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Premiers paysans des Alpes

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Lucie Martin

Première partie. Le cadre naturel des Alpes occidentales

Chapitre II

Climat et végétation actuels

Texte intégral

1Située entre le 44e et le 48e degré de latitude nord, la chaîne alpine occupe une situation moyenne qui lui vaut un climat modéré. Pourtant, le climat alpin est fort contrasté d’une part en raison de l’altitude (insolation, températures, précipitations, couverture nivale) et du modelé topographique (exposition), d’autre part en raison de la forte extension du massif tant en latitude qu’en longitude. Ainsi, la variation des facteurs climatiques détermine une succession de climats allant des conditions méditerranéennes à un climat alpin proche de celui de l’Arctique.

Les gradients climatiques liés à l’altitude et l’exposition

  • 1  Les valeurs de ce gradient s’appliquent aux moyennes annuelles car elles varient selon les saisons (...)

2L’étagement des températures est un fait majeur de la climatologie montagnarde et particulièrement alpine. La température est liée principalement à de multiples facteurs. La pression atmosphérique, qui diminue avec l’altitude entraîne un refroidissement progressif, sachant que le gradient thermique correspond à une diminution de la température avec l’altitude d’environ 0,5 à 0,6 °C pour 100 mètres d’élévation1 ; le rayonnement solaire est beaucoup plus élevé en altitude qu’en plaine, du fait de la raréfaction de l’air et du degré d’humidité. On notera cependant des cas d’inversion thermique observés dans des vallées dans lesquelles l’air froid s’accumule, laissant les hauts versants et sommets au soleil ; les précipitations annuelles augmentent avec l’altitude, généralement en raison de la condensation liée aux ascendances, au refroidissement et au blocage des fronts chauds contre les versants. De nombreuses exceptions existent, liées à des facteurs topographiques. Les précipitations sont particulièrement élevées dans les chaînes subalpines, tandis que les Alpes internes sont plus sèches. Les vallées intra-alpines – la Maurienne, la Tarentaise, le Briançonnais, le Queyras et l’Ubaye – sont à l’abri du vent et ne reçoivent que des précipitations limitées. Ces zones de sécheresse expliquent par exemple la présence de plantes steppiques et le développement du pin sylvestre ; le nombre de jours de gelée varie de 150 jours à 1 500 mètres à 310 jours à 3 100 mètres. L’isotherme annuelle 0 °C oscille entre 2 600 et 3 000 mètres.

3D’autres facteurs que nous ne détaillerons pas ici peuvent également intervenir : le rayonnement terrestre nocturne, la nature du sol, la luminosité, l’humidité absolue de l’air, la durée de l’enneigement et la vitesse des vents (Ozenda, 1985, p. 8-27 ; Rameau et al., 1993, p. 17-19).

4Si l’altitude modifie les températures et la pluviosité de façon régulière, le relief provoque quant à lui des perturbations plus complexes liées notamment à l’exposition des versants. L’apport énergétique du soleil est optimal lorsque les rayons solaires frappent perpendiculairement la surface du sol, situation qui se produit en été sur les pentes inclinées d’environ 20°. Ces adrets, ou endroits, s’opposent aux ubacs, ou envers, où les rayons arrivent toujours obliquement et n’atteignent même plus le versant pendant certaines périodes hivernales. C’est en hiver que les oppositions thermiques entre adret et ubac atteignent leur maximum.

Les étages de végétation

5La température est un facteur écologique qui varie de manière stable en altitude et en latitude, et dont l’effet biogéographique se traduit, entre autre, par une succession de types de végétation lorsqu’on s’élève en montagne ou que l’on progresse du sud vers le nord. La notion d’étage décrite par les anciens auteurs du type « cultures/feuillus/résineux/alpages/neiges permanentes » est dépassée. Nous pouvons définir aujourd’hui un étage de végétation comme « […] un système de groupements végétaux réunis par une affinité écologique dans une même tranche d’altitude » (Ozenda, 1985, p. 67). Les étages sont aujourd’hui discontinus et variables, car les climax* forestiers ont presque disparu depuis les dernières glaciations. Comme le souligne Paul Ozenda, l’étage est « un ensemble d’unités biocénotiques* et de conditions écologiques qui leur sont associées », soit « un ensemble structuré d’écosystèmes » (1985, p. 13). Schématiquement, chaque étage de végétation a une amplitude comprise entre 500 et 900 mètres, avec une moyenne de l’ordre de 650 mètres et une fourchette de température d’environ 4 °C.

  • 2  Dans ce chapitre, les noms de plante sont en français mais leur correspondance latine, tirée de l’ (...)

6Différents modèles d’étages de végétation ont été proposés, caractérisés chacun par de grandes formations forestières (fig. 2). Dans les Alpes occidentales, nous distinguons schématiquement cinq étages de végétation, le cinquième étant l’étage nival, théoriquement celui des neiges éternelles. Nous décrirons très succinctement ici le modèle d’étages proposé par Paul Ozenda dans son ouvrage de référence (1985, p. 67), en laissant de côté les étages thermo- et mésoméditerranéens et en ne prenant en compte que les espèces ligneuses dominantes2.

7L’étage collinéen, souvent décrit comme l’étage des feuillus, comprend d’une part l’étage supraméditerranéen avec les séries supraméditerranéennes, delphino-jurassiennes et intra-alpines du chêne pubescent, d’autre part l’étage médioeuropéen avec les séries principales de la chênaie à charme et de la chênaie acidiphile*.

8La série supraméditerranéenne de type occidental, ou ibéro-provençal, occupe l’essentiel des Préalpes du Sud du Dauphiné et de la Haute-Provence. La végétation, majoritairement calcicole*, se développe entre 400 et 1 000 mètres, quelle que soit l’exposition. Elle est dominée par le chêne pubescent, et par des groupements arbustifs formés de buis, de genêt cendré et de lavande à feuilles étroites. La série delphino-jurassienne se développe sur les adrets calcaires du pourtour du Vercors, de la Chartreuse et des Bauges, jusqu’au sud du Jura, entre 200 et 800 mètres environ. Le chêne pubescent, toujours dominant, est encore accompagné du buis sur les sols les plus rocheux, et plus généralement par le genévrier commun, le prunellier et différents genres de rosiers. Avec la série intra-alpine à chêne pubescent, l’étage collinéen pénètre dans le domaine intra-alpin par le bassin de la Durance, dans les Alpes sud-occidentales, dans une moindre mesure dans les Alpes orientales (Trentin) et dans une partie des Alpes nord-occidentales en Val d’Aoste et en Valais.

9Du Dauphiné aux Préalpes viennoises, la lisière septentrionale de la chaîne alpine se caractérise par la série de la chênaie à charme. Sa composition revêt de multiples faciès avec une forme principale à chêne sessile et érable, riche en sous-bois arbustif.

10Dans le Piémont, la région insubrienne et dans quelques points des Alpes du Nord, on rencontre la série de la chênaie acidiphile. Sur pentes siliceuses et dans les collines du Bas-Dauphiné, sur les molasses par exemple, elle se caractérise par une chênaie à chêne sessile, associée au chêne pédonculé, au bouleau, au peuplier tremble, au châtaignier et à un sous-bois acidiphile.

11À l’étage montagnard, une des espèces emblématiques des massifs périphériques de la chaîne alpine est le hêtre. Il est abondant en moyenne montagne et sa limite inférieure se place là où disparaissent les feuillus collinéens, c’est-à-dire entre 700 et 1 200 mètres, suivant que l’on soit dans le Dauphiné ou dans les Alpes sud-occidentales. Dans sa forme la plus hygrophile*, le hêtre s’accompagne du sapin pour former la série de la hêtraie-sapinière. Dans la zone intra-alpine, il cède sa place au sapin, à l’épicéa et surtout au pin sylvestre.

12Dans les massifs externes des Alpes occidentales, on distingue les hêtraies des Alpes calcaires du Nord, les hêtraies des régions siliceuses et les hêtraies du versant sud des Alpes. L’étage montagnard interne, caractérisé par des particularités climatiques, notamment par une continentalité plus marquée, est occupé par des formations végétales différentes, comme la série interne du sapin, la série interne de l’épicéa, la série mésophile* et xérophile* du pin sylvestre.

13Les hêtraies des Alpes calcaires du Nord peuvent se répartir en plusieurs groupes écologiques dans lesquels le hêtre se voit accompagné, selon l’altitude, de l’érable sycomore ou du sapin. Quant aux hêtraies, elles regroupent des forêts mixtes avec érable et tilleul et des hêtraies-sapinières, parfois riches en épicéa au montagnard supérieur.

14Si l’on rencontre des hêtraies de régions siliceuses dans le Piémont méridional jusqu’aux Alpes ligures, leur forme calcicole recouvre le versant sud des Alpes, du Dauphiné méridional à la Haute-Provence. Au montagnard inférieur, on observe des hêtraies à buis et à lavande, ou associées au buis et à l’if.

15La série interne du sapin est souvent mixée avec l’épicéa, et plus rarement le hêtre, qui peut persister malgré un climat subcontinental et une moindre humidité. La sapinière préfère les versants nord et son optimum se situe entre 800 et 1 300 mètres sur sol siliceux ou calcaire. Son cortège floristique n’a pas de caractéristique, mais se situe entre celui de la hêtraie-sapinière externe et des pessières internes.

16La série interne de l’épicéa est une formation dont la strate arborée et le sous-bois sont généralement pauvres. Cette série se développe en toute exposition, et sur toute roche dans l’ensemble du montagnard interne, et comprend de nombreuses sous-associations, suivant la qualité du sol et sa situation.

17La série mésophile du pin sylvestre est un groupement dont la forme principale est répandue dans les Alpes intermédiaires. Elle occupe des substrats de nature variée entre 600 et 1 500 mètres, toujours sur sols pauvres comme les rendzines ou les éboulis. Les pins, parfois accompagnés du chêne, ont une strate arbustive et herbacée thermophile*. Dans les Alpes sud-occidentales, la série forme une large bande allant du Dauphiné méridional aux Alpes maritimes et plusieurs formes se démarquent : les sous-séries à hêtre, à noisetier, à charme-houblon et à sapin.

18Quant à la série xérophile du pin sylvestre, cette formation originale n’occupe que certains adrets plutôt calcicoles de quelques vallées dans les milieux les plus secs du domaine intra-alpin, présentant un noyau de continentalité comme c’est le cas de la Haute-Durance, de l’Ubaye, du Haut Val de Suse, de la Haute-Maurienne, du Val d’Aoste et du Valais.

19L’étage subalpin est difficile à décrire car il est complexe, mais il se situe en premier lieu comme l’espace compris entre la limite supérieure du hêtre ou du pin sylvestre, et la limite supérieure de la végétation ligneuse, soit la base de l’étage alpin. Dans les Alpes occidentales, l’étage subalpin se positionne entre 1 700 et 2 400 mètres, avec une température moyenne annuelle comprise entre 0,5 et 4 °C et des précipitations élevées, soit plus de 1 000 millimètres par an. Le climax de cet étage est formé de forêts de conifères adaptés à un hiver rude, il s’agit de l’épicéa, du mélèze, de l’arolle (ou pin cembro), du pin à crochets, du pin mugo et parfois du sapin et du pin sylvestre. L’aulne vert est le seul feuillu répandu tandis que le bouleau est présent localement. Hormis la série du pin mugo qui n’existe que dans les Alpes centrales et orientales, on distingue dans les Alpes occidentales les séries subalpines de l’épicéa et du sapin, la série du pin à crochets et les séries de l’arolle et du mélèze.

20La première domine largement dans les Préalpes du Nord et dans le Dauphiné. La série du sapin, qui remplace l’épicéa dans les Alpes du Sud là où il n’est pas présent, est beaucoup plus rare. La série du pin à crochets partage avec l’épicéa l’étage subalpin des massifs calcaires périphériques. Son développement est optimal sur les plateaux karstiques du Vercors et de la Chartreuse où elle forme des pinèdes claires.

21Le mélèze, seul conifère européen caducifolié*, et l’arolle forment une série assez homogène, principalement intra-alpine dans les Alpes occidentales, et sont souvent liés à des landes à rhododendron ferrugineux, à myrtilles et airelles. La limite supérieure de l’étage subalpin est marquée par une diminution progressive du peuplement arboré, appelé « zone de combat » sur environ 100 mètres, jusqu’à la prairie, sachant qu’actuellement l’action de l’homme et des troupeaux rend cette limite beaucoup plus nette. Les causes écophysiologiques sont le ralentissement de la croissance des arbres du aux faibles températures, à la courte période de végétation, au vent et à l’état des sols, à la difficulté de multiplication des graines. En outre, les arbres adoptent souvent des formes « rabougries » pour survivre. Le manteau forestier de l’étage subalpin est moins dense qu’en moyenne montagne, laissant place à des groupements de pelouses herbacées et de landes arbustives comme les mégaphorbiaies* ou les brousses d’aulne vert.

22À l’étage alpin et nival, les plantes doivent s’adapter à un milieu extrême (Aubert et al., 2003). Les conditions écologiques, particulièrement sévères, sont dues aux basses températures, à un fort enneigement, à l’insuffisance des sols, à la forte isolation ou au vent. Ainsi, les plantes qui s’y adaptent sont généralement de petite taille, adoptent une forme naine ou en coussinet, se couvrent d’une pilosité importante pour protéger leurs parties vitales, ont des fleurs colorées. L’étage alpin est compris entre la limite supérieure de la végétation ligneuse et la limite supérieure des pelouses continues. Il se situe en moyenne entre 2 000 et 3 000 mètres.

23L’étage nival, à partir de 3 000 mètres environ, bien qu’il soit défini théoriquement comme celui des neiges permanentes, comprend dans sa partie inférieure des touffes isolées et des coussinets. Les fragments de pelouses disparaissent progressivement pour ne laisser place qu’à des associations de mousses, de fougères ou de polypodes puis de lichens, d’algues et de cryo-planctons*. En raison du réchauffement climatique, la flore de l’étage nival est en voie d’enrichissement.

Fig. 2. Modèle d’étages de végétation dans les Alpes françaises du Nord. [Illustration L. Martin, modifiée d’après Rameau et al., 1993, p. 26]

Fig. 2. Modèle d’étages de végétation dans les Alpes françaises du Nord. [Illustration L. Martin, modifiée d’après Rameau et al., 1993, p. 26]

Notes

1  Les valeurs de ce gradient s’appliquent aux moyennes annuelles car elles varient selon les saisons et sont notamment beaucoup plus élevées en été (environ 0,7 °C) qu’en hiver (environ 0,4 °C). Le même gradient thermique s’applique en fonction de la latitude à raison d’environ 0,6 °C pour un degré de latitude.

2  Dans ce chapitre, les noms de plante sont en français mais leur correspondance latine, tirée de l’ouvrage précité, est consultable dans la table de correspondance des noms de plantes p. 211.

Table des illustrations

Titre Fig. 2. Modèle d’étages de végétation dans les Alpes françaises du Nord. [Illustration L. Martin, modifiée d’après Rameau et al., 1993, p. 26]
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