Chapitre VIII
Le luxe alimentaire français : un outil de développement territorial
p. 271-310
Texte intégral
1Le prestige associé aux produits du luxe alimentaire français (grands vins, foie gras, truffes, huîtres, etc.) est un formidable atout pour la France dans l’environnement concurrentiel de la mondialisation. Leur valorisation est un enjeu à la fois économique, social et culturel qui dépasse les frontières de ces produits élitistes pour s’étendre à l’ensemble des productions alimentaires de qualité. La mise en valeur de notre patrimoine gastronomique, issu à la fois des cultures savante (à laquelle les produits de luxe appartiennent) et populaire, passe d’abord par la valorisation des produits du luxe alimentaire français. L’enjeu ici ne consiste pas tant à valoriser le produit par son territoire de production, qu’à promouvoir ce territoire en s’appuyant sur la notoriété et l’image de marque du produit en question.
2Le luxe alimentaire français apparaît alors comme un véritable outil de développement territorial. La notion de « développement territorial » est directement issue de celle de « développement local », qui désigne depuis les années 1980 un processus de construction et de réalisation d’un projet de développement autocentré et endogène au niveau local. La notion de développement territorial semble rendre mieux compte « de la complexité des pratiques spatiales de la société […] et des processus de construction sociale du territoire dans une dimension multiscalaire1 », ainsi que « du caractère ancré du processus de développement2 ». Le développement territorial repose sur une mise en réseau des différents acteurs qui agissent sur le territoire, dont les actions sont coordonnées.
La mise en valeur touristique des espaces de production du luxe alimentaire français
3Selon un sondage réalisé en juin 2010 par TNS Sofres sur « Les Français, la France et le tourisme », la gastronomie constituerait pour les Français le premier attrait touristique de la France, devant la beauté des paysages (second attrait touristique).
4Le tourisme gastronomique et l’œnotourisme sont le plus souvent des activités dont la fréquentation et les retombées économiques sont relativement modestes en comparaison avec le tourisme balnéaire ou les sports d’hiver, néanmoins certaines régions de production se sont développées comme des destinations touristiques gourmandes, en s’appuyant sur le capital symbolique fort que constituent les grands vins et les produits alimentaires prestigieux.
Du tourisme gastronomique au tourisme gourmand
5Dans les régions où la gastronomie est un élément emblématique de l’art de vivre se développe une offre de tourisme gastronomique destinée à une clientèle aisée. De plus en plus, ce tourisme gastronomique est basé sur l’expérience gustative, le plaisir du mangeur, comme en témoignent les slogans véhiculés par les professionnels du tourisme tels que « croquez le Périgord », « dégustez la Bourgogne » et « goûtez l’Aveyron ».
6Si les prémisses d’un tourisme gastronomique (aux États-Unis on parle plutôt de « tourisme culinaire ») apparaissent en France au xixe siècle avec le développement du chemin de fer, c’est l’essor de l’automobile au début du xxe siècle qui a véritablement fait prendre conscience que « la bonne chère est un facteur d’attractivité territoriale3 ». La notion de « tourisme gourmand » rend compte de l’évolution actuelle de l’ensemble des activités de temps libre et de loisirs dédiées à la découverte des produits alimentaires et à la manière de les apprêter, en mettant moins l’accent sur son caractère élitiste, et davantage sur la recherche de l’expérience sensorielle hédoniste4. Surtout, l’évolution sémantique, du « tourisme gastronomique » au « tourisme gourmand », traduit une nouvelle place de l’alimentation dans le développement touristique, qui ne se limite plus à une fonction secondaire. La recherche de l’émotion gustative constitue, selon certains locuteurs médiatiques, l’objectif principal de nouvelles pratiques touristiques faisant du tourisme gourmand un moteur du développement économique, notamment dans les territoires de production de produits de prestige.
Croquez le Périgord
7Le Périgord peut être défini comme une « région gastronomique », car son identité est associée principalement à deux produits du luxe alimentaire français, le foie gras et la truffe, auxquels s’ajoutent quelques produits gastronomiques régionaux (noix, châtaignes, fraises, etc.). La richesse de son patrimoine tant naturel (vallée de la Dordogne, etc.) que culturel (châteaux, sites préhistoriques, etc.) sont également des atouts dans la valorisation touristique. Déjà dans les années 1970, la campagne publicitaire « Croquez le Périgord !5 » mettait en scène la réputation gastronomique de la région.
8Cette réputation gastronomique qui remonte au xixe siècle a été sacralisée dans les premières décennies du siècle dernier, au moment où s’est affirmée la cuisine régionale. Le développement des moyens de transport, notamment le chemin de fer puis la route, l’amélioration des moyens de conservation (notamment l’appertisation) ont permis d’approvisionner le marché parisien, où la bourgeoisie a fait le succès et la notoriété gastronomique du Périgord. L’habileté des marchands périgourdins et de leurs intermédiaires (les courtiers parisiens à l’exemple de Pierre-Achille Masse, fondateur de la Maison Masse à la fin du xixe siècle) a été déterminante dans la construction de la notoriété des produits emblématiques que sont la truffe et le foie gras « du Périgord6 ». Le développement du tourisme gastronomique a favorisé la construction d’un régionalisme gastronomique périgourdin.
9Les critiques gastronomiques ont joué également un rôle important dans la construction d’un mythe gastronomique périgourdin. Ainsi, dans le tome de La France gastronomique consacré au Périgord, Curnonsky et Marcel Rouff développe un discours « excursionniste7 », qui insiste sur les racines populaires de la cuisine périgourdine tout en mettant en avant les mets d’exception comme le foie gras et la truffe. Parallèlement à ce regard extérieur, porté par une bourgeoisie urbaine, se construit à la même époque un discours indigène et paysan sur la cuisine, comme celui de la Mazille dans le Périgord ou celui de la Margaridou en Auvergne. Dans La bonne cuisine du Périgord (1929), la Mazille retranscrit plusieurs centaines de recettes populaires, qui sont encore perçues aujourd’hui comme étant un héritage culinaire régional. Ce discours régionaliste, mettant en avant l’authenticité de la cuisine populaire, s’inscrit en fait dans le « radicalisme alimentaire républicain » dont l’œuvre romanesque d’Eugène Le Roy témoigne8. Aujourd’hui, le développement du tourisme gastronomique et de l’agritourisme en Dordogne repose aujourd’hui en grande partie sur cette vision idéalisée et nostalgique9.
10Le tourisme y est une activité importante : d’après l’Insee, il représenterait en 2009 plus de 22 % de l’économie de la Dordogne. 40 % des touristes sont des étrangers, principalement des Britanniques et des Néerlandais tandis que les touristes français viennent surtout d’Île-de-France. Il s’agit d’un tourisme surtout familial et populaire (les campings sont la première structure d’hébergement touristique).
11Le site du comité départemental du tourisme de la Dordogne invite sur sa page d’accueil à visiter la Maison du foie gras à Thiviers. C’est en Dordogne et dans le Gers que sont localisés les principaux marchés de foie gras d’après le Cifog10.
12Le tourisme gastronomique y est associé au tourisme rural, notamment aux séjours à la ferme comme en témoigne la présence de nombreux gites ruraux. La Dordogne compte environ 3 000 chambres d’hôtes. Le site de l’office de tourisme de Sarlat, dont la page d’accueil s’intitule « Sarlat, histoire de goût », propose une quinzaine de « visites gourmandes11 » à la ferme autour de la ville : visite de l’élevage de palmipèdes (oies ou canards), démonstration de gavage, visite de truffières, stage de cuisine pour apprendre à cuisiner le foie gras ou la truffe, dégustation de collations ou de déjeuner à base de foie gras ou de truffes, et vente directe à l’exploitation sont autant d’activités proposées.
13La présence du comité départemental du tourisme de la Dordogne dans les principaux salons du tourisme en France et en Europe, témoigne d’un certain dynamisme dans la promotion touristique de la région, en mettant toujours en avant la dimension gastronomique par des démonstrations culinaires, l’élaboration d’une « route du foie gras du Périgord » créée en 2009 par l’association foie gras du Périgord, etc. Depuis 1990, la ville de Périgueux organise tous les deux ans un salon international du livre gourmand qui accueille environ 20 000 participants autour d’éditeurs, d’auteurs et de chefs : outre les prix récompensant des livres de cuisine publiés à l’étranger (« prix La Mazille International »), ou encore des ouvrages sur la gastronomie du terroir (« prix de la ville de Périgueux »), diverses animations comme les démonstrations culinaires par les grands chefs, les ateliers, des expositions (comme celles sur les arts de la table et sur le cacao en 2008), des concours culinaires (concours du foie gras du Périgord en 2008) ponctuent cet événement, qui met à l’honneur la cuisine d’un pays (la Belgique en 2004, le Portugal en 2006) ou d’une région (l’Alsace en 2008).
Dégustez la Bourgogne
14La Bourgogne a l’un des vignobles les plus prestigieux au monde, et ce depuis le Moyen Âge. C’est aussi la région qui a le plus de chefs étoilés au Guide Michelin, après l’Île-de-France. Saulieu est l’un des hauts lieux de la haute cuisine française depuis plusieurs décennies, et la proximité de cette petite ville par rapport à l’autoroute renforce son attractivité, même si cela n’a pas toujours été suffisant pour remplir le célèbre établissement gastronomique où exerçait Bernard Loiseau.
15Le comité régional du tourisme a mis en place en 2009 une marque de destination, « Bourgogne », insistant sur la notion d’expérience12, au travers d’un slogan : « dégustez la Bourgogne, unique et multiple ». Il s’agit de valoriser ce qui fait l’attrait principal de la région, dont l’image est associée à l’art de vivre, notamment les vins et la gastronomie (escargots, etc.). Un partenariat a été établi avec le Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB) et avec des chefs des réseaux « Logis de Bourgogne » et « Restaurateurs de France » pour des opérations « de tables en caves » (restaurants) et « de caves en tables » (viticulteurs) à destination des touristes.
16Contrairement à Beaune, qui est la véritable capitale viticole en Bourgogne, Dijon n’a guère bénéficié de l’image de marque rattachée au vignoble et à la gastronomie régionale. C’est sa foire internationale et gastronomique, créée en 1921 par le maire Gaston Gérard pour promouvoir sa ville, qui en fait un lieu de tourisme gastronomique13 en attirant à cette occasion près de 200000 visiteurs par an selon le comité régional du tourisme de Bourgogne.
Goûtez l’Aveyron
17Si le restaurant triplement étoilé de Michel Bras près de Laguiole est un haut lieu du tourisme gastronomique, la spécificité du tourisme en Aveyron réside dans l’importance du tourisme fromager : parmi les dix sites les plus fréquentés par les touristes (fig. 67), on compte les caves Société et Papillon à Roquefort-sur-Soulzon. La cave Société est, de loin, le premier site touriste payant du département, comptabilisant plus de 100 000 entrées payantes en 2008. La Société des Caves de Roquefort (groupe Lactalis depuis 1992) est le deuxième employeur du département (après Bosch) dans le secteur secondaire, avec environ 1 200 salariés14. Parmi les fromages français, le roquefort est celui dont la notoriété et le prix sont les plus élevés à l’étranger, ce qui en fait un produit emblématique, et ce depuis longtemps15 : pour réagir à la poursuite de l’interdiction d’importer du bœuf traité aux hormones sur le territoire de l’Union européenne, les États-Unis ont menacé au printemps 2009 de prendre des mesures de rétorsion, dont la plus spectaculaire était une surtaxe douanière de 300 % du roquefort, qui a déjà été visé depuis la fin des années 1990 par des surtaxes sur le marché américain16 (troisième marché à l’export17 en 2007, soit 2 % de la production).
Fig. 67. Les dix sites touristiques les plus fréquentés en 2008 en Aveyron.
Site | Fréquentation |
Aire du Viaduc de Millau | 812 696 |
Jardin des explorateurs | 385 930 |
Cité templière de la Couvertoirade | 238 003 |
Coutellerie de Laguiole | 162 000 |
Caves Société Roquefort-sur-Saulzon | 161 811 |
Abbaye de Sylvanès | 95 080 |
Maison de l’Aubrac | 88 073 |
Caves Papillon Roquefort-sur-Saulzon | 87 575 |
Micropolis La Cité des insectes | 79 597 |
Forge de Laguiole | 75 000 |
Source : comité départemental du tourisme de l’Aveyron, 2009
18Dans le sud de l’Aveyron, le roquefort apparaît comme le moteur économique, avec une filière qui représente environ 10000 emplois directs et indirects18. La Société des Caves et Papillon sont les deux principaux fabricants industriels qui ont vu l’intérêt de développer les visites de caves depuis une cinquantaine d’années. Leur communication a longtemps reposé davantage sur le savoir-faire que sur l’origine géographique, la localisation de Roquefort étant en général méconnue des consommateurs. Depuis une quinzaine d’années, les acteurs du tourisme ont cherché à exploiter l’image du roquefort pour générer un développement touristique qui bénéficie à l’ensemble du territoire sud-aveyronnais, en incitant les principaux fabricants (notamment la Société des Caves) à davantage communiquer sur l’origine, tant locale que aveyronnaise (l’échelle départementale étant jugée comme la plus pertinente pour une dynamique de développement touristique), du roquefort19.
19Il s’agit d’amener les touristes venus visiter les caves à séjourner sur le territoire en augmentant la capacité d’hébergement (insuffisante sur le village de Roquefort, fréquenté par des centaines de milliers de visiteurs par an) et en diversifiant l’offre touristique (visite de la cité templière de la Couvertoirade, visite de l’abbaye de Sylvanès et son festival de musique sacrée, visite de l’exposition permanente Pastoralia à Saint-Affrique sur l’élevage de Brebis, festival de la brebis Lacaune). L’office de tourisme de Roquefort-sur-Soulzon a mis en place à partir des années 1990 un point d’accueil pour les visiteurs et a défini en 2003 un territoire d’action touristique : « le Pays de Roquefort20 ». La coordination avec d’autres acteurs institutionnels, comme le Parc naturel régional des Grandes Causses, ou privés comme des éleveurs de brebis qui ont mis en place un réseau de « visites de fermes en pays de Roquefort » (accueillant près de 5 000 visiteurs par an), a été développé en s’inscrivant dans une démarche de « panier de biens21 » : les caves Société et Papillon mettent à disposition de leurs visiteurs de la documentation touristique (dépliants, etc.) sur les autres sites à visiter dans le « Pays de Roquefort » et des forfaits donnant droit à des réductions sont proposés en partenariat avec des éleveurs de leur réseau (visite de la ferme), des restaurateurs (repas au roquefort) et des lieux d’exposition (Pastoralia).
20Ainsi, se met en place un territoire d’action touristique, structuré autour du fromage de notoriété mondiale, et dont la proximité avec le viaduc de Millau, indiquée sur la page d’accueil du site du « Pays de Roquefort », renforce la pertinence. Depuis 1998, la Société des Caves s’est implantée sur « l’aire de l’Aveyron » de Séverac-le-Château au nord de Millau (sur l’autoroute A75), où elle gère la vente des produits régionaux : il s’agit en fait d’une stratégie de vitrine visant communiquer auprès d’usagers (potentiels clients) de passage.
21Le viaduc de Millau, achevée en 2004, situé sur l’autoroute A75 reliant Clermont-Ferrand à Béziers, est l’ouvrage d’art le plus haut du monde, ce qui en a fait un pôle touristique majeur. Son ouverture s’est traduite par une augmentation notable de la fréquentation touristique en Aveyron, notamment pour le tourisme fromager (le nombre de visiteurs dans les caves Société est passé de 172 000 à 244 000 entre 2004 et 2005. Après avoir gagné en 2007 l’appel d’offre lancé par le conseil général d’Aveyron pour l’espace de restauration sur l’aire d’autoroute du viaduc de Millau de Séverac-le-Château (site d’Aveyron le plus visité par les touristes), la société « Les trois Bras » (Michel Bras, son frère André Bras et son fils Sébastien Bras) exploite l’espace gourmand « goûter l’Aveyron », installé dans une ancienne ferme : il s’agit de proposer une offre de restauration rapide qui soit en même temps une découverte gustative de l’Aveyron au travers des recettes aveyronnaises revisitées par Michel Bras et d’une sélection de 120 produits provenant de 60 producteurs du département, pour qui cet espace devient une vitrine. Au travers de cette offre, il s’agit de faire de cette aire d’autoroute un site touristique plus qu’une simple halte de repos. Aux clients traditionnels d’une aire d’autoroute s’ajoutent les touristes et les personnes de la région qui viennent visiter ou faire découvrir le viaduc de Millau : comme dans le restaurant gastronomique de Michel Bras, le paysage est associé à une cuisine identitaire.
L’œnotourisme dans les grands vignobles français
22La notion d’« œnotourisme » est apparue tardivement en France où l’on a d’abord parlé de « tourisme viti-vinicole », correspondant à l’ensemble des activités touristiques, de loisir et de temps libre, dédiées à la découverte du vin. Si dès les années 1950 s’est développée une certaine forme de tourisme d’affaires, impulsé et financé par les grandes maisons de négoce de Champagne et de Cognac à destination de leurs principaux clients (grossistes, distributeurs, importateurs, grands chefs, etc.), dans le cadre d’une politique de prestige (rendue possible grâce aux marges importantes générées par la vente du produit) et de fidélisation commerciale, la découverte des grands vignobles en tant qu’activité touristique et culturelle destinée au grand public ne s’est véritablement structurée et développée qu’à la fin du xxe siècle : nombre de grandes maisons de négoce de Champagne, de propriétaires de « châteaux » viticoles du Bordelais et (surtout) de « clos » bourguignons restent encore réticents à l’accueil du grand public, et le rôle des acteurs institutionnels (notamment les conseils régionaux et les communes) ainsi que des professionnels du tourisme (offices de tourisme, comités départementaux et régionaux du tourisme) est souvent moteur dans les projets de développement œnotouristique. Il s’agit d’une forme de tourisme culturel qui s’inscrit, culturellement et socialement, dans une démarche sélective et élitiste : les visites sont généralement payantes pour celles des caves de grandes maisons de négoce, ou si elles ne le sont pas (chez des producteurs notamment), elles s’accompagnent de dépenses liées à l’achat de vins. La part des touristes étrangers, qui dépensent en moyenne davantage que les touristes français, est plus importante dans le tourisme viti-vinicole que dans d’autres formes de tourisme culturel.
23L’œnotourisme s’est surtout développé dans les vignobles de prestige, notamment dans le Bordelais, en Alsace et en Champagne qui totalisent environ 50 % des touristes dans les vignobles français22. Si la Bourgogne a moins développé l’œnotourisme, en raison notamment de la prégnance d’une culture paysanne23, plus terrienne, elle a pourtant été la première à avoir mis en place une route des vins, la « route des grands crus », en 1934. Force est de constater qu’à l’exception de quelques régions viticoles (Alsace, Champagne, Cognac), le développement de l’œnotourisme est récent et accuse encore un certain retard par rapport à d’autres pays de tradition viticole comme l’Italie24 ou l’Espagne25, mais aussi par rapport à des vignobles du Nouveau Monde, comme en Californie (la Napa Valley est aujourd’hui la première région œnotouristique dans le monde).
24La prise de conscience du potentiel œnotouristique en France date de l’enquête AFIT/ODITFrance en 1999 sur les les vecteurs de consommation et de pratique œnotouristiques. Cette enquête a mis en évidence les motivations principales de l’œnotourisme : l’achat et la dégustation, un lien direct avec le producteur en opposition à des pratiques standardisées et l’anonymat de la vente dans la grande distribution, une réassurance vis-à-vis du produit, le mode de culture, les préoccupations environnementales, la beauté des paysages de la vigne, les manifestations festives. Pour les touristes étrangers, l’œnotourisme est particulièrement associé à l’art de vivre français et à la gastronomie. Les acteurs de l’œnotourisme dans les grands vignobles français attirent de plus en plus une clientèle d’affaires et d’entreprises pour qui l’organisation d’un séminaire ou d’une réception dans un « château » viticole bordelais ou bourguignon est un outil de communication. L’offre œnotouristique ne cesse d’évoluer pour s’adapter à l’évolution de la demande : ainsi, en avril 2007, le rapport public de Paul Dubrule26, rédigé à la demande du ministère de l’Agriculture et du ministère du Tourisme préconise des « vacances en vignoble » plutôt que la « route des vins », confirmant ainsi la réduction de l’itinérance de la clientèle touristique.
25La création d’un label français de l’œnotourisme, « Vignobles & Découvertes » et d’un concours en 2009, suite à la fondation d’un Conseil supérieur de l’œnotourisme, ainsi que la mise en place de programmes régionaux de développement œnotouristique, montrent une prise de conscience des retombées de cette activité, notamment dans les régions des grands vignobles français, où la part des touristes étrangers et de la clientèle d’affaires et d’entreprises est plus importante que dans les autres vignobles. Nous limiterons notre analyse aux quatre vignobles dont l’image est la plus prestigieuse à l’étranger, même si de grands vins sont également produits ailleurs.
L’œnotourisme en Champagne
26Les grandes maisons de Champagne ont été à l’initiative de développement du tourisme vitivinicole, car cela entre dans leur stratégie de communication (fig. 6827) : la visite de la cave de Moët & Chandon à Épernay (près de 80 000 visiteurs en 2009, ce qui en fait la troisième cave la plus visitée après celle de Mercier à Épernay et celle de Pommery à Reims) est l’occasion de construire un discours sur l’histoire familiale du fondateur et le savoir-faire artisanal de la maison, même si la réalité de l’entreprise est différente aujourd’hui. Au cours de la dernière décennie, c’est la maison Pommery qui a connu la plus forte augmentation de sa fréquentation touristique, en raison de l’organisation depuis 2004 (suite au rachat de la marque Pommery par Vranken en 2003) d’un événement culturel28, l’exposition d’art contemporain annuelle « Expérience Pommery », qui a fait passer le nombre de visiteurs de 92 600 en 2006 à 115 500 en 2010 (après avoir connu un pic de fréquentation en 2008, avant la crise économique, avec 125 000 visiteurs).
27Sur le guide touristique 2008 Route Touristique du Champagne édité par l’office de tourisme d’Épernay, une quinzaine de maisons de Champagne situées à Épernay proposent des visites de caves accompagnées généralement de dégustations. Ces visites, qui peuvent être effectuées dans plusieurs langues (au moins en français et en anglais, mais parfois, comme chez Moët & Chandon, en allemand, néerlandais, italien, espagnol, russe, polonais, portugais, japonais, chinois), sont proposées à des tarifs compris entre la gratuité et 25 euros (selon les formules de dégustation proposées en 2008).
28La brochure « Vivez la Champagne autrement29 », réalisée par le comité départemental du tourisme de la Marne, promeut la « marnothérapie » comme la « méthode champenoise du bien-être » : des visites insolites, comme une découverte du vignoble en croisière sur la Marne30 (le bateau « Champagne Vallée » a accueilli plus de 22 000 visiteurs en 2009) ou des descentes de caves en rappel31, sont proposées. À travers l’opération « Vivez la Champagne autrement », il s’agit pour le comité départemental du tourisme de mettre en place une démarche de panier de biens, incitant les touristes à diversifier les activités sur place : sur les treize sites32 participant à l’opération « Vivez la Champagne autrement », la visite payante de trois d’entre eux donne droit à une quatrième visite offerte (« la ronde des visites »). En juillet 2009 a été ouvert le « jardin de vignes » à Chouilly, dans la communauté de communes d’Épernay-Pays de Champagne : il est conçu comme un « jardin-musée », à la fois ludique et pédagogique permettant de découvrir « le terroir et son identité viticole », au travers d’une mise en scène du vignoble. Le Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC) agit également au niveau de la communication sur le tourisme vitivinicole avec un onglet « Œnotourisme Champagne » sur son site Internet officiel.
29La dynamique impulsée par les grandes maisons de champagne dans le cadre de leur stratégie de communication profite aux producteurs qui développent les ventes directes à l’exploitation ainsi que les chambres d’hôtes. Sur la listes des chambres d’hôtes 2008 de l’office de tourisme d’Épernay et de sa région, 37 (dans un rayon de 30 kilomètres autour d’Épernay) sont tenues par des vignerons, sur un total de 77 chambres d’hôtes. Depuis 2007, l’association des vignerons indépendants de Champagne (près de 250 membres) a mutualisé les efforts dans le cadre des « rendez-vous privilégiés » pour développer l’accueil des touristes dans les caves, où ils organisent durant la saison touristique (d’avril à octobre) des dégustations chaque week-end.
30La Marne est le département le plus touristique de la région Champagne-Ardenne, en raison de l’importance de l’œnotourisme : l’achat de vin de Champagne, notamment par les touristes britanniques et belges, explique que la dépense moyenne des touristes dans la Marne soit deux fois plus élevée que celle des touristes (français principalement) dans le département limitrophe des Ardennes33.
31L’œnotourisme champenois dispose d’un certain nombre d’atouts : la proximité géographique avec Paris, dont l’accessibilité rapide depuis Reims a été renforcée par la mise en place du TGVEst en 2007 (trajet de 45 minutes), le rôle central des grandes maisons de négoce qui ont développé l’œnotourisme davantage à Épernay et à Reims que dans le vignoble. Néanmoins, le manque d’unité du vignoble champenois, l’absence de véritables paysages emblématiques (à l’exception de ceux de la montagne de Reims), son image « a-géographique », la discontinuité qui caractérise le tracé de la « route du champagne », sont autant de difficultés pour le développement œnotouristique. À cela, s’ajoute la discontinuité administrative entre la Marne et l’Aube ainsi que l’absence de coordination entre les deux comités départementaux du tourisme : ainsi, sur le site du comité départemental du tourisme de la Marne, l’onglet « La route touristique du champagne » ne mentionne que quatre des cinq itinéraires, la route de la côte des Bar se situant dans l’Aube. À l’inverse, la « route du champagne en fête », qui a été lancée en 1996 par l’Association de promotion du vignoble champenois (APVC), est une manifestation qui se déroule chaque année sur la côte des Bar, en excluant le vignoble marnais. Enfin, Épernay, qui est l’un des principaux pôles de l’œnotourisme champenois, a des capacités d’accueil en hôtellerie et en restauration qui sont très limitées (par rapport à une ville de taille comparable comme Beaune, dont la fonction de « capitale viticole » est équivalente à celle d’Épernay), ce qui ne favorise pas le prolongement du séjour sur place des centaines de milliers de visiteurs (entre 400 000 et 500 000) qui déambulent sur l’avenue de Champagne chaque année.
L’œnotourisme à Cognac
32L’œnotourisme dans l’aire délimitée d’appellation d’origine contrôlée « Cognac » porte sur un alcool, et non sur un vin comme c’est le cas en Bourgogne, en Champagne ou dans le Bordelais. Cela implique notamment des achats en faible quantité, d’autant que les clientèles ciblées sont principalement des Français non consommateurs de cognac34 (la France représente 3,6 % du marché du cognac en 2009). En tout, en 2010, 55 exploitations viticoles ont développé l’œnotourisme, ce qui représente l’accueil de 220 650 visiteurs, dont 137 000 dans les maisons de négoce.
33Les grandes maisons ont été, comme en Champagne, à l’initiative du développement touristique. Comme Épernay ou Reims en Champagne, la ville de Cognac joue un rôle central dans le développement œnotourisque. En 1996, Hennessy a créé son musée, qui intègre également un espace d’exposition. Martell a mis en place un « circuit Martell35 », accueillant environ 30000 visiteurs par an, incluant la visite gratuite de la maison de Jean Martell, fondateur de la marque en 1715, tandis que Rémy Martin propose une visite de son vignoble en petit train. La maison Otard propose une forme originale d’œnotourisme, mêlant l’histoire et la découverte du cognac : implantée dans le château où naquit François 1er, la maison propose une visite en deux parties, la première étant consacrée à la vie de François 1er, et la seconde à l’élaboration du cognac. Ces prestations intègrent généralement une visite des chais et une dégustation. Il s’agit pour ces marques d’une stratégie de vitrine, d’autant que le marché français ne représente que 3 à 5 % de leur chiffre d’affaires. Il y a une corrélation forte entre la part très importante de l’export et la proportion de visiteurs étrangers à l’office de tourisme de Cognac, de l’ordre de 40 % en 2009.
34La première clientèle étrangère en 2009 est britannique (environ un tiers), suivie des touristes néerlandais, belges, espagnols et allemands. La clientèle française (60 %) vient principalement d’Île-de-France et des régions de l’Ouest (Bretagne, Pays de la Loire et Poitou-Charentes). Les Maisons de Cognac à Cognac et Jarnac ont reçu en 2008 plus de 103 000 visiteurs.
35Avant la création, en 1995, de l’association Étapes du Cognac, l’office de tourisme de Cognac avait déjà élaboré un document sur « les routes du cognac » proposant six itinéraires touristiques dans le vignoble, avec des étapes viticoles, gourmandes, découvertes ainsi que des étapes repos. L’association Étapes du Cognac est notamment chargée dans le cadre d’un plan d’action annuel, de contribuer aux actions œnotouristiques de ses partenaires, qui sont regroupés aujourd’hui dans la « cellule expérience Cognac ». Celle-ci est composée du Bureau national interprofessionnel du cognac (BNIC), du Comité national du pineau des Charentes (CNPC), des comités départementaux du tourisme de Charente et de Charente-Maritime, du comité régional du tourisme et de l’office de tourisme de Cognac. L’association programme le calendrier des animations de l’AOC « Cognac », coordonne la stratégie de communication sur l’œnotouristime en validant auprès des porteurs institutionnels (comité régional du tourisme, comité départemental du tourisme, office de tourisme, BNIC) les actions de communication retenues, en éditant des supports papiers (guide des bonnes adresses, calendrier des animations) et en achetant des encarts publicitaires. L’association accompagne également les prestataires œnotouristiques (réunions d’information et de sensibilisation, aide à l’amélioration de l’accueil et à la mise en valeur du produit, à l’attrait des espaces de dégustation, etc.). Sur la demande de ses partenaires, l’association Étapes du Cognac a porté en 2009-2010 le dossier de candidature du label « Vignobles et Découvertes » visant à faire du vignoble de Cognac « une véritable destination œnotouristique française et internationale, connue et reconnue36 ». Cette stratégie touristique distingue le vignoble de Cognac d’autres vignobles de prestige, comme la Champagne viticole ou le Bordelais, qui n’ont pas demandé ce label.
36Les agences de développement touristique de Charente et de Charente-Maritime, sous l’impulsion des deux conseils généraux, ont construit ces dernières années un plan d’actions communes autour du Pays du cognac. Celles-ci sont tournées vers le grand public, sous la bannière « Expérience Cognac – Arôme de grands week-ends », et promotionnent la découverte de l’eau-de-vie et de l’art de vivre en pays cognaçais à travers un magazine (édité à 40 000 exemplaires), un site Internet37 et des annonces de presses (notamment sur les magazines de compagnies aériennes ou ferroviaires comme Magazine Ryanair et TGVMag). Apprendre à déguster le cognac est l’une des principales motivations des touristes visitant les exploitations viticoles ou les ateliers de dégustation comme la « cognathèque » ou « l’école des cognacs ».
37Depuis 2008, des actions de promotion de la « Destination Bordeaux-Cognac38 » auprès des professionnels du tourisme, notamment international, ont été menées afin de valoriser un espace à forte notoriété constitué de deux régions viticoles françaises, le Bordelais et le Cognaçais, situées à une heure de route l’une de l’autre et en faire une destination de prestige, synonyme de l’art de vivre à la française. Ces actions ont associé différents partenaires : les agences de développement touristique de Charente et de Charente-Maritime, le comité département du tourisme de Gironde, le comité régional du tourisme de Poitou-Charentes, l’office de tourisme de Cognac et la Chambre de commerce et d’industrie de Bordeaux.
L’œnotourisme dans le Bordelais
38La spécificité de l’œnotourisme dans le Bordelais tient à la place éminente qu’y tient la ville de Bordeaux, dont le port de commerce, d’où était exporté le vin vers l’Angleterre, est classé au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2007. De fait, le quartier des Chartrons était le centre du négoce du vin. Le musée du vin et du négoce y retrace cet héritage. La capitale viticole bordelaise est aussi la seule ville française membre du Réseau des Capitales des Grands Vignobles, créé en 1999. L’un des principaux champs d’intervention de ce réseau est le tourisme. Ainsi, le concours Best of Wine Tourism, initié en 2003, est organisé localement en partenariat avec la Chambre de commerce et d’industrie de Bordeaux afin de récompenser les sites réservant le meilleur accueil aux visiteurs, en faisant concourir les entreprises vitivinicoles de la région qui sont candidates dans l’une des six catégories (architecture, parcs et jardins ; art et culture ; découverte et innovation ; hébergement ; organisation d’événements ; valorisation œnotouristique des pratiques environnementales). L’office de tourisme de Bordeaux promotionne le tourisme vitivinicole sur son site Internet, avec un onglet « Visiter le vignoble » proposant des excursions, et avec son guide Bordeaux Porte du vignoble. Un « comptoir d’information vignobles », conçu en partenariat avec le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB), a été spécialement aménagé. Le CIVB organise des stages d’été de deux heures dans son « école du vin », notamment à destination des touristes. La réalisation, prévue pour 2014, d’un « Centre culturel et touristique du vin » d’envergure internationale devrait renforcer la place de Bordeaux dans le développement œnotouristique du vignoble de renommée mondiale.
39Le conseil régional d’Aquitaine et son comité régional du tourisme ont cherché au cours de la dernière décennie à développer le tourisme vitivinicole, en définissant un positionnement (« Aquitaine Destination Vignobles »), en publiant des guides et des brochures œnotouristiques (lancements en 2005 du guide Destination vignobles en Médoc, en 2007 de la brochure Divins détours en Aquitaine) et en mettant en place en 2009 un site Internet dédié à l’œnotourisme39 où l’on trouve notamment une offre œnotouristique haut de gamme, avec des séjours « vinothérapie40 », « golf et grands crus », une découverte du vignoble en cadillac, etc. Les visites de caves, les dégustations et l’achat de vins sont en Aquitaine41 des activités privilégiées des touristes, notamment étrangers. Mais il s’agit d’élargir la clientèle restreinte des amateurs de vins visitant la propriété viticole pour développer de véritables séjours ou excursions en vignoble. Pour ce faire, la région Aquitaine propose de dépasser le concept de « route des vins » pour aller vers la notion « vacances en vignobles ». Dans le cadre du programme régional « Destination Vignobles », le Conseil régional entend développer l’offre œnotouristique en mettant en réseau les différents acteurs des territoires viticoles (à l’exemple des « Médocaines », quatre viticultrices qui se sont associées pour la mise en valeur touristique de leurs quatre « châteaux » viticoles) en incitant aux partenariats entre les professionnels du tourisme et ceux du monde viticole par un soutien financier et d’aide au niveau de la formation et de la communication pour valoriser les projets œnotouristiques.
40Les visites de « châteaux » sont l’une des spécificités du vignoble bordelais, en particulier dans le Médoc, à l’occasion notamment du « Printemps des Châteaux42 » qui se déroule chaque année en avril depuis 1991. Si beaucoup de « châteaux » viticoles restent fermés au public43 (la vente directe, notamment pour les vins les plus prestigieux, étant peu développée), force est de constater que de plus en plus de propriétaires viticoles (négociants) ouvrent les portes de leur domaine aux visiteurs (fig. 69). Cela permet de concilier la découverte du vin et la découverte du patrimoine. Celle-ci prend une forme ludique au Château d’Agassac44 (Médoc) grâce à la mise en place en 2008 d’un dispositif « vinteractif » : le visiteur équipé d’un baladeur numérique y découvre l’histoire du château viticole (bâtisse de style féodal datant du xive siècle) dans un jeu de piste à travers la propriété. L’originalité du dispositif et son coût modique (cinq euros pour les adultes, deux pour les enfants) ont fait augmenter la fréquentation touristique de 50 % entre 2007 et 2008.
41La dimension patrimoniale et culturelle est très marquée dans l’œnotourisme bordelais : trois des cinq routes du vin font référence au patrimoine (« Route des châteaux », « Route du patrimoine », « Route des bastides »). C’est le cas notamment à Saint-Émilion, dont l’inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco s’est traduit par une augmentation de la fréquentation touristique : « les visiteurs viennent à Saint-Émilion d’abord pour son site et son patrimoine45. » Faire de Saint-Émilion une véritable destination œnotouristique, un « village viticole », c’est tout l’enjeu du programme, dans lequel s’inscrit par exemple la mise en place en 2000 de « l’école du vin de Saint-Émilion » à destination des touristes. Néanmoins, malgré l’affluence des visiteurs à Saint-Émilion (environ un million par an), les structures touristiques, notamment en matière d’hébergement (hôtels et chambres d’hôtes), ne sont pas à la hauteur d’un véritable programme de développement œnotouristique46.
42Faire du site œnotouristique un espace d’exposition artistique : c’est ce concept qui a été mis en place par exemple à la Winery d’Arsac dans le Médoc (plus grand site œnotouristique du Bordelais) créée en 2007, où l’œnotouriste vient y déterminer son « signe œnologique » tout en admirant des œuvres permanentes ou temporaires d’art contemporain ou en assistant à l’un des concerts organisés (une dizaine de spectacles par an). Si le bilan des trois premières années d’exploitation de ce concept œnotouristique d’inspiration américaine est mitigé47 (4 000 à 5 000 visiteurs par mois, alors que l’objectif affiché par Philippe Raoux est d’en atteindre 100 000 par an), il se tourne de plus en plus vers le tourisme d’entreprise, notamment en hors-saison. La clientèle de la Winery est essentiellement française en hors-saison (plus des deux tiers des touristes venant de la Gironde) et la clientèle étrangère représente environ 50 % des entrées en saison touristique (juillet-août-septembre)48. Au Château Lynch-Bages dans le Médoc, la famille Cazes développe également un projet œnotouristique atypique, d’une part en organisant au château des expositions d’artistes à l’exemple de James Brown en 2010, et d’autre part en transformant Bages en « village des saveurs et du vin » : la place du Hameau, complètement réhabilitée, accueille des commerces de bouche (boulangerie, café, restaurant, caviste), trois ateliers d’artisans et d’artistes, des chambres d’hôtes et des concerts. Au Château de Mallaret (Haut-Médoc), le projet d’une école de gastronomie et de sommellerie est en cours, tandis que « l’école du bordeaux » au Château Lynch-Bages existe déjà depuis une quinzaine d’années. Les « châteaux » viticoles développent les dégustations et l’hébergement, sous la forme de locations de chambres (par exemple au Château du Tertre, cinquième cru classé de Margaux) ou des formes d’hébergement plus insolites comme les cabanes dans les arbres au Château de Malleret.
L’œnotourisme en Bourgogne
43C’est en Bourgogne qu’est apparu l’œnotourisme en France avec la création en 1934 de la première route des vins, la « route des grands crus ». Pourtant, l’activité œnotouristique est moins développée en Bourgogne que dans les autres vignobles à forte notoriété, bordelais et champenois.
44Néanmoins les professionnels du tourisme et la filière viticole ont fait de gros efforts ces dernières années pour la mise en valeur touristique du vignoble (fig. 7049). L’attribution en octobre 2010 du label « Vignobles et Découvertes » à trois vignobles bourguignons (« Colline de Montrachet », « Colline de Corton » et « Dijon Côte de Nuits ») qui l’avaient demandé, montre les efforts réalisés pour proposer une offre touristique diversifiée (hébergement, restauration, visites de cave et dégustation, découverte du patrimoine, etc.).
45La découverte du vignoble à travers les différents itinéraires touristiques peut se faire de différentes manières : en voiture si l’on fait l’intégralité d’une route (à titre d’exemple la « route des grands crus » fait 80 kilomètres), à pied en suivant le « chemin des grands crus » tracé par le Comité départemental de randonnée pédestre (CDRP) de la Côte-d’Or entre Dijon et Santenay sur 87 kilomètres, ou en vélo (une véloroute50, appelée « la voie des vignes », a été balisée par le comité régional du tourisme sur vingt kilomètres entre Beaune et Santenay permettant de découvrir la Côte de Beaune en bicyclette). Elle s’étendra dans les prochaines années vers le nord jusqu’à Dijon. Depuis 1997, le comité régional du tourisme cherche à développer le cyclotourisme en Bourgogne : la première voie verte51 en France a été réalisée entre Châlons-sur-Saône et Macôn en 1997, et en 2007 a été créé le site consacré à la découverte de la Bourgogne en vélo52, avec cinq itinéraires dont deux qui correspondent à une découverte des vignobles de la côte châlonnaise et de la côte de Beaune. D’autres manières de découvrir le vignoble, plus insolites et plus coûteuses, sont proposées en montgolfière, en hélicoptère depuis l’aérodrome de Beaune, ou encore à cheval. La ville de Beaune, qui apparaît comme la véritable capitale du vignoble bourguignon, est également un lieu où se développe l’œnotourisme53, d’une part à l’occasion de la vente aux enchères des Hospices de Beaune qui donne lieu à une grande fête en novembre, mais aussi au travers de son patrimoine architectural, de ses musées ou encore de son « école des vins de Bourgogne » (du BIVB), qui propose par exemple des « séjours œnologiques » comprenant l’apprentissage de la dégustation et la visite de domaines viticoles. Enfin, une offre œnotouristique haut de gamme est réservée à une clientèle d’affaires et d’entreprises, pour l’organisation de séminaires et de réceptions, dans des lieux au cadre prestigieux comme les Châteaux de Broyers et de Pizay ou encore celui de Santenay. Au tourisme vitivinicole traditionnel, lié à la découverte du vignoble prestigieux, se greffent d’autres activités œnotouristiques comme « l’imaginarium » à Nuits-Saint-Georges, dont la brochure (2008) propose une visite d’1h15 pour découvrir les vins effervescents et les crémants avec une projection d’un film et un espace sensoriel pour apprendre à déguster. Dans la même commune, le spécialiste du cassis, Védrenne, a mis en place un « cassissium » comprenant la visite d’un espace muséographique sur l’histoire du cassis, la visite de sa « liquoristerie », et une dégustation.
46En dépit de leur inégale mise en valeur, les grands vignobles français offrent un potentiel de développement œnotouristique considérable en raison de leur richesse patrimoniale et paysagère ainsi que de la découverte culturelle et gustative de vins de prestige sur leur lieu de production. Les acteurs publics, tant à l’échelle étatique qu’à l’échelle des collectivités territoriales, en ont pris conscience au cours de la dernière décennie. L’essor de l’œnotourisme dans les grands vignobles français dépend aux niveaux local et régional d’une bonne collaboration entre les professionnels du tourisme et les acteurs de la filière viti-vinicole, qui ne voient pas toujours l’intérêt de l’activité œnotouristique pour vendre leur vin de notoriété mondiale.
L’agritourisme truffier
47L’agritourisme peut être défini comme « les activités d’accueil, d’hébergement, de restauration et de loisirs ayant comme cadre un environnement local54. » L’agritourisme truffier55 se développe depuis une vingtaine d’années, surtout en Italie (comme l’œnotourisme), mais également en France. Deux facteurs principaux expliquent cet essor :
d’une part, la nécessité pour les agriculteurs des régions trufficoles (qui sont en général des régions à faible potentiel agricole, constituant aujourd’hui des espaces ruraux en déclin) de diversifier leur activité, l’agritourisme truffier étant un moyen d’avoir des revenus complémentaires notamment en période de faible activité que sont les mois d’hiver ;
d’autre part, le retour à la terre et aux produits naturels des citadins qui sont attirés à la fois par la découverte de paysages ruraux et d’un produit alimentaire de luxe qu’ils apprennent à connaître en étant guidés dans leur découverte, par l’expérience et le savoir-faire d’un agriculteur, en l’occurrence d’un trufficulteur. Le touriste recherche d’abord la découverte d’un territoire rural à travers sa gastronomie (apprentissage de recettes aux truffes), ses paysages (sentier des truffières) et ses habitants (chambres d’hôtes chez un trufficulteur), mais aussi l’authenticité du rapport de l’homme à la terre et à l’animal à travers le cavage ou le dressage de chiens truffiers.
Un appoint de revenus, complémentaire à l’activité agricole
48Depuis une vingtaine d’années, des agriculteurs-trufficulteurs se tournent vers l’agritourisme truffier, qui reste néanmoins faiblement développé. Ils ne sont que quelques dizaines à la pratiquer en France, dans les régions avec une forte tradition trufficole (Provence, Périgord, etc.), mais aussi dans des territoires où la trufficulture a été redécouverte plus récemment (Charentais, Richelais, etc.). Dans le Vaucluse (premier département de production trufficole) par exemple, les agriculteurs propriétaires de truffières restent discrets et ils jouent un rôle très secondaire dans la valorisation touristique de ce produit emblématique : ce sont principalement des commerçants et des professionnels du secteur du tourisme et de l’hôtellerie-restauration qui impulsent une dynamique de tourisme gastronomique et culturel autour de la « rabasse », à travers la visite des marchés et des musées de la truffe et l’organisation des journées et des fêtes de la truffe56.
49L’agritourisme truffier est ainsi devenu l’activité principale de Michel Tournayre, agriculteur et président du syndicat des trufficulteurs du Gard : son exploitation était principalement spécialisée dans la production de céréales et d’asperges. Il n’avait alors que quelques hectares d’arbres truffiers. En 1991, une maladie détruit ses quinze hectares d’aspergeraie qu’il remplace par une plantation truffière. Propriétaire aujourd’hui d’environ vingt hectares de plantation truffière, il en tire à peu près les deux tiers de ses revenus, notamment de l’agritourisme qu’il a développé à partir de 1995. Il organise des visites de truffières, des démonstrations de cavage avec des chiens truffiers, des conférences et des dégustations de plusieurs variétés éventuellement suivies d’un repas gastronomique avec les truffes récoltées lors du cavage. Il n’accueille aujourd’hui que des groupes et le tarif varie selon la formule, qui va de la visite simple, à la visite et le cavage, auxquels peuvent être ajoutés une dégustation de truffes (avec vin), une conférence et un repas gastronomique. Il reçoit un ou deux groupes par semaine entre décembre et début mars, profitant de la proximité d’un site très visité (le Pont du Gard) et de la ville d’Uzès, renommée pour son marché aux truffes. Il a également développé l’agritourisme truffier en saison estivale, en proposant une découverte de la truffe d’été (tuber aestivum). La vente de pots de conserves de truffes aux visiteurs et l’approvisionnement de truffes à des restaurateurs d’Uzès ou du département complètent les revenus liés à l’activité truffière.
50C’est le cas également de Gilles Ayme à Grignan dans la Drôme. Il s’associe à son père, Pierre Ayme, dans l’exploitation familiale, « le domaine de Bramarel », en 1991. C’est son aïeul, Joseph-Pierre Ayme qui a développé les premières truffières sur l’exploitation au milieu du xixe siècle. Elle est aujourd’hui totalement consacrée à la monoculture truffière. L’exploitation emploie actuellement quatre personnes, alors qu’en 1980 Pierre Ayme était le seul à y travailler. Ils ont diversifié leur activité : vente d’arbres truffiers (leur exploitation est l’une des plus grandes pépinières de France en nombre de plants mycorhizés produits), achat en gros et vente au détail de truffes fraîches ou en conserves et d’une multitude de produits à base de truffes, organisation de visites de truffières et de démonstration de cavage à destination de touristes français et européens, mais aussi américains, japonais, australiens et chinois. Cette prestation est réalisée en association avec des restaurants qui proposent des repas avec des plats aux truffes comme spécialités régionales. Ils accueillent également des écoles hôtelières et des restaurateurs français ou étrangers qui souhaitent mieux connaître ce produit. La fréquentation atteint plusieurs dizaines de personnes chaque week-end avant les vacances de Noël, au mois de janvier et durant les vacances de février. L’agritourisme représente une part grandissante au sein de cette exploitation familiale, même si la vente de plants mycorhizés reste l’activité principale.
Les séjours de découverte de la truffe chez le producteur : un loisir réservé à une clientèle aisée
51Il s’agit essentiellement de séjours courts de deux ou trois jours, sur la durée d’un week-end. Ils se développent surtout dans les régions trufficoles les plus productrices (Provence, Périgord), grâce au dynamisme des professionnels du tourisme (comités départementaux et régionaux du tourisme notamment) et à l’esprit d’initiative de quelques agriculteurs qui diversifient leurs activités en créant des chambres d’hôtes.
52Mais cette activité se développe dans des régions moins productrices, comme en Poitou-Charentes. C’est le cas par exemple de Laurent Lassalle qui possède un domaine (« le Domaine des Tonneaux ») à Jarnac. Ce producteur de cognac est aussi un trufficulteur qui récolte de la truffe noire (tuber melanosporum) mais surtout de la truffe d’été (tuber aestivum). Ayant ouvert sa maison aux chambres d’hôtes, il propose aux touristes estivaux des démonstrations de cavages avec chiens et des dégustations de toasts ou de repas à la truffe d’été avec des plats mêlant le cognac et la truffe comme l’omelette aux truffes d’été flambées au cognac.
53Contrairement à d’autres formes d’agritourisme accessibles à des classes moyennes, il s’agit là d’un tourisme élitiste dont la clientèle est généralement constituée de couples aisés de plus de cinquante ans et dont les tarifs sont relativement élevés57.
54À travers ces différents exemples de tourisme gourmand dans des régions gastronomiques de prestige, d’œnotourisme dans des grands vignobles ou encore d’agritourisme truffier, nous observons que la découverte du luxe alimentaire français sur ses lieux de production est aujourd’hui une ressource touristique de mieux en mieux mise en valeur. La découverte in situ des paysages, des savoir-faire, des goûts des produits alimentaires de luxe met en valeur l’originalité, l’authenticité et l’excellence de ces produits singuliers. Leur prestige est aussi un instrument de promotion du territoire environnant, en améliorant son image de marque et en mettant en place une dynamique de développement territorial.
Le luxe alimentaire français dans la promotion et l’attractivité des territoires
55À l’échelle locale et à l’échelle régionale, le luxe alimentaire peut être un véritable outil pour le développement territorial, notamment dans des régions rurales où il favorise le maintien d’activités et l’entretien des paysages. Face à une mondialisation de plus en plus concurrentielle, il est un véritable atout pour l’attractivité et l’image de marque des territoires, tant à l’échelle nationale, qu’à l’échelle régionale ou à l’échelle locale.
Des régions spécialisées dans la production du luxe alimentaire
56Les activités de production du luxe alimentaire ont un ancrage historique ancien et sont difficilement « délocalisables » en raison de la tradition d’un savoir-faire local et de la notoriété associée à la région de production.
Luxe alimentaire et dynamisme territorial
57Les producteurs et les artisans fabriquant des produits alimentaires de luxe jouent un rôle important dans le maintien d’activités dans les territoires ruraux. C’est le cas du chocolatier de luxe Michel Cluizel dans le bourg de Daimville (2 000 habitants) en Normandie. Créée en 1947, cette entreprise familiale, dont les boutiques sont localisées à Paris, New York (en 2005), Londres et Riyad (en 2008) a maintenu les ateliers de fabrication à Daimville, où travaillent 200 salariés. Dans le village de Puyricard, près d’Aix-en-Provence, c’est aujourd’hui une centaine d’employés qui travaillent dans les ateliers de la chocolaterie éponyme créée en 1967. Ces exemples anecdotiques et peu connus ont le mérite de montrer à l’échelle locale en quoi une activité de production de chocolats de luxe, souvent associée à des maisons parisiennes (Dalloyau, La Maison du Chocolat, etc.), peut être essentielle dans la vie économique et sociale d’un village de Normandie ou de Provence.
58Plus fondamentalement, l’observation des principales entreprises exportatrices58 par région en 2010-2011 montre l’importance de ce secteur dans le dynamisme territorial. En Champagne-Ardenne et en Poitou-Charentes, les maisons de négoce ont un rôle essentiel dans l’économie régionale : parmi les vingt-cinq premières entreprises exportatrices de ces deux régions59, on en compte cinq, Moët & Chandon et Hennessy étant respectivement à la première place du palmarès des entreprises exportatrices de Champagne-Ardenne et de Poitou-Charentes. À l’échelle des départements, nous pouvons observer l’importance économique liée aux activités de production ou de commercialisation des produits alimentaires de luxe. Ainsi, dans le palmarès des vingt-cinq premières entreprises exportatrices de la Côte-d’Or, on compte des grossistes-négociants en vin de Bourgogne (Famille Grands Vins Spiritueux, Maison Louis Jadot, Maison Louis Latour, Maison Labouré Roi) et une entreprise de tonnellerie (François Frères). En Aveyron, les fromageries qui fabriquent le roquefort (Société des Caves, Papllon, Vernières Frères) figurent parmi les principales entreprises exportatrices, tandis que les sociétés Valette Foie Gras et Arnaud Bizac (spécialiste du foie gras et de la truffe du Périgord) dans le Lot et Euralis Gastronomie (regroupant les activités foie gras et traiteur de la coopérative agricole) dans les Hautes-Pyrénées sont également parmi les entreprises les plus dynamiques dans leur département, de même que Labeyrie et Delpeyrat dans les Landes. En Gironde, les entreprises Baron Philippe de Rothschild (propriétaire du Château Mouton-Rothschild) et Jean-Pierre Moueix (propriétaire du domaine Petrus) spécialisées dans les grands vins de Bordeaux comptent également parmi les principales entreprises exportatrices.
59Le rôle des entreprises de l’agro-alimentaire de luxe est donc très important pour le dynamisme économique de nombreux territoires de production. Le prestige associé aux productions alimentaires de luxe est aussi un facteur d’attractivité territoriale.
Luxe alimentaire et marketing spatial
60Le marketing spatial désigne la recherche et la mise en œuvre de moyens propres à vendre un lieu60. Si les noms géographiques ont été historiquement un élément de construction de la notoriété du produit de luxe alimentaire, force est de constater que l’appellation prestigieuse devient aujourd’hui un outil de promotion territoriale.
61Le cas du vin de Champagne est éclairant : l’évolution de la dénomination correspond davantage à une opportunité commerciale et à la nécessité de vendre son vin à l’extérieur qu’à un souci de se référer à une quelconque origine géographique61. Ainsi, au Moyen Âge, les « vins de France » désignaient les vignobles prestigieux autour de Paris qui étaient servis à la cour du roi : vendre les vins de Champagne sous le nom de « vins français » ou « vins de France » apportait donc une certaine notoriété. Ce n’est qu’avec le déclin des vignobles d’Île-de-France que l’appellation « vins de Champagne » est apparue, d’abord de manière exogène, à partir du début du xviie siècle62, avant même la création du vin mousseux de Champagne, dont la notoriété mondiale est aujourd’hui utilisée pour rendre le territoire champenois plus attractif, d’autant qu’il a pâti pendant longtemps d’une mauvaise image, en raison de son faible potentiel agricole (« Champagne pouilleuse ») et des invasions multiples dont il fut le théâtre d’opération et qui donnèrent lieu à des batailles célèbres.
62Depuis les années 1990, le nom « Champagne », qui est associé au luxe et à la fête, est de plus en plus utilisé dans la toponymie, à l’exemple de la préfecture de la Marne, Châlons-sur-Marne, devenue Châlons-en-Champagne. Les sites institutionnels (mairies, offices de tourisme, etc.) sur Internet sont des outils de marketing spatial : c’est le cas par exemple pour les sites institutionnels de la mairie et de l’office de tourisme d’Épernay, dont les pages d’accueil ont pour titre « Épernay Capitale du Champagne ». Cette « magie des noms » s’opère également à travers le toponyme « Périgord » – associé à la qualité, notamment dans le domaine agro-alimentaire – repris dans les noms des communautés de communes, à l’exemple de celle du « Pays de Mareuil-en-Périgord », tandis que la référence explicite au produit du luxe alimentaire apparaît dans celle du « Terroir de la Truffe » dont le siège est à Saint-Alvère (où se déroule en hiver l’un des principaux marchés aux truffes).
63Le luxe alimentaire est ainsi un outil de marketing spatial, notamment pour des destinations touristiques souhaitant attirer une clientèle internationale à hauts revenus, à l’exemple de Cannes, Monaco et de certaines stations de sports d’hiver comme Courchevel. La présence d’un chef étoilé reconnu mondialement, comme Alain Ducasse au restaurant Le Louis XV à Monaco, participe à la construction de l’image de marque de la Principauté63.
Le grand restaurant comme outil de développement local : le cas Marcon à Saint-Bonnet-le-Froid
64L’exemple le plus récent de l’implantation réussie en milieu rural d’un grand restaurant, qui a obtenu trois étoiles en 2010 au Guide Michelin, est celui de l’Auberge du Vieux Puits du chef Gilles Goujon dans le petit village de Fontjoncouse dans l’Aude : c’est sur l’insistance du maire que Gilles Goujon installe son restaurant sur l’emplacement de l’auberge du village au début des années 1990. Il s’implique dans la vie du village (adjoint au maire) et s’appuie sur un réseau de producteurs locaux.
65Le cas de Régis Marcon semble être l’exemple le plus abouti d’un chef profondément attaché à son village et ses habitants et qui a entraîné toute une dynamique de développement local. Dans quelle mesure le restaurant de Régis Marcon a-t-il impulsé une dynamique de développement local fondée sur la spécialisation du village dans le tourisme gourmand ? Quel rôle joue la famille Marcon dans le projet visant à faire du village une destination touristique gourmande ?
66Pour répondre à ces questions, nous montrerons d’abord que cette dynamique de développement local64 s’est mise en place dans un cadre géographique spécifique, un village situé sur un col où le passage a favorisé les activités liées au commerce et à l’accueil. Nous montrerons ensuite que cette dynamique est née de l’initiative privée – celle du chef Régis Marcon – et s’inscrit dans une stratégie familiale, combinant les actions de chacun dans un but déterminé : spécialiser le tissu économique local dans les commerces de bouche et le tourisme gourmand. Enfin, nous montrerons que cette dynamique nécessite la mobilisation des habitants du village derrière le chef et sa famille65 : les réseaux de solidarité entre les acteurs locaux sont entretenus par les liens commerciaux, la vie associative et les fêtes gourmandes.
67Notre travail s’est appuyé sur les réponses de Régis Marcon à un questionnaire adressé en mars 2008, suivi d’un entretien avec le chef en juillet 2009. Notre questionnaire sur son restaurant était constitué de trois séries de questions. La première portait sur le choix de la localisation et de l’agencement du restaurant, la deuxième sur la composition du personnel et sur la clientèle et la troisième sur les produits (provenance, fournisseurs), les plats proposés et la cave à vins (nombre de bouteilles, les régions viticoles françaises les plus représentées, les vins étrangers les plus représentés, la fourchette des prix). L’entretien a permis de préciser certains points du questionnaire (liste des fournisseurs) et surtout de mieux comprendre les rapports du chef avec les autres acteurs locaux. Cette enquête a été complétée par un entretien avec le négociant en vin Johannès Marcon, neveu du chef, à la Cave Marcon de Saint-Bonnet-le-Froid. Nous avons également enquêté auprès d’une vingtaine d’habitants de Saint-Bonnet-le-Froid, à l’office de tourisme de Montfaucon et à son antenne de Saint-Bonnet-le-Froid, à l’Agence locale de tourisme (ALT) du Pays de la Jeune Loire et ses rivières, pour mieux comprendre le regard porté par les habitants et les acteurs du tourisme sur le restaurant de Régis Marcon et son rôle dans la dynamique de développement local fondé sur le tourisme gourmand.
Un restaurant de renommée internationale implanté dans un espace rural isolé
68Comme son nom l’indique, Saint-Bonnet-le-Froid, situé à 1 150 mètres d’altitude, est d’abord connu pour les conditions climatiques rigoureuses des hivers enneigés qui en font une étape traditionnelle du rallye automobile Monte-Carlo. Mais ce village de 250 habitants est aussi célèbre grâce au chef Régis Marcon, dont le restaurant est classé trois étoiles au Guide Michelin depuis 2005.
69Au premier abord, Saint-Bonnet-le-Froid peut apparaître comme une commune enclavée : le village de 250 habitants est localisé à plus de 1 000 mètres d’altitude et à l’écart des grands axes de circulation, d’où son isolement relatif lors des hivers enneigés. Ces conditions expliquent la fermeture du restaurant étoilé durant la période hivernale et participent à la saisonnalité des activités touristiques. Mais, à y regarder de plus près, son site et sa situation sont moins défavorables qu’il n’y paraît au premier abord.
Fig. 71. Saint-Bonnet-le-Froid : une enclave ?

70Saint-Bonnet-le-Froid est en effet situé à proximité du col des Baraques où la présence d’aubergistes et de commerçants est ancienne : « Saint-Bonnet a toujours été un lieu de passage » selon Johannès Marcon. Cette ouverture du village sur l’extérieur a favorisé l’esprit d’entreprise : c’est un élément de l’identité socioculturelle qui a été un atout dans le processus de développement local. La fréquentation de ce lieu de passage a été favorisée par la proximité du centre de pèlerinage de Lalouvesc66, comme en témoignent les cartes postales du village au début du xxe siècle où est indiquée la mention « environs de Lalouvesc ». De plus, il est au contact du plateau ardéchois et du massif du Mézenc, des provinces historiques du Velay et du Vivarais, à proximité de l’axe rhodanien et du pays stéphanois. Enfin, un réseau urbain équilibré maille l’espace dans un rayon de 70 kilomètres autour du village (fig. 71), avec des villes comptant moins de 20000 habitants (Annonay, Yssingeaux), d’autres de 20 000 à 100 000 (Le Puy-en-Velay et Valence), une plus de 100 000 (Saint-Étienne) et une plus d’un million (Lyon), l’axe majeur rhodanien étant situé à une quarantaine de kilomètres.
71L’établissement de Régis Marcon appartient à la catégorie des restaurants luxueux67, dont la localisation n’est pas aléatoire mais correspond à un marqueur territorial, c’est-à-dire un « objet situé dans un espace et un signe symbolique connotant ce lieu du fait de la clientèle68 ». La réputation gastronomique construite entre 1995 (année où Régis Marcon remporte le trophée du concours international de cuisine du Bocuse d’Or) et 2005 (année de l’obtention de la troisième étoile au Guide Michelin) et le choix d’un nouveau site pour le restaurant étoilé, devant apparaître comme « exceptionnel » par sa proximité géographique avec la « nature69 », donnent de la puissance au marqueur territorial, attirant une clientèle ciblée à haut pouvoir d’achat prête à parcourir des distances importantes pour s’y rendre.
72La clientèle de Régis Marcon est principalement française, en provenance surtout de la région Rhône-Alpes (30 %), d’Auvergne (10 %) et de la région parisienne (10 %). Les clients étrangers sont majoritairement originaires de quatre pays : l’Angleterre, la Suisse, la Belgique et le Japon. La clientèle est surtout composée de couples, âgés de 40 à 60 ans, issus de catégories socioprofessionnelles supérieures (professions libérales, « artistes », etc.). Selon le questionnaire rempli par Régis Marcon au printemps 2008, cette clientèle serait la même au déjeuner et au dîner.
73Si la localisation du restaurant étoilé dans le village de Saint-Bonnet-le-Froid peut apparaître a priori comme un handicap, Régis Marcon est parvenu à en faire un marqueur territorial grâce à sa réputation et à ses investissements (tant en infrastructures qu’en hommes).
L’entreprise Marcon : du restaurant étoilé aux établissements multiples
74La dynamique de développement local est le résultat d’une stratégie familiale, qui a su mobiliser les acteurs locaux, publics et surtout privés, autour d’un même projet fondé sur une spécialisation du tissu économique local, renforçant l’attractivité touristique de Saint-Bonnet-le-Froid grâce à la réputation du restaurant triplement étoilé.
75Expliquer par la géographie l’implantation du restaurant étoilé de Régis Marcon à Saint-Bonnet-le-Froid serait sans doute insuffisant ; c’est davantage dans son attachement à son village natal et ses habitants qu’on en trouve la cause70. L’ancrage territorial, désignant le sentiment d’appartenance à un lieu, est donc un facteur majeur d’explication de l’initiative entrepreneuriale de Régis Marcon dans son village natal : « le village, c’est une petite famille71 ». En 1948, la famille Marcon s’installe à Saint-Bonnet-le-Froid, développant à la fois l’activité d’aubergiste et celle de marchand de vins. Après la mort de ses parents, Régis a repris avec son épouse (fille d’hôteliers de Lalouvesc) l’hôtel-restaurant familial, l’Auberge des Cimes (aujourd’hui rebaptisée « Bistrot la Coulemelle »), qui a abrité jusqu’en 2005 le restaurant étoilé, tandis que son frère Guy a poursuivi l’activité de commerce du vin. Ses deux autres frères, André et Jean-Pierre, sont aussi très impliqués dans la vie politique et économique tant à l’échelle locale qu’à l’échelle nationale : André Marcon est maire du village (où il tient un hôtel) depuis 1989 et président de l’Assemblée des Chambres françaises de commerce et d’industrie après avoir dirigé la Chambre de commerce et d’industrie du Puy-en-Velay puis la Chambre régionale de commerce et d’industrie d’Auvergne ; Jean-Pierre Marcon est vice-président du conseil général, vice-président de VVFVillages et président de la section des solidarités et politiques sociales du Conseil national du tourisme, et il a été par le passé maire de Saint-Bonnet-le-Froid (de 1971 à 1989) ainsi que député de la circonscription (de 2007 à 2012). La famille Marcon est donc bien enracinée localement.
76Le projet de développement local par le tourisme gourmand correspond d’abord à une stratégie familiale : les frères Marcon (Régis, Guy, André, Jean-Pierre), par leurs activités professionnelles ou leurs mandats, ont favorisé la revitalisation de l’économie locale de leur village par un projet original de développement par le tourisme gourmand. À l’échelle de l’entreprise Marcon, la stratégie repose essentiellement sur le couple : Régis en cuisine, Michèle en salle. Depuis que son fils aîné, Jacques, a rejoint sa brigade de cuisine en 2005, année de la consécration avec l’obtention de la troisième étoile au Guide Michelin, Régis Marcon est entré dans une stratégie patrimoniale, sans laquelle les investissements colossaux (près de 3 millions d’euros) réalisés dans la construction du nouvel hôtel-restaurant « Régis & Jacques Marcon » n’auraient pas de sens : il s’agit en effet de pérenniser l’affaire familiale, en assurant la continuité de père en fils. En 2008, son second de cuisine, Éric Pras, est parti en Bourgogne au restaurant Lameloise, triplement étoilé au Guide Michelin, pour y succéder en cuisine à Jacques Lameloise un an plus tard. Jacques Marcon a alors pris la place d’Éric Pras dans la brigade de son père à Saint-Bonnet-le-Froid.
77Aujourd’hui, le poids économique et social de la famille Marcon à Saint-Bonnet-le-Froid est considérable : Régis Marcon est propriétaire de deux hôtels de standing, 3 et 4 étoiles (le second ouvert en 2008), deux restaurants (le second ouvert en 2005), une pâtisserie-salon de thé (en 2000) à laquelle s’est ajoutée une boulangerie (en 2004), et un village de vacances. Au total, cela représente plusieurs dizaines d’emplois, dont une part importante dans le restaurant étoilé (la brigade de cuisine est composée d’environ vingt-cinq personnes et la brigade de salle d’une petite vingtaine d’employés). Ce modèle, basé sur la multiplicité des établissements dans un même lieu, est inspiré historiquement par les exemples de Michel Guérard à Eugénie-les-Bains (Landes)72 et de Georges Blanc à Vonnas (Ain). Michel Bras dans l’Aubrac a été une source d’inspiration pour le site et l’architecture de son établissement étoilé ainsi que pour certains produits dérivés comme le couteau présentant sa signature, tout comme Olivier Roellinger à Cancale pour la boulangerie-pâtisserie-salon de thé (Grain de Vanille), son potager, son école de cuisine « Corsaire », ses « gîtes marins » et son « cottage Les Rimains ». Cet agrandissement permet à Régis Marcon de réduire les risques liés à la mono-activité et de prolonger la durée du séjour de la clientèle grâce à des infrastructures d’hébergement de haut standing (hôtels 3 et 4 étoiles), tandis que les équipements tels que son parcours botanique et la boutique installée dans la boulangerie-pâtisserie-salon de thé répondent aux attentes du touriste73. Néanmoins, face à l’endettement consenti pour de telles infrastructures, le modèle de développement mis en place est fragile : la perte d’une étoile au Guide Michelin ou l’aggravation de la crise économique actuelle auraient un impact certain sur la fréquentation de l’hôtel et du restaurant Régis & Jacques Marcon, même si la structure de sa clientèle (principalement française et de provenance régionale) et l’absence de restaurants de même standing dans un rayon de 70 kilomètres par la route permettraient de limiter les dommages.
78À la différence d’autres grands chefs français qui ont ouvert des établissements à l’étranger (aux États-Unis et au Japon principalement), Régis Marcon a concentré ses investissements dans son village, en optimisant la rentabilité de son personnel. Ainsi Christophe Gasper est à la fois responsable du pain et des sucrés des deux restaurants et de la boulangerie-pâtisserie où sont vendus les produits signés « Régis Marcon » (« la confiture de lentilles vertes du Puy » ou « le chocolat praliné aux cèpes », mais aussi les livres de recettes, la vaisselle ou le couteau Régis Marcon).
79Force est de constater que la mobilité géographique est un élément important dans l’apprentissage des jeunes chefs pour qui l’itinéraire professionnel est marqué par le passage dans les brigades des restaurants étoilés. Si nous observons cette mobilité dans la brigade de Régis Marcon, nous constatons néanmoins une certaine stabilité parmi ses principaux collaborateurs malgré les départs des seconds de cuisine, Serge Vieira (en 2006), Éric Pras (en 2008) puis Édouard Mignot (en 2010). Ils ont d’ailleurs fait en général un parcours classique : outre son fils (formé notamment chez Frédy Girardet en Suisse), les principaux piliers de sa brigade de cuisine, à l’exemple de Gwenaël Forot (originaire d’Ardèche), sont passés dans des écoles hôtelières et chez des grands chefs avant d’arriver à Saint-Bonnet-le-Froid. Si parfois certains sont originaires des régions limitrophes, comme le maître d’hôtel stéphanois Cédric Servain ou son ancien second de cuisine clermontois Serge Vieira (aujourd’hui chef d’un établissement étoilé à Chaudes-Aigues dans le Cantal), ils viennent en général de régions plus lointaines, ce qui n’empêche pas leur implantation : ainsi, l’ancien sommelier de Régis Marcon, travaille désormais à la Cave Marcon aux côtés du frère et des neveux du chef. D’autres employés sont devenus adjoints au maire. Cette implication dans la vie du village favorise l’implantation du personnel du restaurant étoilé à Saint-Bonnet-le-Froid, à l’exemple de Christophe Gasper et de Laurent Blanchon aux côtés de Régis Marcon depuis une décennie, et favorise une montée en gamme des commerces de bouche, soit au sein de l’entreprise de Régis Marcon à l’exemple de la boulangerie soit au sein d’un autre commerce comme la Cave Marcon.
80Son frère Guy est propriétaire de la Cave Marcon, dont l’activité était jusque récemment destinée uniquement aux professionnels (cavistes, restaurateurs). Depuis 2006, Guy Marcon a toutefois développé des boutiques ouvertes aux clients et aux touristes, et qui proposent une offre diversifiée (plus de 1 500 références, dont des produits étrangers comme du whisky japonais), d’abord au Puy-en-Velay, puis à Saint-Bonnet-le-Froid et à Saint-Genest-Malifaux, et dernièrement à Clermont-Ferrand. Il est l’un des fournisseurs privilégiés de son frère Régis pour la carte des vins (45 000 bouteilles en cave, avec une préférence pour les vins de la vallée du Rhône), mais aussi des autres restaurants de la commune pour la clientèle desquels il élabore des coffrets. En même temps, il distribue les produits signés Régis Marcon, dans un espace réservé à l’épicerie fine. La troisième génération des Marcon, avec Jacques au restaurant étoilé depuis six ans ou Johannès, Maguy et Jean-Régis à la Cave Marcon, s’apprête à prendre la relève.
Le produit local comme source d’innovation culinaire et de promotion territoriale
81Le produit local cuisiné et mis en scène dans le restaurant étoilé est un « emblème territorial » qui, « par métonymie, représente et même signifie cet espace et les valeurs qui lui sont attribuées74. » En devenant une icône du restaurant étoilé et du village, le produit local constitue un outil de promotion territoriale.
82Pour analyser le discours du chef Régis Marcon sur sa cuisine, nous nous sommes appuyés sur l’analyse de ses menus, d’un lexique destinés aux dossiers de presse et aux clients de l’hôtel, et sur la formulation des réponses de Régis Marcon à notre questionnaire et lors de notre entretien. Nous nous sommes également appuyés sur des notes personnelles de Régis Marcon portant sur sa cuisine, sa famille, son village et ses projets, qu’il nous a remises lors de l’entretien. Ces notes ont servi à la rédaction de l’ouvrage intitulé La cuisine de Régis et Jacques Marcon (2009).
83Le « localisme » est au cœur du discours gastronomique de Régis Marcon, qui intègre dans sa démarche à la fois les enjeux sociaux (maintien et création d’activités en milieu rural), culturels (transmission des recettes culinaires locales et de plats régionaux) et environnementaux (usage de produits locaux et issus de l’agriculture biologique). L’hôtel-restaurant Régis & Jacques Marcon, qui a obtenu la certification « Écolabel européen »., a été construit entre 2005 et 2008 en incluant trois volets dans sa démarche environnementale :
l’intégration de l’établissement dans le paysage, que ce soit par l’usage des matériaux locaux (pierre volcanique, granite et bois) ou l’architecture inspirée de celle d’une ferme (maison de maître, écurie, grange) avec les chambres de l’hôtel construites dans la roche ;
l’économie d’énergie (géothermie, chaufferie à bois, panneaux solaires, ampoules à faible consommation, panneaux photovoltaïques et récupération de chaleur par l’utilisation d’un plafond filtrant en cuisine, etc.) et d’eau (économiseurs d’eau) ;
le tri des déchets tant en cuisine que dans l’hôtel.
84Les produits locaux sont à voir dans les paysages qu’offre la vue panoramique du restaurant, à lire dans les menus, et enfin à goûter. Le discours a une importance considérable, car il s’agit, comme au théâtre, de raconter une histoire75, celle d’un terroir tant réel qu’imaginaire. Ainsi, Régis Marcon accueille ses hôtes en mettant à leur disposition un lexique intitulé L’Esprit en quelques mots avec vingt-trois termes et commençant par « Ardèche et Auvergne : indéniablement ancré dans sa région, Régis Marcon s’en inspire sans cesse ; il y puise l’essence même de sa cuisine en travaillant les produits locaux76 mais aussi en respirant un air qui le ressource ». Ce localisme culinaire, auquel il est explicitement fait référence dans les deux menus de son établissement qui portent des titres évocateurs, « Le Vellave » et « Entre Velay et Vivarais », est raconté à la manière d’un conte où le chef est le narrateur : le discours que Régis Marcon utilise permet à la fois de comprendre comment il perçoit la contrée où il habite et comment il construit un système cohérent de signes, une représentation du terroir, au travers des plats proposés dans son menu, à l’exemple de la « galette de champignons de retour de cueillette » et des « fromages d’Ardèche et d’Auvergne ». L’un des plats emblématiques sur le plan rhétorique est « l’agneau noir du Velay en croûte de foin de cistre77 », dont Régis Marcon écrit dans son lexique que « ça vient en direct de la nature » : la référence à une race ovine locale et à l’usage d’une herbe sauvage, la cistre, caractéristique du massif du Mézenc (et qui fait d’ailleurs la typicité de l’AOC de race bovine « fin gras du Mézenc ») reflète le discours gastronomique local de Régis Marcon.
85L’implantation du nouveau restaurant, doté d’une salle de 350 m2 (60 places) et d’une cuisine spacieuse de 200 m2 au sommet de la colline qui surplombe le village permet aux clients d’avoir une vue panoramique à 160° sur le Pic du Lizieux et les sucs de l’Yssingelais avec, au loin, le mont Mézenc. Le paysage est ainsi intégré dans la promotion du localisme alimentaire. La valorisation des ressources alimentaires locales se fait surtout par l’utilisation en cuisine d’ingrédients qui ont une provenance locale ou régionale (fig. 72) :
la cueillette des fleurs et des plantes sauvages (cistre, verveine, etc.), des herbes (plantain, achillée, etc.) et des champignons ;
la culture des légumes dans le jardin « bio » du restaurant ;
les truites du Lignon (provenant de la pisciculture de Fay-sur-Lignon) ;
les escargots d’Alain Charras à Grazac ;
le miel de Vincent Faure à Fay-sur-Lignon (800 ruches à La Ferme des abeilles) ;
les fromages de chèvre de Daniel Mounier à Dunières ;
les fromages de la laiterie Gerentes à Araules (près d’Yssingeaux) ou de la ferme des Hautes Chaumes à Valcivières (fourme fermière) près d’Ambert ;
le poulet bourbonnais ;
le bœuf du Mézenc ;
la farine bio de la plaine du Forez ;
les huiles de Jean-Marc Montegottero à Beaujeu dans le Rhône ;
les vins de la vallée du Rhône (en particulier ceux de Gérard et Jean-Louis Chave dans l’appellation « Hermitage »).
86La redécouverte de recettes locales ou régionales, comme la « brochette Margaridou78 » ou la potée auvergnate (servie avec du homard) s’inspire du discours régionaliste de l’entre-deux-guerres mettant en avant l’authenticité de la cuisine populaire et paysanne.
87Grâce à la réputation gastronomique du chef étoilé, Saint-Bonnet-le-Froid est devenu un lieu connu et fréquenté par une clientèle de gourmets aisés, tant français qu’étrangers. Les acteurs locaux ont su utiliser l’image de marque du restaurant étoilé pour renforcer l’attractivité touristique du village et en faire une destination touristique gourmande.
La spécialisation du village dans le tourisme gourmand
88Le tourisme gourmand est devenu la principale activité à Saint-Bonnet-le-Froid. Les secteurs de l’hôtellerie-restauration et du commerce alimentaire représentent environ 80 emplois et les taxes payées par les entreprises de ces secteurs correspondent à près de 15 % du budget de fonctionnement de la commune en 2010. Depuis le début des années 2000, une antenne de l’office de tourisme de Montfaucon a ouvert à la mairie de Saint-Bonnet-le-Froid, proposant de découvrir « Saint-Bonnet-le-Froid, le village gourmand » à travers les brochures touristiques et les visites guidées. Un site Internet attractif et fonctionnel79 met en avant le tourisme gourmand sur la communauté de communes du Pays de Montfaucon : la page d’accueil est intitulée « Haut Pays du Velay terre d’émotions et de gourmandises », mettant ainsi en place une politique de marketing spatial visant à promouvoir ce territoire comme une destination touristique gourmande. Surtout, l’ALT, créée en 2006, est chargée de la stratégie de promotion touristique dans le réseau des Offices de Tourisme de l’Est du département de la Haute-Loire. Le tourisme gourmand est, avec le tourisme vert, au cœur de sa stratégie de développement, comme en témoigne le slogan « Destination jeune Loire ! Pour des vacances gourmandes et chlorophylle ! ». Financée par le Conseil régional d’Auvergne, l’ALT assure la promotion de Saint-Bonnet-le-Froid comme une destination touristique gourmande via le réseau des Offices de Tourisme qu’elle regroupe. Les campagnes de communication de l’ALT ont ciblé principalement une clientèle du bassin lyonnais80 pour les deux temps forts lancés en 2010 : « les clés de la gourmandise » au printemps et « l’automne gourmand » entre octobre et décembre proposant des séjours sur un week-end durant l’un des six événements gourmands81 organisés dans la communauté de communes du Pays de Montfaucon, dont la foire aux champignons de Saint-Bonnet-le-Froid, les 6 et 7 novembre, est l’événement majeur. L’objectif, ouvertement affiché, est de « valoriser des séjours à la charmante saison des champignons et pas seulement de l’excursionnisme à la journée82 ».
89Le tourisme gourmand à Saint-Bonnet-le-Froid prend différentes formes : l’expérience gastronomique dans le restaurant triplement étoilé, ou dans l’un des trois autres restaurants de qualité distingués dans le Guide Michelin par un « bib gourmand » (Le Fort du Pré, La Coulemelle, André Chatelard), la pratique de stages de cuisine durant l’année et à l’approche de Noël auprès des collaborateurs de Régis Marcon, la participation aux fêtes gourmandes de l’automne et du printemps, ou encore les ateliers « vins et fromages » à la Cave Marcon et la découverte de productions locales (miel, myrtilles, framboises, etc.) à l’exploitation durant la période estivale (sur réservation à l’office de tourisme). L’office de tourisme de Montfaucon, dont le président Jean-Pierre Santy a choisi depuis 2009 la découverte des produits de terroir et des métiers de bouche comme élément porteur du développement touristique83, et son antenne à la mairie du village organisent également des visites guidées payantes sur le thème « découvrez Saint-Bonnet-le-Froid, le village gourmand », dont l’objectif est « d’expliquer, à travers l’histoire, pourquoi Saint-Bonnet-le-Froid est devenu un village gourmand84 » : « il vous sera conté l’histoire de ses maisons qui sont devenues des restaurants renommés et des anecdotes sur ses villageois dont nos grands chefs sont les héritiers » indique le site Internet de l’office de tourisme.
Fig. 73. Implantation des structures d’hébergement et des commerces de bouche à Saint-Bonnet-le-Froid en 2008.

[Source : enquête personnelle, 2009]
90Ainsi, malgré la forte concentration de commerces de bouche (fig. 73), ceux-ci sont davantage partenaires que concurrents : par exemple, les frères Chatelard85, respectivement boucher (René) et restaurateur (André), sont pour l’un fournisseur des restaurants de Régis Marcon (et des autres restaurants du village), pour l’autre client de la Cave Marcon. Cette concentration exceptionnelle de commerces alimentaires de qualité dans un petit village renforce indéniablement l’image gastronomique locale et favorise sa diffusion en suscitant la curiosité des médias locaux, régionaux et nationaux. Le maintien et la création d’activités autour des commerces alimentaires (une dizaine sur la quinzaine de commerces dans le village) ont enrayé le déclin démographique de Saint-Bonnet-le-Froid, dont la population a augmenté de manière significative depuis vingt ans (200 habitants au début des années 1960, 180 à la fin des années 1980, près de 250 en 2008). Les naissances dépassent désormais les décès et le solde migratoire est positif, avec une population active qui représente 50 % des habitants en 2008 et un taux de chômage de seulement 6 %.
91Si la vie associative tient une place importante dans la dynamique de développement local86, Saint-Bonnet-le-Froid en est un exemple abouti. Le village compte une dizaine d’associations, parmi lesquelles un comité d’animation et une association des commerçants dirigés par Thierry Guyot, le chef-propriétaire du restaurant Le Fort du Pré, que Régis Marcon présente comme un partenaire. Le neveu de Régis Marcon, Jean-Régis, dirige l’association des jeunes, « le Club des Neiges », qui organise notamment des sorties de ski de fond. L’implication de la famille Marcon dans la vie associative joue un rôle important dans la dynamique de développement local, car elle entretient entre la famille Marcon et les habitants du village des réseaux de solidarité, qui sont de puissants vecteurs de mobilisation collective dans la stratégie de développement touristique87.
92Mais c’est surtout à l’échelle de la communauté de communes de Montfaucon, dans le cadre de l’ALT (regroupant six communautés de communes dans les limites administratives du canton d’Yssingeaux), que la spécialisation dans le tourisme gourmand a été impulsée, en s’appuyant sur le « pôle gourmand88 » de Saint Bonnet-le-Froid. L’office de tourisme de Montfaucon a en effet un rôle de pilotage dans la stratégie de développement touristique basé sur la thématique du « Bon et bien manger », dont l’objectif est de promouvoir « une destination propice à la découverte des sens – de la terre à l’assiette – en toutes saisons89 ». Cette stratégie de développement touristique s’appuie sur une charte regroupant trois types d’acteurs locaux, appelés les « ambassadeurs du bon et du bien manger » : des producteurs, des artisans des métiers de bouche, des restaurateurs. Ces « ambassadeurs » accueillent des visiteurs lors des temps forts (« les clés de la gourmandise » en avril, les journées du patrimoine en septembre, « l’automne gourmand » entre octobre et décembre), avec des goûters à la ferme, des ateliers de pâtisserie ou de boulangerie, des dégustations de produits locaux, etc. Cette organisation réticulaire intègre également les acteurs politiques : « l’une des missions de l’ALT est de développer une “culture tourisme” et de faire prendre conscience aux élus que le tourisme est un levier économique majeur90 ».
93Le champignon est à la fois l’emblème du village (la place aux Champignons est la place centrale du village) et celui de Régis Marcon, dont trois établissements portent des noms de variétés de champignons : Les Russules, La Chanterelle et La Coulemelle. C’est d’ailleurs avec le soutien actif de Régis Marcon que le comité d’animation de Saint-Bonnet-le-Froid a relancé au milieu des années 1990 la « Foire aux Champignons » attirant chaque année début novembre plusieurs milliers de visiteurs (environ 15 000 selon l’office de tourisme et le comité d’animation) dans le village. Durant deux jours, le village vit au rythme des champignons : « l’espace des producteurs » (marché aux champignons) et « l’espace gourmand » (cours de cuisine, démonstration et repas aux champignons) sont regroupés sur la place aux Champignons tandis que les mycologues se rassemblent sur la place Jean Béal autour de l’exposition des champignons. Cet événement gourmand, qui mobilise plusieurs dizaines de bénévoles, attire des touristes venant de Haute-Loire mais aussi des départements limitrophes. Les hôtels du village sont complets plusieurs mois à l’avance. La rue principale est alors rendue aux piétons et aux forains, tandis que différents événements festifs autour de produits et de plats régionaux (soupe aux champignons, tarte géante à la châtaigne, tartelettes aux lentilles appelées « lentillons », soupe aux choux ou aux champignons) ponctuent cette fête villageoise gourmande. D’autres événements gourmands, comme la « Fête des Bœufs de Pâques91 » (le dimanche des Rameaux), dont le boucher René Chatelard est le principal organisateur, mobilisent tout le village (parents d’élèves, commerçants, producteurs, etc.).
94Les acteurs économiques locaux jouent donc un rôle essentiel pour ériger les produits locaux en marqueurs culturels et identitaires, à l’exemple des champignons, mais aussi de la lentille verte du Puy, pour laquelle Régis Marcon s’est battu pour l’obtention de l’AOC dans les années 1990 : on la trouve sur les cartes des restaurants du village, dans la boulangerie-pâtisserie (sous la forme de pain aux lentilles ou de confiture de lentilles), ou chez le primeur Joseph Pacalon (La Maison de l’Ail).
95À travers cet exemple, nous avons montré en quoi la réputation d’un restaurant triplement étoilé a impulsé une dynamique de développement local qui a bénéficié à l’ensemble du territoire environnant, valorisé par une image attrayante construite sur le localisme alimentaire. L’action de Régis Marcon – que d’aucuns dans le village appellent affectueusement « Régis » ou avec révérence « Monsieur Marcon » – en faveur des produits alimentaires locaux a eu un impact économique, culturel et social sur l’ensemble du village grâce à la mobilisation des autres acteurs locaux.
96La concentration atypique de commerces alimentaires de qualité à Saint-Bonnet-le-Froid a été favorisée par des réseaux de solidarité familiale et villageoise ainsi que par la proximité de professionnels et d’artisans qualifiés fournissant ou collaborant avec le chef étoilé. À l’échelle locale, ce que Régis Marcon a entrepris pour la valorisation culinaire et culturelle des ressources alimentaires, à l’exemple des champignons (au travers de la cueillette, des recettes, de l’information mycologique), suscite un engouement collectif dont les effets économiques, mais aussi sociaux et culturels sur le village sont positifs.
97La valorisation des particularismes alimentaires locaux entraîne ici un cercle vertueux qui tire parti de la « touristification » de nos sociétés, dont le rêve nostalgique d’une nature et d’une ruralité idéalisées92 est l’un des fondements.
98La filière du luxe alimentaire français n’a guère besoin de valoriser touristiquement ses espaces de production pour écouler les produits prestigieux de niche ou de marque qui lui sont associés, à l’exemple de la truffe noire ou du champagne. Pourtant, ces espaces de production sont aujourd’hui de plus en plus mis en valeur pour dynamiser l’économie locale grâce aux retombées touristiques mais aussi pour promouvoir l’image de marque et renforcer l’attractivité territoriale.
99La valorisation touristique des espaces de production du luxe alimentaire français permet de réaffirmer l’originalité et l’authenticité des produits alimentaires de luxe ainsi que de renforcer le plaisir lié à leur consommation en y associant la découverte géographique et gustative. Cette valorisation touristique devient dans certains cas un véritable outil de développement territorial, favorisant le maintien d’activités en milieu rural. un outil de développement territorial
Notes de bas de page
1 Barthe L., Processus de différenciation des espaces ruraux et politiques de développement local, thèse de doctorat en géographie soutenue à l’université Toulouse 2 – Le Mirail, 1998, non publiée.
2 Frayssignes J., Les AOC dans le développement territorial. Une analyse en termes d’ancrage appliquée aux cas français des filières fromagères, thèse de doctorat en géographie soutenue à l’université Toulouse 2 – Le Mirail, 2005, non publiée.
3 Intervention de Julia Csergo à la 1re table ronde « tourisme, gastronomie : l’histoire des deux plaisirs » au forum alimentation et culture de l’IEHCA, à Tours, 27 novembre 2009.
4 Lemasson J.-P., « Penser le tourisme gourmand », Téoros, vol. 25, no 1, 2006, p. 3-4.
5 Ce slogan renvoyait à l’histoire sociale et rurale, les croquants désignant la paysannerie.
6 À cette époque, le Périgord n’était déjà pas la principale région de production truffière (Chatin A., La truffe, Paris, J.-B. Baillière et Fils, 1892). À l’époque de Brillat-Savarin, la truffe de Provence est aussi réputée que celle du Périgord. En 1825, Brillat-Savarin écrit que « Les meilleures truffes de France viennent du Périgord et de la haute Provence ».
7 Coulon C., « Des différentes manières de croquer le Périgord », dans J. Csergo et J.-P. Lemasson (dir.), Voyages en gastronomie…, op. cit., p. 148-158.
8 Chevé J., « Le radicalisme alimentaire d’Eugène Le Roy », Du bien-être et du bien-vivre à travers les âges et les terroirs, Actes du LIVe congrès d’études régionales de la fédération historique du Sud-Ouest, Bordeaux, Éditions de la Maison des sciences de l’Homme d’Aquitaine, 2002.
9 Assouly O., Les nourritures nostalgiques. Essai sur le mythe des terroirs, Arles, Actes Sud, 2004.
10 Information transmise par Marie-Pierre Pé, ingénieure au Cifog, septembre 2010. Sur les vingt marchés répertoriés, neuf sont localisés en Dordogne et sept dans le Gers.
11 http://www.sarlat-tourisme.com/fr/fiche/Visites-gourmandes/ (consulté en août 2010).
12 Intervention de Sophie Ollier-Daumas, directrice du comité régional du tourisme de Bourgogne, au forum alimentation et culture de l’IEHCA, à Tours, novembre 2009.
13 Whalen P., « De la cuisine d’auberge au temple gastronomique : la Bourgogne », dans J. Csergo et J.-P. Lemasson (dir.), Voyages en gastronomie…, op. cit., p. 51-61.
14 D’après la Chambre de commerce et d’industrie de l’Aveyron, juin 2007.
15 Déjà en 1914, l’export représente 21 % du chiffre d’affaires de la Société des Caves, dont 10 % pour New York (chiffres cités par Sylvie Vabre lors de la table ronde sur « le bon produit d’hier à aujourd’hui » du Forum Alimentation et culture de l’IEHCA, à Tours, novembre 2007). Ce succès à l’étranger explique pourquoi le roquefort est la plus ancienne appellation fromagère française (1925).
16 Le choix du roquefort comme cible des mesures américaines de rétorsion s’explique à la fois par la notoriété du fromage et par l’ancrage de la contestation paysanne altermondialiste, souvent perçue comme antiaméricaine, dont le causse du Larzac et la confédération paysanne sont devenus des emblèmes.
17 Sur les 19 000 tonnes produites en 2007 (deuxième fromage AOC après le comté, d’après l’INAO), 3 800 (20 %) ont été exportées, dont 420 vers les États-Unis.
18 Frayssignes J., « L’AOC Roquefort : une filière emblématique », dans B. Hervieu et M. Allaya (dir.), Mediterra. Identité et qualité des produits alimentaires méditerranéens, Paris, Presses de Sciences Po, 2007, p. 147-184.
19 Les derniers spots télévisés de la marque Société, comme « un genre de roquefort, ça n’existe pas » en 2009 ou « les terres de Roquefort Société » en 2010, insistent sur l’origine du produit autant que sur le savoir-faire du « maître-affineur ».
20 La nuance apportée par « de » Roquefort, plutôt que « du » roquefort correspond à une volonté d’élargir l’offre touristique (Frayssignes J., Les AOC dans le développement territorial…, op. cit., p. 288).
21 Hirczak M. et al., « Le modèle du panier de biens », Économie rurale, no 308, 2008, p. 55-70.
22 Lignon-Darmaillac S., L’œnotourisme en France : nouvelle valorisation des vignobles, Bordeaux, Féret, 2009.
23 Pitte J.-R., Bordeaux-Bourgogne…, op. cit.
24 Notamment en Toscane où des domaines prestigieux ont fait construire ces dernières années de véritables caves monumentales, avec des architectures ultramodernes comme celle du domaine Rocca di Frassinello réalisée par l’architecte Renzo Piano. Ces caves deviennent, comme les châteaux viticoles bordelais, des étapes sur les routes des vins en Toscane.
25 Notamment les bodegas de la Rioja. Notons que le site œnotouristique le plus fréquenté, « Dinastia Vivanco » attire environ 180 000 visiteurs par an.
26 Co-président du conseil de surveillance du groupe Accor. Ancien sénateur.
27 Espace de dégustation Moët & Chandon qui clôture la visite des caves, à Épernay. Moët & Chandon a également développé une offre destinée à une clientèle d’affaires et d’entreprises (réceptions, séminaires, déjeuners) sur les sites de la maison de négoce (orangerie, caveau Napoléon, hôtel particulier) sur l’avenue de Champagne à Épernay.
28 Ce concept de galerie d’art se retrouve en Bourgogne (au château de Pommard) et dans le Bordelais (aux châteaux Mouton-Rotschild, Pichon Longueville, Lynch Bages).
29 http://www.vivez-la-champagne-autrement.com/ (consulté en août 2010).
30 http://www.champagneetcroisiere.com/ (consulté en août 2010).
31 http://www.leclercbriant.com/fr/le_vignoble/les_visites.php (consulté en août 2010).
32 Dont seulement trois sites œnotouristiques (phare de Verzenay, musée de la cave et des métiers du champagne De Castellane, le Domaine Bacchus). L’offre de tourisme gourmand s’étend au whisky (visite de la distillerie Guillon) et au chocolat (visite de la chocolaterie Thibaut). La découverte du patrimoine historique (retable de Fromentières, château de Montmort, etc.) et des parcs de loisirs (Cap-Aventures, parc « Nature et Loisirs » à Sept-Saulx) est également proposée.
33 Source : Observatoire régional du tourisme de Champagne-Ardenne, 2010.
34 Informations sur le contexte marketing touristique fournies par Delphine Boyer, chargée de développement à l’association Étapes du Cognac, juin 2011.
35 Entretien avec madame Élisabeth Ricard, responsable de la communication de Martell, décembre 2007.
36 Dossier de candidature au label Vignobles et Découvertes. Le label a été obtenu en octobre 2010.
37 http://www.experience-cognac.fr/ (consulté en juin 2011).
38 http://www.bordeaux-cognac.com/ (consulté en juin 2011).
39 http://www.oenoland-aquitaine.fr/ (consulté en août 2011).
40 Le concept a été créé en 1999 par Florence et Daniel Cathiard, propriétaires du Château Smith Haut Laffite : « Les Sources de Caudalie », un spa de vinothérapie. Le concept est aujourd’hui vendu sous licence à l’étranger (Espagne, États-Unis). Les spas de vinothérapie se développent également dans le vignoble champenois dans des établissements de luxe.
41 « Les chiffres clés de l’œnotourisme en Aquitaine », Bulletin d’information du Comité Régional de Tourisme d’Aquitaine, juillet 2010, p. 10. Résultats de l’enquête réalisée en été 2009 en Aquitaine (3 610 questionnaires collectés) dans le cadre de l’étude nationale lancée en 2008 sur le potentiel de développement de la clientèle du tourisme viticole.
42 Durant un week-end, 60 « châteaux » viticoles du Médoc ouvrent leur porte au public.
43 Nombre de châteaux viticoles bordelais (à l’exemple de Château Pape-Clément) ou bourguignons privilégient une clientèle d’affaires et d’entreprises pour des séminaires et des réceptions : c’est le cas par exemple du Château Pey la Tour, près de Bordeaux, qui a accueilli 126 entreprises en 2009 (Atout France, 2010).
44 Détenu depuis 1996 par la compagnie d’assurances et de banque Groupama.
45 Lignon-Darmaillac S., L’œnotourisme en France…, op. cit. Information confirmée par l’office de tourisme de la juridiction de Saint-Émilion, juin 2011.
46 Randelli F. et Schirmer R., « Les vignobles du Chianti et de Bordeaux : deux destinations touristiques que tout différencie », communication au colloque international des XXIIe Entretiens du Centre Jacques Cartier, Patrimoines alimentaires et destinations touristiques : passion ou raison ?, à Lyon, 30 novembre et 1er décembre 2009. Actes à paraître.
47 Entretien en août 2011 avec le responsable du pôle œnotourisme de la Winery : 45 000 visiteurs en 2008, 50 000 en 2009 et 2010.
48 Données fournies par Sébastien Bourguignon, responsable du pôle œnotourisme de la Winery, en août 2011.
49 La carte de la route des vins de Bourgogne (édition 2008) précise l’existence d’un deuxième type de panneau sur fond marron indiquant l’itinéraire à suivre (« route des grands crus », « route des grands vins », « route touristique du vignoble de l’Yonne », etc.).
50 Une « véloroute » désigne selon la brochure Le tour de Bourgogne à vélo (2007) « un itinéraire cyclabe de longue distance, aménagé de façon agréable et sûre pour les cyclistes ».
51 Une voie verte désigne « une piste multi-usages en site propre (séparée de la circulation automobile) ouverte à toutes les circulations non motorisées » d’après la brochure Le tour de bourgogne en vélo (2007).
52 http://www.le-tour-de-bourgogne-a-velo.com/ (consulté en août 2010).
53 En 2010, les Hospices de Beaune (Hôtel-Dieu) ont accueilli 407 000 visiteurs, tandis que le musée du vin a reçu près de 24 000. Entretien avec Carine Nectoux, Office de Tourisme de Beaune et du pays beaunois, juin 2011. Il faut également signaler un site de tourisme gastronomique, la moutarderie Fallot, qui a reçu près de 6000 visiteurs en 2010.
54 Bouchut J.-J., « L’offre en matière d’agritourisme », Agritourisme et développement local, Clermont-Ferrand, ENITA-IREST, coll. « Actes », no 3, 1995, p. 51-53.
55 Rapport de la Fédération française des trufficulteurs (FFT) sur « l’impact socio-économique de la trufficulture sur le développement local » en 2005. Non publié. Remis par Michel Courvoisier, directeur de la FFT en mai 2006.
56 « L’agritourisme truffier dans le Vaucluse : la découverte d’un produit gastronomique de prestige chez le producteur », communication de Vincent Marcilhac aux Rendez-vous Champlain sur le tourisme des 21, 22 et 23 mai 2012, colloque international organisé à Bruxelles par le laboratoire interdisciplinaire tourisme territoires sociétés de l’université libre de Bruxelles, l’Esthua (université d’Angers), le Cifort (université du Québec à Montréal) et le Groupe Sup de Co (La Rochelle).
57 Le tarif d’un week-end de découverte chez un trufficulteur dans le Lot ou dans le Vaucluse pour un couple peut atteindre près de mille euros en 2009 (information collectée au Salon de l’Agriculture auprès des comités régionaux et départementaux du tourisme).
58 http://www.exporter.gouv.fr/ (consulté en juillet 2011).
59 Champagne Moët & Chandon, Veuve Clicquot Ponsardin, Vranken Pommery Monopole, Champagne Laurent Perrier, Champagne Louis Roederer en Champagne-Ardennes ; Hennessy, Martell, Courvoisier, Camus et Louis Royer en Poitou-Charentes.
60 Géneau de Lamarlière I. et Staszak J.-F., Principes de géographie économique, op. cit., p. 203.
61 Marcilhac V., « Les vins de Champagne dans l’œuvre et la pensée de Roger Dion », dans J.-R. Pitte (dir.), Le bon vin entre terroir, savoir-faire et savoir-boire, Paris, Éditions du CNRS, 2010, p. 259-266.
62 Dion R., Histoire de la vigne et du vin en France…, op. cit.
63 Nous l’avons vu notamment à l’occasion de l’événement très médiatisé du mariage princier d’Albert II de Monaco en juillet 2011, avec le dîner élaboré par Alain Ducasse et son équipe.
64 Pecqueur B., Le développement local, Paris, Éditions Syros, 2000.
65 « Capital social, entrepreneuriat et développement local à Saint-Bonnet-le-Froid », communication de Vincent Marcilhac au colloque Les élites agricoles et rurales : héritages et perspectives des 10 et 11 juillet 2012 à Angers, organisé par l’unité de recherche Laress (Laboratoire de recherche en sciences sociales) de l’École supérieure d’agriculture (Esa).
66 Au cœur du Haut-Vivarais, Lalouvesc est un important centre de pèlerinage. Sainte Thérèse Couderc en 1826 y fonda la congrégation des sœurs du Cénacle. L’œuvre, née du pèlerinage est aujourd’hui mondiale. Son corps repose dans la chapelle du Cénacle. La chapelle Saint Jean-François Régis est dédiée à Régis (son nom de famille va devenir grâce à lui un prénom) qui, alors que la France sortait des guerres de Religion, prêcha sans relâche dans les montagnes du Vivarais, des Cévennes et du Velay. Il mourut de froid et d’épuisement en 1640 à Lalouvesc. Saint Jean-François Régis est patron des jésuites de la province de France.
67 Antoine Sylvain Bailly et Jean Paelinck (« Restaurants, espace, temps », Les cahiers du tourisme, série L, no 137, 1990, p. 1-321) distinguent le « restaurant familial » du « restaurant luxueux ». La première catégorie est caractérisée par une localisation aléatoire ainsi qu’une clientèle locale, et la seconde par une localisation en fonction de la proximité/ accessibilité d’une clientèle potentielle fortunée et de la part importante de la clientèle lointaine. Le prix, mais aussi le degré de théâtralité (lié à l’ambiance, à la qualité du service, à la tenue des « hôtes », à la présentation des plats et à la sélection des produits), sont plus élevés dans le « restaurant luxueux ».
68 Bailly A. et Paelinck J., « Restaurants, espace, temps », art. cit., p. 4.
69 Terme utilisé à plusieurs reprises par Régis Marcon lors de notre entretien. Dans son lexique intitulé L’Esprit en quelques mots, il écrit à propos de la « nature » : « sans sa proximité, impossible de survivre […] alors “je la mets dans votre assiette” ».
70 En réponse à la question « Qu’est-ce qui a déterminé le choix de la localisation du restaurant ? », Régis Marcon a écrit « je suis originaire de ce village ». Lors de notre entretien, il a insisté à plusieurs reprises sur son attachement local.
71 Phrase prononcée par Régis Marcon durant notre entretien. Il insiste beaucoup sur « l’esprit d’équipe ». Dans son lexique, il définit Saint-Bonnet-le-Froid comme le « berceau familial mais aussi un village animé par une cohésion qui fait avancer les choses ».
72 « Le modèle Guérard à Eugénie-les-Bains », communication de Vincent Marcilhac au colloque pluridisciplinaire Gastronomie & développement local des 24 et 25 octobre 2012 à Angers, organisé par le Granem (Groupement angevin en économie et management) et le laboratoire Eso (Espaces et sociétés).
73 Knafou R. (dir.), Tourismes 1. Lieux communs, Paris, Belin, 2002. L’équipe de recherche Mit (Mobilités, Itinéraires, Territoires) a mis en évidence quatre motivations principales du touriste : le repos, la découverte, le shopping et le jeu. Les équipements mis en place par Régis Marcon répondent à trois attentes (le repos, la découverte, le shopping).
74 Lévy J. et Lussault M. (dir.), Dictionnaire de la géographie…, op. cit.
75 « Les restaurants sont à la fois des lieux de gastronomie et des lieux qui racontent un pays » (Régis Marcon lors du café géographique du 23 septembre 2009 à Lyon sur la question « Terroir et territoire : vers un patrimoine gastronomique hors-sol ? », animé par le chef étoilé et le géographe Rémy Knafou) [http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=1662].
76 Notamment les champignons, les herbes et les fleurs. Les plantes sauvages, les herbes et les fleurs, sont à la fois utilisées dans les salades, farces, sauces, pâtisseries, infusions, etc., mais aussi pour la décoration des tables.
77 La cistre, appelée aussi « fenouil des Alpes », a un goût d’anis et de céleri.
78 « Margaridou » était une paysanne auvergnate, qui avait élaboré des recettes au début du xxe siècle, consignées dans son journal. Celui-ci fut redécouvert et rendu célèbre dans les années 1930 grâce à la romancière Suzanne Robaglia, qui le publia sous le titre Margaridou. Journal et recettes d’une cuisinière au pays d’Auvergne.
79 http://www.otmontfaucon.fr/office-de-tourisme/ (consulté en mai 2011).
80 Entretien avec Cécilia Guillien, coordinatrice à l’ALT, février 2011.
81 La « Semaine Gourmande » du Haut-Lignon (23 au 31 octobre), les « Vignandises » d’Aurec-sur-Loire (30 et 31 octobre), la « Foire aux Champignons » de Saint-Bonnet-le-Froid (6 et 7 novembre), les « Gastrôleries » de Monistrol-sur-Loire (20 et 21 octobre), le « Marché de Noël et du Terroir » de Saint-Sigolène (4 et 5 décembre), le « Marché au Foie Gras » d’Yssingeaux (19 décembre).
82 Dossier de presse de l’ALT, automne 2010.
83 Entretien avec le responsable de l’Office de Tourisme de Montfaucon, février 2011.
84 Entretien avec Geneviève Barrière, guide des visites de Saint-Bonnet-le-Froid organisées par l’Office de Tourisme de Montfaucon, février 2011.
85 Ils ont repris les activités (bar-restaurant/boucherie) de leurs parents. Depuis 1986, René a repris l’activité de boucherie, qui emploie aujourd’hui trois salariés en plus de lui et Solange Chatelard. Il sélectionne les bêtes chez des éleveurs locaux (Montregard, Saint-Julien-Molhesabate, Saint-André-en-Vivarais, Chaudeyrolles, etc.), avant de les envoyer à l’abattoir à Yssingeaux le lundi et d’avoir la viande en boucherie le mardi.
86 Houée P., Le développement local au défi de la mondialisation, Paris, L’Harmattan, 2001.
87 Violier P., Tourisme et développement local, Paris, Belin, 2008.
88 Entretien avec Cécilia Guillien, coordinatrice à l’ALT, février 2011.
89 Diaporama du lancement officiel de la stratégie « Bon et bien manger », ALT, 21 février 2011.
90 Entretien avec Cécilia Guillien, coordinatrice à l’ALT, février 2011.
91 Au cours de la journée, les différents commerces de bouche organisent des dégustations (vins, fromages, pains, etc.) et les restaurants proposent des menus thématiques autour de la viande de bœuf.
92 Assouly O., Les nourritures nostalgiques…, op. cit.
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