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    Presses universitaires François-Rabelais
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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral Sociologie d’un monde d’amateursLes blogueurs : amateurs ou professionnels des médias ?Formes du succès et pouvoir de prescription Notes de bas de page

    Des mots à la bouche

    Ce livre est recensé par

    • Emilien Schultz, Lectures, mis en ligne le 30 janvier 2019. URL : https://journals.openedition.org/lectures/23498 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.23498
    • Alexandre Eyries, Questions de communication, mis en ligne le 7 novembre 2019. URL : https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/20448 ; DOI : https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.20448
    • Florence Le Cam, Sociologie du travail, mis en ligne le 17 juin 2021. URL : https://journals.openedition.org/sdt/39345 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.39345
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    Table des matières

    Chapitre III

    Aux frontières du journalisme gastronomique : les blogueurs culinaires

    p. 89-134

    Texte intégral Sociologie d’un monde d’amateursQui sont les blogueurs culinaires ?La passion culinaireMotivations et rétributionsL’engrenage du bloggingLes blogueurs : amateurs ou professionnels des médias ?Une activité relationnelle et communautaireIndépendance à l’égard du monde journalistiqueDe la difficulté de tracer une frontièreProfessionnalisation ou marchandisation ?Formes du succès et pouvoir de prescriptionL’audience comme principe de hiérarchisationCartographie de la blogosphère culinaireL’amateur comme prescripteur professionnel ?L’ambiguïté de la monétisation des blogsDes propriétés de l’outil aux fondements de la confianceLes transformations de l’activité de blogueur par la monétisation de l’activité Notes de bas de page

    Texte intégral

    1Depuis quelques années, le discours médiatique portant sur la gastronomie n’est plus seulement l’apanage des journalistes. En effet, un nouveau format médiatique, celui du blog, s’est développé en marge des médias traditionnels1. Les blogs « articulent dans un même espace des outils d’autopublication (pages ou sites personnels) et des outils de communication collective (forums, listes de diffusion2) ». Ils se caractérisent par la publication de billets (ou posts) constitués de texte, d’images, de vidéos ou de musiques qui apparaissent sur le site en ordre chronologique inversé. À la différence des sites internet traditionnels, les blogs sont dédiés à l’interactivité : chaque billet publié par l’auteur du blog peut être commenté par les internautes qui le lisent et le blogueur peut indiquer, dans une colonne généralement situé à droite de son blog, des liens vers les autres blogs qu’il aime (blogroll) ainsi que vers les comptes associés à son blog sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, etc.) et des liens vers les entreprises « partenaires » (c’est-à-dire celles dont le blogueur a parlé des produits dans le cadre d’un partenariat).

    2Les billets publiés dans les blogs de cuisine ont pour objet principal la présentation de recettes. Ils peuvent aussi traiter de produits alimentaires, de matériel de cuisine, de publications et d’événements liés à la gastronomie ainsi que de restaurants3. Les premiers blogs de cuisine français sont apparus à l’orée des années 2000. En 2004 le phénomène a commencé à devenir visible et, entre 2004 et 2009, le nombre de blogs de cuisine a crû de plus en plus rapidement4. Le développement des blogs culinaires s’inscrit à la fois dans le cadre plus général du développement, à partir des années 2000, des blogs comme outil d’expression et de communication et dans le cadre de la médiatisation croissante du culinaire. La dernière décennie a en effet été marquée par la multiplication des médias consacrés à la cuisine et à la gastronomie (magazines de cuisine, émissions télévisées, programmes radiophoniques, etc.).

    3La médiatisation croissante du culinaire s’est accompagnée d’une transformation du statut des amateurs de cuisine. Initialement uniquement destinataires du discours culinaire, ils en sont progressivement devenus des acteurs. La télévision notamment tend de plus en plus à mettre l’amateur de cuisine au cœur de son dispositif de représentation de la gastronomie, notamment au travers des émissions de télé-réalité. L’amateur reste toutefois un « objet » ou un « sujet » de programmes orchestrés par des producteurs et son activité est la plupart du temps soumise à l’évaluation hétéronome des professionnels de la gastronomie (chefs) et des médias (critiques). Sur internet en revanche, les amateurs possèdent le contrôle du dispositif et de leur discours (contrôle éditorial) et ils peuvent par conséquent adopter une position de prescripteur similaire à celle des journalistes dans l’univers de l’actualité culinaire.

    4À l’image des autres blogueurs traitant d’une passion culturelle, les blogueurs culinaires sont décrits tantôt comme des amateurs qui trouvent par le biais d’internet un nouveau support pour développer leur passion, tantôt comme de nouveaux professionnels des médias qui viennent concurrencer le travail des journalistes spécialisés. La figure du blogueur interroge donc la frontière traditionnelle entre l’usager des médias consommant les productions journalistiques pour alimenter sa passion et le producteur de médias à l’origine d’un produit diffusé. Même si les blogueurs culinaires se considèrent subjectivement comme éloignés de la figure du journaliste professionnel, ils sont néanmoins envisagés par certains de leurs pairs, par une partie de leurs lecteurs et par les entreprises agro-alimentaires comme des diffuseurs d’informations et des prescripteurs. La figure du blogueur culinaire interroge donc tout à la fois la spécificité du travail de prescripteur des journalistes et l’identité professionnelle de ces derniers : sur quoi la capacité à prescrire se fonde-t-elle ? Qui est légitime pour émettre des recommandations publiques en matière de cuisine et de gastronomie ?

    5La description des blogueurs culinaires et de leurs modalités d’engagement dans la pratique est un préalable au questionnement de leur rapport avec la professionnalisation. La cartographie de leur monde social permet ensuite de mettre en évidence une typologie des blogueurs selon la forme et le niveau de leur succès.

    Encadré 3. Méthodologie de l’enquête sur les blogueurs
    Volet qualitatif 5
    Une série d’entretiens a été menée avec quinze blogueurs culinaires pour mettre au jour leurs motivations, leurs pratiques et leurs trajectoires. Des observations ont aussi été conduites lors d’événements réunissant des blogueurs culinaires (Salon du blog culinaire de Soissons les 20 et 21 novembre 2010 ; Kitchen Lab à Paris les 23 et 24 mars 2012).
    Volet quantitatif
    Le volet qualitatif de l’enquête a servi de support pour élaborer un questionnaire diffusé par Internet en mars 2011 à une population de 1 387 blogueurs culinaires français6 répertoriés par le site internet 750 Grammes7. L’objectif de ce questionnaire était triple : parvenir à dresser une cartographie de la blogosphère culinaire (propriétés sociales et pratiques), mettre au jour les usages des blogueurs et cerner et quantifier les phénomènes de professionnalisation. 621 questionnaires ont été retournés, soit un taux de réponse d’environ 45 %8.

    Sociologie d’un monde d’amateurs

    Qui sont les blogueurs culinaires ?

    6À l’image des journalistes culinaires, les blogueurs culinaires sont principalement des femmes. 94 % de l’échantillon est ainsi constitué de blogueuses. Cette féminisation extrêmement forte de la blogosphère culinaire est un indicateur du positionnement des blogs. En effet, alors que la cuisine professionnelle est davantage masculine, la cuisine domestique est essentiellement féminine9. La pratique du blogging culinaire semble donc s’inscrire dans la continuité de la réalisation de la cuisine domestique quotidienne. 41 % des blogueurs utilisent spontanément l’expression « de tous les jours » pour qualifier la cuisine qu’ils présentent dans leur blog quand seulement 2 % la décrivent comme « sophistiquée10 ». La blogueuse doit-elle être vue, ainsi que la qualifiait une attachée de presse dans le domaine de la gastronomie, comme une « femme au foyer-cuisinière en mal de reconnaissance » ou au contraire comme une aspirante journaliste culinaire ?

    7Si les blogueurs culinaires sont effectivement souvent parents de jeunes enfants (52 % ont des enfants qui vivent au sein de leur foyer) et si la moitié d’entre eux a un âge compris entre 30 et 44 ans11, en revanche, ils sont 70 % à exercer une activité professionnelle. Seuls 11 % des blogueurs sont des personnes au foyer. Les autres blogueurs sans activité professionnelle sont soit des chômeurs (8 %), soit des étudiants (6 %), soit des retraités (5 %). La pratique du blogging culinaire n’est donc pas une activité qui viendrait compenser l’absence d’activité professionnelle. Cela étant, la plupart des blogueurs rencontrés en entretien indiquent avoir commencé à bloguer lors de périodes de transition dans leur vie professionnelle (expatriation temporaire, chômage, année sabbatique, congé maternité, etc.). La disponibilité temporelle semble ainsi plus être une condition préalable au démarrage de l’activité qu’une nécessité pour sa poursuite, même s’il est possible de supposer que le fort taux d’abandon des blogs peut en partie s’expliquer par la fin des périodes de disponibilité temporaire.

    8La comparaison du niveau de diplôme des blogueuses culinaires âgées de 35 à 44 ans avec celui de l’ensemble des Françaises du même âge montre que bien qu’étant une activité amateur ne requérant pas de formation scolaire à l’entrée, le blogging culinaire est le fait de personnes qui sont plus diplômées que la moyenne (tableau 4). Cette caractéristique a déjà été mise en évidence pour d’autres groupes de blogueurs mais elle peut paraître surprenante dans le cas des blogueurs qui parlent de cuisine. En effet, a priori, la cuisine n’est pas un sujet académique et elle semble être une thématique plus accessible que peuvent l’être d’autres sujets de blogs comme la politique ou les nouvelles technologies. La tenue d’un blog nécessite toutefois, outre un équipement (informatique, photographique, etc.), des compétences minimales en informatique et en écriture, le sentiment d’être autorisé à prendre publiquement la parole et la possession d’une conception « esthétique » et non directement utilitaire de la cuisine qui sont souvent d’autant plus répandus que les individus sont plus diplômés. Un blogueur, chef de projet informatique, rapporte ainsi le changement de vision de la cuisine provoqué par son blog :

    Avant de commencer à cuisiner, vous mangiez quoi ?

    Des pâtes. Je mangeais mais je ne cuisinais pas. Pour moi, c’était faire cuire des trucs alors que cuisiner, c’est prendre le temps de faire une recette qui ait une cohérence, qui ait du goût. Voilà, c’est la recette. Alors que moi je cuisinais dans le sens où je me faisais cuire des choses mais il n’y avait pas forcément un lien, c’était de la cuisine pour se nourrir, ce n’était pas de la cuisine pour faire de la cuisine. Ça c’est important. Maintenant, c’est faire de la cuisine pour faire plaisir. (Blogueur, 1 an, 700-800 visiteurs12)

    9Si, comme les journalistes, les blogueurs sont plus diplômés que la moyenne des Français, il apparaît d’une part que les formations suivies par les blogueurs sont beaucoup plus diverses et hétérogènes que celles des journalistes (voir infra chapitre 4) et d’autre part qu’une partie non négligeable des blogueurs exercent des professions liées à l’informatique, ce qui tend à faire de la compétence technique un atout au moins aussi important que la capacité rédactionnelle dès lors qu’il s’agit d’alimenter un blog culinaire.

    Tableau 4. Comparaison du diplôme des blogueuses culinaires âgées de 35 à 44 ans avec celui de l’ensemble des Françaises en 2011 (en %). Lecture : 1,9 % des blogueuses culinaires âgées de 35 à 44 ans ont comme plus haut diplôme le brevet des collègues, le certificat d’étude primaire ou sont sans diplôme contre 21,1 % de l’ensemble des femmes françaises âgées de 35 à 44 ans en 2011. [* INSEE, enquête Emploi ; ** Enquête sur les blogueurs culinaires, N = 158 (Naulin, 2011)]

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    Note13

    10Un autre point commun entre les journalistes culinaires et les blogueurs est l’importance de l’apprentissage sur le tas. Tous les blogueurs rencontrés en entretiens témoignent de l’amélioration de leur niveau, tant en cuisine qu’en photographie ou en écriture, depuis qu’ils ont débuté leur blog :

    Moi je fais de la cuisine depuis cinq ans. J’ai commencé à faire de la cuisine en 2005 parce que j’avais des problèmes de poids. J’ai eu des soucis de santé et pendant trois mois je suis resté en arrêt maladie. Mon médecin m’a dit : « Il faut cuisiner correctement. » Donc j’aimais déjà la cuisine parce que je mangeais mais je n’avais jamais vraiment sauté le pas. Et là, j’ai pris des bouquins, j’ai fait des recettes, beaucoup de poisson, de fruits de mer. Ça a commencé à fonctionner comme ça. Donc pendant trois ans, j’ai fait vraiment de la cuisine, j’ai essayé des recettes, je les annotais, je les découpais, il y avait un tiroir dans mon bureau qui était rempli de recettes et en 2007, j’ai fait la coupe d’Europe de cuisine amateur sur Bordeaux. J’ai été sélectionné en huitième de finale et ça a été un déclic parce que j’ai rencontré d’autres personnes qui avaient déjà des blogs. […] En 2008, j’ai été licencié et j’ai dit : « Là, c’est bon, on y va. » (Blogueur, 1 an, 700-800 visiteurs)

    11Si les blogueurs culinaires sont plus diplômés que la moyenne, ils sont en revanche assez représentatifs de la diversité des Français tant en matière de profession et catégorie socio-professionnelle qu’en matière de revenu ou de localisation géographique. Géographiquement en effet, et c’est une différence notable avec les journalistes culinaires, les blogueurs sont répartis sur l’ensemble du territoire français et leur répartition en fonction de la taille de leur commune d’habitation est assez proche de celle de l’ensemble de la population française mesurée par le recensement de la population 2006 de l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques).

    12Les blogueurs partagent donc à la fois des traits communs avec les journalistes culinaires (féminisation dès lors qu’il s’agit de traiter de recettes, niveau de diplôme relativement élevé) mais ils possèdent aussi des traits qui les en distinguent : ils exercent cette activité comme un loisir en sus de leur activité professionnelle principale et présentent un profil socio-démographique varié (de l’adolescent au retraité, de l’agriculteur au dentiste, du rural au citadin, etc.). Le monde d’amateurs des blogueurs culinaire apparaît ainsi comme relativement peu discriminant socialement.

    La passion culinaire

    13Selon Patrice Flichy, « ce qui distingue l’amateur du professionnel, c’est moins sa plus faible compétence qu’une autre forme d’engagement dans les pratiques sociales. Ses activités ne dépendent pas de la contrainte d’un emploi ou d’une institution, mais de son choix. Il est guidé par la curiosité, l’émotion, la passion, l’attachement à des pratiques souvent partagées avec d’autres14. » Les blogueurs culinaires peuvent ainsi être définis comme des amateurs qui partagent une passion – la cuisine – sur un même support d’expression – internet. À la différence de la plupart des journalistes culinaires, c’est bien la passion pour la cuisine qui est à l’origine de l’engagement dans la pratique du blogging culinaire. Les amateurs de cuisine sont donc d’abord des amateurs au sens de « ceux qui aiment ». Un blogueur spécialisé dans la cuisine moléculaire raconte ainsi le parcours qui l’a conduit à créer son blog. Ce dernier a contribué à nourrir son intérêt préexistant pour la cuisine :

    En fait donc mon frère me fait cadeau d’un kit de cuisine moléculaire comme il sait que j’aime bien faire la cuisine. D’autres années, on a pu m’offrir des livres sur des épices ou un repas au restaurant ou des recettes de cuisine. Voilà, on m’offre un kit de cuisine moléculaire. Le problème c’est que je n’arrive pas faire ce qu’il y a dedans parce que c’est absolument incomplet. Moi, je découvre cette cuisine je me renseigne, je vais voir ce que c’est et je découvre un monde qui me fascine et que je trouve extraordinaire mais je n’arrive pas à faire cette cuisine. Je suis d’un naturel, je n’aime pas me laisser faire. Je prends le taureau par les cornes et je me dis : « Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? » Je commence à fouiller et je me rends compte qu’il y a très très peu d’infos et je me renseigne auprès de plein de gens, auprès de plein de choses et de fil en aiguille les gens me disent : « Si tu trouves des pistes, ça nous intéresse d’avoir ton retour. » Alors je réponds à une question, deux questions, dix questions et je me dis j’en ai marre, c’est plus simple, je fais un blog et je raconte ce que je fais. Ça, c’est le début. […] Et puis de fil en aiguille, ça mort à l’hameçon, moi je me passionne pour ce truc, j’en fais tous les jours et ça avance, le blog prend de l’ampleur et on me questionne de plus en plus. (Blogueur, 2 ans, 100-300 visiteurs)

    14Les blogueurs ont une pratique souvent très intensive de la cuisine. En moyenne ils cuisinent 2h53 par jour en semaine et 3h19 par jour le week-end. Ces chiffres sont nettement supérieurs à ceux de l’ensemble de la population française. L’enquête Emploi du temps. 2009-2010 de l’INSEE indique que pour l’ensemble de la population, le temps de cuisine moyen constaté est de 35 minutes en semaine et de 38 minutes le week-end. Si ne sont pris en considération que les 56 % de personnes « pratiquantes » (c’est-à-dire ayant cuisiné dans la journée), le temps de cuisine quotidien passe à 1h03 pendant la semaine et 1h08 le week-end. Les blogueurs se caractérisent donc par une pratique de la cuisine beaucoup plus forte que celle de l’ensemble de la population. Cette passion pour la cuisine, comme pour les journalistes, n’est pas forcément liée à la présence d’un entourage, notamment familial, lui-même intéressé par cette pratique : seuls 29 % des blogueurs déclarent avoir des parents passionnés de cuisine et 23 % des blogueurs ayant des enfants leur ont transmis cette passion.

    15La passion culinaire des blogueurs se traduit non seulement par le temps qu’ils passent à cuisiner mais aussi par le nombre de livres de cuisine qu’ils possèdent. Leur consommation éditoriale est particulièrement forte : la moitié des blogueurs ont plus de trente livres de cuisine et plus d’un blogueur sur dix (13 %) plus de cent. Les blogueurs interprètent souvent leur boulimie livresque comme un symptôme du caractère « pathologique » de leur passion pour la cuisine :

    Je suis une collectionneuse en fait. J’en ai partout, même dans les toilettes. C’est vraiment venu avec le blog. (Blogueuse, 6 ans, 7 000 visiteurs)

    Est-ce que tu lis la presse gastronomique ?

    Oui, malheureusement. C’est ce qui me coûte presque 10 euros par semaine. Moi, je n’achète pas de paquets de clopes, j’achète des magazines.

    Et tu les conserves après ?

    Ah ouais, c’est affreux. J’ai fait une brocante, j’en ai vendu parce que… Je ne sais pas, j’ai une penderie, comme ça, là, mais haute [elle fait le geste], et c’est rempli de livres et j’ai des étagères remplies parce que je vais sur eBay et j’achète des bouquins de cuisine à un ou deux euros et je lis ça, je lis ça mieux qu’un roman. (Blogueuse, 2 ans, 100 visiteurs)

    16Comme l’indique ce dernier extrait d’entretien, outre les livres, de nombreux blogueurs collectionnent aussi les magazines de cuisine. 83 % des blogueurs interrogés ont lu au moins un magazine culinaire au cours des deux mois précédant l’enquête et la moitié plus de trois titres différents. 57 % des blogueurs utilisent les magazines culinaires pour trouver des idées de recettes15. Le type de magazine lu renseigne sur le rapport avec la cuisine des blogueurs. Les deux magazines les plus lus par les blogueurs sont Cuisine actuelle (lu par 39 % des enquêtés au cours des deux mois précédant l’enquête) et Elle à table (37 %). Ces deux magazines se placent sur des segments différents du marché : ne proposant que des recettes, Cuisine actuelle s’adresse davantage à un public populaire (recettes simples, de tous les jours) tandis qu’Elle à table est considéré comme un magazine plus haut de gamme, gastronomique16. D’après les chiffres de l’OJD, les magazines de recettes devancent, en matière de diffusion payée sur le territoire français, les magazines gastronomiques. Si, à l’image de l’ensemble de la population, les blogueurs plébiscitent le magazine le plus diffusé, ils consomment cependant plus de magazines gastronomiques que la moyenne. Les magazines les plus lus après Cuisine actuelle sont en effet Elle à table, Saveurs, Régal, Cuisine by Cyril Lignac et Cuisine et Vins de France.

    17À partir des titres lus par les blogueurs, il est possible de dresser différents profils de lecteurs selon les panachages entre les différents genres de magazines qu’ils réalisent. Les blogueurs qui ne lisent que des magazines de recettes sont qualifiés d’« univores recettes », ceux qui lisent majoritairement des magazines de recettes d’« éclectiques plutôt recettes », ceux qui lisent autant de magazines gastronomiques que de recettes de « purs éclectiques », ceux qui lisent majoritairement des magazines gastronomiques d’« éclectiques gastronomie » et ceux qui ne lisent que des magazines gastronomiques d’« univores gastronomie17 ». Les blogueurs lisant des magazines gastronomiques sont surreprésentés : ils constituent presque la moitié de la population (48 %) et sont plus de deux fois plus nombreux que les blogueurs lisant majoritairement des magazines de recettes.

    Tableau 5. Classement des blogueurs selon le type de magazines lus (en %). N = 553. Lecture : 17,7 % des blogueurs culinaires n’ont lu aucun magazine de cuisine au cours des deux mois précédant l’enquête.

    Aucun magazine

    17,7

    Univore recettes

    9,9

    Éclectique plutôt recettes

    11,4

    Pur éclectique

    13,2

    Éclectique plutôt gastronomie

    25,9

    Univore gastronomie

    21,9

    Total

    100

    18Plus les lectures sont gastronomiques, plus la part des blogueurs correspondante est importante (à l’exception de la dernière classe) : cela signifie que les blogueurs ne sont pas avant tout des débutants en cuisine à la recherche de recettes simples et rapides telles que celles présentées dans les magazines de recettes, mais plutôt des amateurs à la recherche d’une certaine complexité. Cela ne va d’ailleurs pas sans poser problème : en effet, au fur et à mesure de l’alimentation de leur blog, les blogueurs s’améliorent et tendent vers une cuisine plus complexe. En revanche, les lecteurs sont pour leur part semble-t-il à la recherche d’une cuisine simple. Le blogueur doit donc apprendre à gérer la tension entre ses penchants personnels et l’intérêt de son lectorat. Témoignant de sa déception face à ce phénomène, une blogueuse constate ainsi : « J’ai fait des cookies, c’est simple, c’est le truc hyper banal : 22 commentaires. Alors que je me suis cassée la tête à faire un curry d’agneau, j’ai eu 12 ou 13 commentaires. » (Blogueuse, 2 ans, 200 visiteurs)

    19Ainsi décrite, la cuisine apparaît pour les blogueurs comme une forme de « passion ordinaire18 » qui se traduit par une pratique intensive et des investissements, notamment cognitifs, permettant d’alimenter la passion. À la différence d’autres hobbys (sport, musique, philatélie, élevage canin, etc.), la passion culinaire est exclusivement domestique et faiblement institutionnalisée (il n’existe pas ou peu de groupes d’amateurs se réunissant pour la partager). Dans ce contexte, internet offre un outil inédit permettant la rencontre des amateurs.

    Motivations et rétributions

    20Pour les personnes intéressées par la cuisine, internet offre de nombreuses ressources et notamment des sites de recettes (Marmiton, 750 Grammes, L’Internaute, Cuisine AZ, etc.). Ces sites ont pour vocation à la fois d’offrir un répertoire de recettes, déplaçant sur un nouveau support le principe du livre de cuisine, et de proposer des forums permettant l’échange et la discussion entre les amateurs. Décider de créer son propre blog culinaire marque un niveau d’engagement plus grand dans la pratique que la simple fréquentation des sites de recettes ou des forums de cuisine puisqu’il s’agit de se mettre en scène personnellement comme cuisinant sur un espace propre19.

    21Une part importante de la littérature sociologique française consacrée aux blogs insiste sur leur rôle dans la construction des identités. Le blog est alors vu comme un « instrument d’expressivité personnelle20 » et de « construction identitaire21 » ainsi que comme un moyen de validation de certaines facettes de la personnalité grâce à la communication et à l’interactivité qu’il permet. Le discours d’une blogueuse culinaire illustre bien cette dimension. Il s’agit d’une sexagénaire femme au foyer mariée à un vétérinaire (appelé ici Yves). Lorsqu’il lui est demandé ce qui lui a apporté son blog, voici ce qu’elle répond :

    Le blog m’a apporté d’avoir des choses à raconter à mon mari. Je peux lui raconter des choses que j’ai faites sans lui : des ateliers culinaires… Avant, j’étais la femme d’Yves. Maintenant, je suis devenue [son pseudonyme de blogueuse] et lui est devenu « Monsieur [son pseudonyme de blogueuse] ». (Blogueuse, 5 ans, 2 800 visiteurs)

    22L’obtention de reconnaissance n’est toutefois pas le seul motif de création des blogs. Il apparaît très souvent que ce sont initialement les fonctions pratiques voire utilitaires du blog qui ont conduit les blogueurs à créer leur blog, plus que la possibilité qu’il offre de s’adresser au plus grand nombre et de créer de nouveaux liens. 54 % des blogueurs indiquent ainsi avoir créé leur blog pour « conserver leurs recettes22 ». Dans ce cas, le blog culinaire est envisagé comme un instrument pratique d’archivage personnel, équivalent dématérialisé du traditionnel cahier de recettes familial. Par rapport à un cahier de recettes, le blog permet un classement thématique (et non seulement chronologique) des recettes, il offre des fonctions de recherche, la dématérialisation évite l’égarement du cahier et facilite le partage avec les proches :

    Qu’est-ce qui a motivé la création de ton blog ?

    C’était l’envie de partager mes recettes, que la famille puisse les avoir sans être tout le temps en train de les donner, c’était plus facile. Et puis même pour moi, quand je recherche des anciennes recettes, c’est plus facile de les avoir sur le blog. Du coup, je les partage avec tout le monde. (Blogueuse, 2 ans, 900 visiteurs)

    23La fonction de communication et de partage n’est donc pas absente, mais d’une part le blog ne se réduit pas à cette fonction et d’autre part la communication s’adresse moins (initialement à tout le moins) à un autrui généralisé qu’à des proches connus. Le fait de bloguer d’abord pour soi et pour un cercle proche avant de bloguer pour les autres se traduit dans le type de rétribution symbolique qui est retiré du blog. Interrogés sur ce que leur apporte leur blog, les blogueurs classent les différents types de reconnaissance dans l’ordre suivant : en premier la satisfaction de soi (citée par 75 % des blogueurs) puis la reconnaissance de son entourage (29 %) et enfin celle des autres blogueurs (27 %).

    24Les apports économiques (sous forme monétaire, de cadeaux ou d’opportunités professionnelles) sont, dans les discours médiatiques, régulièrement présentés comme un motif d’engagement dans la pratique du blog. La possession par certains blogueurs de cartes de visites présentant leur blog indique qu’une partie d’entre eux est effectivement engagée dans une logique de promotion et de rentabilisation de l’activité. Une blogueuse, surprise par ce phénomène, raconte ainsi son étonnement lorsqu’elle a découvert cette pratique :

    Est-ce que vous avez des techniques pour faire connaître votre blog ?

    Ça ne m’intéresse pas spécialement. Donc voilà, je ne cherche pas. Exemple clair : je suis arrivée ici [au Salon du blog culinaire] hier et je vais à la première démo et je fais : « Ahhhhh, ils ont des cartes de visite ! » (rires) Je n’en ai pas. Alors quand les gens me demandent l’adresse de mon blog, je dis : « Si vous avez un petit papier, je peux vous la marquer. » Voilà, c’est un exemple… Le but n’est pas de devenir célèbre. Je pense qu’ils y en a beaucoup qui ont leur carte, il y en a pour qui c’est vraiment une vraie machine de guerre. Je pense qu’il y a différents esprits : ils y en a qui vont faire tous les concours tout le temps, qui vont chercher à faire tous les concours, il y en a d’autres qui vont chercher à faire plein de partenariats pour avoir plein de cadeaux, il y a d’autres qui le font juste pour le plaisir de partager, il y en a qui regardent leurs statistiques toutes les heures parce qu’ils veulent des visites, des visites… (Blogueuse, 1 an, 50-80 visiteurs)

    25Seuls 2 % des blogueurs déclarent parmi les satisfactions apportées par leur blog le fait qu’il leur rapporte de l’argent (il s’agit de l’item de réponse le moins fréquemment cité). La faiblesse de ce chiffre ne doit pas seulement être imputée à un phénomène de sous-déclaration lié au fait qu’évoluant dans un univers qui valorise la passion et le désintéressement, les blogueurs seraient peu enclins à afficher leur intérêt financier. En effet, lorsque la question du montant rapporté par le blog est posée, seulement 3,5 % des blogueurs refusent de se prononcer et 35 % déclarent que leur blog leur rapporte quelque chose (sous forme monétaire ou de cadeaux). Les autres apports économiques, s’ils sont plus fréquemment mentionnés (11 % des blogueurs indiquent que le blog leur apporte de nouvelles opportunités professionnelles et 28 % qu’il leur permet de tester de nouveaux produits ou ustensiles reçus gratuitement), font néanmoins parties des apports les moins souvent cités du blog. Ces résultats laissent donc apparaître que les principaux apports matériels du blog sont en nature (produits, ustensiles, etc.) plutôt que monétaires et surtout que les motivations matérielles sont, pour les blogueurs, moins importantes que les motivations symboliques.

    26La recherche d’une reconnaissance publique et d’un gain économique ne sont pas prépondérants chez les blogueurs. En revanche, le motif qui revient de manière récurrente pour expliquer la création du blog est celui de « partager sa passion ». 78 % des blogueurs culinaires déclarent avoir créé leur blog dans cet objectif et 80 % d’entre eux indiquent qu’il s’agit a posteriori d’un apport de leur blog. Dans les deux cas, cet item est, parmi ceux qui étaient proposés, celui qui rencontre le plus de suffrages. L’idée de « partager sa passion » recèle toutefois une ambiguïté : le partage peut aussi bien être local (avec des proches) que généralisé (avec des inconnus). Les entretiens montrent que le partage est souvent initialement envisagé comme local avant de devenir, au fur et à mesure de la pratique, plus global. La pratique même du blogging entraîne en effet l’inscription progressive de l’amateur de cuisine blogueur dans une communauté de pairs.

    L’engrenage du blogging

    27Une fois leur activité démarrée, la dimension relationnelle du blogging et les satisfactions qui lui sont affiliées deviennent primordiales pour les blogueurs culinaires. Internet (et plus précisément le web 2.023) est un support particulièrement adapté à cette fonction de partage entre personnes qui initialement ne se connaissent pas. L’architecture technique des blogs rend en effet possible la mise en scène de l’intérêt porté par les lecteurs au discours mis en ligne. Les blogs permettent de recevoir des commentaires des billets publiés, d’être présenté comme « favori » d’un autre blog en étant intégré dans sa blogroll, de compter le nombre de personnes visitant le blog… et ainsi d’objectiver l’assentiment dont son discours fait l’objet. En moyenne, un blog de cuisine reçoit 324 visiteurs uniques par jour et 8 commentaires24. Les interactions qui prennent notamment la forme d’une conversation avec les récepteurs par le biais de commentaires ou d’échanges de mails sont souvent le moteur de la poursuite de l’activité. Pour un blogueur, la réception de commentaires signifie que d’autres portent de l’intérêt à son travail. Les commentaires sont ainsi vus comme une forme de reconnaissance et donc comme un encouragement à poursuivre l’activité. L’analyse de la fréquence de publication des billets est un révélateur de ce phénomène. Au niveau agrégé, la périodicité la plus fréquente de publication est de deux à six fois par semaine et deux tiers des blogueurs culinaires (64 %) publient des billets au moins une fois par semaine. Interrogés sur leur souhait d’évolution future de leur fréquence de publication, la majorité des blogueurs (64 %), notamment les plus forts publiants, indiquent vouloir maintenir à l’avenir leur rythme de publication et la quasi-totalité des blogueurs restants (28 %), qui publient souvent moins d’une fois par semaine, indiquent souhaiter l’augmenter. Ces résultats trahissent l’existence d’une norme de forte publication : les blogueurs qui publient déjà beaucoup souhaitent maintenir leur forte fréquence de publication et ceux qui publient peu souhaitent augmenter leur rythme de publication. La convergence des blogueurs vers une pratique de forte publication témoigne du caractère gratifiant de l’activité. La disproportion entre la part des blogueurs qui souhaitent intensifier leur activité (28 %) et celle de ceux qui souhaitent la ralentir (8 %) montre que le blogging n’est pas un pur phénomène de mode qui attirerait beaucoup puis serait vite abandonné : au contraire, les blogueurs culinaires semblent « se prendre au jeu » et désirer pour la plupart poursuivre ou intensifier leur pratique. Outre la gratification apportée par les commentaires, l’activité de blogging elle-même est source d’incitations à la poursuite de la pratique.

    Encadré 4. Portrait d’une blogueuse
    Élisa25 a 29 ans. Elle vit en Bretagne où elle prépare le CAPES26 d’espagnol. Mariée à un technicien, elle est mère de deux enfants, une fille de quatre ans et demi et un garçon de quatorze mois. L’entretien se déroule au cours d’un déjeuner au Salon du blog culinaire de Soissons, en 2010, en présence de son mari. Voici comment elle raconte la création de son blog en 2008 :
    Je vivais en Espagne et la cuisine française me manquait. C’est justement depuis le blog Amuse-bouche que je me suis mise à faire mon blog […]. J’ai toujours cuisiné un peu, quand même depuis toute petite, mais jamais j’avais pensé… Et puis j’avais envie de pousser un peu plus loin, apprendre des nouvelles choses et grâce à ce blog-là, j’ai appris des techniques que tu n’as pas sur les sites parce que par exemple, sur le site du chef Simon27, OK tu as des trucs mais c’est des quantités sur un litre, ça te paraît inabordable28. Alors que là si tu veux, c’est des démos, la nana, elle n’a pas une cuisine professionnelle, elle a une cuisine comme toi donc quatre feux, un four, un congel, un fouet. Alors que sur les sites des chefs, la liste des ingrédients, tu fais : « OK, je n’en ai pas la moitié », et des fois ils utilisent des termes…
    Élisa présente un profil relativement courant chez les blogueurs : amatrice de cuisine (« j’ai toujours cuisiné », « j’avais envie de pousser plus loin »), elle est néanmoins à la recherche d’informations culinaires « abordables » et réalisables dans une cuisine non professionnelle. Elle trouve ces informations dans les blogs plutôt que dans les sites de professionnels et cela la motive à se lancer elle-même dans l’aventure. Comme d’autres blogueurs, c’est une période de « transition » dans sa vie (expatriation) qui l’a conduite à créer son blog qu’elle voit alors comme une « échappatoire ». Deux ans après sa création, Élisa publie au maximum trois recettes par semaine et reçoit environ 1 500 visiteurs uniques quotidiens. Après un démarrage fulgurant de son blog, elle a fortement ralenti son activité l’année précédant l’entretien, à la fois pour des motifs personnels et en raison d’une forme de surmenage « blogosphérique » :
    Je publiais tous les jours, je passais deux heures en moyenne par jour sur mon blog, au moins. C’était l’usine, j’avais 100 ou 120 commentaires tous les soirs, ça veut dire que tu visites 120 blogs, je mettais une heure trente ou deux heures rien qu’à répondre aux blogs alors je fais : « Stop, moi, je n’en peux plus. » […] J’ai passé mon CAPES je ne sais pas combien de fois et puis j’avais [nom du fils] en bas âge, deux enfants, pas le temps et puis pas l’envie justement, après ce surcroît de travail. C’était l’usine, j’en avais un peu marre, même de cuisiner, je ne cuisinais plus. J’en avais ras-le-bol. Parce que c’est très dur de soutenir, quand il y en a qui produisent une recette par jour. Le temps de la recette, parce qu’il faut quand même le temps de l’imaginer, le temps de la faire, faire la vaisselle, la photo, c’est quand même une organisation à prendre mais c’est vrai que j’aime ça.
    Sur son blog, Élisa publie essentiellement des recettes simples. D’un côté, elle revendique cette simplicité et la présente comme l’une des raisons de son succès : Tu vas voir ma recette, c’est un truc tout simple que tout le monde peut faire, un truc basique de chez basique mais après je me rends compte en parlant avec des voisines, en parlant avec des gens, que c’est ce qu’ils veulent. […] Les gens ce qu’ils me disent souvent c’est que ce qu’il y a de bien avec le blog, c’est que ce n’est pas cher, c’est que ce sont des recettes économiques. Moi je fais mon plein de course, je n’utilise pas de truffes.
    D’un autre côté, Élisa revendique aussi une recherche dans sa cuisine. Elle critique ainsi les blogueurs qui publient des recettes sans aucune recherche :
    Il y a des choses, tu ne sais pas pourquoi la nana elle a ouvert son blog. À la limite, elle n’appelle pas cela un blog culinaire, elle appelle cela un carnet de route ou je ne sais pas. Moi, publier des pâtes jambon… À la limite tu fais les pâtes toi-même, tu les accompagnes d’une petite sauce […]. À la limite, tu sais, tu fais, je ne sais pas, une tuile en parmesan, tu l’agrémentes. Ça peut être sympa justement pour des gens qui veulent…
    Élisa indique en effet qu’en dépit de la simplicité des recettes qu’elle présente, elle est toujours à la recherche de nouveauté et que les autres blogs stimulent son imagination :
    Il y a des choses que tu pioches chez les autres et c’est très bon, ça te pousse. Lui [elle désigne son mari], ce qu’il aime bien, c’est le riz au lait. Il me fait : « Ah, je veux du riz au lait. » [Elle mime sa propre réaction : « Qu’est-ce que je pourrais bien faire ? »] Il me dit : « Tu ne pourrais pas faire du riz au lait tout simple ? » [Intervention du mari : « J’adore, tout simple, la base »] Ah non. (rires) Il faut que je cherche, il faut que je trifouille, il faut que je machine. Aussi parce que ça me fait une recette [pour le blog], mais c’est plus secondaire. [Intervention du mari : « Tu n’aimes pas trop refaire ce que tu as déjà fait. »]
    Sensible à son nombre de visiteurs, Élisa indique avoir fait partie des « blogueuses connues » au sein de la blogosphère au moment où elle publiait beaucoup29. Sa relation à la reconnaissance est ambiguë : d’un côté, elle souligne l’importance de la reconnaissance des pairs (« Tu t’habitues un peu à cette notoriété »), mais de l’autre elle dénonce la possible facticité des relations d’admiration entre blogueuses (« Tu vois, une nana de blog, elle vient : “Oh c’est superbe”, parce que c’est la politesse, c’est la courtoisie entre blogs ») et valorise alors la reconnaissance du public anonyme (« Tu sais, moi j’aime autant quand ce sont des gens qui n’ont pas de blog qui viennent me dire : “J’ai fait ta recette, on s’est régalé, ça a fait le bonheur de tout le monde, on a passé un bon moment.” Ça me fait dix fois plus plaisir »).
    N’ayant pas de revenus propres, Élisa considère que le blog lui apporte « un petit complément qui n’est pas négligeable » même si les sommes ne sont pas « mirobolantes30 ». Cet argent provient essentiellement de la publicité présente sur son blog. Elle réalise aussi des partenariats avec des marques qu’elle sollicite parfois elle-même. Ces partenariats lui permettent de « découvrir des produits » et de s’en faire offrir. Elle dit cependant refuser les partenariats « trop contraignants31 ». Consciente que « beaucoup de gens le contestent sur la blogosphère », elle défend la réalisation de partenariat de deux manières. D’une part en justifiant la rémunération obtenue par le travail fourni et d’autre part en arguant de sa liberté éditoriale :
    De toutes façons, [le blog] moi je dis que c’est une monarchie absolue, si tu n’es pas content, tu passes ton chemin. Moi je n’ai de comptes à rendre à personne sauf à moi-même et à mon entourage.

    28Le fait même de devoir alimenter régulièrement son blog pour répondre aux attentes du lectorat implique un investissement croissant dans le domaine culinaire :

    Il faut que le blog ait beaucoup de visiteurs pour que toi, ça te donne envie de progresser. Si tu viens et que tu as deux visiteurs, que tu te casses la tête pour deux visiteurs… […] Pour moi, si tu fais ton blog, c’est que tu as envie de pousser plus loin tes limites, et que tu as envie de créer, de chercher des choses. (Blogueuse, 2 ans, 1 500 visiteurs)

    29Il s’agit pour une part d’un investissement en temps. Les blogueurs passent plus de temps que la moyenne des Français à cuisiner et il faut ajouter à ce temps celui passé à l’alimentation du blog (photographie des plats, rédaction de la recette, réponse aux commentaires, etc.). Plus de la moitié des blogueurs culinaires (55 %) consacrent plus de deux heures par semaine à leur blog et 18 % y passent au moins une heure par jour. Il s’agit pour une autre part d’un investissement monétaire. Les blogueurs achètent non seulement beaucoup de livres et de magazines de cuisine, mais la fréquentation des autres blogs tend aussi à faire naître chez eux une incitation à tester de nouveaux produits et de nouveaux ustensiles :

    Et vous cuisinez différemment maintenant que vous avez le blog ?

    Oui, je cuisine plus, et des produits différents. Par exemple des nouveaux produits qu’on voit sur d’autres blogs. On se dit que ça peut être sympa. Il y a plein de produits que je n’avais pas l’habitude de cuisiner et que j’ai faits en voyant d’autres recettes. Tout bête, le potimarron ou des trucs comme ça, je n’en faisais absolument jamais et à force d’en voir, de voir qu’on pouvait faire des trucs sympas… L’agar-agar ou ce genre de choses. (Blogueuse, 2 ans, 900 visiteurs)

    30L’investissement dans la tenue d’un blog se traduit par une transformation des attentes. Le statut de la « créativité » chez les blogueurs permet de mieux saisir ce phénomène. Initialement, seulement un tiers (32 %) des blogueurs créent leur blog avec pour objectif de développer leur créativité ; cependant, a posteriori, plus de la moitié d’entre eux reconnaissent que le blog leur permet de développer leur créativité. Le développement de la créativité apparaît donc comme un effet relativement inattendu de la tenue d’un blog. Les blogueurs qui se disent les plus créatifs sont ceux qui sont les plus investis dans la blogosphère (ils publient plus fréquemment des billets, répondent plus souvent aux commentaires, rencontrent plus que la moyenne les autres blogueurs, participent plus à des concours de cuisine, ont des partenariats plus importants) et dans la cuisine en général (ils possèdent plus de livres de cuisine que la moyenne). Les blogueurs justifient le développement de leur créativité par l’incitation à faire toujours mieux induite par la publicisation de ses recettes :

    La cuisine de mon blog est celle que je fais au quotidien, je ne cuisine pas spécialement pour le blog […]. Globalement, disons que je ne vais pas faire de la cuisine à l’unité pour que ce soit présenté sur mon blog, c’est des choses qu’on va manger en famille, donc ça ne prend pas beaucoup plus de temps. Après, le fait d’avoir un blog fait qu’on fait plus d’efforts en cuisine au quotidien. Ça c’est vrai. Parce qu’on essaie de rechercher des plats, de ne pas tomber dans la facilité pour essayer d’alimenter son blog. […] Moi, ce que j’aime avant tout dans la cuisine, c’est inventer, imaginer. (Blogueuse, 5 ans, 500-2 000 visiteurs)

    31La blogosphère produit à la fois des phénomènes d’émulation (ce que traduisent par exemple les « reprises » de recettes d’un blogueur à un autre) mais aussi des phénomènes d’incitation (essayer de nouveaux produits, de nouvelles techniques) et de dépassement de soi (s’améliorer tant au niveau de sa créativité que de sa technicité). La plupart des blogueurs rencontrés en entretien font en effet état d’une importante amélioration de leur compétence, notamment en cuisine, mais aussi en photographie et en écriture, depuis la création de leur blog :

    Vous aviez déjà des compétences en photographie ?

    Non. En fait, par curiosité, vous irez regarder mes premiers billets, les photos étaient absolument affreuses. Je me suis améliorée, c’est un tout en fait. […] Moi, [c’est dans l’écriture que] je me suis [le] plus améliorée […]. Mes photos se sont améliorées, mais je pense que je m’exprime plus par l’écriture que par la photo. Moi, j’étais plutôt scientifique, j’avais horreur, je n’étais pas très bonne en français, j’étais nulle en orthographe. […] Plus on écrit, plus on s’améliore. Au début, j’avais du mal à trouver mes mots et puis après, maintenant, ça coule bien, j’écris vite. Et je suis capable d’écrire un billet super rapidement, ça vient comme ça…

    Et en cuisine aussi, vous vous êtes améliorée ?

    Ah en cuisine ! En cuisine, oui, oui, je me suis vachement améliorée (rires). Donc ça, la cuisine, le palais, la connaissance des produits, l’écriture et la photo. (Blogueuse, 6 ans, 7 000 visiteurs)

    32La possibilité de partager sa passion culinaire offerte par internet et les blogs conduit à un entretien et à un développement de cette passion. L’engagement dans la pratique du blogging est d’autant plus fort qu’il s’appuie sur l’insertion dans un collectif (voir supra encadré 4).

    Les blogueurs : amateurs ou professionnels des médias ?

    Une activité relationnelle et communautaire

    33Les visiteurs des blogs sont loin d’être uniquement des blogueurs culinaires, en revanche, une part importante des commentaires qui sont déposés sur les blogs émane de blogueurs. Pour l’auteur d’un blog, les lecteurs non blogueurs forment donc souvent une masse anonyme qu’ils ne peuvent se représenter qu’au travers des « statistiques32 » de leur blog. En revanche, des interactions plus riches peuvent s’établir avec les blogueurs qui commentent : réponse au commentaire, poste d’un commentaire sur le blog du commentateur, échange de lien entre les blogs, reprise et réinterprétation de recettes vues sur d’autres blogs, demande de conseils à des blogueurs qui ont testé des produits particuliers, etc. Tous ces échanges entre amateurs tendent à circonscrire un univers où les interactions ont une forte densité. La réciprocité des relations entre les blogueurs, qui concourt à clore l’univers du blogging sur lui-même, n’est pas seulement la conséquence du souhait des blogueurs de partager leur passion avec des amateurs qui leur ressemblent, c’est aussi le produit d’une norme structurant les interactions dans la blogosphère. Par exemple, lorsque quelqu’un met l’adresse d’un blog sur le sien, les blogueurs sont censés mettre à leur tour l’adresse du blog qui les a cités dans leur blogroll ; lorsqu’ils refont une recette qu’ils ont trouvée dans un blog, ils sont censés mettre un lien vers ce blog ; lorsqu’ils reçoivent un commentaire, ils sont censés aller sur le blog de la personne qui les a commentés et déposer à leur tour un commentaire, etc.

    34Les entretiens réalisés avec des blogueurs culinaires mettent en évidence l’existence de ces règles tacites, quand bien même elles ne sont pas systématiquement respectées :

    Chaque fois qu’on me met un commentaire, je vais répondre. Oui, je suis très attachée à ça aussi, c’est-à-dire que si on me met un commentaire, si […] c’est quelqu’un qui a un blog, je vais aller moi en retour lui mettre un commentaire sur son blog, voilà, c’est de l’échange en fait.

    Et ça c’est quoi ? C’est une règle ?

    Je pense que c’est une règle tacite. Enfin voilà, je pense que ça se fait comme ça. Je ne me suis pas posée la question en fait. On voit bien : si on pose un commentaire sur un blog qu’on ne connaissait pas, on voit bien que deux jours après on a un commentaire de cette personne qui, du coup, est venue visiter le blog et tout le monde fonctionne comme ça.

    Avant d’avoir un blog, vous commentiez déjà ?

    Non. Non, c’est venu parce que finalement, je trouve qu’on ne se rend pas compte de l’importance que ça peut avoir d’avoir déjà… Ça fait quand même un encouragement à poursuivre. (Blogueuse, 1 an, 70 visiteurs)

    35En réalité, les règles sont plus complexes qu’il n’y paraît : elles n’obéissent pas seulement à des normes de sociabilité sur internet mais aussi à des stratégies d’acteurs. Certains blogueurs commentent ainsi d’autres blogs à forte notoriété afin de faire connaître le leur, comme le rapporte une blogueuse réputée :

    Quand on commente quelqu’un, on reçoit des commentaires ?

    Ah oui… Moi je ne sais pas, je suis un peu dans ma bulle en fait, moi je commente que quand vraiment ça me touche, je ne vais pas aller commenter… Du coup moi je suis totalement dans ma bulle. Je trouve ça moche de faire ça, je trouve ça dommage. Par contre parfois je vois qu’il y a des blogueuses qui me mettent régulièrement des commentaires et donc au bout d’un moment je me dis : « Tiens, elle… », et du coup je vais voir son blog, et il m’est arrivé de découvrir… donc finalement elles ont eu raison de le faire parce que c’est comme ça que j’ai découvert leur blog. Finalement ça marche. À la limite ce n’est pas grave, moi ça n’enlève rien à mon blog, je n’ai pas de problème, je sais bien parfois… Le seul truc qui m’énerve, parfois j’ai des commentaires de sites qui disent : « Allez voir sur notre site de recettes. » Alors ça, ça m’énerve un peu, je ne les supprime pas encore mais je sens qu’il y en a une, elle commence un peu à… parce qu’elle ne parle même pas de ce que j’ai écrit, elle dit juste… (Blogueuse, 6 ans, 7 000 visiteurs)

    36Au travers de cet entretien, il apparaît que les commentaires sont plutôt le fait des blogueurs à la recherche de reconnaissance et que les blogueurs déjà reconnus peuvent se permettre de « vivre dans leur bulle ». Cela étant, dans la mesure où elles contribuent à augmenter la visibilité des blogueurs qui s’y conforment, les règles sont suivies par la plus grande partie des blogueurs. Deux tiers des blogueurs culinaires déposent ainsi des commentaires sur d’autres blogs afin de faire connaître le leur. Il apparaît donc qu’une fois dépassés les usages strictement personnels, familiaux et amicaux du blog mis en évidence précédemment, c’est plus la reconnaissance des confrères que celle des lecteurs anonymes qui semble être recherchée par les blogueurs culinaires. Les blogueurs sont non seulement les principaux destinataires des billets de leurs pairs, ils en sont aussi parmi les principaux inspirateurs : 69 % des blogueurs culinaires déclarent trouver les idées des recettes pour leur blog… dans d’autres blogs. La blogosphère est donc un univers autocentré (ce qui y est publié est prioritairement destiné à ses membres), mimétique et auto-référentiel. L’usage même de l’expression « blogosphère culinaire » pour désigner la « communauté virtuelle33 » des blogueurs publiant des recettes semble particulièrement adapté pour qualifier l’espace clôturé et autonome que forment les blogueurs. La sociabilité virtuelle tend, lorsqu’elle s’intensifie, à se transformer en sociabilité réelle : presque la moitié des blogueurs (49 %) ont ainsi déjà rencontré certains de leurs pairs. Un salon du blog culinaire a d’ailleurs été créé afin de favoriser les rencontres réelles des blogueurs qui se connaissent virtuellement. Chaque année, de 2008 à 2015, plusieurs centaines de blogueurs se sont réunis à Soissons pour faire connaissance ou se retrouver autour de démonstrations de cuisine (voir infra encadré 5).

    Indépendance à l’égard du monde journalistique

    37Formant une communauté d’amateurs, les blogueurs culinaires évoluent dans un monde qui est en très grande partie séparé de celui du journalisme culinaire. À la différence des blogueurs critiques de restaurants, dont les principales figures sont des personnes exerçant la profession de critique gastronomique34, les blogueurs publiant des recettes ne sont que très rarement des journalistes culinaires professionnels. Sur 621 blogueurs culinaires ayant répondu à l’enquête, seuls 22 indiquent avoir déjà exercé l’activité de journaliste culinaire et 3 déclarent qu’il s’agit de leur profession principale. De leur côté, lorsqu’ils sont interrogés, peu de journalistes culinaires indiquent posséder un blog. Il semble donc que les journalistes culinaires se tiennent, jusqu’à présent, relativement à l’écart de la blogosphère.

    Encadré 5. Le Salon du blog culinaire
    Le Salon du blog culinaire organisé par le site internet 750 Grammes s’est déroulé à Soissons (Aisne) de 2008 à 2015. Il a eu lieu au lycée hôtelier et pour partie dans des cuisines mobiles installées au centre-ville, sur le marché ou dans des enseignes partenaires. En 2011, il a réuni 450 blogueurs culinaire. Il s’agit d’un événement festif qui donne aux blogueurs l’occasion de se rencontrer physiquement et de découvrir le savoir-faire de leurs pairs.
    À l’image de la blogosphère, l’assemblée est majoritairement féminine, les hommes présents étant pour la plupart les conjoints des blogueuses. Les blogueurs sont reconnaissables au tablier qu’on leur offre à l’entrée. Ils peuvent réaliser des démonstrations de cuisine ou y assister. Présenter sa recette ne nécessite pas de passer par une procédure de sélection qualitative particulière, ce sont les premiers inscrits sur le site de 750 Grammes qui sont retenus. Chacun ensuite apporte son matériel et ses ingrédients pour réaliser sa recette.
    La plupart des blogueurs présents portent un appareil photo, souvent perfectionné, leur permettant d’immortaliser les réalisations de leurs pairs afin d’illustrer l’article de compte rendu du salon qu’ils publieront sur leur blog.
    Le salon est financé par des sponsors privés qui présentent leurs produits, organisent des démonstrations et offrent des échantillons aux blogueurs. Ces sponsors, appelés « partenaires », sont quasi systématiquement mentionnés dans les comptes rendus du salon publiés sur les blogs.

    38Les blogueurs culinaires ont pour leur part le sentiment d’exercer une activité distincte de celle des journalistes. Ces derniers ne représentent pas une figure à laquelle ils s’identifient spontanément et quand il est question d’une possible professionnalisation de leur pratique amateur, les blogueurs se tournent plutôt vers d’autres professions liées à la cuisine (professeur de cuisine, vendeur de produits culinaires, auteur de livres de recettes, etc.). Même les blogueurs qui ont eu l’occasion de travailler comme journalistes insistent sur ce qui sépare cette activité de celle de blogueur plutôt que sur les ressemblances :

    En fait, sur mon blog ce que j’adore, c’est que je raconte pleins de trucs, ce que je fais… Mais c’est vrai que pour la presse il y a un style, etc., c’est plus… Enfin je trouve ça plus… pas plus difficile, mais j’arrive moins à faire passer ma personnalité en fait. (Blogueuse, 6 ans, 7 000 visiteurs)

    39Si les blogueurs n’aspirent pas, dans leur grande majorité, à prendre la place des journalistes culinaires, ils se positionnent en revanche sans ambiguïté comme des consommateurs, parfois compulsifs, de la presse gastronomique. Aussi bien dans leur pratique que subjectivement, les blogueurs culinaires se positionnent donc plutôt comme des usagers que comme des concurrents des médias classiques. Si ce n’est par le biais de leurs contenus qui peuvent s’autoalimenter et par les publics qu’ils peuvent partager, les deux mondes apparaissent relativement étanches l’un à l’autre. Pour autant, d’un point de vue externe, la frontière entre ces deux acteurs n’est pas aussi évidente à tracer.

    De la difficulté de tracer une frontière

    40Les blogueurs culinaires se présentent comme des amateurs de cuisine dans les deux sens que peut revêtir ce terme : ils sont à la fois des amateurs en tant qu’ils aiment la cuisine, et aussi des amateurs en tant qu’ils ne sont pas des professionnels de l’information gastronomique35. Envisagés comme des amateurs, les blogueurs se distinguent des professionnels de l’information par la nature de leur activité : ils sont des « consommateurs » de l’information culinaire produite par les professionnels.

    Ça reste amateur, on reste amateur, chacun sa place ici. Je me sens toute petite moi. Enfin, quand je vois des professionnels, je me remets moi-même à ma place. Je suis amateur. Il ne faut pas tout confondre. Je suis assez autodidacte dans tout. […] Je ne cherche pas à ce que ça me rapporte quelque chose, donc voilà, du plaisir, c’est tout. Moi, ça reste un loisir, un plaisir, et peut-être que dans six mois, je l’arrêterai, je ne sais pas. Je ne veux pas non plus m’enchaîner à ça.
    Blogueuse, 1 an, 50-80 visiteurs

    41Cependant, l’adoption d’un point de vue externaliste permet aussi d’envisager les blogueurs comme des producteurs d’information culinaire exerçant une activité productive similaire à celle des professionnels de l’information gastronomique. En effet, tout comme les journalistes culinaires, les blogueurs écrivent des recettes, des textes de présentation et d’accompagnement, ils parlent aussi des produits, des nouveautés et des événements liés à la gastronomie, le tout à destination d’un public large. Dans ce cas, ce qui distingue amateurs et professionnels n’est pas tant la nature de leur activité que la reconnaissance ou non de sa dimension professionnelle. Classiquement, deux critères sont mobilisés pour différencier amateurs et professionnels : le premier est celui de la rémunération et le second celui de la qualification36.

    42Selon le critère de la rémunération, qui sert notamment à délimiter la profession journalistique37, « le professionnel vit de son métier, il en tire des revenus, alors que l’amateur [s’oppose] à toute rémunération et [“travaille”] pour la gloire, la beauté ou l’honneur38 ». Dans le domaine de l’information culinaire, aux blogueurs amateurs qui produiraient de l’information de manière désintéressée, « pour le plaisir », dans le cadre non marchand de leurs loisirs, s’opposeraient les journalistes culinaires vivant de leur activité journalistique. Le critère du revenu permet de distinguer relativement efficacement des journalistes « professionnels » la masse des blogueurs amateurs qui ne tirent aucune rémunération de leur activité (c’est le cas de deux tiers des blogueurs). Néanmoins, l’existence d’une frange de blogueurs qui cherchent à obtenir une rémunération introduit un brouillage entre les deux catégories, et ce d’autant plus que de leur côté, la plupart des journalistes culinaires ne vivent pas exclusivement de ce métier et ne possèdent pas la carte de presse.

    43Le brouillage entre journalistes et blogueurs est d’autant plus fort que le critère de la qualification, et plus largement celui de la compétence et de l’expertise, n’est pas à même de séparer les deux groupes. D’un côté, la profession de journaliste est une profession « ouverte », qui ne nécessite pas la possession d’un diplôme particulier pour pouvoir être exercée. Elle s’apprend souvent « sur le tas » et présente un caractère d’« expertise profane39 » (voir infra chapitre 4) qui place sur un potentiel pied d’égalité journalistes et blogueurs. De l’autre côté, l’expertise des amateurs augmente de plus en plus, à la fois en raison de l’accroissement du niveau scolaire de la population et du développement des nouveaux médias qui permettent une diffusion et un partage des savoirs inédits40. Pour témoigner de la convergence des connaissances et des savoir-faire entre professionnels et amateurs, Charles Leadbeater et Paul Miller ont théorisé la notion de « pro-am41 ». Ils désignent par ce terme les amateurs qui développent des compétences similaires à celles des professionnels et contribuent à brouiller la frontière entre les deux catégories. Les similitudes en termes d’acquisition de compétences et de niveau d’expertise entre journalistes et blogueurs culinaires peuvent pour partie expliquer la proximité des contenus qu’ils produisent. Si tous les blogueurs culinaires ne réalisent pas un blog qui puisse rivaliser avec les productions journalistiques, une partie des blogueurs offrent un contenu relativement similaire (en matière de qualité d’écriture, d’angle, d’esthétique, de fiabilité, etc.) à celui de la presse. Pour trouver de nouvelles idées de recettes, les blogueurs culinaires font d’ailleurs plus appel aux blogs culinaires qu’aux magazines de cuisine.

    44La proximité entre les deux activités se traduit par quelques circulations de l’une à l’autre. Si peu de journalistes culinaires tiennent un blog, en revanche, certains blogueurs culinaires sont conviés par la presse (à titre gracieux ou contre rémunération) à participer à la rédaction d’articles et d’autres s’improvisent journalistes en créant des magazines en lignes (ainsi en est-il du magazine Yummy42 créé en 2011 par un groupe de blogueuses culinaires). Bien que les blogueurs prennent rarement la place des journalistes au sein des médias traditionnels, leur production sur un autre support de contenus relativement similaire à celui produit par les journalistes peut les rendre, aux yeux du public, complémentaires ou substituables à ces derniers.

    Professionnalisation ou marchandisation ?

    45L’introduction d’une rémunération de l’activité de blogueur vient brouiller les frontières entre amateurisme et professionnalisme. Il faut toutefois souligner que ce brouillage des frontières ne concerne qu’une minorité de blogueurs. En effet, deux tiers des blogueurs (65 %) ne tirent aucun revenu (sous forme monétaire ou de cadeaux) de leur blog et parmi les blogueurs qui en tirent un, les trois quarts (73 %) reçoivent moins de cinquante euros par mois. L’idée de « vivre de son blog » semble donc être plus de l’ordre du mirage que d’une réalité tangible. Aucun des répondants ne déclare gagner plus de 1 000 euros mensuellement grâce à son blog et seulement cinq personnes déclarent gagner entre 500 et 999 euros. Cela étant, 3,5 % des enquêtés ont refusé de se prononcer sur cette question et il est possible d’émettre l’hypothèse qu’il s’agit des plus rémunérés (la situation de non rémunération étant la norme, les blogueurs ont sans doute moins de raisons de la cacher). Il est en effet de notoriété publique que certains blogueurs culinaires gagnent plus de 1 000 euros par mois grâce à cette activité. En 2009, l’une des blogueuses françaises les plus reconnues, qui fait partie des rares personnes à vivre de leur blog, a ainsi exposé dans la presse ses revenus afin de mettre fin au mythe de la possibilité de vivre confortablement de cette activité en montrant que les mieux dotés parmi les blogueurs ne gagnaient pas des montagnes d’or. Dans une interview au site Rue89, elle a ainsi déclaré percevoir mensuellement 1 500 euros grâce à son blog43. Même si cette somme peut paraître aujourd’hui sous-évaluée, il semble que le nombre de blogueurs vivant exclusivement de cette activité soit très faible (moins d’une dizaine en France). En revanche, le blog peut devenir un tremplin vers des activités rémunératrices. Dans ce cas, l’argent ne provient pas directement du blog mais des activités autres qu’il engendre.

    Tableau 6. Ce que rapportent mensuellement les blogs culinaires (en %). N = 547. Lecture : 4,9 % des blogueurs gagnent mensuellement entre 50 et 99 euros grâce à leur blog.

    Rien44

    64,7

    Moins de 50 euros

    23,2

    De 50 à 99 euros

    4,9

    De 100 à 499 euros

    2,7

    De 500 à 999 euros

    0,9

    Plus de 1 000 euros

    0

    Ne se prononce pas

    3,5

    Total

    100

    46La professionnalisation des blogueurs peut renvoyer à deux choses distinctes. La première, la plus rare, est le passage de son métier initial à un métier lié à la cuisine (seuls 9 % des blogueurs exercent déjà une profession en rapport avec la cuisine45). Il peut s’agir d’un métier de cuisinier ou de restaurateur, de chef à domicile, de professeur de cuisine, d’auteur de livres de recettes, de conseiller pour des marques ou des chefs, de travailleur dans l’événementiel gastronomique, d’artisan des métiers de bouche, de journaliste culinaire, de photographe culinaire, etc. Dans ce cas, le blog peut servir de déclencheur (révélation de la passion gastronomique qui conduit à souhaiter en faire son métier), de tremplin (en offrant des contacts avec des professionnels et en révélant des opportunités d’emploi) ou de vitrine et de carte de visite (en témoignant de compétences professionnelles). Les blogueurs qui souhaitent devenir professionnels considèrent ainsi que le blog peut être un moyen d’arriver à cette fin. L’intensité de leur investissement dans l’activité de blogging est alors plus forte que celle des autres blogueurs (ils y consacrent plus de temps46, sont plus nombreux que les autres à souhaiter augmenter leur fréquence de publication à l’avenir et pensent plus que les autres que le blog leur permet de développer leur créativité). Toutefois, globalement, les blogueurs sont relativement peu nombreux à souhaiter ce type de professionnalisation : 83 % des blogueurs culinaires interrogés souhaitent en effet rester amateurs. Ces derniers considèrent que le fait de devoir gagner sa vie avec sa passion est utopique et que de surcroît, cela transformerait la passion en contrainte :

    Être moi-même aux fourneaux tous les jours, avec une contrainte professionnelle, je pense qu’au bout d’un moment, je n’éprouverais plus le même plaisir. Et je veux que ça reste un plaisir.
    Blogueuse, 1 an, 50-80 visiteurs

    47La seconde manière d’envisager la professionnalisation, dans une acception plus faible du terme, est de la voir comme la simple monétisation de sa passion. Le blog n’est plus seulement un tremplin pour s’ouvrir à d’autres activités mais il est ce pour quoi le blogueur est rémunéré. C’est la capacité à relayer des informations et à prescrire des manières de faire et de consommer à un lectorat important qui motive des entreprises (surtout liées à l’agro-alimentaire47) à rémunérer les blogueurs pour évoquer leurs produits. Cette monétisation peut prendre plusieurs formes et c’est, semble-t-il, à partir du moment où s’instaure une relation de subordination avec le « payeur » qu’il est possible de parler de « professionnalisation » (le blogueur n’est alors plus la seule personne à décider du contenu publié). Cette seconde forme de professionnalisation concerne un nombre de blogueurs bien supérieur à la première.

    48La forme la plus visible et la plus répandue de monétisation de l’activité de blogueur est l’insertion de bannières publicitaires sur le blog48. Plus des deux tiers des blogs culinaires comportent de la publicité et, dans 77 % des cas, celle-ci est gérée par les plates-formes qui hébergent les blogs. Relativement peu discriminante, cette publicité est faiblement liée aux propriétés des blogs et a peu d’impact sur l’activité des blogueurs. Les revenus engendrés par la publicité sont très variables et leur mode de calcul est complexe. Globalement, ils dépendent d’un CPM (coût pour mille) qui représente le « prix » de 1 000 visiteurs sur le blog. Ce coût est fixé quotidiennement par les plates-formes et est pondéré par le blog rank (indice de cotation du blog) qui dépend lui-même de la fréquence de publication des billets, du nombre de commentaires… et par les performances de la publicité réelle (nombre de fois où elle a été vue, où un lecteur a cliqué sur la bannière, etc.). À titre d’exemple, une blogueuse indique avoir perçu grâce à la publicité présente sur son blog 4,98 euros pour une fréquentation de 815 visiteurs la veille de l’entretien. Il faut donc un lectorat conséquent pour que la publicité apporte des revenus substantiels.

    49Il existe d’autres formes de collaborations plus directes entre les blogueurs et les marques donnant lieu à une contrepartie matérielle ou monétaire. Les blogueurs les désignent sous le terme générique de « partenariats ». Dans ce cas, ce qui apparaît sur le blog n’est plus un message publicitaire préfabriqué par la marque et identifié comme émanant d’elle, mais un message dont la teneur est coconstruite, dans des proportions diverses, par le blogueur et la marque. Consécutivement, l’auteur du message devient plus flou que dans le cas de la publicité : s’agit-il d’un message du blogueur lui-même ou d’un message déguisé de l’annonceur ? Selon le poids accordé à chacun des deux partenaires, les modalités des partenariats diffèrent. Plusieurs types de partenariats peuvent être distingués. Voici les plus importants, classés par ordre de rémunération et de subordination du blogueur croissants : les échanges-produit où le blogueur reçoit gratuitement un produit à tester qu’il peut (ou parfois doit) évoquer ensuite dans son blog en donnant librement son avis ; les billets sponsorisés qui donnent lieu, en contrepartie de l’écriture de l’article, à une rémunération sous forme monétaire49 ; les collaborations plus poussées avec les marques50 ; la participation à des événements organisés par la marque (atelier de cuisine, salon culinaire, etc.) ; l’animation d’un événement de marque.

    50L’intérêt des marques pour les blogueurs est révélateur du pouvoir de prescription de ces derniers. En effet, si les marques acceptent de payer pour que les blogueurs fassent, sous une forme ou sous une autre, la promotion de leurs produits, c’est qu’elles considèrent que les blogueurs ont la capacité d’influencer leurs lecteurs dans leurs actes d’achat. Tous les blogueurs ne jouissent cependant pas du même pouvoir d’influence et tous ne sont pas concernés par les mêmes formes de relations avec les marques : un blogueur sur deux a déjà reçu des produits à tester mais uniquement 8 % des blogueurs ont déjà publié des billets sponsorisés. Le premier chiffre indique que les marques ne se focalisent pas uniquement sur les blogs les plus influents51. Le second indique que dès lors que la rémunération dépasse le simple envoi d’un produit, les marques sont beaucoup plus sélectives. La politique des entreprises qui s’intéressent aux blogueurs est donc double : d’un côté, les produits à tester sont envoyés le plus largement possible tandis que de l’autre, les opérations rémunérées sont réservées à une élite. La réalisation de partenariats est fortement corrélée positivement à l’audience des blogs mesurée notamment par le nombre de visiteurs uniques quotidiens et le nombre moyen de commentaires par billet, même s’il faut remarquer que les blogueurs qui ont la plus forte audience sont aussi ceux qui sont les plus nombreux à toujours refuser les partenariats. Elle est aussi positivement corrélée à l’investissement des blogueurs dans la promotion de leur blog sur internet (possession d’une page Facebook pour le blog, édition d’une newsletter, référencement du blog, etc.) et à leur originalité (appel à leur imagination pour trouver des recettes plutôt qu’à des sites de cuisine). La rémunération tirée du blog est fonction du type et du nombre de partenariats réalisés (tableau 7). Plus globalement, il apparaît que l’existence d’une rémunération induite par le blog est fonction de la notoriété du blog (audience forte, mention du blog dans les médias, investissement du blogueur dans la vie de la communauté, etc.).

    51Les deux formes de « professionnalisation » mises au jour ne sont pas incompatibles : c’est certainement parce que certains blogueurs ont acquis une importante capacité d’influence et une forte notoriété qu’il leur est proposé de devenir auteurs de livres de cuisine ou conseillers pour des marques et qu’ils peuvent ensuite gagner leur vie à partir de ces activités tout en les relayant sur leur blog. Les 26 % de blogueurs qui ont déjà exercé un métier lié à la cuisine sans être devenus ou restés professionnels se caractérisent de fait par une audience de leur blog supérieure à la moyenne (plus de cent visiteurs par jour) et une utilisation plus intensive des réseaux sociaux (Facebook, Twitter) pour faire connaître leur blog. Plus généralement, les gains (en équivalent monétaire) apportés par le blog sont significativement corrélés à l’aspiration professionnelle des blogueurs.

    52L’évolution de la blogosphère culinaire pose d’une manière renouvelée la question de la relation entre amateurisme et professionnalisation. Les blogueurs, relativement nombreux, qui marchandisent leur activité sont-ils encore des amateurs ? Bien qu’eux-mêmes ne se qualifient pas de professionnels dans la mesure où ils ne vivent pas de leur activité, n’est-il pas possible de mettre au jour chez eux une forme de professionnalisme qui s’apparenterait à un professionnalisme de la prescription ? Pour les entreprises en effet, les blogueurs représentent un support médiatique pour partie comparable à celui des médias traditionnel, faisant donc intervenir des compétences similaires. Une blogueuse sexagénaire témoigne ainsi : « On est un outil de communication pour les marques. J’ai mis longtemps à m’en rendre compte. »

    Tableau 7. Répartition des types de partenariats effectués au cours des deux mois précédant l’enquête selon le rapport mensuel du blog (en %). N = 528 ; χ2 = 121,98 ; ddl = 4 ; p = 0,000. Lecture : 61,7 % des blogueurs dont le blog rapport mensuellement 50 euros ou plus ont réalisé des partenariats plus poussés que des tests de produits durant les deux mois précédant l’enquête.

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    Tableau 8. Répartition du nombre de produits testés au cours des deux mois précédant l’enquête selon le rapport mensuel du blog (en %). N = 263 ; χ2 = 41,13 ; ddl = 4 ; p = 0,000. Lecture : 41 % des blogueurs dont le blog rapport mensuellement 50 euros ou plus ont testé plus de quatre produits pour des marques durant les deux mois précédant l’enquête.

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    Tableau 9. Répartition des gains mensuels du blog selon le désir de professionnalisation des blogueurs (en %). N = 528. χ2 = 18 ; ddl = 4 ; p = 0,001. Lecture : 70,4 % des blogueurs qui souhaitent rester amateurs ont un blog qui ne leur rapporte rien.

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    Formes du succès et pouvoir de prescription

    L’audience comme principe de hiérarchisation

    53Le pouvoir différentiel de prescription des blogueurs est considéré comme le principe fondamental de leur hiérarchisation52. La compréhension du pouvoir de prescription des blogueurs intéresse aujourd’hui tant les sociologues que les acteurs eux-mêmes. C’est généralement le critère de l’audience, mesurée par le nombre de visiteurs uniques, qui permet l’identification des blogueurs dont les avis comptent. Utilisé comme mesure du pouvoir de prescription des blogueurs, le nombre de visiteurs uniques est un indicateur central dans le monde des blogueurs. Ce critère est notamment utilisé par les partenaires commerciaux pour déterminer avec quels blogueurs établir des partenariats53. En moyenne, un blog de cuisine reçoit 324 visiteurs uniques par jour mais la moitié des blogs en ont moins de 100. Cette moyenne est tirée vers le haut par les quelques blogs à très forte fréquentation.

    54Au sein de l’échantillon de blogueurs culinaires, comme dans d’autres univers en ligne54, la répartition de l’audience paraît suivre une loi de puissance (figure 5) : les 20 % des blogueurs qui ont le plus de lecteurs réunissent 75 % du lectorat total des blogs55. La blogosphère culinaire apparaît donc a priori comme un univers scindé entre une masse d’amateurs à l’audience réduite et une minorité de blogueurs disposant d’une audience forte et par extension d’un fort pouvoir de prescription56.

    Figure 5. Répartition de l’audience totale des blogs entre les blogueurs. Lecture : 80 % des blogueurs ont moins de 350 visiteurs quotidiens.

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    55L’audience est toutefois multiforme et sa mesure problématique. En effet, un nombre de visiteurs important peut traduire aussi bien une forte audience au sein de la blogosphère culinaire qu’à l’extérieur de celle-ci. Autrement dit, la reconnaissance dont bénéficie un blog peut-être une reconnaissance de ses pairs et/ou une reconnaissance du grand public. Il est alors possible d’envisager non seulement une hétérogénéité de l’élite des blogueurs selon le type de reconnaissance dont ils bénéficient, mais aussi que les modalités de prescription varient selon le « marché » sur lequel est positionné le blog. Dans cette étude, trois indices sont utilisés pour hiérarchiser les blogueurs : d’abord le nombre moyen de commentaires par billet qui, dans la mesure où les blogueurs en sont les principaux commentateurs, est un indice indirect de l’intérêt que la blogosphère culinaire porte à un blog (tableau 10) ; ensuite la mention du blog dans les médias57, qui est un indicateur de la reconnaissance « grand public » du blog (figure 6) ; enfin le nombre de visiteurs, qui synthétise ces deux premiers indices (tableau 11). Les trois mesures sont positivement corrélées (tableau 12).

    Tableau 10. Nombre de commentaires par billet. N = 605. Lecture : seuls 7,12 % des blogueurs reçoivent plus de 30 commentaires par billet publié.

    Nombre de commentaires par billet

    Pourcentage des blogueurs

    0

    2,81

    De 1 à 5

    39,33

    De 6 à 10

    21,16

    De 11 à 20

    18,73

    De 21 à 30

    10,86

    Plus de 30

    7,12

    Total

    100

    Figure 6. Pourcentage de blogueurs ayant déjà été cités dans un média. N = 605. Lecture : 12,9 % des blogs culinaires ont déjà été cités dans la presse régionale.

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    Tableau 11. Nombre de visiteurs uniques quotidiens des blogs culinaires (en %). N = 570. Lecture : 22,3 % des blogs de cuisine reçoivent entre 101 et 250 visiteurs par jour.

    Nombre de visiteurs

    Pourcentage des blogs

    0 à 10

    11,6

    11 à 25

    9,5

    26 à 50

    12,8

    51 à 100

    17

    101 à 250

    22,3

    251 à 500

    13,7

    501 à 1 000

    6,5

    Plus de 1 000

    6,7

    Total

    100

    Tableau 12. Coefficient de corrélation entre les indicateurs du succès des blogs. ** Les corrélations au sens de Pearson sont significatives au seuil 0,01.

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    Cartographie de la blogosphère culinaire

    56La blogosphère culinaire apparaît a priori comme un univers scindé entre une masse d’amateurs à l’audience réduite et une minorité de blogueurs disposant d’un pouvoir de prescription et parvenant à monnayer leur activité. Cette vision est-elle confirmée empiriquement ? Peu d’études jusqu’alors se sont attachées à cartographier une population de blogueurs. L’objectif ici est de parvenir à caractériser finement les blogueurs culinaires en mettant en évidence différents profils, c’est-à-dire de produire une typologie des blogueurs culinaires.

    57Pour parvenir à dessiner et caractériser différents groupes de blogueurs selon leurs propriétés et leur comportement, une ACM (analyse des correspondances multiples) a été réalisée. Il s’agit d’une forme d’analyse factorielle qui permet de mettre au jour les oppositions et les liens les plus structurants au sein d’une population enquêtée. Elle permet notamment de mettre au jour des populations, même minoritaires, qui partagent des propriétés spécifiques différentes de celles du reste de la population58.

    Encadré 6. Analyse des correspondances multiples (ACM)
    L’ACM est réalisée sur les 529 individus ayant au plus une non-réponse dans le questionnaire. 13 variables actives sont retenues. Elles peuvent être regroupées en deux grandes familles :
    1) Investissement du blogueur dans l’activité (indicateurs de pratique)
    – Nombre d’heures passées à bloguer.
    – Fréquence de publication des billets.
    – Fréquence de publication des billets souhaitée à l’avenir.
    – Fréquence de consultation des statistiques du blog.
    – Participation à des forums de cuisine sur internet.
    – Niveau de difficulté des recettes.
    2) Succès du blog
    a) Succès d’audience
    – Nombre de visiteurs uniques par jour.
    – Nombre de commentaires par billet.
    – Mention du blog dans les médias.
    b) Succès commercial
    – Type de partenariats réalisés.
    – Nombre de produits testés au cours des deux derniers mois.
    – Montant rapporté par le blog.
    – Volonté de se professionnaliser.

    58La figure 7 page suivante représente la projection des 529 blogueurs sur le plan formé par les axes 1 et 2 ainsi que les 30 modalités ayant le plus contribué à la formation des axes. N’ont été retenues que les modalités dont la contribution (autrement dit la proportion de la variance de l’axe due au point) est supérieure à la contribution moyenne de l’ensemble des modalités pour l’axe.

    59Le nuage des individus présente une forme en boomerang : plus on se déplace vers la droite du graphique, plus les individus sont dispersés de part et d’autre de l’axe horizontal (leur concentration est toutefois plus faible et leur dispersion plus forte dans le cadran sud-est que dans le cadran nord-est) avec un « vide » entre le cadran sud-ouest et le cadran sud-est. La représentation graphique de l’analyse des correspondances multiples met bien en évidence cette forme de boomerang lorsque sont dessinées les trajectoires des différentes variables dont les modalités contribuent fortement à la variance des axes. Par souci de clarté, seules les trajectoires de deux variables de succès commercial (types de partenariat et nombre de produits testés) et d’une variable de succès d’audience (nombre de visiteurs) ont été représentées.

    Figure 7. Analyse des correspondances multiples (individus et variables actives). Légende : – Carrés : modalités des variables d’investissement du blogueur dans l’activité. – Ronds : modalités des variables de succès d’audience des blogs. – Losanges : modalités des variables de succès commercial des blogueurs.

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    60Le premier axe, qui représente le meilleur ajustement unidimensionnel du nuage, restitue 10,12 % de la variance totale du nuage. Les modalités qui contribuent le plus à la définition de l’axe 1 sont, à gauche de l’axe, celles qui témoignent d’une faible activité du blogueur et d’un faible succès du blog : jamais de partenariat, jamais de test, moins d’une publication de billet par mois, moins d’une heure par semaine passée à bloguer, moins de dix visiteurs uniques par jour, moins de cinq commentaires par billet, blog qui ne rapporte rien, volonté d’augmenter la fréquence de publication et statistiques du blog consultées moins d’une fois par mois. À l’opposé, les modalités qui contribuent le plus à l’axe 1 à droite de l’axe signalent une forte activité des blogueurs et un important succès du blog (ce sont les modalités maximales des variables ordinales) : réalisation de partenariats, au moins un produit testé au cours des deux derniers mois, publication d’au moins un billet par semaine, temps passé à bloguer compris entre cinq et dix heures par semaine, plus de 250 visiteurs uniques par jour, plus de vingt commentaires par billet, blog qui rapporte quelque chose, consultation des statistiques une fois par jour. Le premier axe dessine donc une opposition entre d’un côté, les blogueurs faiblement investis dans leur pratique et à faible succès tant d’audience que commercial, et de l’autre, les blogueurs fortement investis dans leur pratique et à fort succès à la fois d’audience et commercial.

    61Le second axe restitue 5,03 % de la variance du nuage. L’ensemble des quinze modalités contribuant le plus à sa formation est situé dans le côté droit du graphique. Étant donné la forme du nuage, il apparaît que ce second axe permet surtout d’opposer deux fractions au sein des blogueurs dont l’activité est moyenne à forte. Les modalités qui contribuent le plus à la définition de l’axe 2 sont, en dessous de l’origine, celles qui témoignent d’un très fort succès, notamment commercial, qui dépasse le strict cadre de la blogosphère (mention du blog dans les médias et professionnalisation) : blog qui rapporte plus de 50 euros par mois, plus de 1 000 visiteurs uniques par mois, blogueur déjà professionnel de la cuisine, réalisation de partenariats plus importants que des tests de produits, blog déjà mentionné dans les médias, au moins quatre tests de produits réalisés au cours des deux mois précédant l’enquête et plus de dix heures par semaine consacrées au blog. À l’opposé, les modalités qui contribuent le plus à la définition de l’axe 2 au-dessus de l’origine renvoient à une pratique et un succès réels mais plus modérés et ne dépassant pas le cadre de la blogosphère. Ces modalités sont : partenariats limités aux tests de produits, nombre de visiteurs mensuel compris entre 101 et 250, revenus engendrés par le blog inférieurs à 50 euros par mois, participation à des forums de cuisine après la création du blog, moins de quatre tests de produits depuis deux mois (zéro à trois), statistiques consultées plus d’une fois par jour et cuisine « de tous les jours » présentée sur le blog. Le second axe dessine donc une opposition, d’autant plus importante que l’intensité de l’activité est plus forte, entre les blogueurs qui ont une activité moyenne et un succès limité à la blogosphère culinaire, et une minorité de blogueurs plus dispersée, au succès très fort qui dépasse le strict cadre de la blogosphère culinaire.

    62La projection de variables supplémentaires (liées à l’activité du blogueur sur internet, à son rapport avec la cuisine et à ses caractéristiques socio-démographiques) permet de compléter l’interprétation des axes59. Les différents modes d’investissement personnel (dans le blog, dans la cuisine, dans la rentabilisation de l’activité) vont de pair selon le premier axe : plus les blogueurs sont situés à droite de l’axe, plus ils sont investis dans leur activité de blogueurs (abonnement à de nombreux blogs, rencontre de blogueurs, promotion de son blog en créant un compte Twitter) ainsi que dans l’activité culinaire (nombre de livres de cuisine possédés, temps passé à cuisiner, participation à des concours de cuisine) et plus leur activité de blogueurs est susceptible de leur apporter quelque chose et notamment des opportunités professionnelles. Il est notable que les variables socio-démographiques sont relativement peu pertinentes pour interpréter l’intensité de la pratique. Il s’agit là d’une différence forte avec les activités culturelles plus traditionnelles (arts, sports, loisirs, etc.) qui sont souvent fortement liées au capital culturel et économique des individus. L’indifférenciation des pratiques selon la PCS (profession et catégorie socio-professionnelle) des individus est toutefois cohérente avec une autre étude sur les pratiques culturelles qui montre que, parmi neuf pratiques culturelles (lecture, bricolage, musique, sport, etc.), la cuisine (appréhendée par le fait de cuisiner des plats élaborés) est l’activité dont le taux de pratique présente pour les femmes la plus faible dispersion entre les PCS60. Parmi les autres variables socio-démographiques, seuls le statut de l’activité (qui révèle une plus ou moins grande disponibilité temporelle) et l’âge sont liés à l’intensité de la pratique des blogueurs culinaires.

    63Le second axe peut s’interpréter comme un axe d’opposition qualitative entre les blogueurs. La qualité du blogueur est appréhendée à partir de deux types d’indicateurs : son niveau de compétences et la complexité de la cuisine qu’il propose. Tous deux s’accroissent à mesure que l’on descend le long du graphique. L’une des questions de l’enquête portait sur le niveau de compétence des blogueurs dans quatre domaines : la cuisine, l’informatique, la photographie et la présentation des plats (esthétique). Il était demandé aux blogueurs de s’attribuer une note comprise entre 1 (mauvais) et 5 (professionnel) dans ces différents domaines. À partir des réponses à cette question, un indice synthétique de « niveau global » des blogueurs a été construit. Cet indice comprend quatre modalités : niveau faible, niveau moyen, niveau fort et niveau inégal (lorsque le blogueur est fort dans certains domaines et faible dans d’autres). Chaque blogueur se voit donc attribuer une seule évaluation de « niveau » mesurant sa compétence globale dans les différents domaines mobilisés par la tenue d’un blog. La représentation graphique de l’ACM montre que le niveau des blogueurs s’accroît à mesure que l’on descend le long du graphique61. De même, la cuisine proposée semble de plus en plus complexe : les blogueurs dont le succès dépasse la blogosphère culinaire lisent des magazines gastronomiques quasi professionnels (Thuriès) ou à la dimension artistique revendiquée (Fricote), possèdent beaucoup de livres de recettes et s’intéressent aux blogs consacrés au vin tandis que les autres blogueurs lisent des magazines de recettes simples comme Guide Cuisine et s’inspirent des recettes publiées dans les autres blogs. L’opposition entre des blogs qui s’adressent à un cercle restreint de familiers et ceux dont le succès dépasse la blogosphère est aussi marquée par les moyens de communication employés. La newsletter, destinée à des abonnés fidèles, est le propre des blogueurs du premier type. À l’opposé, les blogueurs dont le succès dépasse la blogosphère sont cités dans les médias les plus sélectifs (presse nationale, radio et télévision). La « professionnalisation » de ces derniers est marquée par le fait qu’ils ont déjà exercé une activité liée à la cuisine et que leur blog est un moyen pour eux d’obtenir des opportunités professionnelles. Si les variables socio-démographiques sont peu discriminantes en ce qui concerne l’intensité de la pratique des blogueurs, elles le sont en revanche beaucoup plus dès lors qu’il s’agit de déterminer l’orientation locale ou globale du succès des blogs. Les hommes, les personnes les plus diplômées (au-delà de bac +4), les cadres et les artisans, commerçants et chefs d’entreprise, les personnes vivant dans des villes de plus de 100 000 habitants et les personnes gagnant plus de 4 000 euros mensuels sont ainsi clairement positionnées du côté des blogueurs tendant vers un succès qui dépasse le cadre de la blogosphère.

    64L’analyse des correspondances multiples met donc en évidence que le principal clivage entre les blogueurs porte sur l’intensité de leur activité. Aux blogueurs qui sont peu investis dans leur blog, dans la blogosphère culinaire et dans la pratique de la cuisine s’opposent des blogueurs simultanément, fortement investis dans ces différents domaines. Dans un second temps, les blogueurs fortement investis dans leur activité se distinguent entre eux selon leur orientation vers l’amateurisme et le succès au sein de la blogosphère ou leur orientation vers le succès à l’extérieur de la blogosphère et une éventuelle « professionnalisation ». Ce résultat est congruent avec la typologie des blogs culinaires établie par Dominique Cardon, Guilhem Fouetillou et Camille Roth à partir de l’étude des liens entre les blogs de cuisine62. Les auteurs mettent notamment en évidence deux trajectoires d’accession à la notoriété des blogs de cuisine, l’une conduisant à la reconnaissance par les pairs (passage d’un blog « journal intime » à un blog de cuisine spécialisé) et l’autre conduisant à une reconnaissance plus universelle par une « professionnalisation » relative passant notamment par l’établissement de partenariats. L’étude présentée ici des propriétés des blogueurs montre que le rapport avec la production d’évaluations sollicitées par les marques est structurant pour différencier ces deux types de notoriété. Ce sont à la fois la quantité et la qualité (le type) de partenariat, et donc la forme de la recommandation qui changent dès lors que le blog passe d’une audience locale spécialisée à une audience plus générale.

    L’amateur comme prescripteur professionnel ?

    L’ambiguïté de la monétisation des blogs

    65Au sein de la blogosphère culinaire, la question de la monétisation des blogs est devenue une question centrale. Si beaucoup de blogueurs acceptent publicité et partenariats, l’irruption de ces derniers dans le monde des blogueurs culinaires est beaucoup débattue.

    66Les blogueurs enthousiastes à l’égard des sollicitations dont ils sont l’objet le justifient de plusieurs manières : cela leur permet de tester de nouveaux produits vers lesquels ils ne se seraient pas forcément tournés spontanément ou qu’ils n’auraient pas pu se payer63, l’imposition d’une thématique (par exemple cuisiner l’endive pour la marque Perle du Nord) leur permet de stimuler leur créativité, plus prosaïquement, l’envoi de produits permet à des étudiants ou à des personnes en situation de précarité d’améliorer leur quotidien64, et enfin, pour ceux qui reçoivent une compensation monétaire, celle-ci leur permet de se défrayer des dépenses engendrées par le blog (paiement, le cas échéant, de la plateforme hébergeant le blog, achat d’un appareil photo, etc.).

    67Certains blogueurs a contrario refusent de participer à ce « jeu » et rejettent du même coup l’idée que le succès d’un blog puisse être mesuré à l’aune de sa réussite économique. 14 % des blogueurs culinaires disent ainsi refuser systématiquement les sollicitations des marques et 40 % d’entre eux déclarent avoir déjà refusé de la publicité. Les motifs de refus ne tiennent toutefois pas seulement à des principes d’ordre moral. Si environ 15 % des blogueurs qui refusent partenariats et publicité le font par principe, d’autres motivations entrent aussi en jeu (absence d’intérêt pour le produit, désaccord quant aux conditions posées par la marque, etc.) :

    Moi, je dois avoir deux ou trois partenaires dans une page qui est un peu dans le fin fond de mon blog et c’est juste une page avec les liens des partenaires. Mais il n’y a aucun truc qui clignote dans tous les sens sur la page d’accueil du blog, je n’en veux pas. […] J’en ai trois ou quatre, moi, des partenaires, mais la plupart des blogs en ont 50-60. Et on m’a déjà proposé en me disant : « Voilà, on vous envoie un bon d’achat sur notre site de 50 euros si vous nous mettez sur votre blog. »« Oui, dans ma page partenaires. » « Ah mais non, il faut qu’on soit en page d’accueil. »« Bah non. Moi je ne préfère pas. Je préfère ne pas avoir le bon d’achat et ne pas vous mettre. Ce n’est pas mon image. »
    Blogueuse, 1 an, 50-80 visiteurs

    68Comme le montre l’extrait d’entretien ci-dessus, la préoccupation de l’opinion du lecteur intervient aussi : la peur qu’il perçoive mal cette « commercialisation » du blog est évoquée par 9 % des personnes qui refusent des partenariats et par 20 % des personnes qui refusent de la publicité.

    69Une pluralité de positionnements est donc possible quant à la valorisation économique du blog : une minorité de blogueurs s’oppose frontalement à ce type de valorisation et refuse, par principe, tout type de sollicitation ; une autre minorité les limite de peur de déplaire à ses lecteurs ; enfin, dans la plupart des cas, les refus d’engager des relations économiques avec des entreprises sont conjoncturels, lorsque le produit ou les conditions de l’échange ne sont pas satisfaisants. La valorisation économique des blogs ne se fait donc pas à tout prix, elle est modulée par la représentation que les blogueurs ont de leur blog et de leurs lecteurs65. S’ils ne sont pas majoritaires, les refus « par principe » ou « de peur de déplaire aux lecteurs » sont néanmoins révélateurs d’une conception particulière de la blogosphère comme espace amateur et désintéressé où la passion, la gratuité et l’amateurisme s’opposent au monde commercial des marques. Toutefois, à la différence des mondes de l’art décrits par Pierre Bourdieu66, la blogosphère culinaire n’est pas organisée selon une opposition entre un pôle pur (créatif et non commercial) et un pôle commercial (cherchant à plaire au plus grand nombre et visant le succès économique). En effet, elle constitue plutôt un espace tripartite (voir la forme en boomerang du nuage des individus dans l’ACM dans la figure 7) : les blogueurs qui sont le plus éloignés de la commercialisation de leur blog sont aussi les moins actifs et les moins créatifs. Ils s’opposent aux blogueurs les plus créatifs (recettes plus élaborées, préoccupation esthétique, etc.) qui sont aussi les plus « commerciaux » (« l’élite »). Entre les deux, la masse est constituée des blogueurs qui marchandisent à la marge leur activité tout en étant très « moyennement » créatifs. Cela étant, l’introduction d’un troisième acteur entre le blogueur et son lecteur est souvent perçue comme une dénaturation de l’activité (l’objectivité du jugement des blogueurs sur un produit ne pourrait plus être identique lorsque le blogueur est rétribué par la marque) et une menace pour la confiance établie avec le lecteur.

    Des propriétés de l’outil aux fondements de la confiance

    70Les annonceurs s’intéressent autant aux blogueurs culinaires car ils considèrent que les blogs possèdent un pouvoir de prescription. Ce pouvoir tient non seulement à la forme de confiance établie entre les blogueurs et leurs lecteurs mais aussi aux propriétés intrinsèques du média sur lequel s’expriment les blogueurs. L’interactivité et l’instantanéité des réactions rendues possibles par les blogs et les réseaux sociaux permettent une circulation extrêmement rapide de l’information et donnent lieu à d’importants effets d’entraînements (buzz) autour des informations produites par les blogueurs. Une blogueuse témoigne ainsi :

    Les opérations [de communication] sont faites par les agences de relations presse des marques. Ça leur coûte moins cher que de la publicité, et du coup, ça marche bien. C’est relayé dans les forums, ça créé le forum.
    Blogueuse, 3 ans, 800-1 300 visiteurs

    71L’intensité des échanges conversationnels sur les « forums » que sont les blogs permettent aux marques de faire parler de leurs produits à un coût relativement réduit. Ces effets sont d’autant plus conséquents que la confiance accordée par les lecteurs aux informations émanant des blogueurs est plus forte. Si, comme les journalistes culinaires, les blogueurs s’adressent à un public de passionnés, la confiance que leur octroie ce public ne repose pas sur les mêmes fondements67. C’est justement parce qu’ils sont amateurs que leurs lecteurs suivent les recommandations des blogueurs68. Selon une blogueuse :

    Les marques nous sollicitent énormément parce que quand les blogueuses parlent d’un appareil, les ventes décollent. J’en suis la première « victime » : quand quelqu’un a parlé d’un appareil deux ou trois fois, je cours l’acheter. Il y a dans les blogs un ressenti, et donc une impression pour le lecteur d’être plus proche de la blogueuse que d’un magazine.
    Blogueuse, 3 ans, 800-1 300 visiteurs

    72S’il y a une différence majeure entre les journalistes professionnels et les blogueurs amateurs, elle tient finalement plutôt à leur motivation (loisir versus profession) et au cadre institutionnel (autonomie et subjectivité versus insertion dans une entreprise et objectivité) dans lequel se déroule leur activité. Ces éléments donnent lieu à des positionnements différents des blogueurs et des journalistes vis-à-vis de leurs lecteurs : supposés être désintéressés, libres de leurs jugements et proches des néophytes, les blogueurs disent être perçus comme indépendants et sincères par leur lectorat. Ils pensent avoir d’autant plus intérêt à ne pas mentir à leurs lecteurs sur la réussite d’une recette ou sur l’utilité d’un ustensile de cuisine que ce mensonge leur rapporterait peu de choses (économiquement) et qu’ils risqueraient de perdre la confiance qui leur est accordée. Comme ils s’expriment en leur nom propre, les blogueurs représentent un « dispositif de confiance69 » personnel. Ce dispositif, qui s’oppose à la confiance experte et plus anonyme que portent les journalistes culinaires, est d’autant plus efficace que la blogosphère apparaît comme un univers plus autonome et occupé uniquement par des individus passionnés et désintéressés. Paradoxalement, plus la blogosphère est autonome et « amateur », plus son pouvoir de prescription est fort par rapport à celui du journalisme et plus les blogueurs deviennent un média intéressant pour les marques. Pourtant, en intervenant dans cet univers, les marques réduisent à la fois l’autonomie par rapport au monde économique de la blogosphère et son amateurisme, ce qui va à l’encontre des propriétés qu’elles recherchent initialement. L’arrivée des marques dans la blogosphère qui conduit à la professionnalisation d’une minorité de blogueurs collaborant avec elles s’appuie pleinement sur les propriétés du média et sur l’amateurisme de ses acteurs. Elle est à l’origine d’une tension chez les blogueurs entre le respect de leur subjectivité qui est au fondement de la confiance que leur porte leur lectorat et la réponse aux sollicitations des marques qui, bien qu’elles représentent une reconnaissance symbolique, économique et un moyen de développer leur passion, impliquent potentiellement que soient faits des compromis quant à leur liberté d’expression.

    Les transformations de l’activité de blogueur par la monétisation de l’activité

    73Les formes de partenariats qui sont proposées aux blogueurs sont des extensions, dans le domaine de la blogosphère, de pratiques très courantes, quoique moins visibles et plus réglementées, dans l’univers des médias traditionnels. Pour informer les journalistes culinaires de leurs nouveautés, les marques ont en effet coutume de leur envoyer gratuitement leurs produits en espérant que les journalistes les évoquent dans leurs pages. Les « articles sponsorisés » qui, dans la presse, prennent la forme de « publi-reportages », sont encadrés par la loi. Il s’agit notamment de l’obligation de signaler au lecteur la nature de ce type d’article. L’introduction dans la blogosphère de ces pratiques, et par ce biais d’acteurs intéressés économiquement, place les blogueurs face à des préoccupations similaires à celles des journalistes professionnels. Non seulement la possibilité d’une rémunération qu’apporte l’arrivée des marques change l’univers des possibles des blogueurs et leur ouvre les portes d’une potentielle « professionnalisation » dans le sens où leur blog pourrait devenir un « travail » source de revenus, et, dans le même temps, elle fait surgir chez eux des questionnements auxquels ils échappaient en tant qu’amateurs. Ainsi apparaissent de manière récurrente des débats autour de la déontologie des blogueurs (comment arbitrer entre information et promotion ? Comment gérer le rapport avec les sources ?) et des questions autour de la propriété intellectuelle des contenus (a-t-on le droit de publier et de tirer un revenu d’une recette dont on n’est pas l’auteur ? Que faire si un site internet reprend vos photographies sans vous citer ?). Si des instruments de régulation existent (Code de la consommation, loi pour la confiance dans l’économie numérique, etc.), ils sont relativement méconnus, possèdent des zones d’ombre et les sanctions qu’ils permettent sont rarement prononcées à l’encontre de blogueurs sans grande visibilité ou ne portant pas atteinte à une personne ou à une entreprise particulière70. Ainsi donc, comme les journalistes, les blogueurs sont souvent renvoyés à leur éthique personnelle et aucune charte déontologique contraignante ne vient régler leur pratique.

    74L’introduction d’une rémunération des blogueurs par les marques, bien qu’elle reste marginale, tend à faire de la blogosphère un espace similaire dans ses fonctions et dans ses préoccupations à celui du journalisme traditionnel. Si les questionnements des blogueurs les plus sollicités s’apparentent de plus en plus à ceux des journalistes culinaires, ils se présentent sous une forme inédite en raison du flou constitutif du statut des blogueurs qui ne sont ni de purs amateurs, ni de véritables professionnels (moins de 1 % d’entre eux gagnent plus de 500 euros mensuels grâce à leur blog) et dont l’espace d’activité est faiblement réglementé. Paradoxalement, c’est justement ce flou statutaire qui fait des blogueurs des supports de promotion intéressants pour les annonceurs.

    75Considérée de l’intérieur comme une simple communauté d’amateurs, la blogosphère culinaire se révèle être, tant du point de vue des marques de l’agro-alimentaire que de celui de ses usagers, un espace médiatique : de l’information quant aux produits, ustensiles, événements, nouveautés culinaires, etc., y circule. Les propriétés du support (interactivité) et le statut de ses intervenants (amateurs) sont à l’origine d’un dispositif de prescription inédit concurrent des médias traditionnels. L’introduction dans le dispositif d’acteurs souhaitant en tirer parti commercialement place les blogueurs face à de nouvelles questions quant à leur rôle, leur responsabilité et leurs pratiques. Confrontés à certaines interrogations similaires à celles des journalistes spécialisés, ils sont de fait placés dans un rôle de professionnels des médias. Le monde journalistique tend même à son tour à tirer parti du pouvoir acquis par les blogueurs. Les tentatives d’entreprises de presse d’intégrer les blogueurs culinaires à leurs supports conduisent à la remise en question de la frontière entre professionnels et amateurs. Ainsi, en mai 2011, le site internet du journal Libération a-t-il créé Libé food, site qui présente chaque jour le contenu de blogs culinaires, sans qu’un contrôle éditorial du contenu ne soit effectué par les journalistes de Libération, mais tout en mettant en avant la bannière (et donc la réputation journalistique) du titre de presse. Traités à l’égal des journalistes par les marques, les blogueurs semblent de surcroît de plus en plus s’intégrer au monde journalistique qui, en raison de son flou constitutif, peut difficilement les tenir à l’écart.

    76Pour autant, les blogueurs ne se reconnaissent pas dans la figure du journaliste. Cette situation invite donc à repenser la notion de professionnel des médias et à envisager son extension à des acteurs autres que les seuls journalistes. En effet, tant au niveau de leur formation, de leur apprentissage, de leur manière de se constituer un réseau de pairs qu’au niveau de leur façon de travailler avec les marques, journalistes et blogueurs sont relativement similaires. En revanche, la manière dont ils sont perçus par les lecteurs est très différente, ce qui met en évidence le rôle structurant des organisations dans la manière dont se construit la confiance. L’étude des blogueurs culinaire fait ainsi apparaître une forme nouvelle de prescription, à mi-chemin entre la prescription personnelle du réseau et la prescription impersonnelle de l’expert. Il s’agit d’une forme qui emprunte à la fois à la figure du chroniqueur (subjectivité), à celle du journaliste (interrogation sur la déontologie) sans pouvoir être réduite à l’une ou à l’autre. L’émergence de la figure des blogueurs est intrinsèquement liée aux dispositifs techniques : c’est l’architecture inédite des blogs qui permet à la fois la réponse personnalisée aux questions des lecteurs dans les commentaires et la publication de conseils généraux collectifs s’adressant à tous.

    Notes de bas de page

    1  Le terme « blog » est apparu dans la langue anglaise en 1999 et en 2002 en français. Il résulte d’une contraction du terme weblog qui désigne un « carnet de bord sur internet » (Le Grand Robert).

    2  Beuscart Jean-Samuel, Dagiral Éric et Parisie Sylvain, « Introduction », Terrains & travaux, no 15, 2009, p. 3-28, ici p. 6.

    3  Il existe aussi des blogs consacrés exclusivement aux vins et d’autres consacrés exclusivement aux restaurants. Leur visibilité sociale est un peu plus faible et leurs auteurs présentent des propriétés sociales différentes de celles des blogueurs qui parlent avant tout de recettes.

    4  En moyenne, le nombre de blogs crées entre 2004 et 2009 (toujours actifs en 2011) est multiplié par trois chaque année.

    5  Pour une explication détaillée de la méthodologie employée, voir Naulin Sidonie, Le Journalisme gastronomique. Sociologie d’un dispositif de médiation marchande, thèse de sociologie, Université Paris-Sorbonne, Paris, 2012.

    6  Plus précisément, il s’agit de blogueurs francophones, dont 96 % résident en France.

    7  Ce site qui propose des recettes de cuisine fonde une partie de son activité sur les relations avec les blogueurs. 750 Grammes recourt en effet à eux comme fournisseurs de contenus (recettes), il organise des concours en partenariat avec des marques auxquels les blogueurs participent et qu’ils relaient sur leur blog et il est aussi l’instigateur d’événements à destination des blogueurs (rencontres, ateliers cuisine et surtout Salon du blog culinaire).

    8  Dans les analyses, pour les tris à plat, les pourcentages sont exprimés par rapport à l’ensemble de la population ayant répondu à la question. Pour les tris croisés, la population prise en considération est celle des individus ayant répondu simultanément aux deux questions. Pour les analyse géométriques, seuls les individus ayant au maximum une non-réponse dans l’ensemble du questionnaire ont été pris en considération.

    9  Marie Patricia, Hommes et femmes dans l’apprentissage et la transmission de « l’art culinaire », Paris, L’Harmattan, 2014. Par ailleurs, selon l’enquête Emploi du temps. 2009- 2010 réalisée par l’INSEE, 74 % des femmes font quotidiennement la cuisine pendant une durée de 71 minutes contre seulement 37 % des hommes, ces derniers y consacrant de surcroît moins de temps (50 minutes).

    10  Tous les chiffres cités dans cet article sans autre précision sont issus de l’enquête que nous avons menée du 4 mars au 7 avril 2011 auprès d’une population de 1 387 blogueurs culinaires.

    11  Dans l’ensemble, l’âge des enquêtés va de 15 et 75 ans. L’âge moyen des blogueurs de l’échantillon est de 38 ans. Il semblerait que la population des blogueurs tende à rajeunir : deux tiers des personnes qui ont créé leur blog en 2009 ont moins de 40 ans alors que ce n’est le cas que de 10 % des blogueurs qui ont créé leur blog avant 2006.

    12  Pour les extraits d’entretiens de blogueurs sont indiqués, outre la qualité de blogueur de la personne qui parle, l’âge de son blog (en années) et le nombre de visiteurs uniques quotidiens déclarés du blog. La mesure du nombre de visiteurs uniques (qui est celle la plus couramment utilisée par les blogueurs) ne comptabilise qu’une seule fois les visiteurs qui consultent le blog plusieurs fois dans la même journée. Les deux derniers éléments retenus sont ceux qui sont les plus discriminants.

    13  Dans la mesure où la population des blogueurs culinaires est composée à 94 % de femmes et que la distribution des diplômes n’est pas identique entre les hommes et les femmes dans la population générale, la répartition des diplômes des blogueurs est uniquement comparée à la répartition des diplômes de la population féminine française.

    14  Flichy Patrice, Le Sacre de l’amateur. Sociologie des passions ordinaires à l’ère numérique, Paris, Seuil, 2010, p. 12.

    15  Ces chiffres mettent en évidence que, contrairement à ce qui est parfois avancé, le numérique (blogs et sites de cuisine) ne vient pas se substituer au papier (livres et magazines de cuisine). C’est au contraire une forte complémentarité qui est ici mise en évidence, à tout le moins pour les amateurs les plus investis. Les livres de cuisine sont la source d’inspiration pour leur blog la plus fréquemment citée par les blogueurs (elle est citée par 75 % d’entre eux). En revanche, les sites de recettes n’arrivent qu’en 5e position (ils sont cités par moins d’un blogueur sur deux).

    16  Voir supra chapitre 2 pour la distinction magazine de recettes/magazine gastronomique.

    17  L’appellation « univore » est empruntée à Richard Peterson (« Understanding Audience Segmentation : From Elite and Mass to Omnivore and Univore », Poetics, vol. 21, no 4, 1992, p. 243-258) et l’appellation « éclectique » à Olivier Donnat (Les Français face à la culture. De l’exclusion à l’éclectisme, Paris, La Découverte, 1994).

    18  Bromberger Christian. (dir.), Passions ordinaires. Du match de football au concours de dictée, Paris, Bayard, 1998.

    19  17 % des blogueurs culinaires ont participé à des forums avant la création de leur blog.

    20  Allard Laurence et Vandenberghe Frédéric, « Express yourself ! Les pages perso. Entr légitimation technopolitique de l’individualisme expressif et authenticité réflexive pee to peer », Réseaux, no 117, 2003, p. 191-219.

    21  Fluckiger Cédric, « La sociabilité juvénile instrumentée. L’appropriation des blogs dan un groupe de collégiens », Réseaux, no 138, 2006, p. 109-138.

    22  Plusieurs motifs pouvaient être simultanément mentionnés par les répondants.

    23  Le web 2.0 désigne les technologies de l’internet permettant aux internautes de participer et d’interagir (notamment en temps réel) sur le réseau.

    24  Le nombre moyen de visiteurs uniques sur les blogs de cuisine est fortement tiré vers le haut par le quart de ceux les plus fréquentés, la moitié des blogs comptabilisant moins de cent visiteurs quotidiens.

    25  Le prénom a été modifié.

    26  Certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré.

    27  Site de cuisine tenu par un chef qui explicite les techniques culinaires notamment pour les non professionnels (http://chefsimon.com/).

    28  Les recettes à destination des professionnels ne sont pas toujours d’un accès facile aux amateurs (quantités plus importantes que pour la cuisine familiale, présentation des ingrédients inhabituelle – par exemple la quantité de jaune d’œufs est indiquée en grammes et non en nombre de jaunes d’œufs, etc.).

    29  Elle est d’ailleurs passée à deux reprises à la télévision, sur TF1 et M6.

    30  Il semblerait que ce soit moins d’une centaine d’euros par mois.

    31  Par exemple ceux qui demandent « dix recettes avec le produit qu’ils t’ont envoyé ».

    32  Ces statistiques sont fournies par la plateforme qui héberge le blog ou par des systèmes comme Google Analytics. Outre la comptabilisation du nombre de visiteurs, elles peuvent informer les blogueurs sur la provenance géographique de leurs visiteurs, les mots-clés qui les ont conduits au blog, la durée de leur visite, etc.

    33  Rheingold Howard, The Virtual Community in Cyberspace, Reading, Addison-Wesley Publishing, 1993.

    34  Par exemple François Simon (http://www.simonsays.fr/) dont le blog a été élu « meilleur blog média français 2008 » et Gilles Pudlowski (http://www.gillespudlowski.com/).

    35  Ils ne sont pas non plus des professionnels de la cuisine. Il ne sera toutefois pas question ici de cette forme d’amateurisme qui réunit journalistes et blogueurs.

    36  Weber Florence et Lamy Yvon, « Amateurs et professionnels », Genèses, no 36, 1999, p. 2-5.

    37  Voir infra chapitre 4.

    38  Weber Florence et Lamy Yvon, « Amateurs et professionnels », art. cit., p. 3.

    39  Bonnet Estelle, « Les critiques gastronomiques : quelques caractéristiques d’une activité experte », Sociétés contemporaines, no 53, 2004, p. 135-155.

    40  Flichy Patrice, Le Sacre de l’amateur…, op. cit.

    41  Leadbeater Charles et Miller Paul, The Pro-am Revolution. How Enthusiasts are Changing our Economy and Society, London, Demos, 2004.

    42  http://www.yummymagazine.fr/?q=mag/le-concept.

    43  http://www.rue89.com/2009/03/03/pascale-blogueuse-1500-euros-de-revenus-et-de-frais.

    44  La question posée était : « Combien votre blog vous rapporte-t-il chaque mois (sous forme monétaire ou de cadeaux offerts par des partenaires) ? »

    45  Mais 26 % des blogueurs ont déjà exercé, au moins temporairement, une activité liée à la cuisine : cuisinier (9 %), auteur de livres de cuisine (7 %), professeur de cuisine (6 %), conseiller pour des marques ou des chefs (4 %), etc.

    46  En moyenne, les blogueurs qui souhaitent se professionnaliser consacrent 5h25 à leur blog chaque semaine contre 4h56 pour les blogueurs déjà professionnels et 4h12 pour ceux qui souhaitent rester amateurs.

    47  Sont regroupées sous ce terme un ensemble hétérogène d’entreprises ayant toutes en commun d’avoir un lien avec l’alimentation : il peut s’agir de producteurs indépendants, de groupements de producteurs, de marques de produits alimentaires transformés, de fabricants de matériel de cuisine, d’organisateurs d’événements en lien avec la cuisine, etc.

    48  Notons toutefois que tous les blogs qui ont de la publicité ne sont pas nécessairement « rémunérés » pour cela. La publicité peut en effet servir à dédommager l’hébergeur dans le cas d’un hébergement gratuit du blog.

    49  Le billet doit dans ce cas suivre certaines consignes et est soumis à la relecture de la marque avant sa publication sur le blog. En règle générale, les blogueurs indiquent par la mention « billet sponsorisé » l’origine de leur article.

    50  Nécessitant la fourniture de recettes, l’animation d’une page Facebook, etc.

    51  Il faudrait bien sûr nuancer cette remarque selon le positionnement de la marque et la valeur unitaire de ses produits.

    52  Cette partie et la suivante reprennent les résultats d’un article publié dans la revue Réseaux (Naulin Sidonie, « La blogosphère culinaire. Cartographie d’un espace d’évaluation amateur », Réseaux, no 183, 2014, p. 31-62).

    53  Si les chiffres d’audience précis des blogueurs ne sont pas publics, il existe plusieurs classements de blogs et mesures (le blog rank par exemple) qui fournissent des informations globales. Les entreprises peuvent aussi passer par les plates-formes et demander directement aux blogueurs les plus visibles les chiffres de la fréquentation de leur blog mesurés par des outils standardisés.

    54  Le même phénomène a été mis en évidence concernant le visionnage des vidéos sur YouTube (Cha Meeyoung, Kwak Haewoon, Rodriguez Pablo, Ahn Yong-Yeol et Moon Sue, « I Tube, You Tube, Everybody Tubes : Analysing the World’s Largest User Generated Content Video System », IMC’07, San Diego, 2007) et l’attention portée aux artistes sur MySpace (Beuscart Jean-Samuel et Couronné Thomas, « La distribution de la notoriété artistique en ligne. Une analyse quantitative de MySpace », Terrains & travaux, no 15, 2009, p. 147-170).

    55  Ces chiffres sont obtenus en faisant comme si chaque lecteur ne lisait qu’un seul blog.

    56  Deux réponses sont classiquement apportées à la question de l’origine des disproportions dans les mondes culturels (Menger Pierre-Michel, Le Travail créateur. S’accomplir dans l’incertain, Paris, Seuil, 2009). La première est celle des différences de talents entre les producteurs. D’après Sherwin Rosen (« The Economics of Superstars », The American Economic Review, vol. 71, no 5, 1981, p. 845-858), de petites différences de talent se traduisent par de grandes différences de demande. Le second type de réponse ne préjuge pas du talent mais argue de l’effet cumulatif des différences d’exposition. C’est ce que Robert Merton (« The Matthew Effect in Science », Science, vol. 159, no 3810, 1968, p. 56-63) a théorisé sous le nom d’« effet saint Matthieu ».

    57  Internet, presse régionale, radio ou télévision régionale, presse nationale, radio ou télévision nationale. Cette variable peut être transformée en échelle (nombre de types de médias différents dans lequel le blog a été cité).

    58  La notion d’analyse factorielle date des années 1900. C’est le psychologue Charles Spearman qui en est à l’origine. Cette méthode a été développée en France dans les années 1960 autour de Jean-Paul Benzécri. Elle a ensuite été appropriée par la sociologie à partir des années 1970 et rendue célèbre par Pierre Bourdieu qui l’a utilisée pour cartographier le social.

    59  Seules les variables dont l’écart au point moyen est notable ou important sont retenues pour l’interprétation.

    60  Lemel Yannick et Naulin Sidonie, « Conceptions de la culture et représentations des inégalités culturelles », in Olivier Galland (dir.), La France des inégalités. Réalités et perceptions, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2016, p. 103-112.

    61  Il n’est toutefois pas possible de trancher sur le sens de la causalité : est-ce parce que les blogueurs sont meilleurs que leur blog rencontre un plus grand succès ou est-ce parce que leur blog rencontre un plus grand succès que les blogueurs se sentent meilleurs ?

    62  Cardon Dominique, Fouetillou Guilhem et Roth Camille, « Topographie de la renommée en ligne. Un modèle structurel des communautés thématiques du web français et allemand », Réseaux, no 188, 2014, p. 85-120.

    63  « Ce sont des bons produits. J’ai reçu deux papillotes en silicone Mastrad, elles coûtaient 25 euros la papillote, je ne me les serais jamais achetées sinon. » (Blogueuse, 2 ans, 100 visiteurs)

    64  « J’aime bien parce qu’étant étudiante, moi, à un moment donné, ça m’a rendu service. Quand on m’a proposé le partenariat je l’ai fait parce que recevoir des produits gratuitement, c’est le rêve. » (Blogueuse, 2 ans, 900 visiteurs)

    65  Sur la question des rapports de force entre blogueurs et services marketing, voir aussi Dupuy-Salle Manuel, « Les cinéphiles-blogueurs amateurs face aux stratégies de captation professionnelles : entre dépendance et indépendance », Réseaux, no 183, 2014, p. 65-91.

    66  Bourdieu Pierre, Les Règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Seuil, 1992.

    67  Jones Steve et Taylor Ben, « Food Journalism », in Barry Turner et Richard Orange (dir.), Specialist Journalism, London, Routledge, 2012, p. 96-106.

    68  Rousseau Signe, Food and Social Media. You are what you tweet, Lanham, Altamira Press, 2012.

    69  Karpik Lucien, L’Économie des singularités, Paris, Gallimard, 2007.

    70  En revanche, des formes d’autorégulation qui consistent à sanctionner des comportements considérés comme déviants par la communauté se font jour.

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    Frédérique Audouin-Rouzeau et Françoise Sabban (dir.)

    2007

    La Pomme de terre

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    De la Renaissance au xxie siècle

    Jean-Pierre Williot et Marc de Ferrière le Vayer (dir.)

    2011

    Le Saké

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    Une exception japonaise

    Nicolas Baumert

    2011

    Ivresse et ivrognerie

    Ivresse et ivrognerie

    Dans la France moderne

    Matthieu Lecoutre

    2011

    La cuisine à la scène

    La cuisine à la scène

    Boire et manger au théâtre du xxe siècle

    Athéna-Hélène Stourna

    2011

    Le Grand Hôtel

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    L’invention du luxe hôtelier (1862-1972)

    Alexandre Tessier

    2012

    Manger et boire aux Expositions universelles

    Manger et boire aux Expositions universelles

    Paris 1889, 1900

    Van Troi Tran

    2012

    Parler vin

    Parler vin

    Entre normes et appropriations

    Rachel Reckinger

    2012

    Le biscuit et son marché

    Le biscuit et son marché

    Olibet, LU et les autres marques depuis 1850

    Olivier Londeix

    2012

    Le luxe alimentaire

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    Une singularité française

    Vincent Marcilhac

    2012

    Plaisirs alimentaires

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    Socialisation des enfants et des adolescents

    Anne Dupuy

    2013

    La table des Français

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    Une histoire culturelle (xve-début xixe siècle)

    Florent Quellier

    2013

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    1  Le terme « blog » est apparu dans la langue anglaise en 1999 et en 2002 en français. Il résulte d’une contraction du terme weblog qui désigne un « carnet de bord sur internet » (Le Grand Robert).

    2  Beuscart Jean-Samuel, Dagiral Éric et Parisie Sylvain, « Introduction », Terrains & travaux, no 15, 2009, p. 3-28, ici p. 6.

    3  Il existe aussi des blogs consacrés exclusivement aux vins et d’autres consacrés exclusivement aux restaurants. Leur visibilité sociale est un peu plus faible et leurs auteurs présentent des propriétés sociales différentes de celles des blogueurs qui parlent avant tout de recettes.

    4  En moyenne, le nombre de blogs crées entre 2004 et 2009 (toujours actifs en 2011) est multiplié par trois chaque année.

    5  Pour une explication détaillée de la méthodologie employée, voir Naulin Sidonie, Le Journalisme gastronomique. Sociologie d’un dispositif de médiation marchande, thèse de sociologie, Université Paris-Sorbonne, Paris, 2012.

    6  Plus précisément, il s’agit de blogueurs francophones, dont 96 % résident en France.

    7  Ce site qui propose des recettes de cuisine fonde une partie de son activité sur les relations avec les blogueurs. 750 Grammes recourt en effet à eux comme fournisseurs de contenus (recettes), il organise des concours en partenariat avec des marques auxquels les blogueurs participent et qu’ils relaient sur leur blog et il est aussi l’instigateur d’événements à destination des blogueurs (rencontres, ateliers cuisine et surtout Salon du blog culinaire).

    8  Dans les analyses, pour les tris à plat, les pourcentages sont exprimés par rapport à l’ensemble de la population ayant répondu à la question. Pour les tris croisés, la population prise en considération est celle des individus ayant répondu simultanément aux deux questions. Pour les analyse géométriques, seuls les individus ayant au maximum une non-réponse dans l’ensemble du questionnaire ont été pris en considération.

    9  Marie Patricia, Hommes et femmes dans l’apprentissage et la transmission de « l’art culinaire », Paris, L’Harmattan, 2014. Par ailleurs, selon l’enquête Emploi du temps. 2009- 2010 réalisée par l’INSEE, 74 % des femmes font quotidiennement la cuisine pendant une durée de 71 minutes contre seulement 37 % des hommes, ces derniers y consacrant de surcroît moins de temps (50 minutes).

    10  Tous les chiffres cités dans cet article sans autre précision sont issus de l’enquête que nous avons menée du 4 mars au 7 avril 2011 auprès d’une population de 1 387 blogueurs culinaires.

    11  Dans l’ensemble, l’âge des enquêtés va de 15 et 75 ans. L’âge moyen des blogueurs de l’échantillon est de 38 ans. Il semblerait que la population des blogueurs tende à rajeunir : deux tiers des personnes qui ont créé leur blog en 2009 ont moins de 40 ans alors que ce n’est le cas que de 10 % des blogueurs qui ont créé leur blog avant 2006.

    12  Pour les extraits d’entretiens de blogueurs sont indiqués, outre la qualité de blogueur de la personne qui parle, l’âge de son blog (en années) et le nombre de visiteurs uniques quotidiens déclarés du blog. La mesure du nombre de visiteurs uniques (qui est celle la plus couramment utilisée par les blogueurs) ne comptabilise qu’une seule fois les visiteurs qui consultent le blog plusieurs fois dans la même journée. Les deux derniers éléments retenus sont ceux qui sont les plus discriminants.

    13  Dans la mesure où la population des blogueurs culinaires est composée à 94 % de femmes et que la distribution des diplômes n’est pas identique entre les hommes et les femmes dans la population générale, la répartition des diplômes des blogueurs est uniquement comparée à la répartition des diplômes de la population féminine française.

    14  Flichy Patrice, Le Sacre de l’amateur. Sociologie des passions ordinaires à l’ère numérique, Paris, Seuil, 2010, p. 12.

    15  Ces chiffres mettent en évidence que, contrairement à ce qui est parfois avancé, le numérique (blogs et sites de cuisine) ne vient pas se substituer au papier (livres et magazines de cuisine). C’est au contraire une forte complémentarité qui est ici mise en évidence, à tout le moins pour les amateurs les plus investis. Les livres de cuisine sont la source d’inspiration pour leur blog la plus fréquemment citée par les blogueurs (elle est citée par 75 % d’entre eux). En revanche, les sites de recettes n’arrivent qu’en 5e position (ils sont cités par moins d’un blogueur sur deux).

    16  Voir supra chapitre 2 pour la distinction magazine de recettes/magazine gastronomique.

    17  L’appellation « univore » est empruntée à Richard Peterson (« Understanding Audience Segmentation : From Elite and Mass to Omnivore and Univore », Poetics, vol. 21, no 4, 1992, p. 243-258) et l’appellation « éclectique » à Olivier Donnat (Les Français face à la culture. De l’exclusion à l’éclectisme, Paris, La Découverte, 1994).

    18  Bromberger Christian. (dir.), Passions ordinaires. Du match de football au concours de dictée, Paris, Bayard, 1998.

    19  17 % des blogueurs culinaires ont participé à des forums avant la création de leur blog.

    20  Allard Laurence et Vandenberghe Frédéric, « Express yourself ! Les pages perso. Entr légitimation technopolitique de l’individualisme expressif et authenticité réflexive pee to peer », Réseaux, no 117, 2003, p. 191-219.

    21  Fluckiger Cédric, « La sociabilité juvénile instrumentée. L’appropriation des blogs dan un groupe de collégiens », Réseaux, no 138, 2006, p. 109-138.

    22  Plusieurs motifs pouvaient être simultanément mentionnés par les répondants.

    23  Le web 2.0 désigne les technologies de l’internet permettant aux internautes de participer et d’interagir (notamment en temps réel) sur le réseau.

    24  Le nombre moyen de visiteurs uniques sur les blogs de cuisine est fortement tiré vers le haut par le quart de ceux les plus fréquentés, la moitié des blogs comptabilisant moins de cent visiteurs quotidiens.

    25  Le prénom a été modifié.

    26  Certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré.

    27  Site de cuisine tenu par un chef qui explicite les techniques culinaires notamment pour les non professionnels (http://chefsimon.com/).

    28  Les recettes à destination des professionnels ne sont pas toujours d’un accès facile aux amateurs (quantités plus importantes que pour la cuisine familiale, présentation des ingrédients inhabituelle – par exemple la quantité de jaune d’œufs est indiquée en grammes et non en nombre de jaunes d’œufs, etc.).

    29  Elle est d’ailleurs passée à deux reprises à la télévision, sur TF1 et M6.

    30  Il semblerait que ce soit moins d’une centaine d’euros par mois.

    31  Par exemple ceux qui demandent « dix recettes avec le produit qu’ils t’ont envoyé ».

    32  Ces statistiques sont fournies par la plateforme qui héberge le blog ou par des systèmes comme Google Analytics. Outre la comptabilisation du nombre de visiteurs, elles peuvent informer les blogueurs sur la provenance géographique de leurs visiteurs, les mots-clés qui les ont conduits au blog, la durée de leur visite, etc.

    33  Rheingold Howard, The Virtual Community in Cyberspace, Reading, Addison-Wesley Publishing, 1993.

    34  Par exemple François Simon (http://www.simonsays.fr/) dont le blog a été élu « meilleur blog média français 2008 » et Gilles Pudlowski (http://www.gillespudlowski.com/).

    35  Ils ne sont pas non plus des professionnels de la cuisine. Il ne sera toutefois pas question ici de cette forme d’amateurisme qui réunit journalistes et blogueurs.

    36  Weber Florence et Lamy Yvon, « Amateurs et professionnels », Genèses, no 36, 1999, p. 2-5.

    37  Voir infra chapitre 4.

    38  Weber Florence et Lamy Yvon, « Amateurs et professionnels », art. cit., p. 3.

    39  Bonnet Estelle, « Les critiques gastronomiques : quelques caractéristiques d’une activité experte », Sociétés contemporaines, no 53, 2004, p. 135-155.

    40  Flichy Patrice, Le Sacre de l’amateur…, op. cit.

    41  Leadbeater Charles et Miller Paul, The Pro-am Revolution. How Enthusiasts are Changing our Economy and Society, London, Demos, 2004.

    42  http://www.yummymagazine.fr/?q=mag/le-concept.

    43  http://www.rue89.com/2009/03/03/pascale-blogueuse-1500-euros-de-revenus-et-de-frais.

    44  La question posée était : « Combien votre blog vous rapporte-t-il chaque mois (sous forme monétaire ou de cadeaux offerts par des partenaires) ? »

    45  Mais 26 % des blogueurs ont déjà exercé, au moins temporairement, une activité liée à la cuisine : cuisinier (9 %), auteur de livres de cuisine (7 %), professeur de cuisine (6 %), conseiller pour des marques ou des chefs (4 %), etc.

    46  En moyenne, les blogueurs qui souhaitent se professionnaliser consacrent 5h25 à leur blog chaque semaine contre 4h56 pour les blogueurs déjà professionnels et 4h12 pour ceux qui souhaitent rester amateurs.

    47  Sont regroupées sous ce terme un ensemble hétérogène d’entreprises ayant toutes en commun d’avoir un lien avec l’alimentation : il peut s’agir de producteurs indépendants, de groupements de producteurs, de marques de produits alimentaires transformés, de fabricants de matériel de cuisine, d’organisateurs d’événements en lien avec la cuisine, etc.

    48  Notons toutefois que tous les blogs qui ont de la publicité ne sont pas nécessairement « rémunérés » pour cela. La publicité peut en effet servir à dédommager l’hébergeur dans le cas d’un hébergement gratuit du blog.

    49  Le billet doit dans ce cas suivre certaines consignes et est soumis à la relecture de la marque avant sa publication sur le blog. En règle générale, les blogueurs indiquent par la mention « billet sponsorisé » l’origine de leur article.

    50  Nécessitant la fourniture de recettes, l’animation d’une page Facebook, etc.

    51  Il faudrait bien sûr nuancer cette remarque selon le positionnement de la marque et la valeur unitaire de ses produits.

    52  Cette partie et la suivante reprennent les résultats d’un article publié dans la revue Réseaux (Naulin Sidonie, « La blogosphère culinaire. Cartographie d’un espace d’évaluation amateur », Réseaux, no 183, 2014, p. 31-62).

    53  Si les chiffres d’audience précis des blogueurs ne sont pas publics, il existe plusieurs classements de blogs et mesures (le blog rank par exemple) qui fournissent des informations globales. Les entreprises peuvent aussi passer par les plates-formes et demander directement aux blogueurs les plus visibles les chiffres de la fréquentation de leur blog mesurés par des outils standardisés.

    54  Le même phénomène a été mis en évidence concernant le visionnage des vidéos sur YouTube (Cha Meeyoung, Kwak Haewoon, Rodriguez Pablo, Ahn Yong-Yeol et Moon Sue, « I Tube, You Tube, Everybody Tubes : Analysing the World’s Largest User Generated Content Video System », IMC’07, San Diego, 2007) et l’attention portée aux artistes sur MySpace (Beuscart Jean-Samuel et Couronné Thomas, « La distribution de la notoriété artistique en ligne. Une analyse quantitative de MySpace », Terrains & travaux, no 15, 2009, p. 147-170).

    55  Ces chiffres sont obtenus en faisant comme si chaque lecteur ne lisait qu’un seul blog.

    56  Deux réponses sont classiquement apportées à la question de l’origine des disproportions dans les mondes culturels (Menger Pierre-Michel, Le Travail créateur. S’accomplir dans l’incertain, Paris, Seuil, 2009). La première est celle des différences de talents entre les producteurs. D’après Sherwin Rosen (« The Economics of Superstars », The American Economic Review, vol. 71, no 5, 1981, p. 845-858), de petites différences de talent se traduisent par de grandes différences de demande. Le second type de réponse ne préjuge pas du talent mais argue de l’effet cumulatif des différences d’exposition. C’est ce que Robert Merton (« The Matthew Effect in Science », Science, vol. 159, no 3810, 1968, p. 56-63) a théorisé sous le nom d’« effet saint Matthieu ».

    57  Internet, presse régionale, radio ou télévision régionale, presse nationale, radio ou télévision nationale. Cette variable peut être transformée en échelle (nombre de types de médias différents dans lequel le blog a été cité).

    58  La notion d’analyse factorielle date des années 1900. C’est le psychologue Charles Spearman qui en est à l’origine. Cette méthode a été développée en France dans les années 1960 autour de Jean-Paul Benzécri. Elle a ensuite été appropriée par la sociologie à partir des années 1970 et rendue célèbre par Pierre Bourdieu qui l’a utilisée pour cartographier le social.

    59  Seules les variables dont l’écart au point moyen est notable ou important sont retenues pour l’interprétation.

    60  Lemel Yannick et Naulin Sidonie, « Conceptions de la culture et représentations des inégalités culturelles », in Olivier Galland (dir.), La France des inégalités. Réalités et perceptions, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2016, p. 103-112.

    61  Il n’est toutefois pas possible de trancher sur le sens de la causalité : est-ce parce que les blogueurs sont meilleurs que leur blog rencontre un plus grand succès ou est-ce parce que leur blog rencontre un plus grand succès que les blogueurs se sentent meilleurs ?

    62  Cardon Dominique, Fouetillou Guilhem et Roth Camille, « Topographie de la renommée en ligne. Un modèle structurel des communautés thématiques du web français et allemand », Réseaux, no 188, 2014, p. 85-120.

    63  « Ce sont des bons produits. J’ai reçu deux papillotes en silicone Mastrad, elles coûtaient 25 euros la papillote, je ne me les serais jamais achetées sinon. » (Blogueuse, 2 ans, 100 visiteurs)

    64  « J’aime bien parce qu’étant étudiante, moi, à un moment donné, ça m’a rendu service. Quand on m’a proposé le partenariat je l’ai fait parce que recevoir des produits gratuitement, c’est le rêve. » (Blogueuse, 2 ans, 900 visiteurs)

    65  Sur la question des rapports de force entre blogueurs et services marketing, voir aussi Dupuy-Salle Manuel, « Les cinéphiles-blogueurs amateurs face aux stratégies de captation professionnelles : entre dépendance et indépendance », Réseaux, no 183, 2014, p. 65-91.

    66  Bourdieu Pierre, Les Règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Seuil, 1992.

    67  Jones Steve et Taylor Ben, « Food Journalism », in Barry Turner et Richard Orange (dir.), Specialist Journalism, London, Routledge, 2012, p. 96-106.

    68  Rousseau Signe, Food and Social Media. You are what you tweet, Lanham, Altamira Press, 2012.

    69  Karpik Lucien, L’Économie des singularités, Paris, Gallimard, 2007.

    70  En revanche, des formes d’autorégulation qui consistent à sanctionner des comportements considérés comme déviants par la communauté se font jour.

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    Naulin, S. (2017). Aux frontières du journalisme gastronomique : les blogueurs culinaires. In Des mots à la bouche (1‑). Presses universitaires François-Rabelais. https://doi.org/10.4000/books.pufr.32272
    Naulin, Sidonie. « Aux frontières du journalisme gastronomique : les blogueurs culinaires ». In Des mots à la bouche. Tours: Presses universitaires François-Rabelais, 2017. https://doi.org/10.4000/books.pufr.32272.
    Naulin, Sidonie. « Aux frontières du journalisme gastronomique : les blogueurs culinaires ». Des mots à la bouche, Presses universitaires François-Rabelais, 2017, https://doi.org/10.4000/books.pufr.32272.

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    Naulin, S. (2017). Des mots à la bouche (1‑). Presses universitaires François-Rabelais, Presses universitaires de Rennes. https://doi.org/10.4000/books.pufr.32237
    Naulin, Sidonie. Des mots à la bouche. Tours: Presses universitaires François-Rabelais, Presses universitaires de Rennes, 2017. https://doi.org/10.4000/books.pufr.32237.
    Naulin, Sidonie. Des mots à la bouche. Presses universitaires François-Rabelais, Presses universitaires de Rennes, 2017, https://doi.org/10.4000/books.pufr.32237.
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