Les lois de la table
|Deuxième partie. Les circuits de la patrimonialisation juridique de l’alimentation
Les indications géographiques, un lien alternatif pour la protection du patrimoine culturel immatériel au Brésil
Texte intégral
- 1 Welge Gonçalves Marcos Fabrício. Propriedade Industrial e a proteção dos nomes geográficos. Indica (...)
1L’indication géographique (IG) est connue comme un actif incorporel exclusif et collectif1 qui se situe dans le droit de la propriété industrielle et couvre les sous-figures de l’indication de provenance et de l’appellation d’origine (AO), lesquelles constituent par conséquent des institutions de droit industriel.
- 2 INPI, http://www.inpi.gov.br/noticias/inpi-concede-indicacao-geografica-para-queijo-e-amendoas-de- (...)
2Au Brésil, l’organisme administratif chargé d’accorder l’enregistrement de l’IG, à savoir l’Institut national de la propriété industrielle (INPI), conceptualise l’institution et déclare qu’elle permet de délimiter une zone géographique avec restriction de l’usage du nom aux producteurs et fournisseurs des services dans la région qui sont généralement organisés en entités représentatives2, telles que les coopératives. Elle est utilisée pour identifier l’origine des produits ou des services lorsque le lieu est connu ou lorsqu’une certaine caractéristique ou qualité du produit ou du service est due à son origine.
3En dépit d’une évolution législative internationale moderne et acceptable, les AO manquent d’un traitement systématique de la part de la doctrine qui traiterait d’une étude globale des antécédents, de ses statuts juridiques et des perspectives dans le futur de la figure notamment dans les accords de libre-échange. Pourtant, c’est un outil fondamental et de transcendance économique et sociale dans le monde actuel. En effet, l’accréditation des qualités distinctives des produits et services sur le marché acquiert un rôle fondamental dans la concurrence et l’AO accordée révèle une sorte d’image, une carte de présentation dans le scénario international de l’économie atteint par le pays en question et de forte poussée dans l’objectif d’augmenter les exportations de ses produits et services identifiés avec ce titre, tout en renforçant le commerce international.
4D’un point de vue plus général sur le territoire européen, la régulation de ce continent met en évidence un traitement différencié des exploitations viticoles, les séparant des autres productions agroalimentaires, les dotant d’un instrument juridique de portée européenne. En Amérique latine, un timide réveil semble s’inquiéter d’une culture de plus grande valorisation des IG qui marche au rythme des négociations des accords de libre-échange, très prisés aujourd’hui comme mécanisme de consolidation des pays sur le marché international.
5En ce qui concerne les IG, un intérêt public se démarque aussi, comme prévu dans le cas du Brésil dans sa Constitution nationale dans son article 5, sous-section XXIX, en conformité avec les dispositions de la loi sur la propriété industrielle du même pays, dans son article 2.
6Bien que la désignation constitutionnelle des « auteurs d’inventions industrielles » comme les seuls sujets pour l’utilisation de ce privilège ne soit pas très heureuse, la condition imposée que l’utilisation et la protection doivent coïncider avec les besoins sociaux et de développement particuliers du pays mérite d’être soulignée, lesquels ne sont pas minimes dans la mesure où c’est un pays en développement (PED) dont nous allons traiter.
7Malgré les efforts juridiques déployés pour protéger la question, la législation est encore précaire et est rejetée à cause de l’octroi du registre par l’organe administratif, l’INPI, et il y a de fortes critiques dans la doctrine. En plus d’avoir une législation malheureuse sur le sujet, d’autres problèmes se détachent, comme l’absence de mécanismes appropriés pour la mise en œuvre des IG sur leur territoire et leur projection ou leur expansion à l’étranger et dans le commerce international. Il n’existe pas non plus d’organe institutionnel compétent chargé de sauvegarder et de protéger les intérêts des titulaires.
8Dans un effort institutionnel considérable dans ce pays a été signé le Règlement d’utilisation du nom géographique qui consiste en un document d’utilisation obligatoire pour demander le registre d’une IG et qui contient les règles approuvées par la communauté des producteurs ou des fournisseurs de services qui utilisera l’IG prévue. Le document décrit la typicité du produit, en soulignant les principales caractéristiques et en sauvegardant le lien avec l’origine géographique. Il existe soixante-six règlements sur l’utilisation des IG, enregistrés auprès de l’INPI, tant nationaux qu’étrangers, qui constituent le plan qui vise l’efficacité opérationnelle de l’INPI.
Le patrimoine culturel immatériel et sa relation avec les signes distinctifs, un lien possible
- 3 Loi no 9279 du 14 mai 1996 (loi sur la propriété industrielle) : « Article 2. Dans l’intérêt de la (...)
- 4 Barbosa Borges Denis et al., Direito da Inovação, 2e éd., Río de Janeiro (Brésil), Lumen Juris, 20 (...)
9À propos du thème du patrimoine culturel immatériel (PCI) alimentaire et son lien avec la figure de l’IG à l’étude, il sera pertinent précisément en fonction de l’intérêt public qui traite intrinsèquement cette dernière figure, englobant à la fois des facteurs sociaux et technologiques, lesquels seront décrits plus tard. La particularité brésilienne de les considérer comme des facteurs conditionnant l’existence de l’octroi de la protection prévue pour les institutions énumérées est soulignée dans l’article 2 de la loi sur la propriété industrielle3. Ainsi, cette fonction prévaudra toujours sur l’intérêt « égoïste et exclusif inhérent aux droits de propriété intellectuelle4 ».
10Tout d’abord, dans le cas des IG, le fondement de leur protection et de leur contrôle du point de vue social réside dans la sécurité que les produits et services avec une IG apportent au consommateur, dans le cadre de ses droits, ainsi que la protection du produit et du producteur contre la concurrence déloyale.
11Deuxièmement, on souligne le rôle qu’elle joue en tant que facteur du développement social, technologique et économique des petits producteurs, en respectant pleinement le but de la propriété industrielle de tout pays qui la reconnaît et la protège.
- 5 Ribeiro de Almeida Alberto, AAutonomía Jurídica da Denominação de Origem, Coimbra, Coimbra Editora (...)
12Sur le plan social international, les membres de la doctrine ont reconnu l’AO et en elle-même l’IG en tant qu’instruments au service de l’achèvement du marché commun et d’une politique agricole commune (PAC), reconnaissant les deux institutions comme partisans d’une mondialisation et d’une intégration régionale, avec une perspective transnationale5.
13Enfin, est évidente une conséquence de cet intérêt social reflété dans la préservation du patrimoine culturel d’un pays ou d’une région, intérêt partagé avec le titre conféré par l’UNESCO dans sa liste représentative qu’elle accorde au PCI et qui vise à éviter une dépersonnalisation de celle-ci dans chaque pays demandeur.
Deux cas : l’expérience mexicaine et le but social du Brésil
- 6 Selon l’UNESCO, pour la France, il s’agit d’un repas festif dont les convives pratiquent, pour cet (...)
- 7 Tel est le cas du pain aux épices fabriqué dans le Nord de la Croatie.
- 8 Parmi les reconnaissances, citons la technique de conservation et d’assaisonnement coréen appelée (...)
14En qui concerne les repas, seules les cuisines traditionnelles japonaise, française6 et mexicaine, ainsi que le régime méditerranéen (Chypre, Croatie7, Espagne, Grèce, Italie, Maroc et Portugal), ont été déclarés patrimoine immatériel alimentaire de l’humanité par l’UNESCO8. Ceci révèle en conséquence un ensemble et une série de connaissances, rituels, traditions, pratiques, procédures et symboles d’élaboration traditionnelle spécifique, sans entrer dans le détail de sa valeur nutritionnelle mais mettant en évidence des facteurs tels que la pêche et l’élevage, sa conservation, sa transformation et une méthode spécifique de cuisson, de présentation et de consommation des aliments dans un cadre d’échange social et de communication parmi les sujets concernés. Même la pratique est évaluée dans l’intention de promouvoir la consommation d’ingrédients naturels locaux qui sont transmis dans la famille de génération en génération.
15La cuisine mexicaine a un point fort qui réside dans l’utilisation d’ingrédients anciens et ancestraux, avec une abondance d’épices, et a été déclarée PCI par l’UNESCO, désignant en 2010 la cuisine traditionnelle mexicaine comme culture communautaire ancestrale et vivante. La liste représentative du PCI l’inclut sous ce nom : « la cuisine traditionnelle mexicaine – culture communautaire, ancestrale, populaire et actuelle. Le paradigme de Michoacán ». Elle a été déposée et déclarée en conséquence en tant que modèle culturel global comprenant l’agriculture, les pratiques rituelles, les anciennes compétences, les techniques culinaires ainsi que des coutumes et des modes de comportement communautaire ancestraux grâce à la participation du peuple à l’ensemble de la chaîne alimentaire traditionnelle de la plantation et la récolte jusqu’à la préparation culinaire et la dégustation. Les éléments de base du système sont le maïs, les haricots et le chile. Les méthodes sont uniques en leur genre : la milpa (rotation des cultures de maïs et d’autres plantes, avec brûlis de la terre) et la chinampa (culture d’îlots artificiels dans les zones lacustres). Les procédures pour la préparation des aliments sont très particulières ; citons la nixtamalización composée du maïs décortiqué avec l’eau de chaux pour augmenter sa valeur nutritive. Enfin, d’autres ingrédients indigènes comme les tomates de différentes variétés, les citrouilles, les avocats, le cacao et la vanille sont ajoutés aux produits alimentaires de base. C’est ainsi que la cuisine mexicaine devient très élaborée et chargée de symboles : la tortilla et les tamales consommés tous les jours font également partie des offres qui sont faites dans les fêtes traditionnelles tel le Jour des morts (Día de muertos).
- 9 UNESCO, https://ich.unesco.org/es/RL/la-cocina-tradicional-mexicana-cultura-comunitaria-ancestral- (...)
16Géographiquement, dans l’État de Michoacán comme dans d’autres localités mexicaines, il y a des groupes de cuisiniers et d’autres personnes qui pratiquent les traditions culinaires consacrées à l’amélioration des matières premières et de la cuisine traditionnelle. La caractéristique est que les connaissances ainsi que les techniques sont l’expression de l’identité communautaire et permettent de renforcer les liens sociaux et de consolider le sentiment d’identité aux niveaux national, régional et local. Ainsi, parmi les efforts qui ont été déployés au Michoacán pour préserver la cuisine traditionnelle, son importance en tant que moyen de développement durable ressort également9.
17Les différents éléments qui composent cette cuisine et les différentes étapes qui l’intègrent, en particulier celle pratiquée au Michoacán, démontrent la particularité ainsi que la singularité et la spécificité de la cuisine mexicaine. Celle-ci se combine dans ses éléments, en s’entrelaçant dans ses différentes étapes, dès la récolte aux techniques de préparation culinaire faite par des femmes, en passant par l’utilisation d’ingrédients ancestraux tout aussi traditionnels pour réaliser la présentation symbolique chargée de rites. Tout cela même s’opère avec un grand soin de l’environnement et dans un ensemble promu par le Conservatoire de culture gastronomique mexicaine, lequel a mérité la reconnaissance du PCI accordée par l’UNESCO en 2010, selon le document d’enregistrement intitulé 5. COM 6.30 par lequel s’est prononcé à cet égard son Comité intergouvernemental de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel.
- 10 Ibid.
18Bref, l’originalité de la cuisine mexicaine, sa diversité, sa capacité de cohésion sociale et de transmission des habitudes, des valeurs et des connaissances au fil du temps donnent une sédimentation profonde dans la société et constituent l’essence de sa tradition. Cela peut être largement documenté ainsi que justifié comme digne d’une reconnaissance en tant que patrimoine intangible nécessitant protection et préservation dans le monde de la globalisation10.
19La liste représentative du PCI de l’UNESCO, dans le cas mexicain, est intégrée par ces titres :
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Les fêtes indigènes dédiées aux morts (2008) ;
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Les lieux de mémoire et traditions vivantes du peuple Otomí-Chichimecas de Tolimán : la Peña de Bernal, gardienne d’un territoire sacré (2009) ;
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Les Parachicos dans la fête traditionnelle de janvier à Chiapa de Corzo (2010) ;
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La Pirekua, chant traditionnel des P’urhépecha (2010) ;
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- 12 Le mariachi et la charrería sont aussi des points d’intérêt et d’étude.
La cuisine traditionnelle mexicaine – culture communautaire, vivante et ancestrale. Le paradigme de Michoacán (201012).
- 13 Dans le présent article, il existe un désaccord dans l’identification de l’intérêt social avec l’i (...)
- 14 Carvalho da Rocha Porto Patrícia, Quando a Propriedade Industrial representa qualidade : Marcas Co (...)
20Reprenant maintenant l’intérêt public de l’IG et sa relation avec les droits des consommateurs, au sein de cet intérêt a été mentionné ci-dessus le but social qui lie ces IG avec de tels droits au Brésil13. Il trouve une base juridique constitutionnelle dans les articles 5, sous-section XXII, et 170, sous-section V, ainsi que dans le Code de protection du consommateur dans ses articles 2, 6 et 81 qui protègent les droits diffus, collectifs et individuels homogènes des consommateurs. La mise en place d’un mécanisme juridique de protection et de contrôle des IG permet de protéger ces droits14.
- 15 Ibid., p. 179.
21Les problèmes qui sont constamment causés par les aliments font que la revendication par les consommateurs est fréquente en ce qui concerne la qualité, la disponibilité et l’étiquetage des informations sur le produit et son origine, y compris le processus d’élaboration, autant de facteurs déterminants lors du choix et de l’acquisition. Ceci a rendu les producteurs plus sensibles à ces demandes du public acheteur, surtout les petits producteurs, qui ont su adapter leur production aux nouveaux besoins du marché consommateur, devenant de plus en plus demandés et leurs produits plus valorisés économiquement dans la compréhension que leurs consommateurs pouvaient plus facilement connaître l’origine du produit, la méthode de fabrication et les types de matières premières utilisées dans la composition. Les clients sont devenus plus confiants grâce à des produits ayant ces caractéristiques15 générant une chaîne de production continue et stable et un modus vivendi traduit en une sorte de coexistence directe entre le producteur et le consommateur. Cette dernière est caractérisée par la confiance et la proximité entre les deux parties, un traitement différencié, la crédibilité et la fiabilité et, par conséquent, l’obtention d’un résultat supérieur à la production, aux soins et à la commercialisation de masse, y compris la livraison en mains propres au consommateur, dans certains cas, par le producteur lui-même. Ce fut le cas dans des pays pionniers tels que la France, l’Italie, l’Angleterre, les États-Unis et des PED comme le Brésil et le Mexique.
- 16 Ibid., p. 181.
22En second lieu a été introduite l’idée de fonction exercée par l’IG en tant que facteur de développement social, technologique et économique des petits producteurs et des petites exploitations agricoles. Il faut garder à l’esprit que ceux-ci ont eu des revers comme les mises à jour qui ont supporté progressivement et en continu l’agro-industrie avec le progrès technologique dans ce domaine, ainsi que le progrès de la science, de plus en plus professionnelle, industrialisée, en vue de devenir plus globale. Les petits agriculteurs ont été contraints de prendre des petites mesures : la concentration des ressources sur les marchés de niche ; la spécialisation de ce qu’ils produisent ; la connexion de la production avec la région d’origine et avec des facteurs naturels et humains ; davantage d’informations sur la méthode de fabrication ; les informations des composants et l’addition des valeurs culturelles dans la fabrication de produits afin d’avoir un résultat unique et d’entraîner une histoire, avec une valeur économique ajoutée éveillant l’intérêt des consommateurs en raison d’être uniques, différents et spéciaux. Comme résultat de ces caractéristiques de distinction, protection et contrôle gagnées par le titre d’IG, on a obtenu que les plus petites propriétés productrices, avant dévalorisées, deviennent des zones de grande croissance économique, sociale et technologique16, selon les dispositions légales énoncées dans le pays. Ceci rejoint la tendance mondiale avec une chaîne en évolution, auto-motivée constamment et qui se traduit, enfin, par l’amélioration de la qualité de vie du fait d’être une sorte d’influence sur l’amélioration de la santé de la région ainsi que du tourisme et des conditions de logement de ses habitants.
23La dernière des fonctions sociales de l’IG a un lien avec la préservation du patrimoine culturel d’un pays ou d’une région, où il trouve convergence et homonymie des intérêts avec le titre de PCI qui a été mentionné auparavant. Le patrimoine culturel national est répertorié comme une garantie prévue aux articles 215 et 216 de la Constitution fédérale brésilienne qui signalent la protection et la valorisation par des lois spécifiques ainsi que l’accès par sa population ; il est de la responsabilité du gouvernement d’assurer cette protection et son accès.
24La même norme établit que le patrimoine culturel est cette manière de créer, de faire et de vivre dans un lieu spécifique et qu’il appartient à l’État et aux citoyens de le promouvoir et de le préserver. Les IG sont un moyen. La déclaration du PCI par l’UNESCO est par conséquent un autre moyen de préserver à la fois le patrimoine et son histoire pour qu’ils restent vivants.
- 17 Ibid., p. 186-187.
25Selon les mots de Carvalho da Rocha Porto, les IG, de façon synthétique et de manière spécifique, remplissent une fonction sociale lorsqu’elles servent le but pour lequel elles ont été conçues, à savoir : « […] préserver le patrimoine culturel et historique, la culture, l’identité et la manière de créer, de faire et de vivre des peuples de la région protégés par le signe distinctif17. »
26Quant au PCI, il se produit de la même manière et l’intention de sa préservation circule dans le même sens : s’incarner dans une mémoire vivante, dans une action constante de soin, de pratique et de préservation. Cependant, les potentialités de ces signes distinctifs en tant que véhicules pour protéger ce patrimoine, leurs véritables efficacités, doivent être analysées.
- 18 Le Panama a choisi d’approcher l’OMPI et, par conséquent, l’institution a envoyé des experts spéci (...)
27Pourtant, le retard excessif dans le traitement de la procédure d’un tel titre devant l’UNESCO a été dénoncé, institution qui actuellement admet seulement deux demandes par an18. Par ailleurs, le titre conféré ne sert qu’à une reconnaissance, sans impliquer ou stimuler un bénéfice économique pour le propriétaire et sans assurer les garanties qu’il semble conférer, mais au contraire, il se limite à des exigences strictes pour sa conservation. En fait, l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) est la seule institution qui s’est préoccupée du profit et de la promesse de prospérité économique vis-à-vis des détenteurs de signes distinctifs et du PCI, lequel, selon les fonctions de l’UNESCO, se tournerait plutôt et simplement vers la préservation, la non-extinction de l’objet protégé. Il existe en fait à l’OMPI un comité intergouvernemental chargé de cette tâche.
28Un autre problème est l’existence majoritaire de la doctrine sociologique et anthropologique mais non juridique, spécialisée dans la propriété intellectuelle sur le PCI. Peut-être que le moyen serait de ne pas rester dans le schéma et de chercher une protection alternative qui va au-delà, avec des directives réglementaires convergentes entre les deux figures et attentives de ce fait aux points de vue plus encourageants pour la commercialisation des produits et services protégés par l’un ou l’autre titre.
- 19 SENESCY, https://www.educacionsuperior.gob.ec/wp-content/uploads/downloads/2015/06/ingenios.pdf (c (...)
29Le cas du Code organique de l’économie sociale des connaissances, mieux connu sous le nom de Código Ingenios, de l’Équateur sert d’exemple de paradigme. C’est un code pionnier démocratiquement construit par différents acteurs de la société couvrant onze principes, dont le dernier est celui qui nomme les peuples et les nationalités avec le droit à leur connaissance : le savoir traditionnel est également source de richesse pour la communauté scientifique et, par conséquent, les peuples et les nationalités auront le droit de décider de leurs connaissances19.
Une dégustation brésilienne : la Cachaça et l’Acarajé
30Des nombreuses critiques dans la doctrine du décret présidentiel qui a institué la Cachaça comme IG, pour l’ambiguïté qu’il présente, lui reprochent aussi d’être une législation précaire depuis longtemps en raison de l’absence de réglementation en plus d’un manque de mécanismes efficaces de mise en œuvre de l’IG sur le territoire et sa nulle projection ou expansion à l’étranger et dans le commerce international.
31Ainsi, en vertu du décret no 4602, en 2001, les expressions « Cachaça, Brasil » et « Cachaça do Brasil » ont été définies comme IG afin de lutter contre l’utilisation abusive de telles formules sur le marché international, conformément aux dispositions de l’Accord ADPIC et la propre législation nationale. Elle a été réglementée pour son utilisation seulement en octobre 2016.
32La critique réside principalement dans le non-respect des dispositions de la loi sur la propriété industrielle nationale, la loi 9279 de 1996, puisque l’expression ne fait référence à aucune région géographique.
- 20 Locatelli Liliana, Indicações geográficas. A proteção jurídica sob a Perspectiva do Desenvolviment (...)
33Par ailleurs, il n’a pas été accordé par l’organisme administratif habilité à cet effet, à savoir l’INPI, à la demande des producteurs ou fournisseurs de services. Ainsi, dans ce cas, il semble que la voie choisie était contraire : préalablement on protège l’expression et c’est après que les potentiels titulaires sont nommés pour l’utiliser20. Par conséquent, la protection n’a pas été faite strictement selon les propres termes de propriété intellectuelle, et encore moins d’une AO, dans une stratégie peu judicieuse qui ne semble pas attirer ni une plus grande demande ni la confiance des consommateurs au sujet de leur origine. Le nom enregistré menace également d’être utilisé pour toute sorte de rhum produit dans une région quelconque au Brésil. Il risque donc d’être employé d’une manière générale.
34Dans la région nord-est du Brésil, les potentiels IG parmi lesquelles on dénombre l’artisanat, comme la serviette en fibre de noix de coco et dentelle d’Alagoas, et les aliments et boissons typiques, tel le Cupulate, les liqueurs exotiques et la Cocada baiana, ajoutent une valeur incalculable au patrimoine brésilien.
35Dans le cas de l’Acarajé, recette typique de l’État brésilien de Bahia, il intègre la liste auxiliaire de produits de l’INPI. Il devient une fusion de la culture africaine avec le Nord-Est du Brésil. Sa particularité est d’être le résultat des traditions ancestrales liées aux traditions religieuses afro-brésiliennes, parmi lesquelles le candomblé, issu de causes mythologiques ancestrales liées à l’offrande aux dieux, faisant partie de l’ethnographie de la région décrite, avec des particularités en conséquence anthropologiques, sociales, culturelles, sociologiques et de syncrétisme religieux. Actuellement, il est consommé avec une autre nomenclature en Afrique de l’Ouest, avec de légères adaptations. Introduit par les Arabes en Afrique, il arrive au Brésil pendant la traite atlantique des esclaves.
- 21 Tous ses ingrédients ne sont pas produits exclusivement dans la région et ne tiennent pas compte d (...)
36La façon dont il est présenté a également ses propres caractéristiques car il est vendu dans un conteneur appelé « tabuleiro da baiana ». Certains de ses ingrédients sont typiques de la région de Bahia mais pas tous de sorte que, à ce jour, l’Acarajé ne bénéficie d’aucune protection de l’UNESCO, non plus en tant que signe distinctif en vertu des réglementations sur la propriété intellectuelle en vigueur au Brésil21. Cependant, le déni de sa condition sous de simples arguments est en doute.
37La liste représentative de l’UNESCO du PCI du Brésil est composée :
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du Círculo de Capoeira (2014) ;
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du Círio de Nazaré ou la procession de l’image de Notre-Dame de Nazareth dans la ville de Belém, Pará (2013) ;
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du Frevo ou l’art du spectacle de carnaval de Recife (État du Pernambouc) (2012) ;
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du Yaokwa ou le rituel du peuple Enawenê-Nawê pour le maintien de l’ordre social et cosmique de Mato Grosso (2011) ;
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du musée vivant du Fandango (2011) ;
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des expressions orales et graphiques des Wajapi (État d’Amapá) (2008) ;
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de la Samba de Roda du Recôncavo de Bahia (2008).
- 22 UNESCO, https://ich.unesco.org/es/estado/brasil-BR?info=elementos-en-las-listas(consulté le 11 jui (...)
38Chaque année, le programme national du patrimoine immatériel du Brésil appelle à un concours national de projets en vue de favoriser et de soutenir les initiatives tout comme les pratiques de la société brésilienne liées à la sauvegarde du PCI. Les projets doivent inclure la participation de la communauté et des groupes intéressés, promouvoir l’intégration sociale et améliorer les conditions de vie des créateurs et des gardiens de ce patrimoine ainsi que respecter les droits individuels et collectifs. La sélection des projets est effectuée par le département du Patrimoine immatériel de l’Institut national du patrimoine historique et artistique (IPHAN) situé à Brasilia et est réalisée par un comité de spécialistes du pays. En bref, il s’agit d’un modèle de financement et de promotion des initiatives de la société civile visant à sauvegarder le PCI22.
39Fait et conduit correctement, ce programme semble être un autre moyen d’obtenir une plus grande protection du sujet dans un pays qui mérite de jouir de plus nombreux titres auprès de l’UNESCO.
40L’analyse effectuée permet de déduire que la protection accordée par les signes distinctifs étudiés avec leurs différentes régions potentiellement enregistrables a une force centrifuge qui affecte la figure du PCI, qui n’est que la réflexion sensible des terrains qui font partie de la richesse nationale autochtone d’une nation. Nous sommes face à un double axe et une tâche : la promotion de l’économie ainsi que la protection et la mise en évidence du patrimoine culturel, historique et même environnemental d’un pays.
41Le problème réside dans le fait que pendant des années ont été oubliées la situation d’avantage concurrentiel accordée par l’IG comme figure typique de la propriété intellectuelle et son implication intrinsèque de catapulter les pays par une offre non seulement de produits qualifiés – avec des particularités qui en plus agissent comme une « bannière » pour présenter la richesse qui les identifie dans le commerce international et la propriété industrielle typique –, mais également de produits représentant une voie efficace et interdépendante avec le PCI, dans une sphère et un scénario supranationaux.
42Les IG sont un moyen de parvenir à un meilleur positionnement économique et géographique et la déclaration expresse du PCI par l’UNESCO est le moyen de préserver à la fois le patrimoine et l’histoire d’une région, afin qu’ils restent vivants. Néanmoins, les potentialités des signes distinctifs en tant que véhicules pour protéger tel patrimoine, c’est-à-dire leur véritable efficacité, doivent être analysées.
43Une IG implique une garantie de qualité, mais aussi un puissant outil de positionnement dans le domaine du commerce extérieur. Malgré les efforts juridiques déployés pour protéger cette institution, dans le cas du Brésil, la législation n’est pas toujours très heureuse et est soutenue par l’octroi de l’enregistrement par l’organe administratif, l’INPI, avec de fortes critiques doctrinales. En outre, d’autres problèmes se détachent : l’absence de mécanismes de mise en œuvre réussis sur son territoire, son exploitation, sa projection et son expansion dans le commerce international, malgré les excellents résultats obtenus par les détenteurs des quelques registres nationaux existants. Il n’y a pas non plus d’organisme institutionnel compétent chargé de veiller aux intérêts des titulaires, lesquels sont liés au strict respect des conditions existantes et des caractéristiques spécifiques en vertu desquelles l’IG a été accordée pour un produit ou un service donné.
44Le plus remarquable est sans doute la dernière des fonctions sociales de l’IG telle qu’elle a été décrite et qui concerne la préservation du patrimoine culturel d’un pays ou d’une région, point où elle trouve convergence et homonyme d’intérêts avec le titre de PCI. Le patrimoine culturel national est répertorié comme une garantie prévue aux articles 215 et 216 de la Constitution fédérale brésilienne qui prévoit la protection et la valorisation par des lois spécifiques ainsi que l’accès par sa population. Par conséquent, la norme établit que le patrimoine culturel est cette manière de créer, de faire et de vivre dans un lieu spécifique et qu’il appartient donc à la fois à l’État et aux citoyens de le développer et le préserver à travers des politiques publiques de promotion sous protection constitutionnelle.
45En ce qui concerne spécifiquement le PCI, il se produit de la même manière et l’intention de sa préservation circule dans le même sens que les signes distinctifs : s’enfermer dans une mémoire vivante, dans une action constante de soin, de pratique et de préservation.
46La critique soutient la faible admissibilité et le retard excessif dans le traitement de la procédure d’un tel titre devant l’UNESCO, outre le fait que le titre conféré ne sert qu’à la reconnaissance, sans impliquer ou stimuler aucun avantage économique pour le titulaire et sans veiller aux garanties qui semblent conférer, exigeant plutôt des conditions strictes pour sa conservation. Du point de vue économique, seule l’OMPI a été institutionnellement soucieuse du profit et de la promesse de prospérité pour les détenteurs de signes distinctifs et du PCI, lequel, à partir des fonctions de l’UNESCO, se tournerait plutôt vers une préservation, une non-extinction.
47Un autre problème est la doctrine précaire spécialisée dans la propriété intellectuelle sur le PCI. Peut-être le chemin consiste-t-il à ne pas s’insérer dans un schéma traditionnel et à chercher une protection alternative avec des orientations normatives convergeant entre les deux figures, respectueuses de points de vue plus encourageants pour la commercialisation de produits et services protégés par l’un ou l’autre titre.
48Enfin, le travail d’un programme national du patrimoine immatériel, réalisé correctement, semble être un autre moyen de parvenir à une meilleure protection du PCI, en particulier dans des pays qui méritent d’avoir plus de titres devant l’UNESCO, comme c’est le cas de nations d’Amérique latine tels le Mexique et le Brésil, en prenant, pourquoi pas, exemple sur les États européens qui ont déjà gagné plus de terrain à cet égard.
49L’objectif du développement d’une nation est un fondement de rang constitutionnel et, par conséquent, la performance publique dans la promotion des institutions décrites est justifiée comme outil pour rendre ce but viable.
Notes
1 Welge Gonçalves Marcos Fabrício. Propriedade Industrial e a proteção dos nomes geográficos. Indicações geográficas, indicações de procedência e denominações de origem, Curitiba (Brésil), Juruá Editora, 2007, p. 39.
2 INPI, http://www.inpi.gov.br/noticias/inpi-concede-indicacao-geografica-para-queijo-e-amendoas-de-cacau (consulté le 7 juin 2018).
3 Loi no 9279 du 14 mai 1996 (loi sur la propriété industrielle) : « Article 2. Dans l’intérêt de la société et compte tenu du développement technique et économique du pays, la protection des droits de propriété industrielle est assurée par : I. la délivrance de brevets d’invention et de brevets de modèle d’utilité ; II. l’enregistrement de dessins ou modèles industriels ; III. l’enregistrement de marques ; IV. la répression des fausses indications géographiques ; V. la répression de la concurrence déloyale. »
4 Barbosa Borges Denis et al., Direito da Inovação, 2e éd., Río de Janeiro (Brésil), Lumen Juris, 2011, p. 11.
5 Ribeiro de Almeida Alberto, AAutonomía Jurídica da Denominação de Origem, Coimbra, Coimbra Editora, 2010, p. 610.
6 Selon l’UNESCO, pour la France, il s’agit d’un repas festif dont les convives pratiquent, pour cette occasion, l’art du « bien manger » et du « bien boire ». UNESCO, https://ich.unesco.org/es/RL/la-comida-gastronomica-de-los-franceses-00437 (consulté le 6 juin 2018).
7 Tel est le cas du pain aux épices fabriqué dans le Nord de la Croatie.
8 Parmi les reconnaissances, citons la technique de conservation et d’assaisonnement coréen appelée « kimchi », le café turc et une ancienne méthode de vinification géorgienne appelée « kvevris ».
9 UNESCO, https://ich.unesco.org/es/RL/la-cocina-tradicional-mexicana-cultura-comunitaria-ancestral-y-viva-el-paradigma-de-michoacan-00400 (consulté le 5 juin 2018).
10 Ibid.
11 Les « voladores de Papantla » ont subi un cas récent de violation de leurs droits parce que l’image a été utilisée par la célèbre Cervecería Moctezuma pour leurs marques, sans leur consentement.
12 Le mariachi et la charrería sont aussi des points d’intérêt et d’étude.
13 Dans le présent article, il existe un désaccord dans l’identification de l’intérêt social avec l’intérêt public parce que, à notre avis, le premier est inséré dans le second, mais pas l’inverse.
14 Carvalho da Rocha Porto Patrícia, Quando a Propriedade Industrial representa qualidade : Marcas Coletivas, Marcas de Certificação e Denominações de Origem, Rio de Janeiro, Lumen Juris, 2011, p. 178.
15 Ibid., p. 179.
16 Ibid., p. 181.
17 Ibid., p. 186-187.
18 Le Panama a choisi d’approcher l’OMPI et, par conséquent, l’institution a envoyé des experts spécialisés dans ce domaine pour assurer la médiation et la protection devant l’UNESCO. Voir UNESCO, http://www.unesco.org/new/es/media-services/single-view/news/panama_unesco_creative_culinary_city (consulté le 28 juin 2018).
19 SENESCY, https://www.educacionsuperior.gob.ec/wp-content/uploads/downloads/2015/06/ingenios.pdf (consulté le 11 juin 2018).
20 Locatelli Liliana, Indicações geográficas. A proteção jurídica sob a Perspectiva do Desenvolvimento Econômico, Curitiba (Brésil), Juruá Editora, 2008, p. 251.
21 Tous ses ingrédients ne sont pas produits exclusivement dans la région et ne tiennent pas compte du facteur de l’environnement durable. En outre, la recette peut varier en fonction des agrégats (carurú, vatapá, crevettes frites et pâte de poivre malagueta frite dans l’huile dendé).
22 UNESCO, https://ich.unesco.org/es/estado/brasil-BR?info=elementos-en-las-listas(consulté le 11 juin 2018).
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