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Dans l’atelier de Michel Pastoureau

 | 
Claudia Rabel
, 
François Jacquesson
, 
Laurent Hablot

Sigillographie

Je te tiens, tu me tiens par la barbichette

Le sceau de Raimond de Montdragon

Ambre Vilain

Texte intégral

Matrice du sceau du seigneur de Montdragon, première moitié du xiiie siècle. Paris, BnF, Département des Monnaies, médailles et antiques, M. 537 et bis.

Matrice du sceau du seigneur de Montdragon, première moitié du xiiie siècle. Paris, BnF, Département des Monnaies, médailles et antiques, M. 537 et bis.

© BnF.

1Parmi les milliers d’objets et d’images que vous avez eu l’occasion d’étudier, cher Michel, il en est un qui n’a pas trouvé tout à fait grâce à vos yeux, ou plutôt, qui a suscité chez vous une certaine méfiance. Appartenant à la collection sigillographique du Cabinet des médailles dont vous avez eu la charge, la matrice du seigneur Raimond de Montdragon, car il s’agit bien d’elle, constitue un étrange paradoxe puisqu’elle a été rejetée en raison de sa trop grande « pertinence ».

2Cet objet est pour moi un pur prétexte, celui de vous rendre hommage, tout comme l’hommage figurant sur l’une de ses faces ; et puis l’occasion est trop belle pour ne pas reprendre le dossier et tenter de vous convaincre de l’authenticité de cet objet, de toute façon le Faux n’existe plus…

3Raimond de Montdragon, baron de Provence possessionné dans le Vaucluse, fidèle vassal du comte de Toulouse, ne pouvait pas savoir combien son sceau résumerait de manière si juste une grande partie de vos préoccupations historiennes. Il ne savait pas en effet qu’en choisissant d’illustrer son nom par deux êtres chimériques affrontés, singeant par un jeu de miroir déformant la scène centrale du rituel féodal, qu’il allongerait la liste de ces médiévaux, amateurs de jeux de mots et d’images parlantes dont vous nous avez montré toute l’importance. Si notre seigneur savait qu’en illustrant son nom par le reflet grotesque de la scène d’hommage il participait au goût pour l’humour de ses contemporains, il ne se doutait pas qu’il vous ferait sans doute sourire aussi (je te tiens, tu me tiens par la barbichette !).

4En commandant une matrice dont il est difficile d’imaginer qu’elle lui ait servi à authentifier un acte, étant donné son caractère inopérant, Raymond inscrivait sa démarche dans le cadre de la Fonction sociale des images, nous obligeant à reconsidérer sa commande dans le contexte des rivalités ostentatoires. La matrice du seigneur de Montdragon est une matrice de sceau pour ne pas sceller, à l’instar de l’Échiquier de Charlemagne, un jeu pour ne pas jouer.

5Dans la perspective d’histoire des sensibilités qui vous est chère, ce dispositif imagé fonctionnant comme un diptyque et voué à la manipulation, ne possède pas de sens. Il n’a ni haut ni bas et la répétition de la légende ne permet pas de hiérarchiser les scènes, ce qui dilue la notion d’avers et de revers. En outre, lorsque l’on regarde une scène, l’autre est toujours à l’envers. Une fois l’objet fermé, les jumeaux monstrueux se superposent aux figures humaines. Le sceau du seigneur de Montdragon pousse le principe matriciel à son acmé en ce que la relation spéculaire qu’entretient l’outil et la forme qui en procède produisent un reflet déformé.

6S’il est difficile de replacer la scène de l’hommage dans un cadre sigillaire et plus largement dans l’art du xiiie siècle, davantage tourné vers l’hommage courtois, les deux êtres chimériques affrontés se retrouvent sur de nombreux chapiteaux. Outre que cette image renvoie au mode de représentation dédoublée, le geste du tirage de barbe qui lie les deux personnages renforce le caractère polémique du programme. Ce geste que l’on observe sur le fameux chapiteau de Poitiers, découvert dans un contexte judiciaire, ne peut pas ne pas être interprété en regard de la scène d’hommage. Ainsi, le programme iconographique ne pourrait-il pas être compris comme les phases d’un même processus, celui qui va de la dispute à son dépassement ritualisé ? Au désordre de l’affrontement monstrueux paradoxalement figuré selon une stricte symétrie, répond l’asymétrie codifiée de la relation féodo-vassalique.

7Je ne sais pas, cher Michel, ce que vous penserez de ces débuts de pistes, vous estimerez sans doute que certaines de ces propositions sont tirées par les cheveux. Il n’en reste pas moins que la contextualisation de cette œuvre ne peut se faire qu’à la lumière d’une science historique récente, connaissance qui n’était pas encore tout à fait à la portée d’un éventuel faussaire de la première moitié du xixe siècle.

Table des illustrations

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Titre Matrice du sceau du seigneur de Montdragon, première moitié du xiiie siècle. Paris, BnF, Département des Monnaies, médailles et antiques, M. 537 et bis.
Crédits © BnF.
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