Chapitre II
Le Chenet des Pierres aux Moulins de Bozel (Tarentaise, Savoie)
p. 83-94
Texte intégral
Présentation générale du site
1Avec la Maurienne et la Vallée de l’Arve, la Tarentaise forme l’une des principales voies de circulation à travers les Alpes du Nord françaises (fig. 1). Un tracé en ligne brisée et de longues vallées latérales surtout développées vers le sud, lui permettent de desservir un territoire considérable entre la combe de Savoie et la vallée d’Aoste. Le site du Chenet des Pierres est situé dans la vallée du Doron de Bozel, un important affluent de l’Isère, qu’elle rejoint au sud de Moutiers. Elle donne accès à des vallées secondaires, s’ouvrant surtout vers le sud de la Maurienne (Saint-Martin-de-Belleville, les Allues, Pralognan) par les cols de la Vanoise, d’Aussois, de Pierre Blanche et des Encombres, entre 2 300 et 3 000 mètres d’altitude. La vallée de Bozel présente des flancs raides et ses formes d’origine glaciaire ont été largement remodelées par la dynamique sédimentaire holocène. Souvent très étroite, elle connaît deux élargissements, dont un à l’emplacement de l’actuelle commune éponyme. La zone étudiée est un chaos rocheux, en amont du hameau des Moulins, sur la rive gauche du Doron. Il est composé de grands blocs en quartzite blanchâtre, issus d’un dépôt d’écroulement transporté sur une dizaine de kilomètre par le glacier würmien. Cet ensemble, à la topographie interne très contrastée, est marqué par une série de petites terrasses très planes, plus ou moins allongées et subparallèles, dont la formation résulte à la fois de phases du retrait du glacier, du processus de déstabilisation des dépôts de pente et d’interventions humaines (Rey, 2007).
2Le site archéologique se trouve dans ce chaos de blocs, au lieu-dit du Chenet des Pierres, à une altitude de 940 mètres, orienté nord-ouest. La pluviométrie est assez élevée, autour de 850 à 900 millimètres par an, et contraste avec les conditions sèches plus en amont de la Haute-Tarentaise et de la vallée voisine de la Haute-Maurienne. Le site se trouve actuellement dans l’étage montagnard, à la limite entre la hêtraie-sapinière et la série intra-alpine de l’épicéa. Rapidement, 300 à 400 mètres plus haut, se développe la série subalpine du pin à crochets, du mélèze et de l’arolle.
3Hippolyte Müller signalait en 1909 un gisement néolithique proche du hameau des Moulins de Bozel. Depuis cette date, le site a été souvent mentionné mais il n’a jamais été étudié car son emplacement exact n’était pas connu. En 1999, dans le cadre d’une prospection thématique sur les occupations néolithiques en vallée de Tarentaise menées par Pierre-Jérôme Rey (2006, 2007), plusieurs sondages ont révélé la présence de niveaux d’occupations néolithiques au cœur du chaos rocheux (fig. 9, en bas). Un des secteurs les plus prometteurs, localisé à l’emplacement du sondage S3, fait l’objet depuis 2001 d’une fouille programmée, sous la direction de Pierre-Jérôme Rey. Elle concerne une surface quadrangulaire d’environ 30 m2 entre deux énormes blocs de schiste, allongés et parallèles (fig. 9, en haut).
4Le site est de faible superficie, avec d’excellentes défenses naturelles et à proximité du principal axe de circulation. Situé en pied d’ubac, il est bien exposé durant les mois d’été, mais son exposition hivernale est très mauvaise, avec peu de soleil et de la neige, ce qui permet d’envisager le caractère saisonnier du lieu. Malgré cela, le gisement a été occupé de manière intense et régulière.
Chronologie et horizons culturels des niveaux néolithiques
5Cinq niveaux ont été identifiés, dont les deux premiers sont totalement remaniés. On y remarque la présence de quelques indices du Néolithique final, sans plus de précision. Ils attestent le maintien de fréquentations épisodiques du site entre le dernier tiers du ive et le milieu du iiie millénaire.
6Les niveaux 3 et 4 constituent la séquence archéologique, que les vestiges permettent de situer au Néolithique moyen. La première occupation, le niveau 4, est caractérisée par une accumulation épaisse et très stratifiée de limons fins, pauvres en mobilier, entrecoupés de lentilles charbonneuses et de nombreuses nappes ou agrégats limoneux clairs plus ou moins chauffés. On y observe la présence discrète de structures d’habitats (petites fosses, accumulations de pierres, placages de limons clairs) ; il est possible que l’on se trouve dans une petite unité d’habitation. La seconde occupation, le niveau 3, est composée de dépôts peu stratifiés, d’aspect beaucoup plus uniforme et dépourvus de structures, ce qui pourrait évoquer l’existence d’un plancher surélevé. Le niveau 5, à la base du remplissage de la terrasse, se compose de limons sableux jaunes beiges à gravier stériles.
Fig. 9. Le Chenet des Pierres. En haut, vue de la fouille entre les deux blocs de schiste. En bas, topographie de la zone centrale du chaos rocheux avec l’implantation de la fouille (secteur 3) et des sondages. [Cliché et illustration P.-J. Rey]

7Trois datations radiocarbones ont été retenues sur des échantillons issus des couches du niveau 3 : deux concernent sa partie supérieure qu’elles placent entre 3950 et 3650 av. J.-C. ; une se rattache au niveau intermédiaire entre 3770 et 3630 av. J.-C. Quant au niveau 4, il est daté entre 4340 et 4050 av. J.-C.
8Les niveaux d’occupation ont livré un riche mobilier auquel s’ajoutent des macrorestes végétaux et des restes fauniques en quantité. Les vestiges de la culture matérielle comptent de nombreux tessons de céramique, une industrie lithique taillée sur silex et sur cristal de roche, une industrie lithique polie avec des lames et des ébauches de hache, du macro-outillage lié à des activités de broyage, de mouture et de polissage (Hamon et Rey, 2007), une industrie en matières dures animales ou encore des parures sur os, dent, roche ou sur coquillage. On mentionnera également la présence d’une stèle anthropomorphe, d’une dalle à cupules et de petits objets non fonctionnels façonnés sur des plaquettes de schiste. Une partie de ce matériel provient du recouvrement remanié de la terrasse fouillée, et beaucoup moins dans les niveaux d’occupation « en place ». Ce phénomène s’explique par l’érosion et le démantèlement de niveaux d’occupations situés sur des terrasses en amont (Rey, 2006).
9Les indications chronoculturelles les plus détaillées proviennent de l’étude de la céramique. Le niveau 4 marque un premier épisode d’occupation au Néolithique moyen 1. La céramique montre des influences croisées de la culture nord-italienne des vases à bouches carrées (VBQ), et plus sporadiquement du Saint-Uze de la moyenne et haute vallée du Rhône française. Quelques coupes carénées se rattachent probablement à des influences du Chasséen ancien rhodanien. L’ensemble du mobilier céramique du niveau 4 paraît compatible avec un épisode d’occupation assez court attribuable à la deuxième moitié du ve millénaire, dans l’intervalle 4400-4200 av. J.-C. Le niveau 3 indique une occupation plus récente, au Néolithique moyen 2. Dans ce niveau, la céramique, bien représentée mais très fragmentée, témoigne d’une grande diversité d’influences. Beaucoup d’éléments sont attribuables au Chasséen récent de la moyenne vallée du Rhône, à la culture Saint-Léonard du Valais, et à l’Italie du nord avec la culture Lagozza. L’influence du Cortaillod classique du Plateau suisse est réduite, tout comme celle du Néolithique Moyen Bourguignon (NMB). Si l’on se réfère à la chronologie proposée pour le Plateau suisse et le Valais, ce niveau serait daté entre 4000 et 3500 av. J.-C. La poursuite des fouilles et de l’étude du mobilier permettra de lever ces incertitudes chronoculturelles (Rey, 2006).
Méthodologie
10Le choix des prélèvements liés à l’étude des macrorestes végétaux a évolué depuis les premières campagnes de terrain en 1999. Lors du sondage réalisé en 1999, chaque couche a été échantillonnée selon un volume compris entre 500 millilitres et 1,1 litre. Cela représente un volume total de 14,4 litres. En 2001, la fouille a entamé le sommet des couches archéologiques, après le dégagement de gros blocs et de niveaux superficiels remaniés. En 2002, le décapage 21, situé dans la partie central de la zone fouillée a alors été totalement prélevé, ce qui représente un volume de 100 litres. À partir de 2003, la stratégie de fouille a changée et deux bandes latérales d’une surface totale de 16 m2 ont été ouvertes, afin de faciliter la compréhension de la géométrie des dépôts et de préserver les possibilités d’échantillonnage. À partir de 2004, nous avons donc mis en place un protocole d’échantillonnage pour les macrorestes végétaux. Pour suivre la stratigraphie complexe et l’étendue très variable des décapages, nous avons décidé de prélever deux litres de sédiment par quart de m2 et par décapage. Le sédiment fouillé est limono-organique, d’une couleur variant du brun/beige au noir. Si un décapage s’avère volumineux ou semble très organique, il peut faire l’objet de prélèvements supplémentaires. En outre, ceux jugés remaniés en cours de fouille, ou par la suite, ont été écartés de notre étude. Au cours des fouilles de 2004 et 2005, nous avons donc analysé 38 décapages – d69 à d442 – échantillonnés dans la bande « est » (la bande « ouest » étant trop remaniée), dont le volume total s’élève à 266 litres. Notre étude porte ainsi sur 380,5 litres de sédiment prélevés pour l’analyse carpologique et anthracologique.
11Le tamisage a été effectué dans un premier temps à la base de fouille de Bozel (d21), puis à l’Ipna de l’université de Bâle. Tous les échantillons ont été tamisés à l’eau sur une colonne de trois tamis de mailles 8, 2 et 0,5 millimètres. Afin de ne pas détériorer les macrorestes végétaux, nous avons choisi pour ce site de congeler les prélèvements avant leur tamisage. Cette méthode de congélation, testée par plusieurs archéobotanistes dans le cadre d’expérimentations, s’est avérée des plus efficaces. Ce procédé facilite le tamisage en décompactant le sédiment et en facilitant la dispersion des particules du sol dans l’eau, particulièrement les particules argileuses (de Moulins, 1996 ; Vandorpe et Jacomet, 2007). Nous avons ensuite séparé la fraction organique par flottation du reste du sédiment afin de simplifier le tri des macrorestes végétaux et de transmettre les charbons des mailles 8 et 2 millimètres à l’anthracologue (Stéphanie Thiébault).
12Le tri des refus de tamis est effectué à l’œil nu (mailles 8 et 2 millimètres) et à la loupe binoculaire (maille 0,5 millimètres) avec un grossissement de x 6 à x 40. Tous les restes sont conservés sous forme carbonisée. Dans le décapage d21 par exemple, le taux de fragmentation se situe entre 49,5 et 87,5 % selon les quarts de m2 et la moyenne est de 63,2 %. Les restes sont donc assez bien conservés. Les restes sont identifiés à l’aide de la collection de référence de l’Ipna à Bâle et de la littérature spécialisée (Anderberg, 1994 ; Cappers et al., 2006 ; Jacquat, 1988 ; Schoch et al., 1988).
13Le comptage des restes est un point que nous avons développé pour le site de la Grande Rivoire, au chapitre I de cette partie. Nous avons procédé de la même façon pour les macrorestes végétaux du Chenet des Pierres.
Résultats de l’analyse carpologique
14Dans les prélèvements issus du sondage de 1999, 559 restes botaniques ont été identifiés et 8 114 dans la fouille des décapages d21 et d69 à d442. Le nombre de restes par litre varie de 5 à 232 dans le sondage, avec une moyenne de 38,8 et de 1,5 à 60 dans les décapages d21 à d442. La moyenne pour ces derniers est de 22,2 restes par litre. Pour plus de clarté dans la présentation des résultats, nous ne prendrons en compte que les restes issus des fouilles (Martin et al., 2008). Le sondage de 1999 a livré quant à lui une majorité de céréales, dont la détermination n’a souvent pas dépassé le type cf. Cerealia ou Cerealia. Ils représentent en effet plus de 65 % des restes avec 365 caryopses sur 559 au total. Parmi les céréales, on notera toutefois l’importance de l’orge et l’absence du blé nu (fig. 11).
15Dans les prélèvements réalisés sur les décapages d21 et d69 à d442, 62 taxons ont été identifiés, dont 32 au rang de l’espèce ou par groupe de deux ou trois espèces, 19 au rang du genre, trois au rang du type, sept au rang de la famille et un rang de la tribu. Il s’agit là des panicées, qui regroupent des genres tels que les millets (Panicum sp.), les digitaires (Digitaria sp.) ou encore les sétaires (Setaria sp.).
16La composition du corpus est dominée par les caryopses et les graines. Les céréales sont aussi représentées par des restes de battage, soit des bases de glumes et d’épillets (fig. 5). Des aiguilles, coques, pépins et noyaux viennent également compléter ce tableau.
17Le dénombrement des occurrences montre que le groupe des céréales ainsi que les chénopodes (Chenopodium sp. et Chenopodium hybridum) sont les taxons les plus récurrents. Viennent ensuite le sureau yèble, noir ou à grappes (Sambucus ebulus/nigra/racemosa), le noisetier (Corylus avellana), l’arolle (Pinus cembra), la vrillée faux-liseron (Fallopia convolvulus), la ronce et le framboisier (Rubus sp. et Rubus idæus), les légumineuses (Fabaceae), les renouées (Polygonum sp., Polygonum aviculare, Polygonum lapathifolium/ persicaria), le sapin (Abies alba) et les rosacées (Rosaceae) (fig. 10).
Fig. 10. Le Chenet des Pierres. Liste des taxons les plus fréquents.
Taxons | Nombre de prélèvements dans lesquels le taxon est présent | Pourcentage des occurrences | Nombre de restes |
Cerealia, Triticum, Hordeum, caryopses et restes de battage | 36 | 94,7 | 4227 |
Chenopodium sp., chénopode, graine | 36 | 94,7 | 470 |
Sambucus sp., Sambucus nigra/racemosa, sureau noir ou à grappes, graine | 34 | 89,5 | 625 |
Corylus avellana, noisetier, fragment de coque | 30 | 78,9 | 422 |
Pinus cembra, arolle, fragment de coque de pignon | 24 | 63,2 | 109 |
Fallopia convolvulus, vrillée faux liseron, graine | 24 | 63,2 | 136 |
Rubus sp., Rubus idaeus, ronce et framboisier, graine | 24 | 63,2 | 81 |
Fabaceae, Légumineuses, graine | 20 | 52,6 | 186 |
Polygonum sp., renouée, graine | 16 | 42,1 | 43 |
Abies alba, sapin blanc, aiguille | 13 | 34,3 | 31 |
Rosaceae, Rosacées, graine et épine | 12 | 31,6 | 27 |
Nombre total de prélèvements | 38 | 100 % | 6 357 |
Les plantes cultivées
18Elles représentent la majorité des restes carpologiques, avec 4 789 restes sur 8 114 au total (fig. 11), soit presque 60 % du corpus. Parmi les plantes domestiquées, nous avons déterminé plusieurs sortes de céréales, mais aussi le pois cultivé (Pisum sativum) et le pavot somnifère (Papaver somniferum).
19Les céréales détiennent de loin la plus large place, par leur occurrence, elles sont présentes dans 36 échantillons sur 38 (fig. 10) et par leur nombre avec 4 227 restes. Parmi elles, nous avons identifié le blé engrain (Triticum monococcum), le blé amidonnier (Triticum dicoccum), le blé nu (Triticum æstivum/durum/turgidum, pl. I, no 1) et l’orge (Hordeum distichum/vulgare). L’aspect des caryopses d’orge, qui présentent souvent des vaguelettes sur leur surface, et qui sont parfois de forme asymétrique, indiquent que l’orge était une variété nue, à six rangs (Hordeum vulgare, pl. I, no 2). La plupart des céréales n’ont malheureusement pas pu être identifiées à l’espèce. En effet, 55 % ont été déterminées seulement au rang du type, c’est-à-dire cf. Cerealia ou Cerealia (fig. 11). Parmi les espèces identifiées, nous avons néanmoins une distribution qui montre une prédominance du blé nu et de l’orge, à la fois en nombre de restes sur l’ensemble des décapages et en nombre de restes/litre suivant les ensembles 3, 4 et dans le décapage d21. Le blé engrain et le blé amidonnier occupent une place secondaire, surtout sous forme de restes de battage (fig. 11).
Fig. 11. Le Chenet des Pierres. Plantes cultivées identifiées dans le sondage de 1999 et dans les niveaux du Néolithique moyen 1 (NM1) et du Néolithique moyen 2 (NM2).

20Le pois cultivé a été identifié par 140 individus répartis dans le décapage d21 (pl. II, no 2). Il est malheureusement difficile de déterminer les graines de cette espèce car le hile* a souvent disparu. Ainsi, six exemplaires seulement ont été identifiés de façon certaine. Les 134 autres sont probablement du pois cultivé, mais le hile n’est pas visible. On peut également présumer que les restes identifiés en tant que les légumineuses de type Vicia (Fabaceae type Vicia) pourraient contenir également des graines de cette espèce.
21Enfin le pavot somnifère complète le corpus des plantes cultivées (pl. II, no 3). Cette papavéracée, dont la capsule renferme de minuscules graines, est plutôt rare sur les sites archéologiques de plein air de cette époque, tandis qu’il est fréquent en contexte imbibé dans la région nord-alpine. Au Chenet des Pierres, les graines de pavot n’apparaissent que dans quelques échantillons du Néolithique moyen 1 et plus particulièrement dans les décapages d392 et d396, dans lesquels nous en avons trouvés plusieurs centaines.
Les autres macrorestes végétaux
22Le reste du corpus est composé d’arbres et d’arbustes, de plantes apophytes et d’autres taxons regroupés sous l’appellation « divers ».
23Les taxons forestiers rassemblent le sapin, l’arolle, le chêne à feuillage caduc (Quercus f.c.), l’if (Taxus baccata) et le tilleul à grandes feuilles (Tilia platyphyllos). On remarquera que le chêne est une espèce appartenant à l’étage collinéen, le tilleul croît jusqu’à l’étage montagnard, où se développent l’if et le sapin. Quant à l’arolle, son optimum est atteint à l’étage subalpin jusqu’à 2 500 mètres (Rameau et al., 1993). Les espèces forestières retrouvées au Chenet des Pierres couvrent donc plusieurs associations forestières à différentes altitudes. Dans ce groupe, ce sont surtout des fragments de coques de pignons d’arolle (109 restes) et des fragments de glands de chêne (18 restes) qui dominent.
24Les taxons d’ourlets forestiers et de fourrés arbustifs sont le noisetier, le pommier sauvage (Malus sylvestris), le bois de Sainte-Lucie (Prunus mahaleb), le prunellier (Prunus spinosa), la ronce, le framboisier ou encore le sureau yèble, noir ou à grappes. Le sureau, sous forme de graines (630 graines), le noisetier, sous forme de fragments de coques (422 restes) et plus discrètement des graines de framboisier (72 graines) et des fragments de pépin de pommier sauvage (38 fragments) dominent ce cortège d’espèces arbustives.
25Les apophytes, appellation sous laquelle nous avons regroupé les plantes rudérales et adventices des cultures, sont représentées par le chou ou la moutarde (Brassica/Sinapis sp.) ; le chénopode ; la vrillée faux-liseron ; les gaillets (Galium sp., Galium aparine et Galium aparine/spurium) ; la jusquiame noire (Hyoscyamus niger) ; le plantain (Plantago sp.) ; les renouées ; l’oseille (Rumex sp.) ; la sétaire verticillée ou verte (Setaria verticillata/viridis) ; l’ortie (Urtica dioica) ; la vesce noire ou velue (Vicia angustifolia/villosa) ou la verveine officinale (Verbena officinalis). Parmi ces taxons, on trouve beaucoup de restes dont le nombre n’excède pas cinq individus. Le spectre est largement dominé par le chénopode avec 606 graines sur 685 au total, suivi dans une moindre mesure par la renouée avec 43 restes. À eux deux, ils forment presque 90 % du corpus des apophytes.
26Sous l’appellation « divers », nous avons regroupé les restes pouvant appartenir à plusieurs milieux, comme la bugle rampante (Ajuga reptans), que l’on trouve en sous-bois comme en prairie pâturée ou le fraisier (Fragaria vesca), plante des bois, des haies ou des buissons. Deux galles de chêne (Neuroterus sp.), semblables à celles retrouvées à la Grande Rivoire ont également été identifiées.
27Les autres taxons de ce groupe sont déterminés jusqu’au genre ou la famille, ce qui ne permet pas de les attribuer à une groupe écologique particulier. On remarque toutefois l’importance des légumineuses, famille dans laquelle, comme nous l’avons dit plus haut, il pourrait y avoir des pois cultivés mal conservés.
28Il existe une nette différence entre le nombre de restes de chaque groupe écologique et le nombre de taxons qu’ils contiennent. Nous avons déjà souligné l’importance des plantes cultivées, mais le site comprend un nombre de taxons assez diversifié, notamment chez les apophytes (fig. 12).
Synthèse et interprétations
29L’analyse carpologique du Chenet des Pierres porte sur des échantillons provenant d’un sondage réalisé en 1999, d’un décapage prélevé en 2002 (décapage d21) et d’une série de couches fouillées en 2004 et en 2005 (décapages d69 à d442). Un volume de 380,5 litres de sédiment, tamisé à l’eau, a livré plus de 8 500 macrorestes végétaux. L’assemblage carpologique est largement dominé par les plantes domestiquées, et particulièrement les céréales. Parmi elles, le blé nu et l’orge sont les plus importants. De nombreux outils de broyage peuvent être associés aux céréales, et notamment plusieurs meules entières. L’analyse de leur surface évoque une utilisation de faible intensité, qui s’expliquerait par le remplacement des meules à chaque occupation en raison de l’abondance des matériaux disponibles (Hamon et Rey, 2007). En revanche le peu de restes de battages et de plantes adventices montre que le traitement des céréales et/ou leur stockage n’est pas pratiqué à même l’occupation. L’étude carpologique a également déterminé d’autres plantes cultivées comme le pois cultivé et le pavot somnifère. Le spectre des plantes sauvages est composé de graines et de fruits d’arbres et d’arbustes, parmi lesquels figurent le noisetier, le pommier sauvage, l’arolle, le chêne, le framboisier et le sureau. Les herbacées sont surtout des plantes apophytes, représentées principalement par le chénopode et la renouée, et d’autres plantes qui n’ont pu être déterminées qu’au rang du genre ou de la famille. L’intérêt du site du Chenet des Pierres repose sur une économie végétale partagée entre une importante quantité de céréales et les produits de la cueillette. Ceci nous amène à réfléchir d’une part sur la culture possible des céréales, du pois et du pavot aux alentours du site, d’autre part sur l’amplitude du territoire exploité pour la récolte de végétaux. La culture en altitude de plantes domestiquées n’est pas directement prouvée par les assemblages carpologiques, mais d’autres facteurs comme les données historiques et ethnographiques montrent que la culture du blé, de l’orge, du pois et du pavot est tout à fait envisageable autour de 1 000 mètres d’altitude. La cueillette est une activité importante au Chenet des Pierres : plusieurs plantes comestibles peuvent être récoltées aux abords du site, comme les pommes, les noisettes, les baies du sureau, les framboises, les prunelles ; en outre les occupants se déplaçaient à plus basse altitude, comme en témoigne la présence de glands de chênes, ou à plus haute altitude, où croît l’arolle, jusqu’à 2 500 mètres. Les résultats des analyses anthracologiques permettent aussi d’avoir un aperçu de l’exploitation du territoire par les occupants du Chenet des Pierres : la chênaie mixte était bien exploitée durant la première occupation, au Néolithique moyen 1, entre 4400 et 4200 av. J.-C., tandis qu’au Néolithique moyen 2, la forêt riveraine avec le frêne, le saule/peuplier et le genévrier sont mieux représentés. Ce dernier est d’ailleurs important et atteint plus du 30 % des charbons identifiés dans le décapage 21. Cette essence a des propriétés médicinales et son bois est dur, compact, résistant et fournit un excellent combustible. En revanche, le hêtre est totalement absent du spectre anthracologique, alors que la hêtraie-sapinière est la formation de l’étage montagnard, dans lequel se trouve le gisement (Martin et al., 2008). L’analyse carpologique n’a pas fourni de restes de hêtre non plus (fragments de faînes par exemple). La fonction du site est encore énigmatique et pourrait donc expliquer le choix des essences ligneuses et l’absence du hêtre.
Fig. 12. Le Chenet des Pierres. Répartition des restes et des taxons identifiés par association végétale (habitat principal) dans les niveaux néolithiques (sans prise en compte du sondage de 1999).

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