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Aux marges des villes modernes

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Yannick Jambon

Postface

Olivier Zeller

Texte intégral

1Tout le talent d’un postfacier se résume à savoir regarder l’avenir. En présentant cet ouvrage, Peter Clark a déjà brossé un état des questionnements qui ont animé l’étude de la périurbanité moderne en Europe, a pointé la curieuse indigence des travaux français et a démontré toute la valeur de l’œuvre de Yannick Jambon, venue commencer à combler cette criante lacune. Il est clair que cette étude ne s’impose pas seulement par son opportunité, mais par des forces qui témoignent des réelles qualités d’historien de son auteur : l’inventivité documentaire, la largeur des prises, l’usage habile de la méthode comparatiste, la variété des questionnements. Sur un plan davantage esthétique que technique, il faut également saluer la modestie scientifique, sans nulle affectation, et le rigoureux esprit critique qui a permis à l’auteur de balayer plusieurs idées reçues, jusque-là répétées sans fondement ni examen, ainsi que cela se produit trop souvent dans les sciences humaines.

2Depuis cette fête de l’histoire que fut la brillante soutenance de thèse de Yannick Jambon en décembre 2010, et sa publication par les soins des Presses universitaires de Lyon, plus de six années se sont écoulées, ce qui paraît singulièrement long à l’aune des rythmes académiques. Elles n’ont pourtant guère vu d’avancées décisives. Si l’on excepte les travaux des géographes, la suburbanité est restée l’apanage des médiévistes et des contemporanéistes. Certes, ce champ de recherche avance en Europe ; en témoigne la session qu’ont organisée Denis Menjot et Peter Clark lors du xiiie congrès de l’Association européenne d’histoire urbaine tenu à Helsinki en août 2016. Mais le faubourg français est resté négligé, et la thèse de Yannick Jambon a conservé toute son actualité.

3En présentant son travail, l’auteur soulignait que la collecte de sources lointaines et variées ne lui aurait jamais été permise par sa vie de professeur enseignant en lycée si la « révolution informatique » n’avait pas ouvert l’accès en ligne à certaines sources des fonds publics. Il est une autre innovation de nature à pousser plus loin les analyses : le logiciel d’information géographique, qui commence à devenir familier aux historiens français. Il y aura certainement beaucoup à gagner en reconstituant bâti, voierie et parcellaire faubouriens et en croisant la cartographie ancienne, les atlas terristes et les excellents plans qu’ont laissé ça et là les trésoriers de France. Là où l’expansion urbaine n’a pas radicalement transformé les anciens faubourgs, il reste également à observer les témoins architecturaux du passé et à s’interroger sur la morphologie périurbaine. Par exemple, en partant de l’hypothèse d’un pouvoir structurant qui serait celui de la grande route traversante, distinguer des formes de bâti proximales, adaptées aux fonctions d’accueil que jouait maint faubourg, des formes distales, marquées par la ruralité et ses nécessités propres. L’analyse devra également s’attacher aux formes d’usage de l’espace, notamment lors des implantations industrielles du xviiie siècle qui ne résultaient pas que de la disponibilité foncière, des ressources en eau ou des facilités d’approvisionnement en matières premières et en bois, mais également de décisions d’ordre politique.

4L’une des principales avancées réalisées par Yannick Jambon consiste à avoir fait justice de ce présupposé téléologique qui présentait sans preuve le faubourg comme l’antichambre de la ville, une sorte de sas migratoire où se seraient inscrites les trajectoires individuelles ou lignagères. En même temps, l’originalité démographique du faubourg a été démontrée de manière irréfutable. Sa population vivait selon ses rythmes propres, qui n’étaient ni ceux de la ville, ni ceux de la campagne. Elle subissait des crises dont la temporalité et la gravité lui étaient également particulières. Reprendre ici la bonne vieille méthode Fleury et Henry serait sans doute éclairant. Certes, les « fiches ouvertes » seraient probablement nombreuses, ce qui traduirait l’importance de la mobilité géographique, au moins celle de certains : ne pourrait-on pas décrire la population faubourienne comme la juxtaposition de catégories d’habitants différant par leur mobilité avec, en arrière-plan, des rapports à la terre et à la propriété également diversifiés ?

5De là, pourquoi ne pas glisser d’un rêve dans un autre et imaginer la reconstitution de quelques « sentiers invisibles » ? Des registres paroissiaux faubouriens du xviiie siècle définissent parfois celui que l’on enterre par le métier qu’il pratiquait naguère en ville. Tout se passe comme si le lien avec le faubourg n’avait jamais été rompu et que, l’âge étant venu, l’urbain retournait achever sa vie dans son lieu d’origine. Cela pourrait s’expliquer par des facteurs purement répulsifs, tels que l’exclusion des inactifs hors des espaces professionnellement spécialisés, ou tels que la difficulté de conserver un logement et d’affronter le coût de la vie, enchéri par les fiscalités d’octroi. Mais la part des facteurs attractifs devra être faite : la persistance au faubourg de réseaux familiaux, la conservation du patrimoine assurant logement et revenu, ce qui renvoie à l’étude des rapports entre la ville et sa périphérie sous l’angle de la petite propriété périurbaine.

6Ce ne sont sans doute là que quelques-unes des idées qui germeront dans l’esprit des lecteurs du livre de Yannick Jambon. Loin d’avoir choisi le morne confort de ces thèses de simple application qui, parfois, ne s’appuient que sur une source unique, l’auteur a pris le risque d’embrasser un sujet immense, presque terra incognita. Le résultat donne faim d’histoire. Par la variété de ses approches, comme par l’intérêt de ses conclusions, Aux marges de la ville moderne constitue véritablement un livre pionnier, auquel, j’espère, on se référera longtemps.

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