L’agronomique et l’anthropologique dans la France postrévolutionnaire
p. 63-87
Texte intégral
1Le 13 novembre 1790, tandis que les édifices publics arboraient le drapeau tricolore de la Révolution à travers tout Paris1, Antoine Lavoisier soumit à l’Académie des sciences son « Premier mémoire sur la respiration des animaux ». Lavoisier devait beaucoup à l’Ancien Régime, notamment la fortune qu’il avait acquise en tant que responsable de la collecte de l’impôt royal. Il avait beaucoup à perdre lorsque l’Assemblée constituante proclama l’abolition de l’ordre féodal et de la Ferme générale dont il tirait ses revenus. Pourtant, Lavoisier rallia le camp de ceux qui cherchaient à réorganiser la société sur de nouveaux principes, des principes de nature et de raison, et non de privilège ou de pouvoir. Si ce mémoire sur la respiration est un document décisif dans l’histoire de la chimie moderne, nous pouvons également y voir un manifeste pour une société nouvelle.
2Les animaux, soutenait Lavoisier à l’Académie, sont des « corps combustibles » au même titre qu’une bougie allumée ou qu’une lampe à huile. Tout comme la lampe brûle peu à peu sa matière combustible, les animaux « brûlent et se consument » sous l’action de la respiration2. La matière combustible, les animaux la tirent de leur propre corps et, plus précisément, de la digestion de leur nourriture. Lors de ses expériences de chimie sur la chaleur, Lavoisier avait d’ailleurs étudié la combustion de nombreuses bougies, qu’il concevait comme un échange de matière observable et mesurable, et il avait développé sa conception des animaux sur le modèle de ces expériences. Tout comme l’huile et la cire de la bougie sont la « nourriture » de la combustion, la nourriture est la substance dont s’alimente la respiration ; ces phénomènes reposent tous deux sur un équilibre fragile3. Les animaux doivent reconstituer en permanence la matière qu’ils consument, faute de quoi, tout comme la flamme d’une bougie, ils s’éteindraient4.
3Lavoisier conclut de ses expériences sur la respiration l’existence d’un écart entre l’équilibre naturel, dans lequel les hommes consomment ce dont ils ont besoin, et les inégalités sociales existantes. De l’esprit des Lumières, il partageait la conviction qu’en l’absence de contraintes sociales les forces de la nature atteindraient un état d’équilibre optimal. Cependant, ses conclusions insistent sur l’actuelle inadéquation flagrante entre les besoins physiologiques et la répartition sociale des biens.
Tant que nous n’avons considéré dans la respiration que la seule consommation de l’air, le sort du riche et celui du pauvre était le même ; car l’air appartient également à tous et ne coûte rien à personne […]. Mais maintenant que l’expérience nous apprend que la respiration est une véritable combustion, qui consume à chaque instant une portion de la substance de l’individu […], qu’elle augmente à proportion que l’individu mène une vie plus laborieuse et plus active, une foule de considérations morales naissent comme d’elles-mêmes de ces résultats de la physique.
Par quelle fatalité arrive-t-il que l’homme pauvre, qui vit du travail de ses bras, qui est obligé de déployer pour sa subsistance tout ce que la nature lui a donné de forces, consomme plus que l’homme oisif, tandis que ce dernier a moins besoin de réparer ? Pourquoi, par un contraste choquant, l’homme riche jouit-il d’une abondance qui ne lui est pas physiquement nécessaire et qui semblait destinée pour l’homme laborieux ?5
4Le mémoire de Lavoisier posa le problème des besoins humains à la jonction de la science et du politique, problème qui, avec la Révolution, revêtit un caractère d’urgence. La société nouvelle devait s’enraciner dans la raison universelle et la nature humaine. Pour Lavoisier comme pour tant d’autres, les institutions sociales devaient découler des principes premiers de la nature. Lavoisier reconnaissait qu’« une foule de considérations morales naissent […] de ces résultats de la [science] physique6 ». Dans son mémoire, la connaissance scientifique apparaît comme le garant de l’ordre social. La science, et en particulier la science des besoins, rendait manifeste l’injustice sociale.
5D’une manière plus générale, la question des besoins était au cœur des sciences humaines modernes. Les révolutions et l’industrialisation ayant remis en cause l’autorité coutumière, il revenait aux sciences humaines de rendre compte des inégalités sociales, ce à quoi la notion de besoin servit de principe d’analyse. Les besoins humains servaient à justifier le libéralisme des économistes classiques et l’étatisme des hygiénistes. Tout au long des xixe et xxe siècles, la référence aux besoins légitima la division sociale et sexuelle du travail ainsi que le travail salarié. Dans les sciences humaines, la notion de besoin fut utilisée pour identifier les aptitudes des individus dans la société moderne et pour déterminer les conditions nécessaires à leur existence.
6Le présent essai décrit deux modes de construction du sujet du besoin humain : le mode agronomique et le mode anthropologique. Dans la France du xixe siècle, l’agronomie scientifique emprunta largement aux méthodes de Lavoisier, reliant les sciences naturelles, les sciences humaines et l’État. Les agronomes du xixe siècle concevaient la vie en termes de circulation : chaque animal n’était qu’une étape dans un cycle de transformation perpétuelle de la matière. Cependant, dans le même temps, le savoir anthropologique fut également un lieu de constitution du sujet du besoin. Le terme « sujet anthropologique », que nous emploierons dans la seconde partie de cet essai, fait référence au travail d’Elizabeth Williams sur la science de l’homme, qu’elle désigne aussi en anglais par le terme anthropological medicine. D’après le Dr Pierre Cabanis, la condition humaine découlait des besoins ; il considérait l’état physique et le sens moral indissociables. C’est à partir des idées de Cabanis, et de celles d’autres pionniers des sciences humaines, que se construisit la notion de sujet telle qu’elle apparaît dans ce texte fondateur de la France moderne qu’est le Code civil de 1804. Le modèle de société humaine que l’on trouve dans l’économie politique de Jean-Baptiste Say repose sur les idées de Cabanis. Les autorités médicales, les économistes et les hygiénistes appliquaient une grille d’analyse « anthropologique » lorsqu’ils étudiaient les pauvres et les populations laborieuses. Leurs enquêtes sociales croisaient la médecine, l’économie politique et les préoccupations des patrons industriels.
7Quasiment tous les acteurs de ce mouvement s’adonnaient et à la science et à l’expérimentation ; de même, leur travail répondait à un intérêt économique autant que scientifique. Lavoisier était à la fois chimiste, économiste et fermier général. Cabanis, professeur de médecine et marié à la veuve du marquis de Condorcet, avait été élu député et avait vivement soutenu le coup d’État de Napoléon en 1799. Say travaillait dans les assurances et bâtit un empire industriel dans le textile avant d’embrasser une carrière de professeur d’économie politique. Les agronomes et les réformateurs sociaux qui s’inspiraient de ces sources contribuèrent également à la science, à l’industrie et à la politique du xixe siècle. Cette perméabilité entre les sciences physiques, l’activité économique et l’engagement politique explique l’étendue de leur influence sur les sciences sociales en France. Le discours sur le besoin qu’ils échafaudèrent alimenta plusieurs disciplines déterminantes des sciences humaines, comme l’agronomie, la médecine, l’hygiène sociale et la science économique.
Le sujet agronomique
8Lavoisier était convaincu que les besoins humains, tels que la science les révélait, devaient être l’horizon et la mesure de l’avancement de la société révolutionnaire. La nature, et non la loi divine, la tradition ou les exigences du peuple, fournissait un principe stable de gouvernement. Dans son mémoire, Lavoisier avait édifié le besoin humain en sujet d’étude scientifique, clé de voûte d’un ordre social fondé sur la science. La France nouvelle, soutenait-il, pouvait atteindre un état d’équilibre naturel. Et la science serait son guide.
9Dans la nature, soutenait Lavoisier, le corps humain faisait preuve de l’étonnante capacité à adapter sa consommation aux diverses conditions rencontrées, que ces dernières aient trait à la température, à l’effort ou au climat. La nature précède les institutions sociales et leur est supérieure.
C’est une chose vraiment admirable que ce résultat de forces continuellement variables et continuellement en équilibre qui s’observent à chaque pas dans l’économie animale, et qui permettent à l’individu de se prêter à toutes les circonstances où le hasard le place […]. L’ordre physique, assujetti à des lois immuables, arrivé dès longtemps à un état d’équilibre que rien ne peut déranger, n’est point sujet à ces mouvements tumultueux que présente quelquefois l’ordre moral.7
10Lavoisier tempérait son entrain en mentionnant ce fait scandaleux : l’ouvrier pauvre, qui travaille bien plus dur que son riche et oisif voisin, dispose de beaucoup moins de nourriture que ce dernier. Cependant, pour Lavoisier, cela n’était pas imputable à la nature puisque ces « fautes […] tiennent sans doute à nos institutions sociales et […] peut-être en sont inséparables8 ». Les inégalités n’étaient pas le fait de la nature mais de l’homme.
11Lavoisier évoluait dans un monde, celui de la France de l’époque des Lumières, où les variations, les accidents et les fluctuations étaient contenus dans certaines limites fixes. Tout système naturel, abandonné à lui-même, tendait vers un état d’équilibre9. Le physicien Pierre Simon de Laplace avait construit un modèle de l’univers conçu comme un système évoluant à l’intérieur de certaines limites données. Les mers et les sphères célestes se mouvaient du nadir au zénith selon un mouvement régulier. « Comme dans toutes les grandeurs susceptibles d’un maximum ou d’un minimum, l’accroissement et la diminution de la marée [s’effectuent] vers ces limites », écrivait Laplace dans son Exposition du système du monde10. Il en était de même du soleil, des lunes de Jupiter, de la proue d’un bateau, des planètes Mercure et Vénus comme de tout système en mouvement. Le réformateur de l’Ancien Régime Anne Robert Turgot observait également « un équilibre », cette fois dans l’économie française, « entre la valeur de toutes les productions de la terre, la consommation des différentes espèces de denrées, les différents genres d’ouvrages, le nombre d’hommes qui y sont occupés, et le prix de leurs salaires11 ». Le mathématicien Joseph Louis Lagrange avait conçu un « calcul de la nourriture » qui recensait toutes les denrées alimentaires produites et consommées en France, qu’il quantifiait en unités de pain. Il en conclut que le prix des aliments variait en fonction de leur valeur nutritive12. Ainsi, les denrées alimentaires, la monnaie et les individus se déplaçaient-ils, à l’instar des corps célestes, entre des limites universelles selon une certaine harmonie. La science des besoins humains de Lavoisier s’inscrivait dans cette tradition et la Révolution le conduisit à souligner l’abîme qui existait entre l’état d’équilibre naturel et l’injustice sociale.
12Dans son mémoire, Lavoisier proposait de classer les différents types de travail en fonction d’une unité de mesure physique commune : les produits de la combustion du corps. Il fit camper son assistant dans un dispositif permettant d’étudier la respiration, où le jeune homme pouvait effectuer des mouvements plus ou moins rapides et doser son effort. L’instrument permettait à Lavoisier de recueillir et de peser la matière produite par l’homme au repos ou s’adonnant à différentes tâches. Il prétendait parvenir ainsi à comparer des activités qui jusque-là n’avaient présenté aucun trait commun. Les efforts fournis par un musicien jouant d’un instrument, par un philosophe plongé dans ses pensées, par un politicien donnant un discours et par un porteur de briques pouvaient être réduits à leur dimension « mécanique13 » et ainsi être saisis dans un même regard. Lavoisier mesurait le travail « mécanique » de son sujet en termes de « poids élevés à une hauteur déterminée ». Tout type d’effort était exprimé en ces termes et le niveau de respiration qu’il exigeait était calculé. Dans ces calculs, Lavoisier faisait référence à la physique des forces et du mouvement, qui deviendra par la suite la science du travail14. Pour lui, travail et besoin étaient les deux termes d’une équation physicochimique.
13Les besoins, pour Lavoisier, obéissaient à certaines lois sans toutefois être universels : « Il existe pour chaque personne une loi qui ne se dément pas », et qu’il revient au scientifique de mettre au jour. Tous les individus sont soumis à leur propre loi et ces lois sont « assez constantes » et mesurables15. « La consommation absolue doit varier considérablement dans différents individus, suivant leur âge, leur état de vigueur et de santé, suivant qu’ils ont plus ou moins contracté l’habitude des travaux pénibles16. » Le propos de Lavoisier n’était pas de définir une référence unique et universelle en matière de nutrition ; il encourageait les savants à trouver les quantités adaptées à chaque individu. Telle était la tâche à laquelle devait s’atteler le médecin, qu’il enjoignait à payer son tribut à la patrie.
Le physicien peut aussi, dans le silence de son laboratoire et de son cabinet, exercer des fonctions patriotiques ; il peut espérer, par ses travaux, de diminuer la masse des maux qui affligent l’espèce humaine ; d’augmenter ses jouissances et son bonheur […] il pourrait aspirer aussi au titre glorieux de bienfaiteur de l’humanité.17
14Lorsque les sociétés ignoraient les lois naturelles du besoin, apparaissaient la pauvreté et la mort. L’inadéquation des salaires des ouvriers mettait leur santé physique en péril. La société octroyait au manœuvre qui s’épuisait à la tâche des moyens de subsistance plus limités qu’au riche oisif. Lavoisier avertissait son public que lorsqu’un ouvrier ne disposait pas de la quantité de nourriture qui lui permettait de reconstituer ce qu’il avait dépensé, il était voué à l’épuisement. À partir d’un certain seuil, le corps n’est plus capable de pallier la perte de matière « et c’est alors que commence l’état de maladie18 ». Après avoir décrit ce déséquilibre physiologique, Lavoisier s’employa à le corriger et proposa courageusement une transformation du rapport salarial.
15Dans l’ordre social révolutionnaire tel qu’il le concevait, les salaires ne seraient plus déterminés exclusivement par le marché, mais leur niveau serait fixé en fonction de la mesure scientifique des dépenses physiologiques. Les lumières de la science, soutenait-il, allaient conduire la société nouvelle « à augmenter le prix du travail, à lui assurer sa juste récompense19 ». Son discours était l’expression scientifique et radicalement moderne de revendications populaires en faveur d’un « juste prix20 ». Sans avoir formulé explicitement la maxime « À chacun selon ses besoins21 », il avait anticipé parfaitement la pensée de Marx, à la nuance près que son langage était celui de la science et non celui du droit. Les médecins-scientifiques, et non les politiciens, étaient seuls à même de déterminer le niveau de besoins qu’un salaire donné pouvait satisfaire.
16Le calcul chimique du besoin conçu par Lavoisier fut rejeté en bloc par les autorités médicales du début du xixe siècle. Les physiologistes tels que François Magendie s’attelèrent à l’étude spécifique et approfondie des organes, tournant le dos aux lois générales comme l’équation des entrées et des sorties. La confusion qui régna pendant la Terreur ébranla la confiance en la science et la transformation sociale affichée par Lavoisier. Dans les années 1840 cependant, un groupe influent de chimistes-agronomes remit à l’ordre du jour les méthodes de Lavoisier et les perfectionnèrent. La science agronomique devint l’un des cadres conceptuels majeurs de la réforme sociale en France au milieu du xixe siècle.
17Au xixe siècle, les agronomes appliquaient la gestion économique aux plantes et aux animaux, dont ils exprimaient les besoins en unités mesurables de carbone et d’azote. Au fil de leurs expériences scientifiques, ils construisaient ce que je nommerai ici le « sujet agronomique ». L’agriculteur moderne était un administrateur du vivant rationnel et efficace. Les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé sur les apports minimaux en glucides et en protéines, les étiquettes alimentaires affichant les apports journaliers recommandés et la pesée des rations dans les cantines sont toutes héritées de cette science de l’alimentation du xixe siècle.
18Le milieu du xixe siècle connut un phénomène d’« agromanie ». L’agriculture commerciale prit un essor rapide et de nombreux manuels agricoles virent le jour22. La plupart des produits agricoles étaient destinés non plus à la consommation domestique mais à la vente ; l’économie de subsistance recula au profit de l’économie de marché23. Partout en France, tandis que la superficie des terres cultivées augmentait, la production de grains à destination du marché supplanta toutes les autres cultures24. La richesse foncière demeurait le signe distinctif de l’influence politique et sociale. La conception de l’industrie propre à la monarchie de Juillet était intimement liée à l’agriculture et à l’exploitation des ressources naturelles. S’inspirant de la tradition physiocratique, les réformateurs considéraient que la richesse nationale était avant tout d’origine agricole et les enquêteurs sociaux, comme Louis Villermé et Bigot de Morogues, idéalisaient la vie rurale et l’économie agricole25.
19L’approche agronomique du vivant s’étendait, au-delà de la ferme, à toute population humaine. L’agriculture scientifique, comme les historiens de la science économique commencent à le montrer, infléchit le développement de l’économie politique26. Les rendements agricoles avaient un impact direct sur la croissance et la prospérité d’une nation. « L’agriculture se trouvait ainsi au cœur des deux sujets majeurs de l’économie politique » de la période moderne : la population et la consommation27. Les agronomes étaient aux prises de problèmes tels que le travail, la subsistance, les classes sociales et la répartition des richesses. La mesure agronomique des entrées et des sorties, des quantités de carbone et d’azote devint l’étalon du besoin humain. Les détenus, les écoliers, les soldats et les pauvres bénéficiant d’aides sociales, tous se virent dispenser des rations soigneusement pesées, établies d’après le canon agronomique. Les réformateurs sociaux et les administrateurs publics considéraient les pauvres et les classes laborieuses comme des sujets agronomiques.
20Depuis le xviiie siècle au moins, l’étude scientifique de l’agriculture avait porté sur des problèmes d’efficacité ainsi que sur la quantification et l’optimisation des ressources. Comme l’écrivait Jean Antoine Chaptal dans son ouvrage, La Chimie appliquée à l’agriculture (1823), « en agriculture, tout doit être calcul, et les opérations doivent s’y régler par dépense et par recette, comme dans toutes les entreprises bien conduites ». Dans cette perspective, l’objectif du calcul était certes de minimiser les dépenses, mais aussi et surtout de les indexer au plus près des besoins de la production, étant entendu que l’agriculture « n’exige que le nécessaire, elle réprouve le superflu comme une espèce de luxe28 ». Si les agronomes avaient adopté les méthodes scientifiques de la chimie et de la médecine, leurs objectifs demeuraient pragmatiques. La popularité de leurs résultats expérimentaux ne reposait pas seulement sur la rigueur scientifique dont ils témoignaient, mais sur des considérations comptables : la question était de savoir si une nouvelle source d’engrais, un nouvel aliment, permettait de maintenir voire d’augmenter les productions animale et végétale.
21Dans le cas des produits animaux, les « besoins de la production » que nous venons de mentionner étaient principalement les besoins du bétail. Les agronomes considéraient de ce fait le corps animal comme un système d’entrées et de sorties. Les organismes vivants étaient traversés par une fraction du quantum de matière qui circulait à grande échelle. La mesure du poids – la balance en équilibre –, manifestait l’équilibre entre le corps et son environnement : la dépense s’était cantonnée au « nécessaire ». L’écart par rapport à la référence pondérale était le signe d’un dysfonctionnement ou d’un mauvais entretien, qui provenait soit un d’un excès d’économie sur les dépenses, sur l’alimentation du bétail, soit au contraire d’une dépense incontrôlée, un « superflu », une « espèce de luxe ». Le corps agronomique, dans ses conditions idéales d’exploitation, tirait sa matière de son environnement et lui restituait ladite matière sous une forme nouvelle, perdant et recouvrant continuellement sa propre matière.
22« Au moment où la chimie pénètre de plus en plus dans le domaine de la physiologie, écrivait Dumas, toutes les opinions doivent être soumises à l’épreuve de la balance, qui saura démêler la vérité de l’erreur29… » Dumas fit l’éloge de son collègue Jean-Baptiste Boussingault à l’Académie des sciences pour avoir apporté la rigueur de la chimie aux sciences de la vie. « M. Boussingault […] a introduit l’emploi de la balance dans l’étude des questions de physiologie générale. » Seuls les chimistes, soutenait Dumas, étaient en mesure de décrire la circulation de la matière entre les êtres vivants et leur environnement, « cette suite de réactions merveilleuses, dont le balancement assure […] l’existence même des plantes et des animaux à la surface de la terre ». La notion d’équilibre renvoie, chez Dumas, à la fois à celui des instruments de pesée et à celui des réactions chimiques. Concernant les questions d’ordre physiologique, « [Boussingault] a cherché à former pour chacune d’elles une équation, et mettant d’un côté toutes les matières employées, de l’autre toutes les matières produites30 ».
23Boussingault, soulignait Dumas, avait montré comment appliquer les méthodes de Lavoisier à l’ensemble des sciences du vivant de ce xixe siècle. Dumas publia les œuvres complètes de Lavoisier et s’employa à remettre au goût du jour les travaux du chimiste révolutionnaire. La célèbre maxime de Lavoisier selon laquelle « Rien de se perd, rien ne se crée » faisait référence à des réactions de chimie organique31. Il décrivait les transformations à l’œuvre dans le corps humain comme un processus continuel d’absorption, de combustion et de rejet de matière32. Il était possible d’expliquer les transformations du vivant par des bilans chimiques et économiques33. Chaque jour, écrivait Lavoisier en 1792, « une somme de matière égale à ce qui est reçu dans le canal intestinal se consume et se dépense, soit par la transpiration, soit par la respiration, soit enfin par les différentes excrétions34 ». Pour lui, les phénomènes naturels n’étaient accessibles que par le biais d’instruments de mesure, et les données ainsi récoltées permettaient au savant d’identifier les processus naturels dont ils étaient le fruit35.
24Dumas et Boussingault considéraient également que le langage de la chimie était apte à décrire les transformations du vivant. « Lorsque l’on soupçonne qu’une transsubstantiation est à l’œuvre dans le corps d’un animal, on doit pouvoir l’exprimer à partir de la composition chimique des éléments transformés et tenter de la réduire à une équation36. » Dans les années 1830 et 1840, les chimistes perfectionnèrent les instruments utilisés pour mesurer les quantités relatives des composants élémentaires des substances volatiles. L’augmentation du niveau de précision des mesures allait de pair avec l’élargissement du cadre théorique de la chimie organique. En améliorant le Kaliapparat, innovation mise au point par Liebig, les savants français obtinrent des mesures simples et précises de produits organiques par combustion37. L’analyse quantitative se généralisa en chimie organique, aux côtés de l’analyse de type comptable promue par Lavoisier.
25Chez ces auteurs, la vie animale est conçue comme un mouvement perpétuel de matière, une éternelle succession « [de] déplacements et [de] remplacements ». « Le mouvement de la vie consiste dans un échange incessant de matière. […] chacun de nos actes, qu’il soit d’ordre intellectuel ou matériel, nécessite la destruction d’une partie de notre corps38. » Les animaux brûlent de la matière par combustion et perdent de la matière par excrétion. « Les organes de la machine animée ne sont pas seulement usés par le frottement comme les garnitures en cuivre de la machine à vapeur », expliquait Gasparin : au fur et à mesure que l’animal consomme et élimine de la matière par la respiration et par l’excrétion, « il [lui] faut substituer de nouveaux éléments identiques ». « Leur machine est toujours à reconstruire ou au moins à entretenir39. » Ces phénomènes d’usure, de destruction et de réparation participent de « ce renouvellement de nos éléments constitutifs [qui] est un des actes fondamentaux de la vie », écrivait le physiologiste François Magendie40.
26Les deux composantes principales de la vie animale, d’après ces agronomes, correspondaient aux deux denrées de base du régime alimentaire français. Le pain reconstitue le carbone produit par la combustion animale et expulsé lors de la respiration ; la viande, quant à elle, apporte l’azote éliminé dans l’urine. Pour déterminer la ration de pain optimale, ils calculèrent la quantité de carbone exhalée par un individu adulte et en bonne santé et, pour les rations de viande, ils mesurèrent la teneur en azote de l’urine d’individus masculins au repos et à l’effort. Dumas établit une équation très précise formalisant la relation entre les apports journaliers minimaux nécessaires et les quantités correspondantes de carbone et d’azote excrétées par un homme. « Au moyen des […] données expérimentales […], il est facile de dire quel est le minimum d’aliment convenable à un homme, et quelle espèce d’aliment il lui faut : car, sachant, d’une part, ce qu’il doit brûler de carbone, ce qu’il doit brûler d’ammonium ; ayant, d’un autre côté, déterminé par l’analyse [chimique] la nature des aliments, il suffit d’une simple équation41… » Ce faisant, Dumas transposait directement son modèle théorique d’équilibre chimique pour l’ériger en principe de l’alimentation humaine.
27L’établissement de normes nutritionnelles requérait la mesure des quantités de carbone et d’azote rejetées par la respiration et dans l’urine. Les travaux de Dumas et Boussingault sur la chimie animale portèrent donc sur deux types d’expériences : le recueil et l’analyse des excrétions d’une part, de l’air exhalé d’autre part. Leur cadre théorique et expérimental s’appuyait sur l’œuvre de Lavoisier, qui avait intégré l’étude de la nutrition et celle de la respiration au sein de l’économie animale. L’usage qu’il avait fait de son calorimètre pour démontrer que la respiration animale était un phénomène de combustion, comparable à celle d’une bougie, était resté célèbre : tandis que la bougie brûlait de l’huile, avançait-il, c’était « la substance même de l’animal42 » qui était brûlée. L’animal étant placé dans une chambre close, il était alors possible de mesurer la chaleur et la quantité de carbone émises. Une des dernières expériences que conduisit Lavoisier sur la respiration consista en l’application de ce même principe d’analyse à l’humain. Son assistant respirait dans un masque relié à une chambre à air, ce dispositif permettant à Lavoisier de mesurer les modifications de la composition chimique de l’air exhalé au repos et pendant l’effort43. Conscient des conséquences que pouvait avoir sa théorie en matière d’hygiène, Lavoisier recueillit des échantillons d’air ambiant de différents endroits publics, comme la Comédie-Française, l’Assemblée nationale et les salles d’hôpitaux publics44. Ce dispositif expérimental de Lavoisier fut réutilisé par Dumas et ses collègues qui en améliorèrent la précision et la portée.
28Dumas et Boussingault accordaient une « haute importance » à cette mesure, « à laquelle se rattachent les questions les plus sérieuses de l’alimentation, et par conséquent de l’économie publique45 ». Dumas se prêta lui-même à une série d’expériences dont le principe était de remplir, pendant une demi-heure, un ballon d’air exhalé puis de le boucher pour mesurer le volume de gaz émis et en peser les quantités d’acide carbonique dans de la potasse caustique. Il calcula qu’il rejetait ainsi 300 grammes de carbone par jour46. Deux de ses protégés se livrèrent à une expérience plus poussée sur des hommes et des femmes d’âges et d’états de santé variés respirant par l’intermédiaire d’un masque étanche47. Ce nombre de 300 grammes servit de référence pour calculer l’apport alimentaire normal en aliments riches en carbone et notamment en pain. Dans les guides nutritionnels en vogue, la quantité de pain équivalent à une telle ration était évaluée à environ 1 000 grammes, complétant ainsi le deuxième terme de la « simple équation » de Dumas48.
29Dumas utilisa le même dispositif pour déterminer la quantité minimale d’air qu’un homme doit respirer pour obtenir la quantité d’oxygène nécessaire à la combustion corporelle. « Des expériences nombreuses prouvent […] qu’un homme a besoin de 6 à 10 mètres cubes d’air frais par heure49. » Ses étudiants analysèrent des échantillons d’air prélevés dans les rues de Paris, des chambres à coucher, des salles d’hôpital, des salles de classe, des étables militaires, une serre, ainsi que l’amphithéâtre de la Sorbonne après un cours de Dumas50. Boussingault refit une série d’expériences similaires sur un homme d’âge adulte, un cheval, une vache à lait, un cochon et un mouton. Il affirmait que ses mesures « permett[aient] d’assigner la limite de capacité des habitations de l’homme, des étables et des écuries51 ». Dumas et ses collègues cherchaient à déterminer si les hommes et les animaux qui peuplaient chacun de ces endroits recevaient une « ration d’air » garantissant l’efficacité de l’alimentation52.
30Recueillir l’azote des urines était une entreprise beaucoup moins fastidieuse. Le chimiste Louis René Lecanu analysa les urines d’un échantillon composé d’hommes, de femmes, d’enfants et de personnes âgées et produisit ainsi des données en la matière53. Dumas et Boussingault, se référant au sujet adulte masculin de Lecanu, estimèrent la ration quotidienne minimale d’azote à 15 grammes54. Afin de s’assurer qu’aucune quantité d’azote ne pouvait se soustraire au dispositif de mesure, Boussingault s’inspira de son expérience en chimie végétale et construisit des appareils, comprenant une cloche de verre, qui lui permettaient de recueillir la totalité de l’air et des excréments produits par un animal. Il disposa une tourterelle dans un bocal de verre relié à un ballon dans lequel étaient recueillies les substances expirées. Le dispositif était doté d’une plaque amovible grâce à laquelle les excréments étaient recueillis et la nourriture pesée et rationnée55. Plusieurs chimistes s’en inspirèrent, comme Henri Regnault, qui construisit des caisses pour des animaux plus grands ou, plus tard, les Allemands Carl Voit et Max Pettenkofer et leur chambre d’expérimentation dédiée à la mesure de la respiration humaine56. Ils conclurent que la consommation d’azote augmentait avec l’effort, confirmant ainsi l’idée communément admise que les travailleurs de force avaient besoin de plus de viande57.
31Boussingault suggérait à ceux qui ne disposaient pas de l’appareillage nécessaire à l’étude de la composition chimique des aliments d’utiliser la mesure du poids comme indicateur d’une alimentation équilibrée. À la suite de Lavoisier, Boussingault fit remarquer qu’« un animal […], soumis à la ration d’entretien, revient tous les jours au poids qu’il avait la veille58 ». Le poids d’un homme qui s’alimente régulièrement, mesuré à une certaine heure, est le même jour après jour59. Pour mettre en lumière ce principe par-delà les « irrégularités » du « fait accidentel », Boussingault se livra à de telles expériences de pesée sur ses chevaux60.
32Dumas et ses collègues mesuraient, quant à eux, les quantités de carbone et d’azote émises par les sujets qu’ils étudiaient. Ils traduisaient ensuite ces mesures « naturelles » en recommandations nutritionnelles concrètes, en s’appuyant sur leur théorie de l’équilibre des matières. Ils comparèrent ces rations théoriques aux rations en vigueur dans l’armée et dans les écoles ; Dumas nota, non sans en tirer une certaine fierté, que les rations militaires moyennes (avec 285 grammes de viande et 750 grammes de pain) correspondaient à peu de chose près à ses calculs, qui fixaient à 300 grammes de carbone et 15 grammes d’azote par jour le minimum requis pour un homme61. À l’inverse, ils réclamèrent une modification de la politique alimentaire au nom de leurs résultats scientifiques. Dumas et ses protégés étaient, en effet, membres de commissions gouvernementales chargées d’enquêter sur les rations alimentaires dans la marine, l’armée, les hôpitaux et les écoles62.
33Dumas n’hésita pas à mettre en avant ses résultats scientifiques pour critiquer vivement la situation sociale : « tels sont les aliments […] où [la race humaine] puise, par conséquent, ces conditions de bonheur qui résultent d’un équilibre convenable entre les forces physiques et les forces morales63 ». Lorsqu’une nation ne parvient pas à fournir à sa population les quantités nécessaires de carbone/pain et d’azote/viande, « les conditions de l’hygiène publique seront donc altérées, […] cet état de souffrance […] arrive malheureusement assez souvent64 ».
Le sujet anthropologique
34Lavoisier et les penseurs libéraux considéraient que les besoins étaient « des données qui s’imposaient au consommateur et étaient avant tout des états de fait de nature plutôt que des acquis sociaux65 ». La physiologie précédait et justifiait la société. Cette logique est au cœur de deux textes fondateurs de la pensée sociale postrévolutionnaire en France, publiés pour la première fois en 1803 : le cours de médecine de Pierre Jean Georges Cabanis sur les Rapports du physique et du moral de l’homme et le Traité d’économie politique de Jean-Baptiste Say. Pour ces auteurs comme pour Lavoisier, la qualité d’une société se mesurait à sa capacité à répondre aux besoins des hommes.
35Contrairement à Lavoisier cependant, ni Cabanis ni Say ne considéraient la mesure scientifique comme un outil au service de la réforme de l’État. En réaction aux événements révolutionnaires de la Terreur, le Directoire et l’Empire furent des périodes où les groupes sociaux et politiques se retranchèrent sur leurs positions. La préoccupation des instances médicales et des politiciens était de renforcer la stabilité et l’autorité au sein du foyer. Leur but était de réformer et de moraliser les individus, et non l’État ou l’économie, comme l’atteste leur programme médical de « régénération » hygiéniste qui promouvait l’autodiscipline, la santé physique et morale et des normes sexuelles très contraignantes66. Si les besoins individuels demeuraient au cœur de leurs préoccupations, de nombreux savants postrévolutionnaires pensaient que les inégalités sociales, qu’elles soient de fortune ou de statut, étaient avant tout le reflet de différences de nature qui leur préexistaient. Ils cherchaient à optimiser la santé et le bonheur d’un individu à l’intérieur d’un ordre social bien établi et hiérarchisé.
36Cabanis, Say et les sciences médico-sociales naissantes apportèrent chacun leur pierre à l’édification du sujet au sens du droit civil français, figure emblématique de la possession de biens, du régime fiscal, du territoire (géographique et urbain/rural) et d’une position déterminée au sein de la famille. Pour partie, tous ces éléments trouvent leur origine dans la science de l’homme du début du xixe siècle. Cabanis, comme beaucoup d’autres, considérait que les dispositions morales et le potentiel social d’un individu dépendaient d’un certain nombre de facteurs physiques et environnementaux comme l’âge, le sexe, le caractère et la profession. Ils utilisaient les méthodes de la clinique pour déterminer les caractéristiques de la population française dans son ensemble. Tel était le modèle dont s’inspirèrent les hygiénistes et les réformateurs sociaux de la seconde moitié du xixe siècle.
37Pour Cabanis, l’organisation sociale reposait avant tout sur le corps humain : les lois sociales et morales étaient déterminées par les lois physiques qui, chez l’homme, gouvernent le besoin. Les besoins nous assaillent « dès le premier instant de la vie » et poussent les hommes à l’action avant même qu’ils aient pu commencer à réfléchir ou à raisonner67. Source de nos sentiments et de nos impressions les plus élémentaires, ils mettent en branle les fonctions physiologiques. Ce n’est qu’une fois les besoins élémentaires satisfaits que la réflexion peut s’amorcer, les jugements se former et l’homme jouir de loisirs sollicitant sa créativité. Ce sont eux qui ont poussé les hommes à se regrouper et à construire des cultures qui, en retour, suscitent de nouveaux besoins68.
38Les processus du vivant n’étaient plus assimilés à la circulation de la matière, mais à une succession de sensations internes et externes. Cabanis s’opposait à Lavoisier et à sa conception comptable des besoins en termes d’entrées et de sorties. Il accusait les chimistes de généraliser l’« idée bien grossière » d’après laquelle le vivant pouvait être appréhendé par l’analyse quantitative. La fonction des nutriments n’était pas seulement de fournir au corps sa matière première ; elle était avant tout de créer « des impressions qu’ils [font] ressentir aux organes de la digestion69 ». « Vivre n’est autre chose que de recevoir des impressions, et exécuter les mouvements que ces impressions sollicitent », écrivait-il. Pour vivre une existence saine et accomplie, il fallait exercer toutes les « facultés [du corps] qui nous sont données pour satisfaire nos besoins70 ».
39Les besoins d’un individu reposant sur ses caractéristiques physiques, les différences physiques peuvent engendrer différents niveaux de besoins. Cabanis justifiait l’inégalité des sexes par des arguments d’ordre physiologique fondés sur la faiblesse des fibres musculaires chez les femmes. À cause de ce handicap, les femmes étaient enclines aux travaux sédentaires au sein du foyer protecteur et, par conséquent, soumises à un « système physique et moral71 » propre à leur sexe. Dans le même ordre d’idées, le climat permettait d’expliquer que différentes nations pouvaient avoir des besoins différents. Cabanis et d’autres praticiens de la science de l’homme essayaient de classer la population d’après une typologie différentielle assez complexe. La combinaison des méthodes statistiques et cliniques permettait de regrouper les individus selon des « types72 ». Le tempérament, la température, l’âge, le sexe, la maladie, tous ces paramètres imprégnaient l’organisation du corps et, par là même, ses capacités intellectuelles, morales et sociales.
40Xavier Bichat, contemporain de Cabanis, suggérait expressément que chaque personne était dotée de dispositions particulières et limitées. Un certain capital d’énergie vitale et de sensibilité lui était donné à la naissance, et elle pouvait, au mieux, tenter d’optimiser ses performances dans la limite de ses possibilités. Sur la base de cette loi physique, Bichat entendait fonder un ordre moral et social où certains seraient destinés à atteindre de plus hauts degrés de réussite et de satisfaction que d’autres73. La théorie de Bichat reflétait l’idée qui faisait consensus chez les réformateurs de la médecine, à savoir que tous les individus n’étaient pas dotés de besoins et de capacités identiques74.
41L’« organisation » du corps, ses caractéristiques vitales, avaient des conséquences morales. Cabanis pensait que les besoins physiques et moraux avaient une origine physiologique commune. « Les lois de la morale découlent des rapports mutuels et nécessaires des hommes en société, ces rapports de leurs besoins75. » Cabanis en tirait la conclusion qu’il fallait enseigner à la population française l’« éducation » de son corps et de son esprit afin d’accéder à un plus haut degré de civilisation76. L’entretien du corps, par le régime alimentaire, le travail, la propreté et de bonnes habitudes de vie avaient des effets qui dépassaient de beaucoup l’individu lui-même. L’hygiène, au sens large, était le fondement d’une nation morale et prospère. Les principes de l’organisation du vivant étaient les fondements d’une science générale de la société humaine77.
42L’influence de Cabanis sur la science économique se développa par le truchement de Jean-Baptiste Say, qui occupa la première chaire d’économie politique en France. Say est plus connu pour avoir popularisé la pensée des économistes classiques anglais, même s’il était loin de partager toutes les idées d’Adam Smith. Il est sans nul doute l’économiste dont la pensée a le plus marqué la France postrévolutionnaire et peut-être même l’ensemble de l’Europe continentale. Pour notre propos, le trait le plus marquant de son œuvre est que sa théorie économique repose sur la conception de la nature humaine présente chez Cabanis.
43Toute activité économique, selon Say, découlait du fait que « les besoins que nous éprouvons nous font désirer de posséder les choses qui sont capables de les satisfaire78 ». Pour Say comme pour Cabanis, l’essence de l’existence humaine était de ressentir des besoins. Ils s’impriment en nous, et tandis que nous les éprouvons, nous sommes poussés à agir dans le monde et à nous engager dans un processus d’échanges. Les besoins, écrivait Say, « dépendent de la nature physique et morale de l’homme, du climat qu’il habite, des mœurs et de la législation de son pays79 ». La société n’a de cesse d’en créer de nouveaux et pousse les hommes à une activité croissante. « Les besoins se multiplient à mesure qu’ils sont satisfaits. L’homme qui est vêtu d’une veste veut avoir un habit ; celui qui a un habit veut avoir une redingote80. » Les besoins physiologiques, inséparables de ceux de l’esprit, permettent de comprendre la nature humaine.
44Cette insistance sur le besoin est la marque de fabrique de l’économie politique continentale. Les économistes classiques anglais cherchaient à expliquer les comportements économiques par le marché et l’existence d’un niveau d’équilibre entre les prix et les salaires. Les penseurs continentaux, dans les pas de Say, privilégiaient une conception subjective « morale et physique » de la valeur et s’intéressaient à l’essence et à la portée des besoins du consommateur. Comme le note Keith Tribe, Say déplaça le siège de la notion de valeur de l’objet à la relation subjective que les consommateurs entretiennent avec les biens. Pour Say et ses disciples, « la production et la consommation passaient par la création et la destruction d’utilités et non de quantités de matière81 ». Tribe est d’avis que les théories de l’utilité marginale doivent leur développement à l’importance accordée par Say à la notion de besoin82. Pour Say, « les produits destinés à […] satisfaire [les besoins] n’ont de l’utilité, n’ont une valeur, que là où ces besoins existent83 ». Un produit était jugé bon au regard de sa capacité à satisfaire un besoin humain, et non pas de la quantité de travail qu’il représentait ou de son prix marchand.
45Pareillement, les salaires étaient déterminés par le baromètre du besoin. « En chaque pays », écrivait Say, le salaire le plus bas était celui qui permettait d’acquérir « ce qui est rigoureusement nécessaire pour y vivre84 ». Say, comme Adam Smith, Thomas Malthus et David Ricardo, avait recours à la notion de « subsistance » pour rendre compte du prix de la main-d’œuvre. Chez Ricardo, « le prix naturel du travail est celui qui fournit aux ouvriers [...] les moyens de subsister et de perpétuer leur espèce sans accroissement ni diminution85 ». Cette définition qui fut connue par la suite sous le nom de « salaire de subsistance » devint un concept central de l’économie politique classique86. Il devait permettre de maintenir la population laborieuse exactement au niveau de la demande réelle de main-d’œuvre. Lorsque le salaire excédait de beaucoup ce niveau, les ouvriers accédaient à des biens de consommation de meilleure qualité et en plus grande quantité, et la population augmentait. Comme le formulait Say, « du moment qu’il ne faut que subsister pour s’acquitter d’un travail, et que ce travail suffit pour pourvoir à cette subsistance, l’homme capable d’un semblable travail ne tarde pas à exister87 ».
46Pour Say, les inégalités de fortune et de salaire découlaient de différences préalables entre les sexes et les nations. Ici aussi, Say se faisait l’écho de la théorie du besoin humain de Cabanis, selon laquelle la répartition inégale des capacités intellectuelles et physiques est à mettre sur le compte de différences climatiques et sexuelles. Le salaire des femmes, pour Say, reflétait l’infériorité intrinsèque de leurs besoins et de leurs capacités. Comme les femmes dépendent généralement de tiers pour survivre, affirmait Say, elles « peuvent mettre dans la circulation le genre d’occupations dont elles sont capables, au-dessous du taux où le fixerait l’étendue de leurs besoins88 ». À cet égard, poursuivait-il, le travail et les besoins des femmes s’apparentent à ceux des moines et des nonnes. Dans ce modèle, comme l’ont montré Joan Scott et d’autres, l’homme est responsable et de la production et de la reproduction, et la femme est reléguée à une position annexe89.
47De même, le climat et le tempérament national donnent naissance à certains besoins, qui poussent les hommes à contribuer plus ou moins à l’activité économique. Say se complaisait à illustrer l’idée de différence culturelle par des exemples créés de toutes pièces.
Une peau d’ours et un renne sont des objets de première nécessité pour un Lapon, tandis que le nom même en est inconnu au portefaix de Naples. Celui-ci, de son côté, peut se passer de tout, pourvu qu’il ait du macaroni. De même, les cours de judicature, en Europe, sont regardées comme un des plus forts liens du corps social ; tandis que les habitants indigènes de l’Amérique, les Tartares, les Arabes, s’en passent fort bien.90
48Il se refusait à tracer une ligne de démarcation nette entre le besoin et le luxe, « le nécessaire » et « le superflu91 ». Les besoins humains dépendaient des capacités intellectuelles, physiques et morales d’un corps donné et des normes culturelles dans lesquelles il évoluait, et le progrès de la civilisation de la capacité d’une société à satisfaire ses besoins92. Les sociétés les meilleures sont « celles qui satisfont des besoins réels […] ceux à la satisfaction desquels tiennent notre existence, notre santé et le contentement de la plupart des homme [sic]93 ».
49L’influence de Cabanis et de Say s’exerça sur deux générations d’hygiénistes et de réformateurs sociaux dont le dessein était de réformer l’état physique et moral des ouvriers. Nous aimerions ici conclure sur l’influence des penseurs du « sujet anthropologique » avec l’action que les médecins et hygiénistes entendaient mener sur les individus, leurs corps et leurs pratiques ; le chapitre de Thomas Depecker ici même, quant à lui, s’intéresse plus particulièrement aux relations entre le « sujet agronomique » et l’activité des hygiénistes et des médecins concernant notamment le régime alimentaire proné par les institutions. Les instances médicales publièrent au début du xixe siècle de nombreux manuels et guides à destination du grand public pour promouvoir l’« éducation » physique et la discipline corporelle. Des régimes stricts furent instaurés dans les cliniques et les hôpitaux. Les normes en matière de sexualité et l’activité des femmes firent l’objet d’une attention particulière. Les défenseurs de la « régénération » hygiéniste cherchaient à consolider les hiérarchies sociales et familiales mises à mal par la Révolution94.
50Le mouvement hygiéniste atteignit son apogée au milieu du xixe siècle. Les médecins et les réformateurs sociaux passaient au peigne fin la routine quotidienne des membres des classes laborieuses ou indigentes afin d’y dénicher les causes comportementales des maladies et de l’immoralité. Des enquêtes approfondies furent menées auprès de foyers de nécessiteux dans les campagnes et dans les villes. Les hygiénistes se focalisaient sur la sphère domestique, lieu de propagation des phénomènes héréditaires et contagieux. Comme Cabanis et Bichat, ils pensaient que les individus naissent avec un ensemble donné et fini de qualités ; ce mouvement fut donc un vecteur important de l’héréditarisme dans la pensée sociale française95. Les hygiénistes classaient les individus en différents types, définis par un ensemble de capacités, de dispositions et de besoins. Ils confondaient le moral et le physique et, de manière générale, cherchaient à asseoir un ordre social hiérarchisé et patriarcal sur des fondements scientifiques96.
51Les enquêtes sociales et la notion de budget familial furent les résultantes de ces efforts et du mouvement de réforme sociale des années 1830- 1850. Les réformateurs de tout bord, des libéraux aux promoteurs de l’aide aux plus démunis, chiffraient des paniers de consommation types, ce qui leur permettait d’estimer le montant d’un salaire convenable. Les articles pris en compte dans ces exercices ne se limitaient pas aux produits de première nécessité (nourriture, habillement, logement). Étaient également comptabilisées : l’éducation d’au moins un enfant, la constitution d’un pécule de vieillesse, l’assistance de parents âgés et la contribution à des organismes d’entraide. Dans ces enquêtes, l’unité de base était la famille : les réformateurs sociaux considéraient, comme Émile Cheysson, que la famille était la « molécule sociale97 ». Si Frédéric Le Play – le maître de Cheysson – fut certainement le plus célèbre de ces personnages qui enregistraient la consommation des familles, nombre d’autres vocations naquirent, à en juger par les travaux présentés dans les publications économiques et sociales de l’époque, dans les prix académiques voire dans les périodiques ouvriers.
52La principale difficulté à laquelle se heurtaient ces enquêteurs sociaux avait trait à la relation salariale. Bien que les classes laborieuses recevaient un salaire en échange de leur travail, les ouvriers n’étaient pas en mesure de subvenir directement à leurs besoins alimentaires, vestimentaires ou en matière de logement. Contrairement aux fermiers et aux artisans-agriculteurs, les ouvriers, qui ne possédaient ni biens ni capital, ne disposaient d’aucun moyen de subsistance et il leur fallait acheter sur le marché les biens qui leur étaient nécessaires. Nonobstant, l’enseignement économique stipulait que les taux de salaire étaient déterminés librement sur le marché en fonction de l’offre et de la demande. Rien ne garantissait cependant que ces salaires permettent de couvrir les besoins d’une famille ouvrière et les réformateurs sociaux français craignaient que les classes laborieuses ne puissent pas se reproduire. Comment la nation française pouvait-elle concilier la démocratie libérale, les idéaux de la Révolution française et l’économie de marché ? Dans un système où le contrat de salaire est déterminé librement, « la liberté [pour les ouvriers] peut conduire à la pire des servitudes, celle du besoin98 ». La Révolution avait promis l’égalité des droits ; l’économie de salariat créait des inégalités flagrantes99.
53En 1832, le baron Pierre Bigot de Morogues, membre de la noblesse de la Restauration et enquêteur social à ses heures, entreprit de « déterminer les limites inférieures des salaires en raison des besoins des citoyens qui forment les classes ouvrières100 ». Bigot de Morogues, propriétaire terrien, s’inquiétait des conséquences du développement du travail industriel salarié sur la société française101. Afin de prouver que le salariat industriel avait des effets délétères sur l’économie française, il fut l’un des premiers à calculer un budget familial type102.
54Les chiffres utilisés par Bigot de Morogues concernant le « taux actuel des salaires dans la France, et […] son rapport avec le prix des blés » provenaient des enquêtes menées par le gouvernement en vue de la mise en place d’un impôt sur les salaires. Ainsi, la naissance des enquêtes sur le budget des ménages est étroitement liée à l’histoire de l’individu en tant que citoyen et contribuable. Comme l’indique Alain Desrosières, les critères de classification de la population retenus dans les premiers recensements de la période postrévolutionnaire sont la source de revenus et la propriété103. À partir de ces données, Bigot de Morogues calcula le salaire minimal qu’un ouvrier était en droit d’attendre, « dans l’état actuel des choses104 ». Son budget comptabilisait des repas composés de pain, de viande, de fromage, de deux légumes, d’œufs et de vin, ce à quoi il ajoutait le logement, les vêtements et une modeste dotation annuelle de 20 francs pour des dépenses annexes comme le tabac ou la vaisselle. Le montant annuel correspondant pour un « ouvrier dans l’aisance » et sa famille s’élevait à 860 francs. D’après Bigot cependant, une famille dans le besoin pouvait réduire la part de « l’accessoire de sa nourriture », des vêtements et de l’alcool, et ainsi comprimer ses dépenses à un montant de 760 francs, tout en échappant à la misère. Un tableau similaire servit au calcul du budget théorique d’un ouvrier agricole menant un train de vie des plus modestes.
55Bigot de Morogues considérait ce salaire minimal, défini à partir de postes budgétaires, comme une norme de nature purement culturelle et sociale : « La simplicité des mœurs, l’ignorance des jouissances de la vie déterminent la suffisance des salaires : elles seules permettent, dans certains pays, de les conserver au-dessous du taux qui, dans d’autres, porterait la misère du peuple à son comble105. » Chaque population, au niveau local ou national, avait son propre niveau de vie de base, qui dépendait de facteurs culturels. Contrairement à ce que pourrait laisser penser l’apparente précision numérique de ses calculs budgétaires, Bigot de Morogues ne s’est pas engagé dans une enquête sociologique très poussée. Sa conception des besoins, des mœurs et des coutumes demeurait très climatique et schématique, et elle s’appuyait sur les catégories assez vagues de « pays » et de « peuple ». On ne manquait pas de trouver dans ses textes, comme dans ceux de Jean-Baptiste Say, une référence aux Indiens, qui se contentent de « se couvrir d’une légère étoffe de coton, de manger du riz et de consommer quelques légumes », au « Groenlandais, vêtu de peaux d’animaux », et aux « Nègres de nos colonies » dont les besoins « étaient ceux de la simple nature106 » (visiblement, Bigot ne jugea pas nécessaire de s’appesantir sur le calcul de la consommation réelle d’un esclave pour en déduire une évaluation fiable de ses besoins). Bien que Bigot se préoccupât beaucoup plus du sort des ouvriers des secteurs agricole et industriel, en France, qu’aux esclaves et aux habitants des pays froids, il reste qu’il étudiait son sujet selon des critères anthropologiques bien précis.
56Les besoins élémentaires, socialement déterminés, pouvaient être stimulés par l’éducation ou maîtrisés par la réglementation. La théorie des salaires développée par Bigot l’amena à affirmer que « la conséquence naturelle de [mon] observation est qu’il ne faut étendre l’intelligence des classes laborieuses qu’autant que l’on peut élever leurs salaires au niveau des besoins que cette extension leur donnera107 ». Bigot proclamait solennellement que l’objectif de l’éducation des ouvriers était de les faire accéder à une certaine humilité qui leur permette de se satisfaire de leur sort :
Ce n’est qu’une bonne instruction morale et religieuse qui, en inspirant à l’homme une véritable philosophie, lui apprend à se contenter de ce qu’il possède, quand il ne manque pas du nécessaire, et à se faire une jouissance des privations qu’il doit s’imposer en renonçant volontairement et sans effort à la possession des objets auxquels il ne lui est pas donné d’atteindre.108
57Ces budgets types furent utilisés par Bigot pour vérifier une formule de calcul des salaires et il s’en servit également à des fins prescriptives pour limiter la consommation de ces mêmes ouvriers.
Conclusion
58L’enquête sociale et la réforme hygiéniste dont elle faisait partie véhiculaient une conception prescriptive du sujet, un sujet enraciné dans un tissu complexe de relations sociales. Ce sujet anthropologique était défini par son statut civil, certains traits héréditaires, son environnement proche et sa position dans la hiérarchie familiale. Dans ce modèle, les besoins sont définis par l’organisation sociale et révélés par l’observation des comportements sociaux, ce qui, dans une certaine mesure, autorise à qualifier cette description du besoin de thick, selon la formulation de Clifford Geertz. La définition qu’en donnaient les agronomes, au contraire, était linéaire et d’ordre strictement matériel. S’il fallait situer ces deux approches sur un échiquier idéologique, on pourrait dire que l’approche anthropologique, conçue pour renforcer les différences sociales existantes, était profondément conservatrice, alors que l’approche agronomique était plutôt technico-bureaucratique et son objectif était de nature plus progressiste. Le sujet anthropologique était l’objet de toutes les attentions du milieu parapolitique des industriels, des employeurs et des bonnes œuvres, et le sujet agronomique celui des instances publiques occupées à édicter certains préceptes pour l’entretien des prisonniers et des écoliers. Les agronomes considéraient que l’importance de la circulation générale de la matière surpassait celle d’une de ses composantes, le rôle d’un État éclairé étant de canaliser la circulation des biens et de l’ensemble des éléments, et de les rendre productifs. Mais quelle que fût la position qu’ils occupaient, tous les personnages dont il a été ici question considéraient que l’ordre social des Temps modernes était indexé sur les besoins humains et qu’ils en étaient la clé.
59Les différentes approches analysées dans le présent essai décrivent les modalités d’une science moderne du besoin dédiée à l’étude de la nature du corps et de la société. Pendant la période postrévolutionnaire, la chimie, la physiologie, la médecine et la science économique oscillèrent entre des préoccupations d’ordre physique et des questions relatives au comportement social. Elles s’accordaient largement à considérer que la physiologie de la société devait découler de celle du corps. C’est pourquoi l’étude du besoin fut essentielle au développement des sciences humaines. Si la Révolution fit entrevoir la possibilité d’un ordre social fondé sur des principes de nature, les catastrophes qui suivirent la remirent en cause. Les crises économiques que connut la France au milieu du xixe siècle donnèrent au problème du besoin une certaine urgence.
Notes de bas de page
1 Le drapeau tricolore a été adopté par l’Assemblée constituante le 21 octobre 1790.
2 Lavoisier A., Séguin A., « Premier mémoire sur la respiration des animaux », J.-B. Dumas (éd.), Œuvres de Lavoisier. Mémoires de chimie et de physique, vol. 2, Paris, Imprimerie impériale, 1862, p. 691.
3 Holmes F.L., Lavoisier and the Chemistry of Life : An Exploration of Scientific Creativity, Madison, University of Wisconsin Press, 1985, p. 452.
4 Lavoisier A., Séguin A., art. cit., p. 691.
5 Ibid., p. 698.
6 Ibid.
7 Ibid., p. 699.
8 Ibid., p. 698.
9 Wise N., « Work and Waste : Political Economy and Natural Philosophy in Nineteenth-Century Britain », History of Science, vol. 27, no 3, 1989, p. 268 ; Bensaude-Vincent B., « The balance : Between Chemistry and Politics », The Eighteenth-Century Theory and Interpretation, vol. 33, no 3, 1992, p. 228.
10 Laplace P.S. de, Exposition du système du monde, vol. 2, Paris, Bachelier, 6e éd., 1836 [1796], p. 76.
11 Perrot J.-C., « Une histoire intellectuelle de l’économie politique, xviie-xviiie siècle », Civilisations et sociétés, vol. 85, 1992, p. 181.
12 Wise N., « Mediations : Englishtenment Balancing Acts, or the Technologies of Rationalism », P. Horwich (dir.), World Changes : Thomas Kuhn ans the Nature of Science, Cambridge, Massachusetts Institute of Technology, 1993, p. 232.
13 Lavoisier A., Séguin A., art. cit., p. 697.
14 Holmes F.L., op. cit., p. 455.
15 Lavoisier A., Séguin A., art. cit., p. 697.
16 Ibid., p. 696.
17 Ibid., p. 703.
18 Ibid., p. 700.
19 Ibid., p. 698.
20 Bourguinat N., Les grains du désordre. L’État face aux violences frumentaires dans la première moitié du xixe siècle, Paris, EHESS, 2002, p. 311.
21 Marx K., « Critique du programme de Gotha », 1875, www.marxists.org/francais/ marx/works/1875/05/18750500a.htm (consulté le 19 avril 2012).
22 McPhee P., The Politics of Rural Life : Political Mobilization in the French Countryside, 1846-1852, Oxford, Clarendon Press, 1992, p. 36-40.
23 Pinkney D.H., Decisive Years in France, 1840-1847, Princeton, Princeton University Press, 1986, p. 49.
24 Bourguinat N., op. cit., p. 27.
25 Reddy W., The Rise of Market Culture : The Textile Trade and French Society, 1750-1900, Cambridge, Cambridge University Press, 1984, p. 148.
26 Morgan M.S., « Experimental Farming and Ricardo’s Political Arithmetic of Distribution », Working Papers on the Nature of Evidence : How Well Do “Facts” Travel ?, nos 03/05, London School of Economics, 2005, p. 48 ; Argemí i d’Abadal L., « Agriculture, Agronomy, and Political Economy : Some Missing Links », History of Political Economy, vol. 34, no 2, 2002, p. 449-478. Voir aussi Dagognet F., Des révolutions vertes. Histoire et principes de l’agronomie, Paris, Hermann, 1973, p. 105-109.
27 Ibid., p. 5.
28 Chaptal J.A., Chimie appliquée à l’agriculture, vol. 1, Paris, Huzard, 1823.
29 Dumas J.-B., Milne E.H., « Sur la composition de la cire des abeilles », Annales de chimie et de physique, série 3, no 14, 1845, p. 407.
30 Dumas J.-B., Boussingault J.-B., Essai de statique chimique des êtres organisés. Leçon professée par M.J. Dumas le 20 août 1841 pour la clôture de son cours à l’école de médecine, Paris, Fortin, Masson & Cie, 3e éd., 1844, p. 19. Bien que les expériences qui firent l’objet de discussions à l’Académie en 1839 ne concernent que les végétaux, Dumas pensait que la méthode de Boussingault était capable de révéler l’existence de la circulation de la matière à travers l’ensemble du monde vivant. Holmes F.L., Claude Bernard and Animal Chemistry : The Emergence of a Scientist, Cambridge, MA, Harvard University Press, 1974, p. 18.
31 Bensaude-Vincent B., art. cit., p. 224.
32 Holmes F.L., Lavoisier and the Chemistry of Life, op. cit., p. 450.
33 Wise N., « Mediations : Englishtenment Balancing Acts, or the Technologies of Rationalism », art. cit., p. 207-258.
34 Ibid., p. 22, citant Lavoisier A.L., « Prix proposé pour l’Académie des sciences pour l’année 1794 », E. Grimaux (éd.), Œuvres de Lavoisier, Paris, Imprimerie nationale, vol. 6, 1893, p. 34.
35 Roberts L., « Condillac, Lavoisier and the Instrumentalization of Science », The Eighteenth-Century. Theory and Interpretation, vol. 33, no 3, 1992, p. 258 et 267.
36 Holmes F.L., Claude Bernard and Animal Chemistry, op. cit., p. 70.
37 Rocke A.J., « Organic Analysis in Comparative Perspective : Liebig, Dumas, and Berzelius, 1811-1837 », F.L. Holmes, T.H. Levere (dir.), Instruments and Experimentation in the History of Chemistry, Cambridge MA, MIT Press, 2000.
38 Bourgoin E., Hygiène publique. De l’alimentation des enfants et des adultes dans une ville assiégée et en particulier de la viande de cheval, Paris, Adrien Delahaye, 1870, p. 6.
39 Gasparin A., Cours d’agriculture, vol. 3, Paris, Maison rustique, 1848, p. 30-31.
40 Magendie F., Précis élémentaire de physiologie, Bruxelles, Adolphe Wahlen, 1838, p. 267.
41 Dumas J.-B., Traité de chimie appliquée aux arts, vol. 8, Paris, Bechet Jeune, 1846, p. 423.
42 Lavoisier A., Séguin A., art. cit., p. 691.
43 Holmes F.L., Lavoisier and the Chemistry of Life, op. cit., p. 443.
44 Ibid., p. 239.
45 Dumas J.-B, Boussingault J.-B., op. cit., p. 88.
46 Dumas J.-B., op. cit., p. 457.
47 Dumas J.-B., Boussingault J.-B., op. cit., p. 88.
48 Payen A., Précis théorique et pratique des substances alimentaires et des moyens de les améliorer, de les conserver et d’en reconnaître les altérations, Paris, Hachette, 4e éd., 1865, p. 483.
49 Dumas J.-B., op. cit., p. 460.
50 Leblanc F., « Recherches sur la composition de l’air confiné (mémoire lu à l’Académie des sciences, le 6 juin 1842) », Annales de chimie et de physique, série 3, no 5, 1842, p. 231 ; Boussingault J.-B., « Recherches sur la quantité d’acide carbonique contenue dans l’air de la ville de Paris », Annales de chimie et de physique, série 3, no 10, 1844, p. 458.
51 Boussingault J.-B., Économie rurale considérée dans ses rapports avec la chimie, la physique et la météorologie, Paris, Béchet Jeune, vol. 2, 2e éd., 1851, p. 389.
52 L’expression « ration d’air » est de Leblanc F., art. cit., p. 236.
53 Lecanu L.R., « Nouvelles recherches sur l’urine humaine », Mémoires de l’Académie royale de médecine, vol. 8, 1840, p. 676-696.
54 Dumas J.-B., op. cit., p. 423 ; Boussingault J.-B., op. cit., p. 399.
55 Boussingault J.-B., « Analyses comparées de l’aliment consommé et des excréments rendus par une tourterelle, entreprises pour rechercher s’il y a exhalation d’azote pendant la respiration des granivores », Annales de chimie et de physique, série 3, n° 11, 1844, p. 434.
56 Dumas J.-B., Éloge historique de Henri Victor Regnault, Paris, Firmin-Didot, 1881, p. 20 ; Carpenter K., Protein and Energy : A Study of Changing Ideas in Nutrition, Cambridge, Cambridge University Press, 1994, p. 70.
57 Payen A., « De l’alimentation publique : la viande de boucherie et les conserves alimentaires », Revue des Deux-Mondes, série 2, no 13, 1855, p. 899.
58 Boussingault J.-B., op. cit., p. 293.
59 Ibid., p. 255.
60 Ibid., p. 293.
61 Dumas J.-B., Traité de chimie appliquée aux arts, op. cit., p. 423.
62 Par exemple, voir l’instruction du 5 mars 1850 du Conseil des armées, « À l’effet de guider les troupes dans la composition de leur régime alimentaire », réimprimé dans Tardieu A., Dictionnaire d’hygiène publique et de salubrité, vol. 3, Paris, Baillière, 1862, p. 28-34.
63 Dumas J.-B., Traité de chimie appliquée aux arts, op. cit., p. 462-463.
64 Ibid., p. 423.
65 Soper K., On Human Needs : Open and Closed Theories in a Marxist Perspective, Sussex, Harvester Press, 1981, p. 73.
66 Quinlan S., « Physical and Moral Regeneration After the Terror : Medical Culture, Sensibility and Family Politics in France, 1794-1804 », Social History, vol. 29, no 2, 2004, p. 141.
67 Cabanis P.J.G., Rapports du physique et du moral de l’homme, Paris, Baillière, 8e éd., 1844, p. 62.
68 Ibid., p. 63.
69 Ibid., p. 362.
70 Ibid., p. 399.
71 Ibid., p. 224.
72 Williams E.A., The Physical and the Moral : Anthropology, Physiology, and Philosophical Medicine in France, 1750-1850, The Cambridge History of Medicine, Cambridge, Cambridge University Press, 1994, p. 93.
73 Quinlan S., art. cit., p. 150-151.
74 Williams E.A, op. cit., p. 100.
75 Cabanis P. J .G., op. cit., p. 95.
76 Ibid., p. 99.
77 Williams E.A., op. cit., p. 12.
78 Say J.-B., Traité d’économie politique, Paris, Guillaumin, 1841, p. 315.
79 Ibid., p. 315.
80 Ibid., p. 464.
81 Tribe K., « Continental Political Economy : From the Physiocrats to the Marginal Revolution », T.H. Porter, D. Ross (dir.), The Cambridge History of Science, vol. 7, The Modern Social Sciences, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, p. 162.
82 Ibid., p. 167.
83 Say J.-B., « Catéchisme d’économie politique », Cours d’économie politique et autres essais, Paris, Flammarion, 1996, p. 386.
84 Id., op. cit., p. 372.
85 Ricardo D., On the Principles of Political Economy and Taxation, vol. 1 [The Works and Correspondance of David Ricardo], Cambridge, Cambridge University Press, 1951, p. 93.
86 Après Schumpeter, Giovanna Procacci fait remarquer que, pour les économistes classiques, l’existence même d’un seuil de subsistance était plus importante que toute théorie générale des salaires. Procacci G., Gouverner la misère. La question sociale en France, 1789-1848, Paris, Seuil, 1993, p. 134.
87 Say J.-B., op. cit., p. 372.
88 Ibid., p. 374.
89 Scott J.W., Gender and the Politics of History. Gender and Culture, New York, Columbia University Press, 1999, p. 145.
90 Say J.-B., op. cit., p. 315.
91 Ibid., p. 457.
92 Ibid., p. 373.
93 Ibid., p. 448-449.
94 Quinlan S., art. cit., p. 164.
95 Williams E.A., op. cit., p. 154.
96 Aisenberg A.R., Contagion : Disease, Government, and the “Social Question” in Nineteenth-Century France, Stanford, Stanford University Press, 1999, p. 18.
97 Cheysson É., Frédéric Le Play. Sa doctrine, sa méthode, son école. Communication faite à l’Académie des sciences morales et politiques, Paris, Guillaume, 1905, p. 9.
98 Castel R., Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Fayard, 1995, p. 32.
99 Procacci G., op. cit., p. 16.
100 Bigot de Morogues P.M.S., De la misère des ouvriers et de la marche à suivre pour y remédier, Paris, Huzard, 1832, réimpr. Hachette, 1971, p. 13.
101 Wyslouch J., Notice biographique et historique sur Pierre-Marie-Sébastien Bigot, baron de Morogues, pair de France et membre de l’Institut, Paris, A. René, 1841, p. 22-34.
102 Bigot de Morogues P.M.S., op. cit., p. 50. Avec ses études des salaires ouvriers, Bigot de Morogues avançait dans les pas de quelques prédécesseurs, le plus notable étant Lavoisier. Ce fut cependant certainement le premier à proposer un budget type à valeur normative, comme le montre Reddy W., op. cit., p. 148.
103 Desrosières A., The Politics of Large Numbers : AHistory of Statistical Reasoning, trad. par Camille Naish, Boston, Harvard University Press, 1998, p. 42.
104 Bigot de Morogues P.M.S., op. cit., p. 50.
105 Ibid., p. 27.
106 Ibid., p. 29.
107 Ibid., p. 30.
108 Ibid., p. 8.
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