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Les paradoxes de la féminisation

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Gilles Combaz

La direction d’école dans le premier degré : une opportunité pour les femmes ?

Texte intégral

Quelques repères sociohistoriques

1Eu égard aux enjeux liés à l’accès au poste de directeur, il nous semble nécessaire, avant d’aborder la période contemporaine, de faire un petit retour en arrière. Parmi ces enjeux, l’un d’eux paraît assez central et constitue une forme de fil rouge : il concerne les relations entre le directeur et ses collègues (qui prennent très vite la dénomination d’adjoints). Actuellement, le directeur n’est pas le supérieur hiérarchique de son équipe d’enseignants. C’est l’inspecteur du primaire qui assume ce rôle. Les travaux historiques montrent que cela n’a pas toujours été le cas (voir infra). C’est important, car cela renvoie à la question du pouvoir. Nous faisons l’hypothèse que cela peut constituer une dimension importante dans les motivations des femmes et des hommes pour briguer un poste de directeur. Un bref rappel historique permettra de suivre les évolutions et les tensions repérables dans ce registre.

  • 1 Pour le département de la Seine, qui représente un cas un peu particulier par rapport à la provinc (...)

2Le statut de directeur apparaît officiellement en France avec la loi Goblet du 30 octobre 1886 (article 23) : « Les titulaires chargés de la direction d’une école contenant plus de deux classes prennent le nom de directeur ou directrice d’école primaire élémentaire. » (cité par Roaux, 2018, p. 28) Il s’agit d’un titre reconnu qui est associé à des avantages financiers importants1. Le directeur est souvent considéré comme un notable dans la ville où il exerce. Il assume une forte tutelle pédagogique vis-à-vis de ses collègues (appelés adjoints) et il est chargé de former les instituteurs débutants. Cette tutelle pédagogique n’est pas toujours bien acceptée, surtout dans les cas où le directeur fait preuve d’un certain autoritarisme. Les adjoints revendiquent une autonomie professionnelle qui sera progressivement reconnue par les autorités de tutelle.

3En 1952, le gouvernement propose la création d’un grade spécifique pour la direction d’école. Cette proposition sera vigoureusement combattue par le Syndicat national des instituteurs (SNI). En 1965, un « emploi de directeur » est officiellement instauré dans les établissements qui comportent 5 classes et plus. Mais ceci demeure une fonction et non un grade. En 1987, le ministre de l’Éducation nationale, René Monory, suggère la création du corps des « maîtres-directeurs ». Celle-ci rencontre, une fois de plus, une forte opposition syndicale. Les arguments développés par l’Association nationale pour le groupement de défense des idées des directeurs d’école (AGDID) sont les suivants : « risque d’une coupure entre les directeurs et les instituteurs ; refus d’une école calquée sur le monde de l’entreprise ; arbitraire dans les procédures de recrutement (poste à profil) ; mise en cause du droit de grève ; déresponsabilisation des instituteurs » (cité par Roaux, 2018, p. 35).

  • 2 Valérie Bazin-Malgras & Cécile Rilhac, « Mission “flash” sur les directeurs d’école », Assemblée n (...)
  • 3 Ibid., p. 6.
  • 4 Ibid., p. 19.

4Signalons enfin l’un des derniers rapports parlementaires sur le sujet, rédigé par Valérie Bazin-Malgras et Cécile Rilhac en 2018. Celui-ci stipule dès l’introduction que « les directeurs et directrices d’école sont des maîtres qui assurent des responsabilités de directeur en plus de leur fonction d’enseignant et sans réel pouvoir de décision2 ». Les deux rapporteures ajoutent que « le directeur a beaucoup de responsabilités mais il lui manque d’une part le temps et les moyens pour remplir ses missions, d’autre part la légitimité pour asseoir son autorité et ses décisions3 ». Elles préconisent la création « [...] d’un véritable statut de directeur d’école, avec un recrutement par concours ou une validation des acquis de l’expérience pour les directeurs déjà en poste ainsi qu’une formation initiale et continue4 ».

  • 5 Décret nº 89-122 du 24 février 1989 relatif aux directeurs d’école, JORF, 26 févr. 1989.
  • 6 Circulaire nº 2014-163 du 1er décembre 2014 relative au référentiel métier des directeurs d’école.

5Actuellement, la fonction est régie par le décret du 24 février 19895. Celui-ci définit trois missions : le pilotage pédagogique de l’école, le bon fonctionnement de l’école, les relations avec les parents d’élèves et les partenaires de l’école. Ces orientations générales sont reprises dans une circulaire datant du 1er décembre 20146 (voir encadré infra).

6Compte tenu des questions qui sont les nôtres, il nous paraît important de nous arrêter sur les analyses issues des travaux historiques de Jérôme Krop, en particulier celles qu’il développe dans son ouvrage Les Fondateurs de l’école républicaine (2016). Sa recherche concerne des institutrices et des instituteurs recrutés entre 1879 et 1886 dans le département de la Seine. À partir des 4 404 dossiers personnels de carrière disponibles aux archives départementales de Paris, l’auteur a réalisé un échantillonnage aléatoire permettant l’étude des itinéraires de 360 institutrices et de 310 instituteurs. L’auteur précise que, pour la période concernée, l’accession au poste de direction représente la principale promotion à laquelle les maîtres peuvent prétendre. Il mentionne également que le directeur exerce un réel pouvoir sur la vie de l’école et qu’il assure un contrôle très strict du travail de ses adjoints. Les femmes et les hommes ne sont pas en concurrence pour accéder à la direction, puisque les directrices dirigent les écoles de filles et les directeurs les écoles de garçons. Sur 310 instituteurs étudiés, 80 ont été directeurs. Parmi les facteurs favorisant ce type de promotion, le passage par une école normale d’instituteurs représente un atout décisif. Pour les femmes, la proportion de celles qui deviennent directrices est relativement proche (80). Contrairement à ce qui a été observé pour leurs homologues masculins, le passage par une école normale ne paraît pas déterminant. Notons que le statut matrimonial et le nombre d’enfants n’influencent pas significativement leur accès à la direction. Ce qui n’est pas le cas pour la période contemporaine, comme nous le verrons plus loin. La comparaison des carrières des femmes et des hommes devenus directeurs met en lumière quelques différences, mais Jérôme Krop conclut son chapitre en écrivant que « les promotions féminines répondent aux mêmes règles générales que pour les carrières masculines et subissent des contraintes identiques, du rôle central du diplôme et de l’appréciation de l’inspecteur » (2016, p. 190). Depuis la IIIe République, des évolutions assez importantes ont contribué à modifier le statut et les fonctions du directeur d’école. Par conséquent, l’accession à ce type de poste ne renvoie pas tout à fait aux mêmes enjeux.

Les missions du directeur d’école dans le premier degré en France

La direction des écoles maternelles et élémentaires de 2 classes et plus est assurée par un directeur d’école appartenant au corps des professeurs des écoles ou au corps des instituteurs. Le décret du 24 février 1989 définit 3 missions : le pilotage pédagogique de l’école, le bon fonctionnement de l’école, les relations avec les parents d’élèves et les partenaires de l’école. Le directeur d’école assure la coordination entre les maîtres ; il anime l’équipe pédagogique et veille au bon déroulement des enseignements. Il s’assure des conditions nécessaires à la progression de tous les élèves dans l’école, y compris des élèves à besoins éducatifs particuliers. Il est chargé de coordonner l’élaboration du projet d’école, en cohérence avec le projet académique. Le directeur d’école veille à la bonne marche de l’école et au respect de la réglementation qui lui est applicable. À ce titre, il est chargé de procéder à l’admission des élèves inscrits par le maire, d’organiser le service de surveillance et de s’assurer de l’assiduité des élèves. Il préside le conseil d’école qu’il réunit au moins une fois par trimestre et il organise l’élaboration du règlement intérieur, soumis au vote du conseil d’école, ainsi que le service des personnels territoriaux affectés à l’école. Il arrête le service des enseignants nommés dans l’école. Enfin, il est responsable de la mise en œuvre des dispositions relatives à la sécurité des bâtiments. Le directeur représente l’institution scolaire auprès de la commune, notamment pour la définition et le pilotage des politiques éducatives territorialisées. Il veille à la qualité des relations de l’école avec les parents d’élèves et avec l’ensemble des partenaires de l’action éducative (collectivités territoriales, acteurs associatifs, autres services de l’État). Il contribue également à la protection de l’enfance avec les services compétents.
Sources : site www.eduscol.education.fr (mars 2021), décret nº 89-122 du 24 février 1989 et circulaire nº 2014-163 du 1er décembre 2014.

Diriger une école aujourd’hui

7Actuellement, les directrices et les directeurs sont recrutés parmi les enseignants du premier degré. Contrairement aux personnels de direction du second degré, le directeur d’école n’est pas recruté par concours. Après un entretien réalisé avec des responsables de l’administration scolaire, des inspecteurs de l’Éducation nationale (IEN) et des directeurs d’école en activité, le candidat retenu est inscrit sur une liste d’aptitude pour trois ans. En fonction des postes vacants et après avis d’une commission paritaire, les candidats sont nommés par le directeur académique des services de l’Éducation nationale.

8Comme nous l’avons indiqué, le directeur n’est pas le supérieur hiérarchique des enseignants. Mais diriger une école représente néanmoins l’une des possibilités pour progresser dans la carrière. La notion de carrière est utilisée ici au sens courant du terme : il s’agit des différentes étapes de la vie professionnelle. Outre les activités d’enseignement, le professeur des écoles peut exercer des fonctions qui seront considérées ici comme des possibilités d’évolution dans la carrière : directeur d’école, maître formateur ou conseiller pédagogique. Une certaine ancienneté et l’obtention de qualifications internes à l’Éducation nationale sont nécessaires pour accéder à ces fonctions. Il existe aussi d’autres possibilités pour évoluer professionnellement en changeant de corps dans la fonction publique. Dans cette perspective, les voies les plus souvent empruntées sont les concours de recrutement des inspecteurs de l’Éducation nationale (pour le premier degré) ou de personnels de direction du second degré.

9Les questions auxquelles nous essaierons d’apporter quelques éléments de réponse sont les suivantes : l’opportunité de diriger une école est-elle saisie de la même manière par les femmes et par les hommes ? Les avantages matériels (indemnités, décharge) et symboliques (reconnaissance par les familles, les collectivités locales) sont-ils appréciés de façon identique selon le sexe ? Les facteurs liés à la vie personnelle et familiale jouent-ils un rôle dans l’accès à la fonction ? Les motivations pour accéder au poste sont-elles comparables ?

Une surreprésentation qui n’en est pas une

10Nous avons montré dans le premier chapitre que les directrices sont proportionnellement bien plus nombreuses que les directeurs. Mais le recours aux statistiques nationales n’est pas satisfaisant. Ces données offrent une image biaisée, car elles ne permettent pas de tenir compte de la féminisation qui caractérise le vivier de recrutement (constitué essentiellement des professeurs des écoles). Pour pallier cet inconvénient, nous avons réalisé notre propre recueil de données. Ainsi, nous avons réalisé un échantillonnage pour l’ensemble du territoire français. Pour chacune des 26 académies métropolitaines, 2 départements ont été tirés au sort. La Réunion et la Martinique ont été également retenues pour représenter les départements d’outre-mer. Sur les 54 départements contactés en 2013, 22 ont accepté de nous transmettre leurs données. Cet échantillon reflète assez bien la diversité des situations (voir tableau IV en annexe). Ces matériaux permettent d’étudier la répartition par sexe des différentes fonctions pouvant être exercées dans le premier degré (dont les fonctions de direction).

11L’exploitation de ces matériaux permet de montrer que les chances d’accéder aux différentes fonctions proposées dans le premier degré – dont la direction d’école – ne sont pas identiques pour les femmes et pour les hommes (tableau 32).

Tableau 32. Répartition des fonctions exercées dans le premier degré selon le sexe en 2013 (effectifs et %)

Tableau 32. Répartition des fonctions exercées dans le premier degré selon le sexe en 2013 (effectifs et %)
  • 7 Nous rappelons que l’école primaire réunit l’école maternelle et l’école élémentaire.

12Tout se passe comme si la répartition des différents postes répondait aux critères traditionnels de la division sexuée du travail. Certaines fonctions sont comparativement plus investies par les hommes. Ce sont aussi les fonctions qui, du point de vue académique, sont considérées comme les plus prestigieuses. C’est le cas pour la direction d’école élémentaire ou d’école primaire7 : proportionnellement, les hommes sont deux fois plus nombreux que les femmes (tableau 32). Même si les effectifs sont beaucoup plus réduits – ce qui traduit indirectement la rareté et le prestige du poste –, les hommes sont également deux fois plus représentés parmi les directeurs d’école d’application et les conseillers pédagogiques. Ils sont aussi plus souvent maîtres formateurs. En revanche, les femmes sont plus fréquemment directrices d’école maternelle. Ce résultat peut conforter l’idée reçue selon laquelle les femmes seraient « naturellement » tournées vers l’éducation des jeunes enfants. Cette représentation stéréotypée est non seulement véhiculée par l’opinion commune, mais aussi par les formateurs (voir Ferrière, 2013).

13Tous les résultats présentés jusqu’ici corroborent pleinement ce qui a été observé pour d’autres emplois féminisés : lorsqu’ils exercent dans ce type de profession, les hommes accèdent plus souvent à des postes qui supposent d’assumer un certain nombre de responsabilités.

14Pour interpréter ces résultats, il est intéressant de mobiliser les travaux qui ont analysé la position des femmes et des hommes dans des emplois où leur sexe est minoritaire. À cet égard, Christine Guionnet et Érik Neveu mentionnent que si les femmes se heurtent au fameux « plafond de verre » lorsqu’elles souhaitent progresser dans leur carrière alors qu’elles exercent une profession dite « masculine », les hommes dans les emplois dits « féminins » se retrouvent au contraire dans une situation privilégiée et ont une carrière accélérée (Guionnet & Neveu, 2009, p. 208). C’est notamment ce que montrent les travaux de Christine Williams (1992), qui a étudié la situation d’hommes exerçant des métiers traditionnellement féminins aux États-Unis (gardes d’enfants, bibliothécaires, travailleurs sociaux). Pour illustrer ce phénomène, elle a recours à la métaphore de « l’escalator de verre ». Des travaux français récents révèlent des tendances comparables : ils montrent que les hommes exerçant dans une profession fortement féminisée cherchent généralement à se distinguer en accédant à des postes à responsabilités ou en assumant des tâches requérant une haute technicité. C’est le cas notamment pour les éducateurs spécialisés (Bodin, 2011), pour les infirmiers libéraux (Douguet & Vilbrod, 2008), pour les hommes sages-femmes (Charrier, 2004), pour les enseignants d’école maternelle (Jaboin, 2013) ou pour ceux qui interviennent dans le secteur de l’enseignement spécialisé (Jaboin, 2010). Pour interpréter ce phénomène, ces auteurs soulignent le poids des représentations sociales et des modèles sexués traditionnels. Ils mettent en évidence l’importance des clichés et des attentes sociales des collègues de travail, des supérieurs hiérarchiques et des usagers, qui tendent à pousser les hommes exerçant ces emplois dits « féminins » à accéder à des postes de gestion, d’administration et à responsabilités. Pour une part, la direction d’école dans le premier degré est assimilable à ces situations.

15Les tendances mises au jour jusqu’ici sont intéressantes, mais elles demeurent incomplètes. Elles laissent dans l’ombre certains enjeux liés à l’accès aux différents types de direction. Nous l’avons déjà suggéré : tous les postes de direction ne se « valent » pas. Certains sont plus attractifs que d’autres, notamment du point de vue des avantages financiers et symboliques qu’ils procurent. Ces dimensions sont-elles prises en considération de la même manière par les femmes et par les hommes ? Pour répondre à cette question, nous avons mobilisé des données issues de l’enquête nationale que Christine Burgevin a menée dans le cadre de sa thèse de doctorat (2012). Les caractéristiques de celle-ci sont présentées dans l’encadré ci-contre. Pour la rédaction de ce chapitre, nous avons réalisé une analyse secondaire des matériaux recueillis.

L’enquête nationale menée par Christine Burgevin

Dans le cadre de sa thèse soutenue à l’Université Lumière Lyon 2, Christine Burgevin a recueilli des données à partir d’un questionnaire permettant d’appréhender les caractéristiques qui peuvent s’avérer discriminantes en ce qui concerne l’accès à la fonction de directeur d’école dans le premier degré : l’âge, la situation personnelle et familiale, le niveau de diplôme, l’origine sociale, la taille de l’école dirigée (nombre de classes de l’établissement), etc. Des questions ont également été posées à propos des activités extraprofessionnelles (implication dans des associations culturelles, des organisations syndicales, etc.). Deux questions ouvertes ont permis de cerner les motivations des personnes interrogées vis-à-vis du poste de direction. À partir d’un échantillonnage aléatoire, 2 639 directeurs et directrices ont été contactés pour remplir le questionnaire. Après une relance, 418 questionnaires ont été renvoyés, soit un taux de retour de 15,8 %, ce qui constitue un retour acceptable compte tenu des nombreuses sollicitations dont les directeurs font l’objet. Par rapport aux données nationales, l’échantillon présente quelques spécificités : il comporte moins d’écoles de petite taille, davantage d’écoles composées de 6 à 10 classes ; la proportion d’écoles classées en zone d’éducation prioritaire (ZEP) est plus élevée (voir tableau V en annexe). En revanche, la répartition par type d’école et le pourcentage de femmes parmi les directeurs (68,1 %) ne sont pas très éloignés des moyennes nationales. L’échantillon est aussi caractérisé par le fait que les femmes jeunes y sont surreprésentées (voir tableau VI en annexe). Cette caractéristique a été prise en considération dans les analyses, car elle a des répercussions directes sur l’accès aux postes de direction par le biais des barèmes utilisés par l’administration pour les affectations. Cette démarche quantitative a été complétée par une série de 28 entretiens semi-directifs menés en région parisienne (18 femmes et 10 hommes). Les directrices interviewées sont en moyenne plus jeunes, elles ont davantage d’ancienneté et les écoles qu’elles dirigent sont un peu plus souvent en ZEP. Ces entretiens ont permis d’aborder les points suivants : le déroulement de la carrière, les aspects liés à la situation personnelle et familiale, l’implication dans la sphère associative en dehors des activités professionnelles.

Enjeux financiers et symboliques

  • 8 Les résultats présentés concernent la période choisie comme année de référence par rapport à nos e (...)

16Les enjeux financiers et symboliques sont directement liés à la taille de l’école dirigée (nombre de classes). Cette dernière détermine le montant des indemnités versées et l’importance de la décharge de service. En ce qui concerne la rémunération, les bonifications indiciaires mensuelles varient du simple à plus du double entre la direction d’une école comprenant de 1 à 4 classes et la direction d’une école composée de 10 classes et plus (tableau 33)8. Aux bonifications indiciaires s’ajoutent des indemnités annuelles, pour lesquelles les différences sont beaucoup moins marquées.

Tableau 33. Indemnités versées aux directeurs d’école en 2012-2013

Tableau 33. Indemnités versées aux directeurs d’école en 2012-2013

17En fonction de la taille de l’école, le directeur peut bénéficier d’une décharge par rapport à son service d’enseignant. Là aussi, les différences sont loin d’être négligeables : 1 à 4 classes, aucune décharge ; 5 à 9 classes, une journée hebdomadaire ; 10 à 13 classes, deux journées ; 14 classes et plus, décharge complète. Certes, la direction d’une école de taille importante suppose un investissement lourd (voir témoignage de Madame B. infra), mais dans le cas d’une école de taille réduite le cumul des tâches de natures très différentes (enseignement et direction) se révèle souvent difficile. La décharge complète entraîne l’absence de contact direct avec les élèves en classe, ce qui peut être apprécié différemment selon le sexe. Une partie des femmes interrogées ne souhaitent pas être déchargées totalement. Elles veulent conserver une activité d’enseignement. Certaines directrices ne supportent même pas le fait de bénéficier d’une décharge partielle, comme en témoigne cette directrice d’école primaire de 48 ans :

Mon travail principal ce n’est pas la direction, c’est la classe. Quand mes filles sont nées, j’ai fait trois ans de mi-temps, j’ai très mal vécu cette période. J’avais besoin de temps pour m’occuper de mes filles. Mais pour l’école, je l’ai très mal vécu, ça n’était plus ma classe, elle était partagée avec quelqu’un, ça n’allait pas du tout et j’étais très contente de reprendre à plein temps. Quand on m’a annoncé que j’allais avoir une remplaçante une journée par semaine, j’étais en panique complète.

18Par rapport à la décharge d’enseignement, le positionnement des hommes semble quelque peu différent. Ainsi, au nom de l’efficacité et pour demeurer plus proche de ses collègues, l’un des directeurs interviewés indique :

Je ne veux pas être complètement déchargé. On ne peut être efficace en tant que directeur que si l’on garde une fonction d’enseignant. On va pouvoir faire avancer les choses parce qu’on a toujours les mains dans le cambouis. On n’est pas détaché des problèmes des collègues, et c’est cette situation-là que je trouve intéressante. (Directeur d’école maternelle de 4 classes, 47 ans)

19Il existe également des enjeux plus symboliques. Diriger une école composée de nombreuses classes n’a pas la même signification qu’être à la tête d’une petite structure. Même si elle n’est pas mesurable directement, la reconnaissance sociale de la part des parents d’élèves, des responsables des collectivités territoriales et de la hiérarchie administrative n’est pas identique.

Tableau 34. Accès à la direction d’école en fonction du sexe, de l’âge et de la taille de l’école (effectifs et %)

Tableau 34. Accès à la direction d’école en fonction du sexe, de l’âge et de la taille de l’école (effectifs et %)
  • 9 Sans que l’on puisse comparer avec la situation d’un chef d’entreprise, le directeur d’une école d (...)

20Rappelons que dans l’enquête par questionnaire réalisée par Christine Burgevin, les femmes sont, en moyenne, plus jeunes que les hommes. Or l’âge est lié à l’ancienneté et c’est l’une des données prises en considération pour l’accès aux postes. Il convient donc de croiser le sexe, la taille de l’école et l’âge. À cet égard, nous remarquons qu’à partir de 45 ans les hommes dirigent plus souvent des écoles de taille importante, tous types de direction confondus – maternelle, élémentaire et primaire (tableau 34). Pour les plus jeunes (34 ans et moins, 35-44 ans), les différences ne sont pas significatives. Non seulement les hommes ont davantage de chances d’accéder aux fonctions de direction, mais à partir d’un certain âge, lorsqu’ils sont directeurs, ils occupent les postes les plus intéressants du point de vue des rémunérations, de la décharge de service et de la reconnaissance sociale9.

Les autres enjeux

21Aussi importants soient-ils, les avantages financiers et symboliques ne résument pas l’ensemble des enjeux. Au cours de leurs premières années d’exercice, les enseignants sont contraints à une grande mobilité. Ils occupent des postes « provisoires ». Dans un contexte caractérisé par une pénurie de candidats pour les postes de direction (Duchauffour, 2013), l’accès à cette fonction permet à de jeunes enseignants d’obtenir rapidement un poste fixe. Pour d’autres, cela représente une occasion de se rapprocher de leur domicile ou d’être plus disponibles pour leurs propres enfants, comme c’est le cas pour Madame L., 41 ans. Titulaire d’un diplôme de 3e cycle en neurobiologie, Madame L. se destine à l’enseignement supérieur. Pour diverses raisons (notamment familiales), elle renonce à cette orientation et opte pour le professorat des écoles. Elle demande très rapidement la direction d’une école avec une seule classe pour avoir un poste fixe et se rapprocher de son domicile. Très sensible à l’ascension sociale dont elle a bénéficié (ses grands-parents étaient ouvriers), elle suit attentivement la scolarité de ses deux filles. Son mari, ingénieur hospitalier, est peu disponible pour prendre en charge ce type de tâche.

  • 10 Le croisement du sexe et de l’âge ne donne lieu à aucune différence significative.

22Le souhait d’obtenir un poste fixe est un peu plus marqué chez les femmes (10,6 %, contre 4,2 % pour les hommes. P < .10) et chez les enseignants les plus jeunes (22,4 % pour les 25-34 ans, contre respectivement 8,2 % pour les 35-44 ans, 5,6 % pour les 45-54 ans et 2,4 % pour les 55 ans et plus. P < .01). L’occasion de se rapprocher de son domicile est évoquée aussi bien par les femmes que par les hommes (11,5 % et 9,5 %). En revanche, cette forme de motivation est plus développée chez les plus jeunes (24,5 % pour les 25-34 ans, contre respectivement 15,5 % pour les 35-44 ans, 5,6 % pour les 45-54 ans et 0 % pour les 55 ans et plus. P < .01)10.

Une directrice « multitâches »

Madame B., 53 ans, est diplômée de l’École polytechnique féminine. Elle travaille pendant seize ans comme ingénieure informatique dans plusieurs sociétés privées. À la suite d’un licenciement, elle passe le concours de professeur des écoles. Après cinq ans d’expérience, elle accepte – fortement incitée par son supérieur hiérarchique – de diriger l’école (7 classes) dans laquelle elle enseigne. Après une fusion, l’école classée en ZEP compte désormais 18 classes. Toujours directrice, Madame B. est complètement déchargée d’enseignement. Invitée à décrire ses activités, elle indique qu’elle est une personne « multitâches », jouant le rôle d’interface entre tous les acteurs impliqués dans le fonctionnement de l’école. Elle reçoit les élèves malades ou indisciplinés au gré des incidents qui émaillent le quotidien scolaire. Elle organise régulièrement des réunions d’information pour les parents d’élèves. Elle accueille ceux qui sont confrontés à de graves difficultés socioéconomiques ou familiales. Pour cela, Madame B. est en relation avec les services sociaux. Elle travaille avec les services scolaires et techniques de la mairie pour les commandes de fournitures et les travaux à réaliser au sein de l’école. Elle assume un travail administratif considérable (rapports et statistiques demandés par la hiérarchie). Elle anime l’équipe des enseignants (projet d’école, équipe éducative pour les élèves en grande difficulté). Madame B. s’occupe également d’une équipe d’agents de service (ménage et cantine). Ne bénéficiant pas de secrétariat, elle joue aussi le rôle de standardiste et de portier. Travaillant douze heures par jour, confrontée à de multiples demandes provenant de personnes différentes, elle souligne l’importance d’être très « réactif » et adaptable.

Tableau 35. Situation personnelle en fonction du sexe et de l’âge (effectifs et %)

Tableau 35. Situation personnelle en fonction du sexe et de l’âge (effectifs et %)

Situation personnelle et aspects familiaux

23Dans le deuxième chapitre, nous avons montré que les cheffes d’établissement du second degré sont plus souvent célibataires, divorcées, séparées ou veuves que leurs collègues masculins. Qu’en est-il pour les directrices d’école ? Pour les plus jeunes (34 ans et moins et 35-44 ans), les différences observées sont peu marquées et elles ne sont pas significatives statistiquement (tableau 35). Tout se passe comme s’il fallait attendre que le déroulement des itinéraires personnels et des carrières se réalise – avec, dans certains cas, des difficultés pour articuler les différents temps de vie – pour qu’interviennent des ruptures biographiques plus ou moins importantes (divorce ou séparation) ou que la personne opte pour un mode vie permettant d’éviter les responsabilités familiales (célibat).

24Parmi les femmes interviewées qui vivent en couple, une majorité souligne la prégnance des modèles traditionnels de partage des tâches. Interrogées sur la part relative de celles qui accèdent à la direction, certaines évoquent une forme d’inhibition :

[...] c’est parce que les femmes ne se donnent pas la disponibilité pour le faire et puis parce que, parfois, elles subissent des situations difficiles. Nous sommes au xxie siècle, mais nous restons tout de même dans le schéma classique : la femme est maternelle, la femme est à la maison, la femme s’occupe des enfants, on est encore pas mal dans ce schéma-là. (Directrice d’école élémentaire de 4 classes, 45 ans)

Certains hommes interrogés précisent qu’ils n’ont pas conscience de l’ampleur des tâches domestiques et ils comptent sur la vigilance de leurs épouses pour leur rappeler ce qu’ils doivent entreprendre :

J’ai toujours participé, mais je pense que les hommes n’en font pas assez. C’est que, probablement, comme tous les hommes, je ne vois pas toujours ce qu’il y a à faire. Donc, j’insiste toujours auprès de mon épouse en disant : « Dis-moi si tu as besoin, s’il faut passer l’aspirateur ou laver le sol, dis-moi si tu as besoin d’un coup de main pour étendre le linge. » Parce que sinon, c’est vrai que quand je suis en train de lire, il y a des choses que je ne vois pas forcément. (Directeur d’école primaire, 61 ans)

Nous ne mettons pas en cause la bonne volonté de cet homme ni l’authenticité de ses propos, mais ces derniers témoignent de la prégnance des stéréotypes sexués. Certains observateurs objecteront qu’il faut prendre en considération les caractéristiques générationnelles. Il s’agit ici d’une personne relativement âgée qui n’a peut-être pas bénéficié d’une socialisation intégrant la question de l’égalité entre les sexes.

25Dans d’autres cas, certains hommes indiquent que leur compagne est beaucoup plus exigeante qu’eux dans le domaine des tâches domestiques. Ils considèrent qu’il ne faut pas être « maniaques » et consacrer trop de temps à ce type « d’occupation ». Du coup, l’investissement est dissymétrique.

26Au cours des entretiens, certains directeurs tiennent à souligner le rôle décisif qu’a joué leur conjointe pour favoriser leur progression professionnelle :

J’ai eu la chance d’avoir cette femme-là, parce que c’est vrai qu’elle a assumé quasiment la totalité des tâches. Il m’arrivait de faire le ménage le samedi ou le mercredi, bon, nous faisions aussi les courses ensemble. Mais tout ce qui est de la cuisine [...] ce n’est pas mon truc. Sans mon épouse, je ne serais jamais arrivé à ce que je suis. (Directeur d’école maternelle, 57 ans)

27Comme nous l’avons mentionné dans le premier chapitre, l’articulation des différents temps de vie fait l’objet d’évolutions et, lors des entretiens, certains hommes ont bien précisé qu’il fallait savoir composer, notamment par rapport aux souhaits de mobilité géographique :

[...] j’ai essayé un petit peu de me calmer parce que j’avais tendance à [vouloir] partir à l’étranger. Je voulais vraiment aller travailler à l’étranger, mais quand j’ai vu qu’il fallait choisir, j’ai fait en sorte d’avoir un boulot un peu plus stable et en France. [...] Ma femme, elle, c’est exactement l’inverse. Elle est née à Paris, elle n’a pas bougé de ce lieu depuis son enfance, elle a fait ses vingt-cinq années à Paris. Pour elle, c’était exactement le problème inverse, elle ne voulait pas bouger, donc il a fallu, à un moment donné, composer. (Directeur d’école maternelle de 4 classes, 47 ans)

28Les situations concrètes évoquées jusqu’ici traduisent une asymétrie dans l’investissement professionnel des femmes et des hommes. Il arrive également – mais c’est beaucoup plus rare chez les personnes interviewées – qu’une forme d’équilibre s’instaure entre les deux conjoints, comme c’est le cas pour cette directrice d’école élémentaire de 35 ans :

Mon mari est pépiniériste-paysagiste. Il travaille beaucoup et c’est quelqu’un qui se donne à fond dans son travail. Il ne rentre pas très tôt à la maison et il fait beaucoup d’heures supplémentaires. Il ne rechigne jamais sur le travail. Il lui est donc difficile de me reprocher de passer du temps à mon propre travail. Si j’avais eu un mari disposant de beaucoup de temps libre et qui aurait souhaité que l’on ait des loisirs ensemble, je pense que ça aurait posé problème.

29Nous avons mis au jour l’importance de l’investissement dans les tâches domestiques et les variations auxquelles il donne lieu en fonction du sexe. Qu’en est-il du temps consacré à l’éducation des enfants. Observe-t-on des différences selon le sexe et l’âge ? L’enquête par questionnaire montre que, jusqu’à 54 ans, les hommes et les femmes ne se distinguent pas (tableau 36). À partir de 55 ans, les différences selon le sexe s’accentuent : 71 % des directrices n’ont plus d’enfant au foyer, contre 50 % pour les hommes. Libérées des charges éducatives, ces femmes peuvent envisager d’accéder à un poste de direction. Les matériaux recueillis par entretiens accréditent cette thèse. Plusieurs femmes insistent sur la difficulté de mener de front l’éducation de jeunes enfants et les tâches de direction. Certaines d’entre elles semblent attendre que les enfants soient suffisamment âgés pour accéder à une direction d’école :

À présent, mes enfants sont quand même grands. J’ai une fille qui fait des études supérieures et l’autre, collégienne, qui est très indépendante, elle nécessite donc moins de présence. [...] Cela me permet d’assumer la direction. Je ne me verrais pas avec des enfants en bas âge avec cette direction parce que c’est vrai que ça prend du temps. [...] Il faut quand même de la disponibilité horaire. Quand on a des enfants en bas âge, je pense qu’on n’a pas cette disponibilité. (Directrice d’école maternelle, 46 ans)

30Plusieurs travaux sociologiques ont montré que la paternité ne constituait pas nécessairement un frein pour la carrière des hommes. C’est notamment le cas pour les ingénieurs (Marry & Gadéa, 2000). Néanmoins, parmi les hommes que nous avons interviewés, certains soulignent que l’investissement dans les tâches de direction s’est réalisé au détriment de la vie familiale et de l’éducation des enfants :

La direction, malheureusement, ça a été au détriment de ma vie familiale. [...] Par moments, je le regrette, bien que mes enfants n’aient pas « mal tourné ». [...] Avec du recul, je m’aperçois que j’ai plus travaillé pour les enfants des autres que pour les miens et, quelque part, ça me dérange un peu. (Directeur d’école maternelle, 57 ans)

Tableau 36. Accès à la direction d’école en fonction du sexe, de l’âge et du nombre d’enfants (effectifs et %)

Tableau 36. Accès à la direction d’école en fonction du sexe, de l’âge et du nombre d’enfants (effectifs et %)

Activités et engagements extraprofessionnels

31Nous avons montré dans le deuxième chapitre que l’engagement des chefs d’établissement du second degré dans les activités extraprofessionnelles est aussi important pour les femmes que pour les hommes. Le degré d’implication varie néanmoins selon le sexe. Les femmes sont plus souvent simples adhérentes et les hommes occupent plus fréquemment des responsabilités. Nous observons des tendances similaires pour les directeurs d’école. Les hommes sont plus souvent membres actifs ou responsables dans des associations culturelles ou sportives, mais aussi dans des organisations syndicales ou politiques (tableau 37). En revanche, il n’y a pas de variations significatives pour les associations humanitaires ou caritatives ni pour l’investissement dans la gestion d’une commune (conseiller municipal, adjoint au maire, etc.). Nous pouvons supposer que la plus grande implication des hommes dans les activités extraprofessionnelles en tant que responsables leur permet d’acquérir des compétences qu’ils sont susceptibles de réinvestir dans leurs fonctions de directeurs. Par ailleurs, elle leur offre la possibilité de constituer des réseaux qu’ils peuvent mobiliser lors de négociations avec les interlocuteurs locaux. Ceci est sans doute déterminant dans les relations que le directeur est amené à tisser avec les collectivités territoriales. Monsieur C., 61 ans, fils d’ouvrier, dirige une école de 10 classes dans laquelle il est enseignant depuis trente-huit ans. Il bénéficie d’une demi-décharge d’enseignement. Outre ses activités professionnelles, il est militant politique et syndical. Il est également conseiller municipal depuis vingt-cinq ans. Il est ainsi dans une position favorable pour défendre les projets que l’école présente à la mairie en vue d’obtenir des subventions. Son implication dans le tissu local lui permet d’être écouté : « Quand on est déjà bien enraciné, c’est vrai que c’est plus facile pour être le bon interlocuteur à la mairie, le bon interlocuteur à la DASS, aux services sociaux..., et on est écouté. » Il souligne que sans le soutien de son épouse cet engagement n’aurait pas été possible.

32Certaines directrices interrogées évoquent le manque de temps pour se consacrer à des activités extraprofessionnelles, notamment la pratique du sport :

Il faut que je reprenne l’activité sportive, mais je n’ai pas le temps. Cela fait bien rire mon médecin parce qu’il dit que l’on peut toujours trouver du temps. Mais je ne peux pas aller faire du sport la nuit ou le soir, à 22 heures. Non, je ne peux pas. Pour l’instant, je suis trop prise par mon travail et par mes enfants. Je pense que je pourrai me dégager du temps dans un an ou deux quand ma deuxième fille sera plus grande. J’ai un conjoint qui a un emploi du temps qui n’est pas du tout compatible avec le mien. (Directrice d’école maternelle, 37 ans)

Tableau 37. Engagement dans des activités extraprofessionnelles, variations selon le sexe (effectifs et %)

Tableau 37. Engagement dans des activités extraprofessionnelles, variations selon le sexe (effectifs et %)

Un bilan en demi-teinte

33La principale question abordée au cours de ce chapitre est celle de la direction d’école dans le premier degré en tant que réelle opportunité pour les femmes d’accéder à un poste à responsabilités. A priori, on peut être tenté de répondre de manière affirmative puisque les statistiques nationales disponibles révèlent que près des trois quarts des directeurs sont des femmes. Ce résultat masque néanmoins le fait que l’enseignement du premier degré est très féminisé. Mais quand on évalue les chances de devenir directeur en tenant compte des possibilités de recrutement selon le sexe, les tendances ne sont plus du tout les mêmes. Proportionnellement, les hommes accèdent plus souvent à la direction d’école et, pour une partie d’entre eux, aux postes les plus intéressants du point de vue de la rémunération et de la décharge de service. Ils occupent aussi plus fréquemment d’autres fonctions leur permettant une évolution de carrière (maître formateur ou conseiller pédagogique). La prise en compte des activités menées dans différentes sphères (professionnelle, personnelle, familiale, etc.) se révèle pertinente pour interpréter les différences qui affectent le déroulement de carrière des hommes et des femmes.

34Cette première contribution centrée sur la direction d’école n’a pas la prétention d’épuiser le sujet. Parmi les pistes qui restent à explorer, il conviendrait d’interroger les enseignants qui n’envisagent pas de devenir directeurs. Cette perspective permettrait de comparer les caractéristiques sociologiques des directeurs en poste et de ceux qui n’ont pas prévu d’accéder à une telle fonction. Déjà entreprise pour le second degré (Cacouault-Bitaud, 1999), ce type d’investigation permet d’analyser et de comprendre les raisons qui poussent certaines femmes (et certains hommes) à rester en retrait par rapport aux opportunités que représente la direction d’un établissement scolaire. Cela peut aussi s’avérer très utile pour l’institution, confrontée à une grave crise du recrutement.

35Le tableau IV consigné en annexe révèle que, selon le département concerné, les chances pour les femmes d’accéder à un poste à responsabilités varient assez sensiblement. Il y a peut-être lieu de s’interroger à ce propos sur les politiques locales de recrutement qui pourraient permettre d’interpréter, en partie, ce résultat. De plus en plus fréquemment, les rectorats et les inspections académiques mettent en place des missions visant à favoriser l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Il serait intéressant de vérifier si celles-ci existent dans tous les départements de notre échantillon et, lorsque c’est le cas, d’analyser les orientations privilégiées et les effets qui peuvent en découler.

Notes

1 Pour le département de la Seine, qui représente un cas un peu particulier par rapport à la province, Jérôme Krop note qu’à la fin des années 1880, le traitement de fin de carrière d’un directeur de la première classe s’élevait à 4 500 francs, soit 50 % de plus que celui d’un adjoint de la première classe (Krop, Lemercier & Schermutzki, 2010, p. 81).

2 Valérie Bazin-Malgras & Cécile Rilhac, « Mission “flash” sur les directeurs d’école », Assemblée nationale, 2018, p. 2.

3 Ibid., p. 6.

4 Ibid., p. 19.

5 Décret nº 89-122 du 24 février 1989 relatif aux directeurs d’école, JORF, 26 févr. 1989.

6 Circulaire nº 2014-163 du 1er décembre 2014 relative au référentiel métier des directeurs d’école.

7 Nous rappelons que l’école primaire réunit l’école maternelle et l’école élémentaire.

8 Les résultats présentés concernent la période choisie comme année de référence par rapport à nos enquêtes empiriques (2012 et 2013). En 2014, les écarts de rémunération ont diminué. Les indemnités mensuelles sont les suivantes : 1 à 3 classes, 149,63 euros ; 4 à 9 classes, 166,30 euros ; 10 classes et plus, 182,97 euros.

9 Sans que l’on puisse comparer avec la situation d’un chef d’entreprise, le directeur d’une école de grande taille bénéficie d’une reconnaissance des acteurs locaux avec lesquels il est fréquemment en relation : parents d’élèves, élus, personnels municipaux, responsables d’associations, etc.

10 Le croisement du sexe et de l’âge ne donne lieu à aucune différence significative.

Table des illustrations

Titre Tableau 32. Répartition des fonctions exercées dans le premier degré selon le sexe en 2013 (effectifs et %)
URL http://books.openedition.org/pul/docannexe/image/36069/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 759k
Titre Tableau 33. Indemnités versées aux directeurs d’école en 2012-2013
URL http://books.openedition.org/pul/docannexe/image/36069/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 470k
Titre Tableau 34. Accès à la direction d’école en fonction du sexe, de l’âge et de la taille de l’école (effectifs et %)
URL http://books.openedition.org/pul/docannexe/image/36069/img-3.jpg
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Titre Tableau 35. Situation personnelle en fonction du sexe et de l’âge (effectifs et %)
URL http://books.openedition.org/pul/docannexe/image/36069/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 984k
Titre Tableau 36. Accès à la direction d’école en fonction du sexe, de l’âge et du nombre d’enfants (effectifs et %)
URL http://books.openedition.org/pul/docannexe/image/36069/img-5.jpg
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Titre Tableau 37. Engagement dans des activités extraprofessionnelles, variations selon le sexe (effectifs et %)
URL http://books.openedition.org/pul/docannexe/image/36069/img-6.jpg
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