The X-Files
|En guise de remerciements
Texte intégral
1La série est très certainement le format médiatique le plus proche de nous, celui qui reprend avec une étonnante similitude le schéma de nos vies en épisodes, fait d’aléas, d’arrêts et d’attentes. D’attentes, surtout. Dans la construction qu’elle élabore sous nos yeux se joue quelque chose de cellulaire, où l’infiniment petit entre en écho ou en connexion avec l’infiniment grand, où ce qui est fabriqué n’est pas encore, où l’ici flirte avec l’ailleurs, où le rien s’invite dans le tout. La série est cette configuration, narrative, fictive ou symbolique, qui nous appelle, qui nous aimante pour synthétiser une quelconque complétude qu’elle ne saurait préalablement définir : pour dire, de quelque manière que ce soit.
2Plus encore que l’image de nos vies, la série en est la continuité quasi magique, qui signale à la fois notre volonté d’animer le réel d’allégories aux mille visages, pour placer cette mythologie à l’orée de la réalité et désigner quelque part de lointain, mais aussi pour faire de l’écriture un geste capable d’angoisser la société.
3La série nous dit certainement ce que nous sommes aujourd’hui : des consommateurs béats avides de nouveaux produits, vitaux ou culturels, vitaux et culturels. Elle nous dit ce que nous sommes, nous invite bien souvent à l’être et à en intensifier les pratiques, et nous rappelle parfois jusqu’à l’absurdité de sa présence. La série installe justement cette dialectique : elle est du domaine de l’entre.
4La série brille justement par ce qu’elle est autre chose qu’elle-même, qu’elle s’expérimente dans l’exercice du visionnage tout autant que dans la tourmente de l’attente : entre le plein et le vide, entre le noir du trait et le blanc de la page, entre la saturation des images animées et les vacances de la programmation.
5 La série, quelque part, s’inscrit dans une expérience à plusieurs ou, plus exactement, appelle une intelligence collective. Fruit d’une collaboration entre des acteurs aux talents multiples ; récit d’un chantier, qu’il soit culturel, narratif ou artistique, toujours en devenir et qui demande l’action interprétative du spectateur ; lieu d’une recherche permanente de nouveauté, vainement liée au besoin d’être original, de se repenser pour exister et s’inscrire dans son époque… Ou comment établir une dialectique du sublime, où la beauté esthétique s’expose à la mort, où la série discourt avec sa propre disparition, dans un territoire pourtant voué à l’indicible.
6La série ne saurait être importante que si elle modifie en profondeur nos vies. Qu’elle nous change et nous donne à voir le monde autrement. Il y a quelques années, je m’étais endormi devant ma télévision au terme du visionnage d’un épisode de la saison 8 (lequel ?) où la mort de Mulder était prégnante : présente dans la mélancolie de Scully. Le personnage auquel je m’étais identifié pendant des années disparaissait. Mais alors que je voyais s’enfuir ce héros que j’avais érigé comme alter ego, c’est la peine de Scully, cette foutue rationnelle qui ne voulait pas croire, qui venait s’immiscer dans mes songes et, en un claquement de doigts, me réveillait. Dans cette expérience traumatisante (la peur, la mort, le choc du basculement), je prenais alors conscience que la série n’est pas uniquement le miroir de ce que nous sommes, la mimesis confortable de nos existences, individuelles ou collectives, mais bien la résonance de ce que nous sommes, tout le temps, en train d’advenir.
7Les pages qui suivent ne seront finalement peut-être que l’onde de ce choc, les ramenant nécessairement, fondamentalement même, du côté d’une subjectivité s’essayant à la pratique de la compréhension. Elles ont demandé, à maintes reprises, l’aide de l’autre : comme soutien, pour sortir régulièrement de l’exercice solitaire qu’est l’écriture ; comme visée d’un débat, comme destination d’un message ou comme territoire, réel ou fantasmé, d’une approche critique. Ces personnes font toutes de ce livre une œuvre collective. Mais comme personne ne prend jamais le temps de lire les crédits qui agrémentent les génériques, de début ou de fin, il ne sert à rien, ici, de donner leur nom. Et quelque part, par pudeur ou par lyrisme, je me persuade que ces remerciements doivent rester entre nous.
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