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    Plan détaillé Texte intégral Un contexte global de compétition internationale en évolution Accroissement de l’autonomie institutionnelle Des réformes françaises qui mettent en compétition les établissements et visent à différencier plus Des réformes qui reconfigurent le paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche Une articulation complexe entre autonomie, compétition et reconfiguration Et maintenant ? Notes de bas de page Auteur

    Études de santé

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Chapitre 14. Un monde universitaire en transformation

    Christine Musselin

    p. 215-224

    Texte intégral Un contexte global de compétition internationale en évolution Accroissement de l’autonomie institutionnelle Des réformes françaises qui mettent en compétition les établissements et visent à différencier plus Des réformes qui reconfigurent le paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche Une articulation complexe entre autonomie, compétition et reconfiguration Et maintenant ? Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1Il est fréquent de lire que le monde universitaire français est rétif aux réformes. Il serait aussi continuellement en recul comme le montre la huitième place occupée aujourd’hui par la France en nombre de publications et la septième pour le nombre de publications parmi les 1 % les plus citées1. La récente progression de plusieurs établissements dans le classement de Shanghai pourrait donner l’illusion que le mouvement s’inverse mais ce serait oublier que ce résultat tient moins à une amélioration des performances qu’a une agrégation de celles-ci : cela ne changera probablement donc rien à la position française dans le concert scientifique mondial et les critiques de notre système universitaire pourront continuer à en dénoncer le recul et le manque d’évolution. Pourtant, l’un et l’autre doivent être fortement relativisés. Le « déclin » est d’abord lié à l’émergence de nouvelles puissances scientifiques et touche toutes les grandes nations occidentales. Quant à l’immobilisme, un regard rétrospectif le met immédiatement en question.

    2Le système universitaire français s’est en effet profondément transformé et un monde sépare les universités d’aujourd’hui et la république des facultés qui a prévalu jusqu’à ce que la loi Faure de 1968 donne naissance à des institutions universitaires dotées, sur le papier au moins, de l’autonomie pédagogique, financière et administrative. Il a fallu cependant attendre la mise en œuvre de contrats quadriennaux entre le ministère et chaque université au tournant des années 1990 pour qu’elles gagnent en épaisseur institutionnelle, qu’elles développent des projets d’établissement qui soient plus que la somme de ceux de leurs unités de formation et de recherche (UFR), qu’elles deviennent – en lieu et place des disciplines – les interlocuteurs privilégiés du ministère et qu’elles constituent un niveau d’intégration et de coordination intermédiaire entre les universitaires et les autorités publiques2. Si l’on ajoute à cela que les universités ont, sur la même période, digéré la première massification (années 1960), assimilé la seconde (1987 à 1995), réorganisé en l’espace de deux ans (2002-2004) les formations conformément au LMD (licence-master-doctorat) prôné par le processus de Bologne, et connu trois lois d’orientation depuis la loi Faure alors qu’il n’y en eut aucune entre 1896 et 1968, on fait un mauvais procès aux universités françaises en les accusant de ne pas changer.

    3Les deux dernières décennies en sont une preuve encore plus évidente : certes on ne peut nier les résistances, les contestations ou les mouvements d’opposition qu’ont entraînés les réformes, ou passer sous silence les succès mitigés de certaines d’entre elles, mais on ne peut non plus ignorer qu’aujourd’hui les universités sont dotées d’une plus grande autonomie, que les multiples appels à projets qui ont été lancés ont suscité beaucoup de réponses et que le paysage universitaire français actuel ne ressemble pas à celui des années 2000.

    4Autonomie accrue, mise en compétition et reconfiguration sont en effet les trois dynamiques réformatrices qui ont parcouru notre système d’enseignement supérieur et de recherche3, dans un contexte mondial lui-même en pleine évolution comme nous le verrons dans un premier temps.

    Un contexte global de compétition internationale en évolution

    5La compétition pour les étudiants, pour les financements et entre scientifiques est une constante des systèmes d’enseignement supérieur et de recherche depuis la création des universités. La période contemporaine n’est de ce point de vue pas fondamentalement différente de celles qui l’ont précédée depuis le Moyen Âge. Pourtant, trois évolutions importantes ont marqué les trois dernières décennies et ont modifié la forme et l’étendue de la compétition universitaire.

    6Tout d’abord, la compétition s’intensifie sous l’effet de dispositifs publics et privés visant à la renforcer. Les premiers sont le fruit de nouvelles formes d’action publique4 : sans totalement abandonner les instruments traditionnels de réglementation et de contrôle, les gouvernements de très nombreux pays ont eu recours à des mesures incitatives, produit des indicateurs permettant la comparaison entre les individus ou les institutions, lié l’attribution des budgets à des critères de performance ou multiplié les appels à projets pour sélectionner les heureux bénéficiaires de ressources supplémentaires. Bref, ils ont déployé des dispositifs de mise en compétition entre les universitaires et incité ces derniers à se conduire en compétiteurs et à se percevoir comme des concurrents. Or cela a été renforcé par le fait que les technologies numériques ont permis à des acteurs privés (Google ou WoS) de collecter et d’exploiter de vastes bases de données qui servent à produire des indicateurs (citation index, h-index, etc.) ou des classements nationaux ou internationaux (Shanghai, THE, QS, etc.) qui, en permettant aux uns et aux autres (individus, revues scientifiques, équipes, établissements, pays) de se comparer5 ont eux aussi contribué à attiser la concurrence.

    7Ensuite, alors que jusqu’à récemment, et notamment en Europe et en France, la compétition se jouait essentiellement entre les chercheurs ou équipes de chercheurs d’un côté, et entre les nations de l’autre, les universités sont, à leur tour, devenues des compétiteurs6. Le mouvement généralisé d’attribution, par les autorités publiques, d’une plus large latitude administrative, budgétaire et pédagogique aux établissements, va toujours de pair avec la production en retour de plans stratégiques, de définitions de priorités, de choix de développement. Les universités sont ainsi appelées à se conduire en acteur collectif 7 et donc à s’inscrire dans un espace concurrentiel.

    8Enfin, la compétition est devenue globale. Auparavant, elle était certes déjà internationale mais les pays qui se concurrençaient étaient essentiellement occidentaux et principalement européens et nord-américains. Aujourd’hui de nouveaux grands et puissants concurrents ont émergé, en Chine bien sûr, mais aussi en Inde, en Australie, etc. La configuration concentrique qui prévalait il y a encore quelques dizaines d’années, est devenue polycentrique. Les pays qui caracolaient en tête du nombre de publications par an et par tête et des citation index se voient talonner ou dépasser par de nouveaux venus.

    9C’est dans ce contexte en mouvement que s’inscrivent les réformes menées en France, même si elles restent très largement spécifiques et propres à notre pays.

    Accroissement de l’autonomie institutionnelle

    10Comme ses voisins européens, mais plus tardivement que la plupart d’entre eux, la France a voté en 2007 une loi, la LRU (libertés et responsabilités des universités) ou « loi Pécresse », visant à accroître l’autonomie institutionnelle de ses universités. Dans le cas français, elle a surtout renforcé les marges de manœuvre des présidents en les dotant de pouvoirs décisionnaires qu’ils n’avaient pas auparavant (par exemple, refuser un classement pour un recrutement, même si cela n’est plus en vigueur aujourd’hui), en mettant en place des règles électorales (elles aussi modifiées depuis) lui garantissant une plus forte majorité au sein du conseil d’administration, ou en ouvrant la possibilité de recruter des enseignants ou des administratifs en dehors des postes permanents de la fonction publique. Mais la disposition probablement la plus transformante de cette loi est certainement « le passage aux responsabilités et compétences élargies (RCE) » qui donne notamment la possibilité aux universités de devenir responsables du budget correspondant à leur masse salariale et de gérer ainsi des montants budgétaires plutôt que des postes, possibilité qui a finalement été adoptée par l’immense majorité des établissements. La délégation de gestion de leur patrimoine immobilier que permettaient aussi les RCE a en revanche connu un moindre succès et été plus rarement choisie.

    11Comme nous l’avons montré dans une recherche menée quatre ans après la LRU8, cette loi n’a pas été sans effet sur le gouvernement des universités car elle a renforcé les équipes présidentielles, a donné une très forte importance à la relation président-directeur général des services, a renforcé les services centraux et notamment les directions financières et celle des ressources humaines afin de gérer une masse salariale qui triplait voire quadruplait le budget initial, a conduit à étoffer ces services en nombre et en compétences (souvent au détriment des unités d’enseignement ou de recherche) et globalement a entraîné un processus de bureaucratisation et de centralisation des processus et des décisions.

    12Comme je l’ai signalé, certaines des mesures de la LRU ont été modifiées depuis, notamment par la loi no 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche (dite aussi « loi Fioraso »). De plus, l’autonomie réelle des universités dans la gestion de leur budget a été limitée par les difficultés financières que les établissements ont pu rencontrer du fait d’une sous-évaluation de la masse salariale transférée mais aussi parfois d’une gestion maladroite de celle-ci. Par ailleurs, par rapport à leurs homologues européennes, les universités françaises disposent globalement de moins d’autonomie9, ne pouvant par exemple fixer leurs droits d’inscription ou sélectionner leurs étudiants (même si l’introduction de Parcoursup en 2018 leur donne plus de latitude que par le passé). Malgré tout, elles sont plus autonomes qu’avant la LRU et la possibilité d’expérimenter de nouveaux statuts, offerte par l’ordonnance de décembre 201810, a suscité des innovations dont il faudra mesurer les effets sur le gouvernement des établissements qui les ont adoptées.

    Des réformes françaises qui mettent en compétition les établissements et visent à différencier plus

    13Depuis le milieu des années 2000, parallèlement à ces réformes accroissant l’autonomie institutionnelle, les politiques universitaires françaises ont œuvré au développement de dispositifs de mise en compétition, notamment entre les établissements.

    14On assiste en effet à cette époque à un changement assez radical des propos tenus par les ministres de l’Enseignement supérieur. Pour le dire de manière trop simpliste, le discours officiel qui prévalait jusqu’alors était celui d’un accroissement de la qualité de l’ensemble du système et d’efforts budgétaires visant à combler les écarts qui avaient pu se creuser entre les établissements. Certes, depuis la passation de contrats quadriennaux puis quinquennaux entre le ministère et chaque établissement, c’est-à-dire depuis le tournant des années 1990, chaque université était invitée à définir son propre projet de développement, à identifier ce qui la singularisait et donc à se différencier, mais il ne faut pas oublier que l’objectif de la contractualisation était d’utiliser ce dispositif pour permettre aux établissements les plus en difficultés budgétairement de mieux affronter la seconde massification de l’enseignement supérieur11. De la même façon, le plan Université 2000 lancé à la même époque devait permettre aux institutions les plus mal loties en matière immobilière de rénover leurs bâtiments ou d’en construire de nouveaux.

    15C’est un tout autre discours qui est tenu par le ministère quand, avec François Goulard apparaît la notion de performance, puis quand Valérie Pécresse introduit au ministère un système de calcul des budgets – le SYMPA (Système de répartition des moyens à l’activité et à la performance) – qui prend partiellement en compte les résultats des établissements. Il ne s’agit donc plus de rattraper et de combler les écarts, mais de stratifier et de récompenser les « meilleurs » par des moyens supplémentaires. Pour la recherche, le financement sur projet – qui était déjà courant – se systématise et se procéduralise avec la création d’une agence, l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui doit concentrer la part la plus importante des financements scientifiques, alors que parallèlement le ministère lance des appels sélectifs pour allouer des moyens supplémentaires aux établissements qui soumettent des propositions s’inscrivant dans les priorités ministérielles.

    16Avant 2010, trois appels sont plus particulièrement à signaler. Tout d’abord celui pour les RTRA (réseaux thématiques de recherche avancée) et RTRS (réseaux thématique de recherche et de soins) de 2006, qui visait à financer des projets de recherche ambitieux, réunissant plusieurs équipes de très haut niveau sur un même territoire. En 2011, on comptait treize RTRA et neuf RTRS, représentant un financement de 230 millions d’euros de la part de l’État sur cinq années.

    17Voulant à son tour favoriser les coopérations entre ces différentes entités au niveau local, la loi de 2006 reprend une disposition que prévoyait déjà le projet de loi qu’avait porté Luc Ferry (sans suite) : la possibilité de se regrouper dans une méta-structure, appelée « pôle de recherche et d’enseignement supérieur » (PRES) et de lui transférer des compétences communes. Un appel compétitif a été lancé afin de sélectionner des projets et de les financer dès 2007 et il a été suivi d’autres si bien qu’en 2011 il existait vingt-sept PRES de format différent (infra-régionaux, régionaux, plurirégionaux…) et aux compétences variées.

    18Enfin, l’appel à projets Campus de 2007 est également important, notamment parce qu’il n’est ouvert qu’aux PRES et que son objet est original, puisqu’il articule projet scientifique et projet immobilier. En 2008, six projets sont retenus, puis quatre lors d’une seconde vague et des « campus prometteurs » ou « innovants » sont également financés.

    19Mais c’est à partir de 2010 et du lancement du premier PIA (programme d’investissement d’avenir) que cette politique se renforce et que les appels se multiplient : laboratoires d’excellence (Labex), équipements d’excellence (Equipex), établissements d’excellence (IDEX pour initiatives d’excellence) suscitent de nombreuses réponses et se voient compléter au cours des deux PIA suivants par les I-SITE (initiative science-innovation-territoires-économie), les NCU (nouveaux cursus universitaires), les EUR (écoles universitaires de recherche) ou autres SUR (sociétés universitaires et de recherche) pour n’en citer que quelques-uns !

    20L’une des conséquences de l’intensification de la mise en compétition et du recours aux appels à projets pour l’allocation des moyens est de reléguer au second plan les logiques nationales d’aménagement du territoire et de contribuer à une polarisation des ressources qui participe de la différenciation croissante entre les territoires12 mais aussi au sein de ceux-ci, les métropoles universitaires répondant mieux aux critères valorisés par les appels compétitifs que les villes moyennes.

    21Certes, la multiplication des opérations fait que tous les établissements obtiennent quelque chose, mais les cartes cumulées des bénéficiaires montrent malgré tout une forte concentration des gagnants (et donc des ressources) sur les régions Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Grand Est et Nouvelle-Aquitaine. Ces dispositifs ont donc bien incité les établissements à rentrer dans un jeu compétitif et celui-ci a renforcé la stratification au sein du système.

    Des réformes qui reconfigurent le paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche

    22Parallèlement à cette mise en compétition par appels à projets et à l’introduction d’une allocation à la performance, plusieurs réformes ont visé à redessiner les institutions d’enseignement supérieur et de recherche. Il s’agit de dépasser la séparation institutionnelle entre grandes écoles, universités et organismes de recherche. Cet objectif a une longue tradition dans l’histoire universitaire française après que la Révolution française a favorisé le développement des grandes écoles, que la création du CNRS avant la seconde guerre mondiale a été suivie de la création d’autres organismes nationaux de recherche (INRA, INSERM, etc.) à côté des universités, et que la loi Faure a entraîné un redécoupage de ces dernières qui, dans les grandes villes, a abouti à la fondation de plusieurs établissements. Depuis le xixe siècle, dans nombre de rapports et de réflexion, l’articulation, la convergence, voire l’intégration de ces différentes structures est un sujet récurrent mais jusque-là toujours inabouti.

    23En 2007, comme indiqué plus haut, l’appel à la création de pôles de recherche et d’enseignement supérieur, les PRES, a été lancé afin d’inciter les universités, les grandes écoles et les organismes de recherche situés sur un même territoire à se regrouper dans une structure commune à laquelle ils acceptent de confier certaines de leurs compétences. Plusieurs appels de ce type se succèdent jusqu’en 2013. Entre 2007 et 2011, vingt-sept PRES sont constitués et financés.

    24Avec la loi Fioraso de 2013, ces regroupements territoriaux peuvent prendre différentes formes – fusion, association ou COMUE (communautés d’universités et d’établissement, ces dernières remplaçant les PRES) –, mais appartenir à l’une d’entre elles devient obligatoire. Tous les établissements rattachés au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche doivent rejoindre un regroupement.

    25Le fait que la fusion soit une des alternatives possibles tient à ce que, parallèlement à la politique nationale de constitution des PRES, et même antérieurement à celle-ci, plusieurs sites universitaires avaient commencé à initier des rapprochements à visée fusionnelle. Il en était ainsi du projet Grenoble Universités qu’avait tenté de développer Yannick Vallée, alors président de l’université de Grenoble Joseph-Fourier, au début des années 2000, mais surtout de la dynamique enclenchée par les présidents successifs de l’université Louis Pasteur de Strasbourg depuis la fin des années 1990 et qui a abouti à la fusion des trois universités strasbourgeoises en janvier 2009, tandis que les universités marseillaises constituaient un PRES annoncé comme pré-fusionnel qui a conduit à une fusion en 2012, en même temps que celle des universités de Nancy et Metz devenue l’université de Lorraine. Les établissements bordelais leur ont emboité le pas en 2014, et d’autres ont suivi. Si ces premières fusions ne s’inscrivaient pas totalement dans la politique nationale de reconfiguration de l’enseignement supérieur et de la recherche – puisqu’elles ne concernaient que des universités et aucune grande école extra-universitaire, et qu’elles ne furent d’ailleurs pas soutenues par le ministère dans un premier temps –, elles ont cependant pris une ampleur considérable, puisqu’à l’heure où j’écris ces lignes13, douze fusions ont eu lieu concernant vingt-huit universités et onze autres établissements.

    26Fusions et regroupements modifient par ailleurs le poids des acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche au niveau local. Alors que les régions se voient doter de plus importantes responsabilités en matière d’aménagement du territoire, les représentants des PRES/COMUE sont souvent devenus des partenaires obligés dans la négociation des schémas régionaux de l’enseignement supérieur et de la recherche et ont empêché l’émiettement des voix des établissements qui prévalait auparavant. Comme le montrent bien Catherine Soldano et Cécile Crespy14 dans un des rares articles consacrés à ces évolutions, où elles étudient le cas de la région Midi-Pyrénées, c’est avec le PRES que la région construit des politiques d’aménagement du territoire en direction des villes moyennes et des sites de formation et d’accueil des étudiants qu’elles proposent.

    Une articulation complexe entre autonomie, compétition et reconfiguration

    27Sur le papier, donner plus d’autonomie aux établissements afin qu’ils s’engagent dans un jeu compétitif et se transforment en compétiteurs, encourager les regroupements territoriaux afin de susciter des coopérations et des économies d’échelle locales, mais aussi situer la compétition au niveau de PRES/COMUE auxquels seraient confiées de plus en plus de compétences communes semble faire sens. C’est toutefois oublier que ces trois dynamiques n’ont pas été menées ensemble mais parallèlement, qu’elles ont été chacune l’objet d’impulsions plus ou moins fortes selon les périodes et les gouvernements et que des désaccords ont surgi entre les porteurs de réformes.

    28Une première tension a opposé autonomie et reconfiguration. La constitution de PRES a ainsi été lancée au moment même où la LRU a été promulguée. Autrement dit, on incitait les présidents à entrer dans des groupements et à déléguer des compétences à ces derniers au moment même où on leur conférait parallèlement une autonomie plus étendue. Faut-il alors s’étonner que, trois ans plus tard, le rapport de P. Aimé, J.-P. Korolitski et T. Berthé15, tous trois inspecteurs à l’IGAENR, fasse le constat que les délégations faites aux PRES sont limitées et que ceux-ci aient peu d’effets ?

    29Une autre tension a porté sur le niveau auquel devait se jouer la compétition : les regroupements en tant que nouveau type de structure ou les établissements qui les composent ? Comme l’a bien montré N. Gally16, le ministère a finalement réussi à emporter la décision et à imposer les premiers plutôt que les seconds au Commissariat général à l’investissement17 pour l’appel à IDEX et ce sont les PRES/COMUE qui devaient être porteurs des projets. Un objectif de structuration du paysage universitaire s’est donc ajouté au critère de l’excellence scientifique dans le choix des IDEX. Le second est devenu une condition nécessaire mais pas suffisante : pour devenir IDEX, il fallait de plus présenter un projet annonçant la création d’un nouvel établissement à la gouvernance très intégrée, voire fusionnée18.

    30Enfin, compétition et coopération territoriale n’ont pas toujours fait bon ménage. Non pas que la compétition dans l’enseignement supérieur soit incompatible avec la coopération19. Au contraire, elle est même souhaitable et pratiquée comme le prouvent les nombreux projets de recherche entre équipes scientifiques d’établissement différents. Elle tend par ailleurs à se développer sous forme d’associations ou de réseaux entre compétiteurs, comme le montre la récente création de l’alliance des dix IDEX françaises (U10) ! Mais ce type de coopération est rarement limitée aux partenaires locaux. Il s’agit d’affinités électives basées sur de la reconnaissance réciproque et obéissant donc à une logique de compétition réputationnelle20, mais pas fondées sur la proximité géographique. Les membres des PRES/COMUE ne sont ainsi pas des partenaires « naturels » même s’ils sont situés sur un même territoire.

    31Les PRES/COMUE ont par ailleurs été soumis à rude épreuve quand ils ont « gagné » une IDEX qui ne concerne qu’une partie de leurs établissements membres. Les bénéficiaires de l’IDEX ne sont alors pas prompts à partager leurs ressources avec les autres et on a ainsi vu des PRES/COMUE rentrer en conflit avec leur Idex, voire être dissous, ou reconfigurés, depuis que l’ordonnance de décembre 2018 a ouvert cette possibilité. Les PRES/COMUE sans IDEX ne sont pas nécessairement mieux lotis : les établissements qui pensent qu’ils pourraient courir plus vite s’ils n’étaient pas contraints de courir tous ensemble, et qui souhaitent s’investir dans des coopérations hors du PRES plutôt qu’en son sein, ne sont pas prêts à déléguer des compétences ou à participer au budget commun.

    32Si on ajoute à cela l’ambiguïté permanente sur ce qu’est finalement un PRES/COMUE, futur établissement intégré pour les uns, système local d’enseignement supérieur et de recherche pour les autres, on comprend mieux qu’aujourd’hui ces structures soient menacées, dissoutes ou repensées, alors que pourtant la politique de site reste inscrite dans les actions du ministère.

    Et maintenant ?

    33Les contradictions potentielles entre ces différentes politiques ne sont donc pas totalement dépassées. La loi du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche, parce qu’elle ne porte que sur la recherche et renforce le poids du financement par projets en augmentant le budget de l’ANR mais aussi le montant du préciput dont bénéficieront les équipes financées, poursuit la dynamique de compétition et continue à promouvoir le modèle de l’université de recherche. Pour autant les politiques de site restent sur l’agenda ministériel et des COMUE sont en train d’évoluer vers un modèle plus souple mais qui reste un projet de coordination territoriale et nombre d’établissements n’ont pas vocation à se transformer en « grandes universités de recherche » pour reprendre le vocabulaire ministériel.

    34Si ces contradictions ont freiné les trois dynamiques, elles ne les ont cependant pas bloquées. Ainsi, le système français est manifestement plus stratifié qu’avant et la Conférence des présidents d’université confrontée à un ensemble qui a de plus en plus de mal à conserver une unité de façade alors que l’AUREF (Alliance des universités de recherche et de formation) s’est constituée en 2013 pour faire pendant à la CURIF (Coordination des universités de recherche intensive françaises) créée en 2008, qui elle-même se voit mise en question par le lancement en 2020 de l’U10 qui regroupe les dix universités qui ont obtenu une IDEX.

    35S’il fait peu de doutes que ces politiques seront malgré tout poursuivies dans les prochaines années, il est crucial que les pouvoirs publics s’investissent dans la gestion d’un système plus différencié, et qu’ils ne laissent pas en arrière-plan les établissements qui ne rentrent pas dans le modèle de la grande université de recherche de rang international, sauf à risquer l’appauvrir l’ensemble du système en n’en finançant que la partie la plus visible à l’international.

    Notes de bas de page

    1 OST-HCERES (2019), Dynamics of Scientific Production in the World, in Europe and in France, 2000-2016, p. 24 et 31, disponible sur https://www.hceres.fr/sites/default/files/media/downloads/rappScien_VA_web04_12.pdf.

    2 Musselin Christine (2001), La longue marche des universités. Paris : Presses universitaires de France.

    3 Musselin Christine (2017), La grande course des universités. Paris : Presses de Sciences Po.

    4 Bezès Philippe (2020), « Le nouveau phénomène bureaucratique. Le gouvernement par la performance entre bureaucratisation, marché et politique ». Revue française de science politique ; 70 (1) : 21-47.

    5 Bruno Isabelle (2008), À vos marques®, prêts… cherchez ! La stratégie européenne de Lisbonne, vers un marché de la recherche. Vulaines-sur-Seine : Éditions du Croquant, coll. « Savoir/Agir ».

    6 Hasse Raimund, Krücken Georg (2013), « Competition and Actorhood: A Further Expansion of the Neo-institutional Agenda ». Sociologia Internationalis ; 51 (2) : 181-205.

    7 Krücken Georg, Meier Frank (2006), « Turning the University into an Organizational Actor », dans Drori Gili S., Meyer John W., Hwang Hokyu (dir.), Globalization and Organization: World Society and Organizational Change. Oxford : Oxford University Press, p. 241-257.

    8 Chatelain-Ponroy Stéphanie, Mignot-Gérard Stéphanie, Musselin Christine, Sponem Samuel (2012), « La gouvernance des universités françaises. Pouvoir, évaluation et identités ». Cnam, Sciences Po, CSO-CNRS, UPEC, HEC Montréal, consulté le 4 mai 2021, disponible sur http://cso.edu/upload/dossiers/Rapport_GouvernanceUniversitesFrance_2012.pdf. Musselin Christine, Barrier Julien, Boubal Camille, Soubiron Aude (2012), « Liberté, responsabilité… et centralisation des universités ». Paris : Sciences Po, CSO-CNRS, ESEN, consulté le 4 mai 2021, disponible sur http://cso.edu/upload/dossiers/Rapport_LiberteResponsabiliteCentralisationUniversites_2012.pdf.

    9 Bennetot-Pruvot Enora, Estermann Thomas (2017), « University Autonomy in Europe III. The Scorecard 2017 ». European University Association.

    10 Ordonnance no 2018-1131 du 12 décembre 2018 relative à l’expérimentation de nouvelles formes de rapprochement, de regroupement ou de fusion des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, consulté le 4 mai 2021, disponible sur https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000037800979&categorieLien=id.

    11 Musselin C., La longue marche des universités, op. cit.

    12 Crespy Cécile, Simoulin Vincent (2016), « Le gouvernement à crédit. Tâtonnements des gouvernants ». L’Année sociologique ; 66 (2) : 467-492.

    13 Août 2020.

    14 Soldano Catherine, Crespy Cécile (2018), « Villes moyennes et régions au prisme de l’enseignement supérieur et de la recherche : coopération ou concurrence territoriale ? ». Pôle Sud ; 49 (2) : 57-70.

    15 Aimé Pascal, Korolitski Jean-Pierre, Berthé Thierry (2010), Pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) et reconfiguration des sites universitaires. Paris : IGAENR.

    16 Gally Natacha (2018), « Entre executive shift et gouvernement à distance ». Revue française de science politique ; 68 (4) : 691-715.

    17 Rattaché au Premier ministre, le CGI avait pour mission de mettre en œuvre les différents PIA.

    18 Aust Jérôme, Mazoyer Harold, Musselin Christine (2018), « Se mettre à l’IDEX ou être mis à l’index ». Gouvernement et action publique ; 7 (4) : 9-37.

    19 Musselin Christine (2018), « New Forms of Competition in Higher Education ». Socio-Economic Review ; 16 (3) : 657-683.

    20 Podolny Joel (1993), « A Status-based Model of Market Competition ». American Journal of Sociology ; 98 (4) : 829-872.

    Auteur

    • Christine Musselin

      Sociologie, DR CNRS, directrice du CSO Centre de sociologie des organisations à Sciences Po de 2007 à 2013 et vice-présidente de la recherche de Sciences Po de 2013 à 2018.

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    1 OST-HCERES (2019), Dynamics of Scientific Production in the World, in Europe and in France, 2000-2016, p. 24 et 31, disponible sur https://www.hceres.fr/sites/default/files/media/downloads/rappScien_VA_web04_12.pdf.

    2 Musselin Christine (2001), La longue marche des universités. Paris : Presses universitaires de France.

    3 Musselin Christine (2017), La grande course des universités. Paris : Presses de Sciences Po.

    4 Bezès Philippe (2020), « Le nouveau phénomène bureaucratique. Le gouvernement par la performance entre bureaucratisation, marché et politique ». Revue française de science politique ; 70 (1) : 21-47.

    5 Bruno Isabelle (2008), À vos marques®, prêts… cherchez ! La stratégie européenne de Lisbonne, vers un marché de la recherche. Vulaines-sur-Seine : Éditions du Croquant, coll. « Savoir/Agir ».

    6 Hasse Raimund, Krücken Georg (2013), « Competition and Actorhood: A Further Expansion of the Neo-institutional Agenda ». Sociologia Internationalis ; 51 (2) : 181-205.

    7 Krücken Georg, Meier Frank (2006), « Turning the University into an Organizational Actor », dans Drori Gili S., Meyer John W., Hwang Hokyu (dir.), Globalization and Organization: World Society and Organizational Change. Oxford : Oxford University Press, p. 241-257.

    8 Chatelain-Ponroy Stéphanie, Mignot-Gérard Stéphanie, Musselin Christine, Sponem Samuel (2012), « La gouvernance des universités françaises. Pouvoir, évaluation et identités ». Cnam, Sciences Po, CSO-CNRS, UPEC, HEC Montréal, consulté le 4 mai 2021, disponible sur http://cso.edu/upload/dossiers/Rapport_GouvernanceUniversitesFrance_2012.pdf. Musselin Christine, Barrier Julien, Boubal Camille, Soubiron Aude (2012), « Liberté, responsabilité… et centralisation des universités ». Paris : Sciences Po, CSO-CNRS, ESEN, consulté le 4 mai 2021, disponible sur http://cso.edu/upload/dossiers/Rapport_LiberteResponsabiliteCentralisationUniversites_2012.pdf.

    9 Bennetot-Pruvot Enora, Estermann Thomas (2017), « University Autonomy in Europe III. The Scorecard 2017 ». European University Association.

    10 Ordonnance no 2018-1131 du 12 décembre 2018 relative à l’expérimentation de nouvelles formes de rapprochement, de regroupement ou de fusion des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, consulté le 4 mai 2021, disponible sur https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000037800979&categorieLien=id.

    11 Musselin C., La longue marche des universités, op. cit.

    12 Crespy Cécile, Simoulin Vincent (2016), « Le gouvernement à crédit. Tâtonnements des gouvernants ». L’Année sociologique ; 66 (2) : 467-492.

    13 Août 2020.

    14 Soldano Catherine, Crespy Cécile (2018), « Villes moyennes et régions au prisme de l’enseignement supérieur et de la recherche : coopération ou concurrence territoriale ? ». Pôle Sud ; 49 (2) : 57-70.

    15 Aimé Pascal, Korolitski Jean-Pierre, Berthé Thierry (2010), Pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) et reconfiguration des sites universitaires. Paris : IGAENR.

    16 Gally Natacha (2018), « Entre executive shift et gouvernement à distance ». Revue française de science politique ; 68 (4) : 691-715.

    17 Rattaché au Premier ministre, le CGI avait pour mission de mettre en œuvre les différents PIA.

    18 Aust Jérôme, Mazoyer Harold, Musselin Christine (2018), « Se mettre à l’IDEX ou être mis à l’index ». Gouvernement et action publique ; 7 (4) : 9-37.

    19 Musselin Christine (2018), « New Forms of Competition in Higher Education ». Socio-Economic Review ; 16 (3) : 657-683.

    20 Podolny Joel (1993), « A Status-based Model of Market Competition ». American Journal of Sociology ; 98 (4) : 829-872.

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    Ce livre est cité par

    • Dupin, Isabelle. Barandon, Séverine. Bertrand, Caroline. Bordenave, Laurence. Chassaing, Véronique. Corcuff, Jean-Benoît. Dubus, Pierre. DUCLOS, Noémie C.. Guillon, Jean. Mamani-Matsuda, Maria. Müller, Bernard. Pellegrin, Jean-Luc. Alioum, Amadou. (2022) Première année de fonctionnement du parcours accès spécifique santé (PASS) de l’Université de Bordeaux : caractérisation et identification des facteurs de réussite pour la validation du PASS et l’entrée dans la filière médecine. Pédagogie Médicale, 23. DOI: 10.1051/pmed/2022018
    • Lenesley, Pauline. Bitker, Catherine. Touzé, Emmanuel. (2022) Universitarisation des formations des auxiliaires médicaux en Normandie Occidentale : retour d’expérience. Management & Avenir Santé, N° 8. DOI: 10.3917/mavs.008.0127

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    Musselin, C. (2021). Chapitre 14. Un monde universitaire en transformation. In S. Le Bouler & P. Lenesley (éds.), Études de santé (1‑). Presses universitaires François-Rabelais. https://doi.org/10.4000/books.pufr.32910
    Musselin, Christine. « Chapitre 14. Un monde universitaire en transformation ». In Études de santé, édité par Stéphane Le Bouler et Pauline Lenesley. Tours: Presses universitaires François-Rabelais, 2021. https://doi.org/10.4000/books.pufr.32910.
    Musselin, Christine. « Chapitre 14. Un monde universitaire en transformation ». Études de santé, édité par Stéphane Le Bouler et Pauline Lenesley, Presses universitaires François-Rabelais, 2021, https://doi.org/10.4000/books.pufr.32910.

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