Chapitre I. Mise en perspective
p. 11-39
Texte intégral
1Une partie de ce travail, consacré à la charpente de la nef, a déjà fait l’objet d’une publication1. Nous en reprenons certaines parties afin de garder la cohérence de cette étude.
LES CAMPAGNES DE CONSTRUCTION DE LA CATHÉDRALE GOTHIQUE
2Au xiie siècle, le pouvoir de l’archevêque de Bourges, vassal de la Couronne et primat des Aquitaines, s’étendait aux évêchés de Limoges, Clermont, Cahors, Le Puy, Mende, Albi et Rodez. L’archevêque Pierre de la Châtre (1144-1171) entreprit le renouvellement architectural du chœur de la cathédrale romane et du palais. Il réforma aussi profondément l’administration du diocèse et accrut, en 1159, les revenus du chapitre2. Ses successeurs n’eurent que peu d’influence sur la politique ou l’administration du diocèse jusqu’à l’élection de Henry de Sully en 1183 qui occupa le siège archiépiscopal jusqu’en 1199. Celui-ci augmenta le nombre des prébendes capitulaires de 30 à 40, renforça les biens fonciers du chapitre et entreprit la reconstruction du chevet de la cathédrale. Son successeur Guillaume de Donjon (1199-1208) poursuivit les travaux du chœur et fut, d’après R. Velhagen, le concepteur du programme des vitraux du déambulatoire sur un desquels il est représenté (vitrail du collatéral intermédiaire3). Il fut canonisé en 1218 et ses reliques furent enchâssées et déposées derrière le maître-autel4. Son neveu, Simon de Sully, occupa le siège de 1218 à 1232 et dut répondre aux problèmes d’administration du diocèse comme de la lutte pour la primatie des Aquitaines5. L’achèvement de la cathédrale se fit sous l’archiépiscopat de son successeur, Philippe Berruyer (1236-1260 environ), neveu de saint Guillaume.
3Aucun document ne mentionne une quelconque approbation ou implication de Philippe Auguste ni de l’aristocratie locale au projet de construction de la cathédrale gothique, ce qui suppose un financement assuré en grande partie par le chapitre.
4D’après les sondages archéologiques de 1856 et 1952, la cathédrale du xie siècle, érigée probablement par l’archevêque Gauzlin (1013-1030), présentait un chevet plat adossé au rempart gallo-romain, avec une abside qui réoccupait une tour de l’enceinte antique6. Une petite crypte pourvue d’une cella à l’ouest en occupait le sous-sol7. Ce chevet était surélevé de 2,20 m par rapport au sol de la nef qui se situe à 4 m sous le sol gothique actuel8. Vers 1160, sous le règne de Pierre de la Châtre, deux ailes latérales y sont rajoutées avec des murs orientaux appuyés aussi contre la muraille antique. Les deux portails qui en constituaient les entrées furent démontés et réemployés plus tard dans les façades latérales de la nef gothique9. Les fouilles du xixe siècle ont montré aussi que le chœur et la nef romane avaient la même largeur que le vaisseau central gothique.
La campagne du chœur
5Selon R. Branner, le chantier de la cathédrale gothique aurait connu un premier maître d’œuvre dès 1195 qui a établi le plan de la cathédrale (fig. I-1) et érigé une partie du chevet. Les maîtres d’œuvre qui lui ont succédé ont conservé cette conception première, terminant le chœur, la nef et la façade selon le même parti10 (fig. I-2).

Fig. I-1. Plan de la cathédrale. [D’après Ribault 1995 (1).]
6Le début de la construction de la cathédrale gothique est suggéré par une charte signée en 1195 qui confirme la donation faite par Henry de Sully de 500 livres au chapitre pour que celui-ci puisse acquérir des biens fonciers11. Elle mentionne surtout qu’Henry de Sully concède à la fabrique toutes les taxes judiciaires qu’il juge nécessaires pour financer des travaux sur la cathédrale12. Si R. Branner considère qu’il s’agit de travaux de réparation à prévoir sur la cathédrale romane, J.-Y. Ribault pense que le terme reparatio se traduit par « réfection » et qu’il induit un programme de reconstruction. Par ailleurs, les fouilles de 1952 et celles du xixe siècle du chœur roman ont mis en évidence une couche d’incendie avec des maçonneries calcinées appartenant à la cathédrale du xiie siècle. Cet incendie, qui reste difficile à dater, peut être à l’origine de la reconstruction de la cathédrale.
7Selon R. Branner, l’ensemble du projet aurait été divisé en deux campagnes, le chœur, de 1195 à 1214, et la nef, de 1225 à 1255, elles-mêmes réparties en plusieurs phases, selon le style des chapiteaux et des bases, avec une interruption de chantier de dix ans entre les deux campagnes (fig. I-3).
8Pour la campagne du chœur, la première phase aurait été consacrée à l’église basse (crypte gothique), l’abside et la première travée droite, jusqu’à la hauteur des fenêtres du collatéral interne (fig. I-3 : phase 1 en rouge). Ces constructions s’appuyaient contre les élévations du rempart antique, contre lequel s’adossait, à l’ouest, le chœur roman. Le culte aurait donc continué à être assuré dans ce dernier, en dépit de l’amputation de sa tour d’enceinte et de ses ailes latérales. La seconde phase aurait consisté à détruire le chœur roman pour ériger à sa place les travées droites gothiques et ses collatéraux, jusqu’aux voûtes du collatéral intérieur13 (fig. I-3 : phase 2 en beige). Le culte aurait alors été transféré dans la nef romane, ce qui est confirmé par la présence d’un maître-autel à l’est de la nef romane, au droit de la 8e pile gothique, révélé lors de l’installation d’un calorifère dans la nef en 189614.
9À la fin de 1208, l’archevêque Guillaume de Donjon prêcha la veille de l’Epiphanie dans l’église Saint-Etienne (dans le chœur en chantier ?) et, d’après son biographe qui était témoin des événements, il prit froid car l’endroit était « exposé au vent de tous les côtés15 ». Il en tomba malade et mourut quelques jours plus tard, le 10 janvier 1209. Il tut inhumé soit à l’aplomb du nouveau maître-autel dans l’église basse qui venait d’être achevée16, soit dans la nef roman17, avant d’être déplacé dans une chasse derrière le maître-autel, vraisemblablement en 1218 lors de sa canonisation. Cet archevêque est représenté dans un vitrail du xiiie siècle du collatéral intermédiaire, au sud-est du déambulatoire.

Fig. I-2. Élévations internes de la nef et du chœur.

Fig. I-3. Coupe longitudinale avec phasage des campagnes de construction
10Les marques lapidaires, étudiées par J.-Y. Hugoniot, valide ce phasage avec un premier ensemble cohérent d’une trentaine de marques retrouvées à l’est du mur d’enceinte sur l’église basse, l’abside et le sanctuaire, avec un prolongement sur le mur latéral nord jusqu’au portail compris18. Un deuxième ensemble de marques distinctes, relevées sur les travées droites du chœur jusqu’aux portails latéraux, correspond à la seconde phase de la campagne du chœur. Par ailleurs, le raccord entre la première et la seconde phase s’observe à l’ouest de la première travée droite, au nord comme au sud, par des différences dans le tracé des fenêtres intermédiaires, dans le style des culots des arcs d’encadrement du triforium inférieur et par l’interruption du passage de ce dernier19.
11Ce phasage est confirmé par l’étude récente20 du chaînage longitudinal qui ceinture la base du triforium haut et qui s’arrête entre la 7e et la 8e pile en partant de l’ouest (fig. I-3 : chaînage en vert foncé). Constitué d’une chaîne ininterrompue de petites barres de fer assemblées entre elles, ce chaînage montre, d’après la composition des fers et des plombs de scellement, trois ensembles : un premier sur l’abside et la première travée droite (phase 1), un second sur les travées droites nord et un troisième dans les travées droites sud (phase 2), confirmant ainsi un montage réparti selon les grandes étapes du chantier. Ce chaînage, qui présentait l’avantage de pouvoir être monté au fur et à mesure de l’avancement du chantier, permettait de contenir une éventuelle déformation des piles et des grandes arcades du fait de l’absence de contrebutement à l’ouest.
12On observe aussi, dans le comble du collatéral intérieur, des arcs diaphragmes placés au-dessus des doubleaux et qui portent un tirant en métal reliant le mur du triforium à la culée21. Ces tirants, destinés à contenir la poussée des voûtes sous-jacentes, apparaissent après la première travée droite du chœur, au départ de la deuxième phase, et sont présents sur toute la longueur des collatéraux nord et sud jusqu’aux tours occidentales, au sein desquelles les tirants ne sont plus nécessaires. La décision de mettre en place ce chaînage est donc intervenue au début de la seconde phase et a été maintenue jusqu’à l’achèvement de la nef.
13La troisième phase de la campagne du chœur (fig. I-3 : phase 3 en vert), terminée en 1214, aurait consisté à achever les voûtes du collatéral intérieur et à ériger le triforium haut et les fenêtres hautes sur toute sa longueur, comme le suggère leur uniformité de style22 (fig. I-4 et I-5). L’arrêt du chantier du chœur se situe au droit de la 8e pile pour les collatéraux nord et sud et entre la 7e et la 8e pile pour les parties hautes de la nef (fig. I-6).
14Outre le chaînage du triforium qui s’arrête net à la 7e pile, on observe de nombreuses différences de part et d’autre de ce raccord comme la hauteur de butée des arcs-boutants, plus bas sur le chœur, la section des contreforts et des culées, plus massive sur la nef, le style et la forme des baies et de leur remplage à tous les étages ou encore la présence de trous de boulins en partie haute dans la nef qui possède aussi un registre de marques lapidaires différentes de celles du chœur23.
15R. Branner et J.-Y. Ribault considèrent qu’à l’issue de ce chantier, le chœur était entièrement achevé, contrairement à M. Ferauge et P. Mignerey qui pensent que les grandes voûtes sexpartites ont été construites après l’achèvement de la nef24. Plusieurs observations faites au cours de cette étude et que nous détaillerons plus loin plaident en faveur de cette dernière hypothèse qui suppose un chœur inachevé, dépourvu de voûte sur le vaisseau central au moment où cette campagne de travaux se termine.

Fig. I-4. Coupe transversale du chœur avec, à gauche, l’état actuel et, à droite, l’état restitué avant les restaurations du xixe siècle.
[Paul Boeswillwald, 1889, Médiathèque du Patrimoine.]

Fig. I-5. Façade sud de fa cathédrale.
[Montagephotographique, Wagner51Wikimedia Commons.]

Fig. I-6. 8e pile nord, marquant l’arrêt de chantier entre le chœur à droite et la nef à gauche.
16La mise en service du chœur est attestée par une charte de 1214 qui établit des règlements sur la discipline liturgique stipulant, entre autres, que lorsque l’on chantera les heures canoniales dans le chœur, « on ne chantera pas à note dans le circuit du chœur » et lorsque l’on chantera la grand-messe dans le chœur, on ne fera aucune célébration dans le « circuit25 », prouvant ainsi qu’au plus tôt en 1214 des offices étaient célébrés dans le chœur et aussi dans le déambulatoire.
17À cette date, la vitrerie des fenêtres hautes et du déambulatoire devait également être posée. L’étude de ces vitraux, dont la plupart sont toujours en place, propose justement une réalisation autour de cette année 1214, d’après Y. Christe et de L. Brugger26.
18Il est donc probable que, lors de la mise en service du chœur, au plus tôt en 1214, les murs étaient achevés sur toute leur élévation, avec les vitraux mis en place. Toutefois, sa charpente définitive ne sera posée que 43 ans plus tard, en 1257 ou peu après d’après les datations dendrochronologiques. Et, comme nous le démontrerons ultérieurement, les grandes voûtes sexpartites n’étaient pas encore mises en place, ni les volées des arcs-boutants correspondantes (fig. I-3).
19En 1214, le chœur devait alors être couvert d’une toiture provisoire apparente, dans l’attente de l’achèvement de la nef et de la pose de la charpente définitive. Il est probable que cette toiture provisoire était faite avec les bois en réemploi de la charpente de la cathédrale romane, voire avec une réutilisation des fermes complètes. En effet, le vaisseau central roman avait la même portée que celui de la cathédrale gothique et les fermes romanes pouvaient dès lors être réemployées à l’identique sur le nouveau vaisseau gothique de façon temporaire. Cette hypothèse semble en effet la plus probable pour des raisons économiques. Par ailleurs, si une charpente neuve avait été réalisée sur le chœur dans les années 1210-1214, celle-ci aurait été conservée ou bien ses bois auraient été réemployés dans celle reconstruite en 125727. Or l’absence de ces réemplois suggère que les éléments de cette charpente provisoire n’étaient pas ré-employables, comme justement les bois d’une charpente du xie siècle dont les sections sont inadaptées pour une réutilisation dans une structure gothique (chevrons et raidisseurs de trop faible section et entraits de trop forte section28).
20Cette absence des grandes voûtes sur le vaisseau central durant plusieurs décennies, dans l’attente de l’achèvement complet de la nef, se justifie par la nécessité de lever les bois de la charpente définitive, en fin de chantier, du sol jusqu’en haut des murs. Ce levage des bois, qui suit le montage de la charpente sur toute la longueur de la cathédrale, ne peut en effet être réalisé en présence des voûtes. Ces dernières ont donc été mises en œuvre très vraisemblablement juste après la pose des grandes charpentes.
Une clôture provisoire
21À l’achèvement du chantier du chœur, une grande cloison provisoire fut mise en place au niveau de la 8e pile pour fermer le vaisseau central et les doubles collatéraux sur toute leur hauteur (fig. I-6). Ces traces, qui n’avaient jusqu’à présent jamais été observées, sont pourtant manifestes. On remarque en effet au droit de la 8e pile, sur les nervures centrales du vaisseau principal et des collatéraux interne et externe, des petits crochets métalliques et des gros clous à tête recourbée insérés dans les joints, entre chaque assise de pierre (fig. I-7). Ces accroches sont placées dans l’axe transversal des travées, excepté dans le collatéral interne nord où elles sont fixées sur le flanc est de la nervure centrale. En partie haute, dans les collatéraux, ces crochets se poursuivent sur l’arc doubleau des voûtes, prouvant que celles-ci étaient achevées à cette étape du chantier. Cependant, ils ne s’observent pas sur l’arc doubleau du vaisseau central, confirmant que les grandes voûtes sexpartites n’étaient pas encore construites lors de la mise en place de cette clôture. Notons aussi, au nord comme au sud, la présence de logements, au-dessus des chapiteaux, destinés à l’insertion d’un linteau en bois qui atteste la présence d’un portail dans chaque collatéral (fig. I-8).
22Ces éléments de fixation rendent compte d’une clôture légère qui devait être constituée de tentures ou de peaux fixées à une structure faite de perches et de planches, formant vraisemblablement un vaste échafaudage côté nef. Les agrafes métalliques ne semblent pas en effet assez robustes pour fixer une cloison en pan de bois ou en planches de 37 m de hauteur et de 15 m de large, trop lourde et trop instable.

Fig. I-7. 8e pile sud (chœur à gauche) avec sa colonne centrale pourvue d’accrochés métalliques.

Fig. I-8. 8e pile du collatéral interne sud, logement au-dessus du chapiteau pour un linteau en bois.
23Il est intéressant aussi de noter que les maçonneries du chœur sont recouvertes d’un enduit blanc très altéré, vraisemblablement du xiiie siècle, et que cette couche picturale s’arrête nettement le long de cette clôture dans les collatéraux sur la nervure centrale (fig. I-9). Dans le vaisseau principal, cette peinture blanche recouvre la 8e pile nord et sud de part et d’autre de cette clôture mais ne se retrouve pas sur les piles de la nef. Si cette peinture appartient bien au programme pictural d’origine, réalisé lors de la pose des vitraux en présence des échafaudages, cette clôture devait donc marquer physiquement la fermeture du chœur pour une durée qui était prévue d’être longue au moment de ce chantier, car on ne saurait expliquer autrement un arrêt aussi brutal de la mise en couleur du vaisseau et des collatéraux sur toute leur élévation.
24Cette cloison, pourvue de portails dans les collatéraux, assurait donc une fermeture du chœur du sol au voûtement des collatéraux et jusqu’en haut des murs pour le vaisseau central, afin de garantir une protection contre le vent et les poussières du chantier de la nef qui était ouverte à tout vent pour la célébration des offices en 1214.
25C’est au droit de cette 8e pile, dans le vaisseau central, que le jubé a été construit, au plus tôt en 1237 selon J.-Y. Ribault29 ou dans la décennie 1240-1250 selon F. Joubert30. Sa construction et sa mise en service ne sont pas incompatibles avec le fonctionnement de cette cloison dont seuls les premiers mètres auraient été démontés pour lui laisser place. On ne peut en effet envisager la dépose de cette clôture tant que les murs gouttereaux de la nef, leur fermeture par des vitraux et leur couvrement par une charpente ne soient complètement achevés. Or la pose de cette charpente n’interviendra pas avant 1256. S’il y a eu mise en service du jubé dans la nef en chantier, les conditions des offices célébrés devant lui devaient donc être des plus précaires. Il est donc plus probable d’envisager la mise en place de ce jubé une dizaine d’années après sa réalisation, après seulement l’achèvement des toitures, et qu’il fut donc stocké dans cette attente.
La campagne de la nef
26Jusqu’à l’achèvement de la campagne du chœur et la mise en place de la cloison provisoire, vers 1210-1220, le culte occupait l’ancienne nef romane comme l’atteste la découverte d’un maître-autel au droit de la 8e pile gothique en 189631. Sur un très court laps de temps, le culte aurait été déplacé dans l’église basse, puisque selon notre hypothèse, la charpente de la nef romane aurait été déposée puis réemployée sur le nouveau chœur gothique pour servir de couvrement provisoire, en complément peut-être des bois du chœur roman déposés antérieurement, condamnant ainsi les deux vaisseaux durant ce transfert des bois.

Fig. I-9. 8e pile du collatéral interne sud, arrêt de l’enduit blanc du chœur (à gauche) au droit de la colonnette centrale de la pile.
27Dès ce couvrement terminé, nous pouvons supposer que la campagne de la nef fut alors engagée avec la démolition de la nef romane. Les déblais auraient alors servi à remblayer le sol et à terrasser le terrain sur plusieurs mètres de hauteur. En effet, les sondages effectués au xixe siècle, et notamment pour le calorifère, ont permis de repérer le sol de la nef romane à 4 m au-dessous du pavage gothique et de situer les fondations des grandes piles à plus de 8 m de profondeur. Cet important chantier de terrassement a donc dû représenter plusieurs années de travaux avant qu’il ne fût possible d’asseoir les premières assises de la nef en 1225 d’après R. Branner (fig. I-3 : en bleu).
28Les anciens portails du xiie siècle furent remontés assez tôt au nord comme au sud dans la sixième travée pour servir d’accès au chœur.
29La construction de la nef et des tours de la façade occidentale aurait été réalisée simultanément, sans interruption, en élevant les murs, les piles et les culées par strates horizontales, comme semblent le confirmer l’unicité stylistique, l’absence de rupture d’appareillage et un chaînage métallique qui raidit longitudinalement les parties hautes de la nef, depuis la 8e pile jusqu’aux tours de façade32. Ce chaînage traverse les baies hautes au-dessus des chapiteaux à la naissance du réseau et semble destiné à contenir les poussées de l’arc de la baie33. Dans le comble du collatéral intérieur, les voûtes sont toujours chaînées par des tirants transversaux au-dessus des doubleaux, depuis la première travée droite du chœur (phase 2) jusqu’aux tours de façade. Une étude récente a confirmé l’authenticité de ces tirants par la datation du métal de celui situé au droit de la 7e pile au nord, entre 1155 et 125734.
30À l’achèvement de cette campagne, la charpente du vaisseau central fut posée, d’abord sur la nef en 1256, d’après les datations dendrochronologiques des derniers abattages, puis sur le chœur en 1257, après le démontage de sa toiture provisoire. Comme nous le détaillerons plus loin, ce n’est qu’après la pose définitive de ces charpentes, de leur couverture et du rajout d’une flèche en bois sur la 8e travée, que les grandes voûtes sexpartites furent construites sur le vaisseau central, avec les volées correspondantes des arcs-boutants. M. Ferauge et P. Mignerey ont d’ailleurs observé sur les seuls arcs-boutants conservés intacts du xiiie siècle, au nord de l’abside, que l’arc inférieur de la première volée, destiné aux poussées des voûtes, a été rajouté sur la culée intermédiaire, sous l’arc supérieur qui sert à contreventer le mur gouttereau, ce qui confirmerait la pose des voûtes et leur contrebutement à l’issue du chantier35.
Les difficultés de financement du chantier
31Il est utile de rappeler ici les difficultés rencontrées par la fabrique pour financer ce vaste chantier. Aucun texte ne mentionne la contribution du roi de France ou de grands seigneurs berrichons. Par ailleurs, l’archevêque et le chapitre cathédrale ne disposaient pas de moyens importants36 pour financer un projet de cette envergure. Il n’est donc étonnant d’apprendre que la cathédrale fut pourvue en 1208 de plusieurs reliques37 et que les bénéfices des offrandes furent intégralement consacrés au budget de construction38. L’empressement de canoniser Guillaume de Donjon, mort en 1209, avec deux requêtes infructueuses en 1210 et 1212, avant que le pape Honorius III ne l’accorde en 1218, et surtout le déplacement de ses reliques à un endroit plus accessible aux pèlerins, derrière le maître-autel, révèlent un besoin manifeste d’accroître le budget de la fabrique. Si les dons, les oboles, les offrandes et les revenus divers du chapitre et de l’archevêque contribuèrent au financement du chantier, il apparaît aussi que d’importants emprunts furent contractés et que ces derniers furent difficiles à rembourser. Pour faciliter ces emprunts, le pape Grégoire IX autorisa l’archevêque à promettre des intérêts aux créanciers, ce qui était contraire à la législation canonique39. Toutefois, les sommes dues furent si importantes qu’il fut même impossible de rembourser les intérêts promis, ceux-ci représentant annuellement la totalité des revenus de l’archevêché, et il fallut de nouveau solliciter le pape en 1235 pour autoriser l’archevêque à ne rembourser que les dettes conclues dans l’intérêt de l’Église, annulant ainsi les intérêts, en contradiction avec les bulles précédentes. En 1241, ce même pape, à la prière de l’archevêque, demanda avec insistance auprès du clergé diocésain de venir en aide à l’église de Bourges, criblée de dettes40. Vingt ans après, en 1264, Urbain IV permit à l’archevêque Jean de Sully de récupérer les revenus des prébendes vacantes de son diocèse41. Enfin, en 1266, il fut encore nécessaire d’emprunter 500 livres tournois dont 200 furent affectées à la fabrique42, vraisemblablement pour la construction des voûtes.
32Ces difficultés financières témoignent de l’ampleur du projet et de sa durée sur le long terme puisqu’il s’est poursuivi jusque tard dans la seconde moitié du xiiie siècle. Si la campagne du chœur est relativement rapide (1195-1214), celle de la nef apparaît comme relativement longue puisqu’il aura fallu près de cinq décennies pour en achever le gros œuvre avec les deux tours de la façade occidentale. Les datations dendrochronologiques du beffroi de la tour sud attestent en effet un achèvement des parties hautes de cette tour en 1270.
Les chantiers postérieurs au XIIIe siècle
33Rapidement, la tour sud de la façade occidentale montra des signes d’instabilité, justifiant l’obstruction de toutes ses baies, excepté celles du dernier étage. Pour la contrebuter, une tour annexe, dite pilier butant, fut érigée au sud de celle-ci au début du xive siècle et pour laquelle Philippe le Bel octroya 40 livres tournois en 131343. Vraisemblablement peu après l’achèvement de ce pilier butant, l’archevêque Guillaume de Brosse procéda à la consécration de la cathédrale le 5 mai 1324.
34Au cours du xve siècle, plusieurs chapelles furent reconstruites et, à la fin de ce siècle, un étage supplémentaire fut rajouté à la tour nord. Suite à ce dernier chantier, la tour nord s’effondra le 31 décembre 1506, ruinant les premières travées de la nef. Sa reconstruction ne fut achevée que vers 1542, accompagnée d’une restauration des portails occidentaux nord de saint Guillaume et de la Vierge44. C’est vers la fin de ce vaste chantier, entre 1540 et 1542, que le maître d’œuvre entreprit de remplacer la flèche du xiiie siècle située entre le chœur et la nef par une autre flèche, pourvue d’un clocheton à la base, surmontant la croisée d’un faux-transept45.
35Durant la seconde moitié du xvie siècle, la cathédrale connut deux événements dramatiques. Le 16 mai 1559, à cause de brandons provenant d’une maison enflammée rue Bourbonnoux, les combles des collatéraux nord et sud prirent feu et furent en grande partie détruits, sans que les grandes toitures ne fussent touchées46. Le collatéral extérieur fut détruit depuis la tour nord jusqu’au portail latéral sud, et le collatéral intérieur depuis la tour nord jusqu’au portail latéral nord. À l’issue de cet incendie, la totalité des charpentes des collatéraux fut reconstruite. Le second sinistre intervint le 27 mai 1562 où, pendant plusieurs jours, les troupes du chef protestant Gabriel de Montgomery pillèrent la cathédrale, saccageant les autels, les statues du portail occidental et les sculptures du jubé. Seul ce dernier bénéficia d’une réparation au plâtre et d’une rénovation des peintures au milieu du xviie siècle, avant d’être détruit en 1758-1767 lors du réaménagement du chœur.
36Ce n’est qu’à partir du milieu du xviiie siècle que de nouveaux travaux importants furent entrepris. Entre 1747 et 1754, le faux-transept et la flèche qui le surmontait furent supprimés en raison de leur vétusté. Ils furent remplacés par une toiture faisant la jonction entre celles du chœur et de la nef.
37Tout au long du xixe siècle, la cathédrale subit de nombreuses restaurations dont certaines modifièrent son aspect extérieur, comme l’adjonction d’une balustrade avec pinacles à la base du grand comble, vers 1829-1830, et le rajout de clochetons et de pinacles sur les culées des arcs-boutants, entre 1840 et 1848, par les architectes Pagot et Juillien (fig. I-4). De 1882 à 1887, les grandes charpentes furent restaurées et quelque peu modifiées avant la pose d’une couverture en ardoise à crochet par l’architecte Boeswillwald. Enfin, au xxe siècle, plusieurs chantiers touchèrent entre autres le « grand housteau » (1906-1911), les statues de la tour nord (1968-1974) et le portail Saint-Ursin (1974-1975). Depuis 1999, les travaux de rénovation portent sur les portails latéraux et occidentaux en parallèle, de 2010 à 2014, à la restauration des charpentes du grand comble, sous la direction de l’architecte en chef Patrick Ponsot.
PRÉSENTATION GÉNÉRALE DES CHARPENTES
Les ensembles structurels
38Longue de 101 m, la grande charpente du vaisseau central se subdivise en plusieurs parties, d’époques différentes (fig. I-3 ; III-2 et III-3 planche A3). De l’ouest vers l’est :
- Entre les deux tours de la façade occidentale, la première partie, longue de 9 m, couvre la demi-travée de la première voûte sexpartite, des fermes 1 à 15. Elle correspond à une reconstruction de 1882, réalisée à l’image de la charpente à chevrons-formant-fermes gothique. Elle possède quelques réemplois du xiiie siècle de la charpente d’origine.
- La seconde partie couvre la nef sur 33 m de long jusqu’au bout de la troisième voûte sexpartite, de F16 à F67. Il s’agit d’une structure à chevrons-formant-fermes47 subdivisée en dix travées de charpente. Seules les huit premières correspondent à la charpente d’origine, dont les datations dendrochronologiques attestent une mise en place en 1256. Les deux dernières (F57-F67) appartiennent à un remaniement de celle-ci qui est intervenu peu de temps après, en 1263. Ces deux parties se distinguent par la structure des fermes, le marquage des bois, le contreventement, la section des pièces et les datations dendrochronologiques.
- La troisième partie, longue de 17 m, fait la jonction entre la nef et le chœur à l’emplacement de l’ancien faux-transept et de la flèche. Mise en place en 1747, cette charpente à fermes et pannes comporte six fermes à portique.
- La quatrième partie couvre le chœur sur 35 m jusqu’à la croupe absidiale. Elle est à chevrons-formant-fermes et présente une structure similaire à celle de la nef. D’après les datations dendrochronologiques, elle a été mise en place juste après celle de la nef, en 1257.
- Enfin, la croupe absidiale qui termine le vaisseau, de plan semi-circulaire, appartient aux remaniements de 1882 avec en réemploi de nombreux bois de la croupe d’origine, datés aussi de 1257.
La flèche et le faux-transept
La flèche du XIIIe siècle
39D’après les analyses dendrochronologiques, les grandes charpentes du vaisseau principal furent mises en place successivement, d’abord sur la nef en 1256, puis sur le chœur en 1257. Peu après leur achèvement, elles connurent un premier remaniement. Comme nous le détaillerons plus loin, en 1263, soit huit ans seulement après la pose des charpentes du vaisseau principal de la nef, la partie centrale du comble fut entièrement démontée pour pouvoir rajouter une flèche en bois et un faux-transept au droit de la 4e travée de voûtes.
40Faute de transept dans le plan de l’édifice, ces ouvrages en bois devaient matérialiser dans la toiture une croisée par un comble transversal, terminé à chaque bout par un pignon au droit des murs gouttereaux, avec une flèche coiffant la croisée. D’après la datation des premiers abattages de bois destinés à ce chantier, ce projet fut initié dès 1259, soit juste après l’achèvement des grandes toitures. Il ne subsiste malheureusement plus rien de ces ouvrages, mais leur représentation nous est parvenue dans la miniature de l’Adoration des Mages de Paul de Limbourg, de 1412-1416, extraite des Très Riches Heures du duc de Berry48 (fig. I-10) et dans celle de Jean Colombe no 315 des Heures de Laval exécutée vers 1480 (fig. I-11). Un doute subsiste sur l’origine du faux-transept puisque la miniature de Limbourg ne montre que la flèche ; mais quel crédit accorder à la précision de ces miniatures ?
41Dans la charpente, on conserve toutefois le négatif de ce chantier, dans les deux travées qui jouxtaient ce faux-transept à l’ouest, sur la 3e travée de voûtes. Les fermes 57-67 furent en effet démontées pour permettre le levage de cette flèche, puis remontées à l’issue du chantier. Leur remontage réemploya une grande partie des pièces d’origine, avec en complément des bois nouvellement abattus, ce qui a permis de dater ce chantier. Parmi les bois réemployés, on compte de nombreux chevrons qui présentent en face extérieure des clous pour un lattis de couverture. Ces fermes portaient bien alors une couverture au moment de leur démontage, attestant que cette reprise est bien intervenue après l’achèvement définitif des toitures, comme une sorte de repentir, au regard du couvrement terminé.
42Lors de la construction de ces ouvrages, non prévus initialement, deux puissants arcs doubleaux à double rouleau furent construits au-dessus des voûtes du vaisseau central, au droit des 7e et 8e piles, pour asseoir la base de la flèche (fig. I-12). On observe en effet que ces arcs, toujours conservés, ne sont pas chaînés aux murs et qu’ils ont bien été rajoutés postérieurement. Cette flèche était donc assise entre les 7e et 8e piles et marquait la naissance du chœur (fig. I-1), comme sur de nombreux autres édifices du xiiie siècle. Pour compenser la poussée de ces arcs sur les murs gouttereaux, une volée d’arcs supplémentaires a été rajoutée aux arcs-boutants des 7e et 8e piles comme on peut le voir sur deux représentations des années 1830 (fig. I-13 et I-14), avant qu’elle ne soit retirée lors des restaurations de la seconde moitié du xixe siècle.

Fig. I-10. Les Très Riches Heures du Duc de Berry, fo 52, Adoration des Mages, miniature enluminée attribuée aux frères Limbourg, 1416.
[Chantilly, Musée Condé.]

Fig. I-11., Heures de Laval, no 315, Miniature de Jean Colombe, vers 1480.
[Paris, BnF, ms. fr. 920.]

Fig. I-12. Arc doubleau situé au droit de la 8e pile, enjambant la voûte, et destiné à porter la base de la flèche.
La reconstruction de la flèche au XVIe siècle et ses remaniements
43Il faut attendre le xvie siècle pour noter d’importants remaniements dans la charpente, notamment ceux intervenus à la suite de la reconstruction de la tour occidentale nord et qui ont consisté à remplacer la flèche du xiiie siècle et probablement aussi le faux-transept. Les textes mentionnent en effet le démontage de cette flèche en 1539, pour cause de vétusté, et sa reconstruction entre 1540 et 154249. Le traité fut conclu entre le chapitre, un charpentier et un voiturier pour cette période « pour abattre et ecarrir bois en la forêt de Saint-Palais et le conduire au cloître de l’église pour la réédification du clocher et réparations de l’église50 ». Les textes mentionnent aussi sa couverture en plomb et un coût total estimé à 200 000 livres. Il ne subsiste de cet ouvrage que quelques fragments de chevrons en réemplois dans la charpente actuelle qui ont été datés par dendrochronologie entre 1528 et 1559.
44Les représentations de cette construction sont heureusement plus nombreuses et montrent une flèche de grande élévation, axée sur l’arc doubleau de la 7e pile (fig. I-1), avec un faux-transept à pignons droits ouvragés (fig. I-15 et I-16). Le levage aurait été fait depuis la nef après percement d’un voûtain pour le passage des bois.
45Le 16 mai 1559, un incendie se propagea à l’ensemble des combles des collatéraux nord et sud, sans que les grandes toitures ne fussent touchées51. Actuellement, il ne reste aucun bois ni aucune trace des dispositions de la charpente d’origine des collatéraux.

Fig. I-13. Dessin d’une coupe transversale avec les trois volées d’arc-boutant.
[Romelot 1824, p. 129.]

Fig. I-14. Portail latéral nord avec, en arrière-plan, les arcs-boutants des 7e et 8e piles pourvus d’une 3e arcade supérieure. Dessin de Hazé, Album du Berry lithographié, dédié et présenté à S. A. R. Madame, duchesse de Berry, 1re partie, Bourges, 1830.

Fig. I-15. Représentation de la lèche et du faux-transept de 1542, Fragment d’un dessin pour vue optique (vue inversée) d’Étienne Martelange (vers 1615).
[Roger et Gauchery 1916, pl. V.]

Fig. I-16. Flanc nord de la cathédrale de Bourges. Dessin d’Étienne Martelange, vers 1621. Mine de plomb et lavis d’encre.
[Paris, BnF, département des Etampes et de la Photographie.]
46Il est vraisemblable qu’à la fin du xviie siècle la lèche du grand comble, construite en 1542, ait été profondément remaniée avec la suppression des étages supérieurs et la pose, au-dessus du premier niveau conservé, d’un dôme en bois, tel que le représente un dessin de 1745 signé Marsault et Ferrand52 (fig. I-17). Un incendie ponctuel mentionné « près du clocher en plomb » le 2 mars 169953 pourrait en être la cause54, ou bien l’état de dégradation avancé de l’ouvrage comme le relate une requête présentée au roi par les chanoines et le chapitre en 171455. Le procès-verbal d’une visite établie suite à cette demande révèle en effet d’importantes déformations et une forte inclinaison de la lèche56. En 1745, un autre devis précise cette dégradation et conclut à la démolition de la lèche et du faux-transept57, ce qui fut fait l’année même pour la lèche et en 1747 pour le faux-transept par les maîtres charpentiers Vincent Marsault et François Ferrand.
47En remplacement de ces ouvrages, une charpente à fermes et pannes de six fermes à portique fut réalisée par ces mêmes charpentiers pour rejoindre les toitures de la nef et du chœur (fig. I-18 ; III-2 et III-3 planche A3). Cette charpente fut réalisée conformément au marché signé Marsault et Ferrand58. Les entraits retroussés de deux fermes portent leur signature : « jacque marsaut 1747 » pour le premier et « francois marsaut 1747 » pour le second (fig. I-19). Les abattages des bois de cette charpente commencèrent dès l’automne-hiver 1745, comme en témoigne la datation dendrochronologique d’un des entraits.
48Pour descendre les bois venant du démontage de la charpente du xvie siècle et pour le levage de ceux de la nouvelle structure, les maîtres charpentiers avaient prévu dans le marché d’ouvrir la voûte à l’emplacement du chantier, avec un plancher de travail et un cabestan établis sur les deux arcs doubleaux des 7e et 8e piles. En raison vraisemblablement de la gêne que cela aurait occasionnée pour les offices, le passage des bois fut déplacé dans la première travée occidentale du collatéral sud, entre la nef et tour sud, où un oculus dans la voûte permettait la descente et le montage des pièces59. Le cabestan fut installé dans une salle contiguë dans la tour sud avec plusieurs renvois de poulies pour hisser en hauteur les bois depuis l’oculus. Il y est encore conservé avec son cordage d’origine (fig. I-20). Un passage de planches fut établi depuis cette salle jusqu’au chantier, sur toutes les fermes de la nef, afin d’y transporter les poutres. Le déplacement forcé de cette opération de levage, loin du montage de la charpente, avec les aménagements destinés au transport des bois, a généré un surcoût de 80 livres pour le chantier. On comprend dès lors pourquoi les maîtres charpentiers avaient proposé un levage des bois au droit du chantier afin de simplifier la manutention de bois longs et aussi pour en limiter le coût. Ces questions méritent d’être soulevées à propos du levage de la charpente du xiiie siècle, et notamment de celui de très nombreuses pièces de 14 m de long qui supposent une logistique efficace et peu onéreuse, afin de ne pas ralentir la progression du chantier.

Fig. I-17. Coupe de la flèche et du faux-transept signée Marsault et Ferrand, 1745. [AD Cher : 8 G 402.]

Fig. I-18. Vue des fermes à portique de la charpente de 1747.

Fig. I-19. Millésime du maître charpentier « jacque marsaut 1747 ».

Fig. I-20. Cabestan à arbre vertical avec son cordage, 1745, tour sud.
49À noter, enfin, que tous les chevrons de la charpente mise en place de 1747 sont des réemplois des bois issus de la flèche et du faux-transept de 1542. Aucun de ces bois n’est malheureusement complet puisqu’ils furent tous coupés dans leur longueur pour en faciliter leur manutention et leur réemploi.
Les restaurations du XIXe siècle
50Jusqu’au xixe siècle, la charpente gothique n’avait connu aucune réfection. En 1827, dans un souci purement esthétique de renforcer le caractère médiéval de l’édifice, l’architecte Pagot entreprit de rajouter des pinacles de style néo-gothique sur les culées des arcs-boutants et à la base de la grande toiture, qui s’est vue agrémentée également d’une balustrade, au détriment de toute réalité archéologique (fig. I-4). Cette création du xixe siècle a entraîné une profonde modification des chéneaux du xiiie qui étaient encore en place le long de la toiture. Deux pierres de ces chéneaux d’origine réemployées dans le gouttereau sud, juste sous les sablières, nous permettent de restituer le dispositif primitif (fig. I-21). Ces chéneaux assuraient la collecte des eaux pluviales par un canal de 7 cm de profondeur et de 57 cm de large taillé dans l’épaisseur même de la corniche60. Des tuyaux de descente et des gargouilles devaient collecter les eaux de pluie depuis ces chéneaux mais, par forte pluie, les eaux devaient se déverser directement sur les collatéraux. La mise en place des balustrades en 1827 a provoqué d’importantes infiltrations des eaux dans la charpente et ainsi le pourrissement des sablières, comme le mentionne un rapport de 185261.

Fig. I-21. Évolution des chéneaux du xiiie au xixe siècle. En bas, réemploi d’un chéneau du xiiie siècle dans une corniche, en position retournée.
51Ce problème fut résolu lors d’un vaste chantier de restauration de la charpente de 1882 à 1887, commencé par l’architecte diocésain Antoine-Nicolas Bailly et achevé par Paul Boeswillwald. Celui-ci releva la base de la charpente en amputant le pied des fermes et en y insérant une corniche en pierre afin d’isoler les sablières du fond du chéneau, à l’origine des infiltrations (fig. I-21). Toutes les sablières furent alors refaites à neuf, de même que les blochets qui furent remplacés chacun par deux moises boulonnées (fig. I-22). Le pied des chevrons et des jambes de force fut donc raccourci de plusieurs dizaines de centimètres. Ces travaux entraînèrent le rehaussement de tous les entraits dont la plupart furent également amputés d’une partie ou bien renforcés aux extrémités par des moises et des coffrages. Plusieurs de ces entraits furent retournés. Afin de suspendre chacun de ces entraits au poinçon, dont le bout inférieur fut également raccourci, des étriers métalliques, associés à des pièces intermédiaires, furent mis en place.
52Lors de ce vaste chantier de restauration de 1882-1887, le contreventement longitudinal du xiiie siècle fut entièrement démonté. Il avait pourtant été consolidé quelques décennies plus tôt par des boulonnages comme en témoignent les traces d’oxydation des rondelles métalliques sur les poinçons au droit des assemblages avec ce contreventement. Ce type de boulonnage s’observe également sur la plupart des assemblages de la charpente. Un nouveau contreventement fut alors mis en place, plus léger, constitué d’un faîtage et de deux grands liens en croix de Saint-André par travée, assemblés en tête au faîtage et en pied aux poinçons, raidis par deux cours longitudinaux de moises en bastaings de chêne boulonnées (fig. I-23).
53Boeswillwald reconstruisit entièrement la charpente située entre les deux tours occidentales, en reproduisant une structure à chevrons-formant-fermes à l’image de celle du xiiie siècle, dans l’esprit des restitutions néo-gothiques réalisées vers 1835 sur les extérieurs de la cathédrale. Pour cette charpente, il réemploya de nombreux éléments provenant de la charpente précédente qui semble avoir été celle d’origine. Celle-ci aurait donc été préservée en partie lors de la reconstruction de la voûte sous-jacente en 1517-1518, suite à l’effondrement de la tour nord en 1506. En effet, les comptes de ce chantier ne mentionnent pas d’importants travaux de charpenterie sur la nef, ce qui suggère que la charpente d’origine aurait été préservée en partie lors de ce désastre.

Fig. I-23. Contraventement mis en place en 1882.

Fig. I-22. Pied de fermes avec les blochets en moïses et sablières du xixe siècle (fermes 33 et 34).
54L’architecte Boeswillwald refit également le comble qui couvre l’espace compris entre la nef et la tour sud62 ainsi que la croupe de l’abside du chœur dont il réemploya la quasi-totalité des chevrons d’origine de même que plusieurs entraits.
55Pour la reprise en sous-œuvre des sablières et des entraits de la charpente, Boeswillwald entreprit aussi un renforcement général de la charpente du xiiie siècle par le rajout de moïses et de planches épaisses en chêne en plusieurs endroits. Ces éléments rajoutés et boulonnés aux fermes permirent surtout la consolidation de l’ensemble de la charpente, fragilisée par son vieillissement et ses déformations. En effet, sur la nef et le chœur, tous les chevrons accusaient un fléchissement très prononcé, de l’ordre de 10 à 20 cm sur leurs 13 m de portée. Pour compenser cette courbure et rectifier la pente pour la toiture en ardoise, Boeswillwald mit en place un dispositif ingénieux. Chaque chevron fut moisé par ses flancs avec de longues planches épaisses en chêne aboutées par enture biaise, permettant ainsi de les contenir, en empêchant toute flexion supplémentaire, et de redonner une pente droite aux versants (fig. I-24). Entre ces moises, dans le creux laissé par la flèche des chevrons, les charpentiers déposèrent les bois du xiiie siècle non réemployés provenant du contreventement longitudinal démonté lors de ce chantier, vraisemblablement pour des raisons de conservation puisque ces fourrures n’étaient en aucun cas nécessaires.

Fig. I-24. Avant restauration, chevrons moïses en 1882 par des planches épaisses en chêne.
56Il faut donc souligner ici la qualité et l’exemplarité de cette restauration de Boeswillwald qui a su consolider la charpente médiévale en conservant le maximum d’éléments en place par des systèmes de moisage efficaces et pérennes et qui a eu l’esprit de préserver la mémoire de cette structure en réemployant systématiquement les rares bois déposés, que ce soit pour la croupe que pour le contreventement longitudinal. Ces réemplois, qui avaient aussi une justification économique, ont permis surtout, pour notre présente étude, de restituer ces structures disparues.
Les travaux du XXIe siècle
57Suscitée par le mauvais état de la couverture en ardoise, une nouvelle campagne de restauration tut entreprise sur les grandes toitures de la cathédrale, de 2010 à 2014. À cette occasion, les charpentes turent l’objet d’une vaste reprise structurelle sur l’ensemble du grand vaisseau.
58En raison des importantes restaurations de la fin du xixe siècle, les charpentes étaient stables, consolidées et dans un bon état sanitaire, ce que souline d’ailleurs en 2007 l’étude préalable déposée par l’architecte en chef des Monuments historiques, hormis deux entraits du xviiie siècle. Faute de reprise structurelle majeure à effectuer, l’objectif du nouveau chantier fut de dé-restaurer la charpente du xiiie siècle afin de revenir à son état originel en la purgeant des rajouts du xixe63.
59Les travaux ont donc consisté à supprimer tous les dispositifs de renfort du xixe siècle de la charpente médiévale tels que les bastaings qui renforçaient les raidisseurs et les moises en chêne qui enserraient tous les chevrons et servaient à contenir leur flexion et à rectifier la pente du toit. De fait, la flèche des chevrons fut comblée par des fourrures (fig. I-25) afin de combler leur forte incurvation jusqu’à retrouver un versant droit.
60D’après l’étude technique, il fut préconisé de remplacer par des bois neufs certains chevrons des fermes principales du XIIIe siècle. Toutefois, particulièrement sur la nef, ce furent tous les chevrons des fermes principales qui furent remplacés, soit un chevron sur cinq, alors que la plupart étaient en bon état de conservation. Leur remplacement ayant entraîné de fait celui d’autres pièces secondaires, on estime, toujours sur la nef, que 1/6e des bois d’origine a été changé, sans que les bois déposés n’aient été réemployés par ailleurs.

Fig. I-25. Après restauration, les planches sont déposées et substituées par des fourrures qui viennent en appui sur les chevrons, déjà fortement fléchis, doublant leur épaisseur. Remplacement systématique d’un chevron d’un cinq avec des bois neufs. Pose de feuillards métalliques.
61À noter aussi le rajout de feuillards métalliques posés dans le plan des chevrons pour les contreventer et de tirants en métal placés sous les entraits pour les aider dans leur effort de traction.
62Ce chantier a suscité certaines réactions suite au remplacement de nombreux bois du xiiie siècle. Elles ont donné lieu à des échanges argumentés entre les responsables de la restauration et l’auteur de ces lignes sur la justification de ces travaux et la déontologie à appliquer lors d’une restauration d’une charpente du xiiie siècle sur un monument protégé, mettant en lumière des différences notables de points de vue. Nous renvoyons le lecteur à l’annexe 1, en fin d’ouvrage, qui détaille les arguments des deux partis sur ce débat controversé mais qui ne saurait avoir sa place dans l’analyse scientifique de la charpente.
LES DATES D’ABATTAGE ET DE MISE EN ŒUVRE DES CHARPENTES
63Quatre campagnes d’analyses dendrochronologiques ont été réalisées sur les grands combles de la cathédrale entre 1998 et 2014. La première, faite par le laboratoire Archéolabs sur la charpente du chœur et l’abside, portait sur 22 échantillons dont deux seulement ont pu fournir une date d’abattage64. La seconde, menée en 1999 par le même laboratoire sur la nef, n’a porté que sur quatre prélèvements dont un seul a livré une date précise65. La troisième campagne a été réalisée par le laboratoire CEDRE en 2008 avec 35 échantillons supplémentaires mais l’interprétation des résultats restait encore délicate faute de cambium prélevé66. Afin de répondre convenablement aux besoins de cette étude, une quatrième campagne fut entreprise par le laboratoire CEDRE67 avec un protocole de prélèvement présenté dans un cahier des charges :
- Chaque carotte est complétée par un prélèvement d’aubier avec cambium afin d’obtenir pour chaque échantillon l’âge complet de l’arbre et sa saison d’abattage.
- La localisation précise des prélèvements doit répondre aux questions soulevées par les relevés et l’analyse archéologique de la charpente.
- La datation de chaque phase constructive doit être validée par au moins dix prélèvements datant.
64Les carottages furent répartis de façon homogène sur l’ensemble de la charpente du xiiie siècle, avec en moyenne huit prélèvements par travée de cinq fermes. Tous les entraits et les poinçons des fermes principales furent prélevés. Les parties hautes des fermes furent également carottées, en privilégiant les bois qui avaient conservé leur aubier.
65Au-delà de la datation des campagnes d’abattage et l’étude de la chronologie des chantiers de construction, l’objectif de cette étude est d’exploiter les données dendrologiques afin de tirer le maximum d’informations sur les arbres correspondants et leur environnement. Ce travail d’analyse dendrologique, réalisé par le laboratoire Dendrotech68 puis par EFC Lab69, fut donc complété par des mesures dendrométrique des bois d’œuvre utilisés dans les charpentes (mesure des sections, nœuds, déformations naturelles, profil des troncs, mode de débitage, longueur et diamètre des fûts…). La synthèse de ces données permet in fine de déterminer le profil écologique des arbres, les types de peuplements forestiers abattus, leur densité, leur âge, ainsi que leur gestion par l’homme.
66Ainsi, sur les charpentes du xiiie siècle du vaisseau principal, 291 bois furent prélevés, avec un résultat de 249 datés à la saison près, soit 88 % des échantillons. Seuls six bois n’ont pu être datés. À cela, il faut rajouter 32 prélèvements réalisés sur le beffroi de la tour occidentale sud, sur des bois fortement érodés avec très peu d’aubier conservé mais qui ont pu dater précisément la mise en œuvre de cet ouvrage à l’année près avec onze échantillons avec cambium.
67Outre ces analyses, une datation isolée a été effectuée sur des couchis conservés en place sur les voûtains du couloir nord de l’église basse, avec une date voisine de 120670.
Les abattages des bois de la nef (F16-F67)
68Sur les 120 échantillons datés selon le protocole établi, prélevés sur les bois en place et aussi sur ceux déposés lors des travaux de restauration, 105 présentent une date d’abattage précise (annexe 2).
69Ces datations mettent en évidence la complexité des approvisionnements pour la mise en œuvre de la charpente de la nef puisque 17 saisons d’abattage71 distinctes ont été reconnues (fig. I-26 et I-27). Ces abattages sont étalés sur cinq périodes pendant lesquelles les bois ont été abattus principalement en automne-hiver : 1230-1232, 1236-1240, 1242-1244, 1253-1255 et 1259-1262 pour les deux dernières travées remaniées. Pour la partie en place de la nef (F16-F56) qui appartient à la phase de mise en œuvre d’origine, deux pics d’abattage se remarquent entre 1236 et 1243 et en automne-hiver 1254-1255, témoignant deux grandes campagnes de coupe.

Tableau. Abattages.
1256 BF : bois final (abattage en automne-hiver 1256-1257). 1256 BI : bois initial (abattage au printemps 1256).
70Les bois issus de ces multiples coupes, comprises entre 1230 et 1255, sont mélangés dans la charpente et au sein même des fermes, depuis les fermes 16 à 56. Par exemple, dans la ferme 21, le poinçon est issu d’un bois abattu en 1238 tandis que sa contrefiche sud provient d’un bois coupé en 1242. Idem pour d’autres fermes. D’après les relevés, ces bois sont bien en place et ne correspondent pas à des réparations. Ces bois, issus de multiples coupes étalées dans le temps, furent donc stockés dans l’attente de leur mise en œuvre finale. Leur stockage puis leur mise en œuvre ont provoqué leur mélange, ce qui explique la diversité des dates d’abattage au sein de la structure. Pour cet ensemble (F16-F56), les derniers abattages en automne-hiver 1255-1256 situent la mise en œuvre de la charpente de la nef en 1256.
71D’après cet échantillonnage, les abattages commencèrent dès 1230 de façon assez limitée pendant quatre ans avec proportionnellement de faible quantité de bois. Après une pose de trois ans, les coupes reprirent en 1236 et s’intensifièrent progressivement jusqu’en 1244. Elles cessèrent ensuite durant une décennie pour reprendre progressivement en 1253 jusqu’à l’automne-hiver 1255-1256, avec une dernière grande campagne d’abattage qui compléta l’approvisionnement en raison de l’imminence du chantier de mise en œuvre.
72Dans les deux dernières travées orientales de la nef (F56-F67), la charpente a été fortement remaniée. Les fermes présentent en effet de nombreux réemplois de la charpente mise en place en 1256, complétés par des bois verts n’ayant aucune trace de réutilisation. Les dates d’abattage des réemplois appartiennent aux mêmes campagnes de coupes que celles des bois des travées précédentes de la nef (1230-1232, 1238-1243, 1253-1255), alors que les bois verts ont été tous abattus lors de coupes étalées entre 1259 et l’automne-hiver 1262-1263. Le remaniement qui a touché ces deux travées suppose ainsi un démontage complet de cet ensemble, puis un remontage à l’identique en réutilisant les anciens bois déposés, que l’on peut donc situer juste après les dernières coupes de 1263. Ce remaniement confirme que la charpente de la nef avait été mise en œuvre et levée entre 1256 et 1263.
Les abattages des bois du chœur (F107-croupe)
73De la ferme 107 à la croupe, soit l’ensemble de la charpente du chœur, 171 échantillons ont été prélevés sur des éléments en place de la charpente, répartis là aussi de façon homogène sur l’ensemble des pièces de la charpente, avec 157 d’entre eux qui ont pu être datés avec leur cambium, ce qui a permis de définir la date d’abattage des bois à la saison près pour 91 % d’entre eux (annexe 2 et fig. I-26 et I-27).
74Sur ces 171 échantillons, 136 (79 %) désignent un abattage en automne-hiver 1256-1257 (1256 BF72), deux en automne-hiver 1255-1256, un en automne-hiver 1246-1247. Pour les échantillons dont les tout derniers cernes sont à proximité immédiate du cambium, 23 concernent un abattage vers 1256, et 10 autres, plus incertains, dans cette décennie. Deux n’ont pu être datés. Ainsi, excepté trois bois provenant d’un surplus des stocks destinés à la nef, la quasi-totalité des bois datés sont issus d’une unique et grande phase d’abattage durant l’automne-hiver 1256-1257. La mise en œuvre de la charpente du chœur peut donc logiquement se placer en 1257 ou peu après.
75La proximité des dernières coupes entre les bois de la nef en automne-hiver 1255-1256 et ceux du chœur en automne-hiver 1256-1257 pourrait laisser penser à une mise en chantier commune de ces deux charpentes en 1257 ou peu après, une fois les coupes terminées. Cependant, on observe une répartition bien nette des abattages entre la nef et le chœur (fig. I-27). Les bois abattus en automne-hiver 1256-1257 sont localisés exclusivement dans le chœur et aucun d’entre eux n’a été identifié dans la nef. Idem pour ceux de la nef, excepté quelques résidus de stock isolés dans la charpente du chœur (3 échantillons sur 171). Ainsi, les abattages de 1253 en automne-hiver 1255-1256, qui sont venus compléter les coupes précédentes (1230-1244), ont servi spécifiquement et quantitativement à la construction de la charpente de la nef. Celle-ci a donc été mise en œuvre et levée en 1256 en consommant la majorité des bois abattus entre 1230 et 1255, avant les abattages massifs de l’automne-hiver 1256-1257 qui furent destinés à la charpente du chœur, montée l’année suivante en 1257 ou peu après, avec quelques bois résiduels des stocks précédents. Par ailleurs, comme cela sera détaillé plus loin, les sections des bois de la nef et du chœur sont différentes, ainsi que la structure des fermes, prouvant que ces deux structures ont bien fait l’objet d’un chantier distinct. Ces deux charpentes ont donc été montées successivement sur deux années consécutives avec deux lots de bois issus de coupes bien distinctes.

Fig. I-26. Répartition des pièces à cambium datées selon leurs localisation et saisons d’abattage. [Dendrotech 2015.]

Fig. I-27. Localisation des abattages au sein des charpentes de la nef et du chœur. [Dendrotech 2015.]
76La plus grande majorité des abattages datés précisément par la dendrochronologie sur ces charpentes atteste des coupes durant la période de repos végétatif des bois, en morte-saison, comme on le constate pour la majorité des charpentes médiévales et, également, dans les textes de cette période. De nombreuses raisons l’expliquent : disponibilité de la main-d’œuvre locale pour les coupes et le débardage du fait de l’arrêt des travaux des champs et des chantiers ; préservation de la capacité de rejeter des souches pour régénérer la parcelle73 ; limitation de la fermentation du bois et du risque de pourrissement ; meilleur transport fluvial des bois (haut débit des rivières, meilleure flottabilité des grumes) ; facilité de taille des bois abattus en basse sève ; etc.
Notes de bas de page
1 Épaud 2011.
2 Luchaire 1885 : no 427.
3 Velhagen 1996, p. 337-332.
4 Raynal 1844, p. 558-559.
5 Branner 1962, p. 19.
6 Gauchery et Branner 1953, p. 105-123 ; Ribault 1995 (1), p. 8.
7 Son plan dissymétrique s’explique par le fait que son chevet plat s’appuie contre le rempart, orienté NNO-SSE, rappareillé.
8 Ribault 1996, p. 15.
9 Branner 1957, p. 263-270 ; Ribault 1995 (1), p. 51. Leur analyse stylistique a montré que ces portails n’appartiennent pas, à l’évidence, au corpus de la sculpture gothique de la cathédrale.
10 Branner 1962, p. 4.
11 Premier cartulaire, BnF, départements des Manuscrits, nouv. acq. lat. 1274, fo 52 (publié par Raynal 1844, p. 559-560).
12 Ad hoc quia Ecclesia nostra reparatione non modicum indiget ad ipsius reparationem ad opus fabrice ius omne quod de cetero nobis proveniet… (Ibid., p. 560.)
13 Branner 1962, p. 51. Lors de cette phase, la crypte romane fut condamnée. Elle ne fut redécouverte et rendue accessible qu’au xviiie siècle (Gauchery et Branner 1953, p. 114 ; Ribault 1996, p. 7).
14 Ribault 1996, p. 16.
15 Locus enim in quo sermonem habuit ad populum omni ex parte vento erat expositus, Analecta Bollandiana, t. III, 1884, p. 274-325 [cité dans Ribault 1995 (1), p. 66].
16 Ribault 1995 (1), p. 66.
17 Branner 1962, p. 60.
18 Hugoniot 1996, p. 17-29.
19 Branner 1962, p. 42.
20 L’Héritier 2016, p. 457.
21 Ferauge et Mignerey 1996, p. 129-148.
22 Branner 1962, p. 52.
23 Hugoniot 1996, p. 17-29.
24 Ferauge et Mignerey 1996, p. 142.
25 Quamdiu hore cantantur in choro, non cantatur in circuitu chori cum nota ; item cum cantatur majora missa in choro, nullo modo celebratur in circuito nec postmajorem missam… (Premier cartulaire, BnF, départements des Manuscrits, nouv. acq. lat. 1274, fos 56ro-vo et 64vo-65ro, publié par Martène et Durand 1724, t. VII, col. 1422-1423.)
26 Christe et Brugger 1996, p. 33.
27 Citons l’exemple de la cathédrale de Rouen où tous les bois de la charpente provisoire construite sur la nef en 1201, suite à l’incendie de la cathédrale de 1200, ont été réemployés dans la charpente définitive de 1232 (Épaud 2012, p. 43-49).
28 Pour cette raison, les cas de réemploi de bois romans dans les charpentes gothiques sont rarissimes (Épaud 2007, p. 41-43). Citons l’exemple de la charpente de l’église de Champagne-sur-Oise (Val-d’Oise) de 1234d réemployant quelques bois datés de 1018-1042d (Épaud 2008) et celui de la charpente du chœur de l’église Saint-Pierre de Chartres, daté de 1275, réutilisant quelques éléments de 1168.
29 Ribault 1995 (2), p. 170.
30 Joubert 1994.
31 Ribault 1996, p. 16.
32 Ferauge et Mignerey 1996, p. 129-148. D’après ces auteurs, des encastrements relevés à la naissance des arcs de décharge du triforium haut seraient liés à un chaînage disparu mais il apparaît que ces traces correspondent davantage à l’emprise d’un cintre de chantier en bois pour asseoir les claveaux. Il subsiste d’ailleurs les couchis en bois d’origine, supportés par ces cintres, dans plusieurs travées au nord.
33 Selon M. Ferauge et P. Mignerey, un deuxième chaînage, repéré à l’aide d’un détecteur de métaux, existerait à l’intérieur des murs gouttereaux nord et sud, dans le comble, à 90 cm au-dessous des sablières, mais une récente reprise du gouttereau sud semble contredire son existence. Il serait présent également dans le chœur, à 50 cm au-dessous des sablières.
34 L’Héritier 2016, p. 451.
35 Ferauge et Mignerey 1996, p. 142.
36 Devailly 1973, p. 481-489.
37 Il s’agissait de la mâchoire de saint Étienne, donnée par Eudes de Sully, archevêque de Paris, d’un fragment de côte du protomartyr et de diverses reliques de saint Matthieu, saint Philippe, saint Jacques le Mineur et des saints Côme et Damien.
38 Cartulaire du chapitre Saint-Étienne, BnF, départements des Manuscrits, nouv. acq. lat. 1274, fo 53vo.
39 Cartulaire de l’archevêché, bulle de Grégoire IX, 1235, no 52, p. 212.
40 Ibid., p. 212-213.
41 Ibid., nos 52, 173 et 319, p. 126.
42 Cartulaire du chapitre Saint-Étienne, BnF, départements des Manuscrits, nouv. acq. lat. 1274, fo 81.
43 Second cartulaire, BnF, départements des Manuscrits, nouv. acq. lat. 1274, fo R8vo (publié par Raynal 1844, p. 368-369).
44 Hamon 1999.
45 Un faux-transept est une toiture transversale à la toiture principale, perpendiculaire à celle-ci, terminé par un pignon droit à chaque extrémité, pour marquer la naissance du chœur dans la toiture, l’édifice étant dépourvu de transept.
46 Marguerye 1889-1890, p. 177-228.
47 Charpente dans laquelle chaque couple de chevrons est assemblé à des raidisseurs pour constituer une ferme. La structure présente ainsi une succession de fermes.
48 Les Très Riches Heures du Duc de Berry, fo 52, Adoration des Mages, miniature enluminée attribuée aux frères Limbourg, 1416, Chantilly, Musée Condé.
49 Archives départementales du Cher : 8 G 1068.
50 AD Cher : 8 G 1068.
51 Marguerye 1889-1890, p. 177-228.
52 AD Cher : 8 G 402.
53 Journal de Mathieu Perrot, chanoine prébendé de la cathédrale de Bourges (1662-1703), publié par H. Ponroy, Bourges, 1895, p. 95 ; Mémoire sur Vierzon et Bourges, par Sébastien Asse, curé de Limeux, 1750, p. 145, cité par Roger et Gauchery 1916. Clouet et ses successeurs mentionnent que la corniche tombe parce qu’elle est calcinée.
54 On observe effectivement que les claveaux du grand arc de décharge situé au droit de la 7e pile présentent des traces de rubéfaction.
55 AD Cher : B 2417 et 8 G 1068.
56 AD Cher : 8 G 1068.
57 AD Cher : Église Saint-Étienne de Bourges. Plans, devis et marchés faits ès années 1745 et 1747 la dite Église, et aux réparations à faire à la charpente de la couverture d’ycelle.
58 « Et pour le rétablissement de la charpente il sera fait six fermes avec jambe de force avec entrets et garnis de leur assemblage, comme il est marqué sur le plan. Les jemb de force auront huit pouce de grosseur et les entrets et aiguille et seron garnis de trois rang de filier de chaque quoté qui auron sept pouce de grosseur et les faiste et sous faiste auron six pouce de grosseur et les ferme porteron sur le pied des poutres, au droit de la fracture des deux coté il sera mis des sabelier ou illi en aura besoin ou il sera trove des blochets pour porter le pied des cheveron et les jembette… » (AD Cher : 8 G 402.)
59 AD Cher : 8 G 402. Une pierre de la salle située entre la nef et la tour sud, où était logée la poulie du cabestan, porte l’inscription « jacque marsault 1746 ».
60 Un dispositif analogue du xiiie siècle, encore en place, subsiste sur la nef de l’église Saint-Pierre de Chartres.
61 « Deuxièmement : lors de l’enlèvement des plombs des noues du comble de la grande nef, on a constaté que tous les pieds des arbalétriers et des chevrons portant fermes étaient pourris. Il a fallu à chaque instant étayer et faire des réparations assez considérables. » (Mémoire du charpentier Gatinet, mai 1852, AD Cher : J 210.)
62 « Nous avons aussi remanié le comble qui couvre l’espace compris entre la toiture de la nef et la tour sud, en reprenant la disposition première de cette toiture qui devait écouler une partie de ses eaux du côté de la tour sud, dans un caniveau en pierre retrouvé intact à la base des glacis des ouïes du clocher, ce qui a permis d’en dégager la partie inférieure, masquée en dernier lieu par la pénétration du comble en tuiles dans les baies du clocher […]. » (Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, doc. no 14310, cote 0082/018/1002.)
63 Ponsot 2007.
64 ARC98/R1374D/1 : printemps 1256 et automne-hiver 1256-1257.
65 ARC99/R1374D/2.
66 Pour la charpente du chœur et de l’abside, seuls deux échantillons ont fourni une date d’abattage en automnehiver 1255-1256 et en automne-hiver 1256-1257.
67 Perrault 2010 et 2014.
68 Dendrotech 2015.
69 Ghazil 2017.
70 Archéolabs, réf. ARC92/R11329D.
71 Une saison d’abattage regroupe les abattages ayant eu lieu lors d’un automne-hiver (de septembre à mars ; présence du bois final dans le cerne n) et ceux du printemps suivant (de mars à mai ; absence de bois final dans le cerne n+1).
72 BF (bois final) : abattage en automne-hiver ; BI (bois initial) : abattage au printemps.
73 En pleine sève la souche perd sa vitalité. Pour cette raison, Pline et Vitruve condamnaient déjà l’abattage en période de sève, comme il le sera par la suite dans de nombreuses ordonnances médiévales et modernes telle celle de Colbert en 1669 (Corvol 1984, p. 86-88).
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