1Nous avons jusqu’à présent étudié l’évolution du mouvement syndical entre 1922 et 1927 sous ses divers aspects : mutation des cadres d’organisation, croissance importante mais ralentie des effectifs, mécanismes internes de cette progression. Vient le temps des bilans : quel est l’état de la CGTU dans sa période d’expansion, quels en sont les points forts et les zones de faiblesses ?

2Pour ce faire, nous disposons de plusieurs séries chiffrées : le nombre de syndicats par fédération et par région en 1922, 1923, 1925 et 1927 ; le total des adhérents fournis par les méthodes classiques, année par année, mais sans possibilité de ventilation fédérale (sauf pour l’année 1923) et de reclassement régional ; enfin, les chiffres obtenus par calcul pour 1927 seulement, mais qui ont le grand avantage, outre leur cohérence (bases identiques de calcul, quelles que soient les méthodes d’organisation des fédérations), de pouvoir être aisément regroupés par ensembles professionnels et géographiques. Cet avantage impose pour la conduite de cette étude que l’on privilégie l’année 1927. Au demeurant cet impératif chronologique n’est pas sans intérêt : si l’on veut bien se souvenir que les voix attribuées aux syndicats sont calculées sur la base des timbres qu’ils ont effectivement réglés au cours de l’année précédente, on comprendra que ces chiffres nous renseignent d’abord sur l’année 1926 qui, de l’aveu des dirigeants, constitue l’année faste de la confédération. Nous les utiliserons donc en priorité car ils permettent de dresser un tableau assez précis de la CGTU à son apogée.

Syndiqués et syndicats

3L’organisation unitaire regrouperait alors, selon nos calculs, 431 240 cotisants « réguliers ». Nous avons vu qu’à cette date la direction confédérale faisait pour sa part état de 475 000 cartes et 3 330 000 timbres1. Cet écart nous semble normal compte tenu de deux séries de facteurs. Le rapport cartes-timbres s’établit alors à 7 ; or sur la base de représentation aux congrès confédéraux (8 timbres par carte), ces effectifs seraient ramenés à 412 500 adhérents. Par ailleurs, les masses des syndicats n’assistant pas au congrès confédéral imposeraient d’autres corrections. Bref, les chiffres obtenus par calcul nous semblent à peu près satisfaisants, quoique pêchant, nous l’avons déjà souligné, par excès d’optimisme.

4Ces cotisants sont groupés en 1 497 syndicats, chiffre purement conjoncturel que nous pouvons compléter par d’autres. Pour l’ensemble de la période 1922 à 1927, 5 498 organisations ont assisté aux quatre congrès confédéraux (voir carte n° 9). Mais il s’agit là d’un chiffre très supérieur au nombre de syndicats ayant effectivement existé à un moment ou à un autre au cours de cette période puisque tel syndicat stable, n’ayant connu aucune éclipse durant la période, est complété à quatre reprises. Quant au chiffre réel des syndicats s’étant manifestés au cours de la période, fidèlement ou épisodiquement, il s’établit à 2 568 unités. Cette donnée nous importe cependant assez peu puisqu’elle englobe des organisations fort diverses, dont la vie n’a pas été chronologiquement semblable et dont certaines ont parfois même succédé à des cellules de base défaillantes, moribondes ou réorganisées.

5Ces syndicats ont été intégrés dans la période 1922-1927 dans des cadres professionnels et régionaux en constante évolution. Mais la montée à peu près générale des fédérations d’industrie brisant théoriquement les horizons limités des vieux métiers n’a pas fait pour autant disparaître ces anciennes cellules. Dans plusieurs fédérations, le regroupement intervenu s’est simplement traduit par la juxtaposition à l’intérieur des nouveaux cadres, des syndicats anciens demeurés organisés sur la base du métier. Certes, des efforts d’unification assez nombreux et généraux ont été tentés et ont parfois abouti : dans la Fédération postale, la fusion effective des anciennes organisations d’employés, d’ouvriers et d’agents ; dans le bois et dans le textile, la réunion relativement fréquente de diverses catégories dans des syndicats unifiés ; dans la fédération du livre-papier, le regroupement – pourtant difficile, compte tenu de l’hétérogénéité des composantes – de nombreux syndicats primitivement affiliés aux deux organisations séparées. Mais si des fusions réelles semblant s’être assez fréquemment effectuées, surtout dans les villes moyennes où la faiblesse des forces syndicales rend plus impérative la nécessité de constituer des unités moins étriquées, il en va rarement de même dans les grands centres économiques. Ici la taille respectable de nombreuses organisations fait paraître moins évidents les avantages du regroupement et plus clairs les dangers : risque de constituer des unités certes plus larges, mais plus disparates, réunissant des ouvriers aux conditions de travail, de salaire, de statut si diverses qu’elles risquaient d’altérer le caractère même du syndicat, groupement de défense corporative, et de compromettre son unité.

6Ainsi échouèrent la tentative très tôt lancée sans précautions suffisantes d’un syndicat unique du bâtiment de la région parisienne, rapidement atteint d’anémie ; les fréquents essais de regrouper les organisations de l’alimentation, trop disparates pour accepter de mauvais mariages de raison ; les timides amorces de rapprochement entre les syndicats du tabac et ceux des allumettes, etc. Bien souvent, les promesses de fusion, faites dans la hâte d’une fin de congrès, sous la pression des dirigeants confédéraux, furent au plus vite enterrées.

7Nous avons vu, par ailleurs, l’échec à peu près général des syndicats régionaux, hormis dans certaines régions (l’Alsace-Lorraine, encore marquée par les traditions du syndicalisme allemand) et corporations (mineurs et métaux). Ceci ne signifie pourtant pas que la base géographique du syndicat reste toujours et partout la ville ou l’usine. Les postiers sont fréquemment organisés sur le plan départemental, de même que les instituteurs ; encore faudrait-il pouvoir assurer que tel « syndicat des PTT de Haute-Savoie » succédant chronologiquement à celui des « PTT d’Annecy », correspond bien à l’expansion hors de la ville-mère, ce qui paraît hasardeux. La plupart du temps et malgré les injonctions de l’ISR, les syndicats restent fidèles à leur cadre d’origine, exigu parfois, mais familier et reconnu.

8Non que toutes les unités de base soient squelettiques, tant s’en faut. Est au contraire remarquable l’extrême diversité numérique des organisations unitaires. Si la taille des syndicats par fédérations s’élève assez peu entre 1922 et 1927, ce qui révèle l’échec au moins partiel des tentatives de regroupement, il reste que le nombre d’adhérents des syndicats est si variable que toute tentative d’établir une « taille moyenne » manque de rigueur2. Ce fut d’ailleurs un des arguments qui conduisit le mouvement unitaire à adopter, finalement sans trop de difficultés malgré le poids d’une tradition vieille de trente ans, un système de représentation professionnelle. En 1927, par exemple, sur 1 497 syndicats représentés, 1 168 ont de 10 (chiffre de cotisants minimum pour avoir le droit de vote dans un congrès confédéral) à 200 adhérents ; deux cents groupent de 500 à 1 200 adhérents ; quatre-vingt-deux de 1 200 à 2 200 ; vingt-trois de 2 200 à 3 200 ; neuf de 3 200 à 4 200 ; et quinze seulement regroupent plus de 4 200 cotisants, le plus important, celui des employés municipaux de Paris en réunissant environ 16 000. Ainsi, la catégorie de très loin la plus nombreuse est celle des petites organisations regroupant moins de 200 adhérents, qui englobent 78 % des syndicats confédérés. La situation est identique dans toutes les fédérations3.

9Cette catégorie, majoritaire de façon aussi écrasante, est fort loin cependant de grouper la majorité des syndiqués : elle n’en rassemble que 28,43 %. C’est dire qu’un peu plus d’un syndiqué sur cinq fait partie de la catégorie syndicale regroupant 4/5^e des organisations. Inversement, les quinze syndicats qui déclarent plus de 4 200 adhérents rassemblent 24,46 % de l’ensemble des syndiqués de la CGTU. On voit le paradoxe d’une situation née de la diversité des structures industrielles et de l’héritage historique : 1 % des syndicats rassemblent à peine moins d’adhérents que 80 % des autres organisations. Ces quinze organisations hors du commun constituent apparemment des points d’ancrage du syndicalisme unitaire, solides pôles de résistance en période de difficultés, assez peu sensibles pour la plupart aux orages de la conjoncture, bases de reconquête une fois les tempêtes apaisées4. Mais l’existence de ces quelques organisations-pilotes ne doit pas estomper le fait dominant : le foisonnement d’unités syndicales parfois minuscules, malgré l’intense effort de propagande entrepris par la direction confédérale. C’est à juste titre qu’un des secrétaires confédéraux, Dudilieux, en juin 1927, déclare : « Il nous faut, pour confesser la vérité, avouer que la marche vers les syndicats locaux d’industrie, et à plus forte raison vers les syndicats régionaux, est excessivement lente. On peut s’en convaincre par l’éclosion progressive de formations syndicales de base, qui va souvent à rencontre du but poursuivi »5. Dans cette perspective l’augmentation du nombre des syndicats n’est pas un signe de santé de la confédération, mais seulement la preuve qu’elle se révèle incapable – alors même qu’elle a bouleversé de fond en comble ses réseaux vertical et horizontal de regroupement – de modifier fondamentalement la structure de ses organisations de base.

L’implantation territoriale en 1927

10Le fait majeur en ce domaine est le regroupement des Unions Départementales qui reproduisaient le réseau de l’ancienne CGT unifiée (constitué depuis peu d’ailleurs : dans l’immédiat avant-guerre seulement, et pour de nombreux secteurs depuis 1918-1920) en « régions de propagande » plus vastes, puis en 1926-1927 en vingt-huit Unions Régionales aux contours parfois mouvants. Elles étaient destinées à coordonner les actions revendicatrices et à intensifier le recrutement. La même volonté qui prétendait briser le cadre du métier pour les syndicats de base préside à cette création : il s’agit d’aider les régions de faible syndicalisation en les liant à des secteurs plus dynamiques, ainsi promus à la dignité missionnaire, mais tout autant de rompre avec les traditions fédéralistes et autonomistes de l’ancien syndicalisme révolutionnaire. En installant à la tête de chaque UR une équipe de « permanents » dévoués et sûrs6, l’objectif est aussi de combattre les diverses oppositions et renforcer ainsi l’hégémonie idéologique des communistes dans le syndicalisme unitaire. Nous aurons longuement à y revenir7, mais il n’est pas indifférent de noter ici que les préoccupations politiques l’emportent sans doute sur les impératifs administratifs.

11Toujours est-il qu’en 1927, le cadre même des UD a disparu presque partout. Outre les Unions Régionales, la seule forme de regroupement horizontal est l’Union locale dont le rôle se trouve ainsi renforcé. À vrai dire, ce rôle n’avait jamais été secondaire. Dans bien des terres de « mission », l’existence d’Unions Départementales réduites à quelques syndicats enracinés dans des centres distants d’une cinquantaine de kilomètres était demeurée trop théorique. Par contre, la localité, où les militants se côtoient sans cesse à la Bourse du Travail ou à la Maison du Peuple, avait toujours constitué le lieu privilégié d’échanges entre syndicats réellement voisins. La disparition des Unions Départementales fut donc dans de nombreuses régions à l’origine d’une vie plus intense de nombreuses Unions Locales. Encore faut-il noter l’insuffisance de réseaux ; un rapport de Dudilieux présenté au quatrième congrès de l’ISR fait état en 1928 des progrès en ce domaine : le nombre des UL serait passé de 120 en 1921 à 275 en 19288, ce que confirment assez bien les listes détaillées qu’en donnent à intervalle régulier divers numéros de La Vie syndicale entre 1926 et 1928. Mais un simple coup d’œil sur la carte élaborée à partir de ces données montre la disparité de cette trame, occasionnellement dense, le plus souvent très lâche et discontinue. Si le département du Nord possède une dizaine d’Unions Locales, très nombreux sont les départements – et non des moindres – qui n’en comptent qu’une seule (Meurthe-et-Moselle, Drôme, Savoie, Haute-Garonne, Gironde, Deux-Sèvres, Calvados, Côte d’Or, etc.) ou aucune.

Figure n° 11 : affiche de la Commission féminine de la CGTU, 1925. Source Pandor.

12Quelle base d’étude choisir ? Entre le lacis trop discontinu des Unions Locales et celui des Unions Régionales de taille respectable mais qui, de ce fait même, estompe les disparités internes, nous avons finalement choisi une solution moyenne : reprendre pour regrouper les syndicats, le cadre départemental, qui a double avantage d’être stable, et assez serré pour permettre d’appréhender sans trop d’erreurs les inégalités de la syndicalisation.

13Trois données nous semblent alors permettre d’appréhender ces disparités : le nombre de syndiqués, le nombre de syndicats, le nombre des fédérations représentées dans chaque département. Nous ne possédons une liste cohérente des syndiqués par département, qu’à partir de l’année 1927, à partir des tableaux de vote annexés au compte rendu du congrès confédéral : c’est dire d’emblée que toute recherche régionale d’ensemble est impossible pour la période 1922-19279.

14En 1927 donc, le nombre total des syndiqués pour les quatre-vingt-six « départements »10 métropolitains11 s’élève à 422 825. Mais la taille moyenne (4 916 cotisants par départements) n’a pas plus de signification que celle des syndicats puisque la série va des quelque 100 adhérents de la Corse, de la Haute Loire, ou du Cantal, aux 43 000 du Nord (pour ne pas parler de la Région parisienne). Il est préférable de regrouper les départements en six groupes homogènes :

• 1^er groupe : départements réunissant plus de 15 000 syndiqués : l’ensemble Seine et Seine-et-Oise, et le Nord, soit 3 départements12.
• 2^e groupe (de 5 000 à 14 999 adhérents) : 10 départements Rhône, Seine-Inférieure, Bouches-du-Rhône, Pas-de-Calais, Cher, Gironde, Bas-Rhin, Moselle, Loire, Gard.
• 3^e groupe (de 3 000 à 4 999 adhérents) : 14 départements : Somme, Finistère, Ille-et-Vilaine, Aube, Haut-Rhin, Indre-et-Loire, Nièvre, Saône-et-Loire, Allier, Côte-d’Or, Haute-Vienne, Charente, Hérault, et Alpes-Maritimes.
• 4^e groupe (de 2 000 à 2 999 adhérents) : 17 départements.
• 5^e groupe de (1 000 à 1 999 adhérents) : 25 départements.
• 6^e groupe (moins de 1 000 adhérents) : 20 départements.

15La diversité des densités explique la disparité du poids relatif de chacun de ces groupes : les 13 départements abritant plus de 5 000 syndiqués (l/6^e du total) réunissent à eux seuls les deux tiers des syndiqués unitaires (66,18 %).

16Seconde caractéristique de nature à situer l’importance de la syndicalisation départementale ; le nombre des syndicats représentés. De ce point de vue, nous sommes incontestablement mieux pourvus que pour les syndiqués puisque nous disposons du nombre des syndicats présents à chacun des quatre congrès tenus en 1922 et 1927 (donc de la moyenne par congrès) et du nombre réel de syndicats ayant existé à un moment ou à un autre dans le département. Cependant, nous avons décidé d’écarter cette dernière donnée, trop disparate chronologiquement, et de n’accorder qu’une brève attention à la notion de moyenne qui permet d’atténuer l’influence de la conjoncture, mais ne nous permet aucune comparaison avec le chiffre des syndiqués, que nous connaissons seulement en 1927. Nous nous contenterons donc de la carte n° 9 (voir fin de chapitre) qui indique cette « implantation moyenne » et de pousser plus particulièrement notre étude pour 1927.

17Les 1 497 syndicats de cette année-là, répartis entre les quatre-vingt-six ensembles géographiques définis plus haut, représentent donc un peu plus de dix-sept syndicats par département. Comme il va de soi, la disparité est beaucoup moins importante que pour le nombre des syndiqués puisque la série va d’une seule organisation (c’est le cas dans trois départements) à 160 pour l’Union des Syndicats de la Région parisienne. On peut donc isoler des groupes assez variés :

• Groupe 1 (plus de 130 syndicats affiliés) : l’ensemble Seine, et Seine-et-Oise.
• Groupe 2 (de 41 à 50 syndicats) : les 5 départements du Nord, de la Seine-Inférieure, du Cher, du Rhône, et des Bouches-du-Rhône.
• Groupe 3 (de 21 à 40 syndicats) : 15 départements : Pas-de-Calais, Bas-Rhin, Seine-et-Marne, Aube, Indre-et-Loire, Allier, Loire, Haute-Vienne, Gironde, Hérault, Gard, Var et Alpes-Maritimes).
• Groupe 4 (de 11 à 20 syndicats) : 33 départements.
• Groupe 5 (de 6 à 10 syndicats) : 20 départements.
• Enfin groupe 6 (de 1 à 5 syndicats représentés) : 14 départements.

18Le mode de représentation est plus proche de la moyenne que pour les syndiqués, puisque le groupe le plus nombreux est bien celui qui se situe autour de la moyenne départementale. Pourtant les six départements les plus « denses » (groupes 1 et 2) rassemblent 29 % des organisations.

19Troisième élément important dans l’appréciation du poids relatif d’une population syndicale : le nombre de catégories professionnelles qui sont organisées. De ce critère en effet dépendent et la structure de l’organisation locale, départementale, régionale, et la capacité d’intervention du mouvement unitaire dans les divers secteurs économiques et sociaux. Cet élément peut être appréhendé (de façon assez médiocre, compte tenu des regroupements fédéraux) à partir du nombre des fédérations représentées dans tel département par un ou plusieurs syndicats affiliés. Là encore, nous disposons de plusieurs données pour appréhender cette différenciation professionnelle : nous pouvons étudier l’évolution du nombre des Fédérations dans chaque département durant les quatre premiers congrès ; ou bien le nombre de fédérations représentées à un moment ou à un autre dans le département, entre 1922 et 1927, notion confuse, nous l’avons déjà dit ; ou enfin retenir, malgré l’inconvénient lié au caractère conjoncturel d’une seule année, la situation de 1927. De ce point de vue, nous pouvons distinguer :

• 3 départements irrigués par 18 fédérations ou plus (sur un total de 2413) : Région Parisienne, Bouches-du-Rhône, Rhône.
• 8 départements dans lesquels 14 à 17 fédérations sont représentées : Gironde, Indre-et-Loire, Nord, Seine-Inférieure, Cher, Loire, Var et Haute-Vienne.
• 5 départements dans lesquels de 10 à 13 Fédérations sont implantées : Ain, Allier, Alpes Maritimes, Aube, Charente, Charente-Inférieure, Côte-d’Or, Dordogne, Finistère, Gard, Haute-Garonne, Hérault, Isère, Maine-et-Loire, Marne.
• 36 départements abritent de 5 à 9 fédérations.
• Enfin, 24 départements abritent moins de 5 fédérations.

20La collecte de ces trois séries de données fait apparaître d’évidentes convergences. Ainsi les six départements qui possèdent le plus grand nombre de syndicats sont également présents aux meilleures places pour le nombre des syndiqués et pour la variété de l’éventail professionnel. Cependant, certaines anomalies sont particulièrement frappantes : un département riche en syndicats divers, comme les Alpes-Maritimes, rassemble pourtant assez peu de syndiqués, autrement dit, ses unités de base sont nombreuses, variées et de taille médiocre. Tel autre, comme la Moselle, rassemble plus de 10 000 syndiqués, mais professionnellement affilés à quatre fédérations seulement et regroupés dans des syndicats puissants mais assez peu nombreux. Il est donc tentant d’essayer de dégager une classification d’ensemble de l’implantation régionale unitaire, à partir des trois critères utilisés en calculant (selon la méthode mise au point par Mme Kriegel14) trois indices d’égale importance :

• Indice 1 calculé en fonction du nombre de syndiqués affiliés dans chaque département (rapport entre le nombre des syndiqués du département et le nombre total des syndiqués de la CGTU en 1927).
• Indice 2 calculé sur la base du nombre des syndicats représentés dans chaque département en 1927 (rapport entre le nombre des syndicats départementaux et le nombre total des syndicats unitaires).
• Indice 3, de différenciation professionnelle, établi sur la base du nombre des fédérations représentées dans chaque département en 1927 (rapport entre le nombre de fédérations dans le département et le nombre total des fédérations, rapporté à 100).

21Nous parvenons ainsi à dégager un indice général moyen (300 = 3,57) autour duquel nous pouvons ventiler les départements selon leur importance respective dans la CGTU :

• 6 départements-pilotes (dont l’indice général est supérieur à deux fois l’indice confédéral moyen) ; dans l’ordre décroissant : Région Parisienne, Nord, Rhône, Seine-Inférieure, Cher, Bouches-du-Rhône.
• 8 départements d’importance considérable (dont l’indice général est compris entre 1,25 et 2 fois l’indice confédéral moyen) : Loire, Gironde, Pas-de-Calais, Indre-et-Loire, Hérault, Bas-Rhin, Gard, Aube.
• 18 départements d’importance moyenne (dont l’indice oscille autour de l’indice confédéral : de 1,25 supérieur à 1,25 inférieur) : Haute-Vienne, Moselle, Alpes-Maritimes, Var, Allier, Finistère, Maine-et-Loire, Charente, Côte-d’Or, Isère, Nièvre, Charente Inférieure, Ille-et-Vilaine, Marne, Saône-et-Loire, Ain, Dordogne, Seine-et-Marne.
• 28 départements d’importance réduite (indice compris entre les 3/4 et la moitié de l’indice moyen) : Aisne, Oise, Basse-Pyrénées, Haute-Garonne, Yonne, Somme, Loiret, Indre, Lot-et-Garonne, Meurthe-et-Moselle, Eure, Vienne, Loire-Inférieure, Deux-Sèvres, Tarn, Sarthe, Calvados, Corrèze, Vaucluse, Orne, Doubs, Jura, Vosges, Loir-et-Cher, Haut-Rhin, Puy-de-Dôme, Pyrénées-Orientales, Ariège.

22Enfin 26 départements d’importance minime (indice inférieur à la moitié de l’indice confédéral) : Drôme, Eure-et-Loir, Ardennes, Creuse, Mayenne, Savoie, Haute-Savoie, Meuse, Côtes-du-Nord, Manche, Hautes-Pyrénées, Vendée, Haute-Saône, Haute-Marne, Territoire de Belfort, Aveyron, Ardèche, Morbihan, Basses-Alpes, Lot, Tarn-et-Garonne, Hautes-Alpes, Cantal, Corse, Haute-Loire.

23Certes cette typologie repose sur la mise au jour de modes d’organisation propres à la seule CGTU. Elle peut néanmoins fournir une base de recherches méthodiques sur la place du mouvement unitaire dans le pays ; alors que toute approche globale du taux de syndicalisation s’avère hors de portée, il sera possible d’étudier les ensembles ainsi définis et d’abord les secteurs-clés15. De même il devient possible d’étudier plus sérieusement le processus de la scission en comparant avec les données établies pour la CGT unifiée de 1918-1921 par Annie Kriegel16 ensuite en comparant les zones de force et de faiblesse de la CGTU entre 1922 et 1927 avec celles de la CGT à la même époque. C’est en cela seulement qu’une telle méthode peut paraître prometteuse.

La structure professionnelle

24La répartition professionnelle de la CGTU peut être appréhendée au moyen de critères semblables à ceux qui nous ont permis de décrire le réseau régional. En effet, il suffit de ventiler selon les fédérations et non plus selon les départements les données fournies par les annexes aux procès-verbaux des congrès et de classer les fédérations selon le nombre de leur rayonnement géographique. Là encore, l’année 1927 s’est imposée comme base de calcul indispensable parce que les données fournies permettent alors un recensement des adhérents. Au surplus, à cette date, le processus de regroupement fédéral est en voie d’achèvement et se termine ainsi une période de rapides mutations.

25Le nombre des syndiqués adhérents à chaque fédération n’est connu que pour 1923 et 1927 : comme nous avons déjà étudié l’évolution propre à chaque organisation professionnelle entre les deux dates précitées17, nous limiterons nos investigations sur ce point à l’année 1927.

26La taille fédérale moyenne (431 240 adhérents à ventiler entre 24 organisations, c’est-à-dire 17 968 par unité) n’a aucun sens, puisque (même si on écarte la fantomatique fédération des marins-pêcheurs aux 525 adhérents), le rapport reste de 1 à 130 entre la fédération la plus exiguë (spectacle) et la plus imposante (cheminots). On peut isoler ainsi six groupes, à l’intérieur desquels nous avons classé les fédérations par ordre décroissant.

• Groupe 1 (plus de 50 000 adhérents) : une seule fédération, celle des cheminots qui regroupe en 1927 114 285 adhérents.
• Groupe 2 (de 30 000 à 50 000 adhérents) : quatre fédérations : éclairage-services publics, métaux, bâtiment, textile, vêtement.
• Groupe 3 (de 10 000 à 50 000 adhérents) : sept fédérations : sous-sol, transports. établissements de l’État, fédération postale, livre-papier, alimentation, bois.
• Groupe 4 (de 5 000 à 10 000 adhérents) : six fédérations : ports et docks, céramique-produits chimique, cuirs et peaux, verre, agriculture, employés.
• Groupe 5 (de 1 000 à 5 000 adhérents) : quatre fédérations : enseignement, coiffeurs, bijou, tabacs.
• Groupe 6 (moins de 1 000 adhérents) : les deux fédérations du spectacle et des marins.

27On peut remarquer que les cinq plus importantes fédérations encadrent 61,85 % des syndiqués : autrement dit les 2/3 des adhérents de la CGTU sont rassemblés dans 1/5 des organisations « verticales ». C’est dire l’extrême variété qui subsiste à ce niveau et le caractère minime de bien des unions professionnelles de la CGTU, puisque la moitié d’entre elles ne rassemblent qu’un peu plus d’un syndiqué sur dix. Ces chiffres semblaient à eux seuls justifier les regroupements fédéraux, mais établis au terme de ce resserrement, ils en traduisent sinon l’échec, au moins les limites.

28Encore faut-il envisager la répartition professionnelle des syndicats. La moyenne calculée pour 1922-1927 (nombre total des syndiqués représentés par fédération aux congrès de 1922, 1923, 1925 et 1927) fournissant des données équitables mais abstraites, nous nous rabattrons comme à l’ordinaire sur les chiffres de l’année 1927. La CGTU rassemble alors à son congrès confédéral 1 497 organisations réparties en vingt-quatre fédérations (moyenne 62). Mais la répartition de ces syndicats selon les critères professionnels fait paraître des inégalités, certes moins amples qu’au niveau des syndiqués, mais qui n’en restent pas moins considérables :

1. Une fédération, celle des cheminots, compte plus de 200 syndicats (en réalité 406).
2. Deux fédérations regroupent de 100 à 200 syndicats : par ordre décroissant, le bâtiment et les métaux
3. Quatre fédérations ont plus de 50 mais moins de 100 syndicats : textile-vêtement, fédération postale, alimentation, bois.
4. Onze fédérations rassemblent de 30 à 50 organisations de base : agriculture, éclairage-services-publics, livre-papier, coiffeurs, verre, transports, enseignement, travailleurs de l’État, employés, sous-sol, céramique, produits chimiques.
5. Trois fédérations possèdent de 10 à 30 syndicats : cuirs et peaux, tabacs, ports et docks.
6. Enfin trois fédérations se contentent de moins de 10 syndicats : spectacle, bijou, marins.

29Ainsi, un tiers des fédérations rassemble plus des deux tiers des syndicats (69,45 %) ; mais à elles seules, les trois organisations les plus puissantes fournissent à peine moins de la moitié des organisations de base de la CGTU. Ces données semblent donc bien confirmer le relatif échec de l’effort de regroupement entrepris dans la période antérieure. Elles indiquent également le poids très lourd dont pèsent dans la confédération quelques organisations aux imposants effectifs.

30D’autant que la puissance numérique se double d’un rayonnement géographique également fort inégal. De ce point de vue on peut classer les fédérations de la CGTU, pour l’année 1927 en six groupes18 :

1. Une fédération est implantée dans plus de soixante départements métropolitains : celle des cheminots.
2. Trois fédérations rayonnent sur 70 départements au plus et 50 au moins : par ordre décroissant, la fédération postale, les métaux, le bâtiment.
3. Quatre fédérations rayonnent sur 30 à 50 départements : textile-vêtement, enseignement, alimentation, bois.
4. Huit fédérations ont des adhérents dans 30 départements au plus, 21 au moins : éclairage-services publics, coiffeurs, établissements de l’État, livre-papier, cuirs et peaux, transports, sous-sol et employés.
5. Cinq fédérations sont représentées dans 10 à 20 départements : produits chimiques-céramique, tabacs, agriculture, verre, ports et docks.
6. Enfin, trois fédérations ont un cadre territorial exigu (moins de dix départements) : marins, bijou, spectacle.

31Reste à évaluer l’influence de chacune des fédérations en fonction des trois facteurs retenus, considérés chacun comme d’importance égale. La tentation en est d’autant plus forte que des inégalités réelles apparaissent au travers de nos divers classements. Ainsi la Fédération postale vient au 2^e rang pour le nombre des départements qu’elle irrigue, mais au 9^e seulement pour le nombre de ses syndiqués, indice certain que ses syndicats de base, nombreux et dispersés, sont d’assez faible taille. Inversement, la fédération de l’Éclairage-Services publics, qui vient au 2^e rang pour le nombre des syndiqués recrute ceux-ci dans 28 départements seulement. D’où le calcul des trois indices déjà effectué pour les départements :

• Indice 1 : concernant le nombre des syndiqués : c’est ici le rapport entre les nombres des syndiqués fédérés et de syndiqués.
• Indice 2 : concernant les organisations : rapport entre le nombre des syndicats par fédération et le nombre total des syndicats affiliés à la CGTU.
• Indice 3 : rapport entre le nombre des départements où chaque fédération est implantée et le nombre total des départements métropolitains, rapporté à 100.

32L’indice général à 300 c’est-à-dire 12,50.

33Le regroupement des fédérations en fonction de cet indice moyen permet de dégager cinq types de fédérations, d’importance décroissante :

1. Les fédérations pilotes (dont l’indice général est au moins double de l’indice général) : 3 organisations classées par ordre décroissant : cheminots, bâtiment, métaux.
2. Les fédérations importantes (dont l’indice général est compris entre 1,25 et 2 fois l’indice moyen) : trois organisations textile-vêtement, fédération postale, éclairage-services publics.
3. Les fédérations moyennes (dont l’indice général oscille autour de l’indice moyen : de 1,25 fois à 0,75 fois) : cinq unions professionnelles alimentation, sous-sol, bois, transports, établissements de l’État.
4. Les petites fédérations (dont l’indice général est compris entre 0,75 et 0,50 de l’indice moyen) : livre-papier, enseignement, coiffeurs, cuirs et peaux, employées céramique-produits chimiques et agriculture : soit au total, 7 unités.
5. Enfin le groupe des fédérations d’importance minime (indice général inférieur à la moitié de l’indice moyen) : verre, ports et docks, tabacs, bijou, marins et spectacle donc cinq organisations.

Bilan

34Au terme de sa phase d’enracinement, la CGTU présente un certain nombre de traits contradictoires dont certains, encore mal perçus par les dirigeants, risquent à terme de devenir inquiétants.

35Les disparités structurelles sont les plus aisément perceptibles : malgré le grand saccage des anciens modes d’organisation verticaux et horizontaux, l’implantation reste disparate. C’est d’abord visible au niveau des fédérations dont les effectifs, les formes de regroupement, la taille moyenne des syndicats, l’influence régionale restent extraordinairement hétérogènes. De sorte que la tentation est grande de soumettre certaines fédérations aux effectifs médiocres et à l’influence réduite, à des expériences souvent hâtives et parfois malencontreuses, tel le regroupement projeté des syndicats de l’alimentation, malgré la diversité des conditions de travail et de salaire, mais les réticences de la base imposèrent l’arrêt de l’expérience ; le prix en fut élevé. Par contre, la fédération des cheminots, orgueil de la CGTU par l’ampleur de ses progrès, le nombre de ses bases d’organisation et de ses syndiqués, par l’intensité de son rayonnement régional, reste à l’écart des grandes vagues de réorganisation. Certes, un effort y est tenté pour diminuer les particularismes de réseaux et constituer une organisation réellement unifiée. Mais pour le reste, ses dirigeants se contentent d’appuyer chaleureusement (ne serait-ce que par l’intermédiaire de son représentant le plus important, Gaston Monmousseau, secrétaire général de la CGTU) les efforts de réorganisation et de ne point les pratiquer. En effet, la grande fédération des Transports très tôt projetée, échoue devant la réserve cheminote ; et la multiplicité des syndicats selon les lignes, les localités, les gares de triage, resteront son fait, sans qu’aucune tentative de syndicat régional ne soit jamais tentée. Vérité au-delà des voies ferrées, erreur en deçà : faut-il attribuer à ce refus de l’innovation la sereine stabilité de cette organisation ?

36Géographiquement, les contrastes notés dès la scission ne se sont guère atténués et l’extrême variété des densités syndicales reste la règle. Le réseau des Unions Locales demeure, malgré ses progrès, de structure lâche. Même dans les secteurs pilotes de la confédération, d’étonnantes disparités se font jour soit que des régions entières restent négligées, soit que des corporations importantes demeurent sourdes aux invites unitaires. Une analyse par région le montre à l’évidence. Mais il n’est pas inutile de fournir dès à présent quelques exemples.

37La substitution des Unions Régionales aux unions départementale partiellement destinée à évangéliser les régions rebelles au syndicalisme unitaire n’a pas, de ce point de vue, donné des résultats très convaincants : certes l’éventail sériel des UR selon le nombre de leurs adhérents est moins ouvert que celui des UD mais assez peu finalement, et le champ d’action des militants syndicaux n’en est guère facilité. Par exemple, le regroupement en une Union Régionale des trois départements des Landes, des Hautes et Basses-Pyrénées ne pouvait guère qu’aboutir à un résultat médiocre ; soit que les militants actifs des Basses-Pyrénées s’acharnent à recruter dans les secteurs vierges des Landes et négligent leurs localités d’origine, soit qu’au contraire, ils restent cantonnés dans celles-ci malgré le nouveau découpage administratif ; et l’effort de quelques permanents n’était pas suffisant pour faire surgir du néant les unités syndicales ardentes et stables. L’arbitraire de certains découpages régionaux ajouta encore aux difficultés : comment sillonner vraiment telle région s’étendant de Marseille à Briançon, telle autre d’Autun au Puy, alors que, par ailleurs, étaient dissociés des régions aussi proches que les Haut et Bas Dauphiné ? La réorganisation confédérale dans ces conditions n’était guère de nature à rendre les vocations syndicales plus uniformes et nombreuses.

38Ont-elles malencontreusement conduit au résultat inverse ? L’opposition syndicaliste révolutionnaire ne se fit pas faute de le prétendre dès les premiers signes de récession. Dans la XX^e Union Régionale, le regroupement de l’Oise et du Loiret avec l’ensemble parisien, loin de fournir à ces départements, de foi tiède et de pratique occasionnelle, les militants capables de multiplier les fidèles, aurait au contraire entraîné le drainage vers la capitale des meilleurs militants de ces zones périphériques, aimantés par la Grange-aux-Belles et vite accaparés par les tâches administratives de cette gigantesque union « locale ». L’exemple n’est pas invraisemblable ; mais est-il probant et surtout a-t-il valeur générale ? Il serait aventureux de l’assurer. Il reste que dans la CGTU de 1927 pèse très fortement le poids de deux ensembles « monstrueux » : la fédération des cheminots d’une part et la région parisienne d’autre part, regroupant à elle seules – chacune dans son domaine – un quart et un tiers de l’ensemble des syndiqués unitaires (voir carte 6). Structure bicéphale bien lourde pour un corps trop grêle.

39Autre sujet d’inquiétude : la capacité d’intervention de la CGTU dans la vie de la nation n’a guère progressé. Certes la confédération a gagné des syndicats et des syndiqués depuis la scission, mais l’instabilité grandissante de certaines de ses organisations, la baisse incessante de la capacité de créer de nouvelles cellules de base modifient lentement les assises confédérales. Régionalement d’abord : il est certes important et prometteur que la CGTU progresse assez largement dans la France du Sud et de l’Est ; mais encore faut-il se souvenir que ces régions possèdent un taux d’instabilité beaucoup plus élevé que les vieux fiefs du syndicalisme révolutionnaire, dont certains (tel le centre est) piétinent ou reculent. Dans ces conditions, les nouvelles pousses seront-elles vivaces ? Viennent les tempêtes et alors risque de se révéler la précarité de cette poussée missionnaire.

40Le glissement professionnel n’est pas moindre ni moins préoccupant. La ventilation des effectifs syndicaux selon les critères vagues19 mais suggestifs de « secondaire » et de « tertiaire » suscite d’utiles réflexions.

41Depuis 1922, la CGTU a honnêtement progressé dans les deux catégories tertiaires ainsi définies, beaucoup moins d’ailleurs dans le secteur étatisé20 que dans la part du secteur privé (ou semi-public) soumis à réglementation statutaire. Dans ce groupe en effet, les progrès sont spectaculaires, tant en valeur absolue (de 94 821 à 149 900 adhérents : la progression est donc de 56 %) que relative, puisque ce groupe gagne huit points dans la Confédération (26,82 % des effectifs unitaires en 1923, 34,64 % en 1927). Cette double progression n’est en rien étonnante, si l’on se souvient de la remarquable stabilité des syndicats de ces catégories, associant une natalité parfois peu élevée à une mortalité toujours faible. Mais ces fédérations « tertiaires », minoritaires dans la CGTU à ses origines, cessent de l’être au terme de la période envisagée : de 42,02 % des effectifs syndiqués en 1923, elles sont maintenant passées à 50,39 %.

42Tout autre est l’évolution des fédérations du « secondaire ». Rassemblant (si l’on y inclut les mineurs) 169 306 adhérents en 1923, elles n’en regroupent plus que 164 575 en 1927. Certes, le recul absolu de ces organisations fortement soumises aux mortalités épidémiques est assez faible (- 2,80 %) et si l’on veut bien exclure temporairement le Sous-sol de ce groupe, il y a même léger progrès (+ 0,32 %, ce qui confirme le caractère ambigu de la Confédération des mineurs). Mais leur déclin relatif dans la CGTU est sérieux : fournissant près de la moitié des cotisants en 1923 (47,89 %), elles n’en rassemblent plus que 38,16 % au terme de la période.

43La signification politique de cette évolution ne saurait être sous-estimée. Il s’agit d’abord d’en prendre la mesure pour le fonctionnement interne de la CGTU, dans laquelle aux échelons locaux et régionaux progressent les adhérents du « tertiaire » (une étude d’ensemble des départements montre que leur influence pour n’être ni régulière ni générale concerne les départements de toutes tailles, y compris les plus riches en hommes et en organisations diverses) et, par voie de conséquence, les dirigeants au moins aux niveaux inférieurs ; car les leaders de la CGTU, sensibles à ces phénomènes, facilitent délibérément pour d’évidentes raisons idéologiques la montée des cadres du secteur directement productif au détriment des militants des services. Mais beaucoup plus grave est la stagnation, voire le recul de l’organisation unitaire dans les secteurs vitaux de l’économie pour une confédération qui se veut révolutionnaire et apte à frapper « l’ennemi de classe » au cœur, et il y a là matière à de sérieuses autocritiques.

Graphique n° 5 : évolution des effectifs des fédérations en recul (en milliers de syndiqués).

44Enfin sont préoccupants l’arrêt de la progression du nombre des syndicats (même si pour les dirigeants unitaires ce n’est pas un symptôme inquiétant) et le recul, à partir de 1926, du nombre des adhérents. Certes il peut ne s’agir que d’une pause temporaire, durant laquelle la confédération rassemble ses forces pour repartir à l’assaut, au moins les dirigeants cherchent-ils à s’en convaincre. Mais à qui scrute attentivement les profondeurs de l’être syndical, la situation apparaît autrement sérieuse : le recul constant du taux de natalité et le progrès régulier de la mortalité syndicale constituent d’inquiétants symptômes. Il n’est pas sans signification de constater que c’est justement en 1927 que les deux courbes, descendante de la natalité, montante de la mortalité se rejoignent. La CGTU, vieille de six ans, est comme frappée de sénilité.

Carte n° 8 : les bases de l’opposition en 1922.

Carte n° 9 : nombre moyen de syndicats représentés par département à chaque congrès (1922-1927).

Carte n° 10 : nombre d’adhérents aux Unions Régionales de la CGTU en 1927.