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Les lois de la table

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Isabelle Hannequart

Préface

Abdelkhaleq Berramdane

Texte intégral

  • 1 Brillat-Savarin Jean Anthelme, Physiologie du goût, Paris, Gabriel de Gonet, 1848, p. IX.

1« Le plaisir de la table est de tous les âges, de toutes les conditions, de tous les pays et de tous les jours ; il peut s’associer à tous les autres plaisirs, et reste le dernier pour nous consoler de leur perte1. » J’invite le lecteur à goûter au sel de cet aphorisme, à travers cet ouvrage Les Lois de la table, fruit d’un colloque international organisé au printemps 2018, en bord de Loire, sur la patrimonialisation de l’alimentation.

2Le Val de Loire, ce patrimoine mondial de l’humanité en raison de ses paysages, jalonnés de nombreux châteaux où sont souvent dressées des tables somptueuses comme invitant le visiteur à s’y attabler, était tout désigné pour un tel colloque qui s’est tenu à la Villa Rabelais, du nom de l’illustre Tourangeau, célèbre pour ses écrits où la fête, le boire et le manger se mêlent dans les fameux banquets de Gargantua et Pantagruel. Le Val de Loire, magnifié par un autre auteur tourangeau, Balzac, qui a fait de La Comédie humaine un véritable itinéraire gourmand, multipliant les évocations gourmandes de sa région natale, la célébrant entre autres par ses rillons (Le Lys dans la vallée) et son Vouvray (L’illustre Gaudissart), était assurément le plus propice des endroits pour cette tablée.

3L’endroit, mais aussi le menu, invitent le lecteur de cet ouvrage à s’y arrêter, à apprécier une thématique singulière : la patrimonialisation de l’alimentation, que les convives ont abordée dans sa diversité et sa richesse. En effet, les spécialistes de plusieurs horizons sont convoqués pour cerner une notion, ô combien incertaine, complexe, insaisissable, et nous présenter des exemples de cette patrimonialisation, allant de la semence au vin en passant par la volaille.

4Les convives relèvent que l’expression « patrimoine alimentaire », accolade de deux vocables, est susceptible de plusieurs acceptions. Si la notion d’aliment paraît plus ou moins évidente, à savoir toute substance nutritive du vivant, tel n’est pas le cas de la notion de patrimoine qui, selon le juriste, le sociologue, l’économiste, l’historien, l’anthropologue, le généticien et j’en passe, ne couvre pas forcément la même réalité. Le terroir, la mémoire, la transmission, le savoir-faire se conjuguent avec l’idée de propriété, de bien matériel et immatériel d’une communauté, pour caractériser le patrimoine alimentaire qui, évidemment, dépasse le simple cadre de la gastronomie.

5Le droit alors peut-il, doit-il saisir le patrimoine alimentaire, comme il saisit le droit à l’alimentation ? Le patrimoine alimentaire fait-il partie des droits de l’homme, des droits culturels voire cultuels puisque plusieurs traditions culinaires se rapportent au religieux ? Les participants notent que, en tous les cas, un processus de patrimonialisation de l’alimentation, et particulièrement juridique, est en cours. Certes, le patrimoine alimentaire n’est pas encore reconnu comme tel. Mais, par différents procédés juridiques, émerge cette patrimonialisation, tant au niveau universel qu’aux niveaux régional et national : labellisation, étiquetage, brevetage, IG, AOP, droit à la sécurité alimentaire, droit à la santé, etc.

6L’incursion du droit dans le patrimoine alimentaire, par sa protection, serait en somme une réponse à la disparition des espèces alimentaires, à l’effacement des mémoires collectives des mangers d’antan, à la « macdonaldisation » généralisée ainsi qu’à la production industrielle des aliments et des mets insipides, sans saveur et sans mémoire.

7Mais si le patrimoine alimentaire dans sa diversité et sa répartition géographique est menacé, les règles de sa protection, voire de son appropriation, fruit davantage d’une marchandisation effrénée de ce patrimoine, ne finiraient-elles pas de remettre en cause l’idée même de ce patrimoine, transmissible, ouvert à tous ?

Notes

1 Brillat-Savarin Jean Anthelme, Physiologie du goût, Paris, Gabriel de Gonet, 1848, p. IX.

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