1Les territoires locaux sont concernés par l’ensemble des enjeux sociétaux de l’alimentation en milieu scolaire. Ils le sont d’autant plus que les collectivités locales sont responsables à des degrés divers des repas proposés aux enfants fréquentant les cantines des écoles du primaire et du secondaire voire de l’enseignement supérieur. Les collectivités locales jouent un rôle central vis-à-vis de l’alimentation des plus jeunes dans la mesure où elles proposent non seulement de nourrir les écoliers et collégiens, mais aussi de les éduquer au goût et de décliner une politique de santé publique nationale au plan local (prévenir contre des déviances des pratiques alimentaires : malbouffe, surpoids-obésité, anorexie).

2Ce chapitre se propose d’explorer la place que la restauration scolaire occupe dans les actions politiques des collectivités locales. Nous observerons le système de gouvernance de territoires locaux entendu comme système de décision et de gestion des hommes et des ressources devant « résulter d’une négociation permanente entre les acteurs sociaux, constitués en partenaires d’un vaste jeu1 ». La problématique de la gouvernance s’analyse à plusieurs niveaux : le niveau supranational incluant les obligations des autorités publiques locales vis-à-vis des décisions européennes, voire internationales, en matière d’alimentation ; le niveau national centré sur les rapports de pouvoir établis entre l’État – qui peut imposer des directives générales sur les comportements alimentaires nationaux – et les collectivités locales ; le niveau infranational englobant le gouvernement municipal qui renvoie « à la capacité des autorités municipales d’une ville à gérer les problèmes auxquels elles sont confrontées et à impulser une direction à leur cité de manière autonome2 ». Le territoire local est donc un espace de partage d’actions politiques locales et de mise en application de décisions nationales et européennes, un lieu d’enjeux politiques comme « d’expérimentations de nouvelles modalités d’actions publiques3 ».

3Trois questions seront abordées. La première porte sur les outils d’information et de communication, de sensibilisation et de prévention mis en place par les collectivités locales à partir des objectifs du gouvernement en matière d’alimentation. La deuxième question porte sur la manière dont les acteurs publics locaux, dont les gestionnaires des cantines scolaires, arrivent à concilier des objectifs de santé publique nécessitant de faire appel à une alimentation de meilleure qualité (production locale, distribution des produits en circuits courts, produits certifiés bio…) et des impératifs de rentabilité suivis par les industriels de la restauration collective avec lesquels ils travaillent. Cette question est sous-tendue par des enjeux de service public : les collectivités locales ont le devoir de donner un accès à une alimentation de qualité pour tous les usagers de la cantine, d’éduquer le goût et modifier les pratiques alimentaires. La troisième question aborde les actions des collectivités locales en matière de restauration scolaire à des fins d’image et de développement du territoire et révèle des enjeux d’ordre politique. La recherche de reconnaissance voire d’exemplarité de la politique menée par l’équipe municipale ou départementale dans le domaine de la restauration scolaire conduit les collectivités locales à adopter des outils propres au marketing territorial. L’introduction de l’alimentation bio dans les cantines scolaires utilisée comme argument identitaire d’un territoire dans un programme politique local constituera le cœur de notre démonstration. Ainsi, dans la question du développement du territoire local se trouve la question du politique4.

Méthodologie de recherche

4Une première approche exploratoire du sujet a fait apparaître une convergence des niveaux européen, national et local sur la volonté d’informer et d’éduquer les jeunes citoyens en milieu scolaire à des pratiques alimentaires saines et équilibrées. Afin d’expliquer l’imbrication des différents échelons territoriaux et des systèmes d’information mis en œuvre par chacun d’entre eux, ce chapitre s’appuie sur l’analyse de plusieurs sources d’information. Nous présenterons des documents produits sur les directives européennes, en passant par le Programme National Nutrition Santé (PNNS) pour arriver aux supports d’information et de communication déployées par les collectivités locales.

5Trois collectivités locales de la région AUvergne-Rhône-Alpes (AURA) ont été choisies comme terrain d’observation pour mener cette recherche : le conseil départemental de la Loire et les mairies des villes de Saint-Étienne et de Roanne. Nous avons travaillé à partir d’un corpus constitué de documents imprimés et numériques produits par les ministères concernés par l’alimentation en milieu scolaire. Au niveau européen, nous avons consulté le programme « un fruit pour la récré » lancé en 2008 par la Commission européenne5 et, au plan national, le Programme National Nutrition Santé (PNNS) livré par le ministère de l’Agriculture et de la Pêche. Nous avons également analysé la documentation print et numérique des deux mairies et du conseil départemental, les sites internet de coopératives de producteurs locaux d’Auvergne-Rhône-Alpes6 et les sites dédiés à la restauration scolaire de ces villes mis en place par l’entreprise de restauration collective Elior7. Plusieurs reportages diffusés sur les médias nationaux traitant de la politique menée par les deux villes sur l’introduction du bio dans les cantines scolaires ont été visionnés. Enfin, nous avons mis en œuvre une analyse empirique exploratoire en contactant des personnes-ressources : les responsables de services de restauration scolaire des mairies de Roanne et Saint-Étienne et du Conseil départemental de la Loire.

Les collectivités locales : simples relais des décisions de l’État et de l’Union européenne ?

6La municipalité est le premier échelon territorial auquel se réfère l’habitant ou le citoyen. Celui-ci est sensible aux décisions prises par les instances publiques qui le gouvernent car il peut en constater les effets immédiats sur le territoire qu’il habite. La ville est cependant un espace complexe qui naît avant tout d’une rencontre entre « […] plusieurs parcours et plusieurs histoires, plusieurs identités et plusieurs projets, plusieurs engagements et plusieurs appartenances8 ». La gouvernance d’un territoire local s’élabore en fonction des compétences des collectivités locales, mais aussi en fonction de la problématique du territoire. Un territoire très urbanisé n’est pas administré de la même façon qu’un territoire rural. Saint-Étienne et Roanne sont ancrées dans un territoire où l’élevage et la production de fruits et de légumes tiennent une place importante. Faire appel aux circuits courts pour répondre aux demandes des établissements scolaires telles que les écoles et les collèges semble donc approprié. Ces deux villes ont en effet entrepris depuis plusieurs années d’inscrire leur politique de restauration scolaire sur le créneau du bio, mais également sur celui des circuits courts. Cependant, malgré une politique spécifique menée par ces deux municipalités en matière de restauration scolaire, il faut rappeler qu’elles répondent à des directives imposées par les cadres national et européen : les PNNS, les recommandations du Groupe d’Étude des Marchés en Restauration Collective et de Nutrition (GEMRCN9), la loi du 27/07/2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche, le Grenelle de l’environnement, le droit européen de la concurrence et le code des marchés publics français. Le PNNS3 (2011-2015), le PNNS4 (2017- 2020) et la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche10 ont donné des indications puis des recommandations et finalement des directives à l’ensemble des collectivités locales en tant qu’échelons compétents en matière de restauration scolaire. La loi de 2010 a comme objectif d’améliorer les relations entre les responsables de la restauration scolaire, leurs prestataires de services et les producteurs de denrées alimentaires locaux. Cette loi encourage très largement l’utilisation des circuits courts. Il y a derrière ce cadre institutionnel un enjeu de santé publique auquel tous les acteurs publics sont sensibles, mais sur lequel ils doivent également communiquer auprès des cibles concernées : écoliers, collégiens, parents d’élèves et personnel de la restauration scolaire. D’autres lois, décrets de lois ou directives influencent également la politique menée par les collectivités locales françaises. Tout d’abord le décret de loi du 30/09/201111 établi sur les indications du GEMRCN (groupe d’Étude des Marchés Restauration Collective et Nutrition) qui encourage la normalisation de pratiques alimentaires en milieu scolaire. Ensuite, le Grenelle de l’environnement qui oblige l’ensemble de la restauration collective à introduire au moins 20 % de produits bio dans les repas depuis le 1^er janvier 2012. Les produits bio dans la composition des repas des consommateurs prennent une place de plus en plus importante si l’on se réfère aux repères édictés dans le PNNS 4. Cependant, nous observons que le Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) même s’il conseille de privilégier le bio comme mode de production souligne qu’un produit bio n’est pas meilleur qu’un autre d’un point de vue nutritionnel. Ces lois, décrets de lois ou recommandations sont tous pris en compte pour la conception des repas des cantines et pour acheter les produits composant les repas. De même, la notion de circuits courts a été introduite dans la loi française grâce à l’article 53 du code des marchés publics et permet aux cantines depuis 2011 de s’approvisionner auprès des producteurs locaux sans que cela s’oppose au droit européen de la concurrence. Enfin, la loi Egalim votée le 30 octobre 2018 ne fait que renforcer la place des productions agricoles de qualité dans les normes d’approvisionnement des acteurs de la restauration collective. Dans son deuxième volet, la loi indique que les repas « dans les restaurants collectifs dont les personnes morales de droit public ont la charge » doivent proposer une part au moins égale à 50 % de produits bénéficiant de labels ou issus des circuits courts et au moins 20 % de produits issus de l’agriculture biologique.

7Les collectivités locales sont donc dans l’obligation d’appliquer des directives gouvernementales et européennes multiples à des dates précises. Cet arsenal juridique n’explique cependant pas toutes les actions mises en œuvre par les collectivités qui, pour certaines, avaient déjà entrepris de nombreuses actions en faveur de l’introduction du bio dans les cantines scolaires. Si nous prenons l’exemple du conseil départemental de la Loire, nous constatons que celui-ci est sensible, depuis 2009, à l’introduction d’aliments frais et de bonne qualité nutritionnelle dans la restauration scolaire. Le département de la Loire compte chaque jour 13 000 élèves se restaurant dans les collèges, ce qui représente deux millions de repas chaque année. 80 % des familles habitant ce département ont au moins un enfant qui déjeune au restaurant scolaire. Yves Brenas12 qui était en 2014 responsable de la restauration scolaire du Conseil départemental souligne le fait qu’« il ne s’agit pas de simplement fournir les restaurants des collèges en produits bio, il s’agit aussi de sensibiliser les collégiens à la consommation d’aliments de qualité pour éviter les problèmes de santé ».

8Saint-Étienne est un exemple de ville qui est allée bien au-delà des recommandations européennes et nationales quant à l’introduction de produits bio dans les repas et l’utilisation des circuits courts. En 2012, les produits utilisés d’appartenance locale étaient de 33 % avec un objectif de 50 % pour 2014. La société de restauration collective Elior qui a été choisie par la mairie de Saint-Étienne pour présider à la mise en place du programme de produits bio dans les cantines a dû se plier aux lois nationales et européennes. Le contrat a commencé en 2009. Le cahier des charges suivi par Elior s’est inspiré des recommandations du PNNS et s’est appuyé également sur les recommandations du GEMRCN. Cela s’est traduit par la définition d’un plan alimentaire et par la distribution de tableaux de grammage des aliments aux diététiciennes de la ville et aux cuisiniers des cantines pour leur permettre de composer les repas en fonction de l’âge des élèves. L’objectif principal de la ville est la protection de la santé publique : l’exclusion des OGM et des produits chimiques dans les produits utilisés, plus de fruits et légumes dans les repas et moins de produits préfabriqués. La mairie de Saint-Étienne suit ainsi des impératifs de développement durable et travaille de façon privilégiée avec des producteurs locaux. L’enjeu pour Elior était de taille car cette entreprise a beaucoup de concurrents sur le marché de la restauration collective, et a été obligée de suivre les directives de la mairie pour ne pas perdre le marché de la restauration scolaire de cette ville. L’entreprise a dû proposer des prix compétitifs tout en introduisant des produits bio plus onéreux dans la fabrication des repas et en s’appuyant sur des circuits courts, c’est-à-dire en faisant appel à des producteurs locaux. Depuis 2019, les cantines scolaires de la ville servent 80 % d’aliments bio et 70 % d’aliments produits localement.

9La ville de Roanne a lancé une réflexion dès 2008 sur la restauration scolaire. Les actions ont commencé en 2011 à partir d’un constat établi par l’équipe municipale : les enfants mangent mal (repas sautés, repas picorés, méconnaissance de certains aliments, pas de prise de petit déjeuner…) d’où une volonté de la ville de développer une politique de développement durable (enrayer le gâchis alimentaire) et d’économie sociale et solidaire (donner accès à la cantine scolaire à tous les enfants scolarisés qui le demandent).

10Le conseil départemental et les deux villes observées ont souhaité améliorer la qualité des produits utilisés dans les cantines scolaires bien avant la mise en œuvre du PNNS. Les villes se sont montrées plus volontaristes et plus rapides que l’État. Cependant le GEMRCN a permis de normaliser la démarche des responsables de la restauration scolaire et de leurs équipes (cuisiniers, diététiciennes, personnel de cantine…) en imposant un guide de composition des repas pour chaque classe d’âge. Nous observons dans ce cas précis qu’une politique locale trouve dans une politique nationale un principe de légitimité du gouvernement des corps. L’histoire de la santé publique illustre par de nombreux exemples – dont celui de la surveillance des régimes alimentaires – que l’État a souvent tenté de normer les pratiques sociales en mettant en place des « dispositifs visant à convaincre certaines populations d’amender leurs modes de vie dans un sens favorable à leur santé…13 ».

11Les programmes développés par les collectivités en faveur de l’introduction du bio dans les cantines se sont largement appuyés sur des outils de communication print et numériques permettant d’une part, de rapprocher le citoyen des instances politiques locales, et d’autre part, pour mettre en lien des professionnels du monde de la restauration scolaire (diététiciennes, responsable de cuisines centrales, chefs de cuisine, enseignants, gestionnaires d’établissements, etc.). On assiste à l’application d’une nouvelle philosophie de la proximité14 dans laquelle on privilégie la qualité du contact avec l’usager en l’informant mieux et en le consultant pour avoir son avis sur le service proposé. On constate également que les collectivités locales s’inscrivent de plus en plus dans une logique industrielle15 car les programmes qu’elles développent, utilisent de plus en plus les supports d’information et de communication comme des outils de gestion participative.

Les Technologies d’Information et de Communication (TIC), un élément de complexification des relations entre instances politiques locales et acteurs du territoire ?

12Nous avons observé à travers les usages faits des sites web portant sur le thème du développement du bio en région Auvergne-Rhône-Alpes que le sujet de la restauration scolaire peut devenir un enjeu électoral. Christian Le Bart souligne à ce titre, que la communication produite par l’instance publique locale est souvent utilisée par les élus « dans une triple perspective électorale (se faire réélire), démocratique (débattre avec les citoyens) et managériale (attirer les activités)16 ». Les utilisations faites du web s’inscrivent dans une logique de développement d’un territoire local plus vert au sens écologique du terme. Un site web peut être vu comme un lieu de services divers accessibles par le biais d’internet : mails, partage de documents, photos, forums, etc. Les acteurs du site échangent des informations au sein d’un lieu sécurisé permettant le stockage d’informations. C’est donc une place de connaissances partagées comme une place de village dématérialisée qui se met progressivement en place.

13Le conseil départemental de la Loire déploie un ENT depuis 2011 proposant de multiples fonctionnalités17. Une vidéo mise en ligne sur l’ENT18 et relayée sur Youtube met en scène des membres du personnel du conseil départemental et des acteurs travaillant avec eux : le responsable du service restauration scolaire du département, Yves Brenas ; le président de la Fédération de parents d’élèves de l’enseignement public, Jean-Jacques Hazan ; la responsable des services Agents Techniques des Établissements Secondaires (ATES), Nadine Kostka. La vidéo s’adresse à des publics divers, mais tous impliqués dans la santé et l’alimentation en milieu scolaire (enseignants, parents d’élèves, infirmière scolaire, etc.). Yves Brenas expose que des « commissions composées d’élèves, de chefs de cuisine et d’enseignants ont été programmées au sein des collèges du département afin que les usagers de la cantine donnent leur avis sur la qualité des repas ». Jacques Hazan insiste sur le fait que l’alimentation joue un rôle déterminant sur la santé : « Il y a des effets non négligeables du comportement alimentaire sur la santé. » Il précise que les instances politiques locales agissent dans un cadre contraint et que l’alimentation en milieu scolaire est un enjeu de service public : « il faut appliquer les règles d’équilibre nutritionnelles ». Les restaurants scolaires sont présentés comme des lieux au service des usagers, mais aussi comme des vecteurs d’éducation pour les pratiques alimentaires : « Le temps du midi est un temps éducatif » (Jean-Jacques Hazan). Cependant, les personnels du conseil départemental n’abordent pas dans cette vidéo les sujets de fond (exclusion des enfants de chômeurs, cantine bio, appel à des producteurs locaux, religion, allergies…) et présentent les cantines scolaires comme des lieux de vie où tous les usagers ont des pratiques alimentaires, des quotients familiaux, des parcours de vie uniformes. Nadine Kostka précise toutefois que le conseil départemental travaille prioritairement sur la sécurité alimentaire « pour éviter les problèmes de contamination divers », et ajoute : « L’alimentation est un sujet très sensible, donc on y va doucement. » Les principes d’égalité et de laïcité de l’école publique faisant loi ne laissent pas de place dans cette vidéo aux débats relatifs aux pratiques alimentaires particulières. Les régimes alimentaires spécifiques que certains usagers des cantines doivent suivre pour des raisons religieuses ou médicales ne sont pas évoqués malgré certains épisodes dramatiques qui se sont déroulés dans les établissements scolaires d’autres villes de la région Auvergne-Rhône-Alpes19.

14Les sites des villes de Roanne20 et de Saint-Étienne accordent une place importante à la restauration scolaire. Ils informent les habitants sur les services proposés par la ville (inscription, menus, règles de vie). Ce sont des sites interactifs et dynamiques. On y trouve la présentation du conseil municipal des enfants ainsi qu’une vidéo en ligne sur le site : les enfants sont filmés, testant les repas de la cantine en aveugle. Le but de cette mise en scène est de sensibiliser les enfants à des thèmes sociétaux (par exemple une bonne alimentation pour une bonne santé) tout en véhiculant un modèle idéal d’alimentation aux jeunes citoyens. Dans un autre reportage21 tourné dans l’école Gaspard Monge de Saint-Étienne et diffusé sur France 3 en 2009, on interroge plusieurs acteurs impliqués dans et par la mise en œuvre de la politique de restauration scolaire de la ville : les enfants-usagers de la cantine scolaire, le personnel de cantine, le maire de la ville, le responsable de la cantine centrale et le fournisseur en produits bio faisant partie de la plateforme Bio à Pro. Chacun de ces acteurs présente la montée en puissance du bio dans les cantines et les difficultés rencontrées pour imposer ces produits. Quand les enfants sont interrogés sur les menus bio, ils donnent des avis mitigés et semblent résignés, mais acceptent le principe de repas « plus équilibrés » : « On a pris l’habitude », « C’est moins bon », « Moi j’aimerais bien qu’il y ait des frites, mais y’en a pas », etc. Ces remarques peu enthousiastes sont contrebalancées par les discours des acteurs impliqués dans l’organisation de la restauration scolaire. Le fournisseur de produits bio locaux et adhérent à la plateforme Bio à Pro, présente les écueils auxquels est confrontée la distribution de ces produits : « En France, 40 % des produits bio sont importés […]. Le bio a du mal à se frayer un chemin dans les cantines : le problème majeur étant celui du surcoût par rapport aux produits traditionnels […]. Entre 2010 et 2011, nous avons doublé notre chiffre d’affaires. » Le problème du surcoût est également évoqué par Maurice Vincent, le maire de la ville de l’époque, qui précise que le prix de vente des produits bio n’a pas eu de répercussions négatives sur la facture reçue par les familles dont l’enfant fréquente le restaurant scolaire car la facture a baissé. Les raisons de cette baisse sont données par le maire : « Il y a eu un changement de prestataire. […] Il y a eu un effort de fait sur les marges par le prestataire. […] La capacité de négociation du fournisseur avec les prestataires a dû jouer. […] Les coûts de transport des produits locaux ont baissé. » Nous comprenons que le changement de prestataire a permis aux responsables de la restauration scolaire de faire pression pour réduire les coûts des produits et des transports. Les entreprises de restauration collective ont donc été obligées de revenir sur des habitudes tarifaires et sur le choix de leurs fournisseurs. Nous avons ici l’exemple de « tension négociée » entre une entreprise du secteur de la restauration collective (Elior) et une collectivité locale. Cela ne signifie pas que cette négociation ait été acceptée par Elior pour répondre à l’intérêt général et à l’amélioration du service public, mais plutôt pour lui permettre de décrocher un marché public dans un univers concurrentiel. La force de négociation de la collectivité locale est à chercher dans l’application des directives internationales (Agenda 21) et nationales (PNNS, Grenelle de l’Environnement) en faveur du développement durable. Ce sont donc des obligations réglementaires nationales et internationales et non la prise en compte d’une demande de repas plus équilibrés formulée par les collectivités locales qui ont infléchi les habitudes des industriels de l’alimentation.

15Quant à la ville de Roanne, nous relevons également une médiatisation de sa politique en faveur du développement du bio et de produits frais dans les cantines. À ce titre, un reportage diffusé dans le cadre de l’émission Midi en France diffusée sur France 3 en 201422 présente les cantines scolaires comme des lieux « d’éducation du palais ». Dans ce reportage on met en avant certains acteurs : les producteurs locaux labellisés bio qui proposent des produits permettant de « découvrir de vrais goûts et de réduire l’obésité » ; les élèves qui déjeunent à la cantine et qui trouvent leur repas bio plutôt bon : « c’est pas trop gras », « y’a pas trop de sel » ; une diététicienne qui est filmée en situation de contrôle du grammage et de composition des repas servis aux enfants ; un parent d’élève qui est satisfait des repas servis et qui assure que le prix n’a pas été augmenté. Nous relevons que dans ce reportage la parole n’a pas été donnée aux acteurs décisionnaires de cette évolution à savoir l’équipe municipale de la mairie. Contrairement à la ville de Saint-Étienne, nous constatons que la ville de Roanne médiatise peu son action pour le développement du bio à la cantine malgré une volonté politique assez semblable. Cette différence entre les deux villes dans l’utilisation des outils d’information et de communication s’explique en partie par les résultats obtenus. La ville de Roanne propose des repas composés à 30 % de produits bio et 80 % de produits locaux alors que Saint-Étienne peut se targuer d’avoir atteint les 80 % de produits bio en 2015. La volonté de l’équipe municipale de Saint-Étienne semble s’orienter vers une valorisation de la politique locale en mettant en place une campagne de communication suffisamment visible pour que la ville soit reconnue comme étant exemplaire au plan national. La ville de Roanne bénéficie d’une couverture médiatique moins importante et surtout centrée sur l’économie sociale et solidaire, l’aménagement du territoire et la santé.

16Les moyens d’information et de communication déployés par le conseil départemental de la Loire et les deux villes (sites internet, reportages vidéo dans les médias nationaux, événementiels autour de la cantine scolaire) montrent une volonté d’informer les citoyens, mais aussi de rendre accessible et compréhensible l’information relative à la restauration scolaire. Ils permettent également de donner une certaine légitimité à l’action politique tout en donnant une visibilité importante aux acteurs de la filière bio locale.

L’utilisation du bio et des circuits courts dans la restauration scolaire : un label de qualité bénéfique pour l’image des collectivités locales

17La ville est un lieu où s’expriment des instances politiques multiples, ce que certains nomment la polyphonie urbaine23. La ville est aussi un territoire d’expérimentations qui seront autant d’empreintes que les acteurs et habitants du territoire mémoriseront. Les décideurs politiques savent qu’ils doivent cerner les attentes des administrés et mettre en place une politique de la ville visant à « l’intégration de toutes les populations dans une logique unificatrice de l’identité urbaine24 ». Les discours proclamés ou écrits des instances politiques locales sont des éléments constituant « l’espace public, système spatial de représentation et d’expressions des identités politiques25 ». L’espace public est ici compris comme lieu permettant d’exprimer et de représenter toutes les formes symboliques et politiques que peut révéler le débat public26.

18La ville durable, le respect de l’environnement sont des sujets que les pouvoirs publics de nombreuses villes ont intégrés dans leur programme de développement du territoire. La ville durable est appréhendée par les collectivités locales comme une unité urbaine respectant les principes de développement durable et de l’urbanisme écologique par exemple au travers de l’architecture. La ville durable peut se présenter comme une écoville cherchant à diminuer son empreinte écologique. Les villes françaises sont encouragées depuis le Sommet de la Terre qui s’est tenu en 1992 à Rio de Janeiro au Brésil, à suivre un Agenda 2127 local incluant des modes de démocraties participatives avec des objectifs variés. Nous relevons que parmi les nombreux articles rédigés dans la Déclaration de Rio, l’article 28 met en avant le rôle essentiel revenant aux territoires et aux collectivités territoriales en matière de développement durable. Le développement des circuits courts et du bio dans les cantines scolaires s’inscrit dans ce processus. Dans les exemples qui nous intéressent, l’espace public est un espace de communication utilisé par les instances politiques pour porter des discours sur le besoin de développer des espaces agricoles, pour valoriser la production locale de denrées alimentaires, pour fournir un confort de vie aux habitants à travers la qualité des services proposés par les structures publiques telles que les cantines scolaires dans les écoles et les collèges. L’enjeu de la ville durable n’est donc pas seulement écologique. Il est aussi économique. C’est une des questions soulevées par Patrick Noisette et Franck Vallérugo : « Comment apporter la qualité de vie souhaitée par les habitants et la qualité du développement nécessaire aux activités économiques à des coûts d’investissement et de gestion supportables28 ? »

19Faire appel aux producteurs locaux, aux circuits courts, pour fournir les cantines scolaires en produits biologiques labellisés répond aussi à une logique communicationnelle organisée permettant de légitimer l’action des élus locaux tout en valorisant la dynamique parfois originale d’un territoire. Ces actions des collectivités locales suivent une double logique : développer le territoire local et inciter à une consommation plus responsable de produits à classer dans l’alimentation durable. « L’alimentation durable » est un concept non stabilisé entendu ici en tant « qu’ensemble de pratiques de la production à la consommation de biens économiquement viables, socialement soutenables et écologiquement responsables29 ». Cette idéologie d’une alimentation durable doit s’imposer face au modèle dominant dit « agro-industriel » fondé « sur une distanciation croissante entre les mangeurs et leur alimentation30 ». En réaction à ce modèle, de nouveaux comportements alimentaires s’affirment depuis les années 9031. C’est précisément cette évolution des modes de consommation alimentaire qu’accompagnent les politiques des collectivités en matière de restauration scolaire. Nous observons dans ce cas la convergence de politiques locales avec les attentes latentes ou avérées des citoyens en matière d’alimentation.

20Le conseil départemental de la Loire travaille étroitement avec la Chambre d’agriculture notamment dans le cadre d’actions de valorisation de produits locaux dans les restaurants scolaires comme par exemple les opérations « manger bio dans les collèges » et « découverte des produits locaux » lancées en 2009 puis reconduites en 2010 et 2011. Ces actions se sont traduit par la réalisation d’une enquête auprès des établissements scolaires sur l’approvisionnement de produits issus de l’agriculture locale, l’organisation de rencontres avec les producteurs locaux, la rencontre des gestionnaires de collèges et des cuisiniers autour de dégustations de produits locaux, et enfin par la réalisation d’un événementiel d’une durée d’un mois au sein des restaurants scolaires intitulé la « Conso locale ». Cinq collèges pilotes ont été sélectionnés avec l’introduction de repas 100 % bio. Parallèlement, des sessions de formation des chefs de cuisine et des interventions pédagogiques auprès des élèves ont été mises en place. Grâce à ces opérations, les chefs cuisiniers ont rencontré directement des producteurs locaux auprès desquels ils se sont ensuite approvisionnés.

21Deux volets centraux sont à signaler dans les actions d’information déployées par le conseil départemental. En premier lieu, le conseil départemental a créé une dynamique collective autour des questions d’approvisionnement en produits bio et de l’agriculture locale avec l’aide de la Chambre d’agriculture (affiches, annuaires des producteurs) et de l’Association Rhône-Loire pour le Développement de l’Agriculture biologique (ARDAB), association créée en 1986 avec la mission de promouvoir une agriculture performante et respectueuse de l’environnement. En second lieu, le conseil départemental a mis en place un dispositif de sensibilisation et d’éducation du goût des collégiens grâce à des opérations de communication régulières. Nous relevons que ces opérations locales sur le développement du bio sont fortement soutenues par les instances politiques nationales, mais également par des collectifs indépendants qui ont des idées convergentes. Nous pouvons prendre pour exemple la campagne « Oui, au bio dans ma cantine » organisée par l’association WWF32 à l’issue du Grenelle de l’Environnement le 18/06/2009. Cette campagne de communication renouvelée à trois reprises avait pour but d’inciter le grand public à demander aux maires d’introduire 20 % de bio dans les cantines dès la rentrée 2014. Elle a également donné lieu à l’organisation d’un colloque en 2011 réunissant dans les locaux de l’Assemblée nationale, les acteurs majeurs de la filière bio à l’école. Ce colloque a permis de donner la parole à des adhérents tels que ceux de l’association Slow Food œuvrant depuis 1986 « pour que chacun puisse avoir accès à une nourriture bonne pour lui, pour ceux qui la produisent, et pour la planète ». Nous observons que ces opérations ont débuté en 2009 et qu’elles correspondent à la mise en place de politiques volontaristes déployées par les collectivités locales en matière de développement durable. Les campagnes de communication nationales de ces associations ne sont pas étrangères au fait que les annonces présentées par l’État dans le cadre du Grenelle de l’Environnement se soient traduites par des actes concrets à l’échelon local.

La généralisation du bio dans les cantines de Saint-Étienne : vers une logique de marque territoriale ?

22Au 1^er juin 2015, la ville de Saint-Étienne annonçait 100 % d’aliments bio dans les cantines des écoles. Saint-Étienne a compris toute l’importance de la dimension médiatique de son opération 100 % bio. Sa campagne de communication faite autour de cet évènement a répondu à plusieurs objectifs : informer les écoliers et leurs parents, mais aussi montrer à l’ensemble des administrés (y compris les producteurs locaux et les personnels des cantines) l’importance du développement de la consommation de produits bio et l’utilisation de produits locaux pour le développement économique local. Saint-Étienne communique sur le bio sur son site internet depuis janvier 2012, et de nombreux médias locaux ou spécialisés relaient l’information (comme RCF, France 3, La Gazette, Santé magazine…). Des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux Dailymotion ou Youtube présentent le discours du sénateur-maire de Saint-Étienne en soulignant l’exemplarité de sa politique en matière de restauration scolaire. En 2009, celui-ci annonçait dans une vidéo lors de l’introduction du bio dans les cantines de sa ville : « C’est une volonté politique majeure qui mérite d’être soulignée en souhaitant que d’autres communes, d’autres villes nous suivent dans cette expérimentation majeure pour la santé de nos enfants, le développement durable, le développement des circuits courts et de l’agriculture biologique33. »

23Saint-Étienne est présentée comme étant la première ville de France à avoir atteint ce niveau d’introduction du bio dans les cantines. L’organisation de la restauration scolaire dans les écoles de Saint-Étienne passe par la cuisine centrale, le Restau Vert, qui existe depuis le 1/08/2009. La marque de ce restaurant a été créée par la société Elior. Cette création de marque inscrit le restaurant de la municipalité dans une logique de construction identitaire basée sur le respect de l’environnement. Les membres du personnel du Restau Vert sont particulièrement attentifs au développement des circuits courts pour leur approvisionnement puisque 41 % des produits utilisés en proviennent (les achats de produits bio locaux sont effectués par Elior auprès de la plateforme logistique du Rhône et de la Loire, Bio A Pro, créée par l’ARDAB en 2009) contre 5 % dans la restauration collective en moyenne. La cuisine centrale se trouve en centre-ville et est très proche des écoles. De cette façon la chaîne du chaud ou du froid n’est pas rompue. L’équipe municipale est par ailleurs régulièrement sollicitée pour son action exemplaire par des homologues extérieurs à la région Auvergne-Rhône-Alpes. L’équipe municipale reçoit des délégations d’autres villes de France qui viennent recueillir des informations sur le développement du bio et des produits locaux. Le responsable du service restauration scolaire de la ville de Saint-Étienne signalait dès 2014 que les programmes développés en faveur du bio dans les cantines scolaires se font grâce à la convergence de plusieurs programmes européens :

Nous avons des aides de France Agrimair (Aide européenne), pour l’opération « un fruit pour la récré ». Trois ou quatre écoles en bénéficient chaque année en fonction des projets pédagogiques. Un courrier est systématiquement envoyé aux parents avant chaque opération. (Chef de service restauration, Ville de Saint-Étienne, février 2013).

Roanne et le bio dans les cantines : une démarche efficace, mais une communication discrète

24Roanne, quant à elle, suit des objectifs moins ambitieux que Saint-Étienne, mais utilise des moyens de communication similaires. Roanne dans le cadre du Plan Climat a organisé tous les mois un évènement nommé « Cantines bio étoilées ». Les repas offerts dans ce cadre particulier comprennent 100 % de produits frais, 95 % de produits locaux et 30 % de produits bio et sont préparés par un chef étoilé, Olivier Boiset et le personnel de la cantine. Le cadre du repas est prestigieux puisqu’il s’agit du château de Champlong. Quelques parents invités par le maire partagent le repas. Cette manifestation a été filmée par la télévision de l’agglomération roannaise (et diffusée sur le site de la mairie et sur le réseau social Dailymotion). Dans ce film34, la maire de Roanne de l’époque, Laure Deroche, est interrogée ainsi que la diététicienne recrutée en 2013 par la ville pour superviser la composition des repas. Elles expliquent que tout est transformé et cuisiné sur place. On montre ici l’importance que la mairie porte à la mise en place d’un réseau d’approvisionnement avec les producteurs locaux en partenariat avec la Chambre d’agriculture. Le but affiché est de raccourcir les circuits de distribution pour préserver les valeurs nutritionnelles des produits car ayant moins passé de temps dans les transports et les frigos.

25De même, une campagne d’information faite par la ville de Roanne sur le bio a été lancée en 2012 sur une durée d’un mois. Les supports de communication utilisés sont classiques : arrière de bus, magazine municipal, panneau à l’entrée de la mairie, conférence de presse organisée par la mairie, visite du maire dans la cuisine centrale mise à disposition au prestataire pour élaborer les plats pour l’ensemble des écoles (1000 repas/jour). La campagne de communication sur le site de la mairie a commencé en janvier 2013. Roanne comme Saint-Étienne, dispose d’une cuisine centrale, d’une légumerie et d’une pâtisserie pour permettre de laver, couper les légumes, de fabriquer et de conditionner les pâtisseries sur place. Par ailleurs, deux diététiciennes établissent les menus en fonction du Programme National pour l’Alimentation (PNA), puis évaluent et vérifient les repas. Une autre opération de sensibilisation à une consommation de produits frais se fait dans le cadre de l’opération « Un fruit pour la récré ». Trois à cinq fois par an, l’action est menée dans toutes les écoles de Roanne. Par ailleurs, Roanne a adhéré à la charte « ville active » en 2013. La charte consiste à mettre en œuvre une action nutrition-vie allant dans le sens du PNNS. Le but est de montrer aux Roannais que la ville s’engage dans cette charte ce qui lui donne une certaine crédibilité tout en renforçant son image. Roanne a été présentée en 2013 sur le site du ministère de la Santé, et sur le site du ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports avec le label « ville active du PNNS ». Saint-Étienne a également obtenu ce label pour l’année 201435. La communication déployée par les instances politiques locales des deux villes en faveur du bio dans la restauration scolaire donnent raison à Christian Le Bart quand celui-ci énonce que « les territoires tendent à se ressembler par l’effort même qu’ils accomplissent pour apporter la preuve de leur singularité36 ».

Le bio et les circuits courts : deux éléments du marquage identitaire d’un territoire

26Nous relevons à travers ces exemples que bien au-delà de la sensibilisation des jeunes citoyens et de leurs parents à la consommation de produits de meilleure qualité et notamment de produits frais et bio, cette politique centrée sur l’alimentation s’inscrit dans une démarche de marketing territorial qui désigne « l’ensemble des analyses, stratégies, actions et contrôles conçus et mis en œuvre par l’autorité de gestion urbaine et par les organismes qui dépend d’elle dans le but, d’une part, de mieux répondre aux attentes des personnes et des activités de son territoire, d’autre part, d’améliorer la qualité et la compétitivité de la ville dans son environnement concurrentiel37 ». La ville obtient un label, une reconnaissance en tant qu’acteur dynamique se démarquant ainsi des autres villes, d’autant plus que son action est relayée, donc avalisée par le ministère de la Santé et le ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports. Nous avons dans le cas des deux villes, l’illustration d’une volonté de valoriser l’action politique locale. La communication sur le bio dans les repas des cantines est devenue un outil de valorisation et de validation du programme du maire. Les informations concernant le bio dans les restaurants scolaires sont relayées par des sites institutionnels (notamment du ministère de l’Agriculture et les sites des mairies), des vidéos sur internet (diffusent des films disponibles sur le site de la mairie) ou sur les sites des entreprises de restauration collective partenaires des mairies (par exemple le site créé par Elior pour Saint-Étienne [http://saintetienne.cantines.com]).

Les industriels de la restauration collective à l’écoute des exigences des collectivités locales

27L’application du PNNS a conduit les collectivités locales à être plus exigeantes vis-à-vis de la qualité des produits proposés par les entreprises de restauration collective. Les relations entre institutions publiques et entreprises privées du secteur agroalimentaire ont souvent été tendues car les objectifs des collectivités et des industriels n’étaient pas les mêmes. Les industriels de la restauration collective suivent des impératifs de rentabilité de production qui ne correspondent pas nécessairement à des impératifs de qualité. Ce deuxième objectif est devenu une obligation pour les collectivités pour l’application du PNNS qui sont entrées dans des rapports de force avec les entreprises de restauration collective. De même, l’application du PNNS qui est un programme d’alimentation national pose question quant à la volonté de l’État d’avoir la main mise sur des décisions qui sont du ressort des collectivités locales. Certains s’interrogent sur le rôle de l’État après les lois de décentralisation38 et se demandent s’il n’aurait pas organisé « son retrait des territoires pour mieux les gouverner à distance et restaurer son autorité39 ».

28Le délégataire de Saint-Étienne, Elior, a entre autres fonction de mettre en place des outils et des actions de communication ponctuels en vue de sensibiliser le jeune citoyen fréquentant les cantines aux produits locaux, aux produits bio et aux produits de saison. Une animation est organisée par l’entreprise : une personne choisie pour son expertise du sujet (boulanger bio, producteur local de fruits et légumes…) fait une présentation devant les enfants (sur le local, sur le bio, sur la saisonnalité avec une approche pédagogique…). Elle explique pourquoi il faut manger bio et la nécessité de lutter contre l’obésité, donne des conseils aux parents pour la composition des repas (recettes de cuisine). « Les enfants se lassent des mêmes légumes, il faut leur présenter différemment » annonce le responsable de la restauration scolaire de la ville. Les interventions sont des explications des règles basiques sur la nutrition. Elior fait également intervenir des producteurs à la demande du maire. Il s’agit d’ateliers organisés trois fois par an sur le site du château de la Pérotière lors desquels des élèves d’école primaire sont invités. Pendant ces ateliers, les élèves sont sensibilisés au gaspillage de l’eau, du pain pendant la « Semaine du développement durable ».

29La ville de Roanne a eu une délégation de service public de 15 ans avec la société Elior jusqu’en 2011. Depuis 2012, la mairie fonctionne avec Elior sous forme d’un marché à tranche conditionnelle d’une durée de deux ans. Un cahier des charges a été élaboré par les élus sur les objectifs de santé. Ce travail a été confié à un assistant en maîtrise d’ouvrage (le cabinet Durêche) choisi en fonction de sa spécialisation sur les sujets de restauration collective. Le maire et les élus (services sociaux, jeunesse, scolarité) ont discuté ensemble des objectifs de santé à déterminer. Elior a été recadrée par la mairie pour que l’entreprise de restauration puisse décrocher le marché : dans le cahier des charges sont indiquées de faire appel aux circuits courts, ce qui a compliqué le travail d’Elior qui cherchait avant tout le profit et peut-être moins la qualité des aliments pour élaborer les repas. C’est donc grâce à des contraintes législatives que cette réorientation a été faite.

30Roanne et Saint-Étienne ont toutes deux choisi comme délégataire la société Elior, mais seule Saint-Étienne a bénéficié d’un site internet dédié aux publics des cantines scolaires. Ce site est constitué de trois volets (parents, enfants et enseignants) et d’un édito personnalisé écrit par le maire. Des articles sur l’alimentation, sur le milieu de la restauration, sur l’organisation des repas, sont édités. Ce site est destiné à faciliter le travail de la ville de Saint-Étienne, puisque sont données des informations sur les menus, sur les aspects pratiques, etc. Ce site était également actif pour la ville de Roanne avant 2014, mais depuis que l’équipe municipale a décidé de modifier son contrat avec Elior, Roanne n’a plus de site dédié car le contrat signé n’inclut pas l’animation d’un site web dans les prestations de services. Toutes les informations concernant la cantine scolaire ont migré vers le site de la mairie de Roanne. Donc le site d’Elior (cantine.org) est une prestation de service incluse dans le contrat passé avec la ville de Saint-Étienne. Le site est ludique, coloré, interactif. Pour les parents, quatre sous-rubriques sont présentées sur un menu déroulant : « ma ville », « restaurants scolaires », « mon compte » (paiement de la cantine) », « cantines Mag » (conseils nutrition, avis d’experts, recettes de saison). Dans la sous-rubrique « restaurants scolaires » un menu déroulant affiche les repas de toutes les écoles présentes dans l’agglomération de Saint-Étienne. Le discours introductif est axé sur la convivialité, la sécurité et le plaisir. L’animation des « repas découvertes » et des ateliers sont assurés par des équipes pédagogiques : animation saveurs et découvertes, apports nutritionnels, développement durable… 2014, année européenne contre le gaspillage et année de la coupe du monde de football au Brésil ont été des thèmes traités lors des animations. Chaque début d’année, une réunion impliquant la médecine scolaire, le service scolaire, les chefs d’établissements et les personnels d’Elior est organisée pour évaluer le nombre d’enfants à prendre en charge en cas d’allergie. L’entreprise insiste également sur le fait que pour stimuler le goût, la mise en scène prime : décoration, mobilier, animation à thème pour les repas ce qui induit, selon Elior, plaisir, sociabilité et intégration. Les deux villes s’efforcent depuis plusieurs années de suivre une démarche professionnelle en matière de communication autour de la restauration scolaire. Cette évolution s’explique par trois faits : une meilleure utilisation des TIC, des rapports de force plus équilibrés avec les industriels de la restauration collective, une prise en compte des propos tenus par les différentes associations locales travaillant pour le développement du bio et les circuits courts en milieu rural.

31Enfin, le site web40 de l’association de producteurs bio en Rhône-Alpes (ARDAB) est assez emblématique, car il représente des acteurs de la culture bio qui veulent se défaire du diktat des industriels de la restauration collective et encourager le développement des circuits courts. Cette plateforme permet d’accéder plus facilement aux informations (par exemple l’annuaire des producteurs bio de la région, manifestations organisées par les producteurs sur les marchés, journée dégustation…). L’ARDAB est devenu un acteur référent pour les collectivités locales et peut être considéré aujourd’hui comme un réseau de citoyens regroupant une communauté locale (Serra, A, 2000) selon le modèle des freenets américains41. L’ARDAB42 accompagne également la ville de Saint-Étienne dans sa démarche de développement du bio. Elle a conduit un programme de sensibilisation afin que les personnels des restaurants scolaires informent les élèves et communiquent sur le projet de la ville. L’ARDAB met à disposition sur demande des outils de communication sur les produits bio : affiches de l’agence, outils et animation permettant de passer les messages de l’agriculture biologique (par exemple des visites de fermes, ou organisation de semaines thématiques sur le bio dans les cantines, conférences sur l’agriculture bio – films, témoignages d’agriculteurs, table de dégustation – ). Cette association régionale a pris une place prépondérante auprès des collectivités locales en tant que conseil, fournisseur et ambassadeur des produits issus du territoire local. Le site de l’ARDAB n’est pas qu’un site d’information. C’est aussi une plateforme d’échanges avec des acteurs du territoire aussi variés que les entreprises de restauration collective, les collectivités locales, que les particuliers intéressés par le bio43. Cet exemple de plateforme prouve que les acteurs de l’agriculture bio ont amélioré leur organisation, et ont acquis un certain poids dans les relations établies avec les entreprises de restauration collective.

32L’étude exploratoire que nous avons menée révèle que les personnels des collectivités locales ont l’ambition de fournir des informations plus transparentes aux différents acteurs concernés par les produits bio dans la restauration scolaire (parents, enseignants, institutionnels) et une volonté d’estomper les tensions, voire les conflits qui peuvent avoir lieu entre ces différents acteurs. Par ailleurs, des outils numériques déployés par des coopératives de producteurs permettent de proposer des plateformes d’accès directs aux interlocuteurs pour passer des commandes de produits bio et/ou locaux, en suivant un principe de désintermédiation de la vente de denrées alimentaires produites localement.

Conclusion

33Les directives étatiques en matière d’alimentation sont suivies par l’ensemble des collectivités locales observées sans que cela soit trop contraignant pour elles. Ces directives ont au contraire permis de rééquilibrer les rapports de force établis avec les entreprises de restauration collective qui sont désormais obligées d’introduire du bio dans les repas des cantines scolaires, et dans une moindre mesure, de faire appel à des producteurs locaux pour suivre une logique d’utilisation de circuits courts. Les programmes d’action nationaux autant qu’européens vont dans le même sens : sensibiliser et éduquer le jeune citoyen à la consommation de produits jugés sains. Il y a eu parfois des oppositions sur ces lois ou programmes notamment celle relative aux circuits courts. Le droit européen de la concurrence interdit les préférences locales pour un marché public, alors que la loi française préconise de faire appel aux circuits courts pour encourager les producteurs locaux. L’évolution du code des marchés publics en 2011 a levé cet écueil car il permet désormais à toute cantine scolaire de se fournir en produits locaux, dès lors que ceux-ci proposent des performances en matière de développement des approvisionnements directs de produits de l’agriculture.

34Dans la politique d’introduction du bio dans les cantines des villes de Saint-Étienne et Roanne une démarche de marketing territorial est suivie. C’est en effet l’image des villes qui bénéficie de ces opérations médiatisées grâce notamment au label « villes actives » délivré par le ministère de la Santé, et le ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports. L’opération 100 % bio dans les cantines menée par Saint-Étienne lui a permis de se positionner comme une ville « modèle » en France. Elle a construit l’image d’une ville pionnière, dynamique et soucieuse de l’environnement. Les outils numériques ont également été utilisés pour fédérer des acteurs locaux autour du bio et des produits locaux. Les sociétés de restauration collective doivent désormais utiliser des plateformes logistiques sur internet mises en place par les coopératives de producteurs de produits bio pour passer leurs commandes. Les collectivités locales ont choisi d’être des acteurs volontaires dans la gestion de la restauration scolaire et de ne pas être prisonniers de choix opérés par les entreprises privées de restauration collective qui, souvent, étaient critiqués pour préférer un principe de rentabilité plutôt qu’un principe de qualité des produits ou des repas proposés à leurs clients.

35Pour conclure, nous constatons que les politiques menées par chacune des collectivités observées ont une triple dimension. Ce sont d’abord des politiques de prévention : elles permettent de normer les pratiques alimentaires à l’instar de la politique menée par l’État, et de donner aux jeunes citoyens des connaissances éclairées sur l’alimentation et ses bienfaits pour la santé. Ce sont également des politiques en faveur du développement économique local : le soutien apporté à la culture bio et à l’agriculture locale permet de dynamiser une production agricole qui était en perte de vitesse. Enfin ce sont des politiques de communication qui s’inscrivent dans une démarche de marketing territorial permettant de valoriser l’image du territoire et la politique locale en action.