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    Plan détaillé Texte intégral Les premières stratégies d’alliances entre filièresUne nouvelle logique de groupeLa constitution du groupe BSN-Danone Notes de bas de page

    Le biscuit et son marché

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Chapitre XV

    L’expansion des logiques de groupe

    p. 305-314

    Texte intégral Les premières stratégies d’alliances entre filièresUne nouvelle logique de groupeLa constitution du groupe BSN-Danone Notes de bas de page

    Texte intégral

    1Il faut attendre les années 1960 pour assister à la mise en œuvre d’une concentration sectorielle dans la branche des pâtes alimentaires ou du biscuit. Les enjeux concernant la taille des entreprises sur le nouveau Marché commun ou face à l’intrusion des capitaux américains ne sont pas les seules sources d’inspiration de l’État ou des entrepreneurs. Avec la circulaire Fontanet, le gouvernement manifeste clairement l’abandon de la relative protection dont jouissait jusqu’alors le petit commerce. Désormais, les industriels se trouveront directement confrontés à la grande distribution. Le libre-service, dont la diffusion commence véritablement vers 1957 voit son efficience démultipliée par l’invention de l’hypermarché, six ans plus tard. Les supermarchés ne sont encore que 108 en 1961 (contre 37 l’année suivante), mais les 7 % de succursales multiples occupent déjà 20,6 % du chiffre d’affaires du secteur de l’épicerie. Sans être clairement énoncée, une course à la taille relative est engagée entre industriels et distributeurs pour la maîtrise du marché et le contrôle de la tarification des denrées. Comme en témoignent les propos désabusés de Jean Barjolle, les fabricants basculent les uns après les autres dans une spirale dévastatrice des ristournes arrachées aux tarifs affichés. Cette nouvelle bataille commence donc, au début des années 1960 avec un avantage aux distributeurs qui, de plus en plus puissants, parviennent à détourner en leur faveur les gains de productivité opérés par leurs fournisseurs. Seul un renversement des positions relatives du commerce et de la distribution permettrait d’améliorer la faible rentabilité constatée dans les entreprises industrielles. Dès lors, l’idée d’une entente fondée sur un nombre restreint d’entreprises de grandes dimensions disposant d’un très large contrôle du marché s’impose dans la seconde moitié de la décennie. « En clair, il convenait de concevoir à nouveau des ententes de commercialisation actives non seulement à l’exportation mais aussi sur le marché intérieur pour obtenir des sociétés de dimension véritablement nationale et capables de tenir le marché. Les autorités de tutelle étaient clairement placées devant un choix : ou bien elles continuaient à privilégier la contrainte des prix au risque d’étouffer des branches entières et les mettre à la merci de la concurrence étrangère ou bien elles acceptaient d’accompagner un mouvement de concentration qui avait nécessairement pour objectif de fournir aux entreprises concernées un véritable pouvoir1. »

    Les premières stratégies d’alliances entre filières

    2En 1959, la prise de contrôle de Panzani par le groupe des Biscuits Brun La Lune inaugure une nouvelle phase de concentration entre entreprises de grandes dimensions. Constituée à la faveur de difficultés financières, la formation, par rachat, du groupe Panzani La Lune devait servir la stratégie qu’André Forgeot, son nouveau propriétaire, avait élaborée dans des termes très proches de ceux mis en avant par le IVe Plan (1962-1965) : consolider par la fusion les capacités commerciales d’entités initialement autonomes. Licencié en droit, André Forgeot avait pris la direction de l’usine de Bozon-Verduraz (Pâtes La Lune) à Saint-Étienne-de-Cuines (Savoie) sous l’Occupation, alors qu’elle appartenait encore à Claire Darré-Touche, également propriétaire des biscuits Brun. Accusée de collaboration à la Libération, celle-ci avait perdu le contrôle de ses entreprises, qui revinrent à leur directeur après un épisode de contrôle ouvrier. André Forgeot dispose alors d’un groupe relativement important, assis sur deux marques d’envergure nationale – biscuits Brun et pâtes La Lune : « En 1954, il décide d’adosser les deux sociétés en les fusionnant pour compenser la faible croissance des pâtes par le dynamisme de l’activité biscuit, qui devint un produit de consommation courante durant les années 1950. Les ambitions européennes programmées pour cette activité devaient être financées par l’activité pâte, initialement plus importante. Il s’agissait également d’engranger des économies sur les coûts commerciaux et publicitaires en mettant en œuvre une politique commerciale unique. Cette stratégie se traduisit dans la seconde moitié des années 1950 par une campagne publicitaire commune, “pour chacun, pour chacune, Biscuits Brun, Pâtes La Lune », destinée à rajeunir l’image vieillissante de la marque de pâtes […]. D’abord considérée comme révolutionnaire et particulièrement productive, cette approche devint assez rapidement l’exemple même de confusion à éviter, en particulier par son incidence sur la gestion commerciale2 ». Si Brun bénéficie de la progression générale de la consommation de biscuits, les pâtes La Lune commencent à perdre en tonnages et en parts de marché à la fin de la décennie. Avec un marché en pleine mutation, il s’avère particulièrement difficile de poursuivre une politique globale sur deux marchés aussi différents. La politique d’adossement se révèle donc un échec.

    3Alors que les sociétés de grandes tailles réfléchissent aux moyens de disposer d’une offre globale et d’une introduction dans l’ensemble des circuits de distribution, les difficultés financières de Panzani offrent une opportunité de rachat intéressante. André Forgeot remporte l’affaire en 1959, ouvrant la voie des grandes concentrations dans la branche des pâtes alimentaires3. En 1960, Milliat Frères s’adosse aux pâtes Pol de Marseille. En 1961, Ferrand & Renaud et Hartaut Ghiglione Scaramelli s’associent pour former Regia Scaramelli. Comme nous l’avons vu au sujet de la biscuiterie, les branches alimentaires s’engagent toutes dans un processus assez similaire. L’industrie sucrière achève une concentration fondée sur un contrôle de sa matière première. Dans l’industrie laitière, de nombreux rapprochements ont lieu dans la décennie. Très proches des logiques exposées dans le cadre du Ve Plan (1966-1970), ces démarches doivent déboucher sur la création de champions nationaux d’une taille suffisante pour investir rationnellement le marché intérieur, soutenir des investissements publicitaires et résister aux tentatives de prise de contrôle émanant de grandes firmes étrangères. Encore loin d’être achevée en 1970, cette dynamique de concentration renforce l’intérêt qui peut être porté à des activités dont le mode de fonctionnement est en passe de changer considérablement, tandis que la taille relative des entreprises importantes en fait des proies tout à fait abordables pour des groupes ou sociétés en phase de diversification4.

    4Engagées dans l’espoir de procurer aux industriels les résultats qui leur faisaient défaut depuis la crise, les fusions s’avèrent toutefois décevantes. La taille acquise et les politiques mises en œuvre échouent à assurer la rentabilisation de nouvelles entités comme à consolider véritablement les positions de marché. Une partie de l’explication réside dans l’évolution parallèle des règles de fonctionnement du marché, avec la publication de la circulaire Fontanet, en 1960. Alors que la stratégie de concentration visait à consolider le pouvoir industriel sur le circuit marchand en renforçant la prédominance d’un nombre réduit de marques, la politique gouvernementale s’applique à renforcer les tensions concurrentielles verticales – entre commerçants et industriels. En 1964, alors que la controverse sur l’accélération des implantations américaines s’amplifie dans le secteur agro-alimentaire français, Panzani La Lune fusionne avec Regia Scaramelli pour former Regia Panzani. Avec un tiers du marché français, le nouveau champion national n’est pas loin de faire jeu égal avec le leader italien Barilla. Mais cette fusion ne dégage pas pour autant des résultats immédiatement conséquents. En 1968, les deux grands Rivoire & Carret et Regia Panzani, envisagent de se marier. Finalement, Regia Panzani rachète Milliat en 1970, tandis que Rivoire & Carret demeure autonome. Le groupe Panzani Milliat Frères fait alors une proposition de rachat que Rivoire & Carret décline au profit de la contre-proposition du semoulier Skalli. Un duopole se met en place5.

    Une nouvelle logique de groupe

    5Dans la branche des pâtes alimentaires, la formation d’une offre oligopolistique ne devient une réalité qu’à la fin des années 1960, à l’issue d’un processus de rapprochements d’entreprises qui constitue à maints égards un modèle pour les autres branches de l’industrie alimentaire. Après avoir connu une certaine dispersion géographique, la production se concentre sur les principaux pôles de consommation et s’oriente vers la mise en place de sites de production de très grande dimension, donc en nombre très limité. Les politiques offensives de marques exclusives vont de nouveau pouvoir être mises en place, mais elles n’excluent pas la signature d’ententes entre producteurs. En 1969, des discussions s’engagent au niveau syndical entre fabricants de pâtes alimentaires : elles débouchent sur un accord entre industriels représentant près de 90 % de l’offre. « Dès lors était avancé le constat selon lequel la lutte concurrentielle est restée aussi âpre qu’inutile, détruisant les marges de nos affaires et, par voie de conséquence celles de la Semoulerie, pour le seul profit d’une Distribution auprès de laquelle notre produit s’est dévalorisé et le prestige de nos entreprises sérieusement amenuisé6. » Le projet consiste alors à reconstruire la valorisation du marché en évitant toute relation trop concurrentielle, donc en s’appuyant sur une gestion collective. Il prévoit la mise en place de prix planchers pour chacun des types de contrats et chacune des qualités en usage dans la profession. Pourtant, les accords professionnels se fondant sur un pacte de non-agression et des tarifs collectifs ne garantissent pas les débouchés.

    6Les entreprises restées focalisées, comme Olibet ou Milliat sur les réseaux de distribution traditionnels assistent à l’effritement de leurs positions commerciales, directement menacées par l’accélération des transformations de la distribution. Au cours des années 1960, les trois frères Milliat, sans héritiers, avaient introduit leur société en bourse tout en s’engageant dans une importante politique de diversification, destinée à soutenir la valorisation de l’ensemble. Milliat Frères avait commencé à se rapprocher de petites sociétés comme Capitan en 1965 et EDSO en 1966, qui lui permirent d’obtenir une taille très proche de celle de Rivoire & Carré. Bien que stratégiquement déclinante, sa bonne introduction dans le commerce de détail, garante d’une politique de marque autonome, avait intéressé plusieurs entreprises américaines comme Grace ou Nabisco. ITT (International Telephone and Telegraph) aurait acheté Milliat si une intervention ministérielle très défavorable ne l’en avait dissuadé. En 1969, l’affaire passe aux mains de Gervais-Danone7. Constitué deux ans plus tôt, le groupe alimentaire français réalise alors la grande fusion espérée par les industriels des années 1960. Au début des années 1970, la concentration autour de Gervais Danone-Milliat permet l’imposition et la rentabilisation de politique de marques dont l’efficacité, pour les actionnaires, avait été sérieusement limitée depuis les années 1930. Face à la baisse, en francs constants, des prix de vente au consommateur, l’essentiel des résultats provenait désormais du rapport de force entretenu avec la distribution. Trop faibles, les producteurs voyaient grignoter leurs rémunérations. Trop désireux d’indépendance, ils devaient financer des réseaux commerciaux relativement onéreux. Ce n’est donc qu’à l’issue d’une course à la domination par la taille réciproque, allant de pair avec une concentration sectorielle, que les industriels peuvent envisager de revenir à une gestion classique de valorisation par la marque8.

    7Face à des expériences de diversification comme celles effectuées par Nestlé ou Procter & Gamble9, une idée se répand selon laquelle la compétence dans l’élaboration et la commercialisation de produits alimentaires est transposable entre des activités distinctes au plan industriel. La maîtrise des canaux de commercialisation permettrait ainsi d’écouler une variété de marques relevant de métiers différents. La généralisation des principes de l’organisation multi-divisionnelle et les méthodes de contrôle budgétaire offrent les moyens de gérer des articles très diversifiés. Enfin, la diffusion, sous différentes formes du marketing concept élaboré à partir des années 1940 dans les universités américaines peut s’appliquer à des catégories de produits variés. Le marketing concept américain veut orienter toute l’activité de l’entreprise vers les attentes du consommateur, décryptées par les spécialistes de la nouvelle discipline. La raison d’être de l’entreprise réside dans la réponse à des besoins illimités et non plus dans l’exploitation de capacités industrielles finies. Le marketing transforme Nestlé ou Procter & Gamble, jusqu’alors cantonnées à des approches essentiellement technologiques, en entreprises consumer oriented, c’est-à-dire orientées vers le consommateur. Leur avantage comparatif réside dans le contact étroit et répété avec les consommateurs, vecteur privilégié de l’apprentissage et de l’exploitation des règles de la consommation de masse. Il devient dès lors possible d’envisager le métier des groupes alimentaires du seul point de vue de leurs capacités de commercialisation. Aux États-Unis, General Mills, qui avait exploité la quasi-totalité des produits dérivés des céréales, aborde ainsi en 1960 le marché, techniquement proche mais radicalement différent du point de vue des approvisionnements, des produits transformés à base de pommes de terre. GM se lance ensuite dans des secteurs aussi disparates que les jeux de société, la restauration ou encore l’habillement, dont le point commun est d’être en contact avec le consommateur final. Venus d’univers totalement différents, General Electric et ITT cherchent également à investir le monde de l’alimentation.

    La constitution du groupe BSN-Danone

    8La société Boussois-Souchon-Neuvesel naît en 1966 de la fusion des Glaces de Boussois, une entreprise de verre plat (vitrage pour le bâtiment et l’automobile) créée dans le Nord en 1908 et de la Verrerie Souchon-Neuvesel, une entreprise de verre creux (bouteilles et pots industriels) remontant à 1864 à Villeurbanne, en banlieue lyonnaise. Antoine Riboud, l’initiateur de cette opération, devient le PDG du nouvel ensemble. Dans le même mouvement, il lance en 1968 la première offre publique d’achat d’envergure de l’histoire financière française, contre Saint-Gobain, un concurrent quatre fois plus lourd que BSN. Le public sensibilisé par une campagne de presse sans précédent se passionne pour cette bataille boursière. L’OPA (en fait une offre publique d’échange d’actions) présente l’avantage pour BSN de faire connaître l’entreprise au grand public. Une jeune firme de taille moyenne issue de familles de la région lyonnaise, jusqu’alors sans renommée nationale, osant s’attaquer au fleuron de l’aristocratie industrielle française ! Malgré son échec, Antoine Riboud ne renonce pas à ses ambitions industrielles puisqu’il s’engage dans une stratégie de conversion du contenant vers le contenu, de l’industrie verrière vers l’agro-alimentaire. Déjà actionnaire d’Evian, BSN prend définitivement le contrôle de la firme savoyarde en 1970 avant de se tourner vers les brasseries Kronenbourg et la Société européenne de brasserie (Kanterbräu) la même année. En 1973, BSN rachète Gervais-Danone10, le groupe constitué en 1967 avec la fusion du spécialiste du Petit Suisse (né en Normandie en 1852) et du leader du yoghourt (fondé à Barcelone en 1919). Après s’être emparé de Milliat Frères en 1969, le groupe Gervais-Danone prend le contrôle de Regia-Panzani en 1971. L’ensemble fusionne en 1973 avec BSN pour former BSN-Gervais Danone.

    9Comme nous l’avons déjà vu dans la filière du biscuit, Claude-Noël Martin (l’un des dirigeants de Céraliment) définit une stratégie assez proche de rassemblement de sociétés issues de la propriété et de la gestion familiales pour tenter de constituer un groupe apte à résister à l’ascension conjointe des nouveaux distributeurs et des investisseurs étrangers. Peu à peu, en France et en Belgique, il convainc des dirigeants familiaux de s’unir. En 1969, L’Alsacienne (autrement dit le département biscuiterie de Céraliment) est apportée par L’Aliment essentiel à la société belge General Biscuit Company (Gebeco). L’idée de Claude-Noël Martin consiste à entrer avec L’Alsacienne dans la société belge (18 % du capital) afin d’en prendre un jour le contrôle. En 1975, il acquiert les biscuits LU-Brun & Associés contre le Britannique United Biscuit pour former le groupe Céraliment-LU-Brun (CLB). C’est alors que les relations entre Céraliment et Gebeco se dégradent, ce dernier reprochant l’achat en solitaire de LBA. Entre avril 1976 et avril 1977, Michel Thèves est subitement remplacé à la tête de L’Alsacienne11. Au cours d’une année tumultueuse, Claude-Noël Martin met en œuvre son plan de rachat au moyen de la holding L’Aliment essentiel, pour s’assurer la majorité de Gebeco, notamment grâce au concours très actif de ses partenaires financiers, le Crédit agricole et la Worms. À la fin de l’exercice 1977, la holding apporte à sa filiale CLB sa participation dans Gebeco (18 %), lui permettant d’en prendre le contrôle. Le nouveau groupe est baptisé Générale Biscuit, en 1978. Fort d’une trentaine d’usines dont vingt en France, de presque 12 000 salariés, avec un chiffre d’affaires de 7 milliards de francs, il s’agit du troisième groupe biscuitier-biscottier mondial12, au premier rang européen devant l’Allemand Bahlsen. Générale Biscuit procède en 1979 à une simplification de ses structures juridiques et financières qui lui permet d’entrer en bourse. Elle met alors en œuvre une politique de mondialisation de son activité par la voie d’accords de coopération ou par rachat. Entre 1980-1983, la Générale Biscuit s’implante aux États-Unis en achetant successivement Burry, Salermo et Mother’s.

    10Dans ce contexte d’internationalisation des affaires, l’analyse du portefeuille de marques de la Générale Biscuit conduit au choix de LU comme seule marque internationale – L’Alsacienne et De Beukelaer sont cantonnées à leurs marchés nationaux. La marque LU a l’avantage sur les autres dénominations de bénéficier d’un nom simple à prononcer et d’un logo facilement identifiable. Selon Roland Udovitch, « Claude-Noël Martin, peu attaché par des liens affectifs à l’histoire de L’Alsacienne, préférait LU13. » Une redistribution des marques-produits s’opère alors au sein du nouveau groupe. Les produits phare de LU sont le Petit Beurre, la Paille d’Or et le Biscuit Champagne. L’Alsacienne lui donne le Granola qui lui vient des Belges et le Schoks, développé avec succès à Cestas, tandis que De Beukelaer cède le Prince Fourré. LU signe les principales nouveautés, comme Mikado (jusqu’à 40 millions de paquets par an) ou Petit Écolier, lancé en 1983. L’Alsacienne accueille Palmito naguère conçu par Brun et Bastogne, un biscuit de type spéculoos au sucre candi. Désormais complémentaire de LU, la gamme propre de L’Alsacienne s’étoffe de nouveaux biscuits apéritifs – Fiesta, Polisson, Fringale ou sucrés Sablé des Flandres et Palmito. Malgré le rajeunissement de son logo ou le renouveau de sa gamme (grâce auquel elle prend la tête du marché des gaufrettes devant Gringoire et Verkade en 1984) la production de L’Alsacienne s’effrite cependant. À partir des années 1980, elle passe de 39 000 tonnes en 1982 (9 % du marché en valeur) à moins de 35 000 tonnes en 1984, soit deux fois moins que LU.

    11À cette date, la Générale Biscuit occupe en France une position de leader sur le marché du biscuit et des croustillants (biscottes, pains grillés, toasts, etc.) avec respectivement 35 et 43 % des parts de marché. Les résultats en Europe sont un peu moins brillants : malgré son troisième rang mondial, elle couvre moins de 15 % du marché14. En 1985, Générale Biscuit fait à son tour l’objet de convoitises d’un grand groupe biscuitiers américain. C’est ce qui décide BSN à en prendre le contrôle, en 1986. D’importants investissements sont engagés à Calais et à Cestas en vue d’accueillir de nouvelles lignes de production. Chez LU, la nouvelle usine de La Haie-Fouassière est ouverte dans l’arrière-pays nantais, en 1987. La spécialisation de Calais dans la fabrication de biscuits secs lui vaut d’accueillir en 1988 le Thé Brun, au moment où l’ancienne usine Brun de Grenoble ferme ses portes. Le PDG de BSN Antoine Riboud évoquerait à cette occasion un projet de « triangle idéal15 » devant accueillir des usines de 1 500 salariés au Mans, à Reims et à Nevers qui n’est pas sans rappeler le trio des usines Olibet (Paris, Lyon, Bordeaux) cent ans plus tôt. Afin de répondre aux attentes des consommateurs en termes de qualité et d’originalité, la gamme de L’Alsacienne est élargie en 1989 par des produits plus élaborés comme Kango, un biscuit fourré à la fraise, au cacao ou à l’abricot, dont le lancement est soutenu par une campagne de publicité à la télévision. En 1991, un nouveau visage (le dixième) est donné au personnage de Sophie, le symbole de la marque depuis 1907. Mais L’Alsacienne continue de perdre des parts de marché face à ses partenaires au sein de la branche Biscuits (LU, Heudebert ou Belin, racheté par BSN à Nabisco en 198916). La vieille marque parisienne n’occupe en 1991 que 7 % du marché biscuitier français. C’est pourquoi BSN prend la décision en 1993 de fusionner L’Alsacienne avec Belin, le numéro un des biscuits salés et numéro deux des biscuits sucrés. Leurs produits seront vendus par la même force de vente sous une signature unique, Belin, de manière à concentrer les efforts publicitaires sur la même marque. La nouvelle société ainsi créée occupe la deuxième place du marché sucré, derrière LU, mais elle conserve sa place de leader des produits salés pour apéritifs – crackers et extrudés.

    12En 1994, BSN change de nom au profit de Danone17. Comme en ce qui concerne le choix de la dénomination LU quelques années plus tôt, cette décision traduit la prise de conscience d’un changement de paradigme. Si l’industrie et les biens matériels restent des fondamentaux de la création de richesse (il n’y a pas plus d’âge « post-industriel » que d’âge « post-agricole »), l’immatériel passe pour être désormais le moteur de la consommation. À la rareté matérielle, le déterminant traditionnel de la nécessité d’un bien, se substitue la préférence subjective. La hiérarchie de la notion de valeur (ajoutée) s’en trouve ébranlée, car de nombreux objets physiques ne servent plus que de support aux artefacts immatériels – l’information, les symboles, les idées18… L’économie entre dans une logique où la communication constitue une arme concurrentielle stratégique. L’un des objectifs du changement de dénomination réside dans l’utilisation du nouveau nom de groupe dans des secteurs autres que les produits laitiers. La direction cherche à faire bénéficier ses nouveaux produits (biscuits ou eau embouteillée) du pouvoir d’image et de la notoriété du mot « Danone ». De fait, certains analystes des années 1990 considèrent moins la société comme un fabricant de verre ou de produits alimentaires que comme un créateur et un développeur de marques : Gervais, Carambar, Liebig, La Pie qui Chante, Panzani, Belin, LU, Heudebert, Maille, Confipote, Amora, Kanterbrau, Badoit, Evian, Volvic, etc. Le changement de nom témoigne aussi d’une autre mutation : le changement d’échelle de l’entreprise. Au fil des années, BSN, dont le chiffre d’affaires est multiplié par 85 en 28 ans, s’est transformée en une firme multinationale. Or, pour la trentaine de pays dans lesquels le groupe est présent, le nom de BSN ne représente que des initiales sans grande signification. Danone au contraire affirme être la marque commerciale la plus vendue en Europe après Coca-Cola. Enfin, le changement de nom opéré par la direction a pour objectif de faciliter la levée de capitaux sur les bourses mondiales. La première marque de produits laitiers frais dans le monde s’adapte au rôle accru joué par l’image et la notoriété dans la stratégie financière. La marque/entreprise apprend ainsi à se vendre aux actionnaires « mondiaux » : le 20 novembre 1997 Danone est introduite à la bourse de New York par Frank Riboud – un an après son accession au poste de PDG auparavant détenu par son père.

    Notes de bas de page

    1  Dessaux Pierre-Antoine, Des vermicelliers au groupe Danone : consommer, produire et vendre des pâtes alimentaires en France, xviie-xxe siècle, thèse d’histoire sous la direction de Patrick Fridenson, EHESS, 2003, p. 455.

    2  Ibid., p. 460.

    3  Ibid., p. 451.

    4  Ibid., p. 520.

    5  Ibid., p. 508.

    6  Ibid., p. 511. Projet de texte résumant les entretiens professionnels tenus depuis le 22 avril 1969.

    7  Ibid., p. 512.

    8  Ibid., p. 514.

    9  D’après Dessaux, ibid., p. 520.

    10  Torres Félix & Labasse Pierre, Mémoire de Danone, Paris, Le Cherche-midi, 2003.

    11  Malaval Catherine, L’Alsacienne, son histoire, Paris, Clio-Média, 1993.

    12  Dans l’ordre chronologique : 1965 Reinette Exona ; 1968 Biscottes de France ; 1970 Lespeau et Labouchède ; 1972 Heudebert ; 1973 Générale de Panification, Prior, Pelletier, Darry ; 1974 LU, REM, Trois Chatons, Brun, Magdeleine, St Sauveur ; 1976 Honoré Janin.

    13  Malaval, op. cit., p. 73.

    14  Malaval, op. cit.

    15  Bon Clément, Les biscuits Brun, Jalons sur un parcours glorieux, mais… tourmenté, Saint-Martin-d’Hères, SMH histoire-Mémoire vive, 1997, p. 65.

    16  Sabrié Marie-Lise, Belin 90 ans de passion, Paris, Belin/Clio-Média, 1992.

    17  Londeix Olivier, « Histoire de la verrerie BSN de Vayres », Actes du dixième colloque du CLEM tenu à Vayres, Génissac et Libourne les 21, 22 et 23 octobre 2005, Saint-Quentin-de-Baron, Éditions de l’Entre-deux-Mers, 2007, p. 281-289.

    18  D’après Goldfinger Charles, L’utile et le futile, l’économie de l’immatériel, Paris, Odile Jacob, 1994.

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    Nicolas Baumert

    2011

    Ivresse et ivrognerie

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    Dans la France moderne

    Matthieu Lecoutre

    2011

    La cuisine à la scène

    La cuisine à la scène

    Boire et manger au théâtre du xxe siècle

    Athéna-Hélène Stourna

    2011

    Le Grand Hôtel

    Le Grand Hôtel

    L’invention du luxe hôtelier (1862-1972)

    Alexandre Tessier

    2012

    Manger et boire aux Expositions universelles

    Manger et boire aux Expositions universelles

    Paris 1889, 1900

    Van Troi Tran

    2012

    Parler vin

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    Entre normes et appropriations

    Rachel Reckinger

    2012

    Le biscuit et son marché

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    Olibet, LU et les autres marques depuis 1850

    Olivier Londeix

    2012

    Le luxe alimentaire

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    Une singularité française

    Vincent Marcilhac

    2012

    Plaisirs alimentaires

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    Socialisation des enfants et des adolescents

    Anne Dupuy

    2013

    La table des Français

    La table des Français

    Une histoire culturelle (xve-début xixe siècle)

    Florent Quellier

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    1  Dessaux Pierre-Antoine, Des vermicelliers au groupe Danone : consommer, produire et vendre des pâtes alimentaires en France, xviie-xxe siècle, thèse d’histoire sous la direction de Patrick Fridenson, EHESS, 2003, p. 455.

    2  Ibid., p. 460.

    3  Ibid., p. 451.

    4  Ibid., p. 520.

    5  Ibid., p. 508.

    6  Ibid., p. 511. Projet de texte résumant les entretiens professionnels tenus depuis le 22 avril 1969.

    7  Ibid., p. 512.

    8  Ibid., p. 514.

    9  D’après Dessaux, ibid., p. 520.

    10  Torres Félix & Labasse Pierre, Mémoire de Danone, Paris, Le Cherche-midi, 2003.

    11  Malaval Catherine, L’Alsacienne, son histoire, Paris, Clio-Média, 1993.

    12  Dans l’ordre chronologique : 1965 Reinette Exona ; 1968 Biscottes de France ; 1970 Lespeau et Labouchède ; 1972 Heudebert ; 1973 Générale de Panification, Prior, Pelletier, Darry ; 1974 LU, REM, Trois Chatons, Brun, Magdeleine, St Sauveur ; 1976 Honoré Janin.

    13  Malaval, op. cit., p. 73.

    14  Malaval, op. cit.

    15  Bon Clément, Les biscuits Brun, Jalons sur un parcours glorieux, mais… tourmenté, Saint-Martin-d’Hères, SMH histoire-Mémoire vive, 1997, p. 65.

    16  Sabrié Marie-Lise, Belin 90 ans de passion, Paris, Belin/Clio-Média, 1992.

    17  Londeix Olivier, « Histoire de la verrerie BSN de Vayres », Actes du dixième colloque du CLEM tenu à Vayres, Génissac et Libourne les 21, 22 et 23 octobre 2005, Saint-Quentin-de-Baron, Éditions de l’Entre-deux-Mers, 2007, p. 281-289.

    18  D’après Goldfinger Charles, L’utile et le futile, l’économie de l’immatériel, Paris, Odile Jacob, 1994.

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    Ce livre est cité par

    • Dessaux, Pierre-Antoine. (2015) L'alimentation à découvert. DOI: 10.4000/books.editionscnrs.10327

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    Londeix, O. (2012). L’expansion des logiques de groupe. In Le biscuit et son marché (1‑). Presses universitaires François-Rabelais. https://doi.org/10.4000/books.pufr.22597
    Londeix, Olivier. « L’expansion des logiques de groupe ». In Le biscuit et son marché. Tours: Presses universitaires François-Rabelais, 2012. https://doi.org/10.4000/books.pufr.22597.
    Londeix, Olivier. « L’expansion des logiques de groupe ». Le biscuit et son marché, Presses universitaires François-Rabelais, 2012, https://doi.org/10.4000/books.pufr.22597.

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    Londeix, O. (2012). Le biscuit et son marché (1‑). Presses universitaires François-Rabelais, Presses universitaires de Rennes. https://doi.org/10.4000/books.pufr.22407
    Londeix, Olivier. Le biscuit et son marché. Tours: Presses universitaires François-Rabelais, Presses universitaires de Rennes, 2012. https://doi.org/10.4000/books.pufr.22407.
    Londeix, Olivier. Le biscuit et son marché. Presses universitaires François-Rabelais, Presses universitaires de Rennes, 2012, https://doi.org/10.4000/books.pufr.22407.
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