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Dans l’atelier de Michel Pastoureau

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Claudia Rabel
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François Jacquesson
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Laurent Hablot

Delatête aux pieds

Les talons rouges de Monsieur

Denis Bruna

Texte intégral

Paire de souliers ayant appartenu à Philippe ier d’Orléans, France, 1660. Paris, musée des Arts décoratifs ; inv. Louvre Lab. 1160, dépôt du musée du Louvre, 1910.

Paire de souliers ayant appartenu à Philippe ier d’Orléans, France, 1660. Paris, musée des Arts décoratifs ; inv. Louvre Lab. 1160, dépôt du musée du Louvre, 1910.

© MAD, Paris / photo Jean Tholance.

1Le musée des Arts décoratifs de Paris conserve une paire de souliers en cuir pour homme dont les bouts carrés, les hauts talons et le système de fermeture se retrouvent sur des portraits d’aristocrates, datés essentiellement entre 1655 et 1670. Ces souliers ont deux particularités : d’une part, les hauts talons – mesurant 8,6 cm – sont couverts d’une peinture rouge brunâtre et, d’autre part, sur chaque semelle est collée une étiquette de papier portant, dans une graphie ancienne, les mots suivants :

[…] Souliers que portait Mgr Philippe 1er Duc d’Orléans frère unique de Louis XIV, lors de l’entrée de S. M. à Aix en Provence en 1660 tirés du beau cabinet de Mr de St. Vincent (sic) à Aix.

  • 1 Paris, Mobilier national, inv. GMTT 95/3.

2Ayant quitté Fontainebleau, en vue du mariage de Louis XIV et de l’infante d’Espagne à Saint-Jean-de-Luz, le Roi, Monsieur et la cour sont effectivement arrivés à Aix le 17 janvier 1660. À ce stade de la recherche, nous ne savons pas à quel moment ni dans quelles circonstances ces chaussures ont rejoint la collection d’Alexandre Fauris de Saint-Vincens († 1819), numismate et homme de lettres aixois. Il convient dès lors d’être prudent quant à l’attribution des souliers à Monsieur, bien que celle-ci soit tout à fait plausible puisque non seulement il s’agit bien de souliers masculins aristocratiques en usage dans les années 1660, mais encore Philippe d’Orléans porte de telles chaussures dans une tapisserie tissée entre 1665 et 1668 montrant l’entrevue de Philippe IV et de Louis XIV à l’occasion du mariage royal en 16601.

  • 2 C. Quinel, A. de Montgon, Contes et légendes de Paris et de Montmartre, Paris, 1930, p. 217-220.
  • 3 Mémoires de madame la marquise de Montespan, t. I, Paris, 1828, p. 49.
  • 4 P. Richelet, Dictionnaire françois…, Genève, 1680, articles « Talon » et « Rougir ».
  • 5 Mentor moderne, 25 juin 1713, p. 44.
  • 6 Paris, Mobilier national, GMTT 95/10.

3La couleur des talons nous invite à évoquer la légende disant que Monsieur aurait été l’initiateur de la mode des talons rouges, après avoir marché dans du sang dans le quartier parisien des abattoirs en 16622. D’ailleurs, il ne serait pas surprenant que cette légende ait été forgée au xixe siècle, en se référant aux chroniques du xviie siècle qui aiment rappeler que Philippe d’Orléans avait une passion pour les souliers à talons hauts. Quoi qu’il en soit, cette vogue est en réalité bien plus ancienne que la mésaventure des abattoirs puisque l’on connaît, en Angleterre et en Suède, des portraits d’hommes avec des talons rouges dès le début des années 1630. De plus, sans que l’enquête soit exhaustive dans les mémoires, les chroniques et autres œuvres littéraires du xviie siècle, Philippe d’Orléans n’est pas associé à la couleur de ses talons, mais à leur hauteur. Dans ses mémoires, Madame de Montespan relate combien Monsieur était complexé par sa petite taille, si bien qu’il demanda à son cordonnier « d’ajouter aux talons de ses souliers deux grands pouces3 ». Quoi qu’il en soit, dès 1665, des peintures et des tapisseries montrent Monsieur, le Roi et les hommes bien nés juchés sur des souliers à talons rouges, révélant tant l’adoption de cette mode à la cour de France que les liens unissant dès lors talons rouges et étiquette curiale – liens qui persistent jusqu’à la fin de l’Ancien régime. Chose étonnante, les textes du xviie siècle sont fort discrets sur ce point. Le rouge des talons est seulement mentionné comme un détail technique puisque seuls les dictionnaires du xviie siècle évoquent le travail des cordonniers qui « rougi[ssent] le talon d’un soulié4 ». Toutefois, un article de 1713 évoque un aspect moins connu des talons rouges : leur vocation visuelle dans la silhouette habillée. En effet, le chroniqueur recommande « de porter des talons rouges, et un plumet de la même couleur, afin que la stature réelle soit limitée par des bornes remarquables, et qu’on puisse trouver [l’homme en question] aisément entre ses souliers et son chapeau5 ». Le rôle « accrocheur » de la couleur était très vraisemblablement recherché à la cour du Roi-Soleil puisque l’on remarque sur la tapisserie de L’Entrevue citée plus haut et celle, non moins célèbre, de Louis XIV visitant la manufacture des Gobelins (tissée entre 1673 et 1680), le Roi pourvu de talons rouges et d’une large plume de même couleur au couvre-chef6. Au xviie siècle, les talons, hauts et colorés, sont à comprendre avec l’essor contemporain de la perruque et la complexité du vêtement masculin, fait d’étoffes précieuses, de l’ample culotte à la rhingrave et de longs métrages de rubans.

Notes

1 Paris, Mobilier national, inv. GMTT 95/3.

2 C. Quinel, A. de Montgon, Contes et légendes de Paris et de Montmartre, Paris, 1930, p. 217-220.

3 Mémoires de madame la marquise de Montespan, t. I, Paris, 1828, p. 49.

4 P. Richelet, Dictionnaire françois…, Genève, 1680, articles « Talon » et « Rougir ».

5 Mentor moderne, 25 juin 1713, p. 44.

6 Paris, Mobilier national, GMTT 95/10.

Table des illustrations

Titre Paire de souliers ayant appartenu à Philippe ier d’Orléans, France, 1660. Paris, musée des Arts décoratifs ; inv. Louvre Lab. 1160, dépôt du musée du Louvre, 1910.
Crédits © MAD, Paris / photo Jean Tholance.
URL http://books.openedition.org/pufr/docannexe/image/29797/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 28k

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