Version classiqueVersion mobile

Le concept HBO

 | 
Bernard Campion

Conclusion

Texte intégral

  • 1  Fuchs Michael, HBO : the First Ten Years, New York, Home Box Office, 1982.

« Nous n’étions certainement pas insensibles à ce qui se passait autour de nous : l’explosion du nombre de chaînes télévisées, l’apparition de nouvelles formes de divertissement… Nous savions qu’il nous faudrait sortir du lot. Nous souhaitions que nos programmes soient différents, même sur le plan visuel. Nous voulions que les gens les regardent et se disent : “Ouah, ça a de la gueule HBO1 !” »

  • 2  Mesce, Jr. Bill, op. cit., p. 129-130.
  • 3  Akass Kim et McCabe Janet, « Ce n’est pas de la télévision, c’est de la télévision de qualité : qu (...)

1Cette déclaration de Michael Fuchs, l’un de ces dirigeants à l’égo « grand comme le Ritz2 » qui ont posé les fondations d’un HBO à l’aura devenue internationale, date de 1982, à une époque où les films hollywoodiens et les rencontres sportives remplissaient l’essentiel de la grille de programmes de la chaîne, et où les séries télévisées ne constituaient pas encore (loin de là) la pierre angulaire de sa stratégie de démarcation. C’est bien la preuve que la forme sérielle, longtemps considérée comme une solution de repli pour des cinéastes et acteurs ratés ou sur le déclin, ne se résume pas, dans l’histoire de HBO, à une simple opportunité détachée de toute vision à long terme. Depuis sa toute première émission, le 8 novembre 1972, la chaîne s’est fixé pour objectif de faire la différence plutôt que de se contenter de rejoindre la masse sans prendre le moindre risque. Elle n’hésite d’ailleurs pas à le clamer haut et fort, que ce soit par le biais d’un slogan provocateur (mais ô combien efficace), de campagnes promotionnelles volontiers tapageuses ou de déclarations médiatiques pour le moins égotistes. Soit un discours redondant et unilatéral qui pourrait s’apparenter à une « exégèse autocentrée3 » finissant par tourner à vide, s’il n’était soutenu par cette vision artistique patiente et réfléchie dont j’ai tenté de dessiner les contours au long de cet ouvrage. Avoir la langue bien pendue n’est pas une tare en soi, tant que vous savez joindre le geste à la parole et montrer que vos créations originales ont résolument la « gueule » que vous avez vendue à vos abonnés. À l’inverse, se dire que la série télévisée est le dernier accessoire à la mode et qu’il suffit de sortir son chéquier pour « en être » est une erreur de débutant que beaucoup semblent pourtant plus que jamais prêts à commettre…

2Un seul mot conditionne désormais le futur proche de HBO : pression. Face aux assauts répétés et lourdement financés des concurrents d’un genre nouveau qu’incarnent les Netflix, Amazon, Apple et autres Disney, face également aux apostrophes moralisatrices de lobbies et d’une frange de plus en plus épaisse de la presse dite spécialisée ne manquant jamais une occasion de s’offusquer d’un bout de peau qui dépasse, la meilleure attitude que puisse adopter la chaîne premium est de garder son calme et de ne pas renier les ingrédients qui en ont fait un acteur majeur du paysage audiovisuel américain : audace, ambition, passion, exigence, curiosité, fidélité, admission de l’échec. Plus ses voisins pressés augmenteront leur volume de production et accéléreront le rythme de diffusion, plus il lui faudra ménager ses effets et préserver le pouvoir événementiel de ses séries phares. Plus ses détracteurs tenteront de diaboliser ses excès de langage et ses représentations sexuelles ou violentes, plus il lui faudra leur rappeler avec fougue et discernement – savant mélange – que le défrichement des interdits est l’une des missions premières de l’art, qu’il soit télévisuel ou non. HBO a déjà largement prouvé que mécénat et rentabilité n’avaient rien de contradictoire, pour peu que l’on parvienne à concilier cap artistique et prise en compte des réalités du marché industriel. Pour conserver sa position avant-gardiste, il lui est désormais impératif de tout mettre en œuvre pour résister aux pressions extérieures et pour ne pas céder aux sirènes de certains effets de mode dont on commence concrètement à mesurer les effets pervers, de la délinéarisation à la consumérisation des séries télévisées. Vaste programme en perspective !

3Une chose est sûre : l’avenir passe plus que jamais par une singularisation des œuvres. Ce qui constituait la profession de foi de HBO est en effet devenu aujourd’hui une règle générale, et il n’est plus une chaîne du câble basique ou un fournisseur de SVOD qui ne tente de tirer son épingle du jeu en créant une série originale potentiellement hors du commun. Rectify sur SundanceTV (2013-2016), Mr. Robot sur USA Network (2015-), Atlanta sur FX (2016-), The Handmaid’s Tale sur Hulu (2017-) : toutes ces séries constituent autant de propositions osées et stimulantes qui ne doivent en aucun cas refréner les ardeurs narratives et formelles de HBO. Au contraire, voilà de dignes descendants qui ne peuvent que conforter la chaîne premium dans son idée vertueuse d’écrire les plus belles pages de la série télévisée, non par opposition avec le cinéma, le théâtre, la littérature ou la peinture, mais en harmonie avec ces formes artistiques qui lui ont tant apporté et auxquelles elle peut tant offrir en retour. Prétendre élever la série télévisée au rang des arts les plus nobles n’a rien d’arrogant ; la véritable arrogance, c’est celle de quiconque ose affirmer, le regard solennel et la mâchoire serrée, que cette forme d’expression « au kilomètre » n’a rien à faire en si prestigieuse compagnie. Celui-là a dû manquer un épisode.

4Ne reste plus qu’à se montrer digne de ce nouveau statut et à en entretenir la flamme, aussi violents soient les vents contraires que fait souffler une concurrence de plus en plus foisonnante et protéiforme. En gardant toujours en tête que, si c’est bien de la télévision, ce n’est pas n’importe laquelle : c’est HBO. Trois lettres qui ont élevé la série télévisée au rang d’art. Trois lettres qui vont continuer de nous faire rêver.

Notes

1  Fuchs Michael, HBO : the First Ten Years, New York, Home Box Office, 1982.

2  Mesce, Jr. Bill, op. cit., p. 129-130.

3  Akass Kim et McCabe Janet, « Ce n’est pas de la télévision, c’est de la télévision de qualité : quand HBO redéfinit la TV », in Jost François (dir.), Pour une télévision de qualité, op. cit., p. 137.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search