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Manger et boire aux Expositions universelles

 | 
Van Troi Tran

Première partie. Structurer l’événement, situer la consommation

Chapitre II

Des manières de faire des mondes capitalistes, ou l’incarnation du marché de la restauration aux Expositions universelles

Texte intégral

  • 1  Gustave de Molinari, « Chronique », Journal des économistes, 4 série, t. 46, no 5 (mai 1889), p. 3 (...)
  • 2  Henri Malo, « Les anciennes colonies », Figaro illustré, 18e année, 2e série, no 125 (1900), p. 18 (...)
  • 3  Guy Debord, La société du spectacle, Paris, Gallimard, 1994 (1967).
  • 4  Giorgio Agamben, Stanze. Parole et fantasme dans la culture occidentale, Paris, Rivages, 1994 (199 (...)
  • 5  Cité dans Marcel Galopin, Les expositions internationales au xxe siècle et le Bureau international (...)

1L’accumulation des marchandises dans le mode de production capitaliste, pour reprendre la phrase d’ouverture du Capital, atteint en quelque sorte son zénith symbolique à l’occasion des grandes Expositions universelles alors que des produits de toutes natures, provenant de tous les coins du globe, s’étalent dans les vitrines des pavillons et les présentoirs des grandes galeries. « Jamais on n’a vu accumulés sur un étroit espace autant et de si merveilleux témoignages de l’accroissement de la puissance du travail de l’homme1 », déclame avec exaltation le très libéral Gustave de Molinari dans le non moins libéral Journal des économistes. Objets de consommation inconsommables si ce n’est du regard, tels « ces fruits qui seraient fort appétissants, s’ils n’étaient en cire2 » exposés au public à la section de la Martinique en 1900, dont la présentation spectaculaire a pour objectif évident de convaincre de la réalité du commerce international en marche et de montrer, choses et chiffres à l’appui, l’avenir économique des projets impériaux. « Capital à un tel degré d’accumulation qu’il devient image3 » dira Guy Debord à propos du règne de la marchandise dans la société du spectacle. La cause semble entendue à propos des Expositions universelles : « lieux de pèlerinage pour le fétiche marchandise » pour Walter Benjamin ; Giorgio Agamben déclare de son côté que « La marchandise la plus précieuse qu’exhibait l’Exposition en 1889, c’était la ville même4 » et Régis Debray rajoute que « L’Exposition […] transfigure la valeur d’échange des objets, suspend un instant leur valeur d’usage, sublime l’univers matériel du besoin dans la féerie du spectacle.5 » L’Exposition serait un pays de cocagne en carton-pâte, le royaume de la marchandise souveraine où se déploient toutes ses subtilités métaphysiques et autres arguties théologiques.

  • 6  Après tout, la réalité des pratiques organisationnelles et l’imaginaire des fictions utopiennes ne (...)

2Un tel portrait demeure cependant relativement limité par son insistance sur la dimension spectaculaire de cette construction. Après être passées au crible de l’analyse critique, les Expositions universelles ressemblent encore un peu trop souvent à des transmetteurs de discours, des entités déjà constituées qui remplissent la fonction de communiquer et diffuser des symboles, des valeurs et des représentations. Pourtant, l’élaboration du grand événement, la mise en place des palais et pavillons, l’attribution des rôles et des espaces, l’ordre et la sécurité du terrain, la bonne tenue du marché, tout cela nécessite, pour chacune des grandes Expositions universelles, un travail immense, de longue haleine, composé de chemins tortueux. Qu’en est-il donc de la construction, non pas des mythologies marchandes, mais des échanges commerciaux bien réels entre les consommateurs affamés ou assoiffés et les concessionnaires de lieux de consommation ? L’utopie libérale et positiviste des Expositions universelles de la fin du xixe siècle est bel est bien soumise aux vicissitudes de l’économie marchande et aux frictions sociales entre les différents acteurs6.

  • 7  Frank Cochoy, « A Sociology of Market-Things : on Tending the Garden of Choices in Mass Retailing  (...)
  • 8  Pour reprendre la thèse d’ensemble de Karl Polanyi, La grande transformation : aux origines politi (...)
  • 9  Voir sur le sujet Noel Castree, « Economy and Culture are Dead ! Long Live Economy and Culture », (...)
  • 10  Elsbeth Heaman, Exhibition in Canadian Society during the Nineteenth Century, Toronto, University (...)

3Comme le défend Frank Cochoy dans son travail sur les supermarchés contemporains, le « laissez-faire doit être “fait”7 » : les conditions idéales pour l’échange commercial et l’exercice du choix rationnel chez le consommateur dans l’économie capitaliste doivent être fabriquées et maintenues par le truchement d’une constellation de pratiques en situation qui permettent la juste disposition des produits dans les étagères, le meilleur mode d’affichage des prix, le nettoyage des allées. L’existence du marché-système d’échange dépend ainsi de la mise en place du marché-lieu8, de telle sorte que l’économie nous apparaît davantage comme une performance constamment réactualisée, ouverte aux contestations et aux réorganisations, que comme une force transcendante composée de mécanismes déjà constitués9. Cet ajustement heuristique s’applique à merveille pour les exhibitions industrielles qui, selon Elsbeth Heaman, célèbrent l’idéal de l’homo economicus tout en le construisant par l’agencement raisonné des présentoirs qui permettent aux visiteurs de procéder à une comparaison objective des différents produits exposés. Pour reprendre ses mots : « If the market had offered sufficient reward for effort, there would have been no need to resort to the artifice of exhibitions10. » En fait, autant l’exposition coloniale serait une performance de l’orientalisme, autant les lieux de consommation à l’Exposition universelle sont une performance du capitalisme, une mise en action qui donne corps et vie à un imaginaire.

  • 11  Michel Callon, « Actor-Network Theory – The Market Test » dans John Law et John Hassard (dir.), Ac (...)
  • 12  Franck Cochoy, Une histoire du marketing : discipliner l’économie de marché, Paris, La Découverte, (...)

4Le problème se pose de manière singulière dans le cas des restaurants et autres lieux de consommation alimentaire où s’entrecroisent les désirs et besoins des gosiers du public avec les vicissitudes de l’échange marchand et la nécessité du bon fonctionnement général de l’Exposition universelle. En d’autres termes, les sources éventuelles de tensions, accidents, dysfonctionnements et conflits sont multiples dans l’établissement et la tenue de commerces alimentaires dans une Exposition universelle. Que l’on songe simplement à l’odeur des cuisines, aux déchets organiques, aux bruits de la clientèle ou aux luttes issues de la concurrence entre différents exploitants. Tous ces facteurs, ces actants humains et non-humains qui configurent le monde vivant des consommateurs11, doivent ainsi être gérés, contrôlés, modulés, grâce à un éventail de mesures et d’acteurs qui ont la charge préserver la bonne tenue de l’événement, mais aussi de discipliner le marché, de dompter ses incertitudes et ses effets indésirables12.

  • 13  Fabian Muniesa, Yuval Millo et Michel Callon, « An Introduction to Market Devices » dans Michel Ca (...)

5L’importance des enjeux commerciaux associés aux Expositions universelles engendre inévitablement dans l’organisation et le déroulement de ces événements une série de confrontations qui font non seulement transparaître les intérêts économiques ou politiques qui s’affrontent lors des expositions, mais qui sont aussi effectivement constitutives de l’ordre économique du lieu. Selon Michel Callon, Yuval Millo et Fabian Muniesa, l’étude des phénomènes économiques en tant que pratiques situées nous invite à explorer les manières de faire des acteurs et leur recours à des dispositifs, des réseaux d’éléments matériels et discursifs, pour se confronter à la résistance de la réalité lors de la mise en application de leur rationalité économique13. Les Expositions universelles donnent ainsi lieu à un corps à corps entre les êtres sensibles et vivants qui les peuplent et des assemblages infinis d’objets et de discours qui orientent leurs conduites ou atténuent les effets de leurs actions qui sont parfois imprévisibles. Par « l’incarnation du marché », nous désignons donc la mise en place des conditions optimales de consommation par l’imposition d’une réglementation aux concessionnaires d’établissements d’alimentation et le recours à des services d’inspection, de police, et d’hygiène pour contrôler dans la mesure du possible les conduites du public ou des concessionnaires sur le site. Dans ce chapitre, il sera ainsi question des éventuelles sources de frictions, de ces mises à l’épreuve dans la texture du réel (incidemment corporelles) qui émergent avec l’intégration de lieux de consommation alimentaire sur les sites d’expositions et de l’ensemble des mesures et pratiques qui sont déployées pour y faire face.

Réglementer la consommation

  • 14  Voir Colin Michael Hall, Hallmark Tourist Events : Impacts, Management and Planning, Londres, Belh (...)

6Afin de comprendre les logiques matérielles qui sous-tendent l’établissement de règlements lors des Expositions de 1889 et de 1990, il est d’abord nécessaire d’effectuer un retour en arrière dans la cuisine organisationnelle des événements précédents. La gestion des activités d’entrepreneurs privés qui acquièrent un droit d’exploitation commerciale à l’intérieur des sites de grands événements est encore aujourd’hui une problématique primordiale dans le cadre de leur organisation14. Cependant, à la fin du xixe siècle, le problème de la participation d’intérêts privés pour assurer les services de restauration à la clientèle est alors en émergence et les administrateurs des Expositions universelles en sont encore à expérimenter et à explorer un continent incertain de causes et d’effets pour établir des solutions pratiques destinées à assurer le fonctionnement de la manifestation quand celle-ci invite à une participation toujours plus large de nouveaux acteurs qui deviennent de plus en plus importants dans la France de l’époque sur le social, l’économique et le politique : les industriels et les consommateurs. L’évolution de la réglementation des expositions d’un événement à l’autre nous permet alors de bien saisir à quel point la donne politique et la structuration de l’espace public évoluent à Paris dans la seconde moitié du xixe siècle.

  • 15  Ibid., p. 232.
  • 16  Nous citerons donc de maière extensive la relation des faits telle que transcrite dans le Rapport (...)
  • 17  Stephen Linstead, « Organization as Reply : Henri Bergson and Casual Organization Theory », Organi (...)
  • 18  Rapport sur l’Exposition universelle de 1867 à Paris, Paris, Imprimerie impériale, 1869, p. 230.

7Précédent qui servira les entreprises subséquentes, l’Exposition universelle de 1867, la première à Paris qui prend le pari d’intégrer des concessionnaires privés par voie d’adjudication publique des lots, donne lieu à de nombreux litiges et contentieux juridiques. La commission doit affronter pas moins de 44 procès, pour un total de demandes atteignant les 6 millions de francs15, dont le plus important qui génère remous et agitation dans la presse est celui découlant de l’« Affaire des chaises ». L’épisode, qui occupe une place inexistante dans la mémoire de l’Exposition de 1867, a pourtant eu un impact évident sur les organisations des expositions parisiennes suivantes16. L’enchaînement des rebondissements de l’Affaire est lui-même suffisamment complexe pour illustrer l’accumulation continuelle de points de résistances dans la mise en place d’un environnement commercial fonctionnel. L’affluence inattendue aux restaurants qui entrave la fluidité du roulement de la clientèle, invite les exploitants à outrepasser les limites de l’espace qui leur est conféré en déployant leur mobilier sur le site. Cela gêne incidemment l’entrepreneur qui possède le monopole de la location des chaises sur le territoire empiété, et l’Administration se retrouve ainsi empêtrée dans un imbroglio dont les enjeux mêlent les destins de visiteurs, d’exploitants, d’administrateurs, de chaises, de tables et de cadastres. Face à une république d’êtres humains et de choses qui évolue sur les lieux de l’Exposition universelle, le travail organisationnel demande alors sa dose de créativité spontanée face aux imprévus du monde pour préparer une réponse efficace aux objets indociles et imprévisibles17. Alors qu’approche l’âge d’or des grandes expositions et que chaque nouveau projet redouble d’ambitions et de moyens pour surpasser en grandeur ses prédécesseurs, il devient impératif pour le maintien du déroulement paisible des événements de développer la mise en place d’un réseau de dispositifs qui ont pour objectif d’endiguer la multiplication des intérêts concurrents qui se disputent leur part de commerce. Le Rapport de 1867 indique que : « les occasions de difficultés contentieuses s’augmentent dans une large proportion dès qu’il s’agit, en outre, d’organiser et d’installer tous les services réclamés par le public ; d’en faire l’objet de concessions obtenues à prix d’argent ; enfin de délimiter tous ces intérêts contigus, s’observant avec une attention jalouse, et toujours prêts à empiéter sur leur terrain respectif18 ». Ainsi se pose donc le problème paradoxal que devront négocier les administrations des Expositions universelles suivantes : discipliner les espaces du commerçant et du consommateur de manière à mieux servir leurs intérêts respectifs.

  • 19  « En vue de réaliser des bénéfices importants, la Commission de 1867 avait fait de toutes ces conc (...)
  • 20  Ibid., t. 1, p. 158. Pour réduire au mieux les recours juridiques de la part de concessionnaires, (...)
  • 21  Ibid., t. 1, p. 158.
  • 22  Ibid., t. 1, p. 158-160. Mentionnons également qu’en 1878 comme en 1889 et en 1900, l’administrati (...)

8C’est pour ces raisons qu’en 1878, le contrôle des lieux de consommation devient une préoccupation fondamentale aux yeux de l’Administration qui étend les ramifications de ses procédures et de sa réglementation à l’endroit des concessionnaires. Le Rapport administratif spécifie explicitement à cet effet qu’il a été nécessaire de prendre des mesures adéquates afin d’éviter les complications de la précédente exposition19. L’Administration de 1878 établit ses garde-fous en prenant la décision catégorique « de ne concéder, soit gratuitement, soit à titre onéreux, aucun monopole, et de n’admettre à concourir aux adjudications que des personnes présentant de sérieuses garanties d’honorabilité et de solvabilité20. » L’intérêt de cette démarche d’analyse des profils des concessionnaires pour s’assurer de leur solvabilité comme du sérieux général de leur entreprise dépasse cependant les enjeux strictement financiers et juridiques. Signe des temps, alors que la première Exposition universelle française de la jeune République s’efforce de participer à la consolidation un régime encore instable et de s’inscrire dans le vent du développement d’une culture de consommation à Paris, le Rapport indique bien que l’Administration travaille avant tout pour favoriser les demandes du public et qu’elle « s’efforça, dans ses traités, de ne jamais subordonner l’intérêt du public à celui des concessionnaires21 ». Le refus des monopoles, la décision d’ouvrir les espaces commerciaux à un plus grand nombre de concessionnaires, tout en s’assurant de leur viabilité économique, et la division des lieux de consommation alimentaire en quatre classes qui vont demeurer dans les expositions suivantes (1o Restaurants à la carte ou de luxe, 2o Restaurants à prix fixe, 3o Restaurants à bon marché, 4o Bars, buffets, glaciers, brasseries, etc.) répond en somme aux impératifs de combler les besoins variés d’une clientèle diversifiée économiquement et d’éviter les éventuelles contestations de la part du public22. En scrutant ces discours, nous pouvons donc déceler l’introduction progressive de nouvelles échelles de valeurs qui sont mobilisées dans la définition et la légitimation des cadres réglementaires établis pour la construction institutionnelle des espaces commerciaux. Les deux expositions suivantes qui clôturent le xixe siècle, plus grandioses, plus ambitieuses et, évidemment, plus populaires, vont suivre cette voie. Alors que le commerce parisien s’intensifie, que les réseaux économiques se complexifient tant à l’échelle urbaine qu’internationale, que le capitalisme répand dans l’espace public un éventail de produits plus variés que jamais et qu’une « classe de loisirs » est en train de s’établir, l’organisation des Expositions universelles de la fin du siècle demande l’intégration de nouveaux dispositifs pour préserver la satisfaction générale d’un public de plus en plus vaste et pluriel.

  • 23  Archives nationales de France F/12/3836, Concession des kiosques à établir dans le Champ-de-Mars p (...)
  • 24  Harrison C. White, Identity and Control : A Structural Theory of Social Action, Princeton, Princet (...)

9Alors que 1889, puis 1900 prennent une expansion spatiale marquée sur le territoire parisien par rapport aux expositions précédentes, les contraintes et conditions imposées aux concessionnaires se multiplient. Ceux-ci doivent se conformer en 1889 au Règlement général du 26 août 1886, au Cahier des clauses et conditions générales imposées aux exposants et aux permissionnaires admis à construire, à un nouveau Cahier des clauses et conditions générales imposées aux exposants et aux permissionnaires admis à construire établi le 13 février 1888, au Règlement concernant les mesures de sécurité et les mesures préventives contre l’incendie imposées aux concessionnaires d’expositions payantes d’établissement de consommation ou de spectacle et d’établissements similaires établi le 15 mai 1899, de même qu’au Cahier des charges particulières aux concessionnaires de cafés, restaurants, brasseries, buffets, etc. ou au Cahier des charges relatif à la concession des kiosques dans l’enceinte de l’Exposition selon la nature de l’exploitation, et finalement aux Charges spéciales aux pensionnaires admis à construire dans l’enceinte de l’Exposition de 188923. En 1900, il y a toujours le Règlement général (4 août 1894), les Clauses et conditions générales imposées aux concessionnaires d’expositions payantes, d’établissements de spectacle ou de consommation et d’établissements similaires et les Clauses et conditions spéciales imposées aux concessionnaires d’établissements français de consommation ou les Clauses et conditions spéciales imposées aux concessionnaires de kiosques. À cela s’ajoute un Règlement concernant les mesures hygiéniques à observer dans l’installation des cuisines, des restaurants et cafés. De nombreuses facettes de l’activité des concessionnaires sont touchées par ces réglementations qui portent sur différents domaines d’activité comme la constitution des dossiers pour les demandes d’admission, les procédures pour la soumission des demandes, l’aménagement des lieux et l’exploitation commerciale. Dans cette accumulation de considérations administratives destinées à encadrer les activités des concessionnaires, l’enjeu central qui s’y dessine est la modulation du mouvement et du comportement des êtres humains et des choses, les uns envers les autres, les uns avec les autres et les uns par les autres, sur le site de l’Exposition universelle. Le contrôle, c’est-à-dire non pas seulement la prescription de conduites ou de manières de penser, mais aussi la gestion des incertitudes et la réduction de l’imprévisible24.

  • 25  « Nul ne pouvait être adjudicataire de plus d’un kiosque. Sinon, de véritables accaparements se se (...)
  • 26  Picard, op. cit., Pieces annexes, p. 256.
  • 27  Archives nationales de France F/12/3836, Concession des kiosques à établir dans le Champ-de-Mars p (...)
  • 28  Rapport de l’Exposition de 1900, t. IX, p. 607. En 1889, la conclusion de l’Article 18 du Cahier d (...)

10Conformément à la politique de 1878, en 1889 et 1900, l’Administration procède à une étude du profil financier des concessionnaires potentiels avant de procéder à l’adjudication des espaces. En 1900, pour contrer un oligopole des kiosques, elle interdit l’attribution de plusieurs kiosques à un même concessionnaire, au nom des intérêts des consommateurs comme des plus petits commerçants25. De plus, toujours à la suite du règlement de 1878, la plus haute instance décisionnelle aux Expositions de 1889 et de 1900, le ministre du Commerce et de l’Industrie qui est nommé d’office Commissaire général, « se réserve le droit absolu d’autoriser autant de brasseries, restaurants, cafés ou autres établissements qu’il lui paraîtra utile de le faire26 », article qui, comme nous le verrons plus bas, causera beaucoup de remous chez les concessionnaires qui accuseront l’Administration de permettre l’établissement d’un trop grand nombre de kiosques et de nuire ainsi à l’équilibre du marché. La même clause est stipulée en 1889 dans l’Article 18 du Cahier des clauses et conditions particulières relatives aux restaurants, cafés, brasseries, buffets, etc. de même que dans l’article 2 du Cahier des charges relatif à la concession des kiosques dans l’enceinte de l’Exposition qui indique que : « Le ministère du Commerce et de l’Industrie aura droit de concéder en dehors des établissements qui sont soumis au présent cahier de charges autant d’établissements analogues qu’il lui plaira, sans que le concessionnaire actuel puisse prétendre à aucune indemnité27. » En 1900, c’est l’Article 31, intitulé « Concurrence », du Clauses et conditions générales imposées aux concessionnaires d’expositions payantes, d’établissements de spectacle ou de consommation et d’établissements similaires qui souligne que « L’Administration se réserve le droit de concéder autant d’établissements similaires ou non qu’il lui paraîtra utile de le faire » et que : « Dans aucun cas et sous aucun prétexte, le concessionnaire ne pourra ni prétendre à la résiliation de son marché, ni réclamer une indemnité, soit à l’Administration, soit aux autres concessionnaires28. » Évidemment, les cas et les prétextes ne manqueront pas. Mais malgré tout, le rôle effectif de ces clauses spécifiques ne doit pas être négligé. Dans l’optique administrative, elles soutiennent et régulent le marché de la restauration tout en permettant aux organisateurs de devancer juridiquement les possibles réclamations de concessionnaires qui pourraient se juger lésés par une concurrence impartiale sur le site, comme ce fut le cas lors de l’affaire des chaises en 1867. Mais si nous avons justement insisté précédemment sur cette affaire, c’est précisément parce qu’elle illustre un phénomène essentiel qui ressort également dans ces différents documents officiels : l’importance fondamentale accordée à l’agencement spatial des lieux de consommation et de leurs contingences matérielles pour la construction des pratiques commerciales.

  • 29  À tel point qu’on introduit dans le Cahier des clauses et conditions particulières relatives aux r (...)
  • 30  Ibid., p. 253.

11Comme en témoignent notamment les rapports des redevances d’établissements de consommation par mètre carré selon l’emplacement du lieu concédé, le soin accordé au découpage des espaces accordés aux concessions pour leur intégration dans la cartographie de l’Exposition et la plus-value ajoutée aux redevances pour situation aux angles témoignent déjà de cette attention, nécessaire de la part de l’Administration, pour l’organisation spatiale des échanges économiques. On l’a dit, sur le terrain des expositions républicaines, l’intérêt des commerçants ne peut empiéter sur celui des visiteurs29 et l’espace commercial doit d’abord et avant tout être quadrillé en fonction des besoins du public et de son confort sensoriel. Déjà, on demande en 1889 que : « Les fourneaux, cuisines et dépendances seront disposés de telle sorte qu’ils ne choquent ni la vue, ni l’odorat, et ne puissent incommoder exposants et visiteurs. » L’Article 6 du Cahier des clauses relatives aux restaurants souligne également que : « Le concessionnaire pourra placer des chaises et des tables dans le périmètre de sa concession. Mais cette autorisation sera limitée et même retirée par l’Administration, s’il en résulte des abus ou des gênes pour les visiteurs30. »

  • 31  Voir notamment Franck Cochoy, « Driving a Shopping Cart from STS to Business, and the Other Way Ro (...)

12La dynamique des échanges commerciaux, avec la constellation complexe d’acteurs et d’objets qu’elle met en jeu, des petits livrets de règlements administratifs aux estomacs des consommateurs, se trouve ainsi mise en forme et performée par une administration qui œuvre à préserver la fluidité presque utopique de sa grande manifestation orchestrée pour la séduction et le plaisir du public. Autre mesure pour contrôler des libertés commerciales qui pourraient être prises au détriment du consommateur, en 1889, le concessionnaire de restaurant « sera tenu de soumettre à l’approbation du Directeur général de l’Exploitation le tarif des principaux objets de consommation et, en outre, d’afficher dans son établissement, d’une manière apparente, ce tarif approuvé » (Article 9 du Cahier des clauses et conditions particulières relatives aux restaurants, cafés, brasseries, buffets, etc.). Alors que l’événement s’annonce immense (13 millions selon les prévisions citées dans le tableau reproduit plus haut), et dépassera effectivement ces prédictions du double, les subtilités de la science de la disposition matérielle et du fonctionnement du marché-lieu se voient conférer une place essentielle dans l’incarnation du capitalisme31. Quelques hommes (sans doute pas de femmes) développent des règlements pour pousser d’autres hommes (et quelques femmes, parmi le personnel de service) à agir (ou les prévenir d’agir) sur l’espace et le mobilier qui doivent éventuellement servir une masse exigeante d’hommes (et de femmes et d’enfants, cette fois-ci) venus utiliser ces objets matériels scientifiquement disposés pour favoriser la consommation, la bonne ingestion et digestion des nourritures et boissons. Des humains agissent sur des choses avec des choses, des choses agissent sur humains qui consomment d’autres choses qu’on leur apprête. Et au cœur de cette économie, le vivant, le consommateur qui digère, qui respire et qui sent.

La chronique des corps, la police des choses

  • 32  Delphine Gardey, Écrire, calculer, classer : comment une révolution de papier a transformé les soc (...)

13La réglementation imposée par l’Administration de même que les cahiers de clauses et les cahiers des charges signés par les concessionnaires dans les Expositions universelles peuvent donc être interprétés comme des dispositifs qui permettent la stabilisation des situations d’échanges commerciaux à l’intérieur des lieux de consommation alimentaire, de manière à minimiser l’effet des forces extérieures qui pourraient peser négativement, tant au plan interne sur les mécanismes commerciaux qu’au plan externe sur le déroulement des Expositions universelles. La technologie de reproduction des papiers qui, à la fin du xixe siècle a déjà joué un rôle considérable dans l’histoire de l’administration32 se retrouve ici au cœur du processus de mise en forme des pratiques alimentaires des Expositions universelles par l’édition massive des feuilles réglementaires qui sont distribuées aux exploitants. À cela doit s’ajouter le travail quotidien de mise en ordre du site, pratiqué par les gardiens, les inspecteurs et le service de police qui doivent s’efforcer de contrôler les activités de l’ensemble des acteurs impliqués dans la tenue de l’Exposition. Dans ce contexte, les lieux de consommation d’aliments sont l’objet d’une surveillance particulière, que ce soit pour le contrôle de l’hygiène des aliments, des activités des concessionnaires ou du comportement du public.

  • 33  Rapport de 1889, t. III, p. 373.
  • 34  Kevin Hetherington, The Badlands of Modernity : Heterotopia and Social Ordering, Londres, Routledg (...)

14L’envergure des Expositions de 1889 et de 1900 par rapport aux événements précédents demande incidemment le rassemblement d’une force de l’ordre plus importante pour couvrir et surveiller une superficie plus étendue et une affluence plus nombreuse. Le Rapport de l’Exposition de 1889 souligne à ce propos la réalité de cette condition tout en énumérant la liste des tâches qui incombent aux représentants de l’ordre : « Comme aux expositions antérieures, il a fallu organiser un service d’inspection fortement constitué, pour assurer la stricte exécution des règlements, veiller au bon ordre, avec le concours de la police, prévenir les accidents, empêcher les abus et les fraudes, prendre les mesures propres à éviter les vols et les détournements, donner la direction au personnel des gardiens, etc.33 » Pour chacune des deux expositions, le contrôle des activités aux lieux de consommation nécessite alors un travail concerté entre de nombreux acteurs qui ont chacun leur champ d’expertise. L’action du service de garde et de la police municipale s’adjoint alors aux travaux de chimistes, vétérinaires et médecins dans les cas d’inspections d’hygiène ou d’empoisonnements alimentaires. Avec la multiplication des activités commerciales, l’efficacité de la surveillance des sites devient de cette manière dépendante d’un ensemble d’unités aux compétences spécifiques qui doivent adapter leurs procédures selon les situations. L’« ordre » des lieux, plutôt qu’un attribut fixe qui correspondrait à un état idéal, apparaît inversement sous le jour un processus quotidiennement mis en pratique alors que contrôle et liberté s’interpénètrent continuellement dans les espaces sociaux de consommation34.

  • 35  Le film du cinéaste Terrence Fisher Si Paris l’avait su (1949) met en scène la disparition mystéri (...)
  • 36  « Échos », Le Figaro, 46e année, 3e série, no 164 (13 juillet 1900), p. 1.
  • 37  Nous reviendrons sur l’hygiène des « populations exotiques » au chapitre 4.

15L’Exposition universelle, avec son rassemblement exceptionnel d’êtres vivants, fait donc surgir de nouveaux risques inédits qui, réels ou imaginaires, n’en affectent pas moins son déroulement35. Cette condition socio-biologique de l’Exposition, où des corps étrangers se pressent sur un espace restreint et où une quantité immense de matières organiques est produite, ingérée et digérée, inquiète alors certains médecins. En 1900, selon ce qu’en dit le Figaro : « Ils [les médecins] estiment qu’elle produira une recrudescence de maladies épidémiques ; que l’absorption de quantités de liquides et boissons de toutes sortes pendant les chaleurs sera funeste à beaucoup et que les liqueurs hygiéniques et rafraîchissantes telles que le « véritable » Pippermint [sic] Gel étendu d’eau doivent être prises de préférence à toutes les autres par les gens prudents36. » La tenue de l’Exposition, avec les conditions sensorielles extrêmes qu’elle pourrait susciter, aurait ainsi des effets potentiellement indésirables sur la condition physique, biologique, gastrique de la population. Cependant, malgré ce constat quelque peu alarmiste, les cas de maladies et d’épidémies qui se déclarent aux Expositions de 1889 et de 1900 n’atteindront jamais des proportions notables. Sur les terres de la paix universelle, l’hygiène et la salubrité sont des questions sérieuses, surtout avec ces individus et ces produits qui proviennent de partout à travers le monde37. Microbes, poisons et autres substances toxiques sont après tout les principaux ennemis dans l’aventure alimentaire offerte par l’Exposition universelle. Leur invisibilité est leur force, tant contre les corps que contre les esprits et c’est pourquoi ils demandent l’intervention soutenue de scientifiques.

  • 38  « Le Commissariat général se préoccupait vivement des conditions dans lesquelles devraient être ét (...)
  • 39  « Échos », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré. 2e série, no(...)
  • 40  Voici la relation des événements dans le Bulletin officiel de l’Exposition de 1889 : « Hier matin, (...)
  • 41  « Échos », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no(...)

16Aux moments de communions et de festivités, la préservation de la santé du public est un enjeu primordial dans l’organisation de la manifestation, et l’attention particulière accordée à l’hygiène et à la salubrité des kiosques et restaurants dans le travail du service médical et du service d’hygiène en 1889 et surtout en 1900 en atteste38. L’irruption du malaise, de la maladie, de l’intoxication forme des écueils dans l’écoulement lisse du fleuve des festivités et c’est pour cette raison que les différents services d’ordre déployés par l’Administration doivent tâcher de s’adapter aux différentes situations problématiques susceptibles de surgir de manière impromptue dans le cours des choses. C’est d’ailleurs bien ce qui arrive au début de l’été 1889. Déjà, dans les premiers jours de juin, la qualité de l’eau au Champ de Mars suscite les appréhensions d’un journaliste qui se permet d’émettre une requête à M. Alphand : l’imposition aux cafetiers et restaurateurs « de ne fournir à leurs consommateurs que de l’eau filtrée » car « [i]l en va tout simplement de la santé publique39 ». Quelques jours plus tard, le 17 juin, ce sont six cas d’empoisonnements déclarés chez un limonadier marocain de la rue du Caire qui frappent l’Exposition. Les craintes émanent alors autant de l’Administration que de la presse écrite, car au-delà des élucubrations prévisibles sur la salubrité douteuse des Orientaux, l’événement a pour effet de mettre en cause de manière plus globale la tenue de ces kiosques qui constituent en soi une attraction populaire40. La chasse aux substances et aux microorganismes est ainsi lancée après la fermeture imposée de tous les établissements marocains du périmètre pendant la durée de l’enquête41. Le problème de la confrontation non désirée entre la nécessité de satisfaire le public et les activités des concessionnaires se trouve ainsi de nouveau posé dans les pages du Bulletin officiel de l’Exposition universelle qui relate les faits tout en s’insurgeant de la malhonnêteté de quelques industriels :

Que demandent certains empoisonneurs ? qu’on ne les surveille pas et tout serait pour le mieux dans la meilleure de leurs caisses. Mais leur bête noire, le laboratoire de Damoclès vient de faire son entrée au Champs [sic] de Mars et à l’Esplanade.

Fuyez, disparaissez, fucshines et salycilates et tout ce que les poisons ont de plus violent ! Les temps d’impunité sont passés : passés aussi les jours où se trompant de rôle, le zinc resplendissant a pris la forme terne et trompeuse de l’oxyde pour s’introduire dans les liquides que sa destination est de supporter.

  • 42  « Surveillance de l’alimentation », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidi (...)

Voici venir la quiétude des œsophages et des estomacs, car avant-hier les premiers prélèvements ont été opérés sur les vins, alcools, bières, etc. Les deux cents établissements du Champ de Mars et de l’Esplanade seront tous visités successivement par les chimistes officiels. Avis à ceux qui seraient tentés de mettre en vente des liquides capables de « rafraîchir pour toujours » le trop confiant consommateur qui les absorbe.42

  • 43  « Le chimiste-expert attaché au service médical de l’Exposition qui, à la suite de commencements d (...)
  • 44  « Deux kiosques et deux chalets du Champ-de-Mars ont été fermés hier par ordre supérieur, pour leu (...)
  • 45  « Échos », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no(...)
  • 46  « Échos », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no(...)
  • 47  Ibid.
  • 48  Le Rapport de 1889 ne contient pas ces statistiques pour l’Exposition de 1889.
  • 49  Rapport de 1900, t. VII, p. 74.

17L’agitation est cependant de courte durée et le commerçant est innocenté après que les analyses des liquides vendus n’aient rien montré de concluant43. D’ailleurs, de tels cas ne se représentent pas en 1889 ou en 1900. Bien que nous sachions qu’il y a effectivement des cas de fermetures d’établissements pour raison d’insalubrité44, il faut croire que les inspections régulières sont suffisamment dissuasives pour éviter les problèmes de cet ordre. En 1889, les rapports d’inspection des denrées disent que : « on a constaté qu’à très peu d’exceptions près, tous les restaurants sont tenus avec le plus grand soin45 » et qu’« à de très rares exceptions près, les prescriptions d’ordre sanitaires ont été observées partout46 ». Les individus sanctionnés sont en fait plutôt à trouver dans la masse de vendeurs ambulants installés à l’extérieur des grilles de l’Exposition, où l’on saisit, aux abords du pont d’Iéna à la mi-juillet 175 kg de saucisson avarié47. En 1900, les chiffres présentés dans Rapport général sont éloquents à ce sujet48. Le laboratoire municipal chargé de l’inspection des aliments aux établissements de restauration procède, pendant la durée de l’Exposition à 207 visites de restaurants ou de bars, effectue 129 prélèvements, et ne dresse en bout de ligne que 10 procès-verbaux de contravention49.

  • 50  « Donner, au minimum, une longueur de 3 m, une largeur de 2m50 et une hauteur sous plafond de 2,60 (...)
  • 51  En 1889, selon l’article 11 du Cahier des clauses et conditions particulières relatives aux restau (...)

18Le rôle de la discipline hygiénique imposée aux concessionnaires par les visites régulières des inspecteurs et chimistes-experts doit donc être apprécié à sa juste mesure à l’intérieur de l’assemblage de dispositifs destinés à assurer le fonctionnement des activités de consommation alimentaire dans le cadre des Expositions universelles. D’ailleurs, en plus des différentes mesures déployées pour la prophylaxie et la protection contre les intoxications alimentaires, nous devons également considérer les recommandations proposées aux concessionnaires de restaurants pour l’aménagement de leurs cuisines50, une initiative qui témoigne de la volonté de l’Administration non seulement de prévenir les cas de maladie ou d’empoisonnement, mais aussi de l’émergence d’une gestion de la sécurité par la délégation de responsabilités vers les concessionnaires eux-mêmes et l’organisation spatiale de leurs cuisines51.

Dessin d’après nature de M. L. du Paty, « Paris – Exposition universelle : les marchands devant le pont d’Iéna, un dimanche », L’Univers illustre, 32e année, no 1797 (31 août 1889), p. 548.

Dessin d’après nature de M. L. du Paty, « Paris – Exposition universelle : les marchands devant le pont d’Iéna, un dimanche », L’Univers illustre, 32e année, no 1797 (31 août 1889), p. 548.

Hors les murs de l’Exposition, le désordre et la spontanéité populaires : « De l’autre côté du pont d’Iéna et derrière la grille qui sépare le quai des jardins du Trocadéro, les marchands de saucisson ont comme clients les amateurs de fleurs, ceux qui préfèrent au mouvement de la Seine le calme du parc et le parfum des corbeilles et des massifs. Le fait est qu’au Trocadéro les dîneurs en plein n’ont que l’embarras du choix : les allées sont bordées de bancs, de fauteuils et de chaises confortables aimablement exposés par la Ménagère. Allez frères, Tronchon et autres ; à chaque pas on rencontre des tentes, des cabines en osier, des parasols, véritables salons pour noces et festins, où l’on s’installe en famille et par bandes joyeuses ». Chronique de l’Exposition », L’Univers illustré, 32e année, no 1797 (31 août 1889), p. 550.

  • 52  Sur le sujet, voir Michel Foucault, Sécurité, territoire, population. Cours au Collège de France, (...)
  • 53  Rapport de 1900, t. VII, p. 84.
  • 54  Ibid., p. 44.
  • 55  « Malgré l’éviction, parfois pénible, d’une foule de demandeurs qui, sans expérience et sans calcu (...)
  • 56  Ibid., p. 82.

19Le développement de la consommation aux Expositions universelles demande ainsi la mise en place d’une police pour régir la cohabitation paisible des hommes et des choses52 : « Les difficultés n’étaient pas les mêmes lors des expositions précédentes, dont l’ampleur était beaucoup moindre. Personne ne pouvait prévoir qu’elles atteindraient un pareil degré d’acuité. Quoi qu’il en soit, l’expérience de 1900 montre la nécessité absolue d’investir les organisateurs d’une autorité plus réelle et de donner une sanction effective à ceux de leurs actes que justifient les intérêts supérieurs du bon ordre53. » En 1900, les services de police « déjà si chargés lors de [l’Exposition de 1889], étaient devenus plus lourds et plus difficiles encore en 190054 », et les dépenses de l’Administration sont passées de 40 millions de francs à 100 millions. Les raisons invoquées sont la plus grande superficie, notamment avec l’extension sur l’annexe de Vincennes, la plus grande participation des nations étrangères, donc un plus grand nombre de palais et pavillons particuliers, et évidemment, le plus grand nombre de concessionnaires55. Sur ce sujet, les Administrations de 1889 et 1900 émettent clairement leur perception du phénomène : si des moyens toujours plus importants doivent être déployés pour maintenir l’ordre sur le terrain des Expositions universelles, il faut également prendre toutes les mesures nécessaires pour masquer l’action des policiers et inspecteurs de manière à ce que leur présence sur le site ne nuise pas aux activités du public et au déroulement des festivités. Le Rapport de l’Exposition de 1900 présente très bien cette délicate dialectique : « Les expositions sont des œuvres de paix, qui appellent une gestion douce, bienveillante, paternelle. Cependant, la douceur et la bienveillance ont des limites, imposées par l’intérêt public. Il faut pouvoir réprimer promptement les abus intolérables56. »

  • 57  Rapport de 1889, t. III, p. 373.
  • 58  Rapport de 1900, t. VII, p. 45.
  • 59  Vincent Rubio, La foule : un mythe républicain, Paris, Vuibert, 2008.
  • 60  « 1o Créer, soit à l’extérieur, soit à l’intérieur des palais, un réseau de voies de circulation d (...)

20Les abus intolérables seront fort rares. Les rapports des services de police des deux expositions sont unanimes en ce qui a trait à la bonne marche des événements et à la faible proportion d’accidents graves. Si chacune des expositions a son lot inévitable de vols à la tire, d’enfants perdus et retrouvés, d’accidents et de rixes qui sont relatés dans la presse à faits divers, l’appréciation générale des services de police aux yeux de l’Administration reste globalement plus que positive. En 1889, « Tout s’est passé à merveille », car « les inspecteurs ont su déployer beaucoup de tact, d’habileté et en même temps de fermeté57 », et en 1900 : « la protection de tant d’existences et de tant de richesses a été assurée sans déploiement considérable de forces, sans conflit sérieux avec le public, par des moyens bien plus modestes relativement qu’en 188958 ». Mais l’efficacité constatée du déploiement des forces de l’ordre ne doit peut-être pas tant à la vigilance des agents qu’à l’élaboration du plan des sites. Dans la suite des réformes urbaines haussmanniennes et post-haussmanniennes qui consacrent la planification urbaine comme mode de gestion de l’hygiène publique, les organisateurs des Expositions universelles de 1889 et de 1900 misent avant tout sur le découpage spatial pour l’endiguement des masses humaines et matérielles. À l’époque de l’émergence de la psychologie des foules comme champ disciplinaire59, les administrateurs des expositions tentent plutôt d’établir une technique de gestion matérielle des rassemblements massifs qui s’exprime en 1900 par l’énonciation de 12 principes de planification (donc de disposition des voies, du mobilier et des espaces) pour la discipline du public, illustration d’une délégation matérielle de l’actantialité sur objets pour favoriser la prévisibilité des conduites humaines60.

  • 61  « Rapport sur les services de Police à l’Exposition universelle de 1889, le 22 décembre 1889 », Ar (...)
  • 62  Rapport de 1900, t. VII, p. 45.
  • 63  Archives nationales de France F/12/3766, Rapport du Service de sûreté.
  • 64  Rapport de 1900, t. VII, p. 67.

21Si le rapport de 1900 souligne cependant après coup que l’application des 12 principes a été en elle-même problématique, pour des raisons de contingences spatiales (illustrant cette fois d’une autre manière l’actantialité des objets dans l’espace par leur capacité de résistance), il faut pourtant mentionner que malgré les lamentations incessantes de journalistes, écrivains et caricaturistes de l’époque sur le comportement barbare de la multitude populeuse qui envahit le site de l’Exposition universelle, les services de police et de sûreté restent globalement plus que satisfaits de la conduite du public, tout particulièrement dans les restaurants et surtout dans les cafés-concerts exotiques, lieux qui seraient pourtant propices aux entorses à la morale dans l’imaginaire d’une certaine classe de commentateurs à la Belle Époque. Selon le rapport du service de sûreté à l’Exposition de 1889, « c’est incontestablement dans les cafés, les brasseries & restaurants que la foule s’est portée avec le plus d’entrain. Aussi, la plupart des propriétaires de ces établissements se sont-ils déclarés très satisfaits de leur campagne », bien que « [d]ans toutes ces parties de l’Exposition, l’ordre a régné malgré l’encombrement & les agents ont eu rarement à intervenir61 ». En 1900, le faible nombre d’incidents « témoigne de la prudence des mesures prises par les organisateurs et du soin vigilant apporté à l’exécution de ces mesures » et « honore également les visiteurs qui se sont pressés dans les galeries et constitue une preuve irrécusable de la probité publique, de la docilité des foules quand on les guide d’une main légère62 ». Pour demeurer dans le registre de l’ingestion, soulignons notamment les statistiques d’arrestation pour ivresse : 167 en 188963, 109 en 190064, ce qui constitue des chiffres fort appréciables en proportion des dizaines de millions de visiteurs pour chacune des expositions.

  • 65  « le Commissariat général eut à lutter chaque jour contre les anticipations, contre la violation d (...)
  • 66  « Nouvelles de l’Exposition », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien il (...)

22Cependant, si la tâche de garantir la docilité des foules ne semble pas poser de problèmes trop significatifs, le contrôle du comportement des concessionnaires est beaucoup moins évident, surtout lorsque leurs ambitions commerciales ne cessent de déborder les contraintes imposées par l’Administration. Que les usagers des lieux parviennent à détourner au quotidien la compartimentation spatiale imposée par l’ordre administratif caractéristique de toute Exposition universelle n’est pas étonnant en soi et s’inscrit assez naturellement dans le cours de la manifestation. Ce que l’Administration appréhende dans sa dénonciation des « abus » des concessionnaires c’est précisément l’effraction sur la frontière, tant spatiale que symbolique, qui détermine à la fois l’apparence d’ordre dans la cité utopique de la fraternité internationale et le bien-être des visiteurs-consommateurs-citoyens, qui s’effrite avec les entraves à la circulation causées par le mobilier s’étalant sur les allées ou les sollicitations incessantes des employés des restaurants hors de leurs établissements65. On se plaint en juin 1889 que « les garçons de certains restaurants harcèlent les passants avec la carte du déjeuner ou du dîner à la main66 », et en 1900, une plainte se généralise envers de nombreux restaurateurs à propos de la disposition de leur mobilier en dehors de l’espace concédé :

  • 67  Archives nationales, F/12/4 366 Conseil d’État, section algérienne (attractions).

de nombreuses infractions sont journellement commises par les concessionnaires de kiosques et d’établissements de consommation, notamment par les restaurants des « Cadets de Gascogne », des « Grandes Marques », de l’Aquarium, des « Congrès », par les bars du Manoir à l’envers, du palais de la Danse, des Bonhommes Guillaume, de la Maison du Rire, des Tableaux vivants, du Jardin de la Chanson et la Roulotte, par les restaurants Suédois, Bosniaque, Norvégien, Allemand, Hongrois, Autrichien, États-Unis, Cabaret flamand et d’Iéna qu’en outre un grand nombre d’autres concessionnaires commettent journellement des infractions de toute nature aux clauses du cahier des charges.67

  • 68  « Échos », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889, Quotidien illustré, 2e série, no(...)
  • 69  Rapport de 1900, t. VII, p. 48.

23Les Administrations doivent ainsi mettre en place une police des corps et des objets pour constamment régir les activités des concessionnaires qui défient leurs prescriptions. Dans le Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889, on dit en août 1889 que : « Le service d’inspection est passé avant-hier dans tous les bars étrangers de l’Exposition et les a invités à mettre immédiatement de côté les objets encombrants dont ils avaient embarrassé leurs abords68 », et on s’inquiète aussi énormément de l’activité des non-concessionnaires qui ne détiennent aucun permis de vente, mais occupent le site avec leurs gaufres, saucissons et bouteilles d’eau pour les écouler sur place. Selon les administrateurs eux-mêmes, ces activités nuisent à l’intégrité du commerce de même qu’à la circulation de la population et à leur égard : « [l]’Administration ne disposait pas […] de moyens d’action assez efficaces et se livrait vainement à une chasse perpétuelle69 ». Une action pragmatique livrée au quotidien, à travers la poussière soulevée par les masses de visiteurs, dans le bruit et la fureur de l’Exposition, devient ainsi nécessaire pour le maintien de l’ordre symbolique, de la propreté des lieux, de la santé des corps, de l’équilibre du marché de la restauration.

  • 70  Annexe au Cahier des charges particulières aux concessionnaires de cafés, restaurants, brasseries, (...)
  • 71  Selon l’article 11 des Clauses et conditions spéciales imposées aux concessionnaires de kiosques d (...)
  • 72  Ibid., p. 83.
  • 73  « Il paraîtrait que dans certains cafés de l’Exposition on vend, sous l’étiquette mensongère de «  (...)
  • 74  En ce qui à trait à la surveillance de la « fidélité du débit » en 1900 : « Le nombre de commerçan (...)

24Ce dernier point, susceptible s’il en est un, de générer le mécontentement des concessionnaires ayant, pour certains, délié généreusement leur bourse pour l’adjudication d’un espace d’exploitation exigu, est d’ailleurs l’objet de mesures répétées destinées à contenir l’action des restaurateurs dans le jeu de l’offre et de la demande, particulièrement en ce qui concerne la fidélité du débit et l’affichage des prix. La rigidité imposée pour les affectations des établissements est frappante à cet effet. Les brasseries de 1889 sont « tenues de donner à déjeuner et à dîner70 », les kiosques de 1900 ne peuvent « recevoir d’autre affectation que celle qui avait été prévue au dossier d’adjudication. Il [est] défendu de réserver à des spécialités les kiosques créés pour la vente des produits alimentaires et d’y livrer des repas en panier : c’eût été les détourner de leur véritable destination71 ». Mais malgré la présence de ces règlements, dans la réalité du terrain, celle de l’affluence d’intérêts commerciaux au milieu de l’agitation des centaines de milliers de visiteurs, les infractions semblent inévitables : « tel concessionnaire de kiosque à fleurs ou à publications débitait des aliments et portait ainsi atteinte, non seulement aux conditions de son marché, mais encore à l’équilibre de la concurrence ; tel concessionnaire d’attraction trouvait préférable d’installer des restaurants, des débits, des comptoirs de commerce72 ». On dit même qu’en 1889, certains cafés vendent, selon un article du quotidien L’Événement, des bières d’outre-Rhin frauduleusement présentées comme françaises, ce qui incite le journaliste à demander une répression de ces procédés au nom de l’honnêteté de la concurrence73. La police des choses qui dicte quels objets, et surtout quels assemblages d’objets (tels que les paniers alimentaires), ont le droit ou non de circuler à tel ou tel lieu, est ainsi officiellement instituée pour assurer la stabilité des échanges commerciaux à l’intérieur des expositions. Quand on interdit au fleuriste de vendre librement des victuailles, on le fait au nom du « marché » et de « l’équilibre de la concurrence ». En quelque sorte, les mesures prises par l’Administration pour restreindre une trop grande liberté économique en découpant clairement les espaces commerciaux, en attribuant des canaux particuliers à différents types de marchandises et en déployant une force de surveillance quotidienne74, traduisent une appréhension face à un éventuel déséquilibre dans l’usage des lieux.

  • 75  « Échos », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no(...)
  • 76  Ibid.
  • 77  Michel Callon et Bruno Latour, « “Tu ne calculeras pas !” ou comment symétriser le don et le capit (...)

25Le travail d’incarnation du capitalisme aux Expositions universelles est donc constant, énergique, quotidien, et doit être continuellement répété devant la résistance du monde matériel, les aléas de la vie quotidienne et les intérêts immédiats des commerçants. Au mois d’août 1889, on constate encore dans le Bulletin officiel que : « [m]algré l’énergie dont fait preuve, chaque jour, le service actif de l’inspection et son chef, M. Ossude, un certain nombre d’exposants et de concessionnaires de kiosques et de chalets recommencent à se livrer de plus belle aux abus que l’on a du tant de fois réprimer75 ». Pour contrer cette situation, des mesures plus draconiennes s’imposent et, dans la journée du 23 août 1889 : « trois chalets espagnols qui débitaient du vin, au lieu de vendre des produits espagnols, ont été fermés ; un autre kiosque a été fermé pour sa mauvaise tenue, un autre fermé également en raison de la mauvaise qualité de ses denrées76 ». Ces anecdotes tendent à confirmer que l’échange marchand ne peut fonctionner effectivement avec des acteurs économiques laissés en complète liberté et cela est particulièrement évident dans le cas du marché de la restauration alors que la santé des consommateurs est en jeu. Dans les efforts acharnés de la police des marchandises déployée sur les sites, leur fonction n’est bien entendu pas tant de restreindre le marché, que de le formater77 dans le contexte exceptionnel des Expositions universelles pour fluidifier leur fonctionnement afin de conserver un équilibre des intérêts, des espaces et des échanges.

26La majorité des récriminations des visiteurs concernent cependant un autre objet, un dispositif, un actant non-humain dont la présence matérielle sur les lieux de consommation demeure une exigence primordiale pour le règlement et la stabilisation des pratiques d’échange commercial. Citons un courrier de lecteur paru dans L’Aurore :

Monsieur,

Le directeur de l’Exposition ne pourrait-il pas exiger des cafés restaurants un tarif très en vue pour renseigner les clients sur le prix des consommations ? Nous étions cinq hier. Après avoir payé nos tickets, visité certaines curiosités, à six heures du soir il nous restait 4 francs. Nous entrons dans un établissement, nous demandons cinq apéritifs qui, dans les plus grands établissements sont cotés 40 centimes, 50 au plus. On nous a demandé 5 francs. L’un de nous a été obligé de laisser sa montre pour garantir la somme.

Agréez, Monsieur, l’assurance de ma considération,

  • 78  Lettre citée dans Charles Malato, « L’Exposition », L’Aurore, 4e année, no 912 (18 avril 1900), p. (...)

Pierre Robert
Employé de commerce78

  • 79  Nous traitons cet événement en détail au chapitre 4.
  • 80  « Nouvelles diverses », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, (...)
  • 81  « Nouvelles de l’Exposition », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien il (...)
  • 82  Jean de la Tour, « L’Exposition : Chronique du Champ-de-Mars », Le Petit Journal, 27e année, no 96 (...)
  • 83  Ibid.
  • 84  Jean de la Tour, « L’Exposition : Chronique du Champ-de-Mars », Le Petit Journal, 27e année, no 96 (...)
  • 85  Ibid.

27La lettre date d’avril 1900, mais la cause de l’affichage des prix aux restaurants d’Exposition semble se répéter éternellement. En mai 1889, après la disette causée par la cohue inattendue aux restaurants le soir d’ouverture79, il est dit dans le Bulletin officiel que : « un grand nombre de visiteurs que la faim talonnait ont été étrillés par quelques restaurateurs, qui ont eu le tort de profiter de la disette générale. Ces messieurs ont fait payer un bock 2 francs et un pain 5 francs ! », en réponse de quoi « M. Berger est décidé à réprimer désormais ces abus de la façon la plus rigoureuse. Tout le monde approuvera les intentions sévères de M. le Directeur général de l’Exploitation80. » Deux semaines plus tard, le même opuscule rappelle que : « L’administration, prenant à cœur les intérêts des visiteurs avant tout, vient d’enjoindre à tous les industriels qui donnent à déjeuner ou à dîner d’avoir à marquer sur leurs menus le prix de chaque plat ; car ils se laissent aller facilement à compter à un étranger 6 francs une côtelette et 15 francs une boîte d’asperges81. » Au mois d’août, la question n’est curieusement toujours pas réglée. Le Petit Journal signale dans ses colonnes que : « Les réclamations continuent à affluer contre les exactions commises par les restaurateurs » et que « [d]es additions réellement fantastiques ont été transmises à la direction82 », mais heureusement, « Des mesures rigoureuses vont être prises d’ici peu contre les concessionnaires des établissements où se commettent de semblables abus83. » L’édition du lendemain rappelle d’ailleurs que l’Administration fait preuve d’une « grande fermeté » vis-à-vis des restaurateurs qui « exploitent sans vergogne les visiteurs » et que « [l]a direction vient de leur imposer l’obligation de marquer sur leur menu le prix de chaque plat84 » pour le plus grand bénéfice du consommateur qui « aura la ressource de s’enfuir avant d’avoir été dévalisé85 ».

  • 86  Kevin Hetherington, « Secondhahdedness : Consumption, Disposal and Absent Presence », Environment (...)
  • 87  Rolland Munro, « The Disposal of the Meal » dans David Marshall (dir.), Food Choices, Londres, Bla (...)

28Tous ces exemples nous montrent finalement que la régie de la surveillance à l’intérieur des concessions est indubitablement problématique pour l’Administration car elle pose la question de la répartition des « juridictions » entre le service d’ordre de l’Exposition et le personnel des établissements. Le maintien de la propreté prend ainsi une place importante dans la réglementation des Expositions de 1889 et 1900 car il en va effectivement de la souillure, donc de l’ordre matériel et symbolique de l’espace exhibitionnaire. Comme le souligne avec acuité le géographe Kevin Hetherington, la gestion des déchets doit être approchée en tant que pratique située qui a pour objectif une production de l’absence qui demande constamment à être répétée au quotidien86. Cela est le cas pour l’hygiène des restaurants qui ont non seulement à gérer l’usage du lieu par les consommateurs mais aussi les restes de nourritures consommées qui peuvent imprégner l’endroit de leur présence sensorielle87 ; et c’est aussi le cas pour l’ensemble des lieux qui sont susceptibles d’attirer des dîneurs, comme les pelouses ou les bancs publics.

Henriot, « Échos », Journal amusant, 53e année, no 51 (16 juin 1900), p. 2.

Henriot, « Échos », Journal amusant, 53e année, no 51 (16 juin 1900), p. 2.

29Cette exigence constante de propreté demande donc de la part de l’administration une formalisation de la pratique par son institution dans la réglementation qui, de cette manière, incite les restaurateurs à conserver à l’intérieur de leurs établissements un état de propreté acceptable pour le bien du public et la bonne réception de l’événement. En 1889, l’Article 11 dit que : « Le concessionnaire devra veiller au bon ordre à l’intérieur et dans les dépendances de son établissement, le tenir avec la plus grande propreté, faire procéder à l’enlèvement des détritus et à l’arrivée des approvisionnements aux heures et dans les conditions fixées par les règlements, et se conformer à toutes les conditions de la police spéciale de l’Exposition », et l’Article 12 rajoute : « L’Administration fera exercer par les agents qu’elle accréditera à cet effet une surveillance active sur l’établissement du concessionnaire et prendra toutes les mesures nécessaires pour prévenir ou réprimer les atteintes qui pourraient être portées à la décence et au bon ordre. » En 1900, c’est l’Article 19, « Police de l’Exploitation », qui énumère tous les pouvoirs dont dispose l’Administration pour défendre l’ordre des lieux face aux éventuelles actions nuisibles des concessionnaires :

L’Exploitation a lieu sous la surveillance et le contrôle de l’Administration, dont les agents désignés par le Commissaire général peuvent pénétrer à toute heure dans les établissements concédés.

À toute époque, les concessionnaires sont tenus de se conformer aux injonctions qui leur seraient adressées par le Commissaire général dans l’intérêt de la sécurité, de la salubrité, de l’hygiène, de la décence et du bon ordre. L’Administration a le droit d’exiger le renvoi des personnes attachées à l’établissement, dont la conduite ou l’attitude, soit vis-à-vis du public, soit vis-à-vis des agents de l’Exposition, seraient répréhensibles.

Les concessionnaires doivent entourer d’appareils protecteurs les organes mécaniques dont l’accès présenterait des dangers pour les visiteurs.

  • 88  Archives nationales de France F/12/3836, Concession des kiosques à établir dans le Champ-de-Mars p (...)
  • 89  Ibid.

30Les plans de constructions, tant pour les kiosques que pour les restaurants, doivent évidemment être soumis à l’Administration qui peut, pour les kiosques, se permettre d’intervenir en imposant aux concessionnaires « des types de chalets ou de tentes choisis par elle, soit pour tous les établissements soit pour partie seulement d’entre eux à son gré », de même que pendant l’Exposition, « s’il est reconnu qu’elles présentent des inconvénients au point de vue de la circulation ou des installations voisines, elles seront reportées aux endroits désignés par l’administration, le concessionnaire entendu. Ce déplacement ne donnera lieu à aucune indemnité88 ». De plus, l’action du concessionnaire de kiosque est rigoureusement limitée au périmètre qui lui est accordé, alors que selon l’article 7 du même document, il ne peut toucher aux arbres qui avoisinent son terrain, y attacher des cordes, des chaînes ou y planter des clous, et il lui est également « interdit formellement de déposer quoi que ce soit en dehors du périmètre de sa concession et de circuler sur les pelouses ou massifs89 ». Cette mesure particulière vise alors à être effective sur trois plans pour garantir le bon fonctionnement de l’Exposition : 1) préserver les composantes paysagères du site, 2) réguler la juste concurrence entre les concessionnaires en limitant le territoire des activités publicitaires, et corrélativement 3) contenir la sollicitation de la clientèle à l’extérieur pour éviter que les allées et jardins de l’Exposition aménagés pour le loisir du public se transforment en territoires de chasse pour les commerçants.

  • 90  Voir Peter Miller et Nikolas Rose, « Governing Economic Life », Economy and Society, vol. 19, no 1 (...)
  • 91  « L’Exposition à huit heures du matin », L’Exposition de Paris de 1889, no 44 (16 octobre 1889), p (...)
  • 92  Ibid.
  • 93  Ian Hacking, The Taming of Chance, Cambridge, Cambridge University Press, 1990.

31Au nom de l’intérêt général du public, la police des marchandises, se superpose, s’enchevêtre et se mêle jusqu’à s’en rendre inséparable de la surveillance constante des humains pour assurer la gouvernementalité économique, c’est-à-dire l’inscription immanente du pouvoir dans la quotidienneté des pratiques situées par des procédures de délégation90. Lorsque la période matinale de 6 h à 8 h est réservée pour la livraison de la masse de produits alimentaires destinés à être consommés à l’Exposition, c’est évidemment pour éviter un piétinement entre la circulation des marchandises et la circulation des visiteurs. On y voit : « les fournisseurs, les uns à pied, les autres en voiture ; c’est une longue file de charettes et de tapissières », « les bouchers dans leurs voitures à deux roues, les boulangers traînant leurs voitures à bras, les brasseurs juchés sur leurs camions, puis les fruitiers, les pâtissiers, les marchands de volaille, en somme tous ceux qui viennent alimenter le ventre de l’Exposition91 ». L’endiguement nécessaire du torrent d’individus et de choses par l’imposition d’une trajectoire et d’un horaire aux fournisseurs vient ainsi confirmer cet impératif discipliner le temps et l’espace d’un marché qui prend une envergure exceptionnelle à l’occasion de l’Exposition : « ce n’est pas une mince affaire que d’organiser ce service, l’entrée et la sortie de ces véhicules, de ces facteurs et de ces porteurs innombrables. Il a fallu régler des heures d’entrée, déterminer les portes accessibles, préciser les voies qui devaient être suivies, et se montrer sévère dans l’application de ces prescriptions92 ». S’il est difficilement contestable, ainsi que le suggère Walter Benjamin, qu’il y ait un rapport intime entre l’émergence et le développement de l’idée de libre-échange au xixe siècle et la tenue des grandes expositions internationales, l’incarnation microhistorique du capitalisme sur le terrain des Expositions universelles de 1889 et 1900 nous apparaît pourtant de manière beaucoup moins transparente, beaucoup plus complexe et laborieuse. Ce qui guide les choix dans la construction d’une réglementation qui devient de plus en plus élaborée pour mieux discipliner des échanges commerciaux, c’est avant tout la combinaison des savoirs accumulés dans l’expérience quotidienne et l’héritage des expériences administratives passées qui conduit l’orientation de ce qui ressemble bien malgré tout à un tâtonnement. Le développement de la réglementation, l’accroissement des comités, l’expansion des ramifications d’une administration dont l’alourdissement se pèse aujourd’hui dans les masses de paperasse rassemblées aujourd’hui dans de pesantes boîtes aux Archives nationales de France, tout cela s’inscrit dans ce que Ian Hacking a merveilleusement su déceler dans The Taming of Chance, soit l’émergence de sciences de la probabilité dans la seconde moitié du xixe siècle qui développent un long travail de domestication des incertitudes d’un monde qui s’avère de plus en plus indéterminé93.

Le temps (et l’espace) sont de l’argent

  • 94  Jean-Louis, « À travers l’Exposition », 8e année, no 5 (1er mars 1900), p. 75.

Une question préoccupe déjà les tenanciers de kiosques alimentaires. On leur défend, paraît-il, de vendre des repas complets en paniers, pour ne point créer de concurrences gênantes aux restaurateurs.
Or, une société se serait, dit-on, déjà formée, dans le but de vendre hors des enceintes de l’Exposition des paniers de provisions aux visiteurs qui s’y rendent.
Et déjà les kiosques se préparent à protester !
Il est possible qu’on fasse droit à leur requête, et que l’administration s’oppose à ce commerce.
Mais alors m’empêchera-t-on de me préparer moi-même à déjeuner, et d’entrer à l’Exposition avec mon panier à moi sous le bras ?
Que tout cela est compliqué !94

  • 95  Gilles Deleuze, Pourparlers, Paris, Minuit, 2003 (1990), p. 229-230.
  • 96  Gilles Deleuze, Empirisme et subjectivité : essai sur la nature humaine selon Hume, Paris, PUF, 19 (...)
  • 97  Michael Taussig, The Nervous System, Londres, Routledge, 1992.
  • 98  Voir Geoff Jones, Christine McLean et Paolo Quattrone, « Spacing and Timing », Organization, vol. (...)

32Gilles Deleuze a déjà souligné qu’il préférait la lecture des recueils de jurisprudence à celle du Code civil pour la raison qu’il favorisait la justice en train de se faire, au quotidien, plutôt que le monde des lois dans toute son abstraction95. Les institutions plutôt que les lois forment la substance de la société, nous dit-il dans un autre livre96, et l’acteur qui prétend être le plus déterminant dans l’élaboration et l’application des règlements, l’Administration, n’est-il pas lui-même une « multiplicité » effervescente formalisée par sa majuscule, à l’exemple de celle de l’État97 ? En fait, pour reprendre une thématique récurrente de la géographie humaine contemporaine, l’Exposition universelle ne peut être réduite à sa qualité d’endroit à l’intérieur duquel circulent des individus, mais doit aussi être approchée sous l’angle des pratiques et activités éphémères, qui conduisent à littéralement faire le temps et l’espace propres au lieu, à générer au sein de l’événement une créativité spatiale et temporelle qui demande une intensification des pratiques d’ordre participant aussi à la spatialisation et à la temporalisation de la manifestation98.

  • 99  Dans son travail sur les expositions commerciales à Toronto à la fin du xixe siècle, Keith Walden (...)

33Les Expositions de 1889 et de 1900 ont leur part de conflits, de controverses, ou simplement de tensions qui ponctuent leur déroulement et dans lesquels émergent des luttes économiques pour la détermination juste de l’occupation du temps et de l’espace. Nous évoquerons deux exemples qui n’ont en eux-mêmes rien de fondamentalement exceptionnel. Il serait d’ailleurs certainement aisé de trouver des épisodes plus ou moins équivalents à l’occasion d’autres Expositions universelles ou de tout autre méga-événement qui implique une grande circulation de personnes et de marchandises sur son site99. Mais ces exemples sont pertinents, car, peut-être davantage que ce qui est présenté dans les vitrines des galeries d’Exposition, ils font surgir des discours, des valeurs et des représentations qui forment la texture historique du Paris de l’époque. Le premier, qui se déroule peu après l’ouverture de l’Exposition de 1889, dans les dernières semaines printanières, est un mouvement de revendications d’un syndicat des restaurateurs et limonadiers qui se forme à l’occasion de l’Exposition universelle pour défendre les intérêts des tenanciers d’établissements de boulevard pendant l’événement. Le nœud du litige concerne les heures d’ouverture tardives de l’Exposition, qui, au vu des plaignants, nuit au commerce des restaurateurs. Le second n’est pas tant une « affaire », qu’une série de contentieux à propos de la promotion du site et de la gestion de ses équipements qui ont opposé les concessionnaires à l’Administration pendant presque toute la durée de l’Exposition de 1900.

1889 : l’Affaire de la fermeture en soirée

  • 100  « L’Exposition et le commerce parisien », L’Autorité, 4e année, no 141 (21 mai 1889), s. p.
  • 101  Bruno Latour, La science en action, Paris, Gallimard, 1995 (1989).

34« Les gargotiers de l’Exposition accaparent le public, le grugent et le dégoûtent de Paris, du vrai Paris100. » Il s’agit d’un mot signé Paul de Cassagnac, directeur de l’Autorité, qui est adressé à Arthur Meyer, directeur du Gaulois, deux grands périodiques reconnus à l’époque pour leur verve anti-républicaine. On peut s’amuser de l’argument quelque peu étrange de cette phrase qui, dans un même élan, accuse les restaurateurs de l’Exposition à la fois d’attirer le public et de le dégoûter du « vrai Paris ». Peut-on vraiment blâmer un commerçant de dégoûter le public de son concurrent autrefois populaire ? Nous n’apporterons évidemment pas de réponse à cette question, ni ne donnerons raison ou tort aux contestataires ou à l’Administration. Mais les enjeux du débat sont, eux-mêmes, particulièrement significatifs tant pour l’expérience des visiteurs que pour la gestion de l’Exposition : l’intervention sur les habitudes alimentaires du public dans le rythme quotidien de l’Exposition universelle et généralement les conséquences économiques d’une fermeture du site le soir. Alors que l’affaire prend son envol médiatique au troisième samedi de mai 1889, des acteurs, des valeurs, des représentations de l’économie émergent et travaillent à définir et à qualifier ce que doivent être une juste utilisation et répartition du temps et de l’espace dans les pratiques commerciales pour le bénéfice global de la société. De là découlent des questions essentielles sur la formalisation du marché de la restauration en contexte métropolitain à l’occasion d’un méga-événement, sur la dimension politique de l’économie et sur les référents qui emplissent les notions malléables de « peuple », de « public » et plus généralement de « bien ». À l’exemple du destin des « boîtes noires » des scientifiques101, la controverse, en apparence banale, sur les effets économiques de l’heure de fermeture des expositions établie par les Administrations entraîne les acteurs impliqués dans la polémique à redéfinir et à établir qui est le peuple, ce qu’il fait, ce qu’il désire, et ce qui répond le mieux au bien général de la collectivité.

P. Léonnec, « Paris-Bouiboui », Journal Amusant, n° 1711 (15 juin 1889), p. I.

P. Léonnec, « Paris-Bouiboui », Journal Amusant, n° 1711 (15 juin 1889), p. I.

– Plus personne dans la boite avec cette satanee Exposition… Oh oui, allez on s’y fait des cheveux !… – Je le constate, garcon, je le constate…

Le temps et l’espace sont de l’argent : alors que la population passe ses journées et ses soirées à l’Exposition universelle, les restaurateurs de la capitale qui attendaient impatiemment l’ouverture des vannes sont déconcertés de constater le vide créé par l’attraction magnétique du grand événement.

  • 102  Arthur Meyer, « Mesure à examiner », Le Gaulois, 23e année, no 2454 (18 mai 1889), p. 1.
  • 103  Ibid.
  • 104  Ibid.

35La polémique n’aurait sans doute pas fait tant de bruit si elle n’avait tant été investie de considérations partisanes qui ont pour effet automatique de former deux groupes distincts en opposition. L’affaire est déclenchée réellement le 18 mai 1889 alors que Le Gaulois, alors d’allégeance légitimiste, publie en ses lignes une lettre de son directeur Arthur Meyer envoyée la veille au président du Comité de la presse à l’Exposition Adrien Hébrard. Dans cette lettre, Meyer se fait le porte-parole des directeurs de théâtres, restaurateurs et propriétaires de cafés parisiens qui se jugent lésés économiquement par la tenue de l’Exposition universelle : « Les théâtres parisiens ne bénéficient point de l’affluence des spectateurs sur lesquels ils comptaient […]. Les propriétaires des restaurants, ceux des cafés, unissent leurs plaintes à celles des directeurs de théâtres102. » Cette situation inattendue, proviendrait du fait que « le Champ de Mars, ouvert chaque soir, fait, jusqu’à un certain point, le vide dans le reste de Paris103. » De là suit sa proposition que rejettera ultimement l’Administration et qui alimentera les railleries d’une certaine partie de la presse, notamment républicaine : « Ne pourrait-on pas demander s’il ne serait pas utile de fermer, par exemple, l’Exposition trois jours par semaine, le soir, afin de faire refluer dans l’intérieur de Paris, au bénéfice des industriels parisiens, la foule qui se porte au Champ de Mars104. »

  • 105  Arthur Meyer, « Paris et l’Exposition », Le Gaulois, 23e année, no 2455 (19 mai 1889), p. 1.
  • 106  Ibid.
  • 107  Michel Pauper, « La décadence culinaire », L’Estafette, 12e année, no 4293 (23 mai 1889), p. 1.
  • 108  F. L., « Chronique », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2(...)
  • 109  Tony Révillon, « La concurrence de l’Exposition », Le Radical, 9e année, no 143 (23 mai 1889), s. (...)
  • 110  Auguste Vacquerie, « L’Exposition le soir », Le Rappel, no 7013 (23 mai 1889), s. p.
  • 111  Auguste Vacquerie, « Contre l’Exposition », Le Rappel, no 7016 (26 mai 1889), s. p.
  • 112  Prosper-Olivier Lissigaray, « Plus d’Exposition ! », La Bataille, 1re année, 2e série, no 131 (23  (...)
  • 113  « À l’Exposition », Le Voltaire, 12e année, no 3978 (27 mai 1889), s. p.

36Nous pouvons supputer qu’une contestation relayée par un journal plus modéré, moins politiquement stigmatisé, que Le Gaulois aurait fort probablement causé moins de remous et de procès d’intention de la part du camp opposé. Meyer pressent d’ailleurs bien les procès d’intentions à venir lorsqu’il se permet d’ajouter dans l’édition du lendemain qu’« [o]n aurait tort de voir la moindre arrière-pensée politique dans l’initiative que nous avons prise hier à propos de l’Exposition et du commerce parisien105 » et que Le Gaulois a « préféré exposer une situation délicate plutôt que de laisser grandir des mécontentements qui seraient, plus tard, faciles à exploiter106 ». La réponse de la presse républicaine est unanime dans sa condamnation de l’initiative du Gaulois. L’argumentation n’est toutefois pas complètement homogène, notamment en qui concerne l’identification des rivaux. Dans L’Estafette, l’éditorialiste n’hésite pas à transposer le débat sur une opposition franche des conceptions politiques du monde social pour caractériser la lutte de ses adversaires qu’il réunit sous un même toit, ou, plutôt, sous une même couronne : « Où diable les restaurateurs absolutistes ont-ils pu prendre cette idée saugrenue que les Parisiens étaient redevables envers eux d’un certain nombre de repas, et que c’était commettre un délit à leur préjudice que d’aller manger ailleurs que chez eux107 ? » Ainsi, selon ce journaliste, non seulement les restaurateurs pétitionnaires sont-ils enrôlés dans le clan absolutiste, mais on leur attribue également, par leur prise de position, une attitude autoritaire qui nierait la souveraineté du peuple. Cette division n’est cependant pas aussi marquée dans les autres périodiques républicains qui se gardent d’attribuer des motivations politiques aux restaurateurs parisiens pour mieux contrer ce qu’ils perçoivent comme de l’opportunisme politique dans les journaux de droite. La critique de l’opposition à l’Exposition ne porte donc pas tant sur les revendications des commerçants que sur ce qui est perçu comme un opportunisme cynique. Le Radical ne se dit pas dupe des manœuvres d’instrumentalisation politique d’une cause purement commerciale par un organe du « parti du trône et de l’autel108 » et condamne ce faisant la récupération de l’affaire par les boulangistes et royalistes109. Auguste Vacquerie, du Rappel, soutient que derrière les propos des journalistes du Gaulois, s’agite de manière mal dissimulée leur opposition au régime : « On leur a demandé leur raison. Il va sans dire qu’ils n’ont pas donné la vraie. Ils ont allégué l’intérêt des restaurateurs, des limonadiers et des directeurs de théâtre110. » Il rajoute trois jours plus tard que : « Les commerçants de Paris ne seront pas dupes des aimables farceurs qui voudraient déguiser en tendresse pour eux leur haine de la République111. » La réponse la plus virulente du clan républicain vient probablement de l’ancien communard Prosper-Olivier Lissigaray qui, par l’entremise de son quotidien La Bataille, déclare aux « ennemis de République » : « Pour tuer la République, vous n’avez trouvé que Boulanger ; pour tuer l’Exposition vous n’avez trouvé que quelques gargotiers infimes. Vous en serez pour votre sottise, imbéciles qui ne vous doutez pas que la France n’est pas une cabotine, que Paris n’est pas une auberge, et qu’on y vient non pour enrichir quelques exploiteurs, mais pour s’enrichir d’idées112. » Il accuse donc en d’autres termes les éditeurs de l’Autorité et du Gaulois de monter en épingle une affaire d’importance dérisoire. Le Voltaire rapporte même à cet effet que : « M. Marguery […] déplore que l’on ait donné à la question une couleur politique et des allures aussi tapageuses, au lieu de laisser la chambre syndicale des restaurateurs défendre ses intérêts auprès des pouvoirs publics par des démarches discrètes, telles que celles qu’il avait déjà tentées auprès de MM. Tirard et Berger113. » Les défenses de l’Exposition varient donc dans le ton et dans le contenu, mais une constante demeure marquante dans la défense de l’Exposition, celle du transfert métonymique de l’événement au régime en place. Malgré les précautions prises par Arthur Meyer pour prétendre conserver son discours sur le plan des jugements de fait plutôt que des jugements de valeur, « exposer une situation délicate » plutôt que dénoncer, pour chacun des périodiques républicains qui participent au débat, la défense de l’Exposition prend la forme d’une défense du régime.

  • 114  « L’Exposition et le commerce parisien », L’Autorité, 4e année, no 143 (23 mai 1889), s. p. Voici (...)
  • 115  « Gargotiers et impressarii », Le Grelot, 19e année, no 947 (2 juin 1889), s. p.
  • 116  Arthur Meyer, « Paris et l’Exposition », Le Gaulois, 23e année, no 2457 (21 mai 1889), p. 1.

37Il faut par ailleurs souligner que le collectif qui se forme pour défendre les intérêts d’un groupe de commerçants parisiens prend, malgré le caractère économique de ses revendications, une couleur politique aisément reconnaissable qui trouve précisément son point de rassemblement dans l’opposition au gouvernement républicain. Aux voix du Gaulois et de L’Autorité de Paul de Cassagnac, journal bonapartiste aux bureaux duquel on peut procéder à la signature de la pétition en appui aux restaurateurs114, se joignent celles de l’organe boulangiste La Patrie et du journal satirique antisémite La Cocarde. C’est cette alliance de périodiques de diverses allégeances, mais qui se rencontrent néanmoins dans leur hostilité à la République qui amène le journal satirique républicain de droite Le Grelot à déplorer que dans ce conflit sur les heures d’ouvertures de l’Exposition : « Royalistes, bonapartistes et boulangeards en font une affaire d’État115. » Les forces, de puissances très inégales, sont ainsi constituées. D’un côté le regroupement des commerçants de boulevards qui trouve son appui dans quelques organes illustrés, de l’autre, l’Administration de l’Exposition avec le soutien bruyant de la presse républicaine : Le Gil-Blas, Le Rappel, le Mot d’Ordre, La République française, L’Estaffette, Le Voltaire, Le Radical. Il devient alors fort intéressant de constater un point de rencontre dans ce chassé-croisé d’accusations mutuelles. Lorsqu’Arthur Meyer déclare qu’on s’est mépris sur ses intentions et que : « Ce n’est pas de notre côté qu’on fait de la politique116 », il dit finalement sensiblement la même chose que ses opposants. Dans la lutte politique pour la construction et l’appropriation de « l’intérêt général », chacun se présente finalement comme le candidat de la neutralité des faits qui combat l’hypocrisie et l’aveuglement idéologique de l’autre.

38Deux points de blocage sous-jacents à cette vive opposition se dessinent alors dans la participation à la controverse de journalistes de différentes opinions et allégeances politiques, et font glisser le débat de la santé commerciale des restaurateurs vers des problématiques plus globales : 1) la nature des répercussions économiques de l’Exposition et 2) les finalités de l’Exposition. C’est somme toute la définition de chacun de ces points et l’aller-retour qu’ils permettent entre les considérations les plus matérielles de l’Exposition (dont le goût du public pour les jouissances sensorielles du public et les revenus des restaurateurs) et les principes les plus abstraits (l’éducation du peuple, l’unité nationale) qui donnent forme aux débats et distribue les positions.

  • 117  Paul de Leoni, « L’Exposition et le commerce parisien », L’Autorité, 4e année, no 140 (20 mai 1889 (...)
  • 118  Paul de Cassagnac, « Cruelle déception », L’Autorité, 4e année, no 142 (22 mai 1889), s. p.
  • 119  Ibid.

39Préalablement à la tenue de l’Exposition universelle, il est du travail de l’Administration de déterminer une réponse claire et solide à chacune de ces questions afin justement de neutraliser d’éventuels conflits qui se prêtent mal à cette occasion de la célébration générale : les effets économiques d’un événement d’une telle envergure doivent être soigneusement étudiés, la raison d’être de l’Exposition universelle (en cette année sulfureuse du Centenaire) doit être identifiée et affirmée avec la plus grande attention, et la réception du « peuple » et du « public », nouveaux acteurs politiques dont les noms ne cesseront d’occuper l’avant-scène, doit être gérée positivement dans la mesure du possible. Lors de l’Exposition, l’opposition cible justement sa contestation sur chacun de ces points, auxquels s’efforcent de répondre les défendeurs de l’Administration. Lorsque Paul de Leoni de L’Autorité déclare que l’ouverture de l’Exposition le soir « ne profitera qu’aux mercantis exotiques, aux riz-pain-sels et aux gargotiers qui ont eu le flair de se faire concéder des établissements au Champ-de-Mars117 », il dit finalement que cet état de fait favorise l’intérêt de quelques particuliers au détriment de l’intérêt général et que cela ne permet donc pas une juste distribution des capitaux à l’ensemble des commerçants de la ville. « Il n’y a donc qu’un coin de Paris qui gagne de l’argent, coin accaparé par quelques entrepreneurs118 », rajoute deux jours plus tard Paul de Cassagnac dans le même opuscule en soutenant lui aussi l’hypothèse que les profits générés par la restauration se retrouveront concentrés dans les mains des quelques industriels concessionnaires, mais en défendant aussi que les consommateurs eux-mêmes y perdent, avec la flambée des prix qui risque d’être délibérément provoquée par les concessionnaires : « Le seul bénéfice que Paris retirera de l’Exposition, c’est le renchérissement de tout. On y paiera les denrées alimentaires le double de ce qu’elles valent, on y mangera de la viande pourrie comme cette viande de moutons allemands qui nous arrive tous les jours et sans contrôle, des frontières de l’Est ; voilà tout119 ! » De l’extension tardive des heures d’ouvertures, on se retrouve donc par jeu d’associations à transférer le débat sur la défense du corps politique de la Nation où s’unissent devant les assauts du régime les petits commerçants, les consommateurs et les ovins du pays.

40En réponse à cette critique sur les conséquences économiques prétendument néfastes de l’Exposition qui s’appuie alors somme toute davantage sur des prévisions que sur une analyse factuelle de la situation, dans la colonne éditoriale du Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889, le journaliste crie à l’exagération des diagnostics en émettant lui aussi ses propres prévisions qui se veulent plus nuancées. Il s’adresse à cet effet aux restaurateurs parisiens et leur répond à la fois que leurs anticipations sur les contrecoups commerciaux de l’Exposition sont trop pessimistes et unilatérales, et aussi qu’ils n’ont qu’eux à blâmer pour ne pas avoir saisi la chance de s’accaparer un lot sur le site de l’événement :

Ce n’est pas au bout de quinze jours qu’on peut se faire une idée de ce que sera le mouvement de la population et des étrangers pendant les cinq mois et demi qui restent de bon à l’Exposition. Ils s’alarment trop vite. Nul doute que, le premier élan de curiosité passé, le flot ne revienne insensiblement vers Paris. Aujourd’hui, on dîne forcément à l’Exposition ; mais, qu’ils se rassurent, s’ils sont raisonnables, on reviendra à eux, surtout les étrangers, qui sont avides de tous les raffinements parisiens, aussi bien de ceux de la bouche que de ceux de l’esprit.

  • 120  F. L., « Chronique », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2(...)

Et quand même le boulevard serait un peu délaissé pendant cinq mois, les établissements de Paris n’ont-ils pas toute l’année pour se refaire et pour attirer les voyageurs ? Laissez cette brillante période à vos concurrents de l’Exposition ; et, d’ailleurs, pourquoi n’êtes-vous pas entrés en lice ? On vous a offert de prendre en commun l’exploitation de tous les cafés et restaurants du Champ de Mars, et vous avez refusé : ne vous plaignez plus maintenant, – il est trop tard !120

41En d’autres mots, l’échec commercial que prétendent vivre les restaurateurs ne serait finalement dû, selon ce commentateur, qu’à leur manque de compréhension des logiques économiques. Nous pouvons cependant constater qu’à l’intérieur de ces argumentations qui, à première vue, semblent être d’ordre exclusivement monétaire ou commercial, se trame un peuple informe d’acteurs traversés par des moralités, des sensibilités, des désirs, des raisons et des appétits. Les bouches des touristes étrangers et les goûts qu’on leur prête pour les plaisirs sensoriels de Paris et de l’Exposition se situent au cœur du litige portant sur les répercussions économiques de l’Exposition.

  • 121  Arthur Meyer, « Mesure à examiner », Le Gaulois, 23e année, no 2454 (18 mai 1889), p. 1.
  • 122  Paul de Leoni, « L’Exposition et le commerce parisien », L’Autorité, 4e année, no 140 (20 mai 1889 (...)

42À propos des débats sur les fins de l’événement, nous décelons le même phénomène. Arthur Meyer dit que : « L’Exposition a été organisée non seulement pour commémorer les souvenirs politiques qui ne rallient pas les suffrages de tous les Français, non seulement encore pour donner au génie français l’occasion solennelle de se manifester sous tous les aspects, mais aussi pour venir en aide au commerce parisien, trop éprouvé par des crises déplorables121 », et c’est justement sur ce dernier point que l’Exposition ne remplit pas sa mission. L’Autorité, aussi peu enthousiasmée par la célébration du Centenaire de la Révolution, rajoute que : « l’Exposition n’atteint plus son but d’utilité générale et universelle devant servir à développer le génie de l’industrie et faciliter l’union commerciale des peuples sur le terrain du progrès et de l’émulation122 ». Encore une fois, l’association que suggère le journaliste de L’Autorité entre les heures d’ouvertures de l’Exposition et l’avenir du génie de l’industrie et de l’union commerciale des peuples prête certainement à sourire pour le lecteur quelque peu détaché du souffle des événements de l’époque. Mais c’est justement le caractère éclaté du réseau argumentatif déployé qui constitue son intérêt, car il montre comment une activité corporelle quotidienne comme l’alimentation et une mesure telle que l’établissement d’une heure de fermeture se voient investies de considérations économiques, politiques et morales qui s’entrelacent dans le discours dénonciateur pour se cristalliser sur le problème posé par la préférence du public pour les plaisirs immédiats plutôt que pour l’élévation spirituelle :

  • 123  Ibid.

On a fait du Champ-de-Mars une sorte de kermesse, un lieu de rigolade et de plaisir où l’on se rend pour s’amuser ; et la preuve, c’est que, bien que tout le monde sache que rien n’est prêt encore, le public s’y rend en foule sans même visiter l’intérieur des galeries.
Les cafés, les restaurants, les buvettes de toute sorte regorgent de monde ; le public flotte à travers l’Exposition, il ne se préoccupe nullement des objets exposés.
Quant aux soirées, on se figure aisément ce qu’elles sont, et c’est pourquoi les théâtres, les cafés-concerts, les bals, les établissements de tout genre, surtout du genre interlope se plaignent. C’est que la clientèle des demi-mondaines et des demi-castors, si friande de rastaquouérisme, se rabat sur le Champ-de-Mars à la nuit close, propice aux relations éphémères […]
L’idée, par exemple, d’établir des restaurants et des cafés sur la tour Eiffel n’est-elle pas monstrueuse et ne peint-elle pas toute la moralité de ce gouvernement, qui s’est préoccupé avant tout et par-dessus tout de faire de l’Exposition un lieu de plaisir !123

  • 124  Paul Greenhalgh, « Education, Entertainment, and Politics : Lessons from the Great International E (...)
  • 125  Cité dans Pascal Ory, L’Expo universelle, p. 126.

43Notons bien que l’accusation ne porte pas sur l’Exposition universelle en tant qu’institution, mais précisément sur l’effacement de sa vocation didactique et utilitaire au profit de l’amusement festif. Les grandeurs de l’esprit et de morale doivent s’abaisser devant la vulgarité des jouissances sensuelles. L’histoire de l’évolution des Expositions universelles au cours de la seconde moitié du xixe siècle est en fait elle-même la matérialisation continue de cette tension créatrice entre l’établissement de dispositifs pour éduquer les citoyens et le développement de nouveaux moyens pour divertir les consommateurs124. Toutefois, le mot est lancé, et il fait fort probablement mouche dans les milieux réactionnaires convaincus de la légèreté d’esprit d’un peuple victime de toutes les séductions de la grande fête politique, ceux qui comme Maurice Barrès n’y voient que « limonade et prostitution125 ».

  • 126  Luc Boltanski, Marie-Ange Schiltz et Yann Darré, « La dénonciation », Actes de la Recherche en Sci (...)
  • 127  Gaston Jollivet, « La vie de Paris », Paris illustré, 7e année, no 73 (1er juin 1889), p. 375.
  • 128  La référence de l’article de confession de Jules Cornély dans lequel il regrette d’avoir contribué (...)
  • 129  Auguste Vacquerie, « Contre l’Exposition », Le Rappel, no 7016 (26 mai 1889), s. p.

44Le chassé-croisé d’accusations publiques qui se dessine dans la presse sur la question de la fermeture de l’Exposition universelle le soir illustre bien à ce qu’a montré Luc Boltanski sur le travail de normalisation dans l’acte de dénonciation, c’est-à-dire le passage d’un cas singulier à un exemple par une opération de montée en généralité d’une revendication, en la présentant comme l’expression neutre d’un intérêt général126. Et quoi de plus neutre que la « clientèle » et que le « marché » ? « Les restaurateurs n’ont pas voulu mettre leurs additions à la portée des fortunes restreintes. Ils ont continué à tenir la dragée aussi haute qu’autrefois à leur clientèle qui se fâche et qui finit par les déserter127 », constate Gaston Jollivet dans le Paris Illustré. À cela s’ajoute la charge de l’impératif de cohérence entre la parole et les actes qui confère à la dénonciation sa légitimité. Le Rappel ne se prive pas, pour ridiculiser les positions du camp adverse, de souligner que Jules Cornély a admis, dans Le Gaulois, avoir dîné plusieurs fois à l’intérieur du périmètre de l’Exposition128 : « Ainsi, pendant que le Gaulois gémissait sur le sort des restaurateurs du boulevard des Italiens et de l’avenue de l’Opéra, pendant qu’il les plaignait amèrement d’être délaissés pour les restaurateurs du Champ de Mars, ce n’était pas chez eux qu’il dînait, il les trahissait, il dînait chez l’ennemi129 ! » Cependant, malgré le travail de purification logique déployé des deux côtés pour asseoir leurs argumentations, nous voyons que le corps des consommateurs qui mangent et boivent, dans toute sa matérialité résistante aux pronostics et aux moralisations, n’est jamais très loin. Le débat sur la définition des heures d’ouverture est-il finalement autre chose qu’un débat sur la juste répartition des sensorialités dans l’espace parisien en contexte d’Exposition universelle ?

  • 130  David E. Nye, « Electrifying Expositions, 1880-1939 » dans Robert Rydell et Nancy E. Gwinn (dir.), (...)
  • 131  « Quelques documents », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, (...)
  • 132  Ibid.
  • 133  « Quelques documents », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, (...)
  • 134  « Sauf deux ou trois établissements culinaires qui ont superbement maintenu ou même augmenté encor (...)

45Cette histoire, on peut s’y attendre, est complètement effacée de la mémoire des Expositions universelles, et elle se terminera, comme sans doute plusieurs événements du genre, dans un chuchotement noyé avec l’échec des contestataires. Dans son discours à la réunion de l’Union syndicale des limonadiers, le directeur de l’Exposition Georges Berger est catégorique et sa position ne changera jamais d’un azimut. La lumière électrique, merveille technique visuelle et attraction en elle-même130, n’a pas été installée sur le site pour le laisser fermé trois soirs par semaine. D’ailleurs, « l’éclairage électrique facilite l’installation et l’exploitation d’établissements de consommation ou de plaisir dans des conditions particulièrement séduisantes131 », peut-on sérieusement en priver le public ? Tous ces efforts technologiques et organisationnels pour rendre le site agréable aux visiteurs ne peuvent être ainsi sabordés. À cela s’ajoutent des considérations contractuelles. Le syndicat des électriciens s’est engagé, dès 1887, à fournir l’éclairage à condition que l’Administration lui verse la moitié des entrées du soir et la concession exclusive de l’éclairage des lieux de consommation. De plus, dans l’affiche de l’appel à concessions publiée le 17 février 1888 en vue de l’adjudication du 17 mars, il est bien indiqué : « Nota. – Les concurrents sont informés que l’Exposition restera ouverte le soir132 ». L’éventuelle fermeture ouvrirait ainsi une boîte de Pandore qui risque d’accumuler les recours juridiques envers l’Administration : « Aussi les concessionnaires de l’Exposition sont-ils unanimes à déclarer qu’ils sont résolus à porter leurs réclamations devant qui de droit si on ferme l’Exposition le soir. En soumissionnant, ils ont, disent-ils, fait une large part à la probabilité des recettes du soir, et ils considèrent qu’il serait souverainement injuste de les en priver133. » Ainsi se conclut la lutte pour l’espace et le temps des consommateurs entre un contingent d’industriels parisiens d’un côté et l’Administration et les concessionnaires de l’autre. Quelques mois plus tard, sous les chaleurs du soleil estival qui attire encore davantage de touristes, les plaintes sont dissipées sous l’activité commerciale des restaurateurs dont le creux de vague n’aura été que passager134. Peut-être les premiers n’ont-ils pas au premier abord imaginé à quel point les miracles de la future fée allaient conquérir les cœurs vespéraux des visiteurs. Toujours est-il que la reconfiguration du temps et de l’espace des pratiques de consommation alimentaire qu’introduisent les spectaculaires installations lumineuses ne se fait pas sans frictions et mécontentements. Au Champ-de-Mars, le capitalisme est parti à la conquête des heures noires. Les combats sont bien gagnés, le public de citoyens prend la forme d’un marché de consommateurs, mais la bataille est fort laborieuse, et elle le sera encore davantage en 1900.

1900 : L’Administration contre les concessionnaires

46Il faut dire d’emblée que l’Exposition de 1900 a eu somme toute une réception beaucoup moins enthousiaste que l’Exposition de 1889. Gustave Babin, dans son livre virulent au titre évocateur, Après faillite, compile tous les dysfonctionnements organisationnels qui auront pu égratigner le déroulement de la grande fête et troubler l’enthousiasme général. À propos de l’alimentation, il fait part de sa perception des imprévoyances de l’Administration :

  • 135  Gustave Babin, Après Faillite. Souvenirs de l’Exposition de 1900, Paris, Dujarric & Cie, 1902, p.  (...)

On avait eu, précédemment, à pourvoir à la nourriture des foules formidables qu’on attendait. On estima que vingt-sept restaurants y suffiraient, dans toute l’étendue de l’enceinte. Et on les mit en adjudication. L’affaire, dans ces conditions, parut bonne à « l’Alimentation ». Elle soumissionna avec un ensemble tel, qu’on cite certains des adjudicataires qui, avant d’ouvrir boutique, avaient déjà 345 000 francs de frais. Or, comme chacun des Commissaires généraux étrangers, propriétaire, en somme, pour la durée de l’Exposition, du terrain sur lequel s’élevait son pavillon national, s’était empressé, à l’exception de deux nations, d’y installer un cabaret ; comme plusieurs autres concessionnaires en firent autant, on se trouva, finalement, en présence de cent soixante-dix-sept établissements vendant à boire ou à manger, ou même les deux. Ce fut la ruine pour tous.135

  • 136  Voir Nigel Thrift, « It’s the Little Things » dans Klaus Dodds et David Atkinson (dir.). Geopoliti (...)

47L’incarnation du capitalisme international au cœur de Paris instituée par la tenue de l’Exposition universelle se retrouve finalement empêtrée dans une constellation de forces sociales et institutionnelles nécessaires à son actualisation, mais dont les agencements pénibles et équivoques sont à l’origine de déséquilibres dans le commerce de la restauration. En mettant précisément l’accent sur la trop grande concentration d’établissements commerciaux concurrents, la critique citée nous engage directement dans la question de l’importance déterminante de la spatialité du marché en mettant en cause la juste distribution des zones de vente, et plus généralement la juste utilisation de l’espace de l’Exposition. À travers l’évocation de quelques conflits qui ont opposé en 1900 les concessionnaires d’établissements de consommation alimentaire à l’Administration, nous voulons donc faire ressortir, au cœur de ces contentieux, l’importance déterminante de l’action des « petites choses136 » qui composent l’espace et le temps de l’Exposition universelle et qui deviennent essentielles à son fonctionnement commercial.

  • 137  Thargelion, « Les coulisses de l’Exposition », L’Aurore, 4e année, no 922 (28 avril 1900) p. 2.
  • 138  « Nous devions, d’ailleurs, d’autant mieux croire à la réalité de cette concession que notre pavil (...)

48Si les récriminations des restaurateurs parisiens au printemps 1889 sont au moins une preuve en négatif du grand succès commercial de l’entreprise, les contentieux auxquels feront face les administrateurs de l’Exposition de 1900 mettent inversement en lumière certaines défaillances organisationnelles, car ils sont principalement de nature interne et concernent les manières de faire de l’Administration. Commençons par deux exemples qui mettent précisément en cause la répartition et l’usage de l’espace à l’Exposition. Le premier est un litige qui éclate à la fin avril suite à l’arrestation de Marsollot137, gérant de la société des Indes françaises, et dont les suites judiciaires se poursuivront jusqu’en 1901. Le prévenu est accusé d’avoir procédé à la sous-location illégale d’emplacements de consommation alimentaire sur la colline du Trocadéro et d’avoir ainsi escroqué plusieurs particuliers et industriels, dont la société Amer Picon, qui après avoir déboursé pour l’acquisition de l’emplacement et l’érection des kiosques, se voient sommés par les inspecteurs de l’Administration de démolir leurs bâtiments qui n’ont jamais reçu d’approbation officielle. Pourtant, selon ce qu’en dit Picon dans une lettre adressée au ministre Alexandre Millerand, les services d’inspection ne sont jamais intervenus au moment de la construction du kiosque, ce qui incidemment a laissé croire à la légitimité de l’entreprise138. Le second est un démêlé entre les concessionnaires de l’annexe de Vincennes qui se plaignent à l’été d’une trop faible affluence due à une publicité insuffisante sur le site principal font effectivement surgir le problème de l’attraction inégale des visiteurs sur une partie excentrée de l’Exposition, qui, aux dires de nombreux commentateurs dans la presse, n’a pas été suffisamment mise en valeur et n’a pas été convenablement soutenue par un service de transport efficace. Chacun de ces cas fait ressortir des failles organisationnelles qui montrent à quel point l’espace de l’Exposition, sa disposition et son usage, dans toute leur matérialité, sont un enjeu commercial de premier ordre dont les polémiques et revendications qui l’agitent mettent justement en exergue son caractère mouvant, contingent, vivant, sensible.

  • 139  Émile Berr, « L’Exposition », Le Figaro, 46e année, no 258 (15 septembre 1900), p. 3.

49Les conflits entre concessionnaires et administrateurs atteignent un point culminant à la mi-septembre alors qu’une soixantaine de concessionnaires se réunissent au restaurant de Suède sur la rue des Nations afin d’élaborer le projet d’intenter une action collective contre l’État et de convoquer une assemblée générale des concessionnaires pour soumettre une menace de grève à l’endroit de l’Administration. Leurs griefs sont au nombre de quatre : « 1o les retards apportés dans l’achèvement des travaux de l’Exposition ; 2o les promesses fallacieuses qui leur ont été faites au moment de l’adjudication des établissements ; 3o la négligence dont a fait preuve l’administration dans l’exécution des charges qui lui incombaient ; 4o la modification arbitraire qui a été apportée au plan principalement adopté et soumis aux intéressés139 ».

  • 140  Trois semaines après l’ouverture de l’Exposition, plusieurs pavillons sont inauguré mais sans tout (...)
  • 141  « L’Exposition », La Liberté, 35e année, no 13057 (10 septembre 1900), p. 2.

50Sur ces quatre points de litige, c’est le premier qui reçoit le plus vif écho dans la presse, ce qui est probablement dû à deux raisons. Tout d’abord, les conditions matérielles du commerce imposées par les retards de construction concernent non seulement l’entrepreneur, mais aussi directement le public, son utilisation du site et les rapports qu’il entretient avec les concessionnaires. L’ouverture de l’Exposition ne se fait pas sur une note parfaite, loin s’en faut, alors qu’à la mi-avril, au moment de l’inauguration, de nombreux bâtiments sont encore en construction et inaccessibles au public. Ce dernier doit donc, à son désarroi, composer dans sa visite avec l’activité ouvrière affairée à compléter la mise en place des expositions sur le site, et avec le mouvement importun d’hommes et d’objets nuisant à la fluidité de la visite140. La deuxième raison tient au contenu de la demande, qui est la remise du tiers des sommes déboursées, « ce tiers correspondant aux deux mois d’inactivité forcée qu’ils ont dû subir à cause du retard de l’installation de l’Exposition141 ». Il apparaît donc que le nœud du problème est avant tout l’effritement du temps des consommateurs dû à la mauvaise préparation de l’espace.

51Les effets de cet état de choses qui perdure pendant plusieurs semaines au printemps de 1900, ne touchent cependant pas uniquement la qualité de la circulation ou plus généralement l’expérience esthétique et sensible de la visite à travers chantiers et palais incomplets, mais va aussi jusqu’à priver littéralement, pour certains exploitants, l’accès à leur établissement. Tel est le cas du restaurant viennois situé sur l’esplanade des Invalides. Ainsi que le relate un de ses responsables dans La Presse au moment où la menace de grève semble se lever :

[…] dès le jour d’ouverture, le public devait pouvoir traverser les galeries et arriver jusqu’à nous.

Or, vous savez que pendant quarante-cinq jours, à partir de six heures du soir, les galeries ont été fermées et que nous étions, de ce fait, emprisonnés.

  • 142  « L’Exposition en grève ? », La Presse, 67e année, no 3031 (15 septembre 1900), p. 1.

En outre, pendant plus longtemps encore, notre emplacement n’a été qu’un chantier dégoûtant, un cloaque infect, que les visiteurs évitaient.142

  • 143  Simone Delattre, Les douze heures noires : La nuit à Paris au xixe siècle, Paris, Albin Michel, 20 (...)
  • 144  Wolfgang Schivelbusch, Disenchanted Night : The Industrialization of Light in the Nineteenth Centu (...)
  • 145  Selon le rapporteur, cette décision a été prise par les exposants des galeries eux-mêmes, réticent (...)
  • 146  Fabien, « Petit courrier de l’Exposition », Le Figaro, 45e année, no 115 (25 avril 1900), p. 3.

52À cela s’ajoute le problème de l’éclairage. En cette fin de xixe siècle, la conquête de la nuit par l’installation de l’électricité a évidemment un effet direct sur la redéfinition de la géographie des pratiques quotidiennes143, et tout particulièrement en ce qui concerne la consommation alors que la lumière électrique introduit un nouveau rapport perceptif aux objets mis en vitrine144. Mais alors que 1889 est trop éclairée aux yeux des restaurateurs de boulevards qui voient l’Exposition siphonner leur clientèle nocturne, 1900 ne l’est pas assez pour les concessionnaires qui peinent à attirer les consommateurs dans une obscurité imprévue. Tel qu’indiqué plus haut, les galeries d’expositions ferment prématurément : pas plus tard que 6 h 30 en avril, en mai et pendant la première quinzaine de juin, à 7 h lors de la période estivale, puis encore à 6 h 30 pendant la seconde quinzaine de septembre, à 6 h dans les deux premières semaines d’octobre, puis à 5 h 30 dans les dernières semaines de l’Exposition145. De plus, bien que le Rapport fasse savoir que le site reste chaque soir ouvert au public jusqu’à 11 h, les « Petits courriers de l’Exposition » du Figaro nous indiquent jusqu’au 25 avril qu’à 7 h du soir, la retraite de la Garde municipale annonce la fermeture de l’Exposition146.

  • 147  « L’Exposition », L’Aurore, 4e année, no 917 (23 avril), p. 2.
  • 148  Fabien, « Petit courrier de l’Exposition », Le Figaro, 45e année, no 113 (23 avril 1900), p. 3.
  • 149  Le tableau de la répartition des foyers d’éclairage dans le troisième tome du Rapport fait état de (...)
  • 150  « L’Exposition », La Liberté, 35e année, no 12930 (4 mai 1900), p. 2.
  • 151  « L’Exposition en grève ? », La Presse, 67e année, no 3031 (15 septembre 1900), p. 1.
  • 152  Archives nationales de France, F/12/4531, Redevances fixes, le Monde sous-marin, Aquarium de Paris

53Il se trouve donc qu’en avril, alors que le soleil quitte l’azur en une heure encore précoce, la rue des Nations serait plongée dans l’obscurité, au grand dam des différents restaurants nationaux147. Curieusement, l’édition du Figaro du même jour donne un témoignage contradictoire en qualifiant l’éclairage vespéral de « complètement réussi148 », et le Rapport général ne fait aucune mention (ce qui est en soi prévisible) d’un manquement à l’éclairage de certaines parties de l’Exposition, ou d’une quelconque panne d’électricité ayant affecté l’Exposition149. Cependant, quelle que soit la vérité à propos de l’illumination de la rue des Nations lors de la soirée du dimanche 22 avril, le fait significatif est que l’éclairage se trouve mobilisé comme un enjeu de première importance pour le bien-être commercial des concessionnaires. Deux semaines plus tard, le chroniqueur du quotidien La Liberté crie à l’injustice au nom des concessionnaires : « Les malheureux concessionnaires sont privés d’électricité. On leur a fait payer d’avance le courant prévu dans les contrats, mais on ne le leur a pas distribué. De là, arrêt d’un certain nombre d’attractions, réclamations et probablement aussi procès dont les contribuables feront finalement les frais, car l’administration n’entend pas accorder la moindre redevance aux exposants ainsi lésés150. » Au moment fort du conflit, en septembre, les plaintes au sujet de l’éclairage déficient semblent généralisées, selon ce qu’en dit La Presse dans son dossier sur le sujet, particulièrement chez les restaurateurs de la rue de Paris sur la Rive droite, et au restaurant de l’Aquarium au Trocadéro qui, aux dires de son propriétaire, doit fermer ses portes à huit heures du soir à cause de l’éclairage déficient151. Le rapport des gérants de la Société de l’Aquarium et du théâtre des « Bonhommes Guillaume », fait ainsi état des manquements de l’Administration dans l’exécution des travaux qui ont ainsi faussé leurs calculs budgétaires, déplore que « Le bord de la Seine, devant nos attractions, devait être transformé en un boulevard brillamment décoré et éclairé le soir » et que « La rue de Paris enfin devait avoir un caractère d’élégance susceptible d’y attirer et d’y retenir la clientèle riche152. »

  • 153  Émile Berr, « L’Exposition », Le Figaro, 46e année, no 258 (15 septembre 1900), p. 3.
  • 154  « L’Exposition en grève ? », La Presse, 67e année, no 3031 (15 septembre 1900), p. 1.
  • 155  « Les concessionnaires de l’Exposition », La Fronde, 4e année, no 1013 (17 septembre 1900), s. p.
  • 156  « Échos », Le Moniteur de 1900, organe de l’Exposition, no 14 (mai 1900), p. 251.

54Les insuffisances lumineuses sont donc un embarras commercial assez grave et généralisé pour provoquer la constitution d’un syndicat d’exploitants a priori concurrents et se disputant le même marché, qui décident de s’allier pour ultimement intenter une action collective. La chose a en effet de quoi surprendre pour l’Administration qui, dans sa tentative de résoudre le démêlé dit privilégier avant tout le cas par cas : « Chaque concession a son régime propre ; certaines ont à faire valoir des griefs que d’autres ne sauraient invoquer. Ce sont là des “espèces” qui ne sauraient être examinées en bloc, comme le seraient des réclamations d’ouvriers d’une même usine153. » Dans La Presse, un haut-responsable de l’Exposition resté anonyme défend que ce n’est qu’en cas de « force majeure » qu’ils n’ont pu respecter leurs engagements, et invoque le risque économique propre à toute entreprise pour expliquer les déboires financiers de certains concessionnaires : « Ils savaient, en soumissionnant, les risques qu’ils allaient courir154. » Même son de cloche dans La Fronde, qui reprend aussi à son compte le credo libéral du risque inhérent à tout investissement : « À qui la faute ? à l’État ? Mais non – à eux seuls qui ont commis une erreur de prévision tout comme l’industriel qui a acheté en hausse sa matière première n’ayant pas su prévoir la baisse, tout comme le commerçant n’ayant pas approvisionné son stock parce qu’il n’a pas su prévoir la hausse155. » Ce serait d’ailleurs l’engouement des concessionnaires au moment de l’adjudication qui aurait créé artificiellement la hausse de leurs charges156.

  • 157  « Article 31. Concurrence. – L’Administration se réserve le droit de concéder autant d’établisseme (...)
  • 158  « Article 33. Contestations. – Avant d’être déférées à la juridiction compétente, les contestation (...)
  • 159  Luc Boltanski et Laurent Thévenot, De la justification : les économies de la grandeur, Paris, Gall (...)
  • 160  Lors du conflit de 1889, Alfred Jourdan dit dans la Revue d’économie politique : « il vient de se (...)

55Cela nous conduit aux trois autres points de la polémique : les « promesses fallacieuses » de l’Administration, sa « négligence » dans l’exécution des charges qui lui incombaient et la « modification arbitraire » apportée au plan d’origine. Ces reproches pourraient être rassemblés et traduits en une seule accusation qui serait le manque de stabilisation dans l’exécution des tâches ou le règne de l’imprévisible dans le devenir des hommes et des choses. L’Administration a évidemment prévu le coup dans une certaine mesure avec l’Article 31157 sur la concurrence et l’Article 33158 sur la contestation dans le Cahier des clauses, qui chacun peuvent être considérés comme des dispositifs de stabilisation, des énoncés matérialisés qui ont précisément pour objectif d’endiguer une inflation de litiges juridiques dans l’éventualité d’imprévus commerciaux. Mais d’un autre côté, pour le concessionnaire, le risque impliqué dans l’investissement est un principe acceptable en autant que les règles du jeu annoncées préalablement ne changent pas au cours de la partie. Si nous reprenons la typologie des régimes de justification définie par Luc Boltanski et Laurent Thévenot159, nous constatons que cette lutte qui oppose des concessionnaires à l’Administration, et dans laquelle se mêlent des intérêts particuliers à des intérêts généraux, correspond à une tension critique émanant de la cohabitation de deux mondes, ou échelles de grandeur, soit le monde civique, à l’intérieur duquel la justesse des actions et des références gravite autour de la notion d’intérêt collectif, et le monde marchand, organisé autour de l’idée de concurrence. Or, les arguments mobilisés chaque côté pour défendre sa cause montrent qu’il ne s’agit pas d’une confrontation entre l’intérêt particulier des commerçants et la rationalité civique des organisateurs de l’Exposition, mais d’un enchevêtrement des deux régimes de justification, par exemple quand l’Administration invoque à la fois la souveraineté du Cahier des charges (la garantie juridique de l’égalité de tous dans le monde civique) et le risque économique (la nécessité d’une clairvoyance détachée pour la réussite dans le monde marchand160), ou quand les concessionnaires dénoncent d’un même souffle l’entrave au développement du commerce par l’Administration et sa mauvaise administration de la concurrence sur le site.

  • 161  Albéric Plumet, « La farce de l’Exposition », La Cocarde, 13e année, no 5088 (11 mai 1900), p. 1.
  • 162  « L’Exposition sera prête en juin », La Cocarde, 13e année, no 5088 (11 mai 1900), p. 2.

56Malgré le caractère interne de ce litige qui marque sa différence fondamentale nous pouvons néanmoins dégager deux points de convergence entre les deux « Affaires » ici évoquées. Tout d’abord, la politisation partisane de l’affaire, beaucoup moins importante en 1900, mais néanmoins présente, qui témoigne des fractures qui traversent le paysage politique de la France des premières décennies de la IIIe République. Dans la suite immédiate de l’affaire Dreyfus qui n’a évidemment rien fait pour apaiser le climat, une certaine presse n’hésite pas à colorer idéologiquement les déboires logistiques des premiers mois de l’Exposition. Le journal antisémite La Cocarde dit à propos des concessionnaires : « cette administration cruelle et imbécile s’est comportée vis-à-vis d’eux, avec la férocité d’un vieux juif161 ». Pour résumer l’argument du journal, les juifs sont responsables des pannes d’électricité à l’Exposition, car les dreyfusards du gouvernement et la collusion généralisée entre les républicains et la « juiverie internationale », ont empêché le ministère Waldeck-Millerand de réaliser une exposition convenable dans les temps, alors qu’il consacre toutes ses énergies à sauver le capitaine162. Aussi, à l’exemple du litige de 1889 entre l’Administration et les établissements parisiens, nous remarquons encore une fois le rôle fondamental de l’assemblage des objets, des contingences matérielles, dans la distribution de l’espace et du temps de consommation du public dont dépendent les restaurateurs pour leur santé commerciale et les consommateurs pour leur satisfaction sensorielle sur le site.

  • 163  Burton Benedict (dir.), The Anthropology of World’s Fairs : San Francisco’s Panama Pacific Interna (...)
  • 164  Sur ce paradoxe, voir Annemarie Mol et John Law « Complexities : An Introduction » dans John Law e (...)

57Une lecture anthropologique des Expositions universelles invite inévitablement un rapprochement avec le potlatch : d’immenses dépenses symboliques investies par les organisations des diverses expositions internationales de la fin du xixe siècle dans leur course au grandiose163. La comparaison a cependant ses limites. Les Expositions universelles se tiennent pendant six mois. L’efficacité symbolique de la manifestation est tributaire d’un ensemble d’actions et de procédures nécessaires à son fonctionnement. Les écueils insurmontables pour l’établissement d’un marché parfait et transparent, livré aux auspices de la bienveillante main invisible, dans le cadre des Expositions universelles tiennent justement au fait que les consommateurs eux-mêmes ne peuvent jamais s’extraire du caractère vivant, toujours partiellement imprévisible, d’un lieu qui se définit lui-même par sa pluralité. Ainsi s’explique l’assemblage complexe et mouvant des mesures et de la réglementation. À la multiplicité des activités de la masse de consommateurs et des commerçants, doit répondre la diversité des pratiques d’ordre mises en place pour standardiser le flux de personnes et d’aliments. Celles-ci se voient ainsi paradoxalement contraintes à se complexifier en vue précisément de simplifier le déroulement des actions sur les sites des expositions164.

Notes

1  Gustave de Molinari, « Chronique », Journal des économistes, 4 série, t. 46, no 5 (mai 1889), p. 310.

2  Henri Malo, « Les anciennes colonies », Figaro illustré, 18e année, 2e série, no 125 (1900), p. 188.

3  Guy Debord, La société du spectacle, Paris, Gallimard, 1994 (1967).

4  Giorgio Agamben, Stanze. Parole et fantasme dans la culture occidentale, Paris, Rivages, 1994 (1992), p. 77.

5  Cité dans Marcel Galopin, Les expositions internationales au xxe siècle et le Bureau international des expositions, Paris, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 12.

6  Après tout, la réalité des pratiques organisationnelles et l’imaginaire des fictions utopiennes ne sont pas si éloignées qu’on le croit dans leurs constructions théoriques d’un monde meilleur. Martin Parker, « Utopia and the Organizational Imagination : Outopia » dans Martin Parker (dir.), Utopia and Organization, Oxford, Blackwell, 2002, p. 1-8.

7  Frank Cochoy, « A Sociology of Market-Things : on Tending the Garden of Choices in Mass Retailing » dans Michel Callon, Yuval Millo et Fabian Muniesa (dir.), Market Devices, Oxford, Blackwell, 2007, p. 107-129.

8  Pour reprendre la thèse d’ensemble de Karl Polanyi, La grande transformation : aux origines politiques et économiques de notre temps, Paris, Gallimard, 1983.

9  Voir sur le sujet Noel Castree, « Economy and Culture are Dead ! Long Live Economy and Culture », Progress in Human Geography, vol. 8, no 2 (2004), p. 204-226.

10  Elsbeth Heaman, Exhibition in Canadian Society during the Nineteenth Century, Toronto, University of Toronto Press, 1999, p. 15-16.

11  Michel Callon, « Actor-Network Theory – The Market Test » dans John Law et John Hassard (dir.), Actor Network Theory and After, Oxford, Blackwell, 1999, p. 181-195.

12  Franck Cochoy, Une histoire du marketing : discipliner l’économie de marché, Paris, La Découverte, 1999.

13  Fabian Muniesa, Yuval Millo et Michel Callon, « An Introduction to Market Devices » dans Michel Callon, Yuval Millo et Fabian Muniesa (dir.), Market Devices, Oxford, Blackwell, 2007, p. 1.

14  Voir Colin Michael Hall, Hallmark Tourist Events : Impacts, Management and Planning, Londres, Belhaven, 1992.

15  Ibid., p. 232.

16  Nous citerons donc de maière extensive la relation des faits telle que transcrite dans le Rapport officiel, car le conflit qui en a résulté a permis de mettre en évidence quelques enjeux essentiels dans la gestion des espaces commerciaux à l’intérieur des Expositions universelles : « La Commission avait concédé pour 35 000 francs à un fermier le droit de placer 6 000 chaises dans le Champ-de-Mars. Les restaurateurs, pressés par l’affluence des consommateurs, se croyant autorisés d’ailleurs par un usage général à Paris, étaient bientôt sortis des limites assignées à leur local, et avaient placé des tables et des chaises sur le promenoir extérieur. La Commission impériale, qui pensait s’être réservé par son traité le droit absolu de répartir les chaises dans l’enceinte du Parc et du palais, toléra cet empiétement. Le fermier des chaises se crut lésé par cette tolérance, et après de longs débats obtint gain de cause par un arrêt du 13 août 1867, qui obligea la Commission à faire disparaître les chaises des restaurateurs. Cet événement eut lieu le 23 août, non sans une certaine émotion du public, accoutumé à manger en plein air. Le procès continua. La Commission fut condamnée en première instance, par un jugement du 16 mai 1868, à 229 071 francs de dommages-intérêts, chiffre qui fut réduit à 120 000 francs par un arrêt de la Cour du 5 janvier 1869. Les restaurateurs, à leur tour, se plaignirent de l’enlèvement des chaises, et n’ayant pu faire accueillir leur demande en référé (ordonnance du 28 août 1867), ils soulevèrent au principal une instance, qui est actuellement pendante. De telle sorte que la commission, après avoir bénévolement défendu leurs intérêts et souffert des empiètements qui ont entraîné pour elle des embarras et des sacrifices considérables, se trouve aujourd’hui en butte à un nouveau procès de la part de ceux mêmes pour qui elle avait accepté la lutte, et qui prétendent puiser un droit dans sa tolérance ». Ibid., p. 236.

17  Stephen Linstead, « Organization as Reply : Henri Bergson and Casual Organization Theory », Organization, vol. 9, no 1 (2002), p. 95-111.

18  Rapport sur l’Exposition universelle de 1867 à Paris, Paris, Imprimerie impériale, 1869, p. 230.

19  « En vue de réaliser des bénéfices importants, la Commission de 1867 avait fait de toutes ces concessions autant de privilèges, qui lui avaient été chèrement achetés. Malheureusement elle fut, à cette occasion, obsédée de récriminations, d’attaques, de procès, dont elle ne put se tirer qu’à grand’peine, avec des pertes considérables et d’interminables retards dans sa liquidation ». Rapport administratif sur l’Exposition universelle de 1878 à Paris, Paris, Imprimerie nationale, 1881, t. 1, p. 157-158.

20  Ibid., t. 1, p. 158. Pour réduire au mieux les recours juridiques de la part de concessionnaires, l’article 16 du Cahier des clauses et conditions à imposer aux exposants et permissionnaires imposées aux exposants et aux permissionnaires admis à construire dans les parcs et les jardins stipule que « Les contestations qui pourraient naître entre l’Administration de l’Exposition et les permissionnaires seront, préalablement à toute instance, examinées par trois personnes compétentes ayant fait partie des comités d’admission ou prises dans le Jury des récompenses. L’une de ces personnes sera désignée par le Commissaire général, l’autre par le réclamant, et la troisième, par les deux premières. Les permissionnaires s’engagent formellement à n’entamer aucune action avant d’avoir pris l’avis de ce conseil de conciliation. » Ibid., t. 2, p. 197.

21  Ibid., t. 1, p. 158.

22  Ibid., t. 1, p. 158-160. Mentionnons également qu’en 1878 comme en 1889 et en 1900, l’administration établira le montant des redevances selon le nombre de visiteurs payants à l’Exposition plutôt qu’en fonction des profits des commerçants afin d’éviter de s’aventurer dans les comptabilités de chacun des concessionnaires. Encore une fois, il s’agit par cette démarche autant de court-circuiter les possibilités de fraudes que de maintenir un contrôle sur les incertitudes économiques propres à l’exploitation d’une entreprise à l’Exposition universelle.

23  Archives nationales de France F/12/3836, Concession des kiosques à établir dans le Champ-de-Mars pour vente de journaux, cigares, jouets, etc.

24  Harrison C. White, Identity and Control : A Structural Theory of Social Action, Princeton, Princeton University Press, 1992, p. 9.

25  « Nul ne pouvait être adjudicataire de plus d’un kiosque. Sinon, de véritables accaparements se seraient produits au profit de sociétés et de puissants industriels. L’Administration tenait à prévenir ces accaparements, d’une part, afin de maintenir une concurrence salutaire dans l’intérêt des consommateurs, et, d’autre part, afin de ne pas sacrifier les petits commerçants qui attendaient avec impatience cette occasion de travail et de bénéfice. » Rapport de 1900, t. VII, p. 201-202.

26  Picard, op. cit., Pieces annexes, p. 256.

27  Archives nationales de France F/12/3836, Concession des kiosques à établir dans le Champ-de-Mars pour vente de journaux, cigares, jouets, etc.

28  Rapport de l’Exposition de 1900, t. IX, p. 607. En 1889, la conclusion de l’Article 18 du Cahier des clauses et conditions particulières relatives aux restaurants, cafés, brasseries, buffets, etc. est aussi tout à fait claire à cet effet : « le concessionnaire ne pourra, dans aucun cas et sous aucun prétexte, réclamer une indemnité soit à l’Administration, soit aux autres pensionnaires ou adjudicataires pour cause de concurrence ». Picard, op. cit., p. 256.

29  À tel point qu’on introduit dans le Cahier des clauses et conditions particulières relatives aux restaurants, cafés, brasseries, buffets, etc. un article intitulé « Obligation d’exploiter » qui précise que : « Le concessionnaire ne pourra, dans aucun cas, interrompre, même momentanément, son exploitation pendant la durée de l’Exposition » et que « [t]oute infraction à cette clause, lorsqu’elle aura été régulièrement constatée, entraînera de plein droit le retrait de la concession ». Picard, op. cit., p. 254-255.

30  Ibid., p. 253.

31  Voir notamment Franck Cochoy, « Driving a Shopping Cart from STS to Business, and the Other Way Round : On the Introduction of Shopping Carts in American Grocery Stores (1936 – 1959) », Organization, vol. 16, no 1 (2009), p. 31 – 55.

32  Delphine Gardey, Écrire, calculer, classer : comment une révolution de papier a transformé les sociétés contemporaines (1800-1940), Paris, La Découverte, 2008.

33  Rapport de 1889, t. III, p. 373.

34  Kevin Hetherington, The Badlands of Modernity : Heterotopia and Social Ordering, Londres, Routledge, 1997.

35  Le film du cinéaste Terrence Fisher Si Paris l’avait su (1949) met en scène la disparition mystérieuse d’un visiteur britannique pendant l’Exposition de 1889. On apprend à la fin du film que le visiteur était atteint de la peste et que sa disparition a été organisée par les autorités pour éviter que le bruit d’un cas de peste se répande dans la population et ruine le déroulement de l’Exposition.

36  « Échos », Le Figaro, 46e année, 3e série, no 164 (13 juillet 1900), p. 1.

37  Nous reviendrons sur l’hygiène des « populations exotiques » au chapitre 4.

38  « Le Commissariat général se préoccupait vivement des conditions dans lesquelles devraient être établies les cuisines des établissements de consommation ». Rapport de 1900, t. VII, p. 24.

39  « Échos », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré. 2e série, no 21 (3 juin 1889), p. 4.

40  Voici la relation des événements dans le Bulletin officiel de l’Exposition de 1889 : « Hier matin, vers onze heures, quatre personnes étaient amenées successivement à l’infirmerie de l’Exposition ; c’était d’abord un sieur Vervoort, puis M. et Mme Van Hoove et enfin M. Bau, sergent au 21e de ligne. Ces quatre visiteurs, pris de vomissements violents, donnaient tous les symptômes d’un empoisonnement sérieux. Interrogés, ils déclarèrent qu’ils sortaient de la rue du Caire où ils venaient de boire ces liqueurs si séduisantes d’aspect – au ton variant du rubis à l’émeraude – que préparent avec des bonbons de colorations diverses les débitants de la section égyptienne au Champ-de-Mars. Pendant qu’on leur donnait les premiers soins, une enquête sommaire était faite d’où il résulta que c’est chez un sieur Kattiny qu’ils s’étaient désaltérés et que c’était sans doute à la malpropreté ou au manque de soins de son domestique Salem qu’il fallait attribuer l’accident. Bien que, en effet, la coloration des bonbons qui servent à la fabrication de ces liqueurs soit obtenue au moyen de produits souvent dangereux, tels que l’aniline, la fuchsine, etc., ces produits sont employés en si petite quantité qu’il faut probablement cherche ailleurs la cause de l’intoxication d’hier. Un fait tendrait d’ailleurs à corroborer cette supposition. Le commissaire de la section égyptienne, M. Delort de Gléon, a bu chaque jour, depuis l’ouverture de l’Exposition, la liqueur cause de l’accident et n’en a jamais ressenti aucune indisposition ; hier au contraire, après s’être rafraîchi selon son habitude avec les boissons de la rue du Caire, il a pu constater sur lui-même les premiers indices d’un empoisonnement et a du garder la chambre toute la journée. À la suite de cette première enquête faite par les soins de M. Mouquin, commissaire de police chargé du service du Champ-de-Mars, M. Berger, directeur général de l’exploitation a, par mesure de prudence, donné l’ordre de fermer immédiatement tous les établissements de la rue du Caire vendant des objets de consommation, tels que confiseries, débits de boissons, etc. De midi à deux heures, M. Bouquin a procédé à la fermeture de douze de ces établissements ; la même mesure va très probablement être étendue au Maroc, jusqu’à ce qu’une enquête plus complète ait déterminé les causes exactes de ce commencement d’empoisonnement. Le sieur Kattiny, chez qui, ainsi que nous l’avons dit, ont été vendues les boissons en question, semblait tellement convaincu de l’innocuité de ses produits, qu’il a voulu au commissariat boire un verre de sa boisson. Force lui a été de rabattre immédiatement de la confiance qu’il témoignait en ses consommations, car il a été aussitôt pris de violentes crampes d’estomac. »« L’incident de la rue du Caire », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no 35 (18 juin 1889), p. 3-4.

41  « Échos », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no 37 (20 juin 1889), p. 3.

42  « Surveillance de l’alimentation », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no 45 (28 juin 1889), p. 4.

43  « Le chimiste-expert attaché au service médical de l’Exposition qui, à la suite de commencements d’empoisonnement que nous avons rapporté, avait été chargé de faire l’analyse des limonades et bonbons vendus rue du Caire, vient de déposer son rapport entre les mains du commissaire de police chargé de l’enquête. Ce rapport établit : 1o Que les substances employées à la confection des bonbons et limonades ne contiennent rien de nuisible ; 2o Que les indispositions qui se sont produites doivent avoir pour cause le séjour d’une limonade dans des vases contenant du plomb et du zinc ; 3o Enfin, que tous les vases métalliques, quelle que soit leur nature, même très propres, doivent être proscrits de la préparation et de la conservation des bonbons et limonades. L’administration de l’Exposition a donné des ordres pour que la prescription préconisée en dernier lieu par le rapport soit méticuleusement observée ». « Échos », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no 61 (14 juillet), p. 3.

44  « Deux kiosques et deux chalets du Champ-de-Mars ont été fermés hier par ordre supérieur, pour leur mauvaise tenue et leur malpropreté. Les tenanciers de ces établissements avaient d’ailleurs reçu plusieurs avertissements à ce sujet ». Jean de la Tour, « L’Exposition. Chronique du Champ-de-Mars », Le Petit Journal, 27e année, no 9687 (1889), s. p.

45  « Échos », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no 100 (25 août 1889), p. 3-4.

46  « Échos », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no 67 (21 juillet 1889), p. 3.

47  Ibid.

48  Le Rapport de 1889 ne contient pas ces statistiques pour l’Exposition de 1889.

49  Rapport de 1900, t. VII, p. 74.

50  « Donner, au minimum, une longueur de 3 m, une largeur de 2m50 et une hauteur sous plafond de 2,60 m aux locaux à usage de cuisine ; Y ménager des baies d’aération dont la surface totale représentât au moins le cinquième de la surface du fourneau, les disposer de telle sorte que le courant d’air frais ne gênât pas les ouvriers et les maintenir constamment ouvertes ; Surmonter les fourneaux chauffés au gaz de hottes avec tuyaux d’évacuation en poterie et activer leur tirage, soit par des becs de gaz, soit par des ventilateurs mécaniques placés à la partie supérieure des hottes ; Pour les cuisines dont les fourneaux seraient chauffés au coke, installer au plafond des manches à air avec tuyaux d’évacuation et activer le tirage de ces tuyaux soit par des becs de gaz, soit par des ventilateurs mécaniques, soit par la chaleur des conduits de fumée ; Lorsque l’éclairage artificiel des cuisines serait fait au gaz, attribuer aux becs une hauteur de 2 m au-dessus du sol ; Séparer complètement les plonges ou laveries des cuisines, les éclairer et les aérer comme ces dernières, surmonter leurs fourneaux d’une hotte ; Rendre imperméable le sol des cuisines et des laveries ; n’y admettre que des surfaces lisses ; Ne mettre à proximité immédiate des cuisines aucun urinoir ou cabinet d’aisances ; pourvoir les cabinets et urinoirs d’effets d’eau ; les ventiler et les éclairer largement ; munir d’un siphon hydraulique les tuyaux d’issue des matières », Rapport de 1900, t. VII, p. 24-25.

51  En 1889, selon l’article 11 du Cahier des clauses et conditions particulières relatives aux restaurants, cafés, brasseries, buffets, etc., « Le concessionnaire devra veiller au bon ordre à l’intérieur et dans les dépendances de son établissement, le tenir avec la plus grande propreté, faire procéder à l’enlèvement des détritus et à l’arrivée des approvisionnements aux heures et dans les conditions fixées par les règlements, et se conformer à toutes les conditions de la police spéciale de l’Exposition. » Ibid., p. 254.

52  Sur le sujet, voir Michel Foucault, Sécurité, territoire, population. Cours au Collège de France, 1977-1978, Paris, Seuil-Gallimard, 2004.

53  Rapport de 1900, t. VII, p. 84.

54  Ibid., p. 44.

55  « Malgré l’éviction, parfois pénible, d’une foule de demandeurs qui, sans expérience et sans calculs réfléchis, s’étaient obstinés à considérer la Seine comme devant se transformer en un Pactole aux flots d’or, le nombre des concessions montait de 252 à 480. » Ibid., p. 45.

56  Ibid., p. 82.

57  Rapport de 1889, t. III, p. 373.

58  Rapport de 1900, t. VII, p. 45.

59  Vincent Rubio, La foule : un mythe républicain, Paris, Vuibert, 2008.

60  « 1o Créer, soit à l’extérieur, soit à l’intérieur des palais, un réseau de voies de circulation dont la clarté fût irréprochable ; 2o Multiplier ces voies et leur attribuer toute la largeur possible ; 3o Proscrire absolument les impasses, qui engendrent des dangers de désordre et d’écrasement ; 4o Éviter les étranglements, où se produisent des bousculades aux jours d’affluence ; 5o Percer dans les murs des édifices de nombreuses portes, afin de permettre une évacuation presque instantanée en cas de panique, et les établir à va-et-vient ; 6o Substituer des rampes aux escaliers, où la moindre poussée peut provoquer des malheurs ; 7o Distribuer les attractions dans les différentes parties de l’enceinte, pour que la foule se divisât en quelque sorte automatiquement ; 8o N’admettre qu’à titre exceptionnel les établissements offrant un spectacle extérieur et ne les autoriser que le long de voies où le stationnement fût sans inconvénient sérieux ; 9o Dans les passages rétrécis à la traversée desquels se juxtaposeraient deux courants contraires à la circulation, séparer matériellement ces courants par de robustes barrières et s’ils étaient susceptibles d’une grande intensité, prendre les dispositions telles que le plus abondant pût, au moment voulu, occuper une zone dont la largeur surpassât celle du courant inverse ; 10o Y assurer la continuité du mouvement sans arrêt ; 11o Afficher dans les palais et sur le bord des voies extérieures de nombreux plans-guides, simples et précis ; 12o Placer, partout où cela était utile, des indicateurs de direction et de brèves consignes visibles pendant la soirée comme pendant le jour. » Rapport de 1900, t. VII, p. 46-47.

61  « Rapport sur les services de Police à l’Exposition universelle de 1889, le 22 décembre 1889 », Archives Nationales de France, F/12/3 766.

62  Rapport de 1900, t. VII, p. 45.

63  Archives nationales de France F/12/3766, Rapport du Service de sûreté.

64  Rapport de 1900, t. VII, p. 67.

65  « le Commissariat général eut à lutter chaque jour contre les anticipations, contre la violation des traités, contre l’envahissement des jardins et des chemins eux-mêmes par des milliers de tables et de chaises affectées aux consommateurs, contre les spectacles extérieurs indûment organisés ». Ibid., p. 48.

66  « Nouvelles de l’Exposition », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no 21 (3 juin 1889), p. 5.

67  Archives nationales, F/12/4 366 Conseil d’État, section algérienne (attractions).

68  « Échos », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889, Quotidien illustré, 2e série, no 84 (7 août 1889), p. 3.

69  Rapport de 1900, t. VII, p. 48.

70  Annexe au Cahier des charges particulières aux concessionnaires de cafés, restaurants, brasseries, buffets, etc.

71  Selon l’article 11 des Clauses et conditions spéciales imposées aux concessionnaires de kiosques de l’Exposition universelle de 1900 (27 décembre 1899), Rapport de 1900, t. VII, p. 202.

72  Ibid., p. 83.

73  « Il paraîtrait que dans certains cafés de l’Exposition on vend, sous l’étiquette mensongère de « bières françaises », des bières de diverses provenances étrangères et notamment, nous a-t-on affirmé, des bières allemandes de Carlsruhe. Il semble que le devoir de l’administration générale soit de réprimer ces procédés, qui constituent en réalité une concurrence déloyale. » Michel Mortier, « Journal de l’Exposition », L’Événement, 18e année, no 6264 (19 mai 1889), s. p.

74  En ce qui à trait à la surveillance de la « fidélité du débit » en 1900 : « Le nombre de commerçants visités par les commissaires s’est élevé à 122, et celui des contraventions réprimées administrativement, à 75. Ces contraventions, qui consistaient dans l’emploi de mesures non poinçonnées ou de mesures illégales, n’ont point donné lieu à procès-verbaux ; les observations du service suffisaient pour y mettre fin. » Rapport de 1900, t. 7, p. 75.

75  « Échos », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no 100 (24 août 1889), p. 3.

76  Ibid.

77  Michel Callon et Bruno Latour, « “Tu ne calculeras pas !” ou comment symétriser le don et le capital : Le capitalisme ? Quel capitalisme ? », Revue du MAUSS, no 9 (1997), p. 45-70.

78  Lettre citée dans Charles Malato, « L’Exposition », L’Aurore, 4e année, no 912 (18 avril 1900), p. 2.

79  Nous traitons cet événement en détail au chapitre 4.

80  « Nouvelles diverses », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no 2 (10 mai 1889), p. 4.

81  « Nouvelles de l’Exposition », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré. 2e série, no 6 (19 mai 1889), p. 3. Nous soulignons.

82  Jean de la Tour, « L’Exposition : Chronique du Champ-de-Mars », Le Petit Journal, 27e année, no 9638 (6 août 1889), s. p. Il est question d’une addition de 78 francs pour « un déjeuner fort simple, sans vins haut cotés, sans primeurs ! ».

83  Ibid.

84  Jean de la Tour, « L’Exposition : Chronique du Champ-de-Mars », Le Petit Journal, 27e année, no 9639 (7 août 1889), s. p.

85  Ibid.

86  Kevin Hetherington, « Secondhahdedness : Consumption, Disposal and Absent Presence », Environment and Planning D : Society and Space, vol. 22, no 1 (2002), p. 157-173.

87  Rolland Munro, « The Disposal of the Meal » dans David Marshall (dir.), Food Choices, Londres, Black Academic and Professional, 1995.

88  Archives nationales de France F/12/3836, Concession des kiosques à établir dans le Champ-de-Mars pour vente de journaux, cigares, jouets, etc.

89  Ibid.

90  Voir Peter Miller et Nikolas Rose, « Governing Economic Life », Economy and Society, vol. 19, no 1 (1990), p. 1-31. Pour un résumé de l’argument de la gouvernementalité économique, voir Don Slater et Fran Tonkiss, Market Society : Markets and Modern Social Theory, Malden, Polity Press, 2001, p. 144-147. Sur la place du vivant dans la gouvernentalité moderne, voir Maurizzio Lazzarato, « The Concepts of Life and Living in the Societies of Control » dans Martin Fuglsang et Bent Meier Sørensen (dir.), Deleuze and the Social, Edinburgh, Edinburgh University Press, 2006, p. 171-190.

91  « L’Exposition à huit heures du matin », L’Exposition de Paris de 1889, no 44 (16 octobre 1889), p. 22.

92  Ibid.

93  Ian Hacking, The Taming of Chance, Cambridge, Cambridge University Press, 1990.

94  Jean-Louis, « À travers l’Exposition », 8e année, no 5 (1er mars 1900), p. 75.

95  Gilles Deleuze, Pourparlers, Paris, Minuit, 2003 (1990), p. 229-230.

96  Gilles Deleuze, Empirisme et subjectivité : essai sur la nature humaine selon Hume, Paris, PUF, 1953.

97  Michael Taussig, The Nervous System, Londres, Routledge, 1992.

98  Voir Geoff Jones, Christine McLean et Paolo Quattrone, « Spacing and Timing », Organization, vol. 11, no 6 (2003), p. 723-741 et Torkild Thanem et Stephen Linstead, « The Trembling Organisation : Order, Change and the Philosophy of the Virtual » dans Martin Fuglsang et Bent Meier Sørensen (dir.), Deleuze and the Social, Edinburgh, Edinburgh University Press, 2006, p. 39-57.

99  Dans son travail sur les expositions commerciales à Toronto à la fin du xixe siècle, Keith Walden montre la présence constante de conflits occasionnés par l’événement, qui ne sont pas tant des oppositions frontales à la tenue d’une grande exposition, mais la conséquence inévitable de la rencontre, au cœur de l’exposition elle-même, de différentes acteurs confrontant leurs conceptions rivales de l’industrie, du commerce, de la société. Keith Walden, Becoming Modern in Toronto : The Industrial Exhibition and the Shaping of a Late Victorian Culture, Toronto, University of Toronto Press, 1997, p. 32-79.

100  « L’Exposition et le commerce parisien », L’Autorité, 4e année, no 141 (21 mai 1889), s. p.

101  Bruno Latour, La science en action, Paris, Gallimard, 1995 (1989).

102  Arthur Meyer, « Mesure à examiner », Le Gaulois, 23e année, no 2454 (18 mai 1889), p. 1.

103  Ibid.

104  Ibid.

105  Arthur Meyer, « Paris et l’Exposition », Le Gaulois, 23e année, no 2455 (19 mai 1889), p. 1.

106  Ibid.

107  Michel Pauper, « La décadence culinaire », L’Estafette, 12e année, no 4293 (23 mai 1889), p. 1.

108  F. L., « Chronique », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no 10 (23 mai 1889), p. 2.

109  Tony Révillon, « La concurrence de l’Exposition », Le Radical, 9e année, no 143 (23 mai 1889), s. p.

110  Auguste Vacquerie, « L’Exposition le soir », Le Rappel, no 7013 (23 mai 1889), s. p.

111  Auguste Vacquerie, « Contre l’Exposition », Le Rappel, no 7016 (26 mai 1889), s. p.

112  Prosper-Olivier Lissigaray, « Plus d’Exposition ! », La Bataille, 1re année, 2e série, no 131 (23 mai 1889), s. p.

113  « À l’Exposition », Le Voltaire, 12e année, no 3978 (27 mai 1889), s. p.

114  « L’Exposition et le commerce parisien », L’Autorité, 4e année, no 143 (23 mai 1889), s. p. Voici le contenu de la pétition, reproduite dans l’édition du 20 mai 1889 du Gaulois : « Les soussignés, industriels de Paris, demandent respectueusement à M. le président de la république [sic] d’aviser aux mesures nécessaires pour que le Champ-de-Mars n’absorbe pas tous les bénéfices, sur lesquels le commerce de Paris avait le droit de compter à l’occasion de l’Exposition universelle. »

115  « Gargotiers et impressarii », Le Grelot, 19e année, no 947 (2 juin 1889), s. p.

116  Arthur Meyer, « Paris et l’Exposition », Le Gaulois, 23e année, no 2457 (21 mai 1889), p. 1.

117  Paul de Leoni, « L’Exposition et le commerce parisien », L’Autorité, 4e année, no 140 (20 mai 1889), s. p.

118  Paul de Cassagnac, « Cruelle déception », L’Autorité, 4e année, no 142 (22 mai 1889), s. p.

119  Ibid.

120  F. L., « Chronique », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no 10 (23 mai 1889), p. 2.

121  Arthur Meyer, « Mesure à examiner », Le Gaulois, 23e année, no 2454 (18 mai 1889), p. 1.

122  Paul de Leoni, « L’Exposition et le commerce parisien », L’Autorité, 4e année, no 140 (20 mai 1889), s. p.

123  Ibid.

124  Paul Greenhalgh, « Education, Entertainment, and Politics : Lessons from the Great International Exhibitions » dans Peter Vergo (dir.), The New Museology, Londres, Reaktion Books, 1989, p. 74-98.

125  Cité dans Pascal Ory, L’Expo universelle, p. 126.

126  Luc Boltanski, Marie-Ange Schiltz et Yann Darré, « La dénonciation », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, vol. 51, no 1 (1984), p. 340.

127  Gaston Jollivet, « La vie de Paris », Paris illustré, 7e année, no 73 (1er juin 1889), p. 375.

128  La référence de l’article de confession de Jules Cornély dans lequel il regrette d’avoir contribué « à aggraver l’état de choses dont se plaignent les commerçants à l’intérieur de Paris » est Jules Cornély, « À l’Exposition », Le Gaulois, 23e année, no 2460 (24 mai 1889), p. 1.

129  Auguste Vacquerie, « Contre l’Exposition », Le Rappel, no 7016 (26 mai 1889), s. p.

130  David E. Nye, « Electrifying Expositions, 1880-1939 » dans Robert Rydell et Nancy E. Gwinn (dir.), Fair Representations : World’s Fairs and the Modern World, Amsterdam, Vu University Press, 1994, p. 140-156 ; Fabienne Cardot, « L’éclair de la favorite ou l’électricité à l’Exposition de 1889 », Le Mouvement Social, no 149 (1989), p. 44-58. La lumière électrique est d’ailleurs le marqueur de la modernité d’une ville à la fin du xixe siècle. Voir Joachim Schlör, Nights in the Big City : Paris, Berlin, London 1840-1930, Londres, Reaktion Books, 1998.

131  « Quelques documents », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no 10 (23 mai 1889), p. 2.

132  Ibid.

133  « Quelques documents », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no 10 (23 mai 1889), p. 2.

134  « Sauf deux ou trois établissements culinaires qui ont superbement maintenu ou même augmenté encore leurs prix inabordables, tous nos restaurants regorgent de monde soir et matin. » Gaston Jollivet, « La vie de Paris », Paris illustré, 7e année, no 87 (31 août 1889), p. 622.

135  Gustave Babin, Après Faillite. Souvenirs de l’Exposition de 1900, Paris, Dujarric & Cie, 1902, p. 284-285.

136  Voir Nigel Thrift, « It’s the Little Things » dans Klaus Dodds et David Atkinson (dir.). Geopolitical Traditions : A Century of Geopolitical Thought, Londres, Routledge, 2000, p. 380-387.

137  Thargelion, « Les coulisses de l’Exposition », L’Aurore, 4e année, no 922 (28 avril 1900) p. 2.

138  « Nous devions, d’ailleurs, d’autant mieux croire à la réalité de cette concession que notre pavillon a été édifié avec l’autorisation, au moins tacite, de l’administration qui délivrait des permis d’entrée aux ouvriers chargés de cette édification. » Picon et Cie pourront finalement conserver leur kiosque de dégustation au prix de 30 000 francs versés à l’Administration, somme qui lui sera restituée en totalité suite à un jugement du Tribunal civil le 13 juillet 1901 condamnant Stanislas Ferrand impliqué dans le scandale de la société des Indes françaises à leur verser la somme de 30 mille francs avec intérêts du 29 juin 1900 et à payer 8 000 francs en dommages et intérêts avec intérêts du même jour. Archives Nationales de France, F/12/4356, Dégustation des produits Amer Picon.

139  Émile Berr, « L’Exposition », Le Figaro, 46e année, no 258 (15 septembre 1900), p. 3.

140  Trois semaines après l’ouverture de l’Exposition, plusieurs pavillons sont inauguré mais sans toutefois que leur construction soit complétée. « L’Exposition universelle La Presse, 67e année, no 2899 (6 mai 1900), p. 1.

141  « L’Exposition », La Liberté, 35e année, no 13057 (10 septembre 1900), p. 2.

142  « L’Exposition en grève ? », La Presse, 67e année, no 3031 (15 septembre 1900), p. 1.

143  Simone Delattre, Les douze heures noires : La nuit à Paris au xixe siècle, Paris, Albin Michel, 2003 (2000). Voir aussi Jon May et Nigel Thrift, « Introduction » dans Jon May et Nigel Thrift (dir.), Timespace : Geographies of Temporality, Londres, Routledge, 2001, p. 1-46.

144  Wolfgang Schivelbusch, Disenchanted Night : The Industrialization of Light in the Nineteenth Century, Berkeley, University of California Press, 1988, p. 143-154.

145  Selon le rapporteur, cette décision a été prise par les exposants des galeries eux-mêmes, réticents à devoir payer pour les services de gardiennage en soirée de même que pour leur personnel. Alfred Picard (dir.), Rapport de 1900, t. VI, p. 181.

146  Fabien, « Petit courrier de l’Exposition », Le Figaro, 45e année, no 115 (25 avril 1900), p. 3.

147  « L’Exposition », L’Aurore, 4e année, no 917 (23 avril), p. 2.

148  Fabien, « Petit courrier de l’Exposition », Le Figaro, 45e année, no 113 (23 avril 1900), p. 3.

149  Le tableau de la répartition des foyers d’éclairage dans le troisième tome du Rapport fait état de la présence de 73 lampes à arc de 500 watts sur la rue des Nations. On n’a cependant aucune information précise sur la date d’installation ou de mise en fonction de ces lampes. Picard, Rapport de 1900, t. III, p. 385.

150  « L’Exposition », La Liberté, 35e année, no 12930 (4 mai 1900), p. 2.

151  « L’Exposition en grève ? », La Presse, 67e année, no 3031 (15 septembre 1900), p. 1.

152  Archives nationales de France, F/12/4531, Redevances fixes, le Monde sous-marin, Aquarium de Paris.

153  Émile Berr, « L’Exposition », Le Figaro, 46e année, no 258 (15 septembre 1900), p. 3.

154  « L’Exposition en grève ? », La Presse, 67e année, no 3031 (15 septembre 1900), p. 1.

155  « Les concessionnaires de l’Exposition », La Fronde, 4e année, no 1013 (17 septembre 1900), s. p.

156  « Échos », Le Moniteur de 1900, organe de l’Exposition, no 14 (mai 1900), p. 251.

157  « Article 31. Concurrence. – L’Administration se réserve le droit de concéder autant d’établissements similaires ou non qu’il lui paraîtra utile de le faire. Dans aucun cas et sous aucun prétexte, le concessionnaire ne pourra, ni prétendre à la réalisation de son marché ni réclamer une indemnité, soit à l’administration, soit aux autres concessionnaires. » Rapport de 1900, Pièces annexes, actes officiels, tableaux statistiques et financiers, p. 607.

158  « Article 33. Contestations. – Avant d’être déférées à la juridiction compétente, les contestations entre l’Administration et le concessionnaire seront soumises à un jury composé de trois membres, dont l’un désigné par le Commissaire général, un autre désigné par le concessionnaire et le troisième choisi par les deux premiers. » Ibid. Le Rapport souligne aussi que « grâce au concours dévoué de plusieurs sommités du monde juridique, la procédure organisée par l’article 33 des clauses et conditions générales a permis la solution rapide de litiges, dont le règlement, soumis aux juridictions ordinaires, eût entraîné de longs délais et, par suite, un retard considérable dans la liquidation des comptes de l’Exposition. On ne saurait méconnaître, à cet égard, ses avantages pour l’administration comme pour les concessionnaires ». Rapport de 1900, dernier tome, p. 324.

159  Luc Boltanski et Laurent Thévenot, De la justification : les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991.

160  Lors du conflit de 1889, Alfred Jourdan dit dans la Revue d’économie politique : « il vient de se produire, autour et à propos de l’Exposition, une véritable débauche de socialisme d’État ». Alfred Jourdan, « Chronique, autour de l’Exposition », Revue d’économie politique, 3e année, no 4 (juillet-août 1889), p. 426-427.

161  Albéric Plumet, « La farce de l’Exposition », La Cocarde, 13e année, no 5088 (11 mai 1900), p. 1.

162  « L’Exposition sera prête en juin », La Cocarde, 13e année, no 5088 (11 mai 1900), p. 2.

163  Burton Benedict (dir.), The Anthropology of World’s Fairs : San Francisco’s Panama Pacific International Exposition of 1915, Berkeley, Scholar Press, 1983.

164  Sur ce paradoxe, voir Annemarie Mol et John Law « Complexities : An Introduction » dans John Law et Annemarie Mol (dir.), Complexities : Social Studies of Knowledge Practices, Durham, Duke University Press, 2002, p. 1-22.

Table des illustrations

Titre Dessin d’après nature de M. L. du Paty, « Paris – Exposition universelle : les marchands devant le pont d’Iéna, un dimanche », L’Univers illustre, 32e année, no 1797 (31 août 1889), p. 548.
URL http://books.openedition.org/pufr/docannexe/image/22310/img-1.jpg
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Titre Henriot, « Échos », Journal amusant, 53e année, no 51 (16 juin 1900), p. 2.
URL http://books.openedition.org/pufr/docannexe/image/22310/img-2.jpg
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Titre P. Léonnec, « Paris-Bouiboui », Journal Amusant, n° 1711 (15 juin 1889), p. I.
Légende – Plus personne dans la boite avec cette satanee Exposition… Oh oui, allez on s’y fait des cheveux !… – Je le constate, garcon, je le constate…
URL http://books.openedition.org/pufr/docannexe/image/22310/img-3.jpg
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