Version classiqueVersion mobile

Scènes baroques d’aujourd’hui

 | 
Céline Candiard
, 
Julia Gros de Gasquet

V. Danse et spectacles baroques

Présentation

Texte intégral

1Le rapprochement entre danse et mise en scène baroques est évident tant elles font figure de fausses jumelles : toutes deux arts scéniques prenant en charge sur un plateau des œuvres du passé en utilisant comme instrument le corps de leurs interprètes, elles entretiennent cependant un rapport aux sources très différent, avec une surabondance d’un côté et un manque apparent de l’autre. Mais toutes deux, dans leur pratique artistique actuelle, sont traversées de tensions comparables : entre l’approfondissement de la fréquentation des sources et l’aspiration à s’en affranchir, entre la fidélité aux données du passé ou l’utilisation de ces données comme matériaux malléables à volonté, elles revendiquent dans tous les cas un renouvellement du regard.

2L’article d’Hubert Hazebroucq présente un courant de création chorégraphique nourri de recherches approfondies sur les danses du passé et qui s’inscrit en cela dans un rapport de fidélité à la démarche des pionniers de la danse baroque au xxe siècle, dont il retrace brièvement l’histoire. Il dresse un panorama des différents styles de danse baroque qui coexistent aujourd’hui, en mettant en évidence des appropriations différentes des données des sources, en fonction notamment de la formation préalable des artistes, mais aussi de leur expressivité propre. Loin d’opposer historicité et créativité, il donne à voir la fréquentation assidue des sources, dont l’étude connaît aujourd’hui un développement sans précédent, comme un moyen paradoxal de renouveler la création, de réactiver sans cesse l’étrangeté de la danse baroque afin d’échapper à l’académisme qui pourrait résulter d’une technique figée.

3Partageant avec lui un même souci de renouvellement, la chorégraphe Béatrice Massin décrit cependant une démarche alternative. Revenant sur sa découverte, grâce à Francine Lancelot, de la notation Beauchamp-Feuillet, qu’elle reçoit comme une visualisation de la musique, elle assume une démarche de création pleinement contemporaine, mais nourrie par l’esthétique baroque. Elle prolonge ainsi le dialogue ouvert par Feuillet entre la musique et la matérialité des corps en s’appuyant sur des recherches en anatomie, afin de donner une nécessité aux gestes de la danse et d’éviter qu’ils ne soient plaqués de l’extérieur. Le parcours qu’elle propose à travers plusieurs spectacles significatifs des quinze dernières années de sa carrière donne à voir un refus de toute idée de réactivation historique, au profit d’une réappropriation des sources comme d’une matière à façonner.

4Entre ces deux directions créatrices, nous voulions faire entendre une voix d’interprète, celle de Nick Nguyen, qui revient sur son expérience de la recréation d’Atys en 1986-1987. Son témoignage fait apparaître une affinité fondamentale entre danse et musique baroques dans l’importance donnée au geste de l’interprète, intervalle entre l’œuvre et le présent, entre le chorégraphe et le spectateur, marge créatrice qui incorpore le corps contemporain et une perception nécessairement rêvée de l’esthétique baroque. À sa voix se mêle celle, plus théoricienne, de Chantal Lapeyre-Desmaison. Elle s’attache avec lui à définir les contours d’un « baroque contemporain » qui, s’il ne s’appuie pas nécessairement sur les témoignages des sources, cultiverait comme son devancier l’art de l’oxymore. Le baroque, dans ses résurgences contemporaines tel l’Atys de William Christie et Jean-Marie Villégier et Francine Lancelot, jouerait ainsi de la tension entre déchaînement des passions et grâce mesurée, entre le corps en mouvement et la rhétoricité de son langage.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search