Présentation

1Enracinée dans un travail de recherche sur les sources historiques et revendiquant un rapport de proximité avec les codes de jeu du xvii^e siècle, la mise en scène baroque suscite depuis son apparition l’intérêt des spécialistes de la période, qui critiquent parfois ses inexactitudes à l’égard des sources. Les artistes se défendent quant à eux en se réclamant de la liberté artistique, tout en profitant souvent malgré eux d’un malentendu alimenté par l’insistance des diffuseurs et de la presse sur la dimension archéologique de spectacles censés faire revivre les pièces telles qu’elles avaient paru au moment de leur création d’origine. Il était donc important de poser ici la question du rapport de la mise en scène baroque avec le champ du savoir, en la poussant notamment dans deux directions : d’abord en s’interrogeant sur la manière dont la pratique peut s’emparer des connaissances actuelles sur les théâtres de la première modernité pour donner forme à des spectacles aujourd’hui et sur la nature et le degré de contrainte que fait peser sur elle la référence historique ; puis en analysant les enjeux pédagogiques de la pratique théâtrale baroque dans la transmission des textes anciens, qu’elle s’adresse aux élèves du secondaire ou à des étudiants d’université.

2Centré sur la question de l’espace de jeu, l’article d’Anne Surgers interroge le jeu frontal tel que le pratique généralement la mise en scène baroque aujourd’hui, mettant en évidence sa contradiction avec l’usage de l’espace scénique en Europe avant le xviii^e siècle. En prenant en compte à la fois le rapport particulier des comédiens du xvii^e siècle aux spectateurs et la recherche d’étrangeté inhérente au projet artistique de la mise en scène baroque aujourd’hui, son étude propose des voies de réinvention possible du rapport entre la scène et la salle.

3Prenant elle aussi pour point de départ une démarche d’universitaire spécialiste du théâtre du xvii^e siècle, la contribution de Bénédicte Louvat rend compte quant à elle d’un projet de mise en œuvre pratique des recherches sur ce théâtre. En fédérant des spécialistes de divers domaines et plusieurs comédiens amateurs dans le cadre de sessions régulières de travail, le projet de mise en scène de L’École des femmes de Molière entend expérimenter une pratique alternative à celle du jeu baroque pratiqué par les troupes professionnelles, à la fois dans ses priorités et dans ses partis-pris esthétiques.

4Appui de la recherche historique sur le théâtre du xvii^e siècle, l’exploration pratique du jeu peut également guider la compréhension des textes eux-mêmes. C’est ce dont rend compte l’article de Jeanne Bovet, qui donne à voir l’incidence poétique de l’application des codes de déclamation de la première modernité, pris comme une véritable donnée de l’écriture dramatique, dans l’étude des textes. L’initiation aux principes de déclamation peut ainsi constituer, en particulier dans le cadre universitaire, un atout pédagogique majeur, permettant de faire entendre la « voix » des textes par le repérage et l’exploitation de ses indices de déclamation, qui suggèrent des directions d’analyse.

5Le témoignage d’Isabelle Grellet sur les ateliers de théâtre baroque qu’elle a animés pendant vingt-cinq ans au lycée Montaigne, à Paris, rend compte lui aussi des apports de la déclamation dans l’accès des adolescents aux textes anciens, mais également des bénéfices de l’initiation au jeu baroque dans l’appropriation des codes, la prise de conscience de son propre corps et l’apprentissage de l’autonomie par le plaisir de l’expérimentation et la déconstruction ludique des contraintes. La variété de ces enjeux, qui s’étendent bien au-delà du seul champ du savoir, donne à considérer l’importance des conceptions et aspirations esthétiques qui sous-tendent l’aventure baroque à l’époque contemporaine.