réformé interdit aux pasteurs d’être députés. Non réélu en 1932, il devient alors pasteur à Rochefort, et il le reste jusqu’à sa mort47. La Gravière fait un choix de même type. Pasteur de l’Église réformée de Port Royal (à Paris) au moment de son élection en décembre 1946 au Conseil de la République, il ne conserve ce ministère que durant trois mois. Il démissionne en mars 1947, ayant accepté en outre de nouvelles responsabilités dans la vie publique48, mais il continue à participer à la vie de l’Église, notamment comme membre du Comité directeur de la faculté de théologie protestante de Paris. Il reprend plus tard son ministère, comme pasteur à Mazamet (1965-1970). D’autres choisissent une position intermédiaire : après leur élection, ils continuent un temps l’exercice de leur ministère pastoral, puis ils l’interrompent (partiellement ou non), sans cesser d’être actifs dans l’Église. C’est le cas de Pressensé, qui est l’un des pasteurs de la « chapelle Taitbout » (indépendante de l’État) à Paris au moment de son élection. Il y conserve un ministère complet jusqu’au 1er juin 1873. Puis il renonce à son traitement, mais continue à prêcher une fois par mois dans l’un des deux temples de cette Église (tant que sa santé le lui permet) et il ne cesse pas de jouer un rôle important dans l’Union des Églises évangéliques libres, dont la chapelle fait partie49. D’autres, enfin, choisissent de ne pas démissionner de leur poste de pasteur. Mais il y a des nuances dans l’application de ce principe. Coquerel, pasteur à Paris entre 1848 et décembre 1851, peut exercer conjointement son ministère pastoral et son mandat, puisqu’il mène ces deux activités dans la même ville. Les deux pasteurs alsaciens élus en 1919, Altorffer (luthérien) et Scheer (réformé50), ne démissionnent pas non plus de leur poste (respectivement à Wissembourg et à Mulhouse). Cependant, il est clair que leur ministère est aménagé : ils continuent à prêcher dans leur Église, mais sans avoir le même rôle qu’avant, ne serait-ce qu’en raison de leur présence à Paris pendant au moins une partie de la semaine durant les sessions parlementaires. Cette situation est facilitée par le fait qu’ils ne sont pas les seuls responsables de leur paroisse : à Wissembourg, Altorffer est le second pasteur de la paroisse Saint-Michel ; à Mulhouse Scheer, pasteur de la paroisse Saint-Michel, possède plusieurs « vicaires ». Toutefois, ils ont aussi des responsabilités dans leur Église au niveau national51. Il en est de même pour Soulier, qui tient à rester pasteur de l’Église luthérienne de La Rédemption à Paris pendant tout son mandat au Parlement, et qui continue à y prêcher, moins souvent que le second pasteur de cette Église (Franck Wheatcroft) toutefois52. De même, Vernier ne démissionne pas de son poste de pasteur à Tahiti ; il est vrai que son mandat politique est explicitement temporaire. Il se contente donc de prolonger son congé en France, et il reprend son ministère à Tahiti à la fin de celui-ci53.

Le rôle joué par ces pasteurs au Parlement

  • 54 Consulter notamment André Encrevé, Les Protestants en France de 1800 à nos jours : histoire d'une (...)
  • 55 Desmons, Altorffer, Scheer et Vernier ont un nombre notable de protestants parmi leurs électeurs ( (...)
  • 56 Cité par Émile G. Léonard, Histoire générale du protestantisme, Paris, Presses universitaires de F (...)
  • 57 Maurice Agulhon, 1848 ou l’apprentissage de la République : 1848-1852 [1973], Paris, Éditions du S (...)
  • 58 Le Lien du 3 novembre 1849, p. 161.
  • 59 Voir Grace Davie, « Right Wings politics among French Protestants (1900-1945) », op. cit., p. 304- (...)
  • 60 Il siège à la commission des affaires étrangères de 1920 à 1936 (vice-président en 1929-1931 et en (...)
  • 61 Le Témoignage du 15 septembre 1938.

15Il convient, tout d’abord, de déterminer la tendance politique à laquelle ils appartiennent. On sait qu’entre 1848 et 1958, une nette majorité des protestants français se reconnaissent dans la gauche politique54. C’est aussi le cas pour les pasteurs parlementaires, bien que leurs électeurs ne soient pas majoritairement des protestants55 : on compte parmi eux 3 hommes de droite et 10 hommes de gauche. Ainsi, Coquerel est un homme de droite dans les domaines politiques et sociaux et, dès juillet 1848 il manifeste ses opinions conservatrices. En effet, rapporteur du projet de loi contre les clubs et la propagande « subversive » et qui limite la liberté de réunion, il déclare notamment : « Pour répondre au vrai sentiment du pays, la loi n’aurait dû avoir qu’un article : Les clubs sont interdits56. » Par ailleurs, il vote souvent avec la droite, approuvant notamment l’expédition de Rome en 1849 ; et il appuie en général la politique de Louis-Napoléon. Il vote, en particulier, en faveur de la révision constitutionnelle en novembre 1851. Il vote aussi contre l’impôt progressif, contre le droit au travail, contre la réduction sur l’impôt sur le sel, etc. Il est vrai qu’au moment du coup d’État, il n’échappe à l’arrestation que grâce à l’intervention de l’amiral Baudin, protestant et vétéran du Premier Empire ; mais au cours du mois de décembre, et à l’instar d’une bonne partie de la bourgeoisie française, il se rallie au nouveau régime parce qu’il accepte la propagande bonapartiste qui transforme les soulèvements républicains de province en tentative de révolution sociale57. Toutefois, avec un collègue (Isidore Buvignier), en décembre 1849, il propose, sans succès, l’abolition de la peine de mort. Et, sans être anticlérical, il vote contre la loi Falloux parce qu’il considère qu’elle « demande à la nation française plus de religion que la nation ne peut lui donner » et que, de ce fait, elle peut provoquer « la réaction la plus effrayante d’irréligion et d’incrédulité58 ». Les deux pasteurs « patriotes » élus dans l’entre-deux-guerres, Soulier et Autrand, sont eux aussi des hommes de droite et ont en commun la volonté de combattre le communisme (en particulier pour lutter contre l’athéisme). Cependant les opinions conservatrices de Soulier sont plus anciennes : il est, notamment, cofondateur en 1912 de la Ligue d’action morale et sociale et membre de l’Union française, association nationale pour l’expansion morale et matérielle de la France. Membre, après 1919, de l’Union nationale des combattants et de la Fédération républicaine française de Louis Marin, il siège jusqu’en 1928 au comité directeur de la Ligue des jeunesses patriotes (de Pierre Taittinger) et dans les années 1930, il en est le président d’honneur59. À l’Assemblée, il est d’abord inscrit au groupe d’Action républicaine et sociale (1920-1924), puis à l’Union républicaine démocratique (1924-1932) et enfin à la Fédération républicaine (1932-1938). Durant ses mandats, il s’occupe plus particulièrement de politique étrangère60, ce qui cadre bien avec son patriotisme. D’ailleurs, pendant la guerre il avait effectué plusieurs missions à l’étranger pour le compte du gouvernement. De plus, il se fait remarquer en 1920, car ce pasteur demande la reprise des relations diplomatiques avec le Saint-Siège, ce qui est aussi une question de politique étrangère, il est vrai. Son attitude, alors très mal comprise par ses coreligionnaires, lui vaut de vives critiques61. Mais il est également conservateur en politique intérieure ; ainsi le 19 juin 1924 il marque son opposition à la mise en application de la loi de séparation des Églises et de l’État en Alsace (pourtant acceptée par Altorffer et Scheer). Quant à Autrand, à l’Assemblée, il est inscrit au groupe d’Action républicaine et sociale (dont il est un moment le vice-président). Proche de Paul Reynaud, il est, comme Soulier, un patriote marqué par la guerre et membre de la commission de l’armée. Mais c’est aussi un conservateur ; par exemple en 1930, 1931 et 1932, il se montre hostile à la gratuité de l’enseignement secondaire. Il défend également l’école privée et soutient le vote multiple des pères de familles nombreuses. Il est aussi favorable au vote des femmes, que défend une partie de la droite et que repoussent les radicaux, par peur de l’influence supposée du clergé catholique sur les femmes. Ces deux hommes illustrent le glissement vers la droite d’une fraction des protestants français après 1919, en raison de l’athéisme militant d’une partie de la gauche (le parti communiste) et aussi dans le but de montrer que les huguenots ne sont pas moins patriotes que les autres Français.

  • 62 Henri Cordey précise que c’est « en partie à l’instigation de Thiers » qu’il le fait (Edmond de Pr (...)
  • 63 Voir Henri Cordey, ibid., notamment p. 477-480.
  • 64 Notons, par exemple, qu’il vote en faveur de la condamnation de Boulanger (ibid., p. 485).
  • 65 Ibid., p. 348.
  • 66 Il écrit : « Je dois mon échec au siège de sénateur à ce qui a fait l’honneur de ma carrière parle (...)
  • 67 Rappelons que l’article 7 de la loi du 18 mars 1880 a pour but d’empêcher les membres des congréga (...)
  • 68 On peut dire que Pressensé est un anticlérical protestant, ce qui le différencie des trois autres (...)
  • 69 Voir son discours du 21 février 1891.
  • 70 Voir Daniel Ligou, Frédéric Desmons et la Franc-maçonnerie sous la IIIe République, op. cit., p. 1 (...)

16Les 10 autres pasteurs sont des hommes de gauche, modérés le plus souvent. Tel est tout d’abord le cas des 4 pasteurs parlementaires entre 1871 et 1914. Pressensé, proche de Thiers, est en 1871 plutôt centre-gauche, ce qui ne l’empêche pas de déposer dès septembre, avec d’autres modérés, une proposition d’amnistie (partielle) des communards62. Et, en dépit de ses sympathies orléanistes originelles, très vite il se rallie à la République. Puis à l’Assemblée nationale, comme ensuite au Sénat, il se montre un homme de gauche63, ferme républicain64, assez indépendant toutefois, et un anticlérical modéré. En 1873, il déplore vivement la chute de Thiers et, très hostile à de la politique dite « d’Ordre moral », il écrit que son propre objectif général est de « lutter pour la liberté religieuse65 ». Ce qui est assez logique pour un pasteur. Il attribue d’ailleurs à cette attitude son échec, au dernier moment, lors de l’élection des sénateurs inamovibles en décembre 187566. Pour lui, cette défense de la liberté religieuse ne se limite pas aux protestants. Par exemple, il défend la liberté d’enseignement pour les jésuites : en mai 1879, il explique que son nouvel échec au Sénat est imputable à son refus de s’engager à voter en faveur de l’article 7 de la loi sur l’enseignement que prépare Jules Ferry67. Les trois anciens pasteurs, Desmons, Steeg et Dide, sont des républicains, fermement anticléricaux68. Naturellement, il y a des nuances entre eux. Ainsi, au Sénat, Dide peut être classé à l’extrême gauche (sénatoriale) ; il est aussi un adversaire de Boulanger et peu favorable à la colonisation69. Desmons est un radical « de gauche » proche de Léon Bourgeois et d’Émile Combes, partisans de l’alliance avec les socialistes. D’ailleurs, son premier discours à la Chambre, le 9 mars 1882, porte sur une question sociale (la grève des mineurs du Midi)70. Steeg, inscrit au groupe de l’Union républicaine, est proche de Ferry. En 1882, il est le rapporteur de la proposition de loi sur l’abrogation du Concordat et, en 1886, de la troisième loi Ferry sur la laïcité de l’enseignement primaire. Adversaire, lui aussi, de Boulanger, il vote en faveur des poursuites pénales contre ce général.

  • 71 Consulter, en particulier, Bernard Vogler, Histoire politique de l’Alsace : de la Révolution à nos (...)
  • 72 Pendant la Deuxième Guerre mondiale, Altorffer joue un rôle important dans la Résistance, en parti (...)
  • 73 Notons que Philip est le seul à être en fonction en juillet 1940, au moment du vote sur le projet (...)
  • 74 Marc Forissier, Le Christianisme au xxe siècle, art. cité.

17Enfin, 6 pasteurs élus après 1918 sont aussi des hommes de gauche, mais les deux Alsaciens le sont d’une façon spécifique. Certes, en 1919 ils sont l’un et l’autre élus sur une liste du Bloc national. Cependant, on sait qu’il y a bien des nuances dans ce « bloc » et, surtout, que la situation de l’Alsace est particulière. En effet, le problème du régionalisme, voire de l’autonomisme, du maintien du statut scolaire confessionnel et du bilinguisme, ainsi que la question de la séparation des Églises et de l’État, ne permettent pas d’utiliser pour l’Alsace les mêmes catégories que pour le reste de la France71. De fait, en 1919, Altorffer et Scheer sont membres du Parti républicain démocrate (Scheer est un de ses principaux dirigeants), qui est favorable à une introduction de la loi de séparation des Églises et de l’État en Alsace, pour peu qu’elle soit remaniée dans un sens libéral. Ils acceptent aussi une école « interconfessionnelle », pour éviter qu’il n’y ait des cloisons entre les enfants de confessions différentes. Et, en 1924, Scheer et Altorffer ne s’opposent pas au projet d’Édouard Herriot qui vise à l’application de la séparation en l’Alsace. Ils sont aussi regardés par leurs adversaires comme trop « assimilationnistes ». On peut donc les classer parmi les hommes de gauche modérés72. Philip et Lambert sont des radicaux-socialistes (au Sénat, Philip est inscrit au groupe de la gauche démocratique) et donc des partisans de la gauche modérée73. D’ailleurs, écrit Marc Forissier, Philip est bien connu de ses administrés pour « son grand dévouement à la cause des humbles74 ». Proche, pour sa part, d’Édouard Herriot, Charles Lambert est lui aussi un homme de gauche : radical-socialiste, membre de la Ligue des droits de l’homme, il soutient le programme de réforme de la CGT, et en particulier la journée de huit heures, le droit pour les fonctionnaires de se syndiquer et la création de l’assurance chômage. Il est également un défenseur de la laïcité, marqueur de gauche incontestable dans l’entre-deux-guerres. Peu avant d’être élu député, il publie à ce propos un livre intitulé L’Enseignement de demain : l’école unique, préfacé par Édouard Herriot (Lyon, 1923).

  • 75 Voir Raoul Crespin, Le Christianisme social : 1945-1970 : des protestants engagés, Paris, Les Berg (...)

18On peut en dire autant de Vernier, qui s’inscrit en 1945 au groupe parlementaire Résistance démocratique et socialiste, proche de l’UDSR. Quant à La Gravière, militant du mouvement du christianisme social dans l’entre-deux-guerres, c’est incontestablement un chrétien de gauche. Certes, en 1946, il s’inscrit au MRP (il est l’un des rares protestants membres de ce parti), mais, alors, ce n’est pas contradictoire. Il est aussi favorable à la décolonisation (en décembre 1952, il fait partie du Comité d’études et d’action pour le règlement pacifique de la guerre d’Indochine, par exemple)75, et militant antiraciste : dans les années 1970, il sera membre du comité directeur de la LICRA.

  • 76 Ce gouvernement ne dure que du 21 au 25 février 1930.
  • 77 Voir Daniel Ligou, Frédéric Desmons et la Franc-maçonnerie sous la IIIe République, op. cit., pass (...)
  • 78 Daniel Ligou, notice « Desmons Frédéric », dans André Encrevé (dir.), Dictionnaire du monde religi (...)

19Quel type de parlementaires sont-ils ? Il est évidemment difficile de généraliser, mais il est clair qu’ils ne jouent pas les premiers rôles : aucun d’eux n’est nommé ministre, ou même sous-secrétaire d’État ; sauf Lambert, nommé sous-secrétaire d’État à la guerre en 1930 dans l’éphémère gouvernement Chautemps, mais il ne le reste que quatre jours76. Cependant, ceux qui siègent longtemps semblent s’intégrer à la classe politique. Ainsi Desmons est vice-président du Sénat de 1902 à 1906. Il est vrai que cela tient aussi à son rôle très important au sein de la franc-maçonnerie77, car « il intervenait peu dans les débats, mais était très actif en commission et surtout multipliait les interventions et les “services” », ce fut « un excellent “arrondissementier”78 ». Parlementaire de 1919 à 1938, Soulier est lui aussi élu vice-président de la Chambre (1936-1938), peut-être en partie en raison de sa compétence en politique étrangère, en ce temps où nul n’ignore la montée des périls extérieurs. Par ailleurs, évidemment, ils participent aux débats, et on peut citer un certain nombre de discours prononcés qui ont eu un réel retentissement. Par exemple, celui de Dide au Sénat, le 9 décembre 1891, à propos de l’affaire des pèlerinages à Rome et de la condamnation de Mgr Gouthe-Soulard pour offense envers un ministre. Il parvient à faire voter un ordre du jour demandant au gouvernement une répression des atteintes au Concordat de la part de l’épiscopat. Signalons aussi, tout particulièrement, le discours de Scheer à la Chambre le 12 décembre 1921, à propos du « malaise alsacien », où il affirme :

  • 79 Voir notamment la brochure éditée peu après sa mort et intitulée « Charles Scheer, 1871-1936 », s. (...)

N’est-il pas extraordinaire qu’un peuple parlant un dialecte germanique, qui a été réuni pendant cinquante ans au peuple allemand, qui aurait eu toutes les facilités de la langue pour s’assimiler à l’Allemagne, au moment même où elle prenait un essor économique extraordinaire, n’y a-t-il pas, dis-je, quelque chose de merveilleux dans le fait que ce peuple, néanmoins, ait toujours eu la nostalgie de la France ? [...] L’Alsace est française. Elle le restera toujours79.

  • 80 Voir Ernest Stroehlin, Athanase Coquerel fils : étude biographique, Paris, Fischbacher, 1886, p. 1 (...)
  • 81 Cependant, ce n’est pas le cas entre 1902 et 1905, lors des débats à propos de la séparation des É (...)
  • 82 Voir Catherine Storne-Sengel, Les Protestants d’Alsace-Lorraine de 1919 à 1939, op. cit.

20Ce discours rencontre un tel succès que le lendemain, la Chambre vote son affichage dans toutes les communes de France. Toutefois, d’une façon générale, on ne peut pas dire que les pasteurs parlementaires ont été distingués pour leur participation aux débats. Même un homme comme Coquerel – il est alors l’un des prédicateurs les plus connus de la capitale (et cela pas seulement dans le petit monde protestant) – ne remporte pas le succès auquel ses amis s’attendaient80. En réalité, il semble bien que leur importance tienne plutôt à leur rôle de conseil dans les questions qui concernent les affaires religieuses (les relations entre les Églises et l’État, ainsi que la laïcité de l’école, en particulier81). C’est tout spécialement le cas des deux pasteurs alsaciens entre 1919 et 1928, lorsqu’il est question d’appliquer la loi de 1905 en Alsace, ou à propos d’une éventuelle laïcisation des écoles publiques alsaciennes82, et, plus généralement, de l’application ou de l’adaptation de la législation nationale aux spécificités alsaciennes.

  • 83 Daniel Ligou, notice « Desmons Frédéric », art. cité, p. 170.
  • 84 Rappelons qu’en 1941 le régime de Vichy met fin aux fonctions des parlementaires de façon autorita (...)
  • 85 Lambert effectue deux mandats de 1924 à 1932, puis il se retire de la vie politique. Vernier est é (...)

21Par ailleurs, on ne peut pas dire qu’ils réussissent très bien en politique. Certes, quelques-uns y font carrière. Desmons, tout particulièrement, qui reste parlementaire pendant trente ans (1881-1911), mais cela tient surtout – à nouveau – au fait qu’à partir de 1886 « sa vie se confond avec celle de l’Obédience [le Grand-Orient de France]83 ». Soulier s’intègre lui aussi au sein de la classe politique, puisqu’élu en 1919, il est réélu quatre fois et meurt en fonction en 1938. Tout comme Philip, sénateur de 1920 à 194184. C’est également vrai, à un moindre degré toutefois, de Pressensé, puisqu’il parvient à se faire élire – difficilement il est vrai – sénateur inamovible. Néanmoins, ils connaissent la plupart du temps des échecs électoraux, après un seul mandat (Pressensé, Dide et Autrand), ou deux mandats (Steeg, Altorffer et Scheer)85.

  • 86 Il faudrait faire une étude de l’ensemble de leurs discours et interventions et des réactions de l (...)
  • 87 Cité dans Le Lien du 15 décembre 1849, p. 185.

22Leur qualité de pasteur joue-t-elle un rôle dans leurs interventions ou dans la perception que leurs collègues ont de leur action dans les assemblées ? C’est évidemment difficile à percevoir86. Quelques brefs sondages permettent de retenir (au moins à titre d’hypothèse) que c’est probablement le cas pour Coquerel, en un temps – le milieu du xixe siècle – où les appartenances religieuses ont encore une très grande importance, mais c’est nettement moins vrai au xxe siècle. Pour ce dernier, outre un lapsus lui faisant confondre la chaire et la tribune, on remarque plutôt qu’il tient à distinguer son ministère et son mandat. Il déclare ainsi, le 8 décembre 1849 : « [...] accoutumé à une tribune différente de celle-ci, je n’ai jamais prononcé du haut de cette chaire [on rit], du haut de cette tribune, un discours qui pourrait ressembler à un sermon87 ».

23Il reste que, dans ce discours, destiné à défendre son amendement en faveur de l’abolition de la peine de mort, on décèle chez lui une argumentation typiquement religieuse. Il affirme notamment :

  • 88 Ibid., p. 186.

[...] la vie humaine n’est pas une succession de semaines, de mois et d’années, pressée entre un berceau d’un côté et une tombe de l’autre ; la vie humaine est tout autre chose, c’est une tâche, une tâche pour chacun de nous, c’est une tâche que Dieu seul mesure, c’est une tâche dont seul il a le droit de marquer le commencement et la fin. Quand alors la justice condamne à mort, que fait-elle ? elle retranche à l’homme une partie du temps que Dieu lui a donné pour remplir sa tâche en ce monde88.

24Et, comme il affirme que la peine de mort n’existe pas dans les livres saints et que La Rochejaquelein lui objecte qu’elle se trouve dans le Deutéronome, il répond :

  • 89 Ibid., p. 187. Son amendement est repoussé par 400 voix contre 183.

L’Assemblée ne permettra pas sans doute qu’un ecclésiastique reste sous le coup de l’accusation d’être en contradiction avec l’Écriture sainte, et voici la seule phrase que j’ai à prononcer (Parlez ! Parlez !). On est venu citer à la tribune l’Ancien Testament et dire que la peine de mort s’y trouvait. Messieurs, l’Ancien Testament est le portique ; un portique, on ne fait que le traverser. Le sanctuaire, c’est l’Évangile, et on n’y trouve pas la peine de mort89.

  • 90 Henri Cordey, Edmond de Pressensé et son temps (1824-1891), op. cit., p. 409.

25Mais il ne semble pas que cette sorte d’imbrication du ministère pastoral et du mandat parlementaire soit très fréquente. Certes, Pressensé signe certaines de ses lettres « pasteur et député90 », mais ses amis lui reprocheraient plutôt de faire de la politique en chaire que de prononcer des sermons à la tribune. Ainsi, Henri Cordey écrit :

  • 91 Henri Cordey, Edmond de Pressensé et son temps (1824-1891), op. cit., p. 366.

En outre, ses préoccupations au sujet des affaires publiques se mêlaient plus souvent qu’il n’eut fallu aux exhortations de l’orateur chrétien. Elles faisaient parfois de ses discours [en chaire] des conférences, d’aucuns disaient des harangues. [...] Lui demander de rester neutre dans la chaire, lorsqu’il venait de prendre parti la veille à la tribune de l’Assemblée, pour ou contre une question vitale, [...] ne pas laisser percer qu’il tenait pour la République contre la réaction, ne saurait se concevoir. Mais, d’autre part, comment empêcher que les échos de la place publique ne fussent peu agréables aux oreilles de ses auditeurs91.

  • 92  Dide venant de citer les électeurs républicains qui appartenaient avant « aux anciens partis, aux (...)

Et si, le 9 décembre 1891, Dide n’hésite pas à rappeler son passé de pasteur, il le fait sur le mode humoristique et sans l’utiliser dans son argumentation92.

  • 93 Voir plus haut, note 6.

26Quant à Scheer, quand il s’exprime le 25 mai 1925 à propos de la laïcité de l’État, il présente sa préférence pour une laïcité « protestante93 », acceptant qu’aucune Église ne soit liée à l’État pour peu que la religion ne soit pas ignorée, mais au contraire reconnue comme importante et honorée par ce dernier. Il soutient :

  • 94 « Charles Scheer, 1871-1936 », op. cit., p. 34.

C’est, à mon avis, une des erreurs fondamentales de la loi de séparation, d’avoir identifié la religion avec le culte. Le culte est une manifestation de la religion, mais ce n’est pas une religion ; la religion est une conviction spirituelle concernant l’ensemble de la vie et de l’univers et, tant qu’elle est cela elle a droit au respect de l’État. Et alors, ayant cette idée de la neutralité, je me tourne vers l’autre côté [la gauche] et je dis : « Ne serait-ce pas là la vérité fondamentale que vous défendez, c’est-à-dire l’idée que la pensée religieuse a une valeur civilisatrice ? » La reconnaissance de cette valeur positive pour la civilisation et la lutte pour cette valeur, voilà la vérité qui me semble n’avoir pas été aperçue par ce côté de la Chambre [la gauche]. [...] ce que nous appelons l’assimilation [...] c’est concilier avec les principes fondamentaux de la liberté de conscience et de la neutralité de l’État, le souci de la spiritualité nationale par le respect bienveillant de toutes les manifestations94.

  • 95 On peut faire une remarque de même type sur le discours de Coquerel du 6 septembre 1848, qui n’est (...)
  • 96 Ainsi, Dide cite le 9 décembre 1891 la célèbre formule de Théodore de Bèze, « Tant plus à frapper (...)

27Certes, ici, Scheer s’exprime comme un protestant, mais il ne parle pas spécifiquement comme un pasteur, un laïc pourrait tenir les mêmes propos95. Et si on note aussi parfois une tonalité « huguenote », dans leurs discours – certains pasteurs n’hésitant pas à évoquer les persécutions dont les huguenots ont été les victimes –, elle est la trace de la culture protestante française et non celle de leur formation pastorale96.

  • 97 Par exemple, Desmons joue un rôle non négligeable à la commission des finances et à la commission (...)
  • 98 Voir Henri Cordey, Edmond de Pressensé et son temps (1824-1891), op. cit., p. 345-347. En 1873 il (...)
  • 99 Voir Lucien Carrive, « Steeg, Jules », notice dans André Encrevé (dir.), Dictionnaire du monde rel (...)
  • 100 Voir Catherine Storne-Sengel, Les Protestants d’Alsace-Lorraine de 1919 à 1939, op. cit., en parti (...)
  • 101 Par ailleurs, quand ils sont anticléricaux, les pasteurs sont des « anticléricaux protestants », b (...)
  • 102 Voir la notice sur Athanase Coquerel dans Adolphe Robert & Gaston Cougny (dir.), Dictionnaire des (...)
  • 103 Voir Daniel Ligou, Frédéric Desmons et la Franc-maçonnerie sous la IIIe République, op. cit., p. 1 (...)

28Toutefois, peut-on, en plus d’un travail parlementaire classique97, distinguer des thèmes auxquels les pasteurs parlementaires se sont plus particulièrement intéressés ? On note assez peu d’interventions à propos de questions directement religieuses. Cependant, en 1872, Pressensé défend le principe de l’égalité entre cultes reconnus et cultes non reconnus98 ; en 1882, Steeg est le rapporteur de la proposition de loi sur l’abrogation du Concordat99 ; quant à Altorffer et Scheer, ils interviennent à plusieurs reprises à propos de l’application de la loi de 1905 en Alsace, nous le savons100. Les pasteurs ne se distinguent pas non plus dans le domaine de l’anticléricalisme101. À ce sujet on note surtout le grand discours – déjà cité – de Dide, le 9 décembre 1891. De même il y a assez peu d’intervention sur les problèmes sociaux. Notons seulement un rapport de Coquerel sur l’organisation de l’assistance publique102 et l’intervention déjà citée de Desmons, lors de la grève des mineurs du Midi en 1882103.

  • 104 Ibid., p. 113-114.
  • 105 Dans l’entre-deux-guerres, au Sénat, Philip est membre de la commission des colonies à partir de 1 (...)
  • 106 Par exemple en 1947, au moment de la révolte à Madagascar : La Gravière effectue, en particulier, (...)

29Les problèmes coloniaux ne laissent pas certains pasteurs indifférents. Ainsi Desmons s’oppose à la politique coloniale de Ferry en 1885104 et, en février 1891, Dide se montre peu favorable à la colonisation en Algérie. Cependant, à la fin du xixe siècle, cette opposition illustre plutôt les divisions des républicains au sujet de la colonisation105. Au fond, seul La Gravière joue un rôle important dans ces questions, qui sont en réalité les prodromes de la décolonisation, ce qui est normal, puisqu’il siège à l’Assemblée de l’Union française. En outre, bien qu’ils soient peu nombreux en France, les protestants français ont envoyé un nombre non négligeable de missionnaires dans les colonies françaises, ce qui leur permet de bénéficier d’informations de première main à ce sujet106.

  • 107 Consulter Patrick Weil, Qu’est-ce qu’un Français ? Histoire de la nationalité française depuis la (...)
  • 108 Paris, Delagrave, 1928.

30Durant l’entre-deux-guerres, on le sait, le problème démographique préoccupe nombre de responsables politiques, notamment en raison de la mort d’1,4 million de jeunes Français pendant la Première Guerre mondiale et de la faiblesse du taux de natalité. À ce propos, Lambert se fait remarquer comme spécialiste des questions d’immigration et de nationalité. En effet, en 1926, Herriot le nomme haut-commissaire à l’immigration et aux naturalisations, et en mai 1927, il dépose une proposition de loi aux termes de laquelle tout naturalisé pourrait demander la francisation de ses nom et prénoms. Cette proposition de loi, qui a pour but de favoriser l’intégration des immigrés, est vivement attaquée par la droite, qui y voit une « loi d’invasion en masse », si bien qu’elle est retirée avant le vote. Persévérant, Lambert dépose une nouvelle proposition de loi en ce sens en 1929, mais elle est également rejetée107. Il publie d’ailleurs un livre à ce sujet (préfacé par Herriot), La France et les étrangers : dépopulation, immigration et naturalisation108. Peut-on voir dans ce choix de Lambert une marque de son appartenance au protestantisme français ? Ce n’est pas impossible, car la culture huguenote accorde une large place à la révocation de l’Édit de Nantes et à l’accueil au « refuge » (Suisse, Allemagne, Grande-Bretagne, etc.) de nombreux huguenots qui fuyaient les persécutions de la monarchie et de l’Église catholique. D’autant plus que Lambert est né dans la Drôme, à Châtillon-en-Diois, vieux territoire huguenot, mais aussi région proche alors de la frontière d’où il était moins difficile de quitter la France clandestinement (rappelons que le départ au « refuge » était formellement interdit par Louis XIV et ses successeurs). Mais, c’est plus une attitude « protestante » qu’une conviction « pastorale » ; un protestant qui n’aurait pas fait d’études de théologie pourrait parfaitement la défendre lui aussi. C’est, par exemple, le cas de Marc Rucart, l’un des deux ministres protestants du gouvernement de Léon Blum en 1936 (le second est Jean Zay), qui défend lui aussi une politique visant à faciliter la naturalisation des immigrés. Or, comme Lambert, Rucart est avocat et radical-socialiste. Élu député en 1928, il connaît bien évidemment les positions de Lambert, puisqu’il a côtoyé ce dernier sur les bancs de la Chambre de 1928 à 1932.

  • 109 Vernier s’occupe de la Constitution ; et entre 1946 et 1948, quand La Gravière siège au Conseil de (...)
  • 110 Voir Le Lien du 16 février 1850.
  • 111 Henri Cordey, Edmond de Pressensé et son temps (1824-1891), op. cit., p. 346-347.
  • 112 Voir plus haut.
  • 113 Voir Daniel Ligou, Frédéric Desmons et la Franc-maçonnerie sous la IIIe République, op. cit., p. 1 (...)
  • 114 Voir la notice sur Auguste Dide dans Adolphe Robert & Gaston Cougny (dir.), Dictionnaire des parle (...)
  • 115 Voir Catherine Storne-Sengel, Les Protestants d’Alsace-Lorraine de 1919 à 1939, op. cit., p. 303-3 (...)
  • 116 Voir Grace Davie, « Right Wings politics among French Protestants (1900-1945) », op. cit., p. 305. (...)
  • 117 Il affirme, notamment : « Messieurs, qu’est-ce qui nous inquiète, c’est la conception de la laïcit (...)

31En réalité, le domaine qui retient tout particulièrement l’attention des pasteurs-parlementaires est celui de l’enseignement : 11 des 13 pasteurs ou anciens pasteurs109 tiennent à intervenir sur cette question (Vernier s’occupe de la Constitution, et entre 1946 et 1948, quand La Gravière siège au Conseil de la République, les questions d’enseignement ne sont guère à l’ordre du jour). Il est vrai que l’enseignement a alors de nombreuses implications religieuses et confessionnelles, et aussi qu’il ne cesse d’être d’actualité entre 1848 et 1914, et encore dans l’entre-deux-guerres, quoiqu’à un moindre degré. On note ainsi plusieurs interventions : de Coquerel le 4 février 1850, contre la loi Falloux110 ; de Pressensé en janvier 1873 à propos du Conseil supérieur de l’instruction publique111, et on sait aussi son refus de « l’article 7112 » ; de Desmons, qui s’exprime plusieurs fois en mars 1884 sur la réforme de l’enseignement primaire113 ; de Dide, en avril 1885 sur la même question114 ; en 1886, nous le savons, Steeg est le rapporteur de la troisième loi Ferry sur l’enseignement primaire ; Altorffer et Scheer s’occupent beaucoup de l’enseignement en Alsace, proposant une école interconfessionnelle, différente de l’école confessionnelle existante et aussi de l’école laïque de la « France de l’intérieur115 » ; Soulier réclame au début de son mandat une véritable tolérance religieuse dans l’enseignement116. Membre de la commission des finances du Sénat, à laquelle il appartient à partir de 1925, Philip s’intéresse lui aussi à l’enseignement, par le biais des crédits à engager dans les domaines éducatifs et culturels. De plus, à partir de 1927, il est chargé par la commission de présenter un rapport spécial sur le budget de l’instruction publique. Cela le conduit à devenir un spécialiste des problèmes de l’enseignement : statut des personnels, développement de l’enseignement obligatoire, responsabilité de l’État, etc. Lambert s’en préoccupe pour sa part avant son élection, comme nous l’avons vu, et durant la législature 1928-1932, il siège à la commission de l’administration générale et de l’éducation. Quant à Autrand, qui siège en 1930 à la commission de l’enseignement, il prononce le 10 mars 1931 un discours où il explique son refus du monopole de l’enseignement par l’État117.

  • 118 Voir Henri Cordey, Edmond de Pressensé et son temps (1824-1891), op. cit., p. 486-492. Notons auss (...)

32Enfin, il est un domaine auquel on n’est pas surpris de voir un pasteur s’intéresser, celui de la moralité publique. En effet, au Sénat, Pressensé s’occupe beaucoup de cette question, aux côtés, notamment, du sénateur René Bérenger. Il est d’ailleurs l’un des promoteurs de la Ligue française pour le relèvement de la moralité publique et le rapporteur de la commission chargée de se préoccuper de l’application des lois réprimant « les publications obscènes ». Il prononce ainsi un grand discours à ce sujet le 15 juin 1888, qui est sa dernière intervention importante au Sénat118.

33Au fond, les centres d’intérêt des pasteurs parlementaires sont assez diversifiés, avec tout de même une insistance sur les questions éducatives et morales.

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  • 119 En effet, il est clair que tel n’est pas le cas de Desmons, Steeg et Dide. Pour Philip, on peut se (...)

34On le voit, les pasteurs parlementaires ne sont pas tout à fait des parlementaires comme les autres, surtout ceux qui poursuivent conjointement leur ministère pastoral et leur mandat politique. Toutefois, leur rôle au Parlement n’est pas sans lien avec leur expérience pastorale, puisqu’ils continuent à être à l’écoute des autres hommes – de leur prochain, diraient-ils sans doute –, mais dans un cadre plus vaste que celui d’une paroisse. Et, comme la plupart sollicitent le renouvellement de leur mandat, il semble clair que – les anciens (et très anciens) pasteurs mis à part119 –, celui-ci est bien pour eux avant tout un élargissement de leur ministère.

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Notes

1 Dans l’Église luthérienne, on parle en général d’ordination. Aujourd’hui les réformés disent plutôt reconnaissance de ministère.

2 Voir André Encrevé, « La petite musique huguenote », dans Pierre Birnbaum (dir.), La France de l’affaire Dreyfus, Paris, Gallimard, 1994, p. 451-504.

3 Cité par Daniel Ligou, Frédéric Desmons et la Franc-maçonnerie sous la IIIe République, Paris, Gedalge, 1966, p. 101.

4 Cette formulation peut toutefois s’expliquer par l’habitude de certains catholiques de ce temps de parler de « la Bible » en désignant le seul Ancien Testament et de « l’Évangile » pour désigner non pas les quatre évangiles, mais l’ensemble du Nouveau Testament. Il reste que cette formulation est surprenante, les protestants se réclamant de l’ensemble du texte biblique, et non pas du seul Ancien Testament.

5 Le tract affirme que si un pasteur était élu, alors « une foule » de curés se présenteraient en se déclarant eux aussi partisans de la laïcité mais qu’ensuite, une fois qu’ils seraient élus, « on ne tarderait pas à voir retourner les démocrates en Calédonie [allusion à la répression de la Commune de Paris] et à voir revenir les dragons dans les Cévennes ».

6 Ils se réclament en général d’une laïcité « protestante », ou « à l’américaine », pour laquelle aucune Église ne peut être liée à l’État, mais où la religion est honorée et son importance reconnue par l’État. Cela tient au fait que, dans le protestantisme, il y a une distinction entre les Églises (constructions humaines, elles sont plurielles et faillibles, comme tout ce que font les hommes) et la religion chrétienne. Tandis que pour le catholicisme, il n’y a pas de vraie distinction entre l’Église et la religion chrétienne, puisque l’Église catholique se présente comme la seule Église chrétienne, infaillible puisque d’origine divine. De ce fait, les anticléricaux d’origine catholique ne se confondent pas avec les anticléricaux d’origine protestante, et encore moins avec les anticléricaux protestants. Sur ces distinctions, voir André Encrevé « Les protestants républicains peuvent-ils être des modérés entre 1870 et 1905 ? », dans Jacques Prévotat & Jean Vavasseur-Desperriers (dir.), Les « chrétiens modérés » en France et en Europe, 1870-1960, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2013, p. 63-78.

7 Daniel Ligou, Frédéric Desmons et la Franc-maçonnerie sous la IIIe République, op. cit., p. 102-103.

8 Nous qualifions de « très anciens pasteurs » deux d’entre eux – Philip et Lambert – parce qu’ils ont quitté le ministère pastoral plus de dix ans avant d’entrer au Parlement.

9 D’autres pasteurs ont été candidats mais n’ont pas été élus ; en voici une liste non exhaustive. En 1848 : F. Desmons, P. Dyvorne, A. Muston, A. Coquerel (battu dans le Gard et en Lozère, mais élu à Paris), E. Verny, K. Heintz, P. Poupot, L. Pilatte. En février 1871 : A. Coquerel fils, E. de Pressensé (battu en février 1871, mais élu en juillet), A. Dide (élu au Sénat en 1885). En 1902, puis 1919 : J. Philip (élu au Sénat en 1920). En 1949 : C. Vernier (il avait été élu en 1946). Notons que la liste que donne Jean Pascal (Les Ecclésiastiques parlementaires français, 1848-1977, Pontoise, Edijac, 1988) est incomplète et que certains noms sont mal orthographiés : il faut lire « Pilatte » et non « Pilastre » et « Heintz » et non « Heontz ».

10 Il est le fils du pasteur Numa Philip, mais sa mère est une demoiselle de Barjeau. Dans sa jeunesse il se fait parfois appeler Jean Philip de Barjeau (c’est ainsi qu’il signe sa « thèse » de baccalauréat en théologie [« Le Protestantisme dans la vicomté de Fezensaguet », Auch, imprimerie Cocharaux, 1891], qu’il soutient en novembre 1891 devant la faculté de théologie de Montauban). Mais, logiquement, en politique, il est connu sous le nom de Jean Philip.

11 L’article 6 de la Constitution de 1946 édicte que les membres du Conseil de la République sont élus par les collectivités communales et départementales au suffrage universel indirect et que l’Assemblée nationale peut également en élire une partie (pas plus d’un sixième du total) ; on se met ensuite d’accord pour que l’Assemblée désigne 50 membres de ce Conseil, sur un total de 315. Voir, notamment, Jean Garrigues (dir.), Histoire du Parlement de 1789 à nos jours, Paris, Armand Colin / Assemblée nationale, 2007, p. 387.

12 L’article 66 de la Constitution précise que l’Assemblée de l’Union française est composée par moitié de membres représentant la France métropolitaine et de membres représentant les départements et territoires d’outre-mer et les États associés. Les représentants de la métropole sont élus pour les deux tiers par l’Assemblée nationale et pour un tiers par le Conseil de la République (art. 67).

13 Nous ne savons pas s’il a terminé ses études de théologie ; en effet, nous n’avons pas trouvé trace de sa « thèse de baccalauréat en théologie », ce mémoire de fin d’études que rédigent ceux qui souhaitent obtenir ce « baccalauréat », indispensable pour demander la consécration au ministère pastoral.

14 À partir de 1871, Dide, qui habite à Paris, 22 rue de Turin (8e arrondissement), se mêle à la vie politique (notamment celle de son quartier) et, par exemple, en octobre 1877, il est un ferme soutien du candidat républicain Anatole de La Forge (voir Sylvie Fontayne-Aguié, « Auguste Dide (1839-1918) : du pasteur libéral à l’homme politique (1859-1885) », mémoire de DEA histoire et civilisation, Toulouse, Université de Toulouse-Le Mirail, 1997). Il semble songer à une carrière au Parlement dès le début des années 1880. Quant à Philip, il abandonne le ministère pastoral en 1901 et se lance dans la politique. Membre du parti radical-socialiste, il devient en 1902 le secrétaire de Ferdinand Buisson qui vient d’être élu député (voir Patrick Cabanel, Ferdinand Buisson, père de l’école laïque, Genève, Labor et Fides, 2016, p. 325). Quelques mois plus tard, toujours en 1902, il est lui-même candidat malheureux à la Chambre lors d’une élection partielle dans le Gers, sa région d’origine (il est né à Mauvezin). Ensuite, à partir de 1904, il se mêle à la vie politique et devient journaliste : d’abord codirecteur du journal Les Droits de l’homme, il entre ensuite à L’Aurore où Clemenceau l’accueille sur recommandation de Buisson. En 1906, quand Clemenceau devient ministre de l’Intérieur, Philip est brièvement son chef de cabinet. Il est ensuite sous-préfet, puis consul. En 1919, c’est donc un homme connu de la classe politique qui est candidat malheureux à la Chambre. Cette situation explique son élection comme sénateur du Gers en janvier 1920 par 424 voix sur 707 suffrages exprimés.

15 Il est élu en raison à la fois de la situation spécifique de 1946 – l’opinion souhaite un renouvellement politique à la suite du naufrage de la IIIe République en 1940 – et des particularités de la Constitution de 1946. Et surtout, en raison de l’interprétation de l’article 6 de cette Constitution, selon laquelle parmi les 50 conseillers de la République désignés par l’Assemblée nationale, 35 sont élus à la représentation proportionnelle des groupes parlementaires. Or on s’accorde pour choisir des hommes d’appareil, certes, mais aussi pour élire des résistants, des représentants du monde économique et des intellectuels (dont fait partie La Gravière, qui est aussi un grand résistant), c’est-à-dire, au fond, des représentants de la société civile (« [...] ce système correspond à ce qu’on pourrait appeler une version à la fois démocratique et partitocratique de la vieille formule de l’appel aux compétences » [dans Jean Garrigues (dir.), Histoire du Parlement de 1789 à nos jours, op. cit., p. 388]).

16 Voir Jean Jolly, Dictionnaire des parlementaires français... de 1889 à 1940, Paris, Presses universitaires de France, 1960-1977.

17 Voir Patrick O’Reilly & Raoul Tessier, Tahitiens : répertoire bio-bibliographique de la Polynésie française, Paris, Musée de l’homme, 1962.

18 En 1894, Dide n’est pas réélu, et c’est aussi le cas d’Autrand en 1932. Coquerel est réélu une fois (en 1849) et il n’est pas candidat en 1852 (et il refuse un poste de sénateur qu’on lui offrait). Pressensé, battu en 1876, retrouve le Parlement en octobre 1883 comme sénateur inamovible. Desmons reste parlementaire jusqu’à sa mort, tout comme Soulier. Steeg ne parvient à se faire réélire qu’une fois, à l’instar d’Altorffer et Scheer. Philip est réélu deux fois en 1924 et en 1932 ; il ne tente pas d’être réélu après la Seconde Guerre mondiale, mais en 1946 il est âgé de 78 ans et son retrait de la vie politique s’explique sans doute par son âge. Lambert est réélu une fois, en 1928. Pour ce qui concerne La Gravière, le cas est un peu particulier : fin 1948, il ne sollicite pas le renouvellement de son mandat au Conseil de la République, mais il reste membre de l’Assemblée de l’Union française de 1946 à 1958 (il est vrai que c’est à peine une assemblée parlementaire). Vernier a été élu en 1945 dans des circonstances exceptionnelles et pour un mandat très limité (Assemblée constituante) ; candidat à une élection partielle classique en 1949, il est battu par un nationaliste originaire de Tahiti.

19 On sait que la Constitution de l’an III ne prévoit aucune condition de cens pour les électeurs ; mais c’est un suffrage universel très particulier (avec assemblées primaires puis assemblées électorales), tout comme celui des plébiscites du Premier Empire (on vote en inscrivant son « vœu » sur un registre).

20 Voir André Encrevé, Protestants français au milieu du xixe siècle, les réformés de 1848 à 1870, Genève, Labor et Fides, 1986, p. 376.

21 Voir André Encrevé, Protestants français au milieu du xixe siècle, op. cit., p. 171-181 et 375-381 et « Un nouveau groupe de protestants “libéraux” : le milieu du Semeur et son action pendant la Seconde République », dans Les Catholiques libéraux au xixe siècle, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1974, p. 463-487.

22 En février, son nom est inscrit sur plusieurs listes, mais il ne fait pas réellement campagne ; voir Henri Cordey, Edmond de Pressensé et son temps (1824-1891), Lausanne, Bridel, 1916, p. 323.

23 Pressensé, qui a fait campagne pour la séparation en 1848, y est, naturellement, toujours favorable en 1871. Mais il redoute aussi, et sans doute surtout, le cléricalisme des royalistes, majoritaires à l’Assemblée depuis les élections de février. Il explique le 11 juin 1871 à une amie : « Je n’ai pas de paroles pour rendre ce que j’éprouve de douleur. Le crime de la Commune a été inouï, la répression effroyable et Paris fumait encore que la réaction cléricale commençait ses opérations à l’Assemblée. Si elle triomphe, c’est fini, la France a vécu. Mais nous la lui disputerons et notre seule consolation est de ceindre nos reins, pour combattre virilement le combat de la liberté chrétienne. [...] Peut-être vais-je courir la chance à Paris. » (Ibid., p. 338.) C’est à la demande de Thiers, qu’il connaît depuis des années, que Pressensé est porté sur la liste des grands journaux. Cordey explique ainsi son choix pour la politique : « Depuis des années il avait les yeux fixés sur la mission que les chrétiens sont appelés à remplir envers la société tout entière. [...] Un moment vint où le devoir premier lui parut être celui de l’action politique. [...] ce qui prédomina dans sa détermination, ce fut l’ardent besoin de plaider la cause chrétienne dans les Conseils suprêmes de la France. » (Ibid., p. 339.)

24 Voir, par exemple, sa contribution à La Civilisation chrétienne en péril, journée d’étude du 30 juin 1907, Marc Sangnier (dir.), Saint-Blaise-Roubaix, Au foyer solidariste de librairie et d’édition, 1907 ; et aussi son article « Réponse d’un protestant qui n’est pas anticatholique à un “protestant détaché” », Revue hebdomadaire, 9 avril 1910. Sur les choix politiques de Soulier, consulter Grace Davie, « Right Wings Politics among French Protestants (1900-1945) », thèse de doctorat [dactylog.], Londres, University of London, 1975, Appendix III, p. 304-307 ; et la notice que Grace Davie lui a consacrée dans André Encrevé (dir.), Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, 5. Les Protestants, Paris, Beauchesne, 1993, p. 461-462.

25 Il est aumônier et obtient la croix de guerre avec cinq citations et la Légion d’honneur.

26 Par exemple, en 1936 et 1937, il prend la parole dans les deux congrès (organisés par le mouvement protestant La Cause), intitulés « Le communisme contre la chrétienté » et « La chrétienté contre le communisme » (Carrière-sous-Poissy, La Cause, 1939). Cet aspect religieux est probablement sa motivation principale car, comme le synode interdit aux pasteurs d’être membres d’une assemblée parlementaire, il est l’objet de vives critiques lors de son élection en 1928.

27 Voir Bruno Saura, Politique et religion à Tahiti, Tahiti, Éd. Polymages-SCOOP, 1993.

28 À ce propos, on peut citer ce qu’écrit le pasteur F. Wheatcroft, dans l’article nécrologique qu’il consacre à Édouard Soulier : « Mais ce qu’il faut qu’on sache, c’est qu’Édouard Soulier parlementaire n’était pas un autre homme que le pasteur. Il était pasteur dans l’âme et son collègue [Wheatcrof est le second pasteur de l’Église luthérienne de La Rédemption], plus qualifié que quiconque, croit-il, pour rendre ce témoignage, a pu juger, pendant onze ans, d’une collaboration constante de la foi qui l’animait et de son constant souci du bien des âmes. À la Chambre, d’ailleurs, on honorait son caractère pastoral et certains collègues n’hésitaient pas à venir le trouver pour parler de questions de confiance » (Le Témoignage, 15 septembre 1938).

29 Parmi les anciens pasteurs devenus parlementaires, on pourrait aussi penser à Edmond Scherer, sénateur inamovible de 1875 à 1889. Toutefois, bien qu’il ait fait des études de théologie complètes et qu’il ait demandé la consécration au ministère pastoral en 1840, il n’a jamais été pasteur. Il est professeur de théologie de 1845 à 1849, puis il évolue vers un libéralisme théologique de plus en plus prononcé et il peut être considéré comme agnostique dès le début des années 1860. Installé à Versailles, il se mêle alors au monde politique et intellectuel. En rigueur de terme on ne peut pas le considérer comme un ancien pasteur en 1875, quand il est élu sénateur (voir André Encrevé, Protestant français..., op. cit., en particulier p. 246).

30 Voir plus haut, note 7. Il reste que depuis plusieurs années déjà, il a des doutes au sujet de ses convictions religieuses ; sa candidature en 1881 est plus l’occasion que la cause de son abandon du ministère.

31 Il songe depuis déjà plusieurs années à faire une carrière politique : il est candidat, sans succès, en 1876 et en mars 1877.

32 Voir Un pasteur républicain au xixe siècle. Lettres de Jules Steeg à Maurice Schwalb, 1851-1898, Lucien Carrive (éd.), Paris, Presses de la Sorbonne nouvelle, 1993, p. 320. Il annonce sa démission à M. Schwalb dans sa lettre du 18 avril 1877.

33 Dide n’est pasteur de paroisse que durant un an à Ardaillers (hameau de la commune de Valleraugue, Gard) de novembre 1868 à août 1869. Il vient ensuite à Paris comme prédicateur de la tendance libérale (en théologie) qui, minoritaire dans les conseils de l’Église, a ouvert non des temples indépendants mais des « salles de prédication » où des pasteurs libéraux – non-salariés par l’État – célèbrent des cultes. Dide est l’un d’eux, mais il n’a pas la responsabilité d’une paroisse (sur cette situation spécifique à Paris, voir André Encrevé, Protestants français au milieu du xixe siècle, op. cit., p. 766). Il effectue son dernier acte pastoral en décembre 1883 aux obsèques de l’historien Henri Martin qui, quoique non protestant, a demandé qu’un pasteur prononce une méditation religieuse lors de son enterrement. Dide, revêtu de la robe pastorale, utilise un verset des béatitudes comme support à son « exhortation » [sic], mais il semble qu’il a renoncé à la prédication régulière depuis déjà plusieurs années (voir La Renaissance du 21 décembre 1883, car ce journal signale que Dide est avant tout un conférencier de la Ligue de l’enseignement et que, avant peu, « sans doute la politique ou l’administration l’auront enlevé à l’Église »). Selon ses amis, en 1885 il est déjà éloigné de la foi chrétienne et son divorce en 1886 contribue à accroître cet éloignement.

34 Voir plus haut, p. 173. Notons qu’il a laissé un récit de sa participation à la vie politique « Souvenirs d’un parlementaire désabusé », paru dans La France active en avril, mai et juin 1936. Il a longtemps été un collaborateur de cette revue, où il rédigeait une chronique consacrée au Sénat et intitulée « La petite tribune ».

35 À cette époque, après cinq ans d’études dans une faculté de théologie, on soutient une « thèse de baccalauréat en théologie » (en réalité, un assez bref mémoire de fin d’études) qui permet de demander la consécration au ministère pastoral. Ceux qui souhaitent poursuivre leurs études de théologie dans le but (le plus souvent) d’enseigner dans une faculté préparent une « thèse de licence » qui permet, en général, de devenir maître de conférences. Pour être professeur, il faut avoir soutenu une « thèse de doctorat ». Dans le cas de Philip, sa notice nécrologique, parue dans Le Christianisme au xxe siècle du 13 mars 1952, affirme qu’il a soutenu sa thèse de licence ; mais celle-ci ne figure ni dans le registre de la faculté de théologie de Paris, ni dans le catalogue de la bibliothèque de la Société de l’histoire du protestantisme français, où l’on trouve pourtant la plupart des « thèses » de théologie soutenues au xixe siècle. On peut donc se demander si elle a été réellement soutenue (d’autant que la notice parue dans Le Christianisme au xxe siècle ne cite pas son titre, alors qu’elle mentionne celui de sa « thèse de baccalauréat »). De plus, il n’a jamais enseigné dans une faculté de théologie.

36 Son nom ne figure plus sur la liste des pasteurs de l’Annuaire protestant à partir de 1907.

37 Elle s’intitule « Le socialisme et la morale », s. l., Orphelins imprimeur, 1905. Cela montre qu’il a déjà un intérêt pour les questions politiques.

38 À Boresse-et-Martron, le lieu de culte semble ne s’être maintenu que quelques années, mais l’Annuaire protestant n’est pas très clair à ce propos.

39 Nous le savons, il est d’abord « pasteur suffragant » puis « pasteur auxiliaire ».

40 A priori, l’abandon du ministère pastoral ne leur interdit nullement de continuer à se considérer comme membres de l’Église réformée et à participer à sa vie cultuelle. C’est davantage l’évolution de leur pensée qui les en empêche.

41 Nous évoquons ici le niveau institutionnel ; ils peuvent naturellement conserver des relations personnelles avec des pasteurs. Il reste que, par exemple, au moment de la séparation des Églises et de l’État, Desmons soutient jusqu’au bout le ministère Combes, bien que la loi de séparation qu’il défend déplaise beaucoup aux responsables protestants.

42 Voir Daniel Ligou, Frédéric Desmons et la Franc-maçonnerie sous la IIIe République, op. cit., p. 264. Les obsèques de Steeg semblent civiles. Certes l’article de Coquerel qui les relate dans Le Protestant (14 mai 1898, p. 154.) est un peu ambigu. Toutefois, il en ressort que le pasteur qui prend la parole au cimetière se contente de faire l’éloge funèbre de Steeg sans utiliser de verset biblique et sans faire d’exhortation – tout comme les autres orateurs (le ministre de l’Instruction publique, la directrice de l’École normale supérieure et Ferdinand Buisson) , ce qui ne peut passer pour un acte pastoral. On doit donc les considérer comme des obsèques civiles. Toutefois il convient de se souvenir qu’en théorie, pour un protestant réformé, les obsèques civiles ne sont pas toujours le signe de l’agnosticisme, puisque la cérémonie funèbre est destinée à ceux qui y assistent et non pas à la personne décédée. Dans le contexte de la fin du xixe siècle cependant, les obsèques civiles sont le plus souvent une marque d’agnosticisme, surtout quand il s’agit d’un ancien pasteur.

43 Voir, par exemple, son livre intitulé La Fin des religions, Paris, Flammarion, 1902. Toutefois, il ne mène campagne en faveur de la libre pensée qu’à partir du début du xxe siècle, et non pas durant son mandat de sénateur.

44 Valentine Zuber écrit, à propos de ses positions au début du xxe siècle, qu’il est alors un « ancien pasteur réformé ultralibéral, devenu athée et viscéralement antiprotestant » (Les Conflits de la tolérance : Michel Servet, entre mémoire et histoire, Paris, Honoré Champion, 2004, p. 20) ; voir aussi Jean Baubérot & Valentine Zuber, Une haine oubliée : l’antiprotestantisme avant le « pacte laïque », 1870-1905, Paris, Albin Michel, 2000, p. 137-138, note 2.

45 Au moment de sa mort, Marc Forissier écrit à son propos dans Le Christianisme au xxe siècle (février 1952) : « Homme d’action et de pensée, M. Philip fut aussi un homme de foi. [...] Profondément religieux, et laïque à la fois, mais dans le sens le plus élevé de ces deux mots, c’est-à-dire sans fanatisme ni sectarisme, il restera jusqu’à la fin un chrétien évangélique convaincu. » Il ajoute que, parmi les orateurs, « M. le ministre Abel Gardey, son ami et son compagnon de lutte, a rendu un émouvant et vibrant hommage au patriotisme du sénateur de la République et à la foi chrétienne de l’ancien pasteur. »

46 Nous avons hésité à les faire figurer dans notre corpus ; il nous a semblé cependant qu’il valait mieux tenter d’être le plus complet possible, tout en reconnaissant que ce choix est discutable.

47 Il meurt le 16 novembre 1941. À nouveau aumônier en 1939, mais cette fois dans la marine, il entre aussi très tôt dans la Résistance (il est le chef des gaullistes de Rochefort).

48 Il est vrai qu’à partir de 1947 il accepte de nouvelles responsabilités, notamment comme juge titulaire de la Haute Cour de justice (jusqu’en 1951). Ensuite, il sera membre du Conseil supérieur du travail outre-mer (1953-1958), membre de la Commission française pour l’UNESCO (1959-1960) et secrétaire général du Centre d’études des problèmes européens (1958-1965).

49 L’un se trouve rue de Provence (chapelle Taitbout) et l’autre rue Madame (église du Luxembourg). Il reste aussi président du Conseil d’administration de la chapelle Taitbout, et président du Conseil synodal de l’UEEL. Voir Henri Cordey, Edmond de Pressensé et son temps (1824-1891), op. cit., p. 365, 495-496. Comme il est sénateur inamovible, il meurt en fonction et ne peut donc pas penser à reprendre son ministère après la fin de son mandat parlementaire.

50 Scheer est au service de l’Église réformée d’Alsace et de Lorraine (reconnue par l’État), il n’est donc pas concerné par l’interdiction faite aux pasteurs réformés « de l’intérieur » d’être parlementaires.

51 Par exemple, Altorffer et Scheer sont, l’un et l’autre, membres du Conseil de la Fédération protestante de France. Scheer est aussi membre du Synode de l’Église réformée d’Alsace et de Lorraine (délégué du consistoire de Mulhouse). Après la fin de leur mandat, ils continuent à jouer un rôle important, Altorffer comme directeur de Cultes (à Strasbourg) pour les trois départements recouvrés et Scheer comme professeur à la faculté de théologie de Strasbourg.

52 Voir Le Christianisme au xxe siècle du 8 septembre 1938 et Le Témoignage du 15 septembre 1938.

53 En réalité, après la fin de son mandat parlementaire, il ne rentre pas tout de suite à Tahiti : il poursuit son congé en France, comme professeur de langue tahitienne (dont il est spécialiste) à l’École nationale des langues orientales. Il rentre à Tahiti en 1948 où il poursuit son ministère pastoral, jusqu’en 1951.

54 Consulter notamment André Encrevé, Les Protestants en France de 1800 à nos jours : histoire d'une réintégration, Paris, Stock, 1985, et Les Protestants et la vie politique française : de la Révolution à nos jours, Paris, CNRS Éditions, 2020 ; Patrick Cabanel, Les Protestants et la République : de 1870 à nos jours, Bruxelles, Éditions Complexe, 2000 ; ou Stuart Schram, Protestantism and Politics in France, Alençon, imprimerie Corbière et Jugain, 1954.

55 Desmons, Altorffer, Scheer et Vernier ont un nombre notable de protestants parmi leurs électeurs (Dide, élu par le département du Gard où les protestants sont nombreux, est choisi par les électeurs sénatoriaux et il faudrait une enquête minutieuse pour connaître leur appartenance confessionnelle). Coquerel, Pressensé et Soulier sont élus à Paris, Steeg à Libourne, Autrand à Bourges et La Gravière par l’Assemblée nationale ; ils ont peu d’électeurs protestants, tout comme Lambert, qui est député du Rhône. Quant à Philip, il est désigné par les électeurs sénatoriaux du Gers, or dans le Gers les protestants sont très peu nombreux ; il doit donc compter très peu de protestants parmi ses électeurs.

56 Cité par Émile G. Léonard, Histoire générale du protestantisme, Paris, Presses universitaires de France, 1964, vol. 3, p. 264.

57 Maurice Agulhon, 1848 ou l’apprentissage de la République : 1848-1852 [1973], Paris, Éditions du Seuil, nouvelle éd., 2002. Sur ses choix politiques et son ralliement au nouveau pouvoir, consulter André Encrevé, Protestants français au milieu du xixe siècle, op. cit., p. 375-381 et p. 467-468.

58 Le Lien du 3 novembre 1849, p. 161.

59 Voir Grace Davie, « Right Wings politics among French Protestants (1900-1945) », op. cit., p. 304-307.

60 Il siège à la commission des affaires étrangères de 1920 à 1936 (vice-président en 1929-1931 et en 1934).

61 Le Témoignage du 15 septembre 1938.

62 Henri Cordey précise que c’est « en partie à l’instigation de Thiers » qu’il le fait (Edmond de Pressensé et son temps (1824-1891), op. cit., p. 343).

63 Voir Henri Cordey, ibid., notamment p. 477-480.

64 Notons, par exemple, qu’il vote en faveur de la condamnation de Boulanger (ibid., p. 485).

65 Ibid., p. 348.

66 Il écrit : « Je dois mon échec au siège de sénateur à ce qui a fait l’honneur de ma carrière parlementaire, à la défense des grands principes de liberté religieuse, à la résistance à la politique ultramontaine au nom d’une pensée chrétienne. » (Ibid., p. 355.)

67 Rappelons que l’article 7 de la loi du 18 mars 1880 a pour but d’empêcher les membres des congrégations non autorisées de participer à l’enseignement, qu’il soit public ou privé, primaire, secondaire ou supérieur. Cet article, qui vise en réalité les jésuites, est rejeté par le Sénat.

68 On peut dire que Pressensé est un anticlérical protestant, ce qui le différencie des trois autres qui sont des anticléricaux d’origine protestante ; mais dans tous les cas (avec une nuance pour Desmons au xxe siècle), ils sont différents des anticléricaux d’origine catholiques.

69 Voir son discours du 21 février 1891.

70 Voir Daniel Ligou, Frédéric Desmons et la Franc-maçonnerie sous la IIIe République, op. cit., p. 108-110. Il déclare notamment : « Oui, Messieurs, le premier Président de la République française [en réalité, il parle de Thiers et non de Louis-Napoléon Bonaparte] a pu dire : “La République sera conservatrice ou elle ne sera pas.” Eh bien moi, je dis, avec moins d’autorité sans doute, mais avec autant de conviction et de vérité : La République sera démocratique et sociale ou elle périra. » Notons que Desmons, à l’instar d’autres radicaux, commence par soutenir Boulanger et ne lui devient hostile que fin 1888.

71 Consulter, en particulier, Bernard Vogler, Histoire politique de l’Alsace : de la Révolution à nos jours, un panorama des passions alsaciennes, Strasbourg, La Nuée bleue, 1995, p. 215-250. Et aussi le livre de Catherine Storne-Sengel, Les Protestants d’Alsace-Lorraine de 1919 à 1939 : entre les deux règnes, Strasbourg, Publications de la Société savante d’Alsace, 2003.

72 Pendant la Deuxième Guerre mondiale, Altorffer joue un rôle important dans la Résistance, en particulier pour l’aide aux juifs (il a obtenu la médaille des Justes à titre posthume en 2003). Élu conseiller municipal (RPF) à Strasbourg en 1947, il est maire de Strasbourg de 1955 à 1959.

73 Notons que Philip est le seul à être en fonction en juillet 1940, au moment du vote sur le projet de loi constitutionnelle présentée par le gouvernement Pétain. Mais nous ne savons pas ce qu’il en a pensé car, excusé, il n’a pas pris part au vote. À propos de son attitude générale entre 1940 et 1944, Marc Forissier écrit seulement : « Sa petite patrie gersoise gardera précieusement le souvenir de son maire dévoué et désintéressé qui, avant, pendant et après l’occupation étrangère s’est tant dépensé pour elle. » (Le Christianisme au xxe siècle, art. cité) En plus de son mandat de sénateur, il est conseiller général du canton de Mauvezin et maire de Mauvezin.

74 Marc Forissier, Le Christianisme au xxe siècle, art. cité.

75 Voir Raoul Crespin, Le Christianisme social : 1945-1970 : des protestants engagés, Paris, Les Bergers et les mages, 1993, p. 239.

76 Ce gouvernement ne dure que du 21 au 25 février 1930.

77 Voir Daniel Ligou, Frédéric Desmons et la Franc-maçonnerie sous la IIIe République, op. cit., passim.

78 Daniel Ligou, notice « Desmons Frédéric », dans André Encrevé (dir.), Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, 5. Les Protestants, op. cit., p. 169.

79 Voir notamment la brochure éditée peu après sa mort et intitulée « Charles Scheer, 1871-1936 », s. l. n. d., p. 28.

80 Voir Ernest Stroehlin, Athanase Coquerel fils : étude biographique, Paris, Fischbacher, 1886, p. 140.

81 Cependant, ce n’est pas le cas entre 1902 et 1905, lors des débats à propos de la séparation des Églises et de l’État car alors, seul l’ancien pasteur Desmons est parlementaire et il est très éloigné des Églises protestantes. Ainsi, son nom n’est pas cité dans « Les protestants et la séparation des Églises et de l’État », Patrick Harismendy (dir.), numéro spécial du Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français, nº 151, 2005 ; et, dans son étude très précise, Daniel Ligou ne signale pas de rôle de Desmons à ce propos (Frédéric Desmons et la Franc-maçonnerie sous la IIIe République, op. cit.).

82 Voir Catherine Storne-Sengel, Les Protestants d’Alsace-Lorraine de 1919 à 1939, op. cit.

83 Daniel Ligou, notice « Desmons Frédéric », art. cité, p. 170.

84 Rappelons qu’en 1941 le régime de Vichy met fin aux fonctions des parlementaires de façon autoritaire. Philip n’a donc pas été désavoué par les électeurs sénatoriaux en 1941.

85 Lambert effectue deux mandats de 1924 à 1932, puis il se retire de la vie politique. Vernier est élu une seule fois, mais en 1946 il ne souhaite pas se faire réélire. Le cas de La Gravière est très particulier, puisqu’il ne siège au Conseil de la République que durant un mandat, et qu’il joue surtout un rôle à l’Assemblée de l’Union française.

86 Il faudrait faire une étude de l’ensemble de leurs discours et interventions et des réactions de leurs collègues, ce qui dépasserait le cadre de cette brève synthèse.

87 Cité dans Le Lien du 15 décembre 1849, p. 185.

88 Ibid., p. 186.

89 Ibid., p. 187. Son amendement est repoussé par 400 voix contre 183.

90 Henri Cordey, Edmond de Pressensé et son temps (1824-1891), op. cit., p. 409.

91 Henri Cordey, Edmond de Pressensé et son temps (1824-1891), op. cit., p. 366.

92  Dide venant de citer les électeurs républicains qui appartenaient avant « aux anciens partis, aux partis déchus, aux partis évanouis, aux partis enterrés », un adversaire [M. Haglan] lui objecte « Ils ont encore de la vie. » Dide répond alors : « Vous pensez bien, mon cher interrupteur, que j’ai été trop longtemps théologien pour ne pas admettre le droit à la résurrection. [Nouveaux rires à gauche.] Seulement, je le crois, il est difficile à pratiquer, ce droit-là. » (JO, Sénat du 10 décembre 1891, p. 1057)

93 Voir plus haut, note 6.

94 « Charles Scheer, 1871-1936 », op. cit., p. 34.

95 On peut faire une remarque de même type sur le discours de Coquerel du 6 septembre 1848, qui n’est pas spécifiquement pastoral, ni même protestant. Il est question du préambule de la Constitution. La commission (dont Coquerel fait partie) a proposé « En présence de Dieu et au nom du Peuple français... ». Or l’évêque d’Orléans, Mgr Fayet, élu en Lozère, propose « Au nom de Dieu et du Peuple... ». Coquerel s’y oppose en soutenant notamment : « L’expression au nom de Dieu convient à un concile ; l’expression en présence de Dieu convient à un parlement. Je comprends l’une dans la bouche du prêtre et du pontife, je ne comprends que l’autre dans l’expression du législateur. En un mot, quand on parle au nom de Dieu, on remonte où l’on croit remonter jusqu’à la sagesse divine elle-même et se donner pour son interprète ou son représentant. Mais quand on parle simplement en présence de Dieu, c’est prendre la place que nous occupons tous ; pasteurs et fidèles, ecclésiastiques et laïques, tous les hommes sont en présence de Dieu [...]. » (Cité dans Le Lien du 16 septembre 1848, p. 341-342.)

96 Ainsi, Dide cite le 9 décembre 1891 la célèbre formule de Théodore de Bèze, « Tant plus à frapper on s’amuse, tant plus de marteaux on y use » en l’appliquant à la République : « il me semble que c’est pour elle qu’ont été écrits ces vers composés au seizième siècle en faveur des hérétiques et de la liberté de conscience » (JO [Sénat] du 10 décembre, p. 1058). Quant à Autrand, il rappelle le 10 mars 1931 « la révocation de l’Édit de Nantes et cette première expérience de l’école unique [...] lorsqu’elle prenait dès l’âge de 7 ans les enfants huguenots » (cité par Patrick Cabanel, dans la notice sur Jean Autrand, dans Patrick Cabanel & André Encrevé [dir.], Dictionnaire biographique des protestants français de 1787 à nos jours, Paris, les Éditions de Paris, vol. 1, 2015, p. 119), et cela dans le but de s’opposer au monopole de l’enseignement par l’État, et donc de défendre les écoles privées, presque toutes catholiques. Illustrant son refus de la mise en application de la séparation des Églises et de l’État en Alsace, Soulier cite pour sa part, le 19 juin 1924, la révocation de l’Édit de Nantes et soutient : « Ce que Louis XVI n’a pas osé faire, je défie quiconque de le réussir à l’heure actuelle. » (Cité par Grace Davie, « Right Wings politics among French Protestants (1900-1945) », op. cit., p. 306.) Ce qui montre, au passage, qu’il connaît mal l’histoire de France : l’Édit de Nantes est signé en 1598, avant l’annexion de l’Alsace par la France ; de ce fait, il ne s’applique pas à l’Alsace, et Louis XIV était dans l’impossibilité de le révoquer en Alsace en 1685 puisqu’il n’y avait pas force de loi.

97 Par exemple, Desmons joue un rôle non négligeable à la commission des finances et à la commission des affaires pénitentiaires du Sénat au début du xxe siècle ; Soulier consacre une grosse partie de son temps aux affaires étrangères ; durant son second mandat, Altorffer est un spécialiste des questions douanières, et aussi de l’exploitation du pétrole (il s’intéresse en particulier au pétrole de Pechelbronn).

98 Voir Henri Cordey, Edmond de Pressensé et son temps (1824-1891), op. cit., p. 345-347. En 1873 il signe une proposition de loi qui vise à permettre une complète liberté de réunion religieuse.

99 Voir Lucien Carrive, « Steeg, Jules », notice dans André Encrevé (dir.), Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, 5. Les Protestants, op. cit., p. 468.

100 Voir Catherine Storne-Sengel, Les Protestants d’Alsace-Lorraine de 1919 à 1939, op. cit., en particulier p. 133-137, 276, 284-286. Ils sont l’un et l’autre des membres importants de la commission d’Alsace-Lorraine.

101 Par ailleurs, quand ils sont anticléricaux, les pasteurs sont des « anticléricaux protestants », bien différents des anticléricaux d’origine catholique (voir plus haut, note 6). C’est-à-dire qu’ils souhaitent le maintien d’une influence religieuse sur la société et qu’ils sont soucieux, surtout, de la défense de la liberté religieuse des protestants et des catholiques. Par exemple, en 1873, Pressensé tient à critiquer le Kulturkampf (Henri Cordey, Edmond de Pressensé et son temps (1824-1891), op. cit., p. 346, note 2).

102 Voir la notice sur Athanase Coquerel dans Adolphe Robert & Gaston Cougny (dir.), Dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889, 5 vol., Paris, Bourloton, 1891.

103 Voir Daniel Ligou, Frédéric Desmons et la Franc-maçonnerie sous la IIIe République, op. cit., p. 108-109. Rappelons aussi que Lambert défend un certain nombre de réformes sociales.

104 Ibid., p. 113-114.

105 Dans l’entre-deux-guerres, au Sénat, Philip est membre de la commission des colonies à partir de 1923 et au nom de cette commission, il présente des rapports relatifs au renouvellement du privilège de la Banque de l’Afrique occidentale française en 1929 et à celui de la Banque d’Indochine en 1931 ; cela ne dénote pas une position originale au regard de la colonisation.

106 Par exemple en 1947, au moment de la révolte à Madagascar : La Gravière effectue, en particulier, des missions d’enquête et d’information à Madagascar, en Afrique subsaharienne et aussi en Afrique du Nord. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages à ce sujet, notamment : Métropoles et colonies, Paris, Berger-Levrault, 1955. Comme il est un élu d’outre-mer, durant son bref mandat, en plus de l’élaboration d’une nouvelle constitution, Vernier s’occupe surtout du rapatriement à Tahiti du « Bataillon du Pacifique » (groupe de 300 combattants qui ont rejoint la France libre peu après le ralliement du Territoire à la suite de l’Appel du 18 juin 1940) ; voir Patrick O’Reilly & Raoul Tessier, Tahitiens, répertoire bio-bibliographique de la Polynésie française, op. cit.

107 Consulter Patrick Weil, Qu’est-ce qu’un Français ? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution, Paris, Grasset, 2002 ; et Nicole Lapierre, Changer de nom, Paris, Stock, 1995.

108 Paris, Delagrave, 1928.

109 Vernier s’occupe de la Constitution ; et entre 1946 et 1948, quand La Gravière siège au Conseil de la République, les questions d’enseignement ne sont guère à l’ordre du jour.

110 Voir Le Lien du 16 février 1850.

111 Henri Cordey, Edmond de Pressensé et son temps (1824-1891), op. cit., p. 346-347.

112 Voir plus haut.

113 Voir Daniel Ligou, Frédéric Desmons et la Franc-maçonnerie sous la IIIe République, op. cit., p. 113.

114 Voir la notice sur Auguste Dide dans Adolphe Robert & Gaston Cougny (dir.), Dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889, op. cit.

115 Voir Catherine Storne-Sengel, Les Protestants d’Alsace-Lorraine de 1919 à 1939, op. cit., p. 303-306.

116 Voir Grace Davie, « Right Wings politics among French Protestants (1900-1945) », op. cit., p. 305. Dans certains de ses écrits, il tient d’ailleurs à faire la différence entre le « laïcisme », qu’il condamne, et la « laïcité », qu’il approuve.

117 Il affirme, notamment : « Messieurs, qu’est-ce qui nous inquiète, c’est la conception de la laïcité athée [...] nous ne voulons pas, nous, d’un État distribuant l’athéisme à nos enfants, ce qui serait une manière de théologie, ce qui serait une violation formelle de la laïcité. Laïques nous sommes, laïcistes non, car le laïcisme, c’est une altération de la laïcité, c’est la laïcité falsifiée [...] C’est une religion nouvelle, religion d’incroyance, qui poursuit son objet sous couvert de la laïcité [...] » (séance du 10 mars 1931, JO du 11 mars 1931, p. 1833). Nous trouvons là l’une des expressions possibles de ce que nous proposons d’appeler la « laïcité protestante ». Sur cette question, voir aussi André Encrevé, « Les protestants face à la “loi Debré” de 1959 », Histoire de l’éducation, nº 110, « Les protestants, l’école et la laïcité », mai 2006, numéro spécial, p. 167-202.

118 Voir Henri Cordey, Edmond de Pressensé et son temps (1824-1891), op. cit., p. 486-492. Notons aussi son intervention en janvier 1884, où il approuve la proposition de loi de Bérenger sur la recherche de paternité (reproduit dans la Revue chrétienne, 1884, p. 59-62), et son discours à propos du divorce (ibid., p. 385-387).

119 En effet, il est clair que tel n’est pas le cas de Desmons, Steeg et Dide. Pour Philip, on peut se poser la question. En effet, Marc Forissier écrit que, le jour de sa consécration au ministère pastoral (le 3 novembre 1893), il « reçoit dans son cœur, pour ne jamais l’oublier, le message paternel qui est celui de saint Paul à son disciple Timothée : “Garde le bon dépôt par le Saint Esprit qui habite en nous.” » (Le Christianisme au xxe siècle, art. cité) Il est vrai que cette formule n’est pas très claire, même si, nous le savons, Forissier insiste sur la foi chrétienne qui a toujours été la sienne. Quant à Lambert, les documents que j’ai consultés ne me permettent pas de formuler une hypothèse à ce propos. Il reste que la longue période de temps qui sépare la fin de leur ministère du début de leur mandat parlementaire laisse penser que, à l’instar des trois premiers, pour ces deux hommes, le mandat de parlementaire n’est pas la poursuite de leur ministère, abandonné depuis plus d’une décennie.

Auteur

André Encrevé est professeur émérite d’histoire contemporaine à l’Université de Paris Est-Créteil. Spécialiste de l’histoire du protestantisme français, il a publié plusieurs ouvrages à ce sujet et, en particulier : Les Protestants et la vie politique française : de la Révolution à nos jours (CNRS Éditions, 2020). Il codirige avec Patrick Cabanel la publication d’un Dictionnaire biographique des protestants français de 1789 à nos jours, dont les deux premiers volumes sont parus (Éditions de Paris / Max Chaleil, 2015 et 2020).

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