Introduction de la deuxième partie
p. 149-150
Texte intégral
1Avec le Moyen Âge, le christianisme, qui était devenu religion officielle dès l’Empire romain tardif, est le cadre de référence majeur pour penser et juger les comportements alimentaires. La viande est concernée dans la mesure où, en latin (langue de l’Église), elle est désignée par le même terme (caro, carnis) que celui qui sert à caractériser la chair humaine, autrement dit le corps soumis aux appétits et aux désirs sexuels. Alors que le christianisme a très tôt rompu avec les nombreux interdits alimentaires du judaïsme (qui portaient massivement sur la viande), paradoxalement le discours théologique ou canonique se préoccupe beaucoup des prescriptions en matière de consommation carnée. Moins pour prohiber telle espèce ou tel produit (même l’interdit de la viande provenant des animaux étouffés finit par être aboli) que pour limiter la consommation de viande à certains jours de l’année. L’importance du « maigre » (carême, veilles de fêtes, et certains jours de semaine « ordinaires ») subsiste dans les pays catholiques jusqu’à la fin de l’époque moderne, pour lesquels elle est un enjeu et un signe de distinction vis-à-vis des protestants.
2Cependant, aux yeux de la plus grande partie de la population, la viande représente la véritable valeur alimentaire. Dans les moments de fortes contraintes démographiques, il s’agit de consacrer des espaces toujours plus vastes à la culture des céréales, productrices de l’aliment fondamental entre le ve et le xviiie siècle, le pain. Mais que viennent des calamités réduisant drastiquement la population, et les survivants peuvent accéder plus aisément à ce qu’ils préfèrent, c’est-à-dire la viande. Ainsi les grands siècles de famines et de pestes que sont les xive et xve siècles sont-ils aussi les plus carnassiers qu’ait connus l’Europe depuis (et avant) longtemps.
3Afin de satisfaire cette demande, un marché de l’alimentation s’organise, autour de professions hautement spécialisées, comme les bouchers. Le nouvel horizon documentaire ouvert par l’utilisation croissante de l’écrit à des fins pragmatiques permet ainsi de reconstituer les circuits d’approvisionnement – marqués par un souci aigu de ce que nous appelons aujourd’hui la traçabilité – et de comprendre concrètement les techniques de découpe. Celles des bouchers bien entendu, mais aussi celles des écuyers tranchants au service des cours royales et princières – l’autre grand milieu producteur de normes alimentaires, avec l’Église et la ville.
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