1[Mention : tout le chapitre est à réécrire !]

2Que le congrès extraordinaire qui s’ouvre le 22 décembre à la Grange-aux-Belles soit pour les minoritaires un incontestable succès, il n’est que de scruter attentivement les chiffres pour s’en convaincre : environ 1 500 syndicats1, mandatant près de 500 délégués, s’y font représenter malgré l’interdit confédéral. Mais comme la plupart des chiffres sont violemment contestés par les majoritaires, il importe de faire minutieusement le point.

Contreverses autour des chiffres

3Le Peuple du 23 décembre parle du « miracle de la multiplication des mandats »2. Mais la délégation envoyée par le congrès au bureau confédéral remet à Lapierre dès le 23 la liste de 1 528 organisations confédérées3 et la Vie Ouvrière des 6 et 13 janvier fournit une liste de 1 519 syndicats. De sorte que par la suite, les majoritaires adoptent une argumentation plus nuancée.

4Selon eux :

51°) De nombreuses organisations représentées sont des fantômes ne payant plus, depuis longtemps, leurs cotisations ; de plus, certains syndicats ont été entraînés contre leur gré, sans même être consultés, au congrès unitaire4. Mais les contestations – qui semblent porter sur une cinquantaine de mandats, 3 % des syndicats représentés5 – sont du même ordre que celles qui ont été enregistrées lors des précédents congrès confédéraux.

62°) Les présents n’englobent, malgré toutes les manipulations, qu’une minorité des syndicats de la CGT : les 11 Fédérations représentées ne compteraient que 120 000 cotisants à peine6 ; les UD seraient pour la plupart d’importance médiocre 7 ; enfin la CGT comptant près de 4 000 syndicats8, les organisations présentes à Paris ne constitueraient de toute façon qu’une minorité de la Confédération.

7L’examen des chiffres par unions et fédérations ne laisse pas une telle impression de faiblesse ; quant au chiffre avancé par la Commission Administrative, il paraît excessif : à Lille, 2 942 syndicats s’étaient fait représenter. Pour que la CGT de la fin 1921 regroupe près de 4 000 organisations9, il faudrait :

• a) que le chiffre des organisations ait considérablement progressé entre juillet et décembre10. En soi, une telle hypothèse n’a rien d’absurde. Annie Kriegel a bien montré qu’entre 1920 et 1921, alors que reflue le nombre des adhérents, celui des organisations syndicales continue de croître11 : « le dynamisme de la collectivité syndicale se maintient encore que déjà le dynamisme de l’individu syndiqué s’épuise »12.

8Mais la plupart des indices que nous possédons sur les congrès de fédérations et d’Unions Départementales qui se tiennent à l’automne 1921 montrent qu’un peu partout il y a recul du nombre de syndicats depuis le milieu de 1921, que les luttes internes qui ravagent le mouvement ouvrier font fuir les adhérents et disparaître les organisaions13. Dans ces conditions, une augmentation de 1 050 syndicats en cinq mois (35 % d’augmentation) paraît peu probable.

• b) Qu’un grand nombre d’organisations confédérées ne se soit pas fait représenter au congrès confédéral de Lille. Là encore, l’hypothèse est tout à fait admissible : de nombreuses organisations ne participent qu’irrégulièrement à la vie confédérale, se faisant de temps à autre représenter à un congrès, fédéral, départemental ou national, et ignorant souvent les instances confédérales. Mais comme il s’agit la plupart du temps d’organisations qui traînent une vie végétative mal distincte de la mort clinique, il y a toutes chances pour que l’état de crise épidémique qui saccage alors la CGT en fasse disparaître un grand nombre. Et même si l’on marie les deux hypothèses, il reste que le chiffre des syndicats représentés à Lille est une base d’estimation autrement sérieuse que celle avancée par la CA du 27 décembre.

93°) Le nombre des mandats « comprend de nombreux syndicats non-confédérés ainsi qu’un grand nombre de mandats ne représentant que des minorités syndicales »14 : ce troisième argument avancé par la majorité confédérale est beaucoup plus sérieux que les précédents. Il concerne évidemment l’épineux problème des exclus. Mais il s’agit la plupart du temps de syndicats qui avaient régulièrement participé au congrès de Lille et qui peuvent donc dans nos calculs être tenus pour des organisations représentatives ou des fractions « minoritaires » exclues par leurs syndicats fidèles à la direction confédérale ; mais dans ce cas le nombre n’en pouvait être que très faible. En effet si les Unions Départementales et fédérations avaient commencé à exclure des syndicats minoritaires entiers, il était beaucoup plus difficile de faire admettre et appliquer par des syndicats de base l’exclusion de camarades de travail côtoyés quotidiennement : à notre sens la répugnance de la masse ouvrière en face des exclusions avait sans doute considérablement limité le phénomène d’exclusion à la base, dont il est très rarement fait état dans la presse confédérale, après la publication dans La VO des listes de syndicats participants au congrès de Paris. Or, il ne semble pas que ce fut le cas15.

10L’énorme pression exercée par la direction confédérale s’était donc révélée inapte à empêcher plus de 1 350 syndicats de rejoindre le congrès unitaire : pour la moitié des organismes de base de la CGT, la solidarité avec les exclus l’avait emporté sur la discipline confédérale. À notre sens, il est impossible de considérer le congrès unitaire de décembre comme truqué ou systématiquement « gonflé » : est donc permis d’examiner les nouveaux progrès accomplis depuis Lille par la minorité16 et son enracinement dans le « pays syndicaliste ».

Les progrès de la minorité

11Si l’on compare les positions de la minorité à Lille et à Paris, les progrès apparaissent considérables.

1. au niveau confédéral

12La minorité qui représentait 1 348 syndicats à Lille en représente 1 519 à Paris17 : elle gagne donc 171 syndicats et, en pourcentage, 6,96 %18.

1. au niveau fédéral

• a) au niveau des fédérations syndicales (supérieurs à 20 %) dans 6 fédérations : agriculteurs, alimentation, bâtiment, finances, papier-carton, teinture.

13Cette progression peut même être jugée aberrante dans deux fédérations : la teinture (50 % en plus) et le papier-carton (33 % en plus). Encore faut-il remarquer qu’il s’agit de fédérations minuscules (2 syndicats pour la teinture, 15 pour le papier-carton) où le déplacement de quelques syndicats rend les taux de progression vertigineux (les minoritaires auraient seulement gagné 5 syndicats dans le papier-carton entre Lille et Paris, ce qui est bien possible).

• b) des progrès importants (compris entre 6,96 % et 20 %) dans huit fédérations : ameublement, céramique, cheminots, dessinateurs, inscrits maritimes, tabac, verre, voiture-aviation.
• c) des progrès médiocres (moins de 6,96 %, c’est-à-dire inférieurs à l’indice général de progression de la minorité) dans 10 fédérations : bijoux, coiffeurs, éclairage, employés, métaux, ports et docks, sciage-tabletterie, services publics, sous-sol, transports.
• d) une stagnation dans 10 fédérations : blanchisserie, chapellerie, guerre (magasins administratifs), guerre (personnel civil), mairie-état, pharmacie, poudrerie, produits chimiques, services de santé, monnaies et médailles.
• e) un recul dans 10 fédérations : cuirs et peaux, fonctionnaires, habillement, enseignement, livre, PTT, spectacle, textile, tonneau et allumettes19.

14Autrement dit, la progression minoritaire n’est ni régulière ni générale20. Il est d’ailleurs très intéressant d’examiner les cas extrêmes :

• parmi les quatorze fédérations où la minorité accuse une progression considérable ou importante21, neuf votaient en majorité pour les adversaires du bureau confédéral dès le congrès de Lille22.
• par contre, parmi les dix fédérations où la minorité recule, huit étaient aux mains des majoritaires. On a donc l’impression très nette qu’à l’heure de l’affrontement final, la solidarité fédérale joue fortement : les minoritaires reculent surtout dans les fédérations acquises au bureau confédéral : ils progressent considérablement surtout dans les fédérations déjà acquises.

1. au niveau des Unions Départementales23

15La minorité y connaît :

• a) des progrès considérables (plus de 20 % par rapport au congrès de Lille) dans 23 départements24.
• b) des progrès importants (6,96 à 20 % de progression) dans 27 départements25.
• c) des progrès médiocres (inférieurs au taux confédéral de progression minoritaire, 6,96 %, dans 7 départements26.
• d) une stagnation dans 11 départements27.
• e) enfin un recul dans 24 Unions Départementales28.

16Ainsi, l’étude de l’évolution départementale de l’assise minoritaire confirme-t-elle l’irrégularité déjà constatée au niveau des fédérations. Mais on peut remarquer que la progression des minoritaires se fait de la même manière dans les fédérations et dans les Unions Départementales (61,95 % des UD connaissant un progrès minoritaire, et 60 % des fédérations). Autrement dit, à ce stade décisif de la lutte pour le pouvoir de la CGT, le tissu fédéral, qui s’était avéré jusque-là plus apte – parce que plus structuré et plus centralisé – à freiner la progression minoritaire que le réseau départemental semble perdre de son efficacité.

Carte n° 1 : implantation départementale de la minorité au « Congrès extraordinaire » de Paris (décembre 1921) (pourcentage des syndicats de la CGT présents à ce congrès).

Les positions de la minorité dans la CGT

17Les progrès de la minorité (sensibles dans la double structure confédérale) appréciés, il importe de mesurer les positions conquises par elle et celles qui lui échappent encore. On peut en avoir une idée relativement précise en comparant la répartition des syndicats minoritaires à l’ensemble des syndicats représentés au Congrès de Lille.

1. Au niveau confédéral

18La minorité, qui regroupait 44,69 % des syndicats à Lille, représente maintenant 51,63 % de ceux-ci. Si l’on admet la stabilité ou le déclin des effectifs syndicaux entre août et décembre 1921, l’affirmation des minoritaires : « nous représentons la majorité des syndicats de la CGT » semble exacte. Mais il s’agit là d’une donnée si incertaine que nous ne lui accorderons pas autrement attention.

1. Au niveau fédéral

19Les adversaires de la direction confédérale occupant maintenant :

• a) des positions inexpugnables (plus de 80 % des mandats) dans sept fédérations : ameublement, bâtiment, blanchisserie, coiffeurs, papier-carton, teinture, voiture-aviation.
• b) des positions très fortes (61 à 80 % des syndicats) dans sept fédérations29 également : alimentation, bijou, céramique, cheminots, enseignement, marin-état, produits chimiques.
• c) des positions fortes (51 à 60 %) dans trois fédérations : métaux, sciage-tabletterie, verre.

20Au total les futurs « unitaires » semblent l’emporter dans 17 fédérations d’industrie, dont certaines, et non des moindres comme les métaux, la céramique et le papier, sont encore aux mains de leurs adversaires.

• d) des positions moyennes (41 à 50 %) dans deux fédérations : agriculture et textile.
• e) des positions médiocres (21 à 40 %) dans dix-sept fédérations : allumettiers, cuirs et peaux, employés, finances, guerre (magasins administratifs), guerre (personnel civil), livre, pharmacie, ports et docks, fédération postale, poudreries-raffineries, service de santé, sous-sol, spectacle, tabacs, tonneaux, transports.
• f) des positions très faibles (inférieures à 21 % des mandats) dans huit fédérations : chapellerie, dessinateurs, éclairage, habillement, inscrits maritimes, services publics, fonctionnaires, monnaies30.

1. au niveau départemental :

21Les minoritaires occupant :

• a) des positions inexpugnables (plus de 80 % des mandats) dans quinze départements : Ariège, Charente, Côtes-du-Nord, Creuse, Dordogne, Finistère ; Gard, Indre, Indre-et-Loire, Isère, Mayenne, Moselle, Savoie, Var et Vaucluse31.
• b) des positions très fortes (61 à 80 % des mandats) dans 17 départements : Ain, Alpes-Maritimes, Aude, Charente-Inférieure, Doubs, Drôme, Loire, Lot, Lot-et-Garonne, Manche, Oise, Rhône, Saône-et-Loire, Seine, Seine Inférieure, Seine-et-Oise, Yonne.
• c) des positions fortes (51 à 60 % des mandats) dans 15 départements : Aisne, Calvados, Cantal, Cher, Côte-d’Or, Eure, Meuse, Morbihan, Basses-Pyrénées, Haute-Savoie, Seine-et-Marne, Deux-Sèvres, Somme, Tarn-et-Garonne, Vienne.
• d) des positions moyennes (41 à 50 %) dans 11 Unions Départementales : Ardèche, Ardennes, Aveyron, Eure-et-Loir, Loiret, Maine-et-Loire, Nièvre, Nord, Sarthe, Haute-Vienne et Algérie.
• e) des positions médiocres (21 à 40 %) dans vingt-quatre départements : Allier, Basses-Alpes, Aube, Bouches-du-Rhône, Corrèze, Gers, Gironde, Hérault, Ille-et-Vilaine, Jura, Loir-et-Cher, Loire-Inférieure, Haute-Loire, Marne, Haute-Marne, Meurthe-et-Moselle, Orne, Pas-de-Calais, Pyrénées Orientales, Haut-Rhin, Haute-Saône, Vendée, Vosges, Tunisie.
• f) des positions faibles (moins de 21 %) dans 10 départements : Hautes-Alpes, Corse, Haute-Garonne, Landes, Puy-de-Dôme, Hautes-Pyrénées, Bas-Rhin, Tarn, Territoire de Belfort, Lozère.

22De cet examen ressortent quelques conclusions qui permettent de mieux situer l’influence minoritaire dans le réseau vertical et horizontal de la CGT.

231°) Les « unitaires » semblent maintenant majoritaires dans 17 fédérations d’industries sur 44 (38,63 %) et dans 47 des Unions Départementales sur 92 (51,08 %) : cela confirme donc l’idée classique que la centralisation des fédérations les rend moins sensibles que les Unions Départementales aux sollicitations de la base ouvrière ; le grand mouvement d’opinion qui porte les syndicats vers les unitaires se traduit immédiatement dans les Unions Départementales, vite réunies, dépourvues la plupart du temps d’une solide équipe de « permanents » ; au contraire, il est freiné dans les Fédérations plus loin – géographiquement et psychologiquement – du syndiqué de base, disposant d’un appareil plus développé. Ce qui explique les malédictions proférées par les minoritaires contre les « fonctionnaires syndicaux », sourds aux aspirations de la masse ouvrière32.

242°) Cette idée se trouve confirmée par l’examen rétrospectif des votes des Unions Départementales et des Fédérations au CCN de septembre :

• a) aucune UD n’y a gravement violé la volonté de ses mandants : c’est-à-dire que, parmi les UD où la majorité des syndicats a voté « unitaire » dès Lille, aucune ne s’est prononcée pour l’exclusion des indésirables33.

25Au contraire, 12 UD « majoritaires » à Lille se sont prononcées contre les exclusions. Sur ces 12 UD, 5 sont partagées à peu près également entre futurs « unitaires » et confédérés34. Mais 7 autres sont incontestablement des unions où la majorité des syndicats vote pour l’orientation confédérale35. Indice incontestable, selon nous, de la répulsion des syndicats de base devant les procédures d’exclusion.

• b) par contre, quatre fédérations, où la majorité des syndicats est à Lille déjà acquise aux unitaires, ont incontestablement agi contre la volonté de leurs mandants : il s’agit des fédérations des métaux, de la céramique, de la marine-état, du papier ; à Lille comme à Paris, le plus grand nombre de syndicats apporte ses voix aux minoritaires36 et pourtant ces fédérations votent pour les exclusions.

26Inversement une seule organisation majoritaire, la minuscule fédération des Monnaies-et-Médailles (un seul syndicat !) vote contre les exclusions37.

273°) L’éventail des Unions Départementales et fédérations impose une autre conclusion que nous avait déjà suggéré l’examen des taux de croissance minoritaires : 5 fédérations seulement sur 44 (à peine plus d’un dixième) se trouvent comprises autour de la moyenne (entre 41 et 60 % de voix « unitaires »), c’est-à-dire menacent de changer à brève échéance d’orientation.

28Dans les Unions Départementales, le tableau est tout autre : 26 UD sur 92 se trouvent dans ce cas (près du tiers). Semble s’imposer à nouveau fortement l’idée que les solidarités fédérales sont plus contraignantes que les solidarités départementales : la plupart des fédérations sont fortement majoritaires ou minoritaires, la confusion n’est pas leur fait ; au contraire, les UD sont beaucoup plus chaudement partagées et dans nombre d’entre elles, les positions s’équilibrent à peu près. À quoi attribuer cette « priorité » des liens fédéraux ? Peut-être tout simplement au fait que les Unions Départementales sont des créations récentes, effectuées à la veille de la guerre, voire dans d’assez nombreux cas, après 191838, alors que la plupart des fédérations ont déjà derrière elles un assez long passé39.

Les assises de la minorité dans la classe ouvrière

29Nous avons jusqu’à présent examiné la dynamique minoritaire dans l’absolu, sans référence aux forces ouvrières agglomérées dans les Unions Départementales et les fédérations. Il importe maintenant d’apprécier cet enracinement minoritaire qui fournit les bases de la future confédération née à Paris, même si elle ne fut baptisée qu’à Saint-Étienne.

30Pour ce faire, nous utiliserons une seule donnée, à notre sens révélatrice : le nombre de syndicats affiliés en 192140 aux diverses organisations.

311°) Selon la taille des Fédérations

• a) dans les trois fédérations pilotes de la CGT (regroupant chacune plus de deux cents syndicats : chemin de fer, bâtiment, métaux) : les révolutionnaires règnent sans partage. [sans partage dans les métaux : absurde]
• b) des six fédérations importantes (de cent à deux cents syndicats affiliés)41 : il n’en demeure qu’une seule : l’alimentation.
• c) dans les dix fédérations moyennes (50 à 99 syndicats)42 : ils n’occupent des positions dominantes que dans trois d’entre elles (ameublement, enseignement, verre).
• d) dans les seize petites fédérations (10 à 49 syndicats)43 : ils sont un peu mieux partagés puisqu’ils l’emportent dans sept d’entre elles : bijou, céramique, coiffeurs, papier-carton, produits chimiques, sciage-tabletterie, voiture-aviation.
• e) enfin, les fédérations minuscules (moins de dix syndicats)44 sont à peu près également partagées, puisque les unitaires dominent quatre d’entre elles : les allumettes, la blanchisserie, la marine-état et la teinture.

32Le « score » des minoritaires est donc d’une extrême irrégularité : dominant encore sans partage les trois grosses fédérations, donc enracinés dans les plus importantes corporations ouvrières, ils sont assurés, après la scission, de ne pas être réduits à l’état de secte sans influence. Mais la faiblesse relative de leur implantation dans les autres fédérations possédant entre 50 et 200 syndicats) rendra la généralisation de leur influence incontestablement difficile. D’autant que la scission, génératrice de désertion massive, va frapper d’entrée les petites fédérations, réduites pour certaines à l’état de vestiges : or, c’est justement dans celles-ci que le bilan unitaire est le meilleur.

332°) Selon la taille des Unions Départementales

• a) dans les trois UD pilotes45 (plus de cent syndicats) : les minoritaires dominent la Seine et le Rhône ; ils dépassent 40 % des mandats dans le Nord.
• b) dans les six UD très importantes46 (60 à 99 syndicats) : les minoritaires en dirigent trois (Loire, Seine-Maritime, Seine-et-Oise) : une quatrième, celle des Bouches-du-Rhône est, depuis le début de l’année 1921, source de litiges constants47, puisque les forces s’y équilibrent.
• c) dans les treize UD importantes48 (40 à 59 syndicats) : les positions minoritaires sont, par contre, très faibles ; dès Lille, ils dominent l’Isère, et semblent conquérir entre août et décembre, la Seine-et-Marne et le Cher, mais perdre par contre l’Algérie. À la fin de 1921, ils tiennent donc, au mieux, trois de ces UD.
• d) dans les trente-cinq UD moyennes49 (vingt à trente-neuf syndicats) : les minoritaires en dominant sans conteste douze : Ain, Calvados, Charente, Charente-Inférieure, Côte-d’Or, Doubs, Drôme, Gard, Indre-et-Loire, Oise, Yonne. Dix autres sont âprement disputées entre les deux tendances : les unitaires semblent en conquérir sept (Alpes-Maritimes, Eure, Finistère, Basses-Pyrénées, Saône-et-Loire, Somme, Vienne), et en abandonner trois (Corrèze, Nièvre, Haute-Vienne) entre Lille et Paris. Au total, les forces s’équilibrent donc à peu près.
• e) dans les vingt-quatre petites UD 50 (dix à dix-neuf syndicats) : les positions sont à peu près identiques. Aux douze UD minoritaires dès Lille, ne s’ajoutent que la Manche et la Meuse, alors que les Hautes-Pyrénées sont perdues.
• f) dans les onze minuscules UD51 (moins de dix syndicats) : les majoritaires l’emportent encore dans sept d’entre elles à Lille, dans six à Paris.

Carte n° 2 : implantation départementale de la minorité au « Congrès extraordinaire » de Paris (décembre 1921), (Nombre de syndicats représentés).

34En définitive, si l’acharnement de la lutte se confirme dans toutes les catégories d’Unions Départementales, les positions « unitaires » sont aussi disparates que dans les Fédérations. Solidement enracinée dans les régions décisives (zones de forte concentration prolétarienne et de vieille tradition syndicaliste), la minorité ne risque guère de manquer de môles d’amarrage : Région parisienne et ses marges Nord, Région Rhône-Alpes, frange méditerranéenne, région Centre-Ouest avec les vieux bastions syndicalistes révolutionnaires de la bordure occidentale et septentrionale du Massif Central… Mais ce qui frappe, c’est plutôt ses inaptitudes à établir un réseau dense et régulier, capable de « quadriller » le pays ; à cet égard, ses singulières faiblesses dans la catégorie des UD « importantes » sont révélatrices et pèseront lourd.

35On comprend dès lors assez bien la lutte engagée dès 1924 dans la CGTU pour le « resserrement » : constitution, autour de quelques noyaux de résistance, de solides fédérations d’industrie et disparition des Fédérations de métier aux horizons étriqués ; autour de points d’ancrage locaux, d’unions régionales cherchant à combler les trous béants du réseau des UD. Autant que par les nécessités politiques de la bolchevisation, cette profonde mutation est imposée par les faiblesses structurelles de l’enracinement unitaire.