1Pour aborder l’étude de la mise en scène baroque, plusieurs portes d’entrée étaient envisageables, qu’elles ouvrent du côté de la pratique ou de la théorie. Dans cette réflexion collective où se font entendre plusieurs voix, venues de la scène ou des universités, des salles de classe ou des sociétés de production, il nous a semblé essentiel de ne pas renoncer, pour le seuil d’entrée de notre ouvrage, à la pluralité des perspectives. Ainsi, plutôt qu’une ouverture unique, nous proposons ici une première approche sous trois angles, dont chacun correspond à une fonction distincte.

2Donner la parole à Eugène Green en ouverture du volume était une évidence, d’abord parce qu’il est le seul survivant des « pionniers » de la mise en scène baroque, mais surtout parce qu’il donne à entendre une proposition artistique enracinée dans la connaissance précise des sources historiques, comme l’atteste son ouvrage La Parole baroque, paru en 2001. Son témoignage, qui retrace plus de vingt années de travail sur le jeu baroque, permet de mesurer l’importance de la création dans sa démarche, qui répond avant tout à un désir de faire du théâtre, à une aspiration esthétique. À la différence d’un travail de reconstitution archéologique, auquel la mise en scène baroque est pourtant souvent réduite, il s’agit pour lui de prendre les sources comme un moyen, l’appui d’une proposition créatrice, plutôt que comme une loi sacrée à respecter pour elle-même. Il nous importait, en faisant entendre cette parole dès le début de l’ouvrage, de situer la mise en scène baroque à sa juste place de réalisation artistique, au même titre que les autres démarches de mise en scène aujourd’hui.

3Après l’avoir abordé du point de vue artistique, nous souhaitions que le lecteur, la lectrice puisse envisager l’objet de ce livre sous un angle plus théorique. Pour cela, il nous a paru utile de lui fournir une véritable mise en perspective, historique et esthétique, de l’appellation, essentielle mais problématique, « baroque », source de multiples malentendus et crispations. Il s’agit ainsi de donner des clés de compréhension, à la fois sur la démarche esthétique des artistes se réclamant du « baroque » et sur les polémiques que ceux-ci ont rencontrées. L’étude de Fabien Cavaillé permet non seulement de parcourir de manière synthétique l’histoire et les différentes extensions de la notion, en en rappelant les critères définitionnels (chronologiques, formels, thématiques...), mais elle explicite les présupposés implicites de son usage dans le domaine artistique à l’époque contemporaine. Ce faisant, l’auteur parvient à résoudre le paradoxe de la persistance d’une appellation que tout le monde s’accorde pourtant à considérer comme insatisfaisante, en montrant les avantages qu’elle présente : celui d’englober dans un même mouvement des objets (époques, domaines artistiques) habituellement dissociés et celui de dépasser l’opposition traditionnelle entre classicisme et modernité, reconstitution et création.

4Enfin, pour ne pas présenter les approches pratique et théorique comme des options radicalement différenciées, il nous a semblé essentiel de proposer une démarche d’articulation intellectuelle entre enjeux de savoir et propositions artistiques. À la croisée d’une expérience de praticienne et d’un travail d’érudite, l’article de Julia Gros de Gasquet cherche à sortir de l’antagonisme où se trouvent souvent pris les deux points de vue et suggère pour cela de remplacer la notion de vérité historique, volontiers prise comme critère de validité des spectacles baroques alors qu’elle est exogène à la logique artistique, par la notion de justesse, qui rend mieux compte d’une recherche de fidélité esthétique aux spectacles anciens et admet une marge de réappropriation par les artistes. Il s’agit ainsi, par le biais d’une approche qui s’inscrit dans la tradition disciplinaire des études théâtrales telle que l’a définie un Bernard Dort, de partir du point de vue des créateurs, de leur expérience et de leurs aspirations, pour élaborer ensuite un discours critique informé. C’est dans cet esprit d’écoute qu’a été conçue l’idée même de cet ouvrage.