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Dans l’atelier de Michel Pastoureau

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Laurent Hablot

Bestiaire

Courrier des lecteurs

De la part de la panthère gemmophile

Brigitte Buettner

Texte intégral

Panthère héraldique. William Smith, Stemmata Magnatum, Angleterre, vers 1600-1609. Londres, British Library, Harley MS 6156, f. 24r.

Panthère héraldique. William Smith, Stemmata Magnatum, Angleterre, vers 1600-1609. Londres, British Library, Harley MS 6156, f. 24r.

© The British Library Board.

1 Cher historien de l’héraldique, des animaux et des couleurs :

2Ainsi que vous le voyez dans l’image ci-contre, je combine les trois aspects dont vous êtes un spécialiste mondialement reconnu. Je me permets donc d’attirer votre attention sur une erreur que l’on commet souvent au sujet de mon apparence. Comme vous le savez, on me considérait une bête bien merveilleuse au Moyen Âge. Cela m’a valu d’être très prisée dans les ménageries princières où je me retrouvais en compagnie de lions, tigres, léopards et autres pards. Aux yeux de certains, j’étais tellement valorisée qu’ils ont bien voulu déclasser le lion et m’attribuer le titre de roi des animaux. D’où la décision de m’accoler une couronne (encore que je la préfère d’or) et de me représenter comme panthère lionnée (ce qui explique le panache de ma queue tourné vers l’intérieur, position j’avoue assez désagréable surtout quand elle s’éternise). Mais qu’en est-il de ma représentation dans le bestiaire médiéval ? Curieusement, le mode de gestation de ma progéniture que ces textes ne manquent pas d’évoquer n’a pas suscité beaucoup de commentaires. Et pourtant, quel drame, ces griffes avec lesquelles mes petits me déchirent le ventre, m’empêchant de procréer une seconde fois. Pas surprenant que je sois en voie de disparition !

3C’est plutôt mon haleine suave qui a fasciné, et m’a valu une place de choix dans le bestiaire des cinq sens. Les descriptions sont exactes : après une sieste digestive de trois jours, je me réveille en émanant une bouffée d’air qui ressemble aux quatre épices, sensation olfactive rare qui ne manque pas de séduire les autres animaux. Sauf, bien sûr, le dragon au cœur aussi endurci que celui d’un démon. Cette haleine qui rallie et rassemble tous les animaux me donne une personnalité messianique et justifie le « pan » inscrit dans mon nom. Les hommes, toujours enclins à surinterpréter, y ont vu des flammes et cru qu’elles sortent tant de mes oreilles que de ma bouche. L’idée d’une panthère allumée est aussi naïve que ridicule et pourtant elle explique mon succès en Europe où plusieurs familles nobles, voire des régions entières, m’ont fait l’honneur de m’adopter comme animal héraldique. Ici je n’apparais que dans le rôle de support et, comme il se doit, à dextre comme un animal rampant, pimpant, armé et rabissé.

4Si on a fait l’éloge de ma robe multicolore, c’est qu’elle est très différente de celle de mes descendants modernes. Les auteurs du bestiaire ont eu tendance à réduire ces couleurs au nombre de sept ; c’est faux, mais peu importe, puisque c’est le nombre de la perfection. Les peintres du Moyen Âge se sont pareillement trompés lorsqu’ils ont imaginé un pelage rayé ou parsemé de cercles, d’étoiles, voire d’yeux (à la manière d’un Argus, idée à vrai dire assez monstrueuse). En réalité, je vous révèle que je suis d’argent semée de pierres précieuses. Je sais, cela peut faire un peu arbre de Noël, mais je trouve la proximité avec le monde minéral flatteuse. Du reste, les lapidaires nous en fournissent la preuve en rapportant l’existence d’une pierre précieuse appelé pantherus. Loin d’être le résultat d’un glissement sémantique dû à la faute d’un copiste inattentif qui aurait déformé la pierre connue par les Romains comme panchrus, je vous confirme aussi que nous provenons tous les deux de l’Inde, terre propice aux hybridations. « En Inde a une beste fiere / Ki ensement a non pantiere, / Elle est de diverses colors, / Granz forces a e grand valor », dit bien le Lapidaire de Cambridge. Son auteur inconnu est visiblement sensible à ma belle fourrure, mais n’a pas l’air d’aimer les couleurs finement irisées de ma pierre jumelle. Il y voit plutôt du bariolé, c’est-à-dire quelque chose de chromatiquement flou (« De diverses colors : / Verz est e noire, ruge e pale, / Purpre rosete, semble sale »). La brillance, en revanche, l’enthousiasme comme c’est généralement le cas pour une époque qui, comme vous l’avez souvent souligné, aime bien associer clarté, beauté, et bonté : « Clere est en totes ses colors, / Mult par est bele sa luurs ». Qui plus est, les pouvoirs de la pierre panthère sont impressionnants, aussi nombreux que ses couleurs. J’en ai fait l’expérience moi-même, et sais qu’elle rend ses possesseurs victorieux, les protège de n’importe quel danger, qu’elle apaise la colère et élimine le désir de se gratter (super pratique).

5Je me permets de vous faire parvenir un exemplaire, car cette pierre merveilleuse garantit aussi le succès en toute entreprise. C’est sur ces souhaits et dans l’esprit de la solidarité continue entre monde animal et monde minéral, que je vous prie, cher Monsieur, d’agréer etc.

Table des illustrations

Titre Panthère héraldique. William Smith, Stemmata Magnatum, Angleterre, vers 1600-1609. Londres, British Library, Harley MS 6156, f. 24r.
Crédits © The British Library Board.
URL http://books.openedition.org/pufr/docannexe/image/29472/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 111k

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