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Pour la dignité

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Vincent Gay

Mots d’ordre, pratiques et organisation des ouvriers immigrés

Chapitre 8

La dignité, une cause ouvrière

Volltext

  • 1 Linhart (1978, p. 94).

Pour l’honneur, a dit Primo. Pour la dignité, avons-nous mis sur les tracts. Au fond toutes les grèves se ramènent à ça. Montrer qu’ils n’ont pas réussi à nous briser. Que nous restons des hommes libres1.

1Les conflits de 1982 ont été qualifiés de grèves de la dignité. Le manque de définition explicite de ce qui est entendu par « dignité » laisse la place à une pluralité d’interprétations pouvant se révéler parfois complémentaires, parfois divergentes et qui s’ancrent dans les dynamiques conflictuelles tout en étant tributaires du contexte social et idéologique du début des années 1980 et de l’histoire des entreprises étudiées.

Des usages antagonistes de la dignité

  • 2 L’auteur évoque « la force sociale du flou » à propos de l’antiautoritarisme censé caractériser le (...)

2Diverses sources illustrent une mise en mots et des usages variables de la notion de dignité par différents acteurs. Il est significatif que les deux livres rendant hommage aux grèves de Citroën et de Talbot utilisent le terme dans leurs titres – Citroën : le printemps de la dignité (Benoit, 1982) et Ils ont écrit dignité (ATMF, 1984). On le retrouve dans les discours politiques, les allocutions et les écrits syndicaux, les paroles des grévistes, les rapports du médiateur, mais également chez des acteurs opposés aux grèves. Peu de discours normatifs permettent cependant d’en donner un sens précis. La dignité est donc l’objet d’appropriations sinon contradictoires, du moins variées, qui reflètent la « force sociale du flou » (Gobille, 2008)2 propre à cette notion. En premier lieu, c’est dans les discours et les écrits syndicaux que la dignité apparaît de manière récurrente.

Usages syndicaux

  • 3 Courrier de la CGT Citroën-Aulnay au chef du personnel, 22 avril 1982. AD93, 49J572.
  • 4 « Avec la CGT exigeons tous ensemble des négociations », tract de la CGT Citroën-Aulnay, 24 avril  (...)
  • 5 « Citroën-Aulnay dans l’action cela nous concerne aussi », tract de la coordination CGT des usines (...)
  • 6 « Ensemble décidons », tract CGT Talbot, 2 juillet 1982. Archives CGT de PSA-Poissy.
  • 7 « Citroën : une lutte, un progrès à consolider », Paris syndical, bulletin d’informations de l’uni (...)

3Quelques traces de la notion de dignité sont décelables dans les écrits syndicaux des usines étudiées au cours des années 1960 et 1970, mais sans que cela soit systématique ni même fréquent. Un changement s’observe en 1982, avant même le début des longs conflits, lorsque les ouvriers de l’assemblage carrosserie de l’usine d’Aulnay demandent « le respect des libertés et leur dignité3 », revendication que l’on retrouve ensuite dans presque tous les tracts de la CGT et dans les tracts unitaires. Le premier tract de la CGT après le début de la grève énonce les enjeux mis au jour par les grévistes : « Travailleurs, vous avez raison : vos revendications sont celles de la dignité, celles qui permettent de vivre en hommes libres. Il n’y a pas de liberté sans un salaire, sans des conditions de travail décentes4. »  Le syndicat entrevoit par ailleurs « l’espoir de pouvoir enfin travailler en homme libre, d’être respecté dans sa dignité [qui] s’est levé parmi les salariés les plus exploités5 ». Des énoncés semblables rythment les discours de la CGT pendant les conflits, qu’il s’agisse des tracts ou des banderoles. La reprise du travail marque alors le moment d’une dignité conquise, retrouvée ou enfin respectée. À Poissy, « c’en est fini des atteintes à la liberté et à la dignité. [...] Oui, enfin la liberté, la dignité vont entrer chez Talbot6 ». Bien qu’usant moins du terme, la CFDT signale également que chez Citroën, après la reprise du travail, la lutte se poursuit pour le respect de la dignité et de la liberté des travailleurs7.

  • 8 Tract CGT PSA, juillet 1982, également dans « Ma voix, tout savoir sur le CE », tract CGT Citroën- (...)
  • 9 Tract CGT Citroën-Aulnay, juin 1982. Archives ULCGTAsB.
  • 10 Tract CGT Citroën-Aulnay, 22 avril 1983. Archives ULCGTAsB.
  • 11 Bulletin de syndiqués CGT Citroën-Aulnay, s.d. Archives ULCGTAsB.

4L’importance que revêt cette dimension lors des conflits incite la CGT à en faire un aspect majeur de son identité. La dignité apparaît de manière récurrente dans les appels à la mobilisation des travailleurs, mais également dans la façon dont le syndicat se définit et se présente aux yeux des salariés. À la reprise du travail, la CGT peut s’afficher comme « le syndicat de la victoire, de la liberté, de la dignité8 », la « voix de la dignité9 », et elle adapte son sigle en conséquence, en le remaniant pour y incruster les mots « libertés » et « dignité ». La dignité devient également un argument électoral. Après le printemps 1982, il s’agit de concrétiser la victoire des grévistes, de faire entrer la dignité dans les usines en assurant la prééminence électorale de la CGT, d’où le triptyque « liberté-dignité-CGT10 ». Les appels à la syndicalisation usent d’une rhétorique semblable : faire reconnaître sa dignité et sa liberté ne passe pas seulement par la satisfaction des revendications, mais doit se traduire également par l’adhésion à la CGT. Ainsi, s’adressant dans un tract à un récent syndiqué, la CGT explique qu’après avoir acquis le plus important, « travailler dignement, dans de meilleures conditions, avec un salaire plus juste [...] tu as fait beaucoup plus, car tu as pris la carte de la dignité, la carte de l’homme libre, celle que tu as montrée avec fierté : la CGT11 ». Grève, liberté syndicale et dignité sont étroitement liées dans le discours cégétiste, réactivant un enjeu essentiel posé dès les années 1880 par les conflits ouvriers et la multiplication de « grève[s] dite[s] de “dignité” » (Perrot, 1973, p. 307).

Usages antigrévistes

  • 12 L’évêque de Saint-Denis évoquant les conditions de travail des ouvriers immigrés y fait ainsi réfé (...)

5Si on retrouve la référence à la dignité ailleurs que dans les discours des grévistes ou des syndicalistes12, on peut mesurer son importance dans les usages qu’en fait le camp opposé aux grèves, contraint de prendre position vis-à-vis de cette demande. Un membre de l’encadrement explique par exemple à un journaliste lors de la grève d’Aulnay en 1982 :

  • 13 Rushes d’Haya, film de Claude Blanchet, 1982. AD93, 2AV20648/20651.

Je vous invite à venir demain matin au rendez-vous que nous donnons à nos travailleurs qui ne peuvent pas rentrer dans les usines, qui vont perdre un mois de salaire ou un mois et demi si ça continue, et vous verrez le comportement des ouvriers, des immigrés vis-à-vis de leur agent de maîtrise, vis-à-vis de leur directeur, vis-à-vis de leur chef d’atelier, et vous serez surpris, et vous verrez les gens qui sourient, qui se disent bonjour avec le sourire, il y a d’excellentes relations humaines. Et vous me direz après si, effectivement, la dignité n’est pas respectée chez Citroën13.

  • 14 Déclaration de la CSL Talbot, 10 juin 1982. Archives CGT de PSA-Poissy.
  • 15 Tracts du SNA-CSL Talbot, 8 et 10 juin 1982. Archives CGT de PSA-Poissy.
  • 16 Tract du SNICS-CSL, juillet 1984. Archives ULCGTAsB.
  • 17 Tract du SNICS-CSL, novembre 1984. Archives ULCGTAsB.
  • 18 Bilan de la grève CGT-CFDT de juin 1982, s.d. Archives Talbot-Poissy.

De son côté, la CSL use du terme de dignité à plusieurs reprises, mais pour se réclamer d’une dignité bafouée par ses adversaires syndicaux : estimant que « la “plaisanterie” a assez duré », elle exhorte la CGT et la CFDT à « s’engager par écrit à respecter la liberté du travail, les libertés individuelles, la dignité, le respect des hommes14 ». Pour le syndicat indépendant, la situation créée par les grèves est contraire aux droits et à la dignité des hommes et il y oppose une défense de la dignité liée à la liberté du travail et à la paix sociale15. Cet usage anticégétiste de la dignité perdure après le conflit : « Amis maghrébins, où sont vos libertés, votre dignité ? [...] Ensemble dans la dignité allez mettre un bulletin CSL dans l’urne16. » Et après deux ans de gestion du CE par la CGT : « Qu’avez-vous gagné ? Rien ! Qu’avez-vous perdu ? L’essentiel, votre dignité17. » Enfin, les directions des entreprises revendiquent aussi leur prise en compte de la dignité des employés. À Poissy par exemple, la direction souligne que « la société [Talbot] [n’a] pas attendu la CGT pour aménager des évolutions de carrière et prendre en considération la dignité de chacun18 ».

Une pluralité de sens

  • 19 Le concept de « chaînes d’équivalence », forgé initialement par Ernesto Laclau, peut être défini c (...)

6La profusion du terme « dignité » atteste la centralité d’un problème, mais dit pourtant assez peu de choses sur le sens de cette dignité, construite comme enjeu de lutte. Bien souvent le mot est employé au détour d’une phrase, dans le titre d’un tract ou d’un discours, sans faire l’objet de longs développements. De même, lorsque l’on interroge d’anciens grévistes, leur difficulté à définir la dignité, alors qu’ils en reconnaissent l’importance, porte la marque du flou qui entoure cette notion. Signifiant flottant, la dignité doit donc, pour être interprétée, être resituée dans « les chaînes d’équivalence19 » au sein desquelles elle s’inscrit.

Dignité et liberté, de l’homme et du travailleur

  • 20 « Ensemble décidons », document cité.
  • 21 Courrier d’André Sainjon, secrétaire général de la FGM-CGT, et de René Lomet, secrétaire de la CGT (...)
  • 22 Banderole de la cellule Jacques Duclos du PCF de Citroën-Aulnay lors de la manifestation du 1er ma (...)

7L’association la plus fréquente est celle de la dignité et de la liberté. Sous différentes formes, dans les tracts sont évoquées simultanément « les atteintes à la liberté et à la dignité20 », « la reconnaissance de la dignité et la pratique des libertés21 », l’exigence de « vivre libres dans la dignité, la liberté22 », etc. Si la dignité demeure une notion floue et son usage massif récent, le terme « libertés », en revanche, irrigue le discours syndical chez Citroën et chez Talbot depuis de nombreuses années. Souvent circonscrite à des problèmes précis concernant l’activité syndicale, la promotion des libertés mêle généralement, voire parfois confond ou superpose, les libertés syndicales et la liberté des salariés. Cette tendance à rabattre la dignité sur la liberté puis celle-ci sur les libertés syndicales, en particulier à l’occasion des élections professionnelles, ne doit cependant pas laisser penser que ces questions ne concernent que les syndicalistes. Tout comme est en jeu au xixe siècle une « dignité électorale » lorsque le suffrage contribue à « affecter les relations ordinaires de domination » (Garrigou, 1992, p. 259), chez Citroën et chez Talbot, la liberté de choisir des représentants sans subir les pressions de ses supérieurs contribue à s’émanciper de la tutelle de l’encadrement et à conquérir une part de dignité.

  • 23 Lettre des grévistes aux Pisciacais, 19 juin 1982. Archives CGT de PSA-Poissy.
  • 24 La Tribune, journal de la CGT Talbot, s.d (juin 1982).
  • 25 Tract CGT Citroën-Aulnay, janvier 1983. Archives ULCGTAsB.

8Par ailleurs, on constate une oscillation constante dans le corps de valeurs accolées à la dignité, entre d’un côté une exigence de vivre libre référée aux droits humains, et de l’autre celle de travailler dans la dignité. Cela met en lumière une dichotomie entre l’intérieur et l’extérieur des usines. Ainsi, le système de relations sociales de Talbot est par exemple décrit comme obligeant les salariés à « laisser aux portes de l’entreprise [leurs] libertés individuelles et collectives, [leur] dignité d’homme né libre23 ». Mais à partir de 1982, les ouvriers de production « refusent désormais de laisser aux portes de l’entreprise leurs libertés, leur dignité d’homme24 ». Le rapport entre intérieur et extérieur a à voir ici avec ce qui se joue entre dignité au travail et dignité au sein de la société française. Les références à l’intérieur (l’usine) et à l’extérieur (la société) ne s’opposent pas nécessairement, mais permettent de se référer aux droits humains, à la vie même (« vivre dans la dignité ») en tant que supports symboliques pour faire respecter la dignité des travailleurs sur leur lieu de travail. Grâce aux grèves donc, « la dignité est rentrée dans l’usine25 », répondant à un désir de normalité, à la demande des ouvriers de Citroën et de Talbot d’être traités comme les autres salariés de France.

  • 26 La Tribune, document cité.

9De même, les références récurrentes au fait d’être traités comme des esclaves ne renvoient pas seulement à la dureté du travail, mais également à la nature des relations humaines et à ce que signifie « appartenir à l’entreprise » comme marque de possession, au sens premier du terme, du corps du salarié et de sa force de travail. La dignité ne concerne donc pas seulement l’organisation du travail ou les salaires, mais se fond dans un corps de référents plus vastes, dont les valeurs humanistes censées caractériser la société française constituent l’un des piliers, les entreprises étant renvoyées à l’archaïsme de leurs relations sociales, comme l’indique un tract de la CGT : « On parle beaucoup de dignité dans l’affaire Talbot. Qu’est-ce que cela veut dire pour ceux qui l’exigent ? Être avant tout des êtres humains, des travailleurs à part entière. Rien d’exorbitant dans la France de 1982 dira-t-on ; chez Talbot, si, tant le système est hors des lois et de son époque26. »

10La dignité s’inscrit donc dans différentes chaînes d’équivalence, dont certaines se réfèrent à des principes généraux (liberté, respect de la condition humaine, égalité, démocratie), tandis que d’autres renvoient à des expériences vécues.

Des expériences d’indignité

11Les témoignages de travailleurs immigrés attestent un fort sentiment d’indignité, qui renvoie certes d’abord à la condition d’OS, mais également à la nature des relations humaines, aux formes de commandement, aux attitudes de la hiérarchie ou au régime politique qui organise le quotidien dans les ateliers. Le sentiment d’indignité est donc d’abord perceptible à travers ce qui est dit de ce quotidien, des vexations, brimades ou provocations qui émaillent la vie à l’usine.

  • 27 Courrier de M. Ismaïl Aïtsalah à M. le directeur des usines Citroën d’Aulnay-sous-Bois, 22 janvier (...)
  • 28 Courrier de M. Mohamed Lakhal à M. le directeur des usines Citroën d’Aulnay-sous-Bois, 15 janvier  (...)
  • 29 Appel « Dans l’union, solidarité avec les OS de Talbot, appel à la population de Poissy », 6 juin  (...)

12Avant même le début des conflits de 1982, des plaintes sont émises, au nom de la dignité, par des ouvriers qui mettent en cause l’attitude de leurs supérieurs. Par exemple, en janvier 1982, Ismaïl Aïtsalah demande au directeur de l’usine d’Aulnay d’intervenir afin qu’il « puisse faire du travail de qualité et que [sa] dignité d’homme soit respectée27 ». Mohamed Lakhal revendique lui aussi sa « dignité d’homme » en se plaignant du personnel de maîtrise qui lui fait subir changements de postes, insultes et chantages28. D’autres évoquent le système d’obligations systématisées. Lutter pour le respect de sa dignité, c’est donc non seulement « vouloir mettre fin aux brimades, vexations, insultes racistes, à l’imposition de la carte CSL », mais aussi « agir pour ne plus être obligés de payer le Ricard à la maîtrise, de ramener le “tapis” du pays au chef si l’on veut garder son emploi29 ».

13Ces aspects des relations dans l’usine sont très souvent mentionnés dès que l’on aborde les atteintes à la dignité lors des entretiens. Un OS immigré de Talbot explique ainsi que le non-respect de la dignité tient à l’inégalité dans les évolutions des carrières et des salaires, en même temps qu’à l’impossibilité de se plaindre de telles situations :

  • 30 Entretien avec Youssef, janvier 2013.

La dignité, à partir du moment où tu travailles, tu n’as pas un mot à dire. On te dit « Bah, ta dignité est bafouée. » Par exemple aussi, quelqu’un qui est formé pour évoluer et tu restes, tu bouges pas [d’échelon], et celui qui est là à observer ses camarades, il a tout ce qu’il faut, à ce moment-là t’as plus de dignité. Et s’il faut payer un verre de Ricard pour avoir l’augmentation, moi, je fais pas ça. Dans ce cas-là, je suis formé pour quoi ? Le travail, on commence à la même heure, on termine à la même heure et la fin du mois, t’as 200 francs de plus. Pourquoi30 ?

  • 31 « Conflit Citroën : recommandations du médiateur », 26 mai 1982. Archives ULCGTAsB.

14Les atteintes à la dignité ne peuvent donc être rapportées à une seule dimension. C’est bien l’enchevêtrement des questions de travail, des rapports hiérarchiques et des discriminations qui crée le sentiment d’indignité. Si elles cristallisent les mauvaises relations avec le personnel d’encadrement et les humiliations ou les injustices ressenties, les références à la dignité permettent de signaler d’autres problèmes qui touchent les ouvriers immigrés. Ainsi, l’arrêt des comportements racistes figure de manière récurrente dans les tracts et les documents syndicaux, qui détaillent le contenu et le sens de la demande de dignité, associant dans une chaîne d’équivalence antiracisme et dignité, de même que ce qui touche aux pratiques religieuses des ouvriers. Le discours syndical mêle alors parfois différents motifs de mécontentement tournant tous autour de l’exigence de dignité : droit de grève, libertés syndicales, respect des opinions philosophiques, religieuses ou politiques, etc. Les enjeux de dignité propres aux ouvriers immigrés sont également soulignés par le médiateur des conflits et doivent, selon lui, concerner l’ensemble de la société française, ses valeurs et ses fondements : « La dignité que cette société est capable ou incapable de leur [les immigrés] garantir en toutes circonstances31. » De fait, l’essentiel des témoignages mettant en lumière des atteintes à la dignité concerne des ouvriers immigrés. L’exigence de la dignité ne concernerait-elle alors que ces derniers ? Ou permet-elle de toucher les différents groupes de salariés au sein des usines ?

La dignité, entre enjeu spécifique et vecteur d’unité des salariés

  • 32 Haya, film cité.

15L’idée selon laquelle la dignité serait une question propre aux immigrés se lit dans certains propos de syndicalistes français, qui laissent à penser qu’eux-mêmes ne sont pas concernés au même titre par la dignité. Ainsi, un syndicaliste CGT, délégué depuis 1968 et ayant pourtant subi un certain nombre de brimades et de vexations, explique à propos des OS immigrés : « Ça fait des années qu’on les [les OS immigrés] traite comme des esclaves, et ça, on peut l’entendre, ils le disent : “On est des hommes, on n’est pas des esclaves, on refuse pas de travailler, mais on veut être payés et travailler dans la dignité”32. » Le syndicaliste semble ici s’extraire de l’exigence de dignité : ce sont eux – les ouvriers immigrés – qui le disent, qui exigent de travailler dans la dignité. Cependant, les enjeux syndicaux et politiques conduisent à éviter d’isoler les immigrés du reste du groupe ouvrier. Dès lors, certains usages de la dignité visent à sortir la notion d’une acception spécifique aux ouvriers immigrés afin d’en faire un élément de construction du commun entre les salariés.

  • 33 Ibid.

16Ainsi, face aux menaces qui pèsent sur les OS immigrés lors des restructurations industrielles, certains syndicalistes ou responsables politiques argumentent sur le fait que la dignité participe de l’intérêt national et en particulier de l’intérêt industriel national. Un des nouveaux délégués immigrés de la CGT peut expliquer que « c’est lui [le patron] qui veut casser l’usine, qui veut casser l’industrie française... C’est pas les immigrés qui veulent casser, les immigrés ils veulent travailler avec la dignité et le respect33 ». Un tel discours rencontre les préoccupations du Parti communiste et de la CGT, qui se posent en défenseurs de l’industrie française et du « produire français ». François Assensi, député et responsable communiste d’Aulnay-sous-Bois, déclare ainsi :

  • 34 Rushes d’Haya, film cité. AD93, 2AV20632/20635.

La lutte des travailleurs est fondée selon nous parce que leur lutte pour la dignité se conjugue avec l’intérêt national, et ceci est très important. En défendant leur dignité, leur aspiration à participer à la vie de l’entreprise, en fait ils défendent la prospérité de l’industrie automobile française34.

  • 35 Rushes d’Haya, film cité. AD93, 2AV20636/20639.

De même, une affiche du Parti communiste affirme « Citroën : en luttant pour leur dignité et la liberté ils défendent l’industrie automobile française35 ». Ces discours pointent la complémentarité entre le combat pour la dignité, mené essentiellement par des ouvriers immigrés, et l’intérêt industriel national. Intégrés à la défense du « produire français », les travailleurs immigrés peuvent alors être décrits comme luttant pour l’ensemble des salariés. Un militant communiste, extérieur à Citroën, s’exprime ainsi devant les ouvriers d’Aulnay :

  • 36 Ibid.

Votre lutte, c’est pas seulement la lutte des OS, c’est pas seulement la lutte des immigrés, mais c’est la lutte des travailleurs pour la dignité, pour la liberté. Tout le pays vous observe, tous les habitants d’Aulnay vous observent, et ils savent que si vous gagnez, si cette usine de la peur, demain, par votre action, vous en faites une usine de la démocratie, une usine de la liberté, une usine où il fait bon vivre et travailler, ce sont tous les travailleurs qui en profiteront. Pour la plupart vous êtes des travailleurs immigrés qu’on a fait venir du pays pour les exploiter, en vous disant « ici tu travailles et tu te tais ». Eh bien, nous vous soutenons dans cette lutte, parce que les travailleurs veulent vivre debout, dignes, ils doivent être respectés36.

17L’opposition entre lutte propre aux immigrés et enjeux communs au monde du travail est ici dépassée grâce à une référence commune à la dignité. La formulation d’une politique ouvrière valable pour tous, qui soit également une politique industrielle en défense de l’automobile française, peut être alors énoncée à partir de la lutte menée par les OS immigrés, qui deviennent ainsi porteurs de l’intérêt général.

18En outre, la CGT tente de faire de la dignité une dimension transversale à différentes catégories de salariés en la considérant comme

  • 37 « L’UFICT-CGT s’adresse au ICT-AM de Citroën », 17 septembre 1982. Archives IHS CGT métallurgie, p (...)

le point de départ de nouveaux rapports dans le travail. [...] En même temps qu’ils ont à être attentifs à leur dignité pour eux-mêmes comme pour leurs fonctions, les ingénieurs et agents de maîtrise ont à conquérir les moyens d’exercer véritablement et pleinement leurs responsabilités dans le cadre de rapports sociaux harmonieux37.

Changer les relations sociales dans l’entreprise à travers le respect et la dignité induit donc de transformer la fonction de l’encadrement, de faire de ses membres des agents utiles à l’organisation du travail et non plus des hommes de main de la direction. La CGT utilise donc le vocable de la dignité pour tenter, sans grand succès dans les faits, de tisser une forme d’unité des salariés. En tant qu’élément de transformation des rapports sociaux dans les entreprises mais aussi de valeur relativement consensuelle, elle est alors présentée comme devant bénéficier à tous, contribuant ainsi à redéfinir le rôle de chacun dans l’organisation de la production et à favoriser l’acceptation mutuelle.

  • 38 Gilbert Marion, cité dans « Peugeot-Sochaux : le sens d’une grève », Collectif, nº 9, novembre 198 (...)

19Ainsi, alors que la dignité apparaît d’abord comme une revendication des OS immigrés, ses usages discursifs par les militants syndicaux ou politiques ne sont pas stabilisés et sa signification connaît des extensions et des évolutions. S’agit-il alors d’une notion qui s’applique à tout le groupe ouvrier, à tous les salariés, de manière atemporelle ou au contraire très circonstanciée ? S’agit-il d’un élément circonscrit aux entreprises Citroën et Talbot, ou plus largement du « combat [...] de la fin du xxe siècle », comme l’explique un syndicaliste de Peugeot quelques années plus tard38 ? L’approfondissement des interprétations des significations de la dignité permet de répondre en partie à ces interrogations.

Des interprétations variables

20Au-delà des aspects discursifs, des enjeux de légitimation des conflits et des cadrages des grèves par différents acteurs, la question de la dignité a à voir avec les enjeux de reconnaissance et de justice, ainsi qu’avec les valeurs morales produites par l’expérience de l’usine. Mais n’induit-elle pas également un possible déplacement de la question ouvrière au début des années 1980 ?

La dignité avant toutes choses ?

21Jacques Rancière, à propos des grèves menées entre 1830 et 1851, souligne qu’il n’y a « pas de grève salariale qui n’ait en même temps pour enjeu la dignité ouvrière, qui n’engage le statut même du salariat, dans la question : les ouvriers sont-ils des esclaves ou des hommes libres ? » (Rancière & Faure, 2007, p. 9). L’auteur souligne ici la concomitance ou la prise en charge dans un même mouvement de plusieurs aspects, aussi bien de salaire que de dignité. Une prise en considération dans le même temps donc, mais qui indique une dissociation a priori de deux types d’enjeux, que les grèves font se rejoindre.

  • 39 Entretien avec Joseph Tréhel, octobre 2011.

22Dans les entretiens menés avec d’anciens ouvriers, une opposition peut aussi apparaître entre d’un côté la dignité et la liberté, et de l’autre « la vie réelle39 », autrement dit les conditions de vie et de travail. Cette dissociation, pour peu fréquente qu’elle soit, illustre une concurrence et une hiérarchie des mots d’ordre, qui ne sont pas seulement pensés sous l’angle de la complémentarité et qui touchent aux interprétations des conflits :

  • 40 Un délégué CFDT en 1982, « Mémoire d’un ouvrier immigré », Libération, 11 février 2004.

Ce n’était pas une grève, parce qu’une grève, c’est pour les salaires, des revendications. Non, c’était une révolte. Un accrochage pour la liberté et la dignité40.

  • 41 Entretien avec Christian Bonin, novembre 2009.

Dans les revendications, il y avait la dignité, la liberté, après il y avait les augmentations de salaire, les conditions de travail41.

  • 42 Entretien avec Ahmed, février 2011.

C’était que pour la liberté, même pas pour les salaires42.

  • 43 Entretien avec Abdallah, avril 2011.

Ce qui revenait des salariés, c’était le droit de se syndiquer, la liberté... Ça, ça venait plus que l’argent43.

  • 44 Entretien avec Mehdi, janvier 2013.

Vincent G. – La dignité c’était plus important que des augmentations de salaire ?
Mehdi – C’est exactement ce que j’ai dit. Parce vous pouvez être riche, vous pouvez avoir une augmentation de salaire, mais si vous avez pas la dignité... Moi, je trouve [que] la dignité c’est important [...], si vous avez pas ça, vous avez rien. L’homme doit avoir sa dignité, de dire oui quand il doit [dire oui] ou dire non quand il doit dire non44.

  • 45 Tract CGT Citroën-Aulnay, s.d. (vers septembre 1982). AD93, 248J22.

23Comparés à une tradition syndicale établissant la primauté des revendications salariales et celles touchant aux conditions de travail, ces entretiens énoncent la centralité des enjeux de liberté et de dignité, à tel point que les revendications salariales semblent s’effacer (« c’était [...] même pas pour les salaires ») ou du moins prendre une importance secondaire. On retrouve là l’écho des controverses syndicales quant à la nature et à l’ordonnancement des revendications, d’ordre quantitatif et économique ou qualitatif, ainsi que de la plus ou moins forte perception de l’indignité. Cependant, si les dimensions de reconnaissance et de relations humaines semblent parfois prendre le dessus sur les enjeux salariaux, les discours syndicaux et ouvriers lient bien souvent la question du travail, celle de la dignité et celle des salaires, par exemple lorsque la CGT indique « nous voulons travailler dans la dignité, avec des salaires normaux45 ». La revendication de dignité est donc rarement isolée. De même, dans certains propos de salariés, on observe que les différentes demandes se mêlent. Ainsi, un ouvrier de Citroën-Aulnay explique les raisons de la grève :

  • 46 Haya, film cité.

Pour notre dignité, on est mal respectés, notre paye est pas comme les autres, on est mal payés, quand on va voir le contremaître, qu’on veut demander nos droits, on se fait mettre à la porte [...] Notre dignité, nos payes... C’est des choses... des gros mots pour la maîtrise... quand on défend notre paye, on sera traité par un supérieur... C’est ça notre dignité46.

L’entrelacement d’enjeux de différentes natures pose alors de façon plurielle la question de la reconnaissance dont les ouvriers estiment ne pas bénéficier au sein des usines.

Dignité et reconnaissance

24Au xxe siècle, c’est surtout au sein de l’école de Francfort, en particulier chez Axel Honneth, qu’est pensée la reconnaissance, notamment dans ses dimensions agonistiques. En effet, pour le sociologue et philosophe allemand, la demande de reconnaissance constitue une sorte d’invariant social autour duquel se structurent et se régulent les rapports sociaux. Il invite ainsi à penser la façon dont les groupes s’organisent et luttent à la suite des expériences de mépris social pour demander réparation et reconnaissance. Il pense alors une dialectique des luttes autour des binômes mépris / respect, déni de reconnaissance / reconnaissance, injustice / justice. Il développe par ailleurs l’idée que la reconnaissance s’inscrit nécessairement dans un cadre intersubjectif et collectif. Le rapport à soi qui est en jeu dans la demande de reconnaissance appelle des supports collectifs d’interprétation du déni de reconnaissance susceptibles de devenir des vecteurs d’organisation collective. Honneth peut ainsi expliquer que les expériences de mépris social ne peuvent « fournir la base motivationnelle d’une résistance collective que si le sujet est en mesure de les formuler dans un cadre d’interprétation intersubjectif qui les identifie comme typiques d’un groupe tout entier » (2012, p. 195). C’est donc la façon dont des groupes, des organisations, des mouvements sociaux ou des syndicats interprètent publiquement des expériences individuelles de mépris ou d’indignité comme étant communes à tout un groupe qui permet que ce groupe se constitue comme tel.

25La sphère du travail est une scène essentielle pour la reconnaissance parce qu’elle implique nécessairement une mesure de la valeur des travailleurs et qu’elle met en œuvre des relations interpersonnelles, hiérarchiquement ordonnées, à travers lesquelles les salariés peuvent connaître des situations de mépris ou de reconnaissance. Dès lors :

à quelles conditions une activité peut-elle offrir à un individu une occasion de donner une valeur sociale à ses capacités ? En quoi cette valorisation dépend-elle des conditions d’emploi et en quoi celles-ci dépendent-elles des conditions de travail ? Quels sont les types de reconnaissance décisive au sein des relations de travail ? (Renault, 2007, p. 125)

Emmanuel Renault met ici l’accent sur un aspect essentiel : tout en reconnaissant les attendus moraux, et donc normatifs, attachés à la demande de reconnaissance, le philosophe souligne la nécessité d’inclure cette demande dans l’analyse des dispositifs de travail. Une certaine organisation du travail produit donc une certaine reconnaissance ou un certain déni de reconnaissance par rapport auxquels les salariés sont positionnés et doivent se situer, soit en acceptant et en reproduisant les rapports de reconnaissance produits par l’entreprise, soit en défendant une autre conception qui peut alors donner corps à des luttes pour la reconnaissance.

26De plus, la dignité, individuelle ou collective, nécessite la reconnaissance par d’autres individus ou groupes. Cependant, ce qu’il s’agit de faire reconnaître n’est pas simple à saisir et n’est jamais unidimensionnel : qui faut-il reconnaître ? que faut-il reconnaître ? et comment faut-il reconnaître ? (Lallement, 2007) Pour l’ancienne secrétaire de la CGT de Talbot, les savoir-faire des OS sont un des éléments de cette reconnaissance :

  • 47 Entretien avec Nora Tréhel, février 2011.

On disait qu’il y avait un problème sur l’avenir des OS, est-ce que les OS ont de l’avenir ? Est-ce que les OS sont capables de faire autre chose ? On avait donc toute une démonstration à faire que, contrairement à l’idée qu’on s’en fait, les OS expriment beaucoup de savoir-faire, d’ingéniosité, d’intelligence au travail, dans les tâches les plus primaires, les plus répétitives. [...] Parce qu’il fallait faire la démonstration qu’il y avait un vrai apport personnel de chaque ouvrier dans son travail et que ça, il fallait le reconnaître. OS, c’est pas juste OS, parce que l’ouvrier spécialisé, il met en œuvre d’autres compétences qu’on n’imagine pas [...] Très important déjà de reconnaître, redonner cette dignité... Pour montrer qu’on est tous détenteurs de quelque chose qui apporte à la richesse de l’entreprise47.

27Face à un processus de construction de l’inaptitude, il s’agit donc de faire reconnaître des capacités professionnelles acquises presque clandestinement dans les marges ou les interstices de l’organisation scientifique du travail. Dans un contexte d’inquiétude sur l’avenir des OS, la reconnaissance de leurs qualités professionnelles est d’autant plus un moyen d’imposer l’idée qu’ils ont un avenir dans l’industrie automobile. Ici, la dignité passe par la légitimation de leur place et de leur rôle à l’usine via la reconnaissance de leurs savoir-faire. La dignité est donc corrélée à l’acte de travail lui-même et aux connaissances qui lui sont attachées.

28Un second aspect consiste à se voir reconnaître le droit au respect dans les interactions sociales, en particulier avec le personnel d’encadrement. Dans des propos recueillis en 1982, deux ouvriers immigrés auxquels on demande ce qui va changer grâce à la grève de Citroën expliquent à propos de leurs relations avec leur supérieur hiérarchique :

  • 48 Haya, film cité.

On va pas le déshonorer, il sera toujours un chef, on va pas le déshonorer, mais il y aura pas « oui chef », « oui chef » [en baissant la tête de façon déférente], « chef », c’est tout. [...] Il y aura plus de bouteille de Ricard. Il y a des gens qui vont chez lui pour lui faire du couscous et des brochettes, maintenant ce sera terminé, ni le couscous, ni le Ricard, ni l’apéritif, ni rien du tout qui se passera48.

29Il ne s’agit donc pas de bouleverser les hiérarchies sociales, de contester l’autorité professionnelle du personnel d’encadrement, mais de faire reconnaître les frontières de cette autorité. L’indignité passée des ouvriers immigrés ne doit pas être compensée par le déshonneur des chefs, des relations normales doivent supplanter le mépris et le sentiment d’infériorité antérieurs. « “Chef”, c’est tout » traduit une demande de relations sociales fondées sur une division du travail non contestée, mais qui induit un respect mutuel des personnes occupant des positions différentes dans cette organisation du travail.

30Un troisième aspect tient à la façon dont certains ouvriers cherchent à faire reconnaître de petites parcelles de liberté, des temps conquis sur le rythme de la chaîne, mais également les libertés qu’ils peuvent prendre avec leurs supérieurs. Par exemple, Youssef, ouvrier à Poissy, décrit les relations avec certains de ses chefs sur un mode conflictuel et évoque ainsi son attitude :

  • 49 Entretien avec Youssef, janvier 2013.

J’avais un chef de secteur, on s’est bagarrés parce que chaque fois qu’il passe, parce que moi, chef ou pas chef, si j’ai envie de dire quelque chose je le dis, mais je suis heureux, parce que j’avais ma fierté, ma dignité, ça, ça a pas changé de place, ça, je suis toujours clair. Chaque fois qu’il passe, par exemple, j’ai fini une machine, je tire une cigarette, il passe, il repasse, moi, j’ai fini une cigarette, je fais une autre machine... C’est pas à moi d’aller lui dire bonjour, c’est pas comme certains, dès qu’ils le voient « bonjour chef, ça va chef ? », des trucs comme ça. J’ai horreur de ça49.

Pouvoir fumer quand on le désire et sans se cacher, dire ce que l’on a envie de dire, ne pas se plier aux injonctions symboliques, tout cela participe à l’affirmation d’une part d’autonomie dans les comportements quotidiens et dans l’organisation du travail, autonomie qui ne se vit pas nécessairement en cachette, mais qu’il s’agit au contraire d’imposer aux chefs. Sans nécessairement voir là un acte de résistance, le salarié estime n’avoir pas d’autres devoirs à respecter que le travail qui lui est demandé. Bien qu’il se trouve dans une position dominée, il préserve ainsi son quant-à-soi.

31Si les problèmes liés aux relations interindividuelles sont importants, en rester à ce niveau risque cependant de rendre invisibles d’autres aspects du problème. Or « le rapport de reconnaissance est bien un rapport qui se noue entre individus, mais l’interaction sociale est toujours déterminée par des rapports sociaux qui imposent des rôles déterminés et contraignent à tenter de se faire reconnaître dans ces rôles » (Renault, 2004, p. 43). Dépasser le niveau des relations interindividuelles implique donc de situer ces interactions dans les positions de travail et dans les enjeux politiques propres aux entreprises. Les demandes de dignité et de reconnaissance ne sont pas, ou pas seulement, provoquées par les attitudes de certains chefs, elles sont d’abord une réponse à un ordre politico-industriel qui structure les relations sociales dans l’entreprise. Le tort qui appelle réparation, fondement de la demande de dignité, relève d’un statut, donc d’une position au sein de rapports sociaux. Référée aussi bien aux relations hiérarchiques qu’aux problèmes salariaux, la dignité semble subsumer des thèmes revendicatifs précis pour en faire un enjeu générique qui bouleverse la hiérarchie des revendications.

32La dignité peut donc être abordée de façon pluridimensionnelle, permettant d’éviter un double écueil : celui qui consiste à réduire l’injustice économique à l’injustice symbolique ou vice-versa, et celui qui consiste à autonomiser totalement chacune de ces sphères. Le déni de reconnaissance ne peut être perçu « ni [comme] une formation psychique ni [comme] un tort culturel autonome, mais [comme] une relation institutionnalisée de subordination sociale » (Fraser, 2011, p. 79). On peut alors considérer concomitamment les enjeux de redistribution (les rémunérations) et les enjeux de reconnaissance, ces derniers touchant au fait que « certains groupes ou individus se voient refuser la possibilité de participer à l’interaction sociale sur un pied d’égalité avec les autres », faisant d’eux des « êtres ne méritant pas le respect ou l’estime », indignes « de participer en tant que pair à la vie sociale » (Fraser, 2005, 2011, p. 50).

La dignité comme morale ouvrière

  • 50 Voir notamment les exemples mentionnés par Fassin (2009) et Siméant (2010).

33La perspective historique ouverte par Edward P. Thompson peut nous aider à saisir d’autres dimensions attachées à l’exigence de dignité. L’œuvre de l’historien britannique a donné lieu à de nombreuses interprétations, et son concept d’économie morale a été utilisé parfois de façon très extensive50, laissant de côté l’aspect économique pour insister sur les dimensions morales des phénomènes sociaux ou s’écartant d’un « usage strict [du concept] qui ne peut en toute rigueur s’appliquer qu’aux logiques d’action du peuple, de la foule » (Margairaz & Minard, 2008, p. 98). En effet, on ne retrouvera pas nécessairement dans différents contextes « l’unanimité populaire » ni la « vision traditionnelle et cohérente des normes sociales, des obligations et des fonctions économiques » des classes populaires, dessinant pour Thompson « l’économie morale du pauvre » (1988, p. 34). Néanmoins, l’approche selon laquelle la conscience de classe renvoie à « des traditions, des systèmes de valeurs, des idées et des formes institutionnelles » (2012, p. 16) permet de traiter la dignité non plus seulement sous l’angle de la reconnaissance, mais à partir de ce qu’elle dit des règles morales qu’un groupe élabore et à l’aune desquelles il juge ce qui est légitime et illégitime dans la façon dont il est traité et dans ce qu’il reçoit. L’expérience et l’agentivité des acteurs, leur capacité à agir, invitent à penser la façon dont les valeurs attachées à la dignité n’existent pas a priori, mais se construisent dans les expériences communément vécues. Ainsi, sans réduire les expériences sociales de la domination à leurs seules conditions matérielles, les conditions de vie au sens large (les salaires, les rythmes de travail, les relations humaines dans l’entreprise, la place des OS immigrés dans la société française, etc.) sont contestées au nom de normes morales forgées dans la communauté ouvrière des OS immigrés.

34La référence à la dignité ne prend vraiment corps qu’à travers les grèves. Celles-ci ne révèlent pas nécessairement un « déjà-là » qui n’attendait qu’une étincelle pour s’exprimer, mais elles participent à la construction d’une conscience commune qui se cristallise dans l’exigence de dignité. Les conflits constituent le processus par lequel se construisent des valeurs partagées, le moment à partir duquel il devient pensable de déterminer « un sens du juste et de l’injuste » (Siméant, 2010, p. 156). Une note des Renseignements généraux décrit ainsi l’attitude des ouvriers immigrés :

  • 51 « Les conflits sociaux aux usines Citroën des Hauts-de-Seine : analyse et enseignements », note de (...)

Les catégories des OS immigrés, en majorité marocains, ont manifesté dès le déclenchement du conflit un comportement très « unitaire » et une certaine conscience syndicale et revendicative, peu habituelle parmi cette couche de travailleurs. [...] Ressentant avec une particulière exacerbation les disparités sociales (situation matérielle, salaires, conditions de travail), ils ont revendiqué prioritairement le droit à la « dignité »51.

La description d’une communauté de travail semble ici, comme dans d’autres commentaires, se construire dans la lutte et la solidarité, en se reconnaissant des intérêts communs dont la dignité est l’une des expressions.

35Par ailleurs, les OS immigrés évoquent les promesses non tenues, la réalité d’une France bien éloignée de l’imaginaire construit avant l’émigration, les désillusions provoquées par l’immigration de travail, comme étant l’une des sources de leur révolte. Youssef exprime par exemple un certain ressentiment dû à l’impossibilité d’accéder à des formations et aux inégalités dans les promotions :

  • 52 Entretien avec Youssef, janvier 2013.

Il y a une seule chose [pour laquelle] je voudrais que les gens soient condamnés, c’est les gens qui nous ont fait marcher, qui nous donnent pas nos droits. Parce que moi, par exemple, je suis rentré le 22 mars 1966 chez Peugeot, j’ai jamais changé de patron, je suis fidèle à mon poste, il y a pas d’absence, il y a rien. Se retrouver avec un salaire très bas, déjà, tant d’années... Et chaque fois qu’il y a un Espagnol, un Français ou un Portugais qui arrive, ils me le donnent pour lui faire apprendre le boulot. Dans six mois ou huit mois, il passe régleur. Et pourtant, j’ai les compétences pour être régleur. Mais on n’avait pas ce pouvoir52.

Cet ouvrier évoque ici un pacte non respecté. L’accès aux augmentations salariales, aux promotions et à la formation fait partie des attendus, en échange d’une conformité à la fonction d’ouvrier (fidélité au poste, ponctualité, assiduité, etc.). Après dix ou quinze ans passés dans l’usine, l’absence de formation et de promotion paraît d’autant plus choquante qu’elles sont inscrites dans les directives de l’entreprise et que le temps passé en usine devrait garantir de tels droits. Des attentes sont en effet créées par l’ancienneté qui « renvoient à ce qu’il n’était jusqu’alors pas déraisonnable d’espérer de la part des autorités » (Siméant, 2010, p. 156). En revanche, la distribution des avantages, leur caractère ethnicisé autant que lié à la proximité avec le syndicat patronal sont dénoncés comme une atteinte morale à ce pacte. Estimer comment et par qui est mesuré le mérite fait partie des questions d’ordre moral et politique que posent les ouvriers à travers les conflits. En désignant ce qui n’est pas respecté mais devrait l’être, la dignité participe donc d’un ensemble de valeurs morales produites parmi les ouvriers. Elle est le fruit d’une longue expérience de l’usine, l’ancienneté étant un élément de l’évolution de ces valeurs morales en ce qu’elle légitime la demande de dignité eu égard au temps passé au service de l’entreprise et en ce qu’elle contribue à la perception quotidienne de la discrimination.

36La dignité révèle donc ce qui s’exprime chez les ouvriers spécialisés en matière de normes, de justice, d’obligations sociales, de dus. Cet ensemble de normes n’existe pas a priori, il est à la fois le résultat de trajectoires individuelles et de parcours collectifs dans l’usine, de l’ancienneté d’une bonne partie des OS et d’une activation dans les conflits de cet ensemble de règles morales. Ces principes moraux guident l’action des groupes subordonnés et invitent à penser la constitution des OS comme un sujet politique collectif non seulement à partir de leur position dans des rapports sociaux donnés, mais également à travers les cadres moraux qu’ils construisent. Si la dignité connaît de tels usages lors des grèves, semblant être le vocable fédérateur des ouvriers de Citroën et de Talbot, c’est donc qu’elle parle du juste et de l’injuste, du légitime et de l’illégitime, inscrivant les conflits des années 1982-1984 dans la longue chaîne de la révolte ouvrière qui est, à en croire Jacques Rancière, « si loin qu’on remonte dans l’histoire [...] guidée par un jugement qui s’appuie sur une codification des pratiques et des discours acceptables ou intolérables » (Rancière & Faure, 2007, p. 8). En ce sens, la dignité peut sembler une valeur atemporelle, la lutte des travailleurs prenant les traits d’une lutte toujours recommencée pour la dignité. Néanmoins, sa polysémie et ses usages variés doivent nous interroger sur son succès, sur sa plasticité et sur ce qu’elle dit des possibles évolutions du monde du travail et de ses conflits.

Vers une redéfinition de la question ouvrière ?

37Nous avons jusqu’ici considéré la dignité en ce qu’elle est constitutive d’une dynamique collective contribuant à la construction du groupe des OS immigrés comme sujet politique. Un autre type d’interprétation est cependant possible, qui met l’accent sur les dimensions plus individuelles de la dignité et sur les déplacements de la lecture du monde social qui lui est potentiellement attachée. Ainsi, confrontés aux licenciements collectifs, des ouvriers immigrés revendiquent une aide au retour dans leur pays d’origine au nom d’une réinsertion dans la dignité. La solution proposée est non seulement d’ordre individuel, mais elle accompagne une sortie du groupe ouvrier. Elle s’inscrit ainsi dans une rhétorique qui n’est pas seulement, et pas d’abord, liée aux droits des travailleurs, mais à des droits humains à l’ancrage social indéfini. Cette rhétorique est, comme on l’a déjà souligné, très forte dans les discours de 1982 et 1983 pour montrer le non-respect des droits humains par Citroën et par Talbot. Mais elle peut signifier aussi une mutation des usages de la dignité.

  • 53 Les cercles de qualité créés par Citroën au début des années 1980 sont une des formes d’applicatio (...)

38Pour Colette Bec, à partir des années 1970, la dignité est repensée par rapport à la façon dont elle a été énoncée après 1945, notamment dans les arènes internationales et dans ses usages juridiques ; elle est ainsi érigée en premier des droits humains. C’est la singularité de l’individu qui lui donne droit au respect de sa dignité, mais pas son inscription dans un corps social. Ce déplacement de sens, d’une inscription collective vers un registre moral plus individuel, contribue à redéfinir les droits et les devoirs de chacun (2007). L’importance prise par la notion de dignité marque le remplacement progressif d’une pensée en termes de rapports sociaux, de dominations et d’injustices par un registre compassionnel où exclusion, souffrances et misère servent à désigner des maux sociaux sans en situer les sources ni en expliciter les logiques. L’affaiblissement du référent ouvrier au cours des années 1980 prend place dans la montée en puissance de tels registres. Cependant, ces références à la dignité et aux droits humains cohabitent avec un discours syndical où le référent de classe n’a pas disparu. En revendiquant une dignité identique à celle des autres travailleurs, à l’usine comme dans la société française, et en usant d’une rhétorique des droits humains, les OS immigrés et les syndicalistes contribuent à « moderniser certains thèmes et certaines formes d’engagement » (Fontaine, 2014, p. 95), adaptant le discours de la conflictualité à des problématiques contemporaines. Mais la multiplicité d’usages et la polysémie peuvent également conduire à apporter des réponses variables aux demandes de dignité et de reconnaissance. Les années 1980-1990 voient par exemple évoluer le management qui prend en charge ces demandes et affiche un apparent rejet de la hiérarchie, « un refus général des rapports dominants-dominés, du fait d’être commandé ou de commander » (Chiapello & Boltanski, 1999, p. 120). L’exigence de dignité porte en germe une critique des formes de commandement inhérentes au taylorisme, mais une telle critique peut être détournée. En se préoccupant de la personne dans sa totalité, le management post-taylorien reconnaît la demande de reconnaissance subjective des salariés, tout en exigeant d’eux le déploiement de leurs capacités subjectives. La « déhiérarchisation » qui s’ensuit ne fait alors pas disparaître les formes de commandement, mais elle les restructure. Il ne s’agit pas ici de dire que les demandes de dignité et de reconnaissance des travailleurs de Citroën et de Talbot portent en germe un tel détournement managérial. En revanche, si elle est portée par un collectif en lutte, la dignité recèle potentiellement « une individualisation des attentes de reconnaissance » (Kocyba & Renault, 2007, p. 115) qui tend à détacher chaque singularité de son groupe social et sur laquelle peut s’appuyer le néomanagement53.

39Si les conflits qui se déroulent au sein des usines de Citroën et de Talbot vont sans conteste dans le sens d’une avancée des droits des salariés, les références à la dignité, à la reconnaissance, au respect ou aux droits humains peuvent être interrogées dans la mesure où elles sont susceptibles de mettre à distance le référent ouvrier et le lien aux identités collectives propres au monde du travail. Cette mise à distance peut tout à fait être utilisée par les directions des entreprises, mais également constituer une volonté de « préserver la possibilité de se définir comme autre chose qu’un ouvrier, se défendre contre la réduction de soi opérée par les contraintes du travail industriel et par la fermeture de son identité sur les seuls intérêts ouvriers » (Pialoux, Weber & Beaud, 1991, p. 15).

*

40Notre approche de la dignité n’a pas cherché à cerner la notion de manière normative, mais plutôt à partir du flou et de la polysémie du terme. Enchâssée dans des chaînes d’équivalence mobilisant les principes de liberté, d’égalité, de respect, de démocratie, de justice, de condition humaine ou encore d’antiracisme, la dignité appelle plusieurs interprétations. Mais telle qu’elle s’exprime dans les conflits des années 1980, l’exigence de dignité permet de relier les ouvriers qui ressentent la dignité comme une exigence personnelle et ceux qui en font une revendication collective. La référence à la dignité objective donc une condition collective en même temps qu’elle permet la subjectivation, comme groupe et comme individus, des OS immigrés. Ce processus est sous-tendu par la façon dont les groupes dominés forgent des distinctions entre le juste et l’injuste, des « standards moraux » qui contribuent « à préserver les valeurs personnelles et leur dignité » (Lamont, 2002, p. 77). Ces principes et ces normes morales qui orientent l’action des groupes dominés ne préexistent pas nécessairement à l’expérience de travail, mais c’est bien plutôt au sein de l’usine qu’ils se construisent et peuvent devenir antagoniques, divisant différents groupes, ou au contraire être largement partagés.

Anmerkungen

1 Linhart (1978, p. 94).

2 L’auteur évoque « la force sociale du flou » à propos de l’antiautoritarisme censé caractériser les années 1968.

3 Courrier de la CGT Citroën-Aulnay au chef du personnel, 22 avril 1982. AD93, 49J572.

4 « Avec la CGT exigeons tous ensemble des négociations », tract de la CGT Citroën-Aulnay, 24 avril 1982. AD93, 1508W100.

5 « Citroën-Aulnay dans l’action cela nous concerne aussi », tract de la coordination CGT des usines Citroën de la région parisienne, 26 avril 1982. AD93, 1508W100.

6 « Ensemble décidons », tract CGT Talbot, 2 juillet 1982. Archives CGT de PSA-Poissy.

7 « Citroën : une lutte, un progrès à consolider », Paris syndical, bulletin d’informations de l’union régionale parisienne (URP) CFDT, nº 263, 18 juin 1982. Archives interfédérales CFDT, 1B417.

8 Tract CGT PSA, juillet 1982, également dans « Ma voix, tout savoir sur le CE », tract CGT Citroën-Aulnay, novembre 1982. Archives ULCGTAsB.

9 Tract CGT Citroën-Aulnay, juin 1982. Archives ULCGTAsB.

10 Tract CGT Citroën-Aulnay, 22 avril 1983. Archives ULCGTAsB.

11 Bulletin de syndiqués CGT Citroën-Aulnay, s.d. Archives ULCGTAsB.

12 L’évêque de Saint-Denis évoquant les conditions de travail des ouvriers immigrés y fait ainsi référence, voir la lettre aux chrétiens du diocèse de Saint-Denis, 30 mai 1982, archives ULCGTAsB. C’est également le cas de plusieurs discours politiques.

13 Rushes d’Haya, film de Claude Blanchet, 1982. AD93, 2AV20648/20651.

14 Déclaration de la CSL Talbot, 10 juin 1982. Archives CGT de PSA-Poissy.

15 Tracts du SNA-CSL Talbot, 8 et 10 juin 1982. Archives CGT de PSA-Poissy.

16 Tract du SNICS-CSL, juillet 1984. Archives ULCGTAsB.

17 Tract du SNICS-CSL, novembre 1984. Archives ULCGTAsB.

18 Bilan de la grève CGT-CFDT de juin 1982, s.d. Archives Talbot-Poissy.

19 Le concept de « chaînes d’équivalence », forgé initialement par Ernesto Laclau, peut être défini comme « ce qui permet de comprendre le sens d’une notion au regard des concepts ou propositions avec lesquels elle est employée et qui contribuent à la constituer » (Bacqué & Biewener, 2015, p. 15).

20 « Ensemble décidons », document cité.

21 Courrier d’André Sainjon, secrétaire général de la FGM-CGT, et de René Lomet, secrétaire de la CGT, à Pierre Mauroy, 13 octobre 1982. Archives ULCGTAsB.

22 Banderole de la cellule Jacques Duclos du PCF de Citroën-Aulnay lors de la manifestation du 1er mai 1982, rushes d’Haya, film cité. AD93, 2AV20616/20619.

23 Lettre des grévistes aux Pisciacais, 19 juin 1982. Archives CGT de PSA-Poissy.

24 La Tribune, journal de la CGT Talbot, s.d (juin 1982).

25 Tract CGT Citroën-Aulnay, janvier 1983. Archives ULCGTAsB.

26 La Tribune, document cité.

27 Courrier de M. Ismaïl Aïtsalah à M. le directeur des usines Citroën d’Aulnay-sous-Bois, 22 janvier 1982. Archives ULCGTAsB.

28 Courrier de M. Mohamed Lakhal à M. le directeur des usines Citroën d’Aulnay-sous-Bois, 15 janvier 1982. Archives ULCGTAsB.

29 Appel « Dans l’union, solidarité avec les OS de Talbot, appel à la population de Poissy », 6 juin 1982. Archives CGT de PSA-Poissy.

30 Entretien avec Youssef, janvier 2013.

31 « Conflit Citroën : recommandations du médiateur », 26 mai 1982. Archives ULCGTAsB.

32 Haya, film cité.

33 Ibid.

34 Rushes d’Haya, film cité. AD93, 2AV20632/20635.

35 Rushes d’Haya, film cité. AD93, 2AV20636/20639.

36 Ibid.

37 « L’UFICT-CGT s’adresse au ICT-AM de Citroën », 17 septembre 1982. Archives IHS CGT métallurgie, pas de cote.

38 Gilbert Marion, cité dans « Peugeot-Sochaux : le sens d’une grève », Collectif, nº 9, novembre 1989.

39 Entretien avec Joseph Tréhel, octobre 2011.

40 Un délégué CFDT en 1982, « Mémoire d’un ouvrier immigré », Libération, 11 février 2004.

41 Entretien avec Christian Bonin, novembre 2009.

42 Entretien avec Ahmed, février 2011.

43 Entretien avec Abdallah, avril 2011.

44 Entretien avec Mehdi, janvier 2013.

45 Tract CGT Citroën-Aulnay, s.d. (vers septembre 1982). AD93, 248J22.

46 Haya, film cité.

47 Entretien avec Nora Tréhel, février 2011.

48 Haya, film cité.

49 Entretien avec Youssef, janvier 2013.

50 Voir notamment les exemples mentionnés par Fassin (2009) et Siméant (2010).

51 « Les conflits sociaux aux usines Citroën des Hauts-de-Seine : analyse et enseignements », note des Renseignements généraux, 3 juin 1982. AD92, 13223W30.

52 Entretien avec Youssef, janvier 2013.

53 Les cercles de qualité créés par Citroën au début des années 1980 sont une des formes d’application de ces principes.

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