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Pour la dignité

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Vincent Gay

Les trois temps de la contestation

Chapitre 4

Le moment 82

Texto completo

  • 1 Benoit (1982, p. 29).

Je vis, dans la grisaille d’un après-midi d’avril, des centaines de travailleurs immigrés déferler en brandissant des drapeaux rouges frappés du sigle CGT, sur ces parkings mêmes où tout récemment encore les rares militants ne pouvaient pas distribuer de tracts sans courir le risque de se faire molester. Des centaines d’ouvriers, Marocains, Turcs et Africains, s’arrachaient des badges syndicaux pour se les coller sur la poitrine en geste de défi [...] Ils riaient et s’embrassaient, exultant de se retrouver soudain si nombreux à vaincre leur peur et oser contester le « calme social » qui régnait depuis toujours dans cette forteresse patronale dont les abords étaient défendus par des vigiles musclés1.

  • 2 J’emprunte l’expression à Michelle Zancarini-Fournel (2008 a) qui l’emploie à propos du moment 68.
  • 3 Notes manuscrites CGT, s.d. (juin 1981). Archives Institut CGT d’histoire sociale (IHS CGT), 150CF (...)
  • 4 Il s’agit des cotisations mensuelles que les adhérents paient auprès de leurs délégués.
  • 5 Entretien avec Jean Auroux, janvier 2014.

1Le « moment 822 » correspond à la phase de grèves qui se déploient dans les usines Citroën et Talbot entre avril et juillet 1982. Ces grèves s’inscrivent dans un double contexte. D’une part, l’industrie automobile française connaît à partir de septembre 1981 une série de conflits qui touchent toutes les marques et de nombreuses usines, en province comme en région parisienne, auxquels les travailleurs immigrés participent fortement (Richter & Lauret, 1983). Les principales revendications concernent les conditions de travail, les évolutions de carrière, les revenus, l’avenir de certains métiers et postes de travail, etc. D’autres demandes dénoncent l’autoritarisme usinier et réclament le respect et la dignité. Ces conflits portent la marque des revendications de la décennie précédente (classifications), dans un contexte où s’accentuent les problèmes liés aux conditions de travail (hausse de la productivité) et font émerger dans certains cas des revendications moins visibles jusqu’alors (libertés, dignité). Les différences et les équilibres variables entre les grands thèmes revendicatifs renvoient aux histoires propres de chaque usine. D’autre part, la victoire de la gauche influe sur les ouvriers de Citroën et de Talbot. Des changements se manifestent dès le mois de juin 1981 : des syndicalistes d’Aulnay constatent un nouvel « air de liberté dans la boîte3 », des cartes de la Confédération des syndicats libres (CSL) sont déchirées, des travailleurs refusent de payer leurs timbres syndicaux4. Ceci incite les syndicalistes de la Confédération générale du travail (CGT) à redoubler d’activité pour défendre les libertés en s’adressant aux salariés et en s’appuyant sur le changement de gouvernement qui apparaît désormais comme un allié. La victoire de l’Union de la gauche constitue alors une opportunité pour modifier une situation sociale qui semble figée depuis l’ouverture de l’usine d’Aulnay, opportunité qui est « à la fois le produit de conditions objectives et de perceptions subjectives procédant de toutes les parties en conflit » (Fillieule, 2005, p. 214). En effet, les premiers mois du gouvernement Mauroy manifestent une ouverture en comparaison des dernières années du précédent septennat, notamment avec l’adoption des lois Auroux, susceptibles de faire écho aux demandes des syndicalistes de Citroën et de Talbot quant aux droits syndicaux. De plus, les principales confédérations entretiennent, au moins pendant les premiers mois après l’élection présidentielle, une certaine proximité avec le pouvoir et des contacts réguliers avec le ministre du Travail5 permettant de plaider la cause des salariés de ces entreprises. La bataille pour les libertés syndicales connaît donc un nouvel élan chez Citroën et chez Talbot après mai 1981. Mais l’imprévu survient sous la forme d’un arrêt du travail, cantonné d’abord à une seule équipe, qui, en s’étendant, provoque l’arrêt de la production à la fin du mois d’avril 1982 chez Citroën-Aulnay, puis une mise en mouvement plus générale et un élargissement de la grève à plusieurs usines de la région parisienne. Cette extension de la grève provoque la mobilisation d’un camp opposé aux grèves, qui va lui aussi déployer un répertoire d’action varié. La description des dynamiques antagonistes et l’attention portée aux pratiques et aux discours des différents acteurs, ainsi qu’aux conflits d’interprétation auxquels donnent lieu les grèves illustrent la portée de la rupture qui se joue alors dans l’histoire sociale de ces entreprises.

Renouveau syndical et dynamiques grévistes

2Comprendre l’entrée dans la grève implique de saisir les dynamiques qui s’établissent avant le démarrage de la grève en lui-même. Les conditions de ce démarrage, loin de se réduire à un plan syndical préétabli ou à un volontarisme militant, touchent à la configuration politique nouvelle, aux mobilisations dans la filière automobile dès l’automne 1981 et à une dynamique syndicale cristallisée autour de la préparation des élections professionnelles dans l’usine d’Aulnay. Autant d’éléments qui contribuent à activer une humeur contestataire susceptible de faciliter l’entrée dans la grève.

Les élections professionnelles comme prémices de la grève

  • 6 Tract CGT Citroën-Aulnay, fin septembre 1982. Archives départementales de Seine-Saint-Denis (AD93) (...)
  • 7 Il y a en effet plusieurs directions : la direction centrale et les directions des usines.
  • 8 Courriers, documents internes et tracts CGT. AD93, 1508W104. Le nombre de candidats continue à aug (...)

3Dès juillet 1981, une délégation de la CGT est reçue au ministère du Travail pour « témoigner sur les conditions de vie et de travail et le non-respect des libertés individuelles et collectives par agissements des milices patronales6 ». Le ministre promet une présence permanente des inspecteurs du travail jusqu’aux prochaines élections et la convocation rapide des directions de Citroën7 afin de faire respecter la liberté d’expression des salariés. La nouvelle situation politique a aussi des conséquences sur l’intervention des syndicalistes auprès des travailleurs. À partir de 1981, la CGT multiplie les activités et semble toucher plus de salariés qu’à l’accoutumée. Des résultats électoraux dans le groupe PSA confirment la nouvelle audience, encore modeste, de la CGT et de la Confédération française démocratique du travail (CFDT). Un des premiers effets du volontarisme syndical est l’apparition de nouveaux candidats de la CGT, dont la présentation publique incite d’autres collègues à se présenter à leur tour : la liste pour les élections à l’usine de Citroën-Aulnay présentée le 26 février 1982 comporte 16 noms puis agrège peu à peu d’autres candidats, portant leur nombre à 32 le 23 mars8. Il était rare jusque-là que les listes de la CGT rassemblent plus de huit personnes. Plus modestement, la CFDT se félicite qu’un nouveau délégué se soit proposé parmi les salariés. Sur 32 candidats de la CGT, on trouve trois noms français, trois yougoslaves, 26 provenant du Maghreb et un d’Afrique subsaharienne. La moitié exactement des candidats se trouve au plus bas de l’échelle des classifications, mais une partie non négligeable d’entre eux (un tiers environ) a bénéficié d’une petite promotion ou a commencé à travailler à un échelon supérieur, et quelques-uns sont ouvriers professionnels (OP). Immigrés en très forte majorité, issus essentiellement de pays extra-européens et anciennement colonisés, occupant des positions très dominées au sein du groupe ouvrier, ces candidats ne sont donc pas pour autant tous cantonnés à l’échelon le plus bas.

  • 9 Ordonné de référé rendu le 26 mars 1982, tribunal d’instance d’Aulnay-sous-Bois. AD93, 1508W104.
  • 10 Courrier de la CGT Talbot à M. Malaval, président de la commission de contrôle, 26 mars 1982 (tran (...)

4Les négociations pour aboutir à un protocole d’accord pour l’organisation des élections sont lentes et souvent infructueuses. Face aux litiges, la direction de Citroën décide de rompre les négociations le 26 mars et elle convoque unilatéralement les élections les 30 et 31 mars. À la suite des plaintes de la CGT et de la CFDT, le tribunal d’instance d’Aulnay-sous-Bois reporte les élections et nomme un mandataire de justice chargé d’établir un nouveau calendrier et des modalités de négociations visant à supprimer toute possibilité d’irrégularité électorale9. Les démarches entreprises chez Citroën s’appuient sur l’expérience de Talbot, où les élections de mars 1982 se sont tenues en présence de 83 agents de l’administration (magistrats, inspecteurs et contrôleurs du travail) et d’un représentant de chaque organisation syndicale dans tous les bureaux de vote. Si une telle présence n’a pas pu empêcher, selon la CGT, un certain nombre d’irrégularités, « ces élections de 82 auront contribué à faire avancer la démocratie et la liberté dans l’entreprise10 ».

  • 11 Rapport d’Évelyne Vandem Heyr à la réunion CGT du 15 décembre 1981. AD93, 49J572.
  • 12 « Changement ou violence », tract de l’inter Citroën CFDT, avril 1982. AD93, 1508W100.

5Le blocage des élections par la direction de Citroën s’accompagne de pratiques visant à décourager les ouvriers de se tourner vers la CGT et la CFDT. Ces pratiques, ancrées dans un système de relations sociales coercitif, semblent trouver une nouvelle vigueur au début des années 1980. Alors que les syndicats s’appuient sur la victoire électorale de la gauche et bénéficient d’une audience jusqu’alors très faible, ils remarquent dans le même temps une poursuite, voire une recrudescence, des actes antisyndicaux, notamment de nombreuses mises à pied et de nombreux licenciements sans préavis ni indemnités de salariés soupçonnés d’être syndiqués ou proches de la CGT. De même, les violences physiques contre les syndicalistes, qui semblaient avoir connu une baisse à la fin des années 1970, reprennent, ainsi que les attitudes hostiles de la hiérarchie : candidats convoqués dans le bureau de leur supérieur ou suivis par les contremaîtres dans les ateliers, menaces, insultes racistes, etc. Malgré les espoirs que les syndicats mettent dans les effets de la victoire du 10 mai 1981, celle-ci semble avoir des effets contradictoires : on constate à la fois une confiance plus grande des équipes syndicales et de certains salariés et un climat d’agressivité chez d’autres salariés hostiles au changement politique. Selon les militants de la CGT, « c’est pire qu’avant, dans la tête des gars, le changement passe mal11 ». Loin d’être un facteur apaisant, l’élection de 1981, à laquelle s’ajoutent des craintes sur l’avenir de la filière automobile, exacerbe ou réactive des tensions chez une partie des salariés. L’usine connaît par ailleurs une phase d’intensification du travail qui se traduit par une augmentation des tâches à effectuer et une accélération des rythmes de travail. Les militants de la CGT et de la CFDT sont donc pris entre leur nouvelle audience, les attentes qu’ils placent dans le changement politique et ce regain de tensions. Presque un an après le 10 mai 1981, le changement ne semble donc pas être entré chez Citroën, entreprise qui se caractérise toujours, selon la CFDT, par une violence économique, morale, physique et politique12.

6Le renouveau de l’activité syndicale s’illustre, comme on l’a dit, par l’activité des sections d’entreprise, par l’apparition de nouveaux candidats, mais aussi par l’élargissement du discours revendicatif. Les champs de revendications les plus importants concernent les salaires, l’emploi, les conditions de travail, les libertés syndicales et, dans une moindre mesure, les carrières. À cela s’ajoutent des revendications plus spécifiques, en particulier pour les travailleurs immigrés, pour lesquels la CGT demande la reconnaissance des diplômes et des qualifications, la suppression de l’antenne de l’Office national d’immigration (ONI) dans l’entreprise, le paiement d’une journée de congé pour qu’ils puissent célébrer leurs fêtes religieuses et des remplacements de courte durée pour qu’ils puissent faire leurs prières.

  • 13 Tracts CGT Aulnay, 14 janvier 1982 et 15 octobre 1981. AD93, 1508W100.

7De ces revendications émergent des mots d’ordre que l’on retrouvera lors de la grève à partir de fin avril 1982 : « de meilleures conditions de vie et de travail [et] le respect des libertés individuelles et syndicales », « des conditions de travail dignes d’un pays comme la France [...] des cadences qui ne tuent pas les hommes13 ». De tels mots d’ordre sont défendus lors de deux débrayages qui, malgré leur brièveté, sont inédits et permettent de légitimer le discours syndical grâce à l’entrée dans l’action revendicative de salariés. Le premier arrêt de travail a lieu le 8 avril 1982 à l’atelier de montage, il touche 92 personnes pendant dix minutes et sept autres pendant cinq minutes.

  • 14 Fiche de conflit, direction départementale du travail, 8 avril 1982. AD93, 1508W100.

Selon les salariés concernés et le syndicat CGT, le chef d’atelier était constamment présent toute la journée sur la chaîne, notamment près des candidats CGT aux élections. Les salariés ont demandé au délégué CGT d’aller voir le chef d’atelier pour lui dire qu’ils voulaient lui parler. Celui-ci aurait refusé disant qu’il ne discutait pas avec des esclaves. Les salariés ont arrêté le travail parce que, disent-ils, ils ne sont pas des esclaves et ne veulent pas être considérés comme des esclaves14.

  • 15 Fiche de conflit, direction départementale du travail, 16 avril 1982. AD93, 1508W100.
  • 16 « Libertés, salaires, conditions de travail sur le chemin du changement », communiqué CGT, s.d. Ar (...)
  • 17 Courrier CGT Aulnay au chef du personnel, 22 avril 1982. AD93, 49J572.
  • 18 Entretien avec Christian Bonin, novembre 2009.

Le second arrêt de travail est déclenché quelques jours plus tard, le 16 avril, dure une demi-heure et concerne 100 ouvriers de l’atelier ferrage-carrosserie. Il vise à faire diminuer les cadences et à obtenir une augmentation des salaires. La direction s’engage cette fois à réaliser des études de postes, mais refuse toute augmentation générale15. En accordant une augmentation individuelle de 0,20 centime de francs par heure aux ouvriers de cet atelier, elle essaie de désamorcer la menace de débrayage. Les ouvriers maintiennent cependant leur appel pour exiger une augmentation de 400 francs (soit environ 137 euros aujourd’hui)16, aux côtés d’autres revendications : amélioration des conditions de travail par la réduction des cadences et embauche de remplaçants afin de pouvoir aller aux toilettes, progression de la promotion pour tous et qualification P1 pour tous les caristes, chaussures de sécurité à tous les postes, respect des libertés et de la dignité17. Aussi brefs soient-ils, ces débrayages sont exceptionnels aux yeux des militants de la CGT, ils représentent le signe que quelque chose est peut-être en train de changer. Ils y verront rétrospectivement le signe avant-coureur des événements à venir18.

Le passage à la grève : processus, extension et réactions

8« “Partir en grève” : dans la langue d’usage, l’expression permet de saisir le moment où, dans les débuts incertains d’une grève, on a le sentiment d’être collectivement engagés, le sentiment de l’irréversible et de la nécessité “d’aller au bout”. » (Wahnich, 1999, p. 175) Incertains, les débuts de la grève comportent en effet une grande part d’imprévu, particulièrement à Aulnay, en l’absence de tradition gréviste dans l’usine.

9Le mouvement de grève débute le jeudi 22 avril à 20 heures. Mehdi est un des syndicalistes présents ce soir-là.

Mehdi

Originaire d’un village situé dans la wilaya de Marrakech, Mehdi a grandi au sein d’une population en grande majorité berbère et musulmane comportant également quelques familles juives, ainsi que des pères blancs, venus convertir les populations. C’est auprès de ces derniers que Mehdi a appris le français. Il interrompt sa scolarité et est recruté par les sélectionneurs des entreprises françaises auxquels il dissimule son parcours scolaire et sa maîtrise de la langue française. Arrivant en France en 1967, il entre dans une des usines Citroën du quai de Javel en tant que manœuvre puis ouvrier spécialisé (OS). Il est logé dans un foyer de l’entreprise où ne vivent que des immigrés marocains. En mai 1968, il se mêle à la contestation sociale, participe aux manifestations, découvre la Sorbonne, ainsi que les militants maoïstes et communistes de Citroën. Il se syndique clandestinement à la CGT à l’issue de la grève. Muté en 1973 à l’usine d’Aulnay-sous-Bois qui vient juste d’ouvrir, il est l’un des rares syndiqués CGT de la nouvelle usine, et le seul parmi les Marocains. Il est élu délégué du personnel (DP) en 1974 et connaît pendant plusieurs années le difficile quotidien des syndicalistes de Citroën, en butte à l’opposition de la direction et des militants de la Confédération française du travail (CFT)-CSL, ainsi qu’à l’apparent désintérêt des autres salariés. Après la grève, dont il est l’un des animateurs, il est élu au comité d’entreprise (CE) de Citroën-Aulnay puis il poursuit une carrière syndicale et professionnelle, bénéficiant de plusieurs formations, dans le secteur logistique au sein de la même usine, jusqu’à sa préretraite en 1994.
Source : Entretien avec Mehdi, janvier 2013.

10Mehdi décrit, à propos du déclenchement de la grève, le volontarisme d’un petit groupe de militants autour duquel s’agrègent ensuite les ouvriers qui sortent des chaînes :

  • 19 Entretien avec Mehdi, janvier 2013.

Mehdi – On a arrêté une chaîne, je me rappelle la ligne 19 et 20. Après, les gens sont venus un peu plus, après il y a des gens qui sont venus de là où on monte la carrosserie. Après, on est devenus des dizaines.
Vincent G. – Donc, c’est pas une décision de la CGT ?
Mehdi – Non [...] Le lendemain, la grève commence peu à peu, et les gens qui avaient peur, ils sortaient, et ça continue après. Mais le déclenchement s’est fait à 20 heures le soir, juste après le repas. [...] On était huit personnes qui sont venues devant les deux chaînes, on avait quelques militants là-bas, on leur a dit « Voilà, on arrête, ça va commencer. » Mais mon cœur, il battait comme ça ! Est-ce que ça va gagner ou pas ? C’est un peu... comment dire ? J’ai misé le tout pour le tout, et finalement ça a réussi19.

  • 20 Entretien avec un ouvrier marocain, juillet 1982. AD93, fonds Jean-Patrick Lebel, 2AV32/253-254.

Dans un autre entretien, mené quelques semaines après la grève, le même salarié souligne également le rôle joué par ce petit groupe d’ouvriers immigrés, membres de la CGT pour la plupart depuis seulement quelques semaines, dans le déclenchement de la grève. Selon lui, les responsables français de la CGT ne croient pas, à ce moment-là, en la possibilité d’une grève, et c’est donc ce petit groupe qui, sans prévenir le syndicat, prend l’initiative de ce déclenchement. Ce n’est que le lendemain que les structures départementales de la CGT arrivent en renfort et permettent le passage de la grève de l’équipe du soir vers celle du matin20. Imprévu, le conflit surgit cependant au terme d’un processus au cours duquel se sont accumulés divers griefs et un début d’expérience syndicale. En effet, les nouveaux candidats de la CGT font leurs premières armes pour l’essentiel à partir de la fin de l’année 1981 et parviennent à tisser un réseau de sociabilité et de solidarité qui leur permet de produire un effet d’entraînement sur les autres salariés. Aux enjeux électoraux qui mobilisent les syndicalistes s’ajoutent des déterminants d’ordre émotionnel, une réaction au fait d’être traités d’esclaves ou à la distribution d’un tract raciste. Loin de s’opposer, ces deux aspects – celui de la rationalité réglementaire et électorale et celui de l’émotion (Traïni, 2009) – entretiennent conjointement des motifs de réprobation, voire de contestation. En effet, le déclenchement de la grève se situe au point de rencontre de l’accumulation de mécontentements individuels, d’enjeux syndicaux à propos des élections professionnelles et d’un travail militant de médiatisation et de partage des problèmes des salariés visant à « transformer [ces mécontentements] et des sentiments d’injustice en action de grève » (Giraud, 2009 a, p. 507).

  • 21 Outre les interventions du député communiste d’Aulnay-sous-Bois François Assensi, Jean Auroux, min (...)

11Les débrayages des 8, 16 et 22 avril rendent visibles les questions centrales qui seront au cœur de la grève : les conditions de travail, avec les cadences soutenues, les salaires, avec la demande d’une augmentation de 400 francs, le respect, la dignité et, de manière sous-jacente, le refus du racisme. Dès le 23 avril, les militants de la CGT de l’union locale d’Aulnay et de l’union départementale de Seine-Saint-Denis sont présents sur les parkings de l’usine pour accueillir l’équipe du matin et faire cesser le travail. Le syndicat organise un meeting rassemblant selon ses dires 1 500 à 2 000 salariés. Les grévistes de l’équipe du soir s’adressent aux ouvriers du matin et, dès le lundi 26 avril, la production est arrêtée sur l’ensemble du site. Très rapidement, les grévistes n’entrent plus dans l’usine et occupent les parkings, tandis que la direction, les cadres et la maîtrise gardent l’intérieur des lieux, leur relève étant assurée par hélicoptère. Le cadre de la grève et l’occupation des différents espaces sont alors fixés et ne se modifieront pas jusqu’à la fin du conflit. La réaction rapide de la CGT et son implantation militante dans le département de Seine-Saint-Denis permettent une prise en charge du conflit à tous les niveaux de l’organisation, à laquelle s’ajoute un soutien politique et logistique des élus et des municipalités communistes du département. La CGT cherche donc à prendre la mesure d’une grève qui semble très vite dépasser un simple conflit d’usine par ses implications syndicales et politiques. Le conflit prend une dimension nationale, est évoqué à plusieurs reprises à l’Assemblée nationale21, et on observe une homologie entre les champs politique, syndical et du travail avec des jeux d’opposition entre la droite et le gouvernement, la CSL et la CGT, l’encadrement et les OS immigrés.

  • 22 Elle a pour objet de « régler les conflits collectifs de travail qui n’ont pas été soumis à une pr (...)

12Les premiers jours de grève donnent lieu à plusieurs incidents. Le 26 avril, les grévistes empêchent les cars d’entrer, ce qui offre un prétexte à la direction pour supprimer les ramassages des salariés le lendemain ; la CGT organise alors son propre ramassage. Le 27 avril, la police arrête deux salariés vietnamiens en possession d’armes à feu qui tentaient de forcer un piquet de grève avec leur voiture. L’hélicoptère qui survole l’usine pour déposer des salariés non grévistes en profite pour envoyer des projectiles sur les grévistes. Après la manifestation aulnaysienne du 28 avril à l’appel de la CGT, de la CFDT, de la Fédération de l’Éducation nationale (FEN), du Parti communiste français (PCF) et du Parti socialiste (PS), un grand cortège unitaire aux couleurs de Citroën défile dans les rues parisiennes le 1er mai. Le 5 mai, une nouvelle manifestation unitaire se déroule à Paris, tandis que commence la commission régionale de conciliation22 à laquelle la CSL, du fait de sa non-représentativité nationale, ne peut participer. Le 4 mai débute une grève dans l’usine Citroën-Levallois, puis le 12 mai à l’usine Citroën d’Asnières. Une quatrième usine, celle de Saint-Ouen Les Épinettes, entre en grève le 18 mai, suivie par celle de Saint-Ouen Gare le 24 mai. Les premières négociations s’engagent les 15 et 16 mai, mais sont rapidement rompues par la direction de Citroën qui utilise comme prétexte le maintien des piquets de grève devant les usines. Alors que le 19 mai elle annonce le prochain licenciement de 17 militants de la CGT, parmi lesquels des candidats aux élections, la situation devant les usines, particulièrement dans les Hauts-de-Seine, devient plus tendue. Dans les deux camps on multiplie les actions ; cependant, l’activité des grévistes est limitée pour une majorité d’entre eux à attendre sur les parkings, à écouter les prises de parole lors des meetings ou les comptes rendus des négociations. Parfois des spectacles s’improvisent ou des artistes viennent distraire les grévistes. Ces derniers ont également accès à des prêts de livres lorsqu’une bibliothèque en plein air est organisée sur les parkings de Citroën-Aulnay. Ils ne participent donc pas, pour l’essentiel, aux décisions concernant la poursuite du conflit et son déroulement.

  • 23 « Conflit Citroën : recommandations du médiateur », 26 mai 1982. Archives ULCGTAsB.
  • 24 Note de Gilbert Cornu, chargé de mission, à M. le ministre du Travail, 27 mai 1982. Archives natio (...)
  • 25 Journal télévisé, 27 mai 1982, archives INA.

13Étant donné l’absence d’évolution et le blocage des négociations, le gouvernement recourt à une mesure relativement exceptionnelle pour mettre fin au conflit. Le 19 mai est nommé un médiateur qui dispose de quinze jours pour rencontrer toutes les parties en présence et faire des propositions sur lesquelles doivent s’accorder les protagonistes. Jean-Jacques Dupeyroux, fondateur de la revue Droit social et, selon Claude Chetcuti, « conseiller officiel ou officieux de différents ministres du Travail depuis plusieurs années » (Chetcuti & Hatzfeld, 2007, p. 35), rend ses recommandations le 26 mai23. Cela permet de rouvrir les négociations entre les syndicats et la direction de Citroën, malgré des désaccords persistants à propos des augmentations de salaire et du reclassement des ouvriers. Mais la volonté de conclure le conflit est manifeste de part et d’autre : André Sainjon, secrétaire général de la fédération de la métallurgie CGT exprime ainsi le 27 mai au ministère du Travail son désir de voir le travail reprendre au plus vite24 ; de son côté, Jacques Lombard, président-directeur général (PDG) de l’entreprise, annonce le même jour que Citroën accepte les propositions du médiateur, « bien que certaines soient coûteuses et bien que d’autres conduisent à quelques lourdeurs dans la gestion de nos relations avec le personnel25 ».

14La reprise du travail a lieu le 1er juin dans toutes les usines Citroën en grève, précédée d’un grand meeting devant l’usine d’Aulnay. Si la foule des grévistes reprend les slogans tels que « Français, immigrés, même patron, même combat », c’est surtout l’image de milliers de mains tendues tenant une carte de la CGT qui marque la fin du conflit, avec l’entrée triomphale dans l’usine du cortège ouvert par les 17 militants de la CGT menacés de licenciement et dont les sanctions ont été levées.

Chez Talbot, reproduire le modèle gréviste de Citroën ?

15À partir de la grève d’Aulnay-sous-Bois, le conflit se déplace dans plusieurs usines Citroën de la région parisienne. Outre l’activité des équipes syndicales sur place, de nombreux ouvriers d’Aulnay ont travaillé auparavant dans ces usines, y ont gardé des contacts, vivent parfois à proximité et partagent pour une partie d’entre eux les mêmes foyers que leurs ouvriers. La popularisation de la grève d’Aulnay est ainsi facilitée par ce réseau de connaissances forgé tout au long des carrières ouvrières. En revanche, la distance est plus grande avec Poissy. Et pourtant, le lendemain de la reprise du travail à Aulnay, une grève débute à l’usine Talbot, rappelant les premières heures de la grève de Citroën : un groupe relativement restreint d’ouvriers défile dans les ateliers à 18 heures pour faire débrayer les collègues de l’équipe du soir ; plusieurs centaines d’ouvriers de l’atelier B3, le plus important de l’usine (il regroupe 6 000 salariés, sur environ 16 000 dans l’ensemble de l’usine), cessent alors le travail. Alors qu’à Aulnay le débrayage précédant la grève semble avoir été mis en œuvre par un groupe de syndicalistes immigrés sans que les responsables du syndicat soient au courant, à Poissy, la grève est lancée par l’ensemble des militants de la CGT, qui s’appuient sur les événements récents de Citroën pour exiger que soit accordé à Talbot ce qui a été obtenu par Citroën.

  • 26 Déclaration de Jean Auroux à l’Agence France presse (AFP) à propos des événements de Talbot-Poissy (...)
  • 27 Ibid.
  • 28 Ce changement d’attitude peut s’expliquer par le haut degré de violence des premiers jours de la g (...)

16Le 3 juin, le mouvement lancé la veille s’étend à l’intérieur de l’atelier B3, perturbant fortement la production, malgré les tentatives de la direction de remplacer les grévistes par des cadres. Mais ce jour-là, ce sont surtout des affrontements physiques qui marquent le début du conflit. À la tête de salariés opposés à la grève et soutenus par la CSL, le directeur du personnel, Daniel Eymery, se présente au B3. Ce groupe, manifestement là pour expulser les grévistes, rencontre une résistance inattendue et est obligé de faire demi-tour. Au cours de la bagarre qui s’ensuit, Daniel Eymery est blessé à l’œil et les antigrévistes comptent dans leurs rangs entre une quarantaine et une centaine de blessés (Loubet & Hatzfeld, 2004). Cette violence soudaine provoque l’intervention du gouvernement, dès le soir du 3 juin, « pour que cessent les provocations de tous ordres et de toutes origines qui aboutissent à des situations gravement préjudiciables à l’intérêt des personnes et des entreprises26 ». Jean Auroux rappelle que la priorité du gouvernement est l’emploi et il demande que « chacun des partenaires sociaux prenne pleinement conscience de ses responsabilités à l’égard des travailleurs et de la nation27 ». Le contraste avec les déclarations du même ministre au début du conflit qui s’est déroulé chez Citroën est patent28. Aux admonestations exprimées alors à propos du climat social chez PSA et à l’appel au respect des libertés et de la dignité chez Citroën succède un discours sur l’intérêt national et industriel qui prend soin de ne marquer aucun soutien, ni pour un camp ni pour l’autre. De même, alors qu’aucun piquet de grève n’avait été évacué devant les usines Citroën, le ministre de l’Intérieur, Gaston Defferre, demande l’évacuation de l’usine Talbot de Poissy le 4 juin.

  • 29 Informations du personnel, entre le 21 et le 30 juin 1982. Archives Talbot-Poissy.
  • 30 Bulletin CFDT Métaux Paris, 14 juin 1982. Archives interfédérales CFDT, 1B416.

17Le lundi 7 juin, les travailleurs sont évacués de l’usine par la direction, qui prétexte la nécessité de fermer l’atelier B3 pendant une journée pour réparer les dégâts occasionnés par les affrontements des jours précédents. Les grévistes, évalués à environ 50 % de l’ensemble du personnel29, se rassemblent alors devant la mairie puis improvisent une manifestation à travers la ville. Le lendemain, ils tentent d’élargir leur mouvement aux autres bâtiments de l’usine et interviennent sans succès au B5 ; le B2, le B1 et le CKD (atelier de pièces détachées) sont envahis puis évacués. Afin d’éviter des violences supplémentaires au moment de l’arrivée des CRS dans l’usine, et ne souhaitant pas engager une occupation prolongée de l’usine, la CGT demande aux grévistes de quitter l’usine ; ils sont plus de 5 000 à sortir en manifestant30. La journée se termine par une manifestation unitaire à Poissy, mais également par une tentative de redémarrage de la production par les non-grévistes. Le 10 juin, alors que les grévistes sont revenus dans l’usine, la direction fait venir au ferrage 100 agents de maîtrise et cadres pour relancer la production. S’ils ne sont pas empêchés de travailler, les grévistes les « assistent » pour vérifier qu’ils ne font pas une production de mauvaise qualité. Singulière situation d’inversion des rôles, où des cadres assurent la production sous l’œil d’ouvriers en grève dont la dynamique agit comme « un moment de réhabilitation de soi et de la valeur de son métier, par la rupture symbolique qu’elle opère dans l’ordre de leurs relations ordinaires avec leur hiérarchie » (Giraud, 2009 b, p. 794). Au bout d’une semaine de grève, si les violences ont baissé d’un cran, les tensions sont encore très vives dans l’entreprise, la production est arrêtée dans l’atelier B3 et partielle ou intermittente dans les autres ateliers.

  • 31 Rapport du 15 juin 1982. Archives Talbot-Poissy.

18La concurrence syndicale est très forte, mais la CGT, ne disposant pas d’un encadrement aussi important qu’à Aulnay-sous-Bois, ne peut imposer une hégémonie totale, ce dont profite modestement la CFDT. Comme à Aulnay, les adhésions se font à un rythme très soutenu, et les désaccords sur les stratégies et actions à mener, en particulier sur l’opportunité d’occuper l’usine, divisent la CGT et la CFDT, et ce, tout au long de la grève. La direction tente à plusieurs reprises de faire redémarrer la production ou de négocier avec les syndicats la sortie de quelques voitures des chaînes. Elle essaie aussi de déménager certains équipements ; en réponse, les grévistes occupent l’usine de nuit. Mais, malgré les appels de la CFDT à poursuivre l’occupation, la CGT incite les grévistes à ne pas occuper les locaux, craignant de nouvelles violences. Les manifestations succèdent aux meetings et aux blocages des véhicules, des délégués de lutte sont élus, les menaces, les heurts et la construction de barricades alternent avec des moments de calme, tandis que 20 salariés accusés d’avoir commis des actes de violence sont menacés de licenciement. L’atelier B3 demeure le cœur de la grève, mais on trouve en réalité des grévistes dispersés sur tout le site, depuis les toits jusqu’aux autres ateliers, en passant par les cantines, la rotonde (l’un des plus anciens bâtiments de l’usine, situé au milieu du site, qui sert surtout de poste de surveillance pour les gardiens), les parkings, les portes, etc. Les rapports rédigés quotidiennement pour la direction de l’entreprise donnent une impression de désordre dans lequel des groupes de grévistes sont dispersés dans toute l’usine, parfois en petites réunions d’une dizaine de personnes, parfois en cortèges de plusieurs centaines. La faiblesse de l’encadrement syndical et la configuration spatiale de l’usine laissent une large marge de manœuvre aux grévistes pour se déplacer et agir spontanément selon les événements. On exhibe par exemple des blouses de la maîtrise prises dans les placards des contremaîtres, en riposte aux antigrévistes qui avaient quelques heures auparavant déchiré les djellabas dans les salles de prière31 ; ces salles de prière seront d’ailleurs souillées plusieurs fois au cours de la grève.

  • 32 « Résumé du document de travail de la CGT prenant en compte les acquis », s.d. Archives CGT de PSA (...)
  • 33 « Ensemble décidons », tract CGT Talbot, 2 juillet 1982. Archives CGT de PSA-Talbot.

19Malgré ces tensions, des négociations, ou du moins des rencontres, s’engagent dès le début du conflit sous l’égide du directeur des relations du travail. Le document revendicatif de la CGT se concentre sur cinq grands thèmes : les salaires, la liberté et la dignité de la personne, les garanties pour les libertés syndicales, les élections libres et les droits syndicaux afférents, les modalités de reprise du travail32. Mais ces négociations s’enlisent et, finalement, le gouvernement nomme le même médiateur que chez Citroën. Le 1er juillet, la CGT accepte les conclusions de la médiation, qualifiées de victoire des travailleurs de Talbot et de « gifle pour la direction de PSA33 », malgré le blocage des salaires par le gouvernement. Le lendemain, 3 698 salariés sur 3 973 votants se prononcent pour l’acceptation des recommandations de la médiation. La reprise du travail s’effectue le 5 juillet, après la remise en état de l’usine.

Abdallah

Abdallah, né en 1947, est le fils d’un petit fonctionnaire du ministère de la Justice marocain. Scolarisé, il obtient un certificat d’aptitude professionnelle (CAP) de soudeur.
En mars 1965, il participe à la contestation lycéenne et populaire contre les restrictions d’accès à l’enseignement de second cycle des jeunes Marocains, ce qui constitue sa première expérience politique.
En 1967, il décide de partir seul en France, sans aucune promesse d’embauche. Il est recruté dans l’usine Simca de Poissy. Son diplôme n’étant pas reconnu, il commence comme OS à l’atelier de mécanique. Quelques jours après son embauche, il adhère à la CFT, sur les conseils de salariés plus anciens. À partir de 1972, il commence à fréquenter des militants, en dehors de l’usine, en particulier Joseph Tréhel, jeune secrétaire du syndicat CGT de Simca-Chrysler. Il adhère clandestinement à la CGT, mais tous les contacts avec les autres syndicalistes se font à l’extérieur de l’usine et il n’a aucune activité publique dans les ateliers. En 1974, il adhère également au Parti du progrès et du socialisme (PPS), ex-Parti communiste marocain (PCM). La même année, il se présente pour la première fois comme DP et est élu délégué suppléant. Après son élection, il est muté à un poste beaucoup plus dur, où il est isolé des autres ouvriers. Son engagement public à la CGT le coupe d’une partie de ses collègues. Malgré tout, il poursuit cet engagement et devient délégué syndical en 1976. Il est dès lors un des principaux animateurs du syndicat, puis des grèves des années 1982-1984. Il milite également à l’union départementale des Yvelines, en tant que membre du bureau, et devient administrateur d’une caisse de retraite nationale en 1986. Il poursuit également son action au sein du PPS, dont il est candidat aux élections législatives de 1984 pour les Marocains vivant en France. Abdallah conserve un mandat de délégué du personnel jusqu’en 2000. À la suite d’un accident, il est arrêté pendant un an. Il prend sa retraite quelques années après, en 2005. Il continue cependant à militer, notamment dans l’amicale des locataires de son quartier.
Source : Entretien avec Abdallah, mai 2011.

  • 34 Pour une vision plus détaillée de ces évolutions, voir Gay (2016).

20Entre le 26 avril et le 5 juillet 1982, les principales usines parisiennes du groupe PSA sont donc agitées par des grèves qui bloquent complètement ou partiellement les productions, donnent parfois lieu à une conflictualité violente et marquent également une déprise vis-à-vis de la CSL : tandis que fleurissent les slogans et les appels à la liberté, la CSL est dénoncée à maintes reprises comme un outil au service du patron pour surveiller et réprimer. Les grèves entraînent donc de nombreuses scènes au cours desquelles les ouvriers déchirent fièrement leur carte de la CSL, marquant ainsi leur liberté retrouvée. Cette déprise se traduit également lors des élections professionnelles, puisque la CGT, jusque-là très minoritaire, devient brusquement majoritaire à Aulnay ainsi qu’à Poissy dans le premier collège (ouvriers et employés) en 1983. De son côté, la CFDT connaît une dynamique semblable à une échelle bien moins importante34. Enfin, la médiation qui a permis de mettre fin aux grèves préconise la création de commissions de négociations qui doivent se réunir pendant un an. Si les demandes les plus urgentes des grévistes sont traitées, des problèmes d’une telle ampleur sont impossibles à résoudre lors des négociations de fin de conflit.

Mobilisation et répertoire d’action du camp des antigrévistes

21L’action du patronat lors des grèves en fait un « acteur central des conflits du travail » (Sirot, 2002, p. 199) au cours des xixe et xxe siècles. Son attitude allie une opposition résolue aux grévistes, la négociation et la prévention des conflits et, selon les périodes, peut se traduire par une « sainte alliance » avec l’État (Vigna, 2007, p. 302). La mobilisation patronale est patente chez Citroën comme chez Talbot, mais sa caractéristique tient à son inscription dans la mobilisation d’un camp opposé aux grèves qui ne se réduit pas aux directions des entreprises ou au personnel d’encadrement. Angle mort d’une grande partie de la littérature des sciences sociales consacrées aux mobilisations collectives, les mobilisations antigrévistes sont dans le cas de Citroën et de Talbot un élément important dans la façon dont se déploie la conflictualité. Ces mobilisations illustrent la difficulté dans ces entreprises de tolérer l’existence de conflits sociaux, mais également l’existence d’un pôle non négligeable parmi les salariés prêts à collaborer avec leur direction pour contrecarrer l’action des grévistes et des syndicats.

De l’adresse aux pouvoirs publics à l’adresse au public

  • 35 AN, 19890442.
  • 36 Courrier de Jacques Lombard aux syndicats et aux préfets de Seine-Saint-Denis et des Hauts-de-Sein (...)
  • 37 Courrier de François Cusey à Jean-Jacques Dupeyroux, 25 mai 1982. AN, 19890442.
  • 38 Courrier de Citroën, 15 mai 1982. Archives ULCGTAsB.

22L’adresse aux pouvoirs publics afin qu’ils agissent contre la grève – par voie de lettre, de pétition ou de demande d’audience – est l’une des premières modalités d’action des antigrévistes. Dès le début de la grève à Aulnay, Auguste Blanc, secrétaire confédéral de la CSL, adresse une série de courriers, pratiquement tous les deux jours, à Jean Auroux puis à Pierre Mauroy et aux parlementaires pour dénoncer les menées déstabilisatrices de la CGT et la volonté de cette dernière d’écarter la CSL35. Les dirigeants de l’entreprise écrivent également : Jacques Lombard s’adresse par exemple aux préfets et à Gaston Deferre pour demander l’expulsion des piquets de grève36 ; s’adressant au médiateur du conflit, François Cusey, directeur du personnel de Citroën-Aulnay, dénonce « l’activité paramilitaire que la CGT déploie » autour des usines37. Reprenant des propos semblables (dénonciation de la violence cégétiste, de l’extranéité des militants qui organisent les piquets de grève, des atteintes à la liberté du travail, etc.), la direction de Citroën adresse aussi des lettres à ses personnels ainsi qu’à l’opinion publique38, s’inscrivant dans une pratique patronale généralisée depuis l’entre-deux-guerres (Sirot, 2002).

  • 39 Pétition de salariés de l’usine Talbot-La Rochelle adressée au président de la République, s.d. AN (...)
  • 40 Informations du personnel de Talbot, 7 juin 1982. Archives Talbot-Poissy.
  • 41 Lettre-pétition adressée au président de la République, 18 juin 1982. Parmi les 5 379 lettres reçu (...)

23Une autre modalité d’expression du refus de la grève passe par des courriers collectifs, des lettres-pétitions ou des motions remises aux autorités émanant de groupes de salariés, parfois venus d’autres usines de l’entreprise39. Des cadres de Talbot déposent une motion signée par 2 153 membres de l’encadrement au préfet de Versailles puis à l’Assemblée nationale, qui insiste sur le nécessaire respect du droit au travail, « à égalité avec le droit de grève40 ». Mais c’est surtout « le comité des Talbot qui veulent travailler », créé au milieu du mois de juin 1982, qui mène le plus d’actions contre la grève, notamment par une succession de textes adressés à divers ministères. Dans le même temps, 15 000 lettres sont adressées aux habitants de Poissy puis 20 000 lettres sont distribuées au public des 24 Heures du Mans (19 et 20 juin), tandis que 5 379 lettres-pétitions sont adressées au président de la République41. Une conférence de presse est ensuite organisée, le 21 juin, pour contester la véracité des discours des grévistes. Le lendemain, une délégation de 40 personnes représentant le personnel non gréviste remet une motion au préfet des Yvelines pour qu’il fasse respecter le droit au travail, la liberté du travail et la sécurité du personnel. Un encart publicitaire est également acheté dans trois quotidiens afin de dénoncer la poursuite de la grève.

Occuper la rue

24Les adresses au pouvoir, les pétitions ou les distributions de tracts ne suffisent pas à obtenir l’arrêt de la grève. L’élargissement du répertoire d’action du camp des antigrévistes se traduit par un investissement de la rue et de l’espace public. Les directions et les cadres des usines Citroën organisent ainsi des manifestations de rue qui, tout en reprenant à leur compte un certain nombre de traits des manifestations syndicales, conservent des spécificités qui les distinguent. Si la CSL organise le 11 mai une manifestation qui réunit entre 2 000 et 3 000 personnes, ce sont surtout les initiatives prises par les directions des usines de Citroën qui connaissent le plus de succès. Dans les Hauts-de-Seine, à Levallois et à Asnières, les rassemblements des antigrévistes devant ou à proximité des usines sont quasi quotidiens. À partir du 17 mai, tous les jours à 6 h 45, les salariés non grévistes doivent se rendre à la mairie du 15e arrondissement pour être recensés et toucher ainsi une avance sur salaire, ce qui permet ensuite de les rassembler à proximité des usines et d’organiser des manifestations.

  • 42 Note des Renseignements généraux, 26 mai 1982. AD92, 13223W30.
  • 43 Le Matin, 24 mai 1982.

25La démonstration la plus éclatante de cette velléité manifestante a lieu le 25 mai 1982 et est organisée par la direction centrale de Citroën, fait très rare dans l’histoire sociale. Selon les Renseignements généraux, la manifestation du 25 mai rassemble 16 000 personnes, dont 10 % d’immigrés42. Elle est précédée d’un rassemblement de 1 000 concessionnaires et agents de Citroën. Le choix du parcours renvoie à la fois à des considérations pratiques (faciliter la venue des salariés des usines de la banlieue ouest) et symboliques, en passant à proximité du siège historique de l’entreprise et en se cantonnant à l’Ouest parisien, espace étranger à la plupart des manifestations de salariés dont l’Est parisien et les grands boulevards constituent les territoires de prédilection (Tartakowsky, 2010). Des délégations de 15 usines de province et de région parisienne et des concessionnaires de nombreuses villes composent le cortège, encadré par un service d’ordre important et conduit par Jacques Lombard et les membres du directoire de Citroën. Dans son allocution, le PDG insiste sur les violences perpétrées par la CGT et sur les risques que la grève fait courir à l’entreprise. Les slogans et les banderoles insistent également sur la liberté du travail et l’agression que subissent les usines : « Citroën veut travailler », « Citroën veut vivre », « 130 000 emplois menacés : la même loi pour tous », « Liberté chez Citroën », « Citroën produit français ; Citroën en avant », « Conditions de travail intolérables, violences dans les ateliers », « Libérez nos usines », « Les cocos à Moscou ». En concluant son discours par « la CGT au-dessus des lois, ça suffit ! », Jacques Lombard détourne le mot d’ordre syndical « Citroën au-dessus des lois, ça suffit ! » Dans cette manifestation, la direction de Citroën assemble les différents éléments rhétoriques et symboliques qui nourrissent son attitude tout au long du conflit : non-reconnaissance du fait gréviste (le conflit étant décrit comme une agression, une opération de terreur, menée par des éléments extérieurs à l’entreprise pour des raisons étrangères aux conditions de travail et de salaire des ouvriers) ; mise en scène d’une cohésion d’entreprise reliant l’ensemble des catégories de personnel et d’une fidélité des salariés inscrits au sein d’une grande famille ; défense de la liberté du travail sous-tendue par l’idée que la grande majorité des salariés veut travailler mais en est empêchée par les syndicalistes ; volonté de négocier contrecarrée par la CGT et la CFDT ; esprit de responsabilité des salariés qui ne cèdent pas aux provocations ; dénonciation des relais politiques de la CGT jusqu’au gouvernement, en particulier au ministère du Travail, qui explique l’inertie des forces de l’ordre. En réponse à cette « opération de subversion », le discours patronal mobilise couramment des images militaires et, tout en appelant ses salariés à la retenue, compte sur eux pour participer à la défense des usines. Le terme de guerre revient d’ailleurs plusieurs fois dans les propos des dirigeants de Citroën ou leurs soutiens, Jacques Lombard allant jusqu’à déclarer « Citroën est en guerre contre la CGT [...] Nous sommes en situation de guerre économique, de guerre sociale, peut-être même politique43 ». Usant de procédés de « scandalisation » (Offerlé, 1998, p. 123), l’action des dirigeants de Citroën et de Talbot ne se limite pas à des discours ou à des démonstrations imitant le répertoire d’action syndical, elle cherche à retourner le stigmate produit par le discours syndical à son encontre et renverse la faute afin de rassembler autour d’elle ceux pour qui l’intolérable a été atteint.

  • 44 L’essentiel de ces actions est relaté dans les informations du personnel entre le 18 et le 30 juin (...)

26À Poissy, c’est grâce à l’alliance entre le Syndicat national de la petite et moyenne industrie (SNPMI) et les antigrévistes qu’est organisée l’occupation de l’espace public. Le 22 juin, le blocage de Poissy par les véhicules du SNPMI s’accompagne en effet d’une manifestation de rue à laquelle participent les patrons des petites entreprises du Pisciacais, les membres du « comité des Talbot qui veulent travailler » et la CSL. Puis le 28 juin, 300 ouvriers, employés, techniciens et cadres occupent l’hôtel de ville de Poissy pour protester contre le soutien que la municipalité apporte aux grévistes ; ils en sont évacués le 2 juillet. Enfin, le 30 juin, le « comité des Talbot qui veulent travailler » organise le montage d’une Talbot Samba sur la place de l’hôtel de ville de Poissy, la voiture étant ensuite offerte à l’hôpital de la ville44. La production de cette voiture, d’autant plus en dehors de l’usine, n’est pas sans rappeler la fabrication d’objets de grève, généralement « issus d’un temps particulier (celui de la grève et donc d’un mode de fonctionnement de l’entreprise perturbé) et d’un mode d’organisation et de mise en œuvre du travail inhabituels » (Leyris, 2007, p. 3).

  • 45 Courriers du bureau du cabinet du préfet de Seine-Saint-Denis et du préfet des Hauts-de-Seine, 30  (...)
  • 46 « Table ronde avec Jacques Lombard, Raymond Ravenel et Xavier Karcher », Citroën Information, nº 8 (...)
  • 47 Courrier à l’encadrement, 3 juin 1982, reproduit par extraits dans « Table ronde avec Jacques Lomb (...)

27L’action de rue est une modalité d’action très rare parmi les opposants à la grève et en particulier dans les organisations patronales. Leurs membres maîtrisent peu les savoir-faire militants pour organiser de tels événements, et le recours à ce type d’action illustre surtout « l’épuisement de formes traditionnelles d’intervention » qui conduit à « recourir à des actions plus protestataires » (Frau, 2013, p. 98). Chez Citroën comme chez Talbot, les manifestations les mieux organisées et les plus importantes surviennent en effet dans les derniers jours des conflits, et si elles n’en modifient pas l’issue, elles illustrent, malgré une faiblesse d’habitus manifestant, un degré important d’organisation de la part des directions de ces entreprises et des salariés hostiles aux grévistes. Tout au long des grèves, les directions de Talbot et de Citroën adoptent donc une position offensive et peu conciliatrice envers les grévistes et les syndicalistes. Les entreprises se retournent également contre l’État. Citroën réclame 798 947 000 francs (environ 273 000 euros) pour préjudice commercial et atteinte à l’image de marque de l’entreprise45. Cependant, les entreprises acceptent assez vite les médiations de Jean-Jacques Dupeyroux, espérant que grâce aux nouvelles instances de concertation « nous pourrons faire pénétrer des notions économiques chez nos partenaires sociaux, ensuite nous pourrons rétablir la vérité sur notre action sociale et faire reconnaître que nous étions sur la bonne voie46 ». La profondeur des conflits, les violences et la participation d’une partie de l’encadrement aux opérations antigrévistes incitent aussi à calmer le jeu, afin que la production ne continue pas à être perturbée. Chez Citroën par exemple, la direction explique que « ce sont les cadres qui devront tirer le plus de leçons de notre expérience récente afin de créer un climat social nouveau47 ». Elle organise des séances d’information auprès du personnel non ouvrier afin d’atténuer les attitudes les plus antisyndicales et irrespectueuses envers les ouvriers.

28Si de nombreux problèmes restent en suspens à l’issue des conflits, le champ des possibles semble alors ouvert. Cela contribue à faire du printemps 1982 un événement qui dessine aux yeux des acteurs un avant et un après, travaille leurs représentations et ouvre la perspective à de nouvelles pratiques dans les usines. Cet événement met également en lumière les problèmes quotidiens rencontrés par les OS immigrés.

Interprétation des conflits et conflits d’interprétation

29La question de ce qui « fait problème » dans ces conflits, de ce qui fait événement, et qui les distingue en partie d’autres conflits du travail, peut être abordée par le biais des écrits produits et des paroles exprimées au cours des événements ou juste après leur conclusion, en croisant différents regards sur ces grèves.

Un événement

  • 48 André Sainjon, « Pour sauver l’automobile », tract CGT, s.d. (début juillet 1982). Archives IHS CG (...)
  • 49 « Nous rentrons la tête haute », tract CFDT, 5 juillet 1982. Archives confédérales CFDT, 8H729.
  • 50 Transcription du message du répondeur de l’union parisienne des syndicats des métaux CFDT, 5 juill (...)
  • 51 André Sainjon, « Pour sauver l’automobile », document cité.
  • 52 Intervention d’André Sainjon au meeting de reprise du travail à Citroën-Aulnay, 1er juin 1982, rep (...)
  • 53 « Nous rentrons la tête haute », document cité.

30Les archives des partisans de la grève portent la marque d’un changement historique en cours. Le conflit constitue un événement au sens où il donne « une tonalité nouvelle au cours de l’histoire » (Farge, 2002, p. 70), perçue par les individus qui peuvent alors diviser le temps entre un avant et un après. En effet, l’événement n’étant pas réductible aux faits, c’est bien la réception et la construction par les acteurs, par la façon dont leur sensibilité et leurs émotions sont affectées qui permettent ce redécoupage du temps. Le sens de l’événement est indissociable de la façon dont « les individus le perçoivent, l’intériorisent, finissant à travers des expériences très différentes par lui donner un tracé aux contours repérables. Il n’y a pas d’événement sans qu’un sens lui soit offert par sa réception » (p. 76-77). Ensuite, l’événement agit comme un révélateur, il déplace les représentations, les frontières du possible et de l’impossible, de l’interdit et de l’autorisé, « il crée de la lumière parce qu’il révèle soudain des mécanismes jusque-là invisibles » (p. 70). Enfin, l’événement construit un horizon d’attente, il appelle des suites et des prolongements. « Rien ne sera plus comme avant chez Talbot, comme chez Citroën, et sans doute dans tout le groupe PSA. C’est une évidence claire48. » « Et maintenant, rien ne sera plus comme avant49. » C’est en effet « une date historique » que célèbrent les grévistes, qui « achève une page de l’histoire des OS de l’automobile et Citroën de la région parisienne50 ». C’est donc bien un événement de portée historique dont parlent les syndicalistes, en ce sens où ils le comprennent comme une rupture d’ampleur avec un passé souvent comparé aux régimes totalitaires, mobilisant un imaginaire historique fait de camps de travail, de camps de prisonniers ou de concentration, de bagnes, de bourreaux, de féodalités du Moyen Âge, d’esclavage ou encore de colonisation. Ce passé est aussi évoqué par la liste de ce avec quoi les grèves permettent d’en finir. La litanie des « c’en est fini » ou « c’est fini » offre une synthèse des ruptures en cours : être agent de fabrication au SMIC à vie ; les atteintes à la liberté et à la dignité ; l’encadrement trop nombreux pratiquant systématiquement la répression ; les cadences infernales ; le racisme et les atteintes aux libertés ; le régime des nervis ; le « travaille et tais-toi » ; le système de répression de Citroën ; la terreur ; les barrières entre travailleurs ; le quadrillage de l’usine par les mouchards ; la hiérarchie parallèle, doublant la maîtrise et les techniciens ; les agents de secteur qui balancent avertissements et lettres à domicile ; les cadeaux au « chef interprète », le pastis au chef ; les insultes racistes ; la médecine maison, etc. Les enjeux des conflits ainsi dessinés par la fin d’un passé honni et le rapport au temps sous-jacent sont lisibles également dans les projections vers l’avenir que l’on trouve dans les documents de l’époque. Les écrits syndicaux indiquent que, à la suite du « coup décisif [porté] aux formes du taylorisme », les positions des salariés dans l’organisation du travail sont susceptibles d’être bouleversées. Non seulement en ce qui concerne les OS, pour lesquels une évolution est envisagée, voire une transformation, reconnaissant « la richesse incomparable [de leurs] capacités humaines51 », mais également pour l’ensemble des salariés – ingénieurs, cadres, techniciens –, qui pourront, s’ils tirent les enseignements des conflits, « jouer leur véritable rôle dans la production52 ». Dans le discours cégétiste, l’avenir ouvert par la mobilisation des ouvriers de Citroën et de Talbot est aussi une garantie de l’avenir industriel des entreprises et, partant, de l’intérêt national. La CFDT se projette également : les travailleurs vont pouvoir s’approprier les ateliers qui « ne sont plus à eux, ils sont à nous » et sauront réagir « à chaque fois que ces messieurs voudront reprendre leur influence et leurs méthodes passées53 ». Le futur est donc évoqué comme une poursuite éventuelle de la mobilisation des salariés et de leur mouvement d’insubordination, qui ouvrent la possibilité même de bouleversements plus en profondeur. Le rapport entre présent et avenir, entre l’événement et les possibles qu’il ouvre, appelle donc à considérer la grève comme une forme de résistance sociale qui « est aussi une ouverture et un commencement [qui] opère [...] une trouée dans l’ordre du temps » (Bensaid, 1999).

  • 54 Discours de Jacques Lombard, 25 mai 1982. AD92, 1323W30.
  • 55 « Les conflits sociaux aux usines Citroën des Hauts-de-Seine : analyse et enseignements », note de (...)
  • 56 Ibid.
  • 57 Les Renseignements généraux évoquent l’Association des travailleurs marocains en France (ATMF) et (...)
  • 58 D’autres enjeux, liés notamment à l’islam dans les grèves, seront évoqués au dernier chapitre.
  • 59 Discours de Jacques Lombard, 25 mai 1982, document cité.
  • 60 Grève Talbot, juin-juillet 1982, s.d. Archives Talbot-Poissy.

31Les enjeux des conflits décrits par les directions des entreprises, mais également dans une certaine mesure par les Renseignements généraux, sont diamétralement opposés. L’idée essentielle des interprétations patronales est que les conflits qui se déroulent chez Citroën et chez Talbot ont peu à voir avec le quotidien des usines et s’expliquent soit par des raisons politiques (effets de l’élaboration en cours des lois Auroux et concurrence entre PCF et PS), soit par les visées déstabilisatrices de la CGT dans le groupe PSA, qui cherche à éliminer les autres syndicats et à prendre le pouvoir dans les ateliers. Ainsi, selon la direction de Talbot, cette grève, violente, coûteuse, dangereuse pour l’avenir de l’usine et inutile pour le personnel ne concerne pas directement l’entreprise, qui est devenue le champ d’une bataille dont les enjeux se situent ailleurs. Dans la même veine, le PDG de Citroën dénonce ce qui n’est pas une grève mais un assassinat économique, dans une entreprise connaissant un climat insurrectionnel et qui ne constitue qu’un tremplin pour des luttes politiques étrangères à l’entreprise54. Les observations des Renseignements généraux vont en partie dans le même sens : ils voient dans les grèves une tentative de la CGT pour s’implanter dans des usines où elle est presque absente en s’appuyant sur les nouvelles conditions politiques. Cependant, contrairement aux propos patronaux, les Renseignements généraux relèvent l’exacerbation avec laquelle les OS immigrés grévistes ressentent les disparités sociales, d’où une revendication prioritaire de droit à la dignité55. La manipulation ou le volontarisme syndical n’apparaissent plus alors comme les seules sources des conflits. La façon dont se dessinent les enjeux des conflits est indissociable de la manière dont sont désignés et décrits leurs acteurs. Tous les propos mentionnés évoquent un changement d’état d’esprit, d’attitude des OS immigrés. Les Renseignements généraux expliquent qu’ils « ont manifesté dès le déclenchement du conflit un comportement très “unitaire” et une certaine conscience syndicale et revendicative, peu habituelle parmi cette couche de travailleurs56 », et qu’ils ont multiplié les surenchères que la CGT a eu du mal à maîtriser, faisant alors l’objet de critiques à cause de sa modération. À la recherche d’explications extérieures aux conditions de travail et essayant d’identifier des facteurs et des agents de la cristallisation de la colère sociale57, les Renseignements généraux soulignent surtout le rôle des chefs de clans ou religieux. Dans les discours patronaux en revanche, c’est d’abord la CGT et ses commandos qui sont désignés comme responsables des conflits58. Jacques Lombard prend d’ailleurs soin, dans son discours du 25 mai, de saluer les nombreux et courageux immigrés qui tentent de résister aux pressions et aux menaces59. Les notes de la direction de Talbot sont également unilatéralement à charge contre la CGT, mais décrivent aussi les modifications du comportement des ouvriers immigrés. Considérés jusque-là comme des alliés naturels, « la “mobilisation des amis” ne fonctionne pas60 » face à l’assaut cégétiste, et les Nord-Africains font considérablement défection. Est-ce la peur, la perte d’influence et de crédibilité des responsables maghrébins CSL, les maladresses syndicales ou quelques erreurs administratives qui permettent d’expliquer un tel revirement ? Toujours est-il que c’est un phénomène de fond qui est décrit ici et qui demeure en bonne partie inexplicable pour les directions des entreprises. Cependant, malgré les différences d’interprétation des conflits, toutes font, à des degrés divers, de la question immigrée et de la place des immigrés dans le travail, le syndicalisme et la grève un enjeu essentiel des conflits.

Identifier des problèmes d’OS immigrés

  • 61 Haya, film de Claude Blanchet, 1982.

32Les problèmes posés par la double condition ouvrière et immigrée s’expriment dans les propos des grévistes. À plusieurs reprises les ouvriers se plaignent de devoir effectuer le travail de deux, trois, voire cinq personnes. Ces postes tenus uniquement par des travailleurs immigrés seraient, de l’avis général, impossibles à tenir par des ouvriers français. L’intensification des rythmes de travail (à Aulnay l’effectif est passé de 8 000 à 6 380 salariés entre 1978 et 1982, tandis que la production a augmenté de 800 à 850 voitures par jour) revient régulièrement dans les propos des ouvriers immigrés en grève, de même que l’absence de reconnaissance de leurs qualifications et de leur polyvalence, malgré les longues heures passées à l’usine. De même, leurs bas salaires sont perçus comme le résultat d’une discrimination qui les affecte particulièrement et les différencie des travailleurs français. Gagnant pour la plupart moins de 4 000 francs (environ 1 370 euros) par mois, les grévistes interrogés ont du mal à se loger, ne parviennent pas à faire des économies, peuvent difficilement faire venir leurs familles en France, ne peuvent retourner régulièrement dans leurs pays d’origine ni envoyer suffisamment d’argent à leurs familles et ils ne gagnent pas non plus assez pour « vivre comme des Français61 ».

33Ces motifs généraux évoqués par les grévistes (organisation du travail, rythmes, évolution des carrières, salaires) rejoignent en partie les revendications courantes du mouvement syndical. Mais ils concernent ici uniquement les immigrés, tout en s’imbriquant dans le système de relations sociales propres à Citroën et à Talbot. L’ordre politique particulier qui a cours dans ces entreprises est un facteur central de récrimination structurant l’essentiel des problèmes soulevés lors de la grève, comme les libertés, le manque de respect, les atteintes à la dignité ou le comportement du personnel d’encadrement. L’attitude de l’interprète chargé des travailleurs arabes, dont le nom est connu de tous les travailleurs maghrébins, est particulièrement condamnée par les grévistes : il passe pour un homme omnipotent, qui se plaît à rabaisser systématiquement les ouvriers immigrés, auxquels n’est reconnue aucune compétence ni capacité autonome.

34Les paroles des grévistes qui traduisent la « libération cognitive » (Giraud, 2009 b, p. 836) opérée au cours des grèves permettent d’identifier une question immigrée dans les usines, qui articule plusieurs types d’enjeux – salaires, organisation du travail, compétences professionnelles, reconnaissance, respect, libertés, dignité – et dessine une exigence d’égalité.

  • 62 « Conflit Citroën : recommandations du médiateur », document cité.

35À côté de ces paroles grévistes, une autre intervention souligne la nature profonde des problèmes que mettent en lumière les conflits qui ont lieu au sein de Citroën et de Talbot. Jean-Jacques Dupeyroux, médiateur nommé par le gouvernement pour régler ces conflits, insiste sur « l’extrême gravité d’un conflit » et les problèmes très divers qu’il a soulevés, indissociables d’une « immense question, celle de la condition réservée par la société française aux travailleurs immigrés et de la dignité que cette société est capable ou incapable de leur garantir en toutes circonstances62 ». S’il met l’accent sur le caractère exceptionnel des conflits, il souligne que les questions qu’ils posent touchent plus généralement au rôle réservé aux ouvriers immigrés par la société française. Au-delà des particularités de chaque usine, les conflits dans le secteur automobile révèlent l’impuissance de la société française à offrir des réponses satisfaisantes à la question de la condition des OS. Ces derniers sont essentiellement des immigrés auxquels on ne réserve que des tâches répétitives et qui subissent des procédés de pure contrainte et de répression en cas de contestation, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des entreprises. Si les relations sociales sont particulières à l’histoire de ces entreprises et doivent selon Jean-Jacques Dupeyroux être radicalement revues, elles ne sont donc pas décrites ici comme une simple anomalie, mais comme l’aboutissement ou la mise en œuvre la plus poussée d’une logique sociale qui a des racines profondes dans l’ensemble du monde industriel et, au-delà, dans la société française. L’élargissement du propos du médiateur au problème plus global de la condition immigrée et de son traitement en France constitue une alerte forte : alerte quant aux problèmes des OS immigrés, à leurs relations avec la hiérarchie et à la faiblesse des droits dont ils bénéficient ; mais plus généralement, alerte à propos de leur position dans les rapports de production et à propos des formes de domination dans le travail et hors de ce dernier. Jean-Jacques Dupeyroux s’inquiète de ce que nourrit au sein de la société un tel traitement des ouvriers immigrés :

  • 63 « Conflit Talbot : recommandations du médiateur », document cité.

D’un point de vue éthique, une société qui accepte que certaines catégories de travailleurs, seraient-ils immigrés, soient cantonnées dans des tâches totalement aliénantes pour des vies entières renonce aux valeurs fondamentales dans lesquelles elle doit trouver son fondement et sa cohésion. S’interdisant de se présenter en modèle aux générations montantes, elle cultive en elle-même les germes de la désagrégation63.

Alors que l’articulation entre condition ouvrière et condition immigrée est rarement explicitée dans les analyses syndicales, le médiateur identifie les questions ouvrières soulevées par les conflits qui se déroulent chez Talbot et chez Citroën comme des problèmes immigrés. Il passe en effet de l’évocation de « la condition des OS » à celle de l’immigration en général, passage qui n’a pourtant rien d’évident a priori, mais est rendu possible par ces conflits qui interrogent nécessairement la double condition d’OS et d’immigré.

*

36Couronnant plusieurs années de luttes pour les libertés syndicales chez Citroën et chez Talbot, les grèves du printemps 1982 ont aussi des traits familiers avec d’autres conflits, notamment ceux des années 1968, dans lesquels les OS immigrés ont été impliqués. Ils s’en distinguent néanmoins par certains aspects, notamment leurs modes de résolution, la façon dont ils prennent place dans un contexte politique particulier – entre l’élection présidentielle de 1981 et le tournant de la rigueur de 1983 – et peut-être avant tout dans les formes mêmes de la pratique gréviste, dans la façon dont les ouvriers se saisissent de la grève puis du syndicalisme comme outil collectif. Au-delà de la satisfaction de leurs revendications, les OS immigrés font ici leur première expérience de mobilisation collective. L’événement produit des déplacements, « l’action qui fait advenir l’événement fend le glacis des routines. En allant au-delà même des transgressions envisageables, elle libère d’un coup au sein de la sphère publique un faisceau de possibles jusque-là impensables » (Bensa & Fassin, 2002, p. 9). On peut donc émettre l’hypothèse, en reprenant les mots de Boris Gobille, que ces conflits constituent un moment « où les subjectivités des acteurs sont prises dans un dépassement plus ou moins grand des limites héritées de leur socialisation et objectivées dans leur position sociale » (2008, p. 326). Ainsi, l’événement que constituent ces grèves peut être appréhendé comme un révélateur, pour les observateurs extérieurs certes, mais d’abord pour les acteurs, dont la subjectivité, individuelle comme collective, se transforme, dans le sens où se construit un sentiment d’identification au groupe et de solidarité collective qui « ne précède pas [nécessairement] la grève mais peut en être au contraire le produit » (Giraud, 2009 b, p. 798).

Notas

1 Benoit (1982, p. 29).

2 J’emprunte l’expression à Michelle Zancarini-Fournel (2008 a) qui l’emploie à propos du moment 68.

3 Notes manuscrites CGT, s.d. (juin 1981). Archives Institut CGT d’histoire sociale (IHS CGT), 150CFD144.

4 Il s’agit des cotisations mensuelles que les adhérents paient auprès de leurs délégués.

5 Entretien avec Jean Auroux, janvier 2014.

6 Tract CGT Citroën-Aulnay, fin septembre 1982. Archives départementales de Seine-Saint-Denis (AD93), 49J572.

7 Il y a en effet plusieurs directions : la direction centrale et les directions des usines.

8 Courriers, documents internes et tracts CGT. AD93, 1508W104. Le nombre de candidats continue à augmenter par la suite.

9 Ordonné de référé rendu le 26 mars 1982, tribunal d’instance d’Aulnay-sous-Bois. AD93, 1508W104.

10 Courrier de la CGT Talbot à M. Malaval, président de la commission de contrôle, 26 mars 1982 (transmis par Marie Jacek à Gilbert Cornu, conseiller technique au ministère du Travail). Archives CGT de PSA-Poissy.

11 Rapport d’Évelyne Vandem Heyr à la réunion CGT du 15 décembre 1981. AD93, 49J572.

12 « Changement ou violence », tract de l’inter Citroën CFDT, avril 1982. AD93, 1508W100.

13 Tracts CGT Aulnay, 14 janvier 1982 et 15 octobre 1981. AD93, 1508W100.

14 Fiche de conflit, direction départementale du travail, 8 avril 1982. AD93, 1508W100.

15 Fiche de conflit, direction départementale du travail, 16 avril 1982. AD93, 1508W100.

16 « Libertés, salaires, conditions de travail sur le chemin du changement », communiqué CGT, s.d. Archives de l’union locale CGT d’Aulnay-sous-bois (ULCGTAsB).

17 Courrier CGT Aulnay au chef du personnel, 22 avril 1982. AD93, 49J572.

18 Entretien avec Christian Bonin, novembre 2009.

19 Entretien avec Mehdi, janvier 2013.

20 Entretien avec un ouvrier marocain, juillet 1982. AD93, fonds Jean-Patrick Lebel, 2AV32/253-254.

21 Outre les interventions du député communiste d’Aulnay-sous-Bois François Assensi, Jean Auroux, ministre du Travail, déclare à propos du conflit en cours : « Nous payons ici dans cette entreprise et dans le pays à propos de l’affaire Citroën l’atrophie du dialogue social qui a été mené pendant des années et des années dans cette entreprise et qui rend beaucoup plus difficiles les conditions d’un accord avec des gens qui avaient perdu l’habitude de respecter des libertés, des dignités, et qui se retrouvaient tous autour d’un tapis vert. [...] l’entreprise doit être chez Citroën comme partout en France un lieu de démocratie et de travail », intervention de Jean Auroux à l’Assemblée nationale le 19 mai 1982, en ligne : www.ina.fr/economie-et-societe/vie-sociale/video/CAB8200961701/citroen-assemblee.fr.html (octobre 2020). Accusé par Jacques Toubon d’être « le ministre non pas du Travail mais celui de la CGT », il réplique « je préfère être le ministre des travailleurs plutôt que celui des patrons », dans « Citroën : face-à-face à Aulnay », Le Parisien, 29 avril 1982.

22 Elle a pour objet de « régler les conflits collectifs de travail qui n’ont pas été soumis à une procédure conventionnelle de conciliation pour quelque raison que ce soit ». AD93, 1508W100.

23 « Conflit Citroën : recommandations du médiateur », 26 mai 1982. Archives ULCGTAsB.

24 Note de Gilbert Cornu, chargé de mission, à M. le ministre du Travail, 27 mai 1982. Archives nationales (AN), 19890442/15.

25 Journal télévisé, 27 mai 1982, archives INA.

26 Déclaration de Jean Auroux à l’Agence France presse (AFP) à propos des événements de Talbot-Poissy, 3 juin 1982, 21 h 15.

27 Ibid.

28 Ce changement d’attitude peut s’expliquer par le haut degré de violence des premiers jours de la grève, qui incite d’autant plus le gouvernement à intervenir pour ramener le calme, sans donner raison à l’un ou l’autre des camps en présence. Par ailleurs, la succession de conflits dans ce secteur-clé de l’industrie automobile ne peut qu’inquiéter le gouvernement, qui ne souhaite pas voir sa politique perturbée par des grèves. Enfin, entre mai et juin 1982, le gouvernement opère un premier changement de politique, avec le blocage des prix et des salaires, la lutte contre l’inflation devenant une priorité, ce qui préfigure le tournant de la rigueur qui sera annoncé officiellement au début de l’année suivante. Pierre Mauroy déclare par exemple le 21 mai que « le gouvernement est décidé à agir pour modérer davantage l’évolution des salaires » (voir Bantigny, 2013).

29 Informations du personnel, entre le 21 et le 30 juin 1982. Archives Talbot-Poissy.

30 Bulletin CFDT Métaux Paris, 14 juin 1982. Archives interfédérales CFDT, 1B416.

31 Rapport du 15 juin 1982. Archives Talbot-Poissy.

32 « Résumé du document de travail de la CGT prenant en compte les acquis », s.d. Archives CGT de PSA-Poissy.

33 « Ensemble décidons », tract CGT Talbot, 2 juillet 1982. Archives CGT de PSA-Talbot.

34 Pour une vision plus détaillée de ces évolutions, voir Gay (2016).

35 AN, 19890442.

36 Courrier de Jacques Lombard aux syndicats et aux préfets de Seine-Saint-Denis et des Hauts-de-Seine, 17 mai 1982. Archives confédérales CFDT, 8H729. Courrier de Jacques Lombard à Gaston Defferre, 19 mai 1982. AN, 19890442.

37 Courrier de François Cusey à Jean-Jacques Dupeyroux, 25 mai 1982. AN, 19890442.

38 Courrier de Citroën, 15 mai 1982. Archives ULCGTAsB.

39 Pétition de salariés de l’usine Talbot-La Rochelle adressée au président de la République, s.d. AN, 19890442/16.

40 Informations du personnel de Talbot, 7 juin 1982. Archives Talbot-Poissy.

41 Lettre-pétition adressée au président de la République, 18 juin 1982. Parmi les 5 379 lettres reçues, de nombreuses ne sont pas signées. Voir « note de Jeannette Laot à l’attention de Bernard Brunhes », 28 juin 1982. AN, 19890442.

42 Note des Renseignements généraux, 26 mai 1982. AD92, 13223W30.

43 Le Matin, 24 mai 1982.

44 L’essentiel de ces actions est relaté dans les informations du personnel entre le 18 et le 30 juin. Notons que si ces actions ne sont pas le fait de la direction de l’entreprise, celle-ci prête son concours, par exemple en installant une grue sur la place de la mairie de Poissy, et en fait la promotion en relayant auprès des salariés chacune des actions menées.

45 Courriers du bureau du cabinet du préfet de Seine-Saint-Denis et du préfet des Hauts-de-Seine, 30 juin 1982. AN, 19870121/74.

46 « Table ronde avec Jacques Lombard, Raymond Ravenel et Xavier Karcher », Citroën Information, nº 804, juillet 1982.

47 Courrier à l’encadrement, 3 juin 1982, reproduit par extraits dans « Table ronde avec Jacques Lombard, Raymond Ravenel et Xavier Karcher », art. cité.

48 André Sainjon, « Pour sauver l’automobile », tract CGT, s.d. (début juillet 1982). Archives IHS CGT métallurgie, pas de cote.

49 « Nous rentrons la tête haute », tract CFDT, 5 juillet 1982. Archives confédérales CFDT, 8H729.

50 Transcription du message du répondeur de l’union parisienne des syndicats des métaux CFDT, 5 juillet 1982. Archives confédérales CFDT, 8H729.

51 André Sainjon, « Pour sauver l’automobile », document cité.

52 Intervention d’André Sainjon au meeting de reprise du travail à Citroën-Aulnay, 1er juin 1982, reproduite par extraits dans les annexes de Benoit (1982).

53 « Nous rentrons la tête haute », document cité.

54 Discours de Jacques Lombard, 25 mai 1982. AD92, 1323W30.

55 « Les conflits sociaux aux usines Citroën des Hauts-de-Seine : analyse et enseignements », note des Renseignements généraux, 3 juin 1982. AD92, 13223W30.

56 Ibid.

57 Les Renseignements généraux évoquent l’Association des travailleurs marocains en France (ATMF) et dans une moindre mesure la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) comme ayant pu avoir un rôle d’entraînement auprès des OS immigrés.

58 D’autres enjeux, liés notamment à l’islam dans les grèves, seront évoqués au dernier chapitre.

59 Discours de Jacques Lombard, 25 mai 1982, document cité.

60 Grève Talbot, juin-juillet 1982, s.d. Archives Talbot-Poissy.

61 Haya, film de Claude Blanchet, 1982.

62 « Conflit Citroën : recommandations du médiateur », document cité.

63 « Conflit Talbot : recommandations du médiateur », document cité.

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