1L’union harmonieuse de la vigne et de l’olivier apparaît généralement comme une évidence pour le spectateur séduit par les paysages méditerranéens. Cette impression est largement nourrie par des sources artistiques qui n’ont cessé de célébrer l’association intime de ces deux plantes emblématiques de l’aire méditerranéenne. La relation étroite qui lie vigne et olivier forme la base d’un modèle paysager souvent idéalisé et très largement diffusé, bien au-delà du monde méditerranéen. Longtemps associés au sein des systèmes agricoles locaux, vignobles et oliveraies ont connu des mutations contemporaines divergentes qui ont abouti à une séparation des deux cultures avec, le plus souvent, une disparition des oliviers. Toutefois, des changements récents tendent à montrer une nouvelle complémentarité de la vigne et de l’olivier dans une finalité paysagère. Aussi cette association régénérée demande-t-elle à être analysée et interrogée vis-à-vis de ses processus et ses intentionnalités. En outre, les paysages de la vigne et de l’olivier offrent une approche pertinente pour saisir des mutations plus générales concernant les évolutions des systèmes agricoles, les externalités apportées par les paysages agraires et les recompositions territoriales au sein d’espaces ruraux méditerranéens caractérisés par une urbanisation rapide.

2Notre propos va s’appuyer sur les recherches menées dans le cadre du programme ANR-SYSTERRA « Paysages & Terroirs méditerranéens » (PATERMED) dans l’aire AOC de Bandol (département du Var) qui offre un terrain d’analyse révélateur des processus qui s’opèrent au sein des activités agricoles et des espaces ruraux. Cette recherche s’est appuyée sur un dispositif méthodologique associant une analyse paysagère fine, un relevé exhaustif des parcelles viticoles et oléicoles dans quatre communes de l’aire AOC (La Cadière-d’Azur, Le Beausset, Le Castellet et Saint-Cyr-sur-Mer) et un travail d’enquêtes menées auprès de trente-six oléiculteurs et/ou viticulteurs locaux. Notre article développera la prégnance de l’association vigne/olivier comme un paysage traditionnel en voie de disparition et la nouvelle complémentarité oléo-viticole dans des fins économiques, paysagères et environnementales.

Une association vigne/olivier traditionnelle qui tendait à disparaître

Vigne et oliviers : un paysage méditerranéen traditionnel

3Jusqu’au milieu du xix^e siècle, voire jusqu’au milieu du xx^e dans certaines régions plus en retard, les campagnes méditerranéennes se caractérisaient par un paysage de polyculture où alternaient cultures annuelles et cultures permanentes selon une disposition en lanières et en rangées. En Provence, ce paysage correspondait à un agencement linéaire dans lequel se succédaient les oulières, longues parcelles effilées principalement orientées vers la céréaliculture, et les outins, alignements de ceps de vigne et d’arbres dont de nombreux oliviers mais aussi des amandiers et des mûriers (Amouretti et Comet, 1992). La figure 1 illustre ce paysage agraire provençal qui s’apparentait à un véritable « arlequin paysager » (Rinaudo, 1996). Une telle disposition répondait aux différents besoins alimentaires de la société locale mais procurait également quelques revenus complémentaires grâce à des productions commercialisées comme le vin ou l’huile d’olive. Cette association culturale offrait aussi une complémentarité pour le travail agricole puisque les tâches nécessaires aux diverses cultures se déroulaient à des périodes différentes. Dans ce système agricole complexe, la vigne et l’olivier occupaient une place de choix car ils bénéficiaient de débouchés importants sur les marchés locaux ou extérieurs. Ainsi les huiles d’olive provençales alimentaient un important courant d’exportation à partir des centres de négoce d’Aix-en-Provence et de Marseille (Amoureux, 1784 ; Boulanger, 1995 ; Fattori, 2000). Ce paysage classique des outins et oulières connaissait des variations paysagères en fonction de spécificités locales comme les cultures florales dans les régions de Grasse ou de Hyères ou le maraîchage et les plantes tinctoriales dans la plaine du Comtat.

4Un tel paysage complanté et ordonné se retrouvait dans maintes régions de l’Europe méridionale et en particulier en Italie où la coltura promiscua, très fréquente en Toscane, en Ombrie ou en Campanie, voyait les pampres des vignes grimper dans les frondaisons des arbres, dont les oliviers, et organisait le paysage agraire en une multitude de bandes alternées. Des dispositions similaires se rencontraient dans le sud-ouest de la France (les joualles de l’Agenais par exemple) ou dans le nord du Portugal.

Un paysage complanté en voie de disparition au cours du XX^e siècle

5Le paysage complanté de Provence n’a guère subi de modifications jusqu’au milieu du xix^e siècle, hormis des changements mineurs dans la place accordée aux différentes cultures (réduction des surfaces céréalières, augmentation des cultures permanentes comme la vigne). Toutefois, à partir du milieu du xix^e siècle, les évolutions s’accélèrent en raison de l’ouverture commerciale et de la spécialisation croissante des économies agricoles. C’est ainsi qu’en France méditerranéenne les surfaces viticoles se sont considérablement accrues alors que la céréaliculture et l’arboriculture sèche cédaient du terrain. L’oléiculture déclinait sous le coup de la concurrence des huiles d’olive importées et des autres huiles alimentaires. L’association étroite entre vignoble et oliviers tendait à se raréfier, en particulier dans les plaines languedociennes et de Basse-Provence qui s’orientaient vers la monoculture viticole.

6Cette tendance s’est considérablement accentuée à partir du milieu du xx^e siècle en raison de deux phénomènes. Le premier est dû à la mécanisation de la viticulture qui aboutit à une restructuration des parcelles en éliminant les obstacles au passage des engins. Ainsi les rangées d’oliviers disposées à l’intérieur ou dans les bordures des parcelles sont arrachées pour offrir des espaces viticoles plus compacts et accroître les surfaces en vigne. Le second phénomène résulte du gel catastrophique de février 1956 qui fit disparaître les deux tiers des oliviers en France et accéléra le déclin séculaire de l’oléiculture. Des millions d’oliviers cultivés disparurent (12 millions en 1929 et 4 millions en 1970) et le paysage traditionnel associant la vigne et l’olivier devint un lointain souvenir dans la plupart des régions méditerranéennes françaises, principalement en Languedoc-Roussillon.

7Cependant, le paysage complanté oléico-viticole se maintint dans quelques régions provençales comme celle de Bandol car le gel y fut moins destructeur et permit la survie de nombreux vieux sujets que les agriculteurs locaux ne voulurent pas arrachés. Cela s’appuie sur le fort attachement des Provençaux pour l’olivier ce qui contribua à son maintien dans les paysages, malgré un net déclin relatif. Une analyse des surfaces viticoles et oléicoles en France méditerranéenne montre que la cohabitation d’importants vignobles et oliveraies se rencontre encore dans de nombreuses régions comme le montre la figure 2. Cette dernière localise les densités de vignoble et d’oliveraies en France méditerranéenne et, en particulier, les secteurs où l’on trouve à la fois des fortes densités viticoles et une présence notable d’olivettes. Ainsi, dans le Var et le Gard, sur les piedmonts des Alpes du Sud (Nyonsais, Baronnies, versant méridional du Ventoux) ou du Massif central (rebord montagneux de l’Hérault), on observe de nombreux secteurs de coprésence vigne/olivier où l’oléiculture a pu se maintenir grâce à des productions qualitatives et à la ténacité des milieux oléicoles (Angles, 2014). Dans ces régions, l’association traditionnelle unissant ces deux cultures demeure encore bien présente dans les paysages et témoigne de la conservation de cet héritage agraire.

8Une analyse plus fine entreprise dans quatre communes de l’aire AOC Bandol (La Cadière-d’Azur, Le Castellet, Le Beausset et Saint-Cyr-sur-Mer) a permis de mieux saisir la prégnance de l’olivier au sein des espaces viticoles largement dominants dans cette région (fig. 3). Un relevé exhaustif des parcelles de vigne et des oliviers a été effectué en 2011-2012 dans le cadre du programme PATERMED et montre que plus de la moitié des parcelles de vigne compte des oliviers dans la parcelle (7 % des parcelles viticoles recensées) ou en bordure (45 % des parcelles). En outre, la figure 3 montre que ces surfaces oléico-viticoles se localisent dans l’ensemble du terroir de Bandol, ce qui témoigne de l’ubiquité de l’olivier dans le vignoble local. Même dans la zone dépressionnaire située au nord des communes de La Cadière et du Castellet où le vignoble est plus compact et a fait l’objet d’une restructuration avec des parcelles plus étendues, les oliviers disposés en rangées ou en petites oliveraies demeurent nombreux et piquettent encore ce paysage viticole, témoin d’une pratique traditionnelle qui perdure ici mais a disparu en bien d’autres lieux.

Vers une nouvelle complémentarité de la vigne et de l’olivier

Un contexte nouveau qui favorise un modèle paysager idéalisé

9L’agriculture est confrontée désormais au contexte contemporain des régions méditerranéennes où une urbanisation très rapide morcelle et réduit les espaces agricoles et où une crise affecte la plupart des activités agricoles (rareté et coût élevé du foncier, rude concurrence des produits agricoles provenant du Sud du Bassin méditerranéen ou d’autres continents). Dans la région de Bandol, c’est l’urbanisation qui constitue le principal facteur de fragilisation pour l’agriculture avec un étalement urbain de plus en plus étendu en raison de l’insertion dans l’aire urbaine de Toulon et de la forte activité touristique. La viticulture est touchée par ce phénomène car cela contribue à augmenter le prix des terres, entravant la restructuration foncière des exploitations, et à accroître la présence de bâtis résidentiels dans les espaces agricoles, source de frictions entre viticulteurs et résidents. Certes les surfaces viticoles se maintiennent, voire augmentent légèrement dans le terroir de Bandol car la viticulture y bénéficie d’une conjoncture favorable mais on observe une translation progressive du vignoble vers une situation plus périphérique : les vignes se réduisent près des zones urbanisées et de nouveaux vignobles apparaissent dans les secteurs de garrigue ou de bois au nord du terroir (Minvielle et al., 2012).

10En revanche, l’oléiculture offre un visage bien différent car, après un long déclin, elle connaît désormais un renouveau spectaculaire. Les surfaces oléicoles s’étendent depuis trois décennies et les moulins à huile en activité se multiplient (pour les quatre communes étudiées : un en 1980, quatre actuellement). L’urbanisation n’entrave pas cette progression des oliveraies ; au contraire, elle y contribue notablement avec le développement de l’oléiculture auprès d’un public d’amateurs, essentiellement urbains. Désormais, les oliviers cultivés sont préservés, de nombreux arbres sont plantés près des habitations ou dans de nouvelles plantations et maintes olivettes anciennes sont restaurées, en particulier dans les secteurs de garrigue défrichés.

11Ce nouveau contexte contribue au regain d’intérêt porté à l’association de la vigne et de l’olivier en raison d’une finalité paysagère qui devient prépondérante. Cette dernière s’appuie sur une perception des paysages qui valorise considérablement la vigne et l’olivier et qui repose sur une influence majeure des courants artistiques, des références socio-culturelles et des représentations historiques. Par le processus d’artialisation, cher à Alain Roger et Yves Luginbühl, les paysages de la vigne et de l’olivier bénéficient d’une valorisation considérable, au point de constituer un modèle paysager, symbole d’une ruralité authentique, d’une esthétique agraire et d’une identité méditerranéenne (Roger, 1998 ; Luginbühl, 2012).

12Cette appréciation des paysages de la vigne et de l’olivier s’appuie sur un héritage antique qui a multiplié les évocations élogieuses qui contribuent encore aujourd’hui à modeler nos perceptions. La vigne et l’olivier sont très présents dans les littératures grecques et latines au point d’en faire des cultures emblématiques des civilisations méditerranéennes. Ainsi Pline l’Ancien consacre deux livres de son Histoire naturelle à la vigne et à l’olivier. Caton l’Ancien considère qu’une bonne propriété agricole doit s’adonner largement aux cultures de la vigne et de l’olivier et le chapitre 43 de son ouvrage De re rustica présente les modes de complantation des deux plantes. L’agronome latin Columelle développe longuement dans son œuvre majeure, Res rustica, les modes de cultures et les soins à apporter pour la vigne et l’olivier. Dans ces ouvrages techniques consacrés au bon ménage de l’agriculture, la vigne et l’olivier occupent une place prépondérante et font l’objet d’une grande précision et de nombreuses préconisations ; cela traduit la considération majeure accordée à ces deux plantes fondamentales dans l’économie agraire antique. Les poèmes de Virgile témoignent des dimensions esthétiques et philosophiques des représentations que les auteurs antiques ont vis-à-vis de la vigne et de l’olivier. Dans le chant II des Géorgiques, Virgile exalte les valeurs morales et spirituelles qui émanent de la vigne et de l’olivier symbolisant sous sa plume les deux pôles de la vie humaine : l’effort et le repos (Grimal, 1980). C’est la rencontre du monde de Bacchus, fait de mouvement et de travail pour dompter une plante impétueuse et en tirer un breuvage grisant, et de l’univers de Minerve, symbole de paix et de sagesse. Aussi le modèle paysager de la « villa latine », gardienne des valeurs rustiques, repose-t-il largement sur la présence de vignobles et d’oliveraies au sein d’un même domaine, procurant ainsi un équilibre harmonieux par leur complémentarité.

13Les représentations qui nourrissent les perceptions vis-à-vis de la vigne et de l’olivier s’appuient également sur des références judéo-chrétiennes (Angles, 2016) : la vigne et l’olivier sont très fréquemment évoqués dans les écrits bibliques et leurs produits (vin et huile d’olive) sont associés à de nombreux rites liturgiques (eucharistie, onction…) qui les subliment. Cette valorisation est également en lien avec les atouts qualitatifs prêtés à ces deux plantes et à leurs productions. Ces dernières occupent une place de choix dans les régimes alimentaires méditerranéens et participent amplement à une sociabilité favorisée par les pratiques alimentaires. De plus, les qualités gustatives accordées aux vins et aux huiles d’olive sont connues depuis la plus haute Antiquité et contribuent à donner aux deux plantes une image de finesse, de goût et de tradition.

14L’ensemble de ces valeurs a largement participé à une esthétisation des paysages de la vigne et de l’olivier et le modèle pictural du bel paesaggio, magnifié par les peintres toscans de la Renaissance, octroie une place majeure à ces deux éléments essentiels que sont le vignoble et l’oliveraie, omniprésents dans les campagnes toscanes. Dès lors, la vigne et l’olivier bénéficient d’une appréciation visuelle très positive, au point de constituer des composants fondamentaux pour un modèle paysager amplement diffusé en Provence et mobilisé. Depuis plusieurs siècles, ce dernier représente un canon esthétique qui symbolise à la fois une tradition agraire, une identité méditerranéenne et un parangon qualitatif. Ainsi, les dimensions historique et culturelle sont très largement mises en avant et jouent un rôle essentiel dans la mise en scène paysagère qui s’appuie sur la vigne et l’olivier, marqueurs visuels d’un ancrage sublimé au cœur des civilisations prestigieuses du Bassin méditerranéen.

Vigne et olivier : une complémentarité croissante pour les exploitations viticoles

15Par ce modèle paysager très apprécié, les domaines viticoles entendent valoriser leur renommée et leurs productions en développant une mise en scène paysagère autour de leurs sièges d’exploitation ou dans leurs parcelles. Ainsi, dans l’aire de Bandol, les oliviers, traditionnellement disposés en bordure des vignobles, sont non seulement conservés mais aussi multipliés par de nouvelles plantations. Les allées qui ornent les domaines font l’objet d’un soin tout particulier et sont désormais composés d’alignements d’oliviers destinés à décorer les abords et à former par là même un écrin « authentiquement » méditerranéens comme le montre la figure 4. Certes, le cyprès, autre élément arbustif fondamental dans le modèle paysager toscan, est souvent présent mais l’olivier est devenu le composant essentiel de ce décor agraire aux dépens du platane, aujourd’hui délaissé.

16L’image souhaitée par cette disposition ornementale associant vigne et olivier génère une historicité, une appréciation qualitative et un ancrage tant méditerranéen que provençal. Par ce décor oléico-viticole, les viticulteurs cherchent un cadre plus attractif, une meilleure réputation de leurs domaines et, par là même, une valorisation de leurs productions. Ce souci paysager ne se limite d’ailleurs pas au seul terroir de Bandol puisque l’on observe les mêmes efforts dans la plupart des vignobles français du Midi méditerranéen. Dans certaines régions comme les Alpilles ou le Nyonsais, l’olivier occupe même une place prépondérante dans cette valorisation paysagère en raison de la grande réputation des AOP oléicoles de la vallée des Baux-de-Provence et de Nyons.

17Aujourd’hui, la complémentarité de la vigne et de l’olivier va bien au-delà du simple décor paysager mais s’inscrit aussi dans les stratégies commerciales de nombreux domaines viticoles. En effet, l’huile d’olive est perçue par les consommateurs comme un produit qui s’associe naturellement avec le vin ; ainsi, les viticulteurs tendent à diversifier leurs offres en proposant également des denrées oléicoles (principalement, de l’huile d’olive mais encore des huiles parfumées, des olives de table, des pâtes d’olive ou de la tapenade). Ils deviennent par conséquent des oléiculteurs et, pour répondre à cette demande croissante, conservent voire étendent leurs olivettes qui constituent une nouvelle source de revenus pour leurs exploitations. De ce fait, ils développent et améliorent leurs gammes de produits en profitant de la valorisation mutuelle des vins et des denrées oléicoles. Cette complémentarité engendre un processus appréciatif réciproque qui correspond à un panier de biens territorialisés (Pecqueur, 2001 ; Hirzhak, 2008).

18Dans le terroir de Bandol, de nombreux domaines viticoles se sont donc tournés vers l’oléiculture pour disposer d’une offre de produits oléicoles haut de gamme qu’ils vendent dans leurs locaux commerciaux ou sur leurs sites internet. Parmi eux, une grande propriété viticole s’est même équipée de son propre moulin pour triturer ses olives provenant de ses vergers anciens et d’une vaste oliveraie implantée sur une défriche. Dans la commune du Beausset, une autre grande exploitation, à l’origine viticole, s’est convertie à une activité oléicole principale qui sert de base pour la vente de ses vins, devenue secondaire, et pour son offre touristique.

19La complémentarité entre cultures de la vigne et de l’olivier s’inscrit également dans des stratégies foncières. Face à l’étalement urbain, les exploitations viticoles de l’aire de Bandol cherchent à s’étendre dans des secteurs de garrigue ou de bois situés au nord du terroir. Dans ce cadre, de nouvelles parcelles sont créées et sont plantées aussi bien en vigne qu’en oliviers au gré des droits à planter dont dispose l’exploitation pour son activité viticole. Dans ces défriches, d’anciennes olivettes abandonnées sont également remises en culture et composent un nouveau paysage associant vigne et oliviers avec des jeunes plantiers viticoles et oléicoles comme en témoigne la figure 5.

Une imbrication vignoble/oliviers croissante en raison de l’étalement urbain

20Dans les régions méditerranéennes françaises, et en particulier dans l’aire AOC de Bandol, l’urbanisation connaît un rythme de croissance très rapide et les terres agricoles sont confrontées à un étalement urbain qui met à mal leur pérennité. Malgré un maintien en surface, le vignoble de Bandol est ainsi mité par la multiplication du bâti résidentiel qui morcelle l’espace agricole et entrave les opérations techniques. L’oléiculture ne connaît pas la même situation car on observe une conservation voire une extension des olivettes dans les secteurs urbanisés en raison de la multiplication des oliveraies des amateurs (Angles et al., 2014). Aussi le mitage urbain s’accompagne-t-il d’une nouvelle cohabitation de la vigne et de l’olivier avec le fourmillement des nouvelles olivettes implantées par les résidents, désireux d’un décor paysager et d’une activité de loisir, et par les viticulteurs, à la recherche de la complémentarité évoquée précédemment.

21Dans ce contexte particulier, l’association vigne/olivier peut contribuer à un maintien de la viticulture et au renouveau de l’oléiculture car la dimension paysagère devient de plus en plus essentielle pour l’ensemble des acteurs locaux. Le paysage agraire, fondé sur la relation intime de la vigne et l’olivier selon le modèle paysager de référence, bénéficie d’une mise en patrimoine qui favorise sa préservation. Ce processus de patrimonialisation accroît son intérêt décoratif et aboutit à une valorisation des productions viticoles et oléicoles, pérennisant ainsi les activités afférentes. En outre, la cohabitation de la vigne et de l’olivier peut participer à une transition accélérée vers l’agro-écologie, clairement préconisée dans la réforme de la politique agricole commune (PAC) et dans la loi d’avenir de l’agriculture. L’oléiculture repose sur des pratiques culturales plus douces (Cohen et al., 2014) et l’imbrication croissante de la vigne et de l’olivier peut conduire les viticulteurs locaux vers des méthodes plus respectueuses de l’environnement, suivant en cela les préconisations des instances viticoles locales. Une telle évolution permettrait une meilleure insertion des espaces oléico-viticoles dans la matrice écologique en favorisant la biodiversité et les connectivités biologiques. La qualité paysagère dépasserait par conséquent les seuls critères esthétiques pour devenir également une qualité environnementale en correspondance avec les attentes sociétales.

Conclusion

22L’olivier et la vigne sont deux plantes fondamentales et étroitement associées dans l’idéal paysager du monde méditerranéen. Ce modèle de paysage est un construit historique et culturel qui n’a pas cessé d’être exalté depuis plusieurs millénaires et renvoie à l’histoire ancienne et prestigieuse des civilisations méditerranéennes. Ces paysages associés de la vigne et de l’olivier ont connu de profonds bouleversements depuis le xix^e siècle et ont failli disparaître sous le coup de la modernisation agricole ainsi que des crises économiques et climatiques qui ont affecté ces deux cultures. Toutefois, des terroirs comme celui de Bandol ont maintenu cette association culturale traditionnelle qui enregistre aujourd’hui un réel renouveau. Le souci croissant des sociétés contemporaines pour leurs paysages aboutit à une volonté accrue pour préserver des paysages agraires devenus un patrimoine recherché et valorisant. Ce processus tend à faire renaître un élément traditionnel des paysages méditerranéens au profit d’une complémentarité dans les domaines viticoles et dans les espaces urbanisés. La vigne et l’olivier contribuent donc largement à une mise en scène paysagère qui valorise et pérennise les activités agricoles locales. L’association vigne/olivier est aussi le moyen d’interroger le modèle agricole spécialisé et intensif au profit d’une approche diversifiée, plus agroforestière et respectueuse de l’environnement.

Fig. 1. Bloc-diagramme du paysage provençal des oulières et outins. [Amouretti et Comet, p. 137]

Fig. 2. Les paysages viticoles, oléicoles et mixtes (vigne/olivier) en France méditerranéenne. [Angles, 2014, p. 18]

Fig. 3. Les espaces viticoles en association avec l’oléiculture dans quatre communes de l’aire AOC de Bandol en 2011. [Angles, 2014, p. 29]

Fig. 4. Les oliviers décoratifs autour du domaine Ott dans la commune du Castellet (Var). [Angles, 2011]

Fig. 5. Vue aérienne d’une nouvelle zone de culture associant vignoble et oliveraies dans la commune du Castellet (Var). [André Humbert, programme PATERMED, 2012]