1 À titre d’exemple : à la suite du suicide d’Amina Filali, une mineure de 16 ans mariée à son violeur sur décision du juge, les ONG marocaines ont mené une campagne contre la disposition prévue dans l’article 475 du Code pénal, permettant aux violeurs de se marier avec leur victime pour échapper à la justice… L’abrogation de cette disposition est concrétisée en 2014, c’est-à-dire deux ans après le suicide de la jeune Amina, qui avait soulevé un débat national d’une envergure sans précédent sur le viol et le mariage des mineurs. Les médias et les ONG marocaines ont considéré cette révision comme étant « une revanche posthume d’Amina Filali » (Alaoui, 2014).
2 À signaler la forte médiatisation internationale (Le Monde, Courrier international, Jeune Afrique, L’Observateur, Libération, TV5 Monde, BBC, France 24, etc.) sous la dénomination « l’affaire Hajar Raissouni ».
3 Hajar Raissouni occupait, à l'époque, un poste de journaliste dans le quotidien arabophone Akhbar Al-Yaoum, connu pour ses positions critiques envers le régime. Elle appartient également à une famille rendue célèbre principalement par le statut de son oncle Ahmed Raissouni, un théologien connu à l’échelle du monde islamique. Il est l’un des fondateurs et ex-chef de l’organisation marocaine islamiste Mouvement unicité et réforme (MUR), de 1996 à 2003, matrice idéologique du Parti de la justice et du développement (PJD), qui était à la tête du gouvernement entre 2011 et 2021. Président de l’Union internationale des oulémas musulmans (2018-2022) et célèbre prédicateur, il intervient ponctuellement sur les sujets de débat public pour émettre des fatwas ou exposer son point de vue suivant une lecture qui s’inspire de fiqh maqasid, méthode de pensée qui prend en compte l’esprit et les finalités du Coran et des dits prophétiques plutôt que de leurs significations littérales. Après avoir témoigné en faveur de sa nièce en déclarant avoir été invité à sa fête de mariage, il publie sur son site web – après la libération de celle-ci à la suite de l’obtention d’une grâce royale –, un texte critique envers les femmes du collectif 490, né conséquemment à l’arrestation de Hajar Raissouni pour défendre les libertés individuelles et réclamer le droit à l’avortement et aux relations sexuelles consenties entre adultes. Il les traite dans ce texte intitulé « Je suis avec les libertés individuelles » d’« immorales » et de « licencieuses » (URL : https://raissouni.net/1881 [consulté le 20 octobre 2019]).
4 Voir le manifeste, rédigé par un groupe de théologiens et adressé au Premier ministre et au président de la Chambre des représentants, en réaction au lancement de la pétition d’un million de signatures pour la réforme du Code de statut personnel et la publication du communiqué de presse de l’Union de l’action féministe, qui revendiquait l’égalité dans le droit familial, le 8 mars 1992 (Arraya, n° 25 [6 juillet 1992], p. 8-10). Ledit manifeste dénonçait la volonté de porter atteinte à la Charî‘a à travers la réforme du Code de statut personnel.
5 Préparé par le secrétariat d’État chargé de l’assistance sociale, de la famille et de l’enfance, tenu par un parti de gauche, en collaboration avec les représentants des associations féminines et des organisations des droits de l’homme.
6 « La première réaction de rejet du plan, surtout dans ses dispositions relatives à la réforme de la Moudawana, a émané d’une commission constituée par le ministère des Affaires islamiques et des Habous, relayée par la Rabita (Alliance) des oulémas du Maroc et plusieurs associations (des adouls ou notaires musulmans, des diplômés de la faculté de la Charî‘a, etc.). Sur le plan politique, cette opposition sera confortée par les prises de position et l’activisme du Parti de la justice et du développement (PJD, parti islamiste) et d’autres organisations fondamentalistes non représentées au parlement » (Saadi, s. d., p. 4).
7 Une réforme qui comprend notamment le recrutement des femmes dans les institutions religieuses de l’État, réservées jusque-là aux hommes, l’accès des femmes à l’Institut supérieur de la magistrature en vue de devenir adouls. L’accès à cette fonction leur octroie le droit de sceller, dans leurs cabinets, des mariages, des divorces et tout autre contrat. Cette fonction, réservée aux hommes, leur était strictement interdite.
8 Voir l’analyse que fait Alain Rabatel (2015) d’un contre-discours né au sein d’un discours qui lui est antérieur.
9 « À ce propos, le CESEMaroc a abordé cette question dans de nombreux avis et rapports et formulé plusieurs recommandations qui sont plus que jamais d’actualité et qui n’ont toujours pas trouvé preneur. Pour n’en citer que trois. D’abord, en 2012, dans son rapport sur la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes dans la vie économique, sociale, culturelle et politique, le CESEMaroc avait recommandé de revoir et améliorer le cadre médico-légal de l’interruption de grossesse. En 2016, le CESE a préconisé, dans son rapport sur les dimensions sociales de l’égalité entre les femmes et les hommes, d’abroger les “dispositions des articles 490 et 491 du Code pénal qui, en criminalisant les relations sexuelles consenties comme non consenties en dehors du mariage, font obstacle au droit des femmes de porter plainte pour viol”. Et plus récemment, en juillet 2019, dans son avis sur le mariage des enfants, le CESE a suggéré de “promouvoir le débat public sur les questions juridiques liées à la pénalisation des relations sexuelles hors mariage, à l’avortement, au viol et aux abus sexuels afin de vulgariser les lois et les réflexions qui les sous-tendent”. Dans ce même avis, le CESE a proposé d’autres recommandations, telles que “l’éducation sexuelle par des moyens adaptés visant la connaissance et les moyens de prévention des risques liés aux rapports sexuels, à la grossesse, au mariage précoce” et “l’abrogation de l’article 490 du Code pénal relatif aux relations sexuelles hors mariage qui porte un énorme préjudice notamment aux mères célibataires et par voie de conséquence à leurs enfants”. Il est grand temps de passer à l’action pour éviter que ce mal ne nous ronge davantage ! ». Ce statut, rédigé par Ahmed Réda Chami, président du Conseil économique, social et environnemental, le 13 septembre 2019 sur sa page Facebook officielle (https://www.facebook.com/ahmedredachami), est largement repris par les médias nationaux (Telquel, 2019 ; El Mesnaoui, 2019).
10 Le manifeste signé par une quarantaine d’associations et publié sur les réseaux sociaux s’est rapidement transformé en une pétition signée par des centaines de personnalités indépendantes (URL : https://lakome2.com/liberte/133616/ [consulté le 17 septembre 2023]). La traduction est la nôtre.
11 Voir note 9.
12 Voir le communiqué de presse du Conseil national des droits de l’homme sur son site officiel : https://cndh.org.ma/fr/communiques/communique-de-presse-2 (consulté le 14 avril 2020).
13 Voir le manifeste, op. cit. note 10.
14 L’instance de l’équité et de la réconciliation est le nom donné à un organisme marocain mis en place par le roi Mohamed VI pour réconcilier les Marocains avec leur passé d’exactions perpétrés par le régime autoritaire de Hassan II contre les forces de l’opposition. Cette instance a organisé des séances d’auditions publiques où les ex-détenu(e)s ou les membres de leurs familles étaient invité(e)s à témoigner librement des tortures subies. Avec l’IER et ses recommandations, le Maroc a déclaré tourner irrévocablement la page de la torture et de la poursuite des opposants.
15 Voir le manifeste, op. cit. note 10.
16 « Le 5 avril 1971, Le Nouvel Observateur décide de publier un manifeste. Dans cette publication, 343 femmes, connues ou inconnues, parmi lesquelles Simone de Beauvoir, Françoise Sagan, Jeanne Moreau, Brigitte Fontaine, Nadine Trintignant s’accusent volontairement d’avoir eu recours à l’avortement. Leur objectif est de frapper les consciences et d’obtenir le droit pour les femmes d’avorter, ce qui était, à l’époque, un délit condamné par la justice » (INA, 2011).
17 Les stratégies discursives sont « le fait d’un sujet (individuel ou collectif) qui est conduit à choisir (de façon consciente ou non) un certain nombre d’opérations langagières ; parler de stratégie n’a de sens que par rapport à un cadre de contraintes qu’il s’agisse de règles, de normes ou de conventions. […] Il faut un but, une situation d’incertitude et de calcul » (Charaudeau et Maingueneau, 2002, p. 42).
18 « Les stratégies de légitimation visent à déterminer la position d’autorité qui permet au sujet de prendre la parole. Cette position d’autorité peut être le résultat d’un processus qui passe par deux types de construction » (Charaudeau et Maingueneau, 2002, p. 340).
19 « Les stratégies de captation visent à séduire ou persuader le partenaire de l’échange communicatif de telle sorte que celui-ci finisse par entrer dans l’univers de pensée qui sous-tend l’acte de communication, et partage ainsi l’intentionnalité, les valeurs et les émotions dont il est porteur » (Charaudeau, 1994, p. 40).
20 Voir la mise en scène des stratégies discursives et plus particulièrement les stratégies d’influence discursive dans Charaudeau (2007).