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La créativité culinaire

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Frédéric Zancanaro

Conclusion

Texte intégral

1Au terme de cette recherche sur la construction des œuvres dans l’art culinaire contemporain français, il convient de dresser ses principaux apports et d’envisager ses prolongements possibles. Dans un premier temps, nous présentons partie par partie les éléments s’avérant, à nos yeux, les plus intéressants pour étayer, dans un second temps, une réflexion générale sur le « pourquoi les chefs créent ce qu’ils créent ». Nous évoquons enfin les prolongements de recherches vers lesquels ce travail semble s’orienter et qui s’inscrivent dans la thématique « art culinaire » au sein de la sociologie de l’alimentation.

Les apports de la recherche

2Dans la partie 1, nous avons présenté notre objet de recherche qui est la cuisine savante professionnelle artistique. Dépassant la performance technique et la capacité à reproduire des œuvres esthétiques existantes qui sont les caractéristiques du métier de cuisinier artisan, elle produit des œuvres originales, fruit de la personnalité des auteurs, en rupture avec le paradigme « escoffien ». Le statut de cuisinier artiste professionnel recouvre néanmoins deux postures : celle de créateur et celle d’interprète. Parmi les « grands » cuisiniers artistes depuis la seconde moitié du xviie siècle, il y a ceux qui ont créé de nouvelles œuvres et/ou ceux qui ont interprété avec le plus grand « talent » des œuvres déjà produites en y introduisant une part personnelle d’interprétation (les deux postures pouvant être repérées chez un artiste). Bien que la cuisine populaire présentait un intérêt certain de recherche, elle n’entrait pas dans ce travail. L’expression « art culinaire » renvoie donc à la cuisine savante professionnelle artistique. Dans cette recherche, elle caractérise l’activité légitimée par la critique experte que sont les trois étoiles au guide Michelin, se pratique dans les restaurants qui constituent à ce titre un dispositif d’exposition quotidien, et est le fait en très grande majorité des hommes. Bien que la France soit le pays fondateur de la gastronomie, des tensions scientifiques, artistiques et professionnelles demeurent dans la reconnaissance de la cuisine savante comme activité professionnelle artistique. Les travaux sociologiques sur l’art « oublient » le culinaire, le système des « Beaux-arts » le tient à distance, et les professionnels se considèrent souvent comme de modestes artisans. La mise en évidence de dispositifs symboliques (requalification des actions, ennoblissement des activités, etc.) et concrets (création d’institution, esthétisation, etc.) tout au long de l’histoire culinaire médiévale, moderne et contemporaine, témoigne du passage d’une activité domestique à une activité artistique. Dès lors, en qualifiant la cuisine savante d’art culinaire, il nous importait de comprendre et d’expliquer la construction des œuvres.

3Dans la partie 2, afin de ne pas tomber dans la vision enchantée du créateur, nous avons mis au jour le concept de création dans ses trois acceptions : théologique (faculté de créer attribuée à Dieu), artistique (faculté de produire quelque chose de nouveau et d’original) et humaine (faculté de créer étendue à d’autres personnes que les artistes). Loin d’être isolée du concept de tradition qui fait être de nouveau ce qui a été, la création peut trouver dans la tradition une ressource mobilisable. Même si nous n’avons pas réfuté l’idée qu’une invention puisse être totalement nouvelle, il n’en demeure pas moins qu’elle est en partie le produit de la société : les capacités et les compétences de l’artiste s’enracinent en partie dans la socialisation professionnelle et non dans le don de Dieu. Au-delà de la fonction économique (mise sur le marché de produits ou services renfermant davantage de valeur pour la clientèle) et de son niveau (rupture, incrémentale, fad), l’innovation représente le processus par lequel une nouveauté devient une pratique sociale courante. L’innovation n’est pas la création, elle est un processus de socialisation de la création adossée ou non à la tradition. Tradition, innovation, création ne sont pas dans une relation linéaire mais dans une relation vertueuse où chacune nourrit l’autre. Étudier la construction des œuvres culinaires nécessitait de choisir une voie d’entrée parmi les voies d’entrées possibles. Nous avons fait le choix d’entrer dans l’art culinaire à travers l’offre alimentaire figurant sur les cartes de restaurants tri-étoilés au guide Michelin. Si les cartes utilisées comme outil d’analyse de la production gastronomique et des imaginaires qu’elles sous-tendent a déjà engagées, elles n’avaient jamais servi d’outil de dialogue et de réflexivité avec les chefs et de lieu de lecture de la construction des œuvres. Afin d’appréhender cette construction, nous avons accordé une place à la production, aux œuvres et à la réception. Ce choix qui combine analyse interne et analyse externe nous a conduit à la problématique du processus de production des œuvres culinaires. Cette problématique nous a amenés à adopter une posture compréhensive plutôt qu’explicative. Trois hypothèses ont alors été formulées. Tout d’abord, celle de la socialisation professionnelle : nous avons pensé que le parcours de socialisation professionnelle construisant en partie l’identité professionnelle du chef, joue un rôle non négligeable dans les formes d’innovation identifiées dans les cartes parce qu’il laisse des traces « indélébiles » sur l’individu. Ce parcours, fait d’une formation initiale, d’expériences culinaires et d’expériences professionnelles avant une possible reconnaissance « trois étoiles » dans le guide Michelin, est d’environ 25 ans. Ensuite, celle de l’histoire de vie : l’identité d’un individu n’est pas la seule identité professionnelle, elle est aussi l’identité sociale et culturelle à travers l’histoire de vie. En effet, la socialisation professionnelle est nécessairement une reconstruction de l’individu à partir des éléments intériorisés au cours de la socialisation primaire. Cette dernière se caractérise, d’une part, par sa force et sa rémanence, d’autre part, par sa charge affective et émotionnelle. Par ailleurs, le parcours de vie privée des chefs qui est ponctué d’événements « heureux » et/ou « douloureux », peut les marquer durablement. Enfin, celle de l’interaction avec le monde de l’art culinaire dans l’arène gastronomique : la production artistique des chefs tri-étoilés n’est pas isolée des problématiques des acteurs du monde de l’art culinaire (les fournisseurs, les acteurs institutionnels, les professionnels, la critique, le public notamment). L’artiste cuisinier conçoit des œuvres en interaction avec ces acteurs qui sont des sources d’inspiration mais aussi des ressources et des contraintes pour l’action. Dans la méthodologie que nous avons mise en place pour tester ces hypothèses, nous avons été confrontés à un questionnement d’ordre épistémologique : comment à partir des cartes, rendre objectif l’interprétation des intentions créatives des chefs ? Autant identifier, classifier, ordonner des mets, des appellations à partir d’ouvrages et/ou de menus peut sembler a priori « aller de soi », autant comprendre et expliquer la construction d’œuvres culinaires à partir de cartes de restaurants pouvait paraître délicat car se posait immanquablement le problème de la traduction et de l’interprétation. Pour ce faire, nous avons adopté une double lecture : la première, analytique, consiste à étudier les cartes à partir de l’espace social alimentaire ; la seconde, experte, consiste à partir d’une démarche qui s’inspire de la méthode Delphi, à faire valider la grille de lecture analytique établie (celle-ci se situant à mi-chemin des méthodes quantitative et qualitative). Cette double lecture nous a permis de traduire et d’interpréter les œuvres culinaires présentées dans les cartes (données d’observation). Elle a ensuite été complétée par des entretiens biographiques des chefs (données de discours). Cette phase d’entretien classique in situ a souvent conduit à une dégustation de plats qui s’est prolongée par une phase d’entretien informel avec les chefs. Cette observation participante fait partie des outils mobilisés. Il ne s’agissait pas d’opposer ou de hiérarchiser ces données, mais de les objectiver d’une part, puis de les articuler entre elles d’autre part, afin de comprendre le processus de production des œuvres culinaires.

4Dans la partie 3, nous avons mis au jour les grands principes du paradigme de la nouvelle cuisine depuis son avènement dans les années 1970 : le respect du goût de l’aliment, la simplification des préparations, l’affirmation de la légèreté, la diététique et l’invention. Ce qui fédère ce corpus de principes est la transgression calculée et orchestrée nécessaire à la constitution d’un courant artistique culinaire nouveau, en rupture avec les conventions de la cuisine classique. Ce phénomène n’est pas propre à l’art culinaire, il est observable dans toute l’histoire de l’art. L’affranchissement des règles ouvre un espace de liberté aux artistes, qui leur permet de proposer de nouvelles conventions, qui deviennent à leur tour « les » règles qui seront ultérieurement contestées. Au-delà de sa rupture avec la pensée « escoffienne », la nouvelle cuisine n’a pas pour autant « jeté le bébé avec l’eau du bain » : elle puise dans la tradition pour imaginer de nouvelles œuvres (« interpréter »), elle intègre les produits et les techniques étrangères en les mélangeant avec sa culture culinaire (« métisser »), elle s’intéresse aux savoir-faire populaires en les élevant au rang d’œuvres culinaires (« hisser ») qui rompt partiellement avec le processus hiérarchique descendant, dans un sentiment constant de produire quelque chose qui n’a jamais existé et qui constitue l’essence même de l’art. Ces premiers résultats macrosociologiques ont été prolongés par une catégorisation de la population en types culinaires. Le profil culinaire type de la période 1972- 2012 (PCTP) met en évidence la dominance du « produit », de l’« histoire » et de la « technique » parmi les formes de créations les plus mobilisées par les chefs. Cependant, en observant le profil culinaire type par période (PCT/P), nous avons constaté des variations importantes dans cette mobilisation : les formes renvoyant à la cuisine classique, et donc à la posture d’interprète, que sont l’« héritage », l’« histoire » et la « technique », tendent à diminuer au profit des formes renvoyant à la nouvelle cuisine, et donc à la posture de créateur, que sont le « jeu grammatical », la « rencontre » et le « territoire de vie, voyage ». Enfin, afin de faire émerger des types culinaires de chefs de la période 1972-2012 (TCCP), nous avons scoré les pourcentages des formes de créations. Les résultats obtenus montrent une symétrie entre le groupe des « héritiers » et le groupe des « fondateurs » : un positionnement majoritairement « conservateur » mobilisant l’espace du mangeable « non localisé » pour les uns, un positionnement « avant-gardiste » convoquant principalement l’espace du mangeable « localisé » pour les autres.

5Dans la partie 4, l’approche microsociologique nous a permis de mettre au jour les jeux de mobilités des chefs qui étaient muets dans la partie 3. Même si nous ne reprenons pas tous les résultats obtenus, nous pouvons toutefois souligner deux faits. Initialement constitué de chefs ayant une posture d’« interprète » en 1972 (ce qualificatif a été attribué en raison du fait que les chefs interprètent en grande partie les œuvres de la cuisine classique d’A. Escoffier jusqu’au début des années 1970), l’art culinaire français a progressivement basculé sous la domination de chefs ayant une posture de « créateur », avec l’arrivée de nouveaux chefs, le renouvellement de la critique et le transfert de chefs de type « conservateur » vers le type « avant-gardiste ». Cette dynamique des types culinaires montre que le processus de production des œuvres dans l’art culinaire contemporain français varie en fonction de la socialisation professionnelle, de l’histoire de vie, et des interactions nouées avec le monde de l’art culinaire dans une arène gastronomique. La manière dont les chefs agrègent ces éléments caractérise leur production artistique Ce processus est donc en perpétuel mouvement. Nous avons souhaité in fine montrer que la typologie culinaire des chefs est en lien avec la typologie des signatures esthétiques. La signature esthétique est une composante de la signature culinaire (avec la signature d’énonciation et la signature gustative), qui, associée à la signature scénographique (signature de contexte et signature médiatisation), constitue la signature gastronomique. Ne pouvant embrasser la signature gastronomique dans son ensemble (cela constitue en soi un travail de recherche), nous avons choisi de fournir quelques aperçus de la signature de médiatisation, et dans une perspective heuristique, de mettre en évidence des éléments d’une typologie de signatures esthétiques. Notre réflexion sur la signature esthétique rejoint en cela le questionnement de J.-M. Berthelot sur le texte scientifique. Nous avons caractérisé la signature esthétique par son unicité et son attachement à un auteur (conception et perception) au-delà de la possible interaction avec la brigade. Afin d’en assurer la diffusion, les chefs peuvent mobiliser, à des degrés divers, des médias comme la télévision, le cinéma, les journaux, les magazines, les ouvrages, les sites internet, les blogs, ainsi que la critique experte comme le guide Michelin. C’est à partir du dernier ouvrage d’art de chaque chef que nous avons étudié les types de signatures esthétiques en tentant d’établir un lien avec les types culinaires. Les résultats montrent que les signatures esthétiques « cuisinée » et « cuisinée-superposée » tendent à être la caractéristique des chefs « conservateurs » (G. Blanc, P. Bocuse, M. Haeberlin, B. Pacaud) et « conservateurs modérés » (J.-M. Lorain, R. Marcon), tandis que les signatures esthétiques « superposée » et « juxtaposée » tendent à être la marque des chefs « avant-gardistes » (P. Barbot, M. Bras, P. Gagnaire, A. Passard, A.-S. Pic). Les chefs « avant-gardistes modérés » sont partagés entre une signature esthétique en lien avec le type « cuisiné » pour M. Guérard et A. Ducasse, et une signature esthétique en lien avec les types « superposé » et « juxtaposé » pour G. Passédat et M. Troisgros. Ainsi, le processus de production de l’artiste cuisinier qui est le résultat de la combinaison de sa socialisation professionnelle, de son histoire de vie et de ses interactions avec le monde de l’art culinaire, détermine son type culinaire, et semble être en lien avec la signature esthétique.

« Pourquoi les chefs créent ce qu’ils créent » ?

6Pour comprendre et expliquer le processus de production des œuvres culinaires, nous avons étudié les propriétés sociales incorporées par les chefs (socialisation professionnelle et histoire de vie) et les propriétés sociales objectivées des contextes (interactions). Sans prétendre à l’universel, ces propriétés ont montré que ce processus est multiple et en perpétuel mouvement. En ce sens, la mobilisation du modèle théorique de B. Lahire « dispositionnaliste – contextualiste » nous semble avoir été pertinente : « Comprendre les pratiques ou les comportements (gestes, attitudes, paroles) par une reconstruction des types de dispositions mentales et comportementales incorporées dont sont porteurs les acteurs (produit de l’intériorisation des expériences sociales passées) et des caractéristiques des contextes particuliers (nature du groupe, de l’institution ou de la sphère d’activité, type d’interaction ou de relation) dans lesquels ils évoluent est, à mon sens, la voie la plus juste, la plus complexe et la plus rentable scientifiquement que les chercheurs sont en mesure de mettre en œuvre » (Lahire, 2012, p. 22). Il résume cette théorie qu’il a mise à l’épreuve dans l’étude de l’œuvre littéraire de F. Kafka (Lahire, 2010) par la formule scientifique : « Dispositions + Contexte = Pratiques ». Les dispositions, qui prennent des noms différents selon les auteurs (« propensions », « schèmes », « éthos », « habitus »), constituent l’incorporation par les individus des produits de leurs expériences sociales. Dans le cadre de cette recherche, nous pensons que le « pourquoi les chefs créent ce qu’ils créent » s’enracine dans cette approche épistémologique, car si l’artiste cuisinier crée de nouvelles valeurs, c’est qu’il ne veut pas être réduit à des dispositions, des déterminations. Le contexte présent, c’est-à-dire les interactions qu’il noue avec les acteurs du monde culinaire, l’amène à imaginer des œuvres partiellement ou en grande partie déconnectées des dispositions.

7Partant de la formule scientifique de B. Lahire et des résultats de notre recherche, nous l’avons appliquée à notre objet pour éclairer « pourquoi les chefs créent ce qu’ils créent » : Ressources disponibles + Dispositions (histoire de vie + culinaires) + Contexte (interactions) = Créations culinaires. Convaincu que cette formule n’est pas spécifique au monde de l’art culinaire mais qu’elle s’applique aux mondes de l’art en général, nous avons conçu le tableau suivant (tableau 36) en prenant pour exemples, outre la cuisine, la peinture et la littérature (nous aurions pu choisir d’autres activités artistiques pour illustrer notre propos).

Tableau 36. Variables dépendantes du « pourquoi les chefs créent ce qu’ils créent » ?

Tableau 36. Variables dépendantes du « pourquoi les chefs créent ce qu’ils créent » ?
  • 1  C’est le cas en cuisine après l’apparition du Pacojet qui a renouvelé l’approche des glaces (http: (...)

8L’art qui a la particularité de produire des œuvres matérielles (par exemple un tableau) ou immatérielles (par exemple un opéra), durable (par exemple une sculpture) ou éphémère (par exemple un mets), a besoin en tout premier lieu de ressources. Ces ressources qui peuvent être provisoires (la saisonnalité des produits alimentaires) et/ou évolutives (l’apparition de nouvelles technologies qui modifient totalement ou partiellement les savoir-faire1) sont de deux ordres : les matériaux et les matériels. Tous deux spécifiques à un art, ils constituent des ressources qui sont mobilisées dans les dispositions propres à chaque artiste mais communes à l’ensemble des domaines artistiques (mis à part les techniques qui restent elles aussi spécifiques). L’artiste s’emparant des ressources qui s’offrent à lui (comme nous l’avons souligné, elles peuvent aussi impacter le contexte en cas d’innovation technologique) ou qu’il produit lui-même en partie (un cuisinier peut cultiver ses légumes, un peintre faire ses couleurs, etc.), conçoit des œuvres qui s’adossent de manière plus ou moins distanciée à ses dispositions et au contexte présent. La frontière entre « dispositions » et « contexte » n’est cependant pas si étanche qu’on pourrait le penser puisque les expériences culinaires et professionnelles débutent au cours de la socialisation professionnelle (voire primaire pour les chefs dits « héritiers ») et sont, pour la majorité des cas, continues tout au long de la vie de l’artiste. De fait, le contexte peut être considéré de deux points de vue différents, « en tant que cadre déclencheur de dispositions incorporées, ou bien en tant que cadre socialisateur des acteurs » (Lahire, 2012, p. 26).

9Ainsi, au-delà des matériaux, des matériels et des techniques spécifiques à chaque art, l’artiste, qu’il soit cuisinier, peintre ou écrivain (nous pourrions ajouter sculpteur, musicien, cinéaste, etc.), s’intègre dans une démarche créative commune aux mondes de l’art tout en construisant une démarche personnelle qui mobilise dispositions et contexte présent. Parler de cuisine d’auteur, de peinture d’auteur, de style d’écriture d’auteur, c’est parler de démarche créative commune aux mondes de l’art d’une part, et de démarche créative singulière à l’artiste d’autre part.

10Les entretiens biographiques menés auprès des chefs ne manquent pas de mettre en évidence la formule scientifique proposée :

– « Je crois que la force de ma création […], c’est qu’on avait des convictions avec Gi (son épouse Ginette) qui étaient fortes, on vivait à travers ces convictions, on voulait s’exprimer corps et âme avec ce qu’on avait en intime, dans notre intérieur. C’était pas une profession, c’était faire de la cuisine et de l’hôtellerie, c’était le prolongement de notre façon d’être, voilà »
(entretien du 23 mai 2013 avec Michel Bras).

– « Cette créativité, elle vient d’un malentendu, elle vient d’un malentendu que, qui est à la fois culturel comme je vous l’expliquais ce matin, je me fais chier, il faut que je trouve, il faut que je trouve, il faut que je me construise une aventure qui me passionne, et deux, j’ai des produits, j’habite Saint-Étienne, c’est le « trou du cul » du monde, il n’y pas de culture gastronomique et on n’est ni à la ville, ni à la campagne, et il y a des marchés très, très pauvres »
(entretien du 10 juillet 2013 avec Pierre Gagnaire).

– « C’est peut-être la manière dont on a vécu, subi la vie qui vous marque et qui vous amène vers un besoin d’expression »
(entretien du 9 juillet 2013 avec Michel Guérard).

– « Je suis intimement convaincue que l’on ne peut arriver à faire les choses que si on est complètement forcé à les faire, que si on est dans une situation de détresse, de, où il faut lutter. Je ne pense pas, je pense que si j’avais eu à continuer ma vie de petite fille entourée par sa famille […], accompagnée et guidée par mon père, peut-être que je ne serais pas autant, je n’aurais pas donné autant de moi-même. J’en suis sûre de ça. Je ne serais pas allée chercher et puiser autant de force »
(entretien du 6 décembre 2013 avec Anne-Sophie Pic).

– « J’ai juste les yeux ouverts sur le monde, on va dire les yeux et les oreilles, l’ensemble des sensibilités qui émanent de la curiosité. L’homme qui s’émerveille a les capacités de créer, et en nous, en nous tous, on a tous la capacité à créer, tous. Après il y a la confiance, le style, il y en a qui ont la culture, la connaissance qui conduisent vers des chemins différents »
(entretien du 17 juin 2013 avec Michel Troisgros).

11« Dispositionnalisme » et « contextualisme » éclairent « pourquoi les chefs créent ce qu’ils créent » et conduisent, comme nous l’avons montré dans le dernier chapitre, à catégoriser les signatures esthétiques, et plus largement les signatures gastronomiques des auteurs : « Quand je mange chez Olivier (Roellinger), Olivier est dans l’assiette, je vais chez Pierre (Gagnaire), Pierre il est dans l’assiette, je vais chez les Troisgros, il y a Michel dans l’assiette, tu vois, ça se ressent, je ne sais pas, il y a une signature forte, tu la ressens, il y a des correspondances avec leur culture, avec leur approche de la vie […]. C’est une tranche de toi » (entretien du 23 mai 2013 avec Michel Bras). En cela, une signature gastronomique ne s’inscrit pas dans un fad (engouement), mais se construit avec le temps, adossée à des dispositions nourries par une accumulation de contextes : « Plus l’histoire personnelle est forte, plus l’expression est belle. Parce que ceux qui vont vers le public ou la critique, c’est fadasse » (entretien du 23 mai 2013 avec Michel Bras).

12Pour autant que les dispositions et le contexte présent nourrissent les créations, la peur de la copie blanche demeure très forte chez les chefs rencontrés. Cette peur s’exprime par la formulation de conditions nécessaires pour une création sans cesse renouvelée. Ces conditions sont de deux ordres : d’une part, une précarité qui entre en contradiction avec l’univers luxueux du monde de l’art culinaire, d’autre part, un anticonformisme qui entre en tension avec une forme d’institutionnalisation des chefs.

13S’agissant de la précarité, elle s’exprime chez les chefs de la manière suivante :

– « Gérer une équipe de 40 cuisiniers moi, je ne saurais pas faire, avoir no limit sur le budget de la vaisselle […], no limit sur les produits […], je ne saurais pas faire. Avoir des limites ça canalise un petit peu […]. Je pense justement que c’est un avantage quand on est limité, ça nous force à la créativité »
(entretien du 5 juin 2013 avec Pascal Barbot).

– « Il y a une phrase de Soulages, si j’avais pu l’écrire, celle qui dit : Plus les moyens sont limités, plus l’expression est forte »
(entretien du 23 mai 2013 avec Michel Bras).

– « On est gavé, on est gavé quoi ! Donc si on perd cette faculté à être inventif c’est parce que, on est pollué par tout ça, parce qu’y a trop de choses »
(entretien du 17 juin 2013 avec Régis Marcon).

– « Non, il ne faut pas entrer dans un confort, voilà. Et ça, voilà, c’est ma hantise »
(entretien du 6 décembre 2013 avec Anne-Sophie Pic).

14La crainte des chefs est que le contexte luxueux dans lequel ils évoluent, qui leur permet de disposer de moyens (produits nobles, personnel important, matériels adaptés, etc.) qui n’étaient pas les leurs lorsqu’ils ont débuté, ne leur fasse perdre leur capacité à créer des œuvres originales. Concevoir une œuvre à base de homard et de caviar est à la portée de tout artiste cuisinier tri-étoilés. En revanche, imaginer une œuvre à base d’un oignon ou d’une laitue par exemple qui soit appréciée au plus haut niveau, demande de faire preuve d’imagination. C’est dans ce sens qu’il faut entendre la précarité. Alors que nous aurions pu penser que l’amélioration des conditions de création serait bénéfique à l’invention parce qu’elle supprimait les contraintes matérielles, les chefs ont plutôt peur de perdre une partie de leur imagination par un confort excessif. Le paradoxe est que le monde de l’art culinaire baigne dans l’univers du luxe.

15S’agissant de l’anticonformisme qui se traduit par la nécessité de maintenir une curiosité permanente, les chefs rencontrés l’ont formulé de la manière suivante :

– « Moi, je suis enfant […], je suis vraiment joueur, pour moi la cuisine ça n’a jamais été du sérieux, c’est un jeu, c’est une expression […]. Je découvre le monde tous les jours […]. Cette notion d’émerveillement, je pense que ça commence là la création, cette capacité à voir le monde, à le redécouvrir chaque matin »
(entretien du 23 mai 2013 avec Michel Bras).

– « En fait, ce qui me nourrit, j’ai toujours considéré la cuisine comme une grande rêverie […]. Ce que j’ai gardé, c’est la curiosité. Oui, voilà, elle est essentielle »
(entretien du 6 décembre 2013 avec Anne-Sophie Pic).

  • 2  L’ouvrage de Gaarder, Le monde de Sophie, a été vendu à plus de 25 millions d’exemplaires dans 54  (...)

16Cette rêverie que mentionnent les chefs fait écho à une phrase de V. Hugo : « La rêverie est la vapeur de la pensée » (Hugo, [1840] 2002) ou au propos de J. Gaarder repris par A.-S. Pic lors de notre entretien : « Un lapin blanc sort d’un chapeau haut-de-forme et parce que c’est un lapin énorme, ce tour de magie prend plusieurs milliards d’années. Tous les enfants des hommes naissent à l’extrémité des poils fins de sa fourrure. Ce qui les rend à même de s’étonner de l’impossible tour de passe-passe. Mais en grandissant, ils s’enfoncent de plus en plus dans le creux de la fourrure du lapin. Et ils y restent. Ils s’y trouvent si bien qu’ils n’ont plus jamais le courage de remonter le long des poils. Seuls les philosophes ont le courage de faire le dangereux voyage qui les mène aux frontières extrêmes du langage et de l’existence. Certains retombent dans le fond, mais d’autres s’agrippent aux poils du lapin et encouragent tous les autres hommes qui ne font en bas que boire et se remplir la panse à venir les rejoindre2 » (Gaarder, 1995).

17La volonté de conserver cette rêverie tient à la crainte d’entrer dans un conformisme qui nuirait à la créativité. Le conformisme peut naître d’une forme d’institutionnalisation que constitue l’inscription sur le long cours (plusieurs décennies) dans le guide Michelin. C’est ce qu’exprime A.-S. Pic : « À partir du moment où tu gagnes tes galons, que tu as de la reconnaissance, voilà, tu es institutionnalisée, et finalement ça, c’est dangereux car tu risques de t’endormir » (entretien du 6 décembre 2013 avec Anne-Sophie Pic). Pour prendre la mesure de cette institutionnalisation qu’évoque A.-S. Pic, il faut comprendre le processus qui y conduit. Sans revenir sur ce que nous avons déjà présenté, il convient d’introduire une nuance entre les chefs dits « fondateurs » et les chefs dits « héritiers ». Ces derniers s’approprient la culture familiale au cours de leur socialisation primaire (dispositions) avant de s’en distancier (en partie) en vue de se construire une signature gastronomique. Dès lors que cette signature (elle n’est par ailleurs pas figée comme nous l’avons démontré) rencontre la critique et le public (contexte), une reconnaissance de la critique experte et profane émerge. Cette signature se diffuse alors par des dispositifs que nous avons décrits. Elle tend à s’apparenter à une marque par la longévité dont elle fait preuve (nous avons montré qu’en 2012, les chefs sont en moyenne présents dans le guide Michelin depuis 17,9 ans sans compter les filiations antérieures). Cette longévité est due au fait que la signature gastronomique parvient à créer un espace social autour d’elle, c’est-à-dire un espace autour duquel les acteurs du monde de l’art reconnaissent ses qualités (celles-ci sont de nature à faciliter la transmission intergénérationnelle : c’est le cas de M. Troisgros et de M. Bras entre autres). En ce sens, et comme le souligne F. Godart, « la question de la définition d’un espace social est essentielle pour une marque » (Godart, 2010, p. 89). Par exemple, si on évoque le nom de Bras, il vient à l’esprit le végétal, le minéral et la lumière ; Bocuse, la « tradition française » ; Pacaud, le classicisme épuré ; Passard, les légumes ; Passédat, la Méditerranée ; Troisgros, l’acidulé par exemple. Même s’il est possible de rompre avec les qualités attribuées à la signature gastronomique (c’est ce qu’a fait A. Passard au début des années 2000 en rompant avec les qualités de rôtisseur qui lui étaient attribuées), cela n’est pas sans risque de perdre ses bénéfices. Une partie de ce processus est identifiable dans le propos de M. Troisgros : « Troisgros est devenue une marque. Si c’est devenu une marque, je pense que c’est le temps qui a fait ça […]. Il y a une ancienneté de la maison, et donc c’est un nom sur le marché de la cuisine française qui rayonne quoi en fait, c’est devenu une marque comme Bocuse est devenu une marque voilà, c’est comme estampillé, Troisgros ça parle, ça parle de lui-même c’est comme si c’était écrit en bleu blanc rouge ou gravé dans le marbre […]. Je dirais que mes enfants vont connaître un truc s’ils continuent la maison ici, que moi je n’ai pas connu, moi j’avais un souci de prénom […]. Eux, ils auront à mon avis […], dans la mesure où Troisgros est devenu une marque, il faudra qu’ils soient à la hauteur de la qualité, mais je pense que le nom maintenant est devenu plus haut que le prénom parce qu’il y a l’ancienneté, parce qu’il y a l’intergénérationnel, parce qu’il y a l’international, parce qu’on est devenu une marque, une marque de fabrique » (entretien du 17 juin 2013 avec Michel Troisgros). La figure 89 synthétise ce processus d’institutionnalisation des chefs.

Figure 89. Processus d’institutionnalisation des chefs.

Figure 89. Processus d’institutionnalisation des chefs.

18Ainsi, la tension entre anticonformisme et institutionnalisation des chefs tri-étoilés dans le guide Michelin, traduit une crainte de glaciation possible de leur créativité en ce sens qu’elle fige leur signature gastronomique par les qualités qui lui sont attribuées et reconnues.

19La question « pourquoi les chefs créent ce qu’ils créent » nous conduit à interroger la signification qu’accordent les individus à la création. Elle semble constituer une manière de dire les choses, un langage :

– « La création, c’est une façon de s’exprimer, c’est une façon de s’exprimer, bien entendu oui, complètement » (entretien du 5 juin 2013 avec Pascal Barbot).

– « La création, c’est un langage, c’est un langage, ah ouais. Ah oui, on peut exprimer plein de choses bien sûr »
(entretien du 5 juin 2013 avec Alain Passard).

20Ce langage culinaire rejoint la thèse de P. Francastel selon laquelle l’œuvre est un « langage figuratif » au même titre que tous les autres langages écrits ou parlés : « L’artiste traduit dans un langage particulier, une vision du monde commune à l’ensemble de la société dans laquelle il vit » (Francastel, 1970, p. 8). Ainsi, évacuant ou croyant évacuer cette question au début de notre travail parce qu’elle contenait une dimension essentialiste, voilà qu’elle nous revient avec acuité. Nous n’avions pas perçu qu’elle contenait une dimension sociale : la création d’un espace social. C’est ce que nous ont relaté les chefs :

– « Le combat d’une vie, c’est d’arriver à être soi-même » (entretien du 10 juillet 2013 avec Pierre Gagnaire). « Je ne trouve pas que la vie soit belle et merveilleuse. Je trouve que la vie est une bataille, pour trouver les mots, pour être juste, pour demeurer complètement dans son projet et être bien avec les autres »
(Gagnaire et Flohic, 2011, p. 199).

– « Se dire qu’à travers un plat […] on existe, exactement. Il y a une valeur existentielle […]. Le principe de créer, la création, c’est donner la vie »
(entretien du 1er novembre avec Jean-Michel Lorain).

– « C’est un refuge (silence), c’est un refuge, c’est un euh (silence), c’est une aventure, c’est un partenaire de vie (silence) euh, parce que, oui parfois on n’est pas trop à l’aise ailleurs, ou sur d’autres sujets »
(entretien du 5 juin 2013 avec Alain Passard).

– « C’est même ma raison de vivre quoi je, je, je vis pour ça quoi, je me lève le matin, je, je, euh, j’y pense parfois la nuit, je pense à la cuisine la nuit hein, euh, ça reste un plaisir quoi je veux dire, tant que ça restera un plaisir c’est un peu par nature que je me mets à, quotidiennement, à faire cet exercice »
(entretien du 17 juin 2013 avec Michel Troisgros).

21Ces quelques éléments nous invitent à percevoir la production artistique de mets comme l’expression d’un langage, un langage culinaire spécifique à chaque chef, miroir des dispositions et du contexte présent. Il révèle par là même la création d’un espace social à l’intérieur duquel l’artiste vit.

Les prolongements de recherche

22Les apports de cette recherche éclairent les enjeux économiques, sociaux, politiques, sanitaires et scientifiques de l’activité culinaire artistique professionnelle soulevés en introduction. Notre première tâche a été de décrire cette activité complexe et mal connue qu’est la création dans l’art culinaire. « La description est œuvre scientifique surtout dans un domaine neuf, elle tente d’ordonner le réel » (Poulain, 2002b). Elle constitue à ce titre, une étape essentielle pour engager le dialogue dans et en dehors de la sociologie. Notre seconde tâche a consisté à mettre au point une méthode qui permette de comprendre et d’expliquer le processus de production dans l’art culinaire contemporain français. Nous ne prétendons pas pour autant avoir épuisé cette question.

23Cette recherche nous a donné l’appétit de prolonger le travail dans les trois champs de la sociologie que nous avons mobilisés :

  • Sociologie de l’innovation : la question de la diffusion de la culture culinaire savante vers la culture culinaire populaire (et inversement) n’a été qu’abordée. Une des pistes possibles de prolongement consisterait à observer la pratique culinaire domestique par de l’observation participante pour mesurer comment et sous quelle forme l’art culinaire s’y diffuse. Cette piste questionne également les dispositifs de transmission culinaire (de parents à enfants, par les ouvrages, la télévision entre autres).

  • Sociologie des arts : la question de la légitimation des chefs a été abordée à travers celle de la critique experte (guide Michelin). Cependant, au vu de récents travaux sociologiques, la place de la critique profane dans les dispositifs de jugements n’a cessé de croître depuis les années 2000. Ce développement contribue à conférer une légitimité aux chefs en leur apportant une prompte notoriété qui contraste avec celle apportée par la critique experte. Il nous paraît alors judicieux d’étudier en quoi ce dispositif serait de nature à modifier le fonctionnement de l’art culinaire.

  • Sociologie de l’alimentation : l’inscription du repas gastronomique des Français au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, la « gastronomisation » des cuisines de terroir (Poulain, 2012), la « bistronomisation » des restaurants entre autres, témoignent d’une tendance à « gastronomiser » la cuisine française. À ce titre, il semble intéressant d’étudier en quoi cette « gastronomisation » serait susceptible de modifier le modèle alimentaire des Français.

24Certains prolongements de notre travail se situent au niveau méthodologique. Le caractère original du dispositif de recherche n’est apparu qu’en toute fin. Mon parcours professionnel, mon sentiment de culpabilité à traiter les trois étoiles au guide Michelin, la consommation de mets dit de luxe ont pu être des freins à la perception objective de ce que j’étais en train de produire. L’achèvement de ce travail m’a conforté dans l’idée de mettre la réflexivité de l’acteur sur sa propre production au centre du dispositif de la recherche.

25D’autres prolongements se situent au niveau théorique. Notre problématique semble correspondre au modèle « dispositionnaliste – contextualiste » développé par B. Lahire dans ses travaux. Nous montrons que la production culinaire artistique est le résultat de phénomènes de socialisations, d’interactions dans une arène gastronomique, et de compréhension de ce contexte par les chefs qui s’approprient le système d’actions qui devient alors une ressource pour la création. Cet apport théorique pourrait ainsi contribuer à définir un espace social qu’on pourrait appeler « espace social gastronomique ». Cet espace social gastronomique permettrait de dégager les dimensions de la signature des chefs qui seraient utiles aux scientifiques pour étudier l’art culinaire, aux professionnels pour se positionner « culinairement » et « scénographiquement », aux commentateurs pour disposer de nouvelles catégories d’analyse, et aux formateurs pour initier le public en formation. Ce travail ouvrirait ainsi un territoire à l’analyse de la signature des chefs et des mouvements de tendance. Un programme de recherche pourrait se développer avec une analyse systématique sur la France de toutes les cartes de restaurants étoilés, et avec des outils d’analyse pour essayer de voir les récurrences, l’ouverture, le nombre de plats et le mouvement de fétichisation de T.-W. Adorno pointé par J.-P. Poulain dans le domaine de la gastronomie. Ce programme pourrait aussi être collaboratif et international : France/ Espagne, France/Japon par exemple.

26Il est des terrains d’étude moins agréables que la production culinaire dans les trois étoiles Michelin surtout lorsqu’on a la chance d’y consommer quelques œuvres… Cependant, ma position et les outils mobilisés étaient les mêmes que ceux d’un sociologue qui travaille sur autre objet. In fine, j’ai conscience que la réalité du monde culinaire interrogée est le produit de ma sociogenèse. Comment pouvait-il en être autrement ? Ma socialisation scientifique tardive ne pouvait effacer les dispositions et le contexte présent qui l’ont construite. Elle s’inscrit dans la conception wébérienne de la construction de la réalité sociale qui est une interrogation à partir de points de vue particuliers. Tout comme les chefs étudiés, je me suis emparé de mon histoire et du contexte donné, pour construire quelque chose d’autre, dont ce travail témoigne.

Notes

1  C’est le cas en cuisine après l’apparition du Pacojet qui a renouvelé l’approche des glaces (http://pacoclean.com/?gclid=CKia_5_N6skCFUZAGwodbK4I7Q) ou du bain-marie thermostaté qui a permis d’introduire la cuisson à basse température (http://www.julabo.com/fr/produits/thermostats-chauffants/bains-thermostates).

2  L’ouvrage de Gaarder, Le monde de Sophie, a été vendu à plus de 25 millions d’exemplaires dans 54 pays dans le monde.

Table des illustrations

Titre Tableau 36. Variables dépendantes du « pourquoi les chefs créent ce qu’ils créent » ?
URL http://books.openedition.org/pufr/docannexe/image/27050/img-1.png
Fichier image/png, 163k
Titre Figure 89. Processus d’institutionnalisation des chefs.
URL http://books.openedition.org/pufr/docannexe/image/27050/img-2.png
Fichier image/png, 91k

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