Glossaire
p. 269-274
Texte intégral
1 Basculement (intradiégétique, extradiégétique) : reconfiguration majeure de la série, délimitant des mouvements d’une durée supérieure à une saison. On peut en trouver la raison à l’intérieur de la diégèse (les scénaristes décident que le récit doit changer de rythme, que la structure du monde fictionnel doit être corrigée…), ou bien dans le monde réel, dans le cas d’un aléa de la production notamment (départ d’acteur·ice·s, changement de showrunner…).
2 Cadre narratif : structure du monde fictionnel qui justifie l’emploi d’une formule, d’une matrice, le rythme et le déploiement d’une série, le degré et les modalités d’interconnexion de ses épisodes. À ne pas confondre avec le monde fictionnel restreint, qui est plus largement la toile de fond de l’histoire. Le cadre narratif est le réseau de personnages, d’organisations, d’événements, qui constituent un moteur pour la narration. Par exemple, l’action de Buffy se déroule principalement dans la ville de Sunnydale, son monde fictionnel restreint, mais le cadre narratif de la série se nourrit de l’âge et de l’environnement des protagonistes (c’est une série adolescente se déroulant dans un lycée) et de la mission virtuellement infinie imposée à la Tueuse de vampires par les Observateur·ice·s.
3 Complétude rétroactive : au-delà de l’usage de flashbacks (qui rentrent dans la catégorie des anachronies décrites par Genette), elle définit la capacité d’une série à sans cesse revenir sur des événements passés pour les enrichir sans modifier ce qui a déjà été établi. La complétude rétroactive a plutôt pour but de changer le point de vue des interprètes du récit sur tel ou tel événement. Pistes possibles : subjectivité des regards, rêves, voyage dans le temps, déjà-vu, réalités alternatives…
4Degrés et modalités d’interconnexion des épisodes : là où les degrés désignent l’intensité avec laquelle les épisodes sont connectés entre eux (ils sont plus ou moins feuilletonnants), les modalités peuvent être multiples : intrigue macroscopique, jeu sur la répétition et la variation, développement des personnages, thèmes, rétrospection, récurrence de signifiants mythologiques…
5 Délayage narratif : la fonction de respiration du récit qui permet de mettre en retrait l’intrigue macroscopique pour moduler la tension narrative sur le long terme, par exemple en usant d’épisodes plus indépendants, ou dont le ton est différent. Il peut servir à l’exposition de nouvelles informations, jouer du calme avant la tempête ou encore offrir un détour bienvenu. L’abus de délayage narratif peut mener à des épisodes de remplissage.
6 « Densité narrative » (Henrik Örnebring) : nombre d’arcs narratifs mobilisés par un épisode, sans compter l’intrigue microscopique ; plus largement, nombre d’arcs narratifs (excluant les intrigues microscopiques) mobilisés par une saison. Les épisodes sont plus ou moins denses selon le nombre d’arcs narratifs qu’ils traitent.
7 Dernier tour de manège : une chaîne décide d’annuler une série, mais laisse aux scénaristes une saison entière pour leur permettre, si besoin, de dénouer l’intrigue macroscopique, et plus largement de clore la série selon leurs propres termes.
8 Délitement : phénomène subi par toute série qui dure plus longtemps qu’elle n’aurait dû et commence à perdre son élan narratif, à devenir monotone, à ne plus savoir se réinventer. Si la notion est subjective, liée au « jump the shark », il est possible de décrire objectivement des changements progressifs qui impactent la narration, comme le manque de tension narrative, le recyclage des intrigues, ou encore le départ des acteur·ice·s parties prenantes de l’identité de la série.
9 Division en étapes : la progression d’une intrigue macroscopique peut être divisée en étapes déterminées au fur et à mesure ; ces étapes permettent de rythmer l’intrigue et s’adaptent aussi aux rythmes de diffusion (par exemple, dans les séries américaines des networks, en s’appuyant sur la compartimentation des saisons divisées par des pauses).
10 Effondrement : souvent lié au dernier tour de manège, désigne un phénomène de forte amplitude (souvent, à l’échelle d’une mi-saison ou d’une saison entière) durant laquelle le récit fait monter les enjeux de manière dramatique ; le monde fictionnel peut aussi être impacté, voire être déséquilibré. Typique des fins de séries, un effondrement peut aussi intervenir en milieu de série : lorsqu’un showrunner cède sa place après avoir conclu des questions majeures marquées par la montée des enjeux, ou lorsque les scénaristes décident de provoquer un basculement si important qu’il reconfigure tout le récit.
11 Élan narratif : notion quelque peu subjective, mais qui peut être mesurée en fonction de la « densité narrative ». Par exemple, une série perd en élan narratif si elle abuse soudain du délayage narratif, et/ou qu’elle conclut des arcs narratifs majeurs sans en lancer d’autres.
12 Épisode de remplissage : épisode, souvent « plat » narrativement parlant, perçu par la critique, les fans, voire les scénaristes, comme « inutile » pour l’intrigue macroscopique ou le développement des personnages. Souvent la conséquence d’un délayage narratif trop important ou mal géré. Exemple : l’épisode du tatouage de Jack dans Lost.
13 Épisode récapitulatif extradiégétique : épisode conçu par la chaîne comme un gigantesque résumé des épisodes précédents, et qui peut par exemple être diffusé en début de saison pour réactiver la mémoire du public. Épisode récapitulatif intradiégétique : épisode qui emploie le « rappel intradiégétique », c’est-à-dire qui fait un résumé des épisodes précédents via les dialogues et les flashbacks des personnages.
14 Incomplétude manifeste (du monde fictionnel) : un ou plusieurs personnages (voire, l’intégralité des personnages du monde fictionnel) sont confrontés à une zone lacunaire du monde fictionnel, c’est-à-dire, au sens de Doležel, une zone sur laquelle le texte ne donne pas d’informations. Mais si les mondes fictionnels sont par définition incomplets, l’incomplétude manifeste est celle face à laquelle les personnages ne vont cesser de s’interroger.
15 Intrigue macroscopique ouverte : intrigue à long terme qui ne cherche pas explicitement à se diriger vers un dénouement qui pourrait mettre un terme à la série. Dans Alias, tant qu’il y aura des antagonistes à la recherche des mille et un artefacts de Rambaldi, il y aura des épisodes.
16 Intrigue macroscopique téléologique (à promesse de dénouement) : intrigue à long terme dont les enjeux impactent considérablement les personnages et/ou le monde fictionnel, et qui appellent explicitement un dénouement. Dans Battlestar Galactica, les Colons partent en quête de la Terre, ils ont un objectif précis conçu comme le dénouement de l’intrigue de la série. Cela ne signifie pas que le récit ne puisse pas basculer suite à ce dénouement, et se reconfigurer, mais la série sera alors radicalement différente.
17Intrigue microscopique : intrigue bouclée dans le temps de l’épisode.
18 Monde fictionnel déséquilibré : monde fictionnel marqué par une montée dramatique des enjeux, rarement en faveur des protagonistes. Que l’on pense à la descente aux enfers de Walter White dans Breaking Bad, qui entraîne les autres personnages dans sa chute, ou, à une tout autre échelle, la lente prise de pouvoir de Samaritain, l’intelligence artificielle belliqueuse dans Person of Interest.
19 Monde fictionnel homéostatique : monde fictionnel relativement stable, déséquilibré lors des fins de saisons, voire des fins de mi-saisons, mais suffisamment souple pour retrouver une situation d’équilibre dès que la série l’exige. Typique des séries où les antagonistes majeurs du récit attendent la fin de saison pour mettre leur plan à exécution.
20 Montée des enjeux : chaque saison peut tenter de proposer des enjeux encore plus élevés que la précédente pour renouveler l’intérêt ; mais là où la série est conçue pour durer « indéfiniment », il peut devenir difficile d’innover et de proposer des enjeux toujours plus prenants. Le processus est typique des séries à intrigue macroscopique qui prennent en compte l’expérience acquise par les personnages, leur proposant des antagonistes à leur mesure.
21 Mouvement : segment d’une série télévisée, d’une durée supérieure à une saison, il est délimité par les basculements et isole des zones présentant une certaine unité, en termes d’avancée de l’intrigue, de rythme, de ton, de configuration du monde fictionnel…
22 « Mythalone » (J. H. Wyman, Jeffrey Pinkner) : épisode relativement indépendant qui peut être visionné sans connaître la mythologie de la série, mais qui réserve, pour le public assidu, suffisamment de contenu lié à la mythologie pour avoir une importance à l’échelle de la série.
23 Mythologie : la narration à l’échelle de la série télévisée. Désigne non seulement les arcs narratifs mais aussi le développement des personnages, les réseaux de symboles, la dynamique de saturation du monde fictionnel, jusqu’à la dimension purement encyclopédique du récit ; désigne, en réalité, le déploiement sur le long terme de tout ce système narratif de façon prospective, souvent improvisée.
24 « Narration holographique » (J. M. Straczynski) : tout ou partie des épisodes tisse des connexions avec d’autres épisodes, articulant la mythologie d’une façon qui peut d’abord paraître furtive. Le revisionnage des épisodes rend souvent manifeste ces connexions qui échappent à la première lecture, et deviennent explicites via la répétition, l’accumulation…
25Question : cet ouvrage nomme « question » ce qu’on appelle plus largement les « arcs narratifs », sous-entendant qu’une série peut faire courir sur plusieurs épisodes des questions qui vont structurer la tension narrative. Les quelques entrées qui suivent précisent leur impact dans le monde fictionnel (biographique, cosmographique) ; leur rythme (itérative, progressive) ; leur dimension (courte, mineure, fluide, majeure).
26 Question biographique : arc narratif centré sur un personnage ou un petit groupe de personnages. Comme les séries contemporaines mobilisent beaucoup de personnages, elles sont souvent faciles à multiplier et à combiner. Question cosmographique : question portant sur le monde fictionnel en tant que système informationnel, ou à tout le moins sur des structures majeures de ce monde ; cette question, qui dépasse l’échelle de l’individu, a un impact non-négligeable sur le monde fictionnel. Ce type de question peut s’avérer plus compliqué à multiplier et à moduler au fil des saisons. Question courte : une question qui mobilise deux à trois épisodes consécutifs et peut être déconnectée de l’intrigue macroscopique ; elle crée souvent l’événement, mobilisée durant les mi-saisons ou les fins de saisons.
27 Question fluide : question qui ne s’inscrit pas dans une structure formée par une majeure et ses mineures, mais qui peut interagir librement avec plusieurs d’entre elles. Souvent liée à des questions biographiques.
28 Question itérative : question qui demande une unique réponse, et avec laquelle la série joue en retardant la réponse le plus longtemps possible.
29 Question majeure : question dont l’importance est capitale pour la narration. Elle peut structurer l’intégralité de l’intrigue macroscopique, se limiter à une saison, ou encore apparaître de façon sporadique. Des questions mineures peuvent lui être subordonnées.
30 Question mineure : question qui apparaît subordonnée à une question majeure. Elle peut structurer l’intégralité de l’intrigue macroscopique, se limiter à une saison, ou encore apparaître de façon sporadique.
31 Question progressive : question qui peut être résolue par étapes, et qui donne l’impression d’avancer petit à petit vers une réponse complète. Typiquement, une enquête policière fait l’objet d’une question progressive au fur et à mesure que les indices sont rassemblés et les fausses pistes éliminées.
32 Résonance : se produit lorsque deux éléments du récit, ou plus, se répondent à un niveau thématique, symbolique. Lorsque cela se produit à l’échelle de la série, on peut parler de narration holographique.
33Signifiant mythologique : élément qui canalise et cristallise la mythologie, qui fonctionne comme une métonymie de tout ou partie de cette mythologie. Peut être un constituant du monde fictionnel (un objet, un décor, un personnage), ou un mécanisme narratif particulier…
34 Structure fractale : à l’image des poupées russes, une série peut enchâsser ses thèmes majeurs, son développement matriciel, voire son intrigue, au sein d’unités plus réduites comme les saisons, l’épisode, voire la scène. La partie rejoue le tout. Par exemple, dans Fringe, l’omniprésence des figures de « pères scientifiques » (S. Clarke Stuart) dans les enquêtes de la semaine évoque le fil rouge de la série, la relation entre Walter et son fils Peter.
35 « Superlogique » (Stephen King) : l’éclair de génie qui caractérise, au-delà de l’écriture des formes closes, l’économie prospective du récit dans les fictions progressives. Si les scénaristes peuvent avoir un plan, l’analyse de la création d’une série peut aussi révéler des éclairs de superlogique, d’improvisation, à l’image de l’Œil de Jupiter que les scénaristes de Battlestar Galactica ont soudain l’idée d’associer à Starbuck, pour rendre son développement biographique plus cohérent. La décision des scénaristes de Lost de garder Michael Emerson (Benjamin Linus) au casting peut aussi être vue comme une intuition superlogique qui a porté ses fruits.
36 Syndrome du parapluie jaune : tension qui naît de l’immanence du dénouement ; se produit quand la série à intrigue macroscopique téléologique insiste sur son dénouement futur tout en manipulant le public, pour lui offrir les « satisfactions temporaires » dont parle David Lavery, et générer un maximum d’épisodes en retardant au maximum le dénouement. En un mot, le parapluie jaune est l’équivalent d’une carotte narrative, et souligne le conflit entre la promesse faite par la série et son déploiement effectif.
37 Tableau récapitulatif : diagramme narratif récapitulant la course de l’intrigue, anticipant sur son déroulement, ou explorant des possibles narratifs ; inséré dans la diégèse, il met en abyme le travail d’inférence des interprètes du récit, et mobilise leur mémoire à long terme.
38 Vrai nord : désigne le moment où la série semble trouver ses marques, atteindre un rythme de croisière, et prendre suffisamment d’assurance pour, éventuellement, déployer sa mythologie de façon plus explicite. Souvent situé en milieu ou fin de première saison.
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2020