Chapitre I
L’économie végétale dans les Alpes du nord au néolithique
p. 117-139
Texte intégral
L’alimentation des hommes
Les plantes cultivées
1Les quatre sites analysés dans ce travail ont livré des plantes cultivées en quantité très variable (fig. 18, pl. I et II). Les céréales sont de très loin les plus importantes. Elles constituent la base alimentaire des hommes sur la plupart des sites archéologiques de la région alpine et circum-alpine, dès le début du Néolithique. Leur présence dans les assemblages des sites étudiés semble donc naturelle. Il y a toujours du blé et de l’orge. Plusieurs espèces de blé ont été identifiées : le blé engrain (Triticum monococcum) à la Grande Rivoire, au Chenet des Pierres, aux Balmes et à l’Aulp du Seuil ; le blé amidonnier (Triticum dicoccum) à la Grande Rivoire, au Chenet des Pierres et aux Balmes ; le blé nu (Triticum æstivum/durum/turgidum) à la Grande Rivoire, au Chenet des Pierres, aux Balmes et à l’Aulp du Seuil. Quant à l’orge, elle est à deux rangs ou à six rangs (Hordeum distichum/vulgare) à la Grande Rivoire, au Chenet des Pierres, aux Balmes et à l’Aulp du Seuil, sous forme nue et à six rangs (Hordeum vulgare) au Chenet des Pierres et aux Balmes (grains asymétriques et/ou dont la surface présente des vaguelettes, pl. I, no 2) ou sous forme vêtue à la grotte des Balmes. Le Chenet des Pierres et les Balmes sont les sites les plus représentatifs pour les plantes domestiquées : les céréales y sont nombreuses, et, d’autres taxons, comme le pois cultivé (Pisum sativum) et le pavot somnifère (Papaver somniferum) viennent compléter ce spectre (pl. II).
Fig. 18. Espèces de plantes cultivées identifiées à la Grande Rivoire, au Chenet des Pierres, aux Balmes et à l’Aulp du Seuil, en classes de valeurs absolues selon chaque site et par ordre chronologique.

2Examinons la situation des plantes cultivées d’un point de vue chronologique. Au début du Néolithique moyen, entre 4700 et 4100 av. J.-C., seul le site du Chenet des Pierres fournit un corpus assez important avec plus de 2 000 restes. Les deux autres sites qui ont été occupés pendant cette période, l’Aulp du Seuil et la Grande Rivoire, ont aussi livré des restes de céréales mais en faible quantité : 37 restes pour le premier, 86 pour le second. Leur identification est souvent limitée au type Cerealia. On remarquera toutefois qu’il y a toujours du blé engrain, du blé nu et de l’orge, et que le blé amidonnier est absent. À la grande Rivoire, la présence de céréales dans les « fumiers » de bergerie est discutable, à propos de leur consommation humaine et/ou animale. Nous reviendrons sur cette question.
3Au Chenet des Pierres, l’orge est prédominante, accompagnée du blé engrain, plus discret, et de quelques caryopses de blé nu. Par ailleurs, la présence du pavot somnifère est surprenante. Cette papavéracée est bien connue dans le domaine nord-alpin, où elle apparaît sous forme carbonisée sur les sites de plein air du Néolithique ancien rubané. Au début du Néolithique, on la trouve imbibée sur les sites lacustres et palustres du Plateau suisse, forme sous laquelle elle se conserve le mieux. De récentes expérimentations ont montré que les graines se carbonisent à basse température et qu’elles deviennent très vite fragiles pour se détruire au moindre toucher (Märkle et Rösch, 2008). C’est donc une chance de les trouver au Chenet des Pierres. Le pavot est cultivé pour son latex, source d’opium qui a des propriétés médicinales multiples, notamment pour soulager la douleur et les insomnies. La graine de pavot, seule partie de la plante qui ne contient pas d’alcaloïdes opiacés, donne 50 % d’une huile grasse, l’huile d’œillette (Bevan-Jones, 2009). Les graines sont également employées comme condiment. Dans l’état actuel des connaissances, il n’est malheureusement pas possible de savoir dans quels buts précis le pavot est utilisé au Néolithique, mais des graines ont été retrouvées dans des galettes ou des pains sur des sites néolithiques suisses (Marinval, 2005 ; Merlin, 2003).
4Au Néolithique moyen 2, à partir de 4100 av. J.-C., le site le plus représentatif est encore le Chenet des Pierres, sur lequel le spectre céréalier est dominé par le blé nu, suivi de près par l’orge nue et à six rangs, puis par le blé engrain. L’amidonnier est discret. Une autre plante cultivée présente est le pois, légumineuse riche en protéines. Mis à part une graine retrouvée à la grotte des Balmes, il n’est bien représenté qu’au Chenet des Pierres, même si, comme nous l’avions signalé, la plupart des graines ne sont pas identifiables de façon certaine en raison de la disparition du hile. Le pois a une graine qui se conserve généralement bien sous forme carbonisée, et il représente dans la région nord-alpine la seule légumineuse avec la lentille, cette dernière étant néanmoins beaucoup plus rare. Toujours à la fin du Néolithique moyen, à la Grande Rivoire, le corpus des céréales est toujours peu significatif, mais le blé engrain, le blé nu et l’orge sont présents (fig. 18).
5Au Néolithique final, entre 3500 et 2500 av. J.-C., la grotte des Balmes nous renseigne sur les plantes cultivées : au début de cette période, vraisemblablement autour de 3200 av. J.-C., un premier ensemble se compose de blé engrain, très prédominant, accompagné d’un peu de blé nu, d’orge et de blé amidonnier et d’une graine de pois cultivé. Plus tard, vers 3100- 2900 av. J.-C., un deuxième ensemble de céréales contient une majorité d’orge, nue et vêtue, plutôt à six rangs, du blé engrain, en assez grande quantité, puis du blé nu et de l’amidonnier.
6Quelle est la place des plantes cultivées de ces sites montagnards par rapport au corpus régional ? Au Néolithique moyen, au Chenet des Pierres, la prédominance d’abord de l’orge puis du blé nu, et la présence du pois est assez similaire au corpus que l’on observe à la fois sur les sites lacustres et palustres et sur les sites alpins (ce volume, deuxième partie). Entre 4300 et 3500 av. J.-C., le pavot est présent sous forme imbibée sur tous les sites du Plateau suisse (Jacomet, 2007) et le seul site alpin de plein air en ayant livré est Pfäfersbüel à Sevelen (Saint-Gall, Suisse), où seulement deux graines ont été identifiées. Ce site, qui se trouve au début de la haute vallée du Rhin, reste assez proche du « domaine lacustre et palustre ». Le Chenet des Pierres fait donc figure d’exception pour le pavot, et nous reparlerons plus bas d’une culture possible aux alentours du site.
7Les assemblages de céréales de la grotte des Balmes, datés de la fin de Néolithique moyen 2 et/ou du Néolithique final, montrent quelques particularités. Le premier ensemble provient du prélèvement issu du contenu d’un récipient en écorce de bouleau. Il est constitué majoritairement de blé engrain, stocké en épillets et parfaitement nettoyé. À titre de comparaison, quel que soit le type de site, le blé engrain est presque toujours identifié durant tout le Néolithique, mais le plus souvent en position secondaire. Dans la région, seuls deux sites ont livré des ensembles dans lesquels cette céréale domine : il s’agit de Concise-sous-Colachoz au bord du lac de Neuchâtel (Karg et Märkle, 2002) et du site du Petit-Chasseur IV à Sion en Valais (Lundström-Baudais et Martin, 2011). Sur ce dernier, une fosse a livré de nombreuses céréales dont la détermination ne dépasse pas le type Cerealia ou Triticum/ Hordeum, mais parmi les espèces identifiées, le blé engrain représente plus de 70 % des semences. On remarquera également l’importance du blé engrain à Stüdeli OS (Port, Berne), dans des couches datées du xxxvie siècle avant notre ère (Brombacher et Jacomet, 2003). Les occupations des deux sites suisses sur lesquels le blé engrain domine sont légèrement antérieures à celle de la grotte des Balmes. Sur le site du Petit-Chasseur, la fosse qui contenait le stock de blé engrain est datée au radiocarbone entre 3640 et 3380 av. J.-C., tandis que l’ensemble 2 de Concise-sous-Colachoz se place vers 3700-3600 av. J.-C. La couche contenant l’assemblage de blé engrain des Balmes pourrait être contemporaine de ces deux habitats suisses, à la fin du Néolithique moyen, mais elle date plus vraisemblablement du début du Néolithique final, entre 3400 et 3100 av. J.-C. La réserve de blé engrain des Balmes constitue donc une particularité, qui pourrait être due au caractère alpin du site et à une culture de cette céréale en altitude, aspect que nous développerons au paragraphe suivant. Par ailleurs, un deuxième ensemble de graines a été mis au jour dans la grotte, daté plus récemment entre 3100 et 2900 av. J.-C., à la fin du Néolithique final. Le blé engrain y est toujours important, mais l’orge prédomine. Dès la fin du Néolithique moyen, vers 3500 av. J.-C., c’est le blé amidonnier qui devient la céréale la plus importante au nord des Alpes (Jacomet, 2007), en parallèle avec la culture du Horgen mais aussi en Italie, du moins sur les sites représentatifs comme au Monte Covolo (Biagi et al., 1993 ; Pals et Voorrips, 1979) et à la Vela VIII (Degasperi et al., 2006). Le duo orge-blé engrain des Balmes est donc toujours en léger décalage avec le schéma général, bien que l’orge reste une céréale importante dans toute la région.
Des cultures en altitude ?
8Les données archéobotaniques ne permettent pas de dire si ces céréales étaient cultivées à proximité du site ou apportées de la plaine. De plus, l’assemblage de plantes adventices est toujours restreint, et les taxons, très communs (chénopode, renouée, verveine officinale, etc.) ne permettent pas de proposer une interprétation écologique précise. Cependant, nous supposons la présence de cultures aux alentours du Chenet des Pierres et des Balmes, et pour étayer cette hypothèse, nous avons observé le choix des espèces cultivées, la taille des caryopses de blé et d’orge et les données ethnographiques et historiques. À la Grande Rivoire et à l’Aulp du Seuil, le corpus de céréales est trop faible pour ce type d’approche, sans compter que la culture de céréales dans le vallon de l’Aulp du Seuil est difficilement envisageable : le climat du massif de la Chartreuse est océanique et très pluvieux, avec plus de 2 000 millimètres de précipitations par an ; le site n’était occupé que de façon temporaire, comme halte de chasse, fonction peu compatible avec des activités agricoles ; enfin l’altitude est élevée et les sols peu profonds (Martin et al., 2012). En outre, si les données palynologiques ont montré la présence de céréales en altitude, elles sont très ponctuelles. Nous rappellerons qu’au lac du Lauzon (Lus-la-Croix-Haute, Drôme), à presque 2 000 mètres d’altitude, des grains de pollen de céréales sont enregistrés dès 5400 av. J.-C. (Argant et al., 2006), comme à Pian di Gembro dans les Alpes italiennes à 1 350 mètres, à partir du Néolithique moyen (Pini, 2002).
9Les espèces cultivées sont le premier point qui nous intéresse. Nous avons vu qu’au Chenet des Pierres, l’orge et le blé nu prédominent dans les macrorestes végétaux. Ces deux céréales nues peuvent être cultivées à une altitude d’environ 1 000 mètres, et l’hypothèse qu’elles aient été cultivées conjointement n’est pas à exclure, comme c’était le cas en Grèce antique, où c’est une pratique très courante, comme le souligne Marie-Claire Amouretti (1986, p. 40-41) :
Nous sommes donc frappés […] par la variété des céréales utilisées conjointement à l’époque classique, dans le bassin égéen grec. Un texte de Xénophon dans l’Économique nous confirme que cette pratique est habituelle. Lorsqu’il veut trouver une idée du désordre, il prend la comparaison d’un cultivateur « qui verserait pêle-mêle de l’orge, du froment, des légumes secs […] ». L’usage de céréales multiples est d’ailleurs encore recommandé par les agronomes du xixe siècle et il correspond au désir de limiter les risques en cas de maladies ou d’accidents climatiques, mais aussi à celui d’étaler les récoltes dans le temps afin de prévenir au maximumla disette. À l’époque préhistorique, ces mélanges étaient beaucoup plus grands et un même champ comprenait plusieurs céréales. Une certaine spécialisation s’est peu à peu effectuée dès l’âge du Bronze et peut-être même dès le Néolithique, selon les régions.
10La présence, en petites quantités, d’autres espèces de céréales comme le blé engrain et le blé amidonnier signifie souvent qu’elles sont des adventices ou des reliquats de cultures précédentes. À la grotte des Balmes, le blé engrain est pourtant la céréale dominante : peu cultivée en plaine à l’époque, elle est ici stockée en épillet, comme en témoigne la grande quantité de restes de battages, souvent supérieure à celle de caryopses. C’est une céréale rustique, parmi les premières cultivées au Moyen-Orient et en Europe. De petite taille, dépassant rarement 70 centimètres de haut, elle s’accommode de sols pauvres où d’autres espèces de blé ne peuvent pas se développer (Zohary et al., 2012). Ainsi, sa rusticité et son rendement honorable sur des terres pauvres font d’elle une céréale intéressante à cultiver dans des zones marginales comme les territoires montagnards. Le blé engrain résiste mieux aux hivers rigoureux, et sa tige ne plie pas quand il y a de fortes pluies, contrairement au blé amidonnier, avec lequel il pouvait être cultivé au Néolithique ancien rubané (Kreuz et al., 2005 ; Kreuz, 2007). Au Moyen Âge, George Comet signale que le blé engrain, peu cultivé, est néanmoins « utile parce qu’il réussit dans les mauvaises terres, calcaires et sablonneuses : ainsi il réussit en Berry, en Gâtinais, là où la terre est trop pauvre pour le seigle. Cet engrain, très rustique, se sème du début de l’automne, en décembre et on peut encore le mettre en terre en février. » (Comet, 1992, p. 243) Quant à l’orge, c’est également une céréale à faible exigence édaphique : elle se plaît dans les terrains sablo-argileux à très calcaires, et résiste bien aux herbes adventices (Comet, 1992, p. 263). À la grotte des Balmes, l’assemblage d’orge et de blé engrain pourrait ici encore signifier une culture conjointe de ces deux céréales, à la manière du méteil*.
11Parmi l’ensemble des céréales, le blé engrain et l’orge sont particulièrement adaptées au milieu montagnard, ce qui pourrait donc conforter l’hypothèse d’une culture aux abords des sites. Les données ethnographiques et historiques viennent également confirmer cette possibilité.
12La taille des caryopses pourrait constituer un autre indice de cultures en altitude. La dimension ou le poids des caryopses de céréales sont génétiquement déterminés, mais des contraintes environnementales comme la température et/ou le stress hydrique peuvent agir sur le développement du grain (Barnabas et al., 2008 ; Ferrio et al., 2004). D’un point de vue plus anecdotique, la qualité du sol peut également influencer la taille du grain comme cela est évoqué au Moyen Âge par Issac le Juif, cité par Vincent de Beauvais : « Un autre critère est la qualité du sol où pousse le grain : un terre grasse et épaisse donne un bon grain, gros, lourd, nourrissant. Une terre sèche et maigre, un grain léger, petit, peu nutritif. » (Comet, 1992, p. 223) Nous n’avons pas d’informations sur une influence possible de l’altitude, mais des températures plus fraiches et une saison de végétation plus courte pourraient être des facteurs qui influent sur la taille des grains. Pour cela, nous avons effectué des mesures sur trois espèces du Chenet des Pierres et des Balmes : le blé engrain, le blé nu et l’orge. Puis nous avons comparé le rapport entre la longueur et la largeur des caryopses avec celui d’autres sites de la région, en plaine, à une période contemporaine ou proche, c’est-à-dire au Néolithique moyen et au Néolithique final. Nous avons constaté en comparant les mesures (minimum, moyenne et maximum de la longueur et de la largeur du grain) que l’orge provenant des sites alpins est dans l’ensemble plus petit que celui provenant de sites lacustres, en plaine. Il reste cependant proche des mesures effectuées au bord du lac de Bienne et à Arbon, Bleiche 3 au bord du lac de Constance. En revanche, le blé nu du Chenet des Pierres est tout à fait comparable en taille aux autres blés nus. Quant au blé engrain, nous avons élargi la région de comparaison au Bade-Wurtemberg dans le sud de l’Allemagne pour avoir des références fournissant des mesures pratiquées sur cette espèce : les caryopses des Balmes sont de la même taille mais légèrement moins longs que ceux des autres sites de plaine.
13Ces résultats donnent donc peu d’indices sur une culture possible en altitude. Ici, soit l’altitude a une influence sur la taille des grains, auquel cas nous aurions de l’orge cultivée en altitude (entre 1 000 et 1 500 mètres) et du blé nu et vêtu apporté de la plaine ; soit l’altitude n’a pas, ou peu, d’influence et dans ce cas, le blé engrain et l’orge sont bien adaptés au milieu montagnard ; l’orge du Chenet des Pierres et des Balmes est juste de taille plus modeste, tout comme à Arbon, Bleiche 3, site de bord de lac ayant livré des caryopses d’orge et de blé nu particulièrement petits. L’explication de la variation de la taille des grains doit se trouver ailleurs (irrigation, qualité du sol, pratiques agraires, etc.), et les éléments que nous avons en main pour l’instant ne permettent pas de répondre à cette question.
14Les données ethnographiques et historiques nous apprennent que l’orge, le blé, le pois et le pavot peuvent croître aisément entre 1 000 et 1 500 mètres d’altitude. Comme le souligne Philippe Arbos, « même étant pâturée par le bétail, la zone pastorale pourrait être le siège d’établissements permanents, autour desquels des champs porteraient la nourriture des hommes » (Arbos, 1922, p. 103). Les documents photographiques sont un témoignage direct de la présence de cultures en montagne. Nous prendrons deux exemples en Oisans : la première image montre des champs de céréales et des prairies de fauche, au-dessus de La Grave, autour du hameau des Terrasses, entre 1 700 et 1 800 mètres d’altitude (fig. 19, en haut). Les champs plus clairs sont pour la plupart des cultures de seigle1, mais plusieurs textes sur le pays d’Huez et l’Oisans précisent que cette céréale, certes dominante, est également accompagnée d’orge et d’un peu de blé froment (Canac et Boyer, 1985 ; Le Chatelier, 1982 ; Ogier, 1997). La seconde image monte un autre visage de l’agriculture en montagne, avec l’exemple du hameau des Étages à Saint-Christophe-en-Oisans, dans la Vallée du Vénéon à 1 600 mètres d’altitude (fig. 19, en bas). Ici, les rares champs sont regroupés autour des habitations, coincées entre la roche et le torrent. À quelques kilomètres des Étages, à la Bérarde, « les champs étaient raides, minuscules et ne portaient que seigle, orge et pomme de terre » (Gardelle, 2000, p. 88).
15De nombreux auteurs ont étudié l’économie montagnarde du Moyen Âge à nos jours, à des échelles locales ou régionales, et nous n’en citerons que quelques exemples.
16Pierre Dubuis a par exemple travaillé sur des communautés paysannes durant le bas Moyen Âge, dans le val d’Entremont en Valais. Entre 900 et 1 400 mètres d’altitude, les habitants de ces vallées cultivaient surtout du seigle, mais aussi du froment et de l’orge. Les céréales étaient vraisemblablement cultivées en terrasse (Dubuis, 1990, p. 186 et 229-231). André Allix, en 1929, introduit son chapitre sur l’économie rurale de l’Oisans en précisant que « sans doute, la haute montagne n’est pas rebelle à toute forme d’agriculture […]. Même sur les hauts versants, certaines cultures viennent à merveille et laissent un profit certain. » (Allix, 1929, p. 461) Mis à part le seigle, ici encore prépondérant, et qui peut pousser jusqu’à 1 900 mètres, l’auteur mentionne la culture de céréales de printemps comme l’orge et le « petit blé » (froment de printemps), et « ce sont elles que l’on rencontre, avec les pommes de terre et quelques légumes, autour de quelques chalets de montagne » (Allix, 1929, p. 479). Pour Arnold Niederer dans Histoire et Civilisations des Alpes, c’est le seigle qui est le plus répandu, mais « le blé de printemps monte aussi très haut » et « l’orge de printemps est cultivé dans toutes les Alpes ». Quant au pois, il peut se cultiver jusqu’à 1 750 mètres (Niederer, 1980, p. 42). Dans les années 1920, l’ethnologue Eugénie Goldstern enquête sur la communauté de Bessans en Haute-Maurienne vivant à 1700 mètres et qu’elle surnomme « les Esquimaux d’Europe occidentale » ! Elle y observe une « culture fort limitée des céréales », mais il y pousse de l’orge, avec des pommes de terre, du seigle et de l’avoine sur les versants ensoleillés (Goldstern, 2007, p. 98 et 107). ÀBessans, l’orge est d’ailleurs la seule céréale identifiée dans les niveaux du Néolithique moyen d’un sondage au lieu-dit « Le Château » à plus de 1 800 mètres d’altitude (Martin, inédit). Depuis le milieu des années 1980, Brien Meilleur étudie les activités agricoles en Vanoise, aux Allues et à Termignon, des villages proches des sites néolithiques du Chenet des Pierres et de la grotte des Balmes. L’auteur fournit de précieuses informations sur les cultures locales : « Dans plusieurs communes de la Vanoise, l’orge de printemps à deux rangs rivalisait avec la production du seigle d’hiver et prédominait toujours régulièrement dans le pain, toujours fait d’un mélange de farines de plusieurs céréales et légumineuses. » (Meilleur, 2008, p. 77) Elle était aussi utilisée comme fourrage. L’orge d’hiver à quatre rangs est semée sporadiquement, tout comme le froment d’hiver et de printemps, ce dernier semblant plus souvent provenir de la plaine. La culture du froment était réservée pour de petites productions et « à la fabrication de pâtes, de galettes ou d’autres friandises de fêtes » (Meilleur, 2008, p. 80). À Termignon en Vanoise, village situé à 1,5 kilomètre en amont de Sollières-Sardières, le blé nu (froment) et l’orge sont cultivés aux abords du village (fig. 20), tandis que les habitants cultivent des légumineuses, dont le pois, dans de petits jardins clos mitoyens des maisons (Meilleur, 1985, 2008). Brien Meilleur souligne à ce propos la culture abondante et très ancienne du pois dans tout le massif de la Vanoise. Ce dernier était d’ailleurs semé dans la sole en jachère, puis récolté avant la semence du seigle d’hiver en septembre (Meilleur, 2008, p. 87). Quant au pavot somnifère, il pousse à Saanen dans les Alpes bernoises à environ 1 000 mètres d’altitude, et à Erschmatt en Valais central, à 1 300 mètres, dans un jardin botanique où sont également cultivés blés, orges et pois (observations personnelles).
Fig. 19. En haut, champs au-dessus de la Grave dans les Hautes-Alpes (Cliché G. Sentis, tiré de Rébuffat, 1974, p. 29) ; en bas, le hameau des Étages à Saint-Christophe-en-Oisans en Isère (Cliché R. Blanchard, coll. Musée dauphinois, no inv. E80.658).

17Pour conclure sur la question des cultures en altitude, au Chenet des Pierres à presque 1 000 mètres, l’occupation du site, bien que saisonnière, pourrait permettre la culture de l’orge, soit de printemps (semée au début du printemps et moissonnée à l’automne), soit d’hiver, c’est-à-dire semée au printemps, et récoltée en septembre de l’année suivante. Le blé nu, moins adapté à une culture d’altitude, pourrait quant à lui être apporté de la plaine. Le pavot pourrait être aussi cultivé sur place ou transporté depuis la plaine. À la grotte des Balmes à 1 350 mètres d’altitude, la culture du blé engrain est très probable aux abords du site. Cette céréale rustique, peu commune ailleurs et bien adaptée à un climat plus rude, pouvait être cultivée avec l’orge.
Fig. 20. Orge de printemps cultivé à proximité du seigle d’hiver, en arrière-plan, déjà moissonné et disposé en gerbes alignées. Lanslevillard, Savoie, septembre 1981. [Cliché B. Meilleur, tiré de Meilleur, 2008, p. 77]

La cueillette
18Sur les quatre sites étudiés, toute plante sauvage comestible peut faire partie du spectre potentiel de la cueillette, destiné à l’alimentation humaine (pl. III). La plupart des taxons cueillis sont attestés soit sur d’autres sites, soit d’après des données ethnographiques et historiques que nous mentionnerons.
19La noisette (Corylus avellana) est identifiée sur les quatre sites, sous forme de fragments de coque. Ce fruit sec et nourrissant, source de lipides, se conserve à long terme sans procédé particulier. Parmi d’autres taxons récoltés, le gland de chêne à feuillage caduc (Quercus f.c.) est présent à la Grande Rivoire, au Chenet des Pierres et aux Balmes. Très astringents, les glands ne sont pas consommables directement en raison du tanin qu’ils contiennent. Il sont riches en amidon (60 à 65 %) et leur découverte dans des habitats et parfois dans des contextes de stockage ou de grillage suggère leur consommation comme denrées farineuse (Ruas et Bouby, 2009). Le tanin, présent en quantité variable selon les espèces de chêne, les rend toxiques pour l’homme et pour certains animaux. Les oiseaux y sont insensibles, tout comme les suidés – sanglier et porc – qui peuvent en consommer de grandes quantités, par exemple lors d’une activité appelée « glandée ». Pour l’homme, avant leur consommation, les glands doivent souvent subir un traitement, qui comprend différentes opérations : ils sont d’abord séchés et torréfiés ; cette opération est nécessaire pour tuer l’embryon susceptible de germer et pour éliminer les éventuels parasites (Testart, 1982) ; puis viennent les opérations de pilonnage et de décorticage des cotylédons et enfin celles qui consistent à en extraire le tanin par lavage et/ou ébouillantage (leaching en anglais, Barlow et Heck, 2002). Les glands perdent toute astringence et font un aliment glucidique (amidon) non dénué d’intérêt (Lieutaghi, 1998). Ils peuvent ainsi être consommés rôtis ou sous forme de soupe et de bouillie. S’ils sont réduits en farine ils servent à confectionner des pains et des galettes. L’utilisation des glands dans l’alimentation humaine est connue en Méditerranée depuis la fin du Paléolithique. Cette pratique appelée « balanophagie » faisait partie intégrante de l’économie végétale chez les chasseurs-cueilleurs puis au Néolithique, en parallèle à la culture de céréales (Aurenche, 1997 ; Barlow et Heck, 2002). Avec les noisettes, les glands de chêne sont parmi les rares plantes déjà attestées depuis le Mésolithique, et qui pouvaient être récoltées dans la cadre d’une économie de stockage basée sur la préservation à moyen terme de fruits secs (Testard, 1981).
20Le sureau noir ou à grappes (Sambucus nigra/racemosa) est également toujours représenté. Les baies juteuses et sucrées du sureau noir sont abondantes dans les sites lacustres et palustres nord-alpin (Jacomet, 2007). Les baies du sureau à grappes demandent un traitement pour être comestibles. Elles constituent une source d’oligo-éléments, de fibres et de vitamine C, appréciée par les populations natives du grand nord américain dès 6000 av. J.-C., où elles sont souvent associées avec des graines de mûres (Rubus sp.) et d’airelles (Vaccinium sp.). D’après des sources ethnographiques, les baies du sureau rouge sont consommées en hiver, cuites avant consommation pour éliminer les substances toxiques (glycosides), séchées et mélangées avec d’autres baies pour réduire leur goût suret (aigre-acide) (Losey et al., 2003).
21Les framboises et les ronces (Rubus idæus et Rubus sp.) sont attestées à la Grande Rivoire et au Chenet des Pierres. Fréquentes sur tous les sites néolithiques de la région nord-alpine (Jacomet, 2007), la cueillette de ces fruits n’est plus à démontrer, mais elle est notamment attestées en Vanoise par Brien Meilleur (1985) ou en pays d’Huez (Ogier, 1997).
22À la Grande Rivoire et au Chenet des Pierres, nous avons aussi identifié des pommes sauvages (Malus sylvestris), des prunelles (Prunus spinosa) et de la poire sauvage (Pyrus pyraster). Encore une fois, ces taxons d’ourlets et de fourrés arbustifs sont communs et leur cueillette est fréquemment attestée au Néolithique. Les pommes ont été retrouvées entières ou coupées en deux sur plusieurs sites lacustres (Brombacher, 1995 ; Schweingruber, 1979). Sur nos sites, nous n’avons que des fragments de pépins et de noyaux. Ces trois fruits sont astringents, mais consommables après cuisson.
23À la Grande Rivoire, quelques fragments de pépins de vigne suggèrent la récolte de raisins. Les plus anciens témoignages de vigne cultivée en France remontent à l’âge du Fer. La viticulture se développe dès la fin du vie siècle avant notre ère sur les côtes méditerranéennes, puis remonte par les vallées du Rhône, de la Loire et de la Seine durant le ier siècle av. J.-C. (Bouby et Marinval, 2001 ; Terral et al., 2010). Nous supposons donc que les fragments que nous avons identifiés sont une forme sauvage (Vitis vinifera cf. subsp. sylvestris).
24Enfin sur les trois sites les plus en altitude, entre 1 000 et 1 800 mètres environ, nous avons déterminé des taxons de l’étage subalpin. Ainsi, des fragments de coques de pignon d’arolle (Pinus cembra) ont été identifiés au Chenet des Pierres et aux Balmes. Les graines de l’arolle sont proches des pignons du pin parasol (Pinus pinea) et sont très riches en huile. L’exploitation de cette ressource s’est pratiquée à des périodes encore récentes (Lieutaghi, 2004). Deux autres sites ont livré des pignons d’arolle : un seul fragment provient du site de Bleiche 3 à Arbon au bord du lac de Constance (Hosch et Jacomet, 2004) et plusieurs autres du site des Baigneurs au bord du lac de Charavines en Isère (Bocquet, 1994). Ces trouvailles en contexte lacustre témoignent bien du lien qu’il existait à la fin du Néolithique entre ces villages de plaine et les milieux alpins.
25Aux Balmes et à l’Aulp du Seuil, desgrainesde raisin d’ours (Arctostaphylos uva-ursi), parfois en connexion ont été déterminées. À la Grande Rivoire, cette espèce est présente sous forme de charbons (Delhon et al., 2008). Cet arbrisseau couché donne des fruits farineux comestibles. Pierre Lieutaghi signale qu’en « Dauphiné, et ailleurs dans les Alpes, on a aussi mêlé au pain la farine des baies du raisin d’ours […]. Elles faisaient l’objet d’un ramassage important chez les indiens de l’Amérique septentrionale, où cette éricacée croit en abondance. » (Lieutaghi, 1998, p. 94) Le seul site connu, en dehors des quatre que nous avons étudiés, ayant livré des graines de raisin d’ours est la grotte de l’Abeurador (Félines-Minervois, Hérault) dans les niveaux du Paléolithique supérieur et du Mésolithique. Cette espèce s’inscrivait alors dans un paysage de steppe froide aux landes à fruticées* et bois mésophiles (pin sylvestre et genévrier). La présence de graines de cette espèce peut avoir plusieurs sources : soit elles sont à l’origine d’une cueillette par des groupes humains ; soit elles témoignent de la fréquentation des lieux par des oiseaux nicheurs, de type corvidés montagnards (chocard à bec jaune et crave à bec rouge) et par des mammifères cavernicoles qui rejettent les graines dans leurs pelotes de réjection et leurs déjections (Vaquer et Ruas, 2009).
26Enfin, l’Aulp du Seuil a livré une graine de myrtille ou d’airelle rouge (Vaccinium myrtillus/vitis-idæa). Ces deux espèces sont encore abondamment récoltées de nos jours en Oisans par exemple (Ogier, 1997). Là encore, Pierre Lieutaghi insiste sur une des qualités de l’airelle, qui est son excellente conservation due à l’acide benzoïque, présent en quantité remarquable dans la baie (Lieutaghi, 1998, p. 134).
27Nous pouvons conclure sur la cueillette en soulignant que le cortège de l’étage collinéen est commun et comparable au spectre de cueillette des sites de plaine (fig. 21). Nous n’avons que des fruits d’espèces ligneuses, et certaines herbacées étaient sûrement récoltées comme légumes-feuilles. Le chénopode blanc, la renouée, le rumex, le plantain ou encore l’ortie sont comestibles, mais ce sont aussi des plantes rudérales et/ou des adventices des cultures nombreuses sur les occupations. La trouvaille de concentration de graines de ces taxons prouverait véritablement leur consommation, comme c’est le cas avec le chénopode sur le site de Gachnang (van Zeist et Boekschoten-van Helsdingen, 1991). La consommation du chénopode est d’ailleurs connue durant les périodes historiques pour pallier de mauvaises récoltes de céréales. Sur les sites que nous avons étudiés, les plantes de cueillette indiquent que les alpins exploitaient un large territoire couvrant plusieurs étages de végétation, de l’étage collinéen avec le chêne, le pommier, et le prunellier à l’étage subalpin avec l’arolle, le raisin d’ours ou les airelles. Cette activité devait naturellement s’effectuer avec d’autres tâches comme la chasse ou la recherche de matières premières (fig. 21).
28Nous profiterons aussi de cette conclusion sur la cueillette pour préciser que de nombreuses plantes sauvages comestibles ou non, ont du être récoltées à des fins médicinales, alimentaires, ou artisanales. Malheureusement, dans ces contextes anciens, il est difficile de prouver de tels usages, même si « le savoir traditionnel des plantes » est très répandu en milieu alpin jusqu’à des périodes récentes, que ce soit avec un balai de sapin dans le Vercors (Bonelle, 1993), des fleurs de sureau en infusion pour soigner un hématome dans les Écrins (Delcour, 2004) ou encore la renouée des oiseaux contre les maux de ventre dans le Val d’Anniviers en Suisse (Brüschweiler, 1999).
Fig. 21. Plantes de cueillette identifiées à la Grande Rivoire, au Chenet des Pierres, aux Balmes et à l’Aulp du Seuil. La zone grisée définie l’aire d’extension possible du territoire de récolte, selon l’altitude. Les curseurs noirs indiquent l’emplacement de chaque site. [Illustration L. Martin, dessin de fond Y. Reymond tiré de Gallay, 2008, p. 42]

L’entretien du bétail
29Ce chapitre reprend principalement les résultats que nous avons obtenu à la Grande Rivoire et dans une moindre mesure aux Balmes. Nos interprétations vont dans le sens d’un usage des arbres et arbustes comme probable fourrage et de l’utilisation de certains taxons comme complément alimentaire ou plante médicinale.
La récolte de fourrage
30À la Grande Rivoire, la consommation des végétaux par le bétail est attestée par la présence des restes botaniques dans les couches de « fumiers » et par un assemblage qui ne correspond pas à un spectre naturel, mais qui est à mettre en relation avec une économie pastorale. Le chêne à feuillage caduc (Quercus f.c.) par exemple, qu’il soit sous forme de grains de pollen, de charbons, de bourgeons ou de fruits est sous-représenté alors que le site se trouve dans une chênaie mixte. On notera toutefois que les quelques galles identifiées attestent la présence de feuilles de chêne dans l’abri. Par ailleurs, nous avons vu que les vestiges d’arbres et d’arbustes sont abondants dans les restes puisqu’ils représentent un tiers des taxons, ce qui est aussi le cas dans les spectres phytolithiques et polliniques.
31Peut-on préciser si les bergers ramassaient des branches, des brindilles ou des feuilles d’arbre comme fourrage ou si les animaux les consommaient directement sur pied ? Si certaines plantes sont consommées en pâture, la récolte de fourrage est tout à fait probable à la Grande Rivoire, et ce pour plusieurs raisons : d’une part le ramassage de jeunes branches est attesté non seulement par la présence de feuilles, de galles, de bourgeons, de boutons floraux et de cicatrices foliaires dans les macrorestes, mais aussi par celle de stomates, de pollen agglomérés et de fragments de branchettes carbonisées (Delhon et al., 2008). À la Grande Rivoire, il s’agit principalement du sapin, dont nous reparlerons, du tilleul et du noisetier ; d’autre part, la récolte de feuillage d’arbres et d’arbustes est une pratique courante au Néolithique dans le domaine alpin et circum-alpin (Haas et al., 1998 ; Laederich et Thiébault, 2004 ; Robinson et Rasmussen, 1989), mais aussi en Italie (Maggi et Nisbet, 2000), en Grèce (Halstead et Tierney, 1998) ou en Norvège (Slotte, 2001). Elle est déjà attestée par l’anthracologie dans les « grottes-bergeries » (Thiébault, 2005). La surreprésentation de certains taxons, phénomène appelé « anomalie écologique » suppose une récolte préférentielle d’une ou de plusieurs espèces dans un but précis. Stéphanie Thiébault l’avait mis en évidence à Coufin 2 (Choranche) en Isère, site sur lequel la surreprésentation du frêne résulterait d’un apport de cette espèce pour la nourriture des bovinés (Thiébault, 1988). ÀFontbrégoua dans le Var, grotte dans laquelle les dépôts de bergerie ne couvrent qu’une courte période (Brochier, 2005), le chêne caducifolié est largement représenté, tandis que le pin d’Alep (Pinus halepensis), indicateur de milieu ouvert, est présent aux alentours. La cœxistence de ces deux espèces, dont l’écologie est différente, serait liée à l’utilisation de la cavité comme bergerie et à l’émondage du chêne dans le but de produire du fourrage (Thiébault, 1997, 2001). Le chêne à feuillage caduc est également bien représenté au Vieux Mounoï dans le Var, aux Arene Candide en Ligurie et plus au nord à la Baume de Ronze en Ardèche, à la Beaume sourde, à la Baume de Courtinasse et à Antonnaire dans la Drôme (Brochier et al., 1999 ; Thiébault, 2005). Le fourrage d’arbre est utilisé pour pallier le manque de nourriture pendant la mauvaise saison, soit pendant l’été dans les régions arides où la sécheresse entraîne le manque de fourrage d’herbe, soit en hiver, lorsque les animaux ne sont pas en pâture mais en stabulation. Ces deux hypothèses ne s’appliquent pas vraiment à la Grande Rivoire, ni aux autres « grottes-bergeries ». Nous pencherions plutôt pour une utilisation du fourrage sur ces sites comme complément alimentaire, d’une part si les animaux fréquentent ces lieux de parcage du printemps à l’automne et qu’ils ont accès aux pâturages avoisinants, d’autre part pour les femelles qui viennent d’agneler et qui restent à la bergerie.
32ÀAntonnaire, la palynologie a montré que les animaux avaient un accès au noisetier et au sapin au moment de leur floraison, entre janvier et mars pour l’un, en mai et juin pour l’autre : le bétail séjournait dans la grotte environ à partir du mois de mars, pour y rester tout au long du printemps et de l’été (Argant et al., 1991). À la Grande Rivoire, la présence de taxons sous forme de bourgeons foliaires et floraux, de graines, de fruits et de pédoncules atteste une occupation de la bergerie entre le début du printemps et la fin de l’automne. Le spectre pollinique va dans ce sens, avec la présence de pollen de noisetier et de sapin. Deux modes d’occupations peuvent être proposés : l’abri pouvait servir d’étape, au printemps et/ou en automne, lors des déplacements saisonniers des troupeaux entre la plaine et la montagne, ou d’occupation continue du printemps à l’automne, en relation avec l’exploitation des pâturages environnants. Actuellement, le site donne un accès direct au plateau de Sornin, à 1 500 mètres d’altitude, à quelques kilomètres de l’abri. On soulignera à ce propos que parmi les petits ligneux représentés en moindre quantité dans le spectre anthracologique, certains, typiques de l’étage submontagnard à montagnard, ont pu être broutés spontanément par les herbivores (raisin d’ours, myrtille, groseillier, sureau, etc.).
33Enfin, la pratique du fourrage par la feuillée est bien attestée dans des Alpes dans des documents allant du Moyen Âge à nos jours. Dans le Val d’Entremont en Suisse, les paysans médiévaux récoltaient des rameaux feuillus pour nourrir les caprins en particulier (Dubuis, 1990, p. 220). Non loin, dans le val de Bagnes, et pour des périodes plus récentes, les populations alpines utilisent l’aulne blanc (Alnus incana), le noisetier, l’orme et l’érable pour servir de fourrage (Nicollier et Nicollier, 1984, p. 139-147). En Huez, au début du xxe siècle, « courant septembre, on procède à l’élagage des frênes et des platanes2, on “fait la feuille”. Les feuilles séchées serviront à la nourriture du bétail. » (Ogier, 1997, p. 123)
Quelques taxons particuliers
34À la Grande Rivoire, l’utilisation de certaines plantes comme complément alimentaire, à usage médicinale ou sanitaire est remarquable. Ces plantes, qui sont fréquentes, sont les céréales, le sapin, le gui et l’if (pl. IV).
Les céréales
35L’usage des céréales comme complément alimentaire pour les brebis allaitantes a souvent été avancé. Récemment dans le nord de la Grèce, les brebis laitières consommaient durant l’hiver un lot composé de luzerne (Medicago sativa), de feuilles de chêne ou de paille et d’orge (Chang, 1993). Pierre Dubuis dans son étude sur le Val d’Entremont au Moyen Âge, à propos des végétaux pour l’alimentation animale précise que « les bergers donnent de l’avoine aux petits agneaux, du seigle aux vaches qui allaitent en hiver » (Dubuis, 1990, p. 192). Il y a à peine cinquante ans, à Bonneval-sur-Arc en Haute-Maurienne, les habitants utilisent des céréales pour le sevrage des veaux et des chevreaux : « On commence petit à petit à substituer au lait du son, des aliments concentrés puis du grain et des fourrages non ligneux. » (Digard, 1974, p. 19)
36Durant la Préhistoire, dans la grotte d’Antonnaire, deux foyers néolithiques ont livré de nombreuses graines de céréales carbonisées. Les auteurs émettent l’hypothèse que ces céréales pourraient être un complément de nourriture « actuellement souvent apporté aux mères au moment de l’agnelage. Les graines, tombées au sol, sont fossilisées par combustion sur le foyer, les autres n’étant pas conservées. La même question s’est posée pour expliquer des quantités importantes de pollen de céréales. » (Brochier et al., 1999, p. 83) L’hypothèse de l’utilisation des céréales n’est pas à écarter, mais ces couches de céréales mises au jour dans ces foyers n’ont fait l’objet d’aucune étude carpologique. Par ailleurs, Jean Erroux dans un article publié en 1974 avait identifié à Antonnaire 150 grains de blé tendre-compact (Triticum æstivo-compactum) et 10 grains de blé amidonnier. Il n’y a pas d’autres précisions sur le type de restes et sur leur localisation, il est juste mentionné qu’ils proviennent des fouilles d’Arsène Héritier (Courtin et Erroux, 1974). Selon Brochier et al. (1999, p. 80), Arsène Héritier « a pratiqué une sorte de vidange des sédiments de la galerie 1 considérés comme non en place, et des épaisseurs jamais très importantes, quelques centimètres. Ils ont été tamisés et ont fourni une quantité considérable de céramiques du Néolithique moyen à l’âge du Bronze final. » Quant aux grains de pollen de céréales, il s’agit de « quelques grains de céréales notés de façon presque continue » (Argant et al., 1991, p. 35). Dans ce contexte confus, une analyse plus complète des prélèvements encore disponibles serait nécessaire, que ce soit dans les foyers comme dans les couches de bergerie, qui pourraient elles aussi contenir des céréales.
37L’analyse du contenu des coprolithes de certains sites du Plateau suisse, qui montre la présence de céréales sous forme de balle (rachis, glume, furca), va dans le sens de leur usage comme complément fourrager (Hadorn, 1994 ; Kühn et Hadorn, 2004 ; Robinson et Rasmussen, 1989).
38À la Grande Rivoire, nous avons identifié 199 restes de céréales, éparpillés dans les couches de « fumiers » et 17 restes seulement dans les six foyers étudiés. Compte tenu de la pauvreté du corpus, nous ne pouvons pas exclure l’hypothèse d’une consommation de céréales par le troupeau, ou par une partie de celui-ci comme les brebis ou les chèvres allaitantes, les agneaux ou les chevreaux, mais leur présence dans les « fumiers » pourrait aussi bien relater l’alimentation des bergers, qui séjournaient à proximité immédiate du troupeau.
39Finalement, nous avons des preuves de la consommation de céréales par le bétail avec le contenu des coprolithes, mais nous serions enclin à dire que celle-ci n’est pas systématique, que les données pour les « grotte-bergeries » sont à revoir et qu’à la Grande Rivoire, les céréales seraient destinées aussi bien aux bergers qu’aux troupeaux.
Le sapin
40Le sapin (Abies alba) est présent dans presque tous les échantillons de la Grande Rivoire, sous forme de fragments d’aiguilles (plus de 6 300 restes). Leur présence régulière et en quantité sous cette forme, pourrait souligner un apport anthropique volontaire comme litière ou comme fourrage et les analyses anthracologiques et palynologiques vont aussi dans ce sens. Les grains de pollen sont présents sous forme de grains agglomérés, caractéristiques de la récolte de jeunes branches, et les charbons sont très rares (Delhon et al., 2008). Dans la grotte des Balmes, des fragments d’aiguilles de sapin (280 restes) ont également été identifiés dans les décapages du Néolithique final de la fouille de 1994, c’est-à-dire dans les niveaux de bergerie. Leur présence corrobore l’utilisation du sapin dans ce type de contexte. En outre, le sapin a été identifié sur des sites lacustres dans des coprolithes de caprinés sous forme d’aiguilles ou de pollen, à Bleiche 3 et à Bains des Dames (Akeret et al., 1999 ; Haas, 2004 ; Hadorn, 1994 ; Kühn et Hadorn, 2004). Il est également connu pour fournir une excellente litière à la fois dans les Alpes suisses (Stuber et Bürgi, 2002) et françaises : la litière « la plus appréciée était celle d’aiguilles de conifères, mélangées avec de la mousse et des lichens. […] Les feuilles de hêtre, d’érable ou d’autres feuillus étaient moins estimées que les aiguilles pour cet usage » (Niederer, 1980, p. 50).
Le gui
41Le gui (Viscum album), plante épiphyte de certains feuillus, du pin et du sapin, est présent régulièrement dans les prélèvements de la Grande Rivoire sous forme de fragments d’écorce. Au vu de la nature des dépôts, cette plante n’est pas arrivée accidentellement dans l’abri avec un apport de bois. Son usage comme complément alimentaire et comme plante médicinale est connu pour le bétail, notamment pour favoriser la lactation des brebis (Lieutaghi, 2004 ; Vouillamoz, 1998). On rappellera à ce propos que des fragments de faisselles sont présents dans les niveaux de « fumier » de la Grande Rivoire (Nicod et al., 2008, pl. IV, no 4). Cet usage est par ailleurs attesté actuellement en Iran pour les vaches laitières (fig. 22). À Hörnle IA au bord du lac de Constance, le gui a été identifié sous forme de branchettes, de feuilles et de fragments d’épiderme de différentes parties de la plante en grande quantité, y compris dans des coprolithes humains. Sa présence est interprétée comme un usage à but médicinal mais aussi comme fourrage (Maier, 2001). Le gui est également présent dans les coprolithes de caprinés de certains sites lacustres (Martin, 2011), observation qui confirme son usage alimentaire et/ou vétérinaire.
Fig. 22. Tas de gui dans une étable en Iran, destiné à un élevage de vaches laitières. Les vaches sont nourries avec du son, des résidus de betterave, de la paille de riz et du gui, que l’éleveur donne par petite brassée de temps en temps, pour les engraisser. [Cliché C. Dahan et E. Mingasson, www.unansurlaroutedulait.com (consulté le 12 mars 2014)]

L’if
42Dans les espèces un peu particulières, parlons enfin de l’if (Taxus baccata). À l’exception de l’arille, toutes les parties de l’if contiennent de la taxine, une mixture d’alcaloïdes, et sont donc vénéneuses. Ce sont les aiguilles qui en contiennent le plus, et leur teneur augmente à mesure que la saison avance, si bien que les jeunes pousses du printemps ou du début de l’été sont moins dangereuses que les branches d’hiver. Frais ou sec, le degré toxique se maintient au fil des ans et la taxine reste active après cuisson, séchage ou conservation de la plante. Elle se trouve également dans les graines qui doivent être mâchées pour la libérer. L’enveloppe de la graine résiste aux sucs digestifs de l’estomac et de l’intestin et la graine peut être éliminée sans dégager de taxine. Celle-ci est exploitée depuis longtemps à des fins médicinales et les Romains en connaissaient déjà les usages (Martin et Thiébault, 2010). Elle est aujourd’hui synthétisée pour ses propriétés anticancéreuses : le docétaxel (ou Taxotere®) est extrait du feuillage de l’if commun (Hallé et Lieutaghi, 2008).
43La toxicité de l’if n’est pas à mettre en doute mais les modalités de son action n’ont jamais été vraiment élucidées. Frédéric Surmely a étudié la question de son usage comme poison pour la chasse et souligne le manque de données ethnographiques et archéologiques (Surmely, 2006). On signalera néanmoins le cas du site néolithique final d’Houplin-Ancoisne dans le nord de la France, dans lequel une surabondance de graines d’if concassées pourrait être liée à une extraction de poison à des fins cynégétiques ou guerrières (Dietsch-Sellami, 2007).
44La majorité des cas connus d’empoisonnement concerne le bétail. Si certains animaux comme le cheval y sont très sensibles, le chevreuil ou le lièvre peuvent le consommer sans problème (Tittensor, 1980). Les doses mortelles de feuillage d’if à ingérer pour certains mammifères, y compris l’homme, ont été calculées. Ainsi, un à deux grammes de feuilles par kilo de poids suffisent à tuer un cheval, alors qu’il en faut plus de 60 grammes pour une chèvre et 82,5 grammes pour un poulet (Wilson et al., 2001). Ces valeurs sont en fait très relatives. Si beaucoup de témoignages rapportent des empoisonnements sur le bétail, il semblerait que par un accès constant et en petites quantités de feuillage d’if, les ruminants domestiques soient immunisés, et ce dans des régions très diverses. Dans le sud de l’Angleterre, Richard Williamson écrit : « The curious fact about the poison is that it does not always affect mammals, and the secret seems to be that an animal can acquire immunity. Yew used to be fed to cattle, regularly, on the Continent3. » (Williamson, 1978, p. 42-43) Dans les Appenins, en Italie centrale, Gianluca Piovesan et ses collègues nous précisent : « The fact that grazing can impact yew regeneration may seem to contradict the notion that yew had been eradicated by humans to protect livestock from poisoning themselves. Yew is indeed resistant to herbivory4. » (Piovesan et al., 2009, p. 41) Dans les montagnes sardes, deux auteurs, Emmanuele Farris et Rossella Filigheddu, écrivent : « Farmers believe that yew is poisonous only to those animals that browse it for the first time during adulthood without having ingested it before and that it is harmless to those livestock that regularly browse yew foliage since their youth, thus developing tolerance to it5. » (Farris et Filigheddu, 2008, p. 311) Enfin, un autre exemple provient de Finlande, où Hæggström nous indique : « Sheep have been observed eating Taxus in Åland and […] when about 200 sheep grazed the archipelago of Nåtö, the Taxus trees became completely devoid of leaves as high up as the sheep could reach6. » (Hæggström, 1990, p. 22)
45Ces témoignages nous renseignent sur la consommation, principalement du feuillage de l’if, par les vaches, les chèvres et les moutons. L’immunisation est due à une consommation depuis le plus jeune âge (Farris et Filigheddu, 2008) ou régulière par petites quantités. Durant l’hiver en Angleterre, l’if est consommé par le bétail car il représente la seule ressource feuillée disponible dans la nature, étant une des rares essences sempervirentes* de la région (Williamson, 1978). L’if est aussi réputé pour la qualité exceptionnelle de son bois, utilisé de tout temps pour la fabrication d’armes et d’outils (Gale et Cutler, 2000). À la Grande Rivoire, les analyses anthracologiques et celles des autres macrorestes végétaux ont révélé la présence de l’if, avec d’une part, de nombreux fragments de charbons de bois souvent sous forme de branchettes, et d’autre part de nombreux boutons floraux et graines carbonisés. Des branches et des rameaux d’if étaient clairement récoltés et apportés dans la bergerie, mais pour quel usage ? Parmi ses propriétés, le feuillage et le bois de l’if sont insecticides et son bois est antimicrobien et antibactérien (Daniewski et al., 1998 ; Erdemoglu et Sener, 2001). Pour ces qualités, mais aussi parce que la toxicité de cette essence peut être supportée par le bétail, nous pensons que l’if a pu être utilisé dans un but sanitaire, comme litière pour assainir la bergerie, voire comme complément alimentaire (Delhon et al., 2008 ; Martin et Thiébault, 2010). Sur le site de Horgen Scheller au bord du lac de Zürich, la présence de nombreuses branches d’if en contexte de bergerie serait interprétée de la même façon (Favre et Jacomet, 1998).
Bilan
46Les quatre sites étudiés dans ce travail ont des fonctions différentes : bergerie, habitat, halte de chasse ; ils sont à des altitudes différentes, entre 600 et 1 800 mètres, dans des biotopes variés, ce qui donne un bon aperçu de l’économie végétale des Alpes du Nord au Néolithique (fig. 23). Les communautés alpines ont comme nourriture de base les céréales, qu’elles peuvent cultiver aux alentours des sites, si elles en ont la possibilité, en choisissant les espèces les mieux adaptées, ici le blé engrain et l’orge. Elles pratiquent la cueillette sur un vaste territoire, de l’étage collinéen à l’étage subalpin, utilisant les ressources qu’offre chaque biotope selon son altitude.
47Le système pastoral repose sur la recherche de pâturages et la récolte de fourrage (foin, paille, feuillée), denrées qui constituent la base nutritionnelle du bétail. À la Grande Rivoire et plus discrètement aux Balmes, notre étude souligne le soin particulier apporté au troupeau avec la feuillée, les compléments alimentaires (céréales ?, gui) et l’entretien sanitaire de la bergerie (if, sapin) auquel nous pourrions rajouter la pratique de l’épandage de cendre et le brûlage des fumiers destiné à assainir les lieux et réduire le volume des dépôts.
Fig. 23. Schématisation de l’économie végétale des quatre sites étudiés par l’analyse carpologique. [Illustration L. Martin]

Notes de bas de page
1 Le seigle (Secale cereale) est une des premières céréales domestiquées au Moyen-Orient au xe millénaire avant notre ère. En dehors du Croissant Fertile, le seigle apparaît ensuite de manière fragmentée dans les Balkans et dans la péninsule italique durant le Néolithique. Cette céréale se développe ensuite aux âges des métaux et surtout à partir de l’âge du Fer en Europe occidentale. Sa culture se généralise et devient importante au Moyen Âge.
2 Ici ce sont probablement des érables (Acer sp.).
3 « Le fait curieux à propos du poison est qu’il n’affecte pas toujours les mammifères, et le secret serait qu’un animal peut acquérir une immunité. L’if était utilisé comme fourrage régulier sur le continent. »
4 « Le fait que le broutage a un impact sur la régénération de l’if semble contredire la notion que l’if fut éradiqué par les hommes pour protéger le bétail d’un empoisonnement. Les herbivores sont résistants à l’if. »
5 « Les paysans croient que l’if est vénéneux seulement sur les animaux qui l’ingèrent pour la première fois adultes, sans en avoir consommé avant ; il est inoffensif sur le bétail qui a consommé son feuillage depuis son plus jeune âge, et développe ainsi une tolérance. »
6 « Des moutons ont été observés en train de manger de l’if sur Åland et […] lorsque environ 200 moutons broutent sur l’archipel de Nåtö, les ifs deviennent complètement dénudés jusqu’à la hauteur qu’un mouton ne puisse plus atteindre. »
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