Introduction de la première partie
p. 21-22
Texte intégral
1Le lien étroit entre les sociétés humaines et la consommation de viande remonte aux premiers temps de l’hominisation, qui prirent place, comme chacun sait, en Afrique, notamment dans la savane d’Afrique orientale. De très anciens fossiles connus d’homininés (séparés de nos cousins chimpanzés et bonobos il y a environ 7 millions d’années) présentent des signes physiques et biologiques attestant une consommation carnée – probablement à partir de charognes laissées sur place par de grands fauves ou mortes en fin de saison sèche. Avec l’accroissement de la stature, une bipédie renforcée qui autorise la course, l’amélioration des outils qui rend la capture des proies et la préparation des mets plus efficaces, la domestication progressive du feu qui permet de mieux digérer les aliments, cette consommation de viande prend une nouvelle ampleur : certains chasseurs-cueilleurs du Paléolithique sont de grands carnivores, comme l’attestent les analyses isotopiques menées sur les os des hommes de Néandertal, éteints il y a environ 30 000 ans.
2Ces faits sont bien connus. Nous avons choisi de commencer cette histoire de la viande à un moment où l’alimentation carnée ne dépend plus pour l’essentiel des aléas de la chasse ou du charognage mais de l’élevage. C’est à partir de ce moment que se met en place la « filière viande » que nous connaissons encore aujourd’hui, c’est-à-dire celle qui mène de l’élevage des animaux jusqu’à leur consommation, en passant par leur transformation par découpage et cuisson. La construction de cette filière remonte au Néolithique au Proche-Orient, lorsque la domestication d’espèces animales toujours plus nombreuses sécurisa l’acquisition du lait, puis de la viande. Elle s’impose ensuite en Europe de l’Ouest au fil de l’arrivée des populations néolithiques accompagnées des tout nouveaux troupeaux domestiques de bœufs, de porcs, de moutons et de chèvres.
3Mais c’est un peu plus tard, durant la Protohistoire, à la fin de l’âge du fer, que les témoignages archéologiques (os d’animaux abattus dans des contextes domestiques, cultuels, funéraires, outils bouchers et culinaires) deviennent assez nombreux pour autoriser des enquêtes régionales. On sait le formidable enrichissement des méthodes archéologiques qui permettent de « faire feu de tout bois » en documentant finement les pratiques d’élevage, de boucherie et de consommation carnée. Aux données archéologiques s’ajoutent, pour les civilisations qui utilisent l’écrit, les documents pragmatiques transmis par des papyrus, les textes littéraires recopiés souvent dans des manuscrits tardifs, les inscriptions reproduisant lois et règlements. Ainsi est-on en mesure, grâce à ces multiples sources laissées par l’Antiquité grecque et romaine, de clairement comprendre comment s’organise l’approvisionnement en viande destinée aux marchés (une réalité qui s’installe en même temps que des villes stables et de plus en plus peuplées), comment se répartit dans la société la distribution des produits carnés, comment enfin la consommation de ces derniers s’insère dans un réseau serré de prescriptions et d’interdits – singulièrement nombreux, on en conviendra, pour la viande.
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