Chapitre 1 - Les incertitudes de la minorité
p. 139-154
Plan détaillé
Texte intégral
1Après l’accalmie du congrès de Lille1, les exclusions pour indiscipline reprennent dans le mois d’août : dès le 10, la CA de la CGT dénonce la tenue du congrès minoritaire2 et le renforcement de l’organisation des CSR. Les fédérations des employés3 et de l’agriculture, qui avaient prononcé les premières exclusions et dont les dirigeants s’étaient tus sur ce point au congrès confédéral, publient des résolutions interprétant le vote de Lille sur la discipline et aggravant les dispositions prises avant le congrès à l’encontre des syndicats minoritaires adhérant aux CSR. Par ailleurs, le Bureau Confédéral encourage ouvertement la constitution d’une UD majoritaire dans les Bouches-du-Rhône4, et début septembre tranche le conflit dans la fédération des cheminots en faveur du bureau Montagne. Mais c’est le CCN qui se réunit les 15, 20 et 21 septembre à Paris qui constitue le moment décisif ; il témoigne à la fois des nouveaux progrès minoritaires puisque la motion décidant d’admettre dans la CGT les minorités fidèles à la direction confédérale, n’est adoptée que par 63 voix contre 56, 10 abstentions et un refus de vote5 et de la volonté de la direction confédérale d’expulser de la CGT le kyste minoritaire : opération chirurgicale, dont la plupart des dirigeants confédéraux semblent à la mi-septembre admettre la nécessité s’ils veulent conserver la direction de la CGT ; sur cette détermination, plusieurs témoignages laissent peu de doutes6.
2Dès le mois d’octobre, les exclusions se multiplient, surtout dans certaines fédérations, sous-sol, services publics, ports et docks et dans quelques régions en particulier le nord7.
3Face à cette avalanche d’exclusions, les hésitations de la minorité impressionnent. Si la grande majorité des militants semble décidée à lutter jusqu’au bout contre la scission8, les lourds problèmes en suspens depuis le congrès de l’ISR et le congrès minoritaire de Lille ont accentué les divergences entre les quatre courants qui, depuis 1920, se disputent la direction idéologique du syndicalisme révolutionnaire.
4Temporairement, les communistes fidèles à l’Internationale, semblent hors du jeu : le blâme presque unanime infligé par les CSR en juillet à Tommasi et Godonnèche coupables d’avoir voté la liaison organique entre l’IC et l’ISR, surtout les incessants conflits qui secouent leur parti, les privent d’une orientation claire dont ils auraient le plus grand besoin. Telle est la situation qu’analyse sans fard Rosmer dans une lettre à Losovsky : « Cette situation, elle est dans l’ensemble, exactement comme nous nous la représentions à Moscou : un parti faible parce que la direction est faible, qu’elle n’est pas communiste et rappelle trop l’ancien parti. Une minorité syndicaliste faible parce qu’elle est hésitante, tiraillée entre plusieurs tendances, et n’a pas déterminé jusqu’à présent d’une façon claire notre position. Telle est la situation dans ses grandes lignes. Dans le détail, elle est pire »9.
5Très inquiets devant la perspective d’une scission qui risque de les couper du gros des forces prolétariennes10 et de briser la puissance ouvrière, ayant retenu et assimilé les recommandations de l’Internationale sur la nécessité de travailler dans les syndicats, même dirigés par les éléments réformistes11, ils se sentent pourtant isolés dans le concert minoritaire, en butte aux méfiances et aux incompréhensions (« depuis notre retour de Moscou, nous avons été traités par les CSR en indésirables », écrit Godonnèche à Losovsky, « Monatte m’a accueilli très fraternellement, tout en me reprochant d’avoir signé. Mais en réunion publique, j’ai senti à son attitude qu’il me considérait comme compromettant et je n’ai pas insisté pour continuer ma collaboration à La VO »)12, séparés même de leurs amis les plus précieux, les militants du groupe de La Vie Ouvrière13.
6Ceux-ci 14 (encore appelés « syndicaliste communiste ») forment indiscutablement le noyau de la minorité ; l’expérience militante de nombre d’entre eux, la solidité de leur culture syndicale, le rayonnement d’un Monatte, la remarquable qualité de leur hebdomadaire, en font le pôle d’attraction de très nombreux militants, survivants du syndicalisme révolutionnaire d’avant 1914 ou « nés de la guerre » à la lutte syndicale. Certains d’entre eux15 sont membres du Parti Communiste, mais la plupart regardent avec la plus grande défiance ce parti « fraîchement revenu du Congrès de Tours, encore grouillant d’avocats et d’intellectuels plus ou moins ratés »16. Hostiles au tintamarre anarchiste, ils sont partisans de l’adhésion à Moscou, mais répugnent à l’existence des liens organiques entre l’IC et l’ISR, plus encore à l’établissement d’une collaboration permanente entre le PC français et le mouvement syndical. Convaincus pour la plupart que la guerre et la révolution d’octobre imposent une révision de la Charte d’Amiens17, le premier Congrès de l’ISR, l’ampleur de leurs divergences avec les révolutionnaires russes les conduits depuis juillet à se taire sur certains problèmes, comme celui de l’adhésion à Moscou18 à se rapprocher des « syndicalistes purs »19.
7Sous ce vocable se regroupent (mais dans quel désordre et avec quels tiraillements !) autour de ceux qui ont constitué en février 1921 « Le Pacte »20, des membres du parti hostiles à la ligne de l’Internationale et à la tutelle que celle-ci veut, selon eux, faire peser sur les organisations syndicales21, des éléments plus ou moins frottés d’anarchisme, et enfin une partie des syndicalistes révolutionnaires d’avant-guerre qui n’ont rien n’appris ni rien oublié. Parmi eux, les membres du parti communiste constituent une gent singulière : guerroyant dans le parti contre l’Internationale au nom de leur appartenance au mouvement syndical, brandissant dans le syndicat leur carte du Parti pour mieux combattre la « tutelle » (combien hésitante pourtant !) de celui-ci, ils tirent de cette double appartenance une influence considérable22 ; théoriquement opposés aux libertaires, ils en constituent pratiquement, à cette date les alliés les plus efficaces23.
8Les libertaires ne constituent qu’une fraction intime du mouvement minoritaire : divisés en sectes sourcilleuses et éphémères, qui se heurtent violemment en maintes occasions, perpétuellement tenaillés par les tentations d’une scission qui les séparerait sans recours des bourgeois de la rue Lafayette, ils ne constituent que fugitivement une puissance : leurs bastions ? Quelques syndicats du bâtiment, surtout dans la région parisienne, des métaux dans la région lyonnaise, et le remuant syndicat des artistes dramatiques ; leurs porte-parole favoris : Colomer, Lecoin, personnage volontiers impulsif, inquiétant24, et auréolé par ses prisons de guerre ; leur organe Le Libertaire.
9L’extraordinaire confusion des idées et des tendances dans la minorité, le spectacle curieux de ces communistes dressés contre leur parti, la mainmise quasi-totale des syndicalistes purs sur l’appareil (à vrai dire réduit et fort cahotant) des CSR, et leurs incertitudes doctrinales véritablement sans rivages ; enfin les lourds silences du groupe de La VO qui hésite à étaler ses divisions et casser ainsi un peu plus la minorité, tout cela permet aux anarchistes de jouer un rôle auquel ils n’auraient pas osé songer avant Lille. Rosmer, lucide comme à l’ordinaire le souligne dans une longue lettre à l’Exécutif de l’Internationale Syndicale Rouge, après son retour de Moscou : « bien que Monatte ne veuille pas le reconnaître, les anarchistes y ont pris une assez grande influence25. Leur bagage théorique et leur capacité d’organisation ne sont pas grands ; mais dans l’indécision générale, ils ont l’air de savoir ce qu’ils veulent et où ils veulent aller et ils entraînent avec eux les indécis »26.
10En réalité, comme on l’a noté tout au long des années 1920 et 1921, divers groupes, unis contre la politique des dirigeants confédéraux de la CGT, nouent par ailleurs entre eux et contre eux-mêmes de fugitives et fragiles alliances selon les contraignantes nécessités de l’instant. En novembre 1921, deux indices témoignent d’un rapprochement entre le groupe de La VO et ceux que, pour simplifier, il nous faut bien appeler les « communistes ».
11Premier indice : le 2 novembre, le parti communiste se résout enfin, pour la première fois, à convoquer une conférence de ses membres exerçant une responsabilité dans le mouvement syndical : cette conférence n’a pour but ni de combattre les « déviations syndicalistes » de nombreux membres du Parti communiste27, ni même de définir une tactique commune dans une minorité à la dérive et face à la politique d’exclusions pratiquée par le Bureau Confédéral et les fédérations majoritaires ; mais seulement de mettre au point les thèses syndicales que le comité directeur du parti entend présenter au congrès de Marseille. Pourtant la convocation même de cette conférence, le nombre des participants28, le déroulement point trop heurté des débats et leur relative cordialité 29 contribuent à « dégeler » les rapports entre les communistes30 [idem. Phrase manuscrite : discussions : voir réactions de La VO + article de Chambelland] et leurs « compagnons de route » syndicalistes, entre autres le groupe de la Vie Ouvrière 31. Ce rapprochement va se traduire très rapidement.
12Deuxième indice : au congrès de l’Union des syndicats de la Seine, qui s’ouvre le 13 novembre. Dans cette Union, cœur du mouvement syndicat français et plus encore du courant révolutionnaire [idem : antériorité ?], où l’affaissement des positions majoritaires et l’avancement relatif des processus de la scission32 laissent à peu près seuls face à face les divers courants de la minorité (de sorte que l’Union des syndicats de la Seine est bon microcosme du mouvement ouvrier français – mais avec quelques mois d’avance). Monmousseau, secrétaire fédéral, se dresse – pour la première fois avec cette vigueur – contre les lecteurs dévots de la charte d’Amiens, considérée comme intangible : il fait remarquer que celle-ci « sert justement de drapeau aux éléments les plus opposés du syndicalisme qui sont sur le point de se scinder, tellement ils ne peuvent plus se rencontrer. Il faut donc lui donner un élargissement, une interprétation qui réponde aux événements »33. Entre autres, il se prononce pour la collaboration entre les syndicalismes et les « groupements extérieurs » se réclamant de la Révolution. [idem : trop rapide. Ce n’est pas le fait nouveau […] Souligner le rôle d’Humbert-Droz qui fut hébergé 15 jours chez Monmousseau et souligne avoir discuté passionnément avec celui-ci : préciser les dates]
13Certes Monmousseau refuse au parti tout rôle d’avant-garde34. Mais personne ne s’y trompe réellement et toute la presse ouvrière – Le Peuple narquois, L’Humanité triomphale35, Le Libertaire rageur36 – met en relief le grand pas accompli par le groupe de La Vie Ouvrière en direction de Moscou.
14Pour la première fois avec tant de netteté, un début d’orientation met aux prises les courants de la minorité ; et pourtant ce jour-là la discussion tourne court : soit peur d’être battue par la coalition anarchistes-syndicalistes purs37, soit volonté de ne pas rendre plus évidents, à la veille de la grande confrontation avec la direction confédérale, les clivages de la minorité, la commission exécutive de l’Union de la Seine décide de retirer le projet de résolution qu’elle avait présenté (et qui condamnait les thèses défendues dans le discours de Monmousseau) et de se rallier à une motion d’unité reprenant les termes de la déclaration minoritaire de Lille.
15Le premier grand débat entre minoritaires se termine donc par un armistice boiteux, à l’avantage d’ailleurs des « antiautoritaires » dont la plupart des thèses avaient triomphé au congrès minoritaire de Lille et qui réussissent à maintenir à nouveau dans la plus importante Union de syndicats leurs positions essentielles. Ce n’était certes qu’un sursis et les militants en eurent conscience38. L’apparente unité du mouvement minoritaire ne pouvait plus se faire que sur des motions très générales, évitant soigneusement les problèmes fondamentaux. Confrontation avortée donc ; répétition générale qui impose deux conclusions. La minorité syndicaliste révolutionnaire n’est qu’une voie de simplification ; de nouvelles lignes de partage apparaissent qui effacent les anciennes frontières : au rapprochement entre communistes et « syndicalistes communistes » répond l’alliance entre « fédéralistes », appelée de ses vœux par Le Libertaire 39.
16Deuxième conclusion : à la mi-novembre, l’alliance entre les partisans de l’Internationale Syndicale Rouge n’est encore qu’un accord tacite et fragile entre états-majors40 qui n’a pas encore d’assises à la base41 : aucune campagne de presse ou de réunions n’a fait pénétrer les thèmes (dont nombre restent dans les limbes…) de cette alliance dans les masses ouvrière ; La Vie Ouvrière et L’Humanité pour des raisons fort différentes d’ailleurs se sont tues sur les problèmes fondamentaux du mouvement syndical 42 : comment lutter contre la scission, alors que les scissionnistes ne sont pas tous dans la majorité ? Quels rapports établir entre syndicat et parti ? Comment régler l’épineux problème de l’adhésion à l’Internationale Syndicale Rouge ? C’est ce long silence sur des problèmes décisifs qui fait la force des syndicalistes purs. Et pour renverser le rapport des forces, il n’est d’autres moyens qu’une campagne commune, dans une situation semée d’embûches : tâche complexe, d’autant plus que les partenaires n’ont pas les idées très nettes ; donc tâche longue. Conclusion fondamentale, qui va déterminer le proche avenir : le congrès minoritaire de décembre, qui va connaître la scission du mouvement syndical, sera encore dominé par le bloc anarchistes-syndicalistes purs. C’est celui-ci qui en fixera les contours.
17Après le CCN des 19-21 septembre et l’interprétation restrictive des décisions de Lille, la minorité, divisée en elle-même contre elle-même s’emploie à serrer les rangs, à cacher ses fissures et à faire bonne figure. La situation est pour elle d’autant plus grave que l’application des décisions du CCN est très rapide : chez les cheminots, le bureau Montagne, chargé par la commission administrative de la CGT de convoquer un congrès fédéral capable de trancher le conflit durant depuis plus d’un an, décide d’admettre au congrès les seuls syndicats l’ayant reconnu comme représentant légal de la Fédération : c’était mettre hors de la fédération – et de la CGT – les quelque 280 syndicats de cheminots qui s’étaient affirmés sur la motion minoritaire au congrès de Lille ; c’était bien évidemment résoudre le problème en renvoyant au néant la majorité des syndicats. Le bureau Semard prend donc sur lui de convoquer un congrès « unifié » de syndicats de cheminots43, congrès auquel assisteront, les 19, 20 et 21 novembre, 296 syndicats. Immédiatement le bureau confédéral de la CGT, fort d’une résolution de la commission administrative le mandatant « pour une application ferme des résolutions de Lille et du dernier Comité Confédéral National sur la discipline syndicale »44, désavoue le congrès et exclut les syndicats qui, en y participant, ont violé la discipline syndicale. Par ailleurs, les menaces d’exclusion deviennent réalité dans les fédérations de l’habillement, qui expulse la plupart de ses syndicats parisiens ; du livre qui se sépare de tous les syndicats adhérents aux CSR ; des employés, des services publics. Enfin, alors que certaines Unions Départementales majoritaires agissent dans le même sens, la reconstitution de syndicats et d’Unions fidèles à la direction confédérale est activement poussée dans les départements aux mains des révolutionnaires. De toute évidence, les dirigeants de la CGT frappent vite et fort pour prévenir tout mouvement généralisé de protestation contre les exclusions, pour créer un fait accompli rendant la séparation irrévocable. En face de cette détermination, la minorité cherche une parade : mais les profonds clivages qui la paralysent rendent sa démarche incohérente. Rien n’est plus frappant que l’opposition entre la ténacité de la direction confédérale et les flottements de ses adversaires. Le 27 septembre, au lendemain du Comité Confédéral National, le comité central des CSR lance un manifeste45, signé des trois secrétaires de l’organisation, Besnard, Fargue et Quinton, considérant la scission comme accomplie, mettant en garde contre des réactions prématurées et annonçant la proche convocation d’un congrès de la minorité46 ; mesures manifestement insuffisantes 47, si l’on estime vraiment la scission accomplie (et ceci d’autant plus que la décision de convoquer un congrès minoritaire avait déjà été prise le 12 septembre, donc avant le CCN de la CGT) par le comité central des CSR ; attitude contradictoire qui reflète sans nul doute les désaccords de la minorité, mais aussi la dualité d’organisation qui paralyse toute décision rapide : la direction des CSR ne représente que ceux-ci et n’a pas qualité pour se substituer aux organisations syndicales minoritaires – dont bon nombre n’adhère pas aux CSR.
18Un mois entier va s’écouler avant que des décisions plus précises soient prises : après une tournée de propagande dans les organisations confédérées, une conférence de la minorité est convoquée pour les 31 octobre et 1er novembre, à l’initiative des Unions Départementales de la Seine et de Seine-et-Oise et de la fédération du bâtiment : y étaient invités « les unions et fédérations composant la minorité syndicaliste, les sympathiques ou celles qui s’étaient affirmées au dernier CCN avec la minorité pour l’unité syndicale »48. Outre une démarche49 auprès du bureau confédéral pour demander la tenue d’une commission administrative extraordinaire étudiant les nouveaux rebondissements du conflit des cheminots – démarche demandée par les syndicalistes communistes – la conférence, sur rapport de Besnard, s’enlisa dans une discussion confuse où se heurtèrent partisans de concessions pour demeurer dans la CGT50 et tenants de la création immédiate d’une CGT Révolutionnaire51. Ce dernier projet fut écarté à grand-peine52 et, par contre retenu, le principe de la convocation, hors des instances confédérales, d’un congrès extraordinaire ouvert à tous les syndicats de la CGT. Restait à en fixer la date. C’était évidemment violer la légalité syndicaliste, mais la minorité prise au piège des exclusions et dont les forces risquaient d’être dévorées par le jeu de celles-ci n’avait plus le choix.
19Mais les divergences des minoritaires sont parvenues à un tel point qu’elles ne peuvent plus demeurer à l’intérieur des organisations : dès le début d’octobre, André Colomer, secrétaire du Comité parisien intersyndical du spectacle avait commencé une campagne pour la constitution immédiate d’une CGT neuve53. Cette campagne se poursuit sans relâche durant le mois de novembre. Accusant le comité central des CSR de manquer de méthode, lui reprochant le retard apporté à la convocation du congrès extraordinaire, Colomer avance un bon argument : le chaos existant au sein du mouvement syndical français ne peut conduire qu’à la démobilisation de la minorité et à l’affaiblissement de toute la CGT : il faut donc donner rapidement des directives claires et créer une nouvelle confédération, bannissant la centralisation et les fonctionnaires confédéraux.
20À cette issue claire et immédiatement praticable, le comité central des CSR n’oppose qu’une fausse solution : puisque le bureau confédéral exclut les syndicats adhérents aux CSR, le devoir de toutes les unions, fédérations et syndicats de la minorité est d’adhérer aux CSR. Ce qui n’était avant Lille qu’une invite pressante devient maintenant une obligation immédiate : c’est le seul moyen pour la minorité d’affirmer sa solidarité entière avec les comités syndicalistes révolutionnaires.
21Cette proposition, qui traduit le goût du beau geste, si fréquent chez les syndicalistes purs, laisse entier le problème fondamental : elle ne constitue pas une parade contre les exclusions, parade pourtant urgente surtout dans les fédérations et Unions Départementales où la minorité est faible et peu organisée.
22À l’angoissante question posée à la minorité, les syndicalistes communistes54, hostiles à tout projet de CGTR, vont alors apporter une réponse diamétralement opposée à celle du comité central des CSR ; puisqu’il s’agit de durer, de demeurer coûte que coûte dans la CGT, il faut consentir pour cela à toute concession ne mettant pas en cause la cohésion de la minorité, en particulier puisque c’est la raison mise en avant par le CCN de septembre, il faut retirer les syndicats des CSR55.
23L’idée lancée d’abord dans les syndicats minoritaires de l’Isère, défendue avec vigueur dans La Vie Ouvrière du 28 octobre par Herclet, un de leurs dirigeants56, trouva d’abord Monatte hésitant57 ; défendue sans succès à la conférence de la minorité, elle fut reprise très largement dès la mi-novembre, dans les colonnes de La Vie Ouvrière58 qui publia, successivement de nombreux appels et déclarations de militants de province59, qui expriment en termes parfois émouvants leur ardent désir unitaire. Incontestablement, le mouvement déclenché par les minoritaires de l’Isère gagnait de larges positions. Mais l’étalage public de divergences entre minoritaires, l’incapacité patente de la direction des CSR à s’orienter dans une situation complexe, jouaient dans le même sens que la froide résolution de majoritaires60. Se prolongeant, elles laisseraient à court terme la minorité exsangue.
24C’est pour éviter cette dangereuse évolution que la minorité, toutes tendances réunies, se résolut enfin, le 29 novembre, à convoquer un « congrès extraordinaire et unitaire de tous les syndicats confédérés » fixé les 22, 23 et 24 décembre 1921 à l’Union des syndicats de la Seine, rue de la Grange-aux-Belles. D’entrée de jeu, la commission d’initiative, composée de quatorze Unions Départementales61 et de dix fédérations62, se substituant au comité confédéral63 indiquait que seraient respectées les règles habituelles en vigueur dans les congrès confédéraux : toutes les organisations confédérées, fédérations, unions et syndicats étaient priés de s’y faire représenter, mais seuls les syndicats auraient voix délibérative ; les habituelles précisions concernant la vérification des pouvoirs de délégués étaient jointes à la convocation. Mais outre l’ordre du jour du congrès64, un questionnaire inhabituel était joint à la convocation :
- En vous prononçant sur les résolutions en présence au congrès de Lille, avez-vous entendu voter pour les exclusions ? Réponse :
- Approuvez-vous les exclusions prononcées contre les 299 syndicats de cheminots constituant la Fédération Semard-Chaverot-Dejonckère et qui forment la majorité des syndiqués et syndicats réunis autour des deux Bureaux ?
- Approuvez-vous les exclusions prononcées par des Unions et Fédérations ?
- Observations.
25Les réactions de la CGT furent, comme il fallait s’y attendre, violentes. Le Bureau Confédéral, le 2 décembre, la commission administrative, le 7, puis le 10 rappellent que seul un Comité Confédéral National avait qualité pour réunir un congrès extraordinaire, et flétrissent « l’acte de scission caractérisé » dont les minoritaires s’étaient rendus coupables. À partir du 12 décembre, Le Peuple publia chaque jour une liste d’avertissements d’UD et de fédérations enjoignant à leurs syndicats adhérents de ne pas participer au congrès unitaire, et rappelant inlassablement que les organisations qui s’y rendraient se mettraient ainsi hors de la CGT.
26Face à cette intense campagne, les minoritaires tentaient de montrer que c’était l’interprétation tendancieuse par le CCN des décisions du congrès de Lille qui rendait obligatoire le congrès65 : surtout, sentant combien ces phénomènes rencontraient de répugnance dans les profondeurs de l’être syndical, ils rappelaient la masse des exclusions, en insistant surtout sur les plus spectaculaires (« les 299 syndicats de cheminots ») ou les plus sérieuses (« les 20 000 grévistes de Tourcoing »).
27De cette tension effrayante, de ces propagandes affrontées, la presse rend témoignage : mais elle fournit très peu de données sur l’opinion des syndiqués ainsi sollicités. Aussi est-ce avec la plus grande inquiétude que majoritaires et minoritaires attendirent le 22 décembre et l’ouverture d’un congrès « unitaire » concrétisant la scission.
28La suite en effet n’est que péripétie. Le télégramme de Losovsky à Amsterdam le 15 décembre, proposant la convocation d’une conférence spéciale (majoritaires, minoritaires, F.S.I., ISR) [Idem Rôle de la F.S.I. dans la scission à préciser avec lettres de Firmmen ? et Oudegeest, cités dans Tintant, Léon Jouhaux] pour éviter la scission, la réponse d’Oudegeest demandant l’ajournement préalable du congrès minoritaire ne sont que tentatives de rejeter sur l’adversaire les responsabilités de la scission et de prendre date. Il paraît évident que les esprits sont à ce point échauffés, les haines à ce point vives que la cassure psychologique est un fait. Aussi ne faut-il pas être grand clerc pour prévoir qu’à la Noël, les défenseurs acharnés de l’unité syndicale, ceux qui ne peuvent concevoir un syndicalisme en miettes66, risquent fort de parler dans le désert.
Notes de bas de page
1 Voir chapitre 3.
2 Le Peuple, 11 août 1921 : rappel à la discipline syndicale : (la CA) « Constate que la fraction minoritaire, au lendemain du congrès de Lille, s’est réunie en congrès pour décider de continuer la lutte de tendances au sein du mouvement ouvrier français ».
3 Le Peuple, 21 août 1921.
4 Le 11 août, au congrès de l’UD, les majoritaires qui recueillent 32 voix contre 51 aux minoritaires se retirent d’une UD ne respectant pas les décisions de Lille et constituent un nouveau Bureau.
5 CR sténographique des réunions du CCN, p. 151 (avec rectification de vote de l’UD de l’Eure, p. 157) ; sur ce point, voir chapitre 2. [Voir comment utiliser les lettres de Fimmen et Oudiguest à Jouhaux publiées par Tintant, Léon Jouhaux, p. 524-530 et voir également le fonds d’Amsterdam : rôle de la FSI]
6 On connaît bien la fameuse lettre de Rey à l’Information Sociale et Économique de Charles Dulot et dont les minoritaires feront grand usage ; Rey y déclare entre autres : « à Lille, une résolution fut présentée par nous et entre nous les jours qui précédèrent. Nous savions bien ce que nous proposions et nous avions prévu toutes les conséquences. La pensée de tous les délégués majoritaires était que la décision prise à Lille devait être appliquée. Pas d’organisation sans respect des décisions du congrès. Et l’application de la résolution de Lille par la majorité, c’est la scission ; telle est toute la réalité ». [Date de la lettre ou du numéro du journal : 8 septembre 1921 ?] Et encore « aucune résolution, si énergique soit-elle, ne possède par elle-même une force suffisante pour être réalisée dans la vie. Il faut une certaine autorité extérieure. Le bureau confédéral actuel n’a pas cette autorité, la majorité qu’il a recueillie au congrès de Lille est fictive. Pour réaliser en pratique la scission, il faut préparer moralement à l’idée de celle-ci de plus larges cercles de militants du mouvement syndical ». Ainsi donc, la souplesse de la direction confédérale à Lille était tactique. Mais d’autres témoignages sont aussi intéressants sur cet état d’esprit : par exemple l’article de Dumoulin dans Le Réveil du Nord du 27 septembre : « La vérité éclatante, c’est que si les membres de cette famille vivaient séparément, ils s’engueuleraient beaucoup moins qu’en restant assemblés […] J’en conclus simplement que l’état de scission morale dans lequel nous sommes placés est plus nuisible que la scission de fait. Je voudrais n’avoir plus à choisir entre l’une et l’autre. Mais entre la scission morale s’enfermant dans les limites déloyales de l’hypocrisie, il vaut mieux une situation claire et nette […] ».
7 Trois exemples : le secrétaire du syndicat des mineurs de Terrenoire communique à la fédération du sous-sol une résolution de solidarité avec les exclus et l’adhésion aux CSR votée en assemblée générale le 3 octobre. Le bureau fédéral « prend acte et enregistre le départ volontaire du syndicat des mineurs de Terrenoire » (Le Peuple du 5 novembre qui commente la nouvelle : « ainsi donc il est bien établi que le syndicat des mineurs de Terrenoire qui groupe une centaine de membres n’a pas été exclu par la fédération nationale des travailleurs du sous-sol ; mais qu’au contraire, c’est lui qui s’est séparé volontairement pour adhérer à un groupe politique ». Le 6 novembre la CA de l’UD du nord précise « qu’elle réprouve et condamne l’attitude divisionnaire des CSR » : « Déclare que tout syndicat ou syndiqué y appartenant ou prenant part à leur action [souligné dans le texte] contre les décisions adoptées dans les congrès… se mettront d’eux-mêmes en dehors de l’UD ou des syndicats … En conséquence, pour tous les cas visés conformément aux décisions, il ne sera plus délivré de timbres confédéraux ». Au sortir de la grande grève du textile du nord, le syndicat de Roubaix fait remplir aux adhérents un bulletin précisant : « Je soussigné, après avoir pris connaissance de la circulaire du syndicat textile de Roubaix, en date du 1er novembre et intitulée la « discipline syndicale », approuve et accepte dans son entier, les termes et l’esprit de cette circulaire et déclare m’y conformer en tous points. La présente déclaration pourra être invoquée contre moi dans l’avenir, si je venais à y faillir ». Et pour qu’il n’y ait nulle équivoque, la circulaire précise : « à ceux qui l’ayant signé pour rester au syndicat, mais qui viendraient par la suite dans nos réunions ou nos assemblées générales avec la volonté manifeste de combattre ce programme ou de continuer à troubler les assemblées par de vaines questions de personnalités ou par des critiques injustifiées contre qui que ce soit, nous les prévenons en toute loyauté que par le fait de renier ainsi le présent engagement, de mentir à leur promesse, ils commettront par cela même un acte d’indiscipline et s’excluront d’eux-mêmes du syndicat dans l’avenir ».
8 Çà et là cependant quelques voix se font entendre ; elles viennent essentiellement des milieux anarchistes, ce qui n’est pas pour étonner qui connaît l’importance des tentations scissionnistes chez les compagnons depuis 1919 (Cf. par exemple l’article de Colomer dans Le Libertaire du 14 octobre 1921 : « Aujourd’hui, deux mois après Lille, non seulement je vois la scission inévitable mais je la crois indispensable ». Selon Colomer en effet, la coexistence n’est favorable qu’aux majoritaires et décourage les masses ; d’où la conclusion : « préparons-nous résolument, organisons-nous, faisons aujourd’hui cette CGT suivant nos vœux : la Confédération Générale des Travailleurs révolutionnaires ». Plus étonnant est la résignation d’un Frossard à la scission, dès le mois d’août : « la scission n’est plus désormais qu’une question de jours. On peut et on doit le regretter » (Journal du Peuple, 25 août 1921). Attitude surprenante en apparence que celle du secrétaire général du PC français et qui pose bien des problèmes. Nous y reviendrons. [Et le 2 août 1921, in Journal du Peuple, O. Frossard, « je ne crois plus guère à l’unité syndicale […] ; désormais, la scission n’est plus sans doute qu’une question de mois », annotations de Jean Charles]
9 Lettre d’A. Rosmer à Losovsky datée de Berlin, le 21 novembre 1921 (archives IML du Marxisme Léninisme, fonds 534, dossier 78). Cf. également lettre du 26 décembre 21 de Victor Serge à Losovsky : « Les divisions absurdes du parti français, la campagne qu’on a menée contre Souvarine pour des raisons de tendances aggravées par des animosités personnelles tout à fait odieuses ont dû fameusement discréditer le parti auprès des syndicalistes, toujours défiants à son égard » (archives IML, fonds 534, dossier 78).
10 Cf. lettre de Rosmer au Profintern (Internationale Syndicale Rouge), 21 novembre 1921 : « Je crois qu’elle (la scission) sera pour nous un désastre… Avec nos syndicats squelettiques, il n’y a pas de place en France pour deux centrales syndicales. Nous aurons donc la CGT qui continuera, gardant avec elle la grande majorité de syndiqués et une centrale syndicaliste, faible en effectifs, faible en force réelle, en capacité d’action et plus que jamais tiraillée entre diverses directions […] » (archives IML, fonds 534, dossier 78).
11 Ce n’est pas par hasard qu’un des textes les plus cités, sollicités, cloués au pilori ou défendus soit alors la brochure de Lénine sur La maladie infantile du communisme : le communisme de gauche, rédigée en avril-mai 1920.
12 Cf. Godonnèche à Losovsky, 20 décembre 1921 (archives IML, fonds 534, dossier 78).
13 Cf. Rosmer au Profintern, 21 novembre 1921 : « note que les camarades de La Vie Ouvrière sont les meilleurs, ceux qui sont le plus près de nous » (archives IML, fonds 534, dossier 78). En juillet 1922 dans La Clarté de Barbusse, Monatte donnera du groupe de la Vie Ouvrière une remarquable définition : « Nous sommes dans un monde qui se transforme et je ne demande pas mieux de croire que le Parti communiste français sera un jour différent de ce qu’il est présentement. Pour le moment, je crois qu’un grand rôle revient en France au syndicalisme révolutionnaire, à la tendance du syndicalisme qui ne veut pas plus renoncer à la révolution qu’un syndicalisme, qui ne se désolidarise jamais du bolchevisme et de la Révolution russe et qui a l’ambition de réaliser le communisme sous le terme de syndicalisme » (Clarté, n° 19, p. 474).
14 Autour de Monatte, Monmousseau, Semard, Racamond, Bouille, Marie Guillot…
15 Godonnèche et Semard par exemple.
16 Monmousseau, dans La La VO du 10 septembre 1929.
17 Cf. Rosmer, lettre du 21 novembre : « À la base de leur attitude, il y a la méfiance à l’égard du Parti communiste – méfiance pour l’instant renforcée – et le retour plus ou moins conscient au syndicalisme d’avant-guerre. Sans doute disent-ils dans la conversation que ce syndicalisme doit être révisé, que la charte d’Amiens est caduque et ne s’adapte plus aux circonstances présentes, mais comme ils n’ont pas fait réellement cette révision, ils agissent plus ou moins comme s’ils ne voulaient pas le faire » (archives IML, fonds 534, dossier 78).
18 Ceux-ci s’en plaignent d’ailleurs amèrement : cf. Losovsky à Rosmer, 8 novembre 1921 : « La netteté a disparu des colonnes de La La VO Comment se l’expliquer ? Ont-ils peur d’une scission ? » (archives IML, fonds 534, dossier 359, p. 1) et encore (lettre non datée, sans doute de la mi-décembre 1921 : « en ce qui concerne l’ISR, La La VO est prisonnière des braillards anarchistes du Libertaire. Sauf deux articles, rien n’a paru dans La La VO » (archives IML, fonds 534, dossier 359).
19 Cf. Rosmer à Losovsky, 21 novembre 1921 : « Notre bon camarade Maurin avait vu les choses en optimiste ; Monatte est au contraire le pivot de la résistance syndicaliste. Il est dur de le déclencher. Nos jeunes néo-syndicalistes sont comiques quand ils invoquent la tradition syndicaliste française. Mais lui, il sait ce que c’est, il en est un des rares représentants qui sont restés du bon côté. Elle pèse réellement sur lui » (archives IML, fonds 534, dossier 78).
20 Sur lequel rien, en cet automne 1921, ne semble avoir encore filtré.
21 Par exemple Mayoux, Quinton, Fargues, Verdier.
22 Qu’exprime essentiellement le Journal du Peuple, quotidien fort bien fait, attentif à tout ce qui se passe dans le mouvement syndical, journal souvent mordant et bien informé. Son directeur, H. Fabre, membre du parti, est honni par l’Internationale, en particulier parce que son journal est le refuge des syndicalistes purs. Il sera finalement exclu du Parti sur sommation de l’Exécutif le 9 mai 1922.
23 « J’ai vu de près les syndicalistes purs membres du Parti qui, vus de Moscou nous semblaient de bien extraordinaires phénomènes. Le plus étrange est qu’ils sont jeunes, qu’aucun d’eux n’a vécu la période héroïque du syndicalisme et que, dans l’ensemble, ils sont assez mal informés du syndicalisme lui-même. Ils sont responsables pour une bonne part, de la faiblesse de la minorité. Ils ont gêné constamment l’action de Monatte, ont combattu son influence et ont préparé le terrain pour les anarchistes ». Rosmer à Losovsky, 21 novembre 1921 (archives IML, fonds 534, dossier 78).
24 C’est lui qui, lors de la grande bagarre du congrès de Lille, eût l’idée originale de tirer des coups de révolver en l’air « pour séparer les combattants ».
25 Dans la minorité.
26 Archives IML, fonds 534, dossier 78.
27 « Il ne s’agit donc pas, comme les réformistes feignent de le croire, de faire comparaître les militants syndicalistes, membres du parti, devant je ne sais quel aéropage à pouvoirs illimités qui leur imposerait une attitude, et les menacerait de pénalité s’ils ne l’adoptaient ». L.O. Frossard, dans le Journal du Peuple du 21 octobre 1921. On peut le constater, le langage du secrétaire général du PC n’a que de très lointains rapports avec les directives de la IIIe Internationale.
28 Rosmer à Losovsky : « La conférence était nombreuse et représentative. Il y avait beaucoup de communistes de province qui étaient venus à Paris sur convocation des CSR pour fixer l’attitude de la minorité devant la menace de scission » (Lettre du 21 novembre 1921, archives IML).
29 Ibid. : « […] l’atmosphère de la conférence a été cordiale et on peut estimer que c’est là une bonne amorce de la discussion », [à reprendre, ligne manuscrite : pourtant beaucoup trop d’optimisme : article de Denois dans JC : seul Verdier en désaccord ; les autres simples malentendus]. Cf. également l’article de Dunois dans L’Humanité du 5 novembre.
30 Au moins d’une large fraction d’entre eux, cf. Rosmer : « Il y a eu une opposition fort vive de Mayoux qui a déclaré que le seul fait de la convocation de la conférence équivalait à une déclaration de guerre du Parti au syndicalisme et qui a groupé, sur une contre-proposition, un assez grand nombre de signatures ».
31 En ce qui concerne les thèses adoptées, très générales, voir chapitre 4 : ces thèses traduisent à la fois les réticences du PC sur la question syndicale, mais également la volonté de rétablir les ponts avec le groupe de La VO. En ce sens, Losovsky les juge (Lettre à Rosmer, décembre 1921, archives IML) « acceptables dans leur ensemble » quoique manquant, et pour cause, « de netteté et de relief ».
32 À la mi-novembre, plusieurs syndicats majoritaires ont quitté l’Union des syndicats ; surtout la plupart des minorités favorables à la direction confédérale commencent à constituer – hors des syndicats réguliers – les noyaux de défense contre l’Union départementale, rebelle et indisciplinée.
33 PV des débats de l’Union des syndicats de la Seine. L’intervention fut en 1922 éditée en brochure sous le titre Le Syndicalisme devant la Révolution.
34 « Nous ne permettrons pas, à quelque parti que ce soit, d’affirmer sans qu’il trouve devant lui notre opposition formelle, que le syndicalisme doit trouver en dehors de lui, ses agents d’animation et son avant-garde. Le syndicalisme a son avant-garde à lui dans son sein […] », idem, p. 15.
35 À tel point que cet enthousiasme gêne le principal intéressé, cf. Godonnèche à Losovsky, 20 décembre 1921 : « Le discours était un grand pas vers nous, mais L’Humanité et L’Internationale ont été maladroits en lui faisant trop de tam-tam, et Monmousseau déclare que cela rend sa besogne plus difficile – ce qui est exact » (archives IML, fonds 534, dossier 78). En réalité, un tel discours avait bien peu de chances de passer inaperçu. [ibid. : mais motion de 1918]
36 Cf. Le Libertaire du 2 au 9 décembre 1921 : « nous constatons… que la résolution ainsi que le discours du secrétaire de l’Union furent un véritable réquisitoire contre le syndicalisme révolutionnaire […] et, s’il y a à retenir du congrès quelque chose, ce n’est certes pas le discours politico-syndicalo-révisionniste du chéri du Parti Communiste ».
37 C’est au moins la thèse du Libertaire (2 au 9 décembre 1921) : « si l’on avait pu immédiatement distribuer cette motion des CSR aux délégués du congrès, je suis certain qu’elle eût été approuvée contre la résolution de Monmousseau. Mais Monmousseau voulait éviter cette catastrophe […] ».
38 Cf. Le Libertaire du 2 au 9 décembre 1921 : « l’on décide d’en rester aux termes de la notion minoritaire de Lille, en attendant le congrès où les deux thèses s’affronteront à la fin du mois de décembre ».
39 Qui ne tarit pas d’éloges à l’égard des syndicalistes purs : « Verdier, membre du Parti depuis 18 ans déclare, nettement être en opposition avec la Résolution présentée et défendue par Monmousseau, non adhérent au Parti […] [Il] dresse la charte d’Amiens comme la formule intangible de l’action ouvrière […] » et encore « Teulade, Verdier et Barthes furent les défenseurs énergiques et documentés du fédéralisme, les sauveurs de notre syndicalisme libertaire […] » et à propos d’une motion déposée contre celle de la CE par les « syndicalistes purs », Verdier et Besnard : « Bravo les CSR, bravo Besnard, j’ai lu attentivement ce texte. Je m’y rallie de toute ma conscience syndicaliste et anarchiste. De la première à la dernière ligne, c’est parfait ».
40 Ce qui explique l’irritation de Losovsky (lettre de début décembre 1921 à Rosmer) : « Je ne sais sur qui comptent Monatte, Monmousseau et les autres. Comment pensent-ils pouvoir diriger le mouvement syndical révolutionnaire sans conclure un bloc solide avec les communistes ? S’ils continuent à suivre la même ligne, ils seront battus encore plus cruellement par les réformistes qu’ils ne l’ont été jusqu’à présent » (archives IML, fonds 534, dossier 78).
41 De sorte que les libertaires, forts de la « tradition » minoritaire, réclament une confrontation rapide, et l’adoption d’une doctrine de la minorité ; alors que les syndicalistes révolutionnaires font tout pour repousser cet affrontement doctrinal ; au congrès de décembre, il en sera de même.
42 L‘Humanité parce que le « courant centriste » dans le Parti Communiste alors dominant est hostile aux positions syndicales de l’IC ; La Vie Ouvrière essentiellement parce que le groupe qui la dirige se méfie des dirigeants du PC. Cf. Rosmer (archives IML, fonds 534, dossier 78) : « […] le travail qui reste à faire est immense et sa complication peut être résumée ainsi : le Parti Communiste n’est pas un parti communiste ; il ne pourra le devenir que s’il réussit à s’incorporer les éléments syndicalistes du groupe Monatte-Monmousseau, mais pour l’instant des éléments ne sont pas du tout décidés à y entrer. On a ainsi deux groupements révolutionnaires faibles, incomplets et qui dépensent encore une partie de leurs forces en luttant parfois l’un contre l’autre ».
43 Cf. La Vie Ouvrière du 28 octobre 1921.
44 Résolution votée par le CA du 10 novembre, La Voix du Peuple, décembre 1921.
45 La La VO du 30 septembre 1921. Le manifeste justifie très longuement l’existence des CSR en rappelant les multiples « noyaux » hostiles aux directions de la CGT constitués au sein de celle-ci depuis sa création : « Comités d’Union syndicaliste », fondé par Niel en 1908 « qui purent fonctionner sur des bases absolument identiques aux CSR sans encourir les foudres de la CGT », « Comité de Défense syndicaliste » de Rey, « Comité pour la reprise des relations internationales » avec Merrheim…
46 « […] observant attentivement le déroulement des faits et des événements, le Comité Central enregistre le vote du CCN qui porte en lui-même, sans contestation possible, la scission du mouvement ouvrier de la base au faîte de la CGT. Prêt à faire face à toutes les éventualités qui peuvent se présenter, il invite les syndicats, les unions et les fédérations minoritaires qui sont exclus ou qui pourraient l’être, à se conformer strictement aux indications qui leur parviendront, au fur et à mesure des événements, par le canal du bureau du comité central. Aucun organisme, quel qu’il soit, ne devra être constitué avant que le comité central n’en ait indiqué la nature, le fonctionnement et les attributions. En dernière analyse, un congrès de la minorité déterminera définitivement la position à prendre en face d’une scission en voie d’accomplissement certain ».
47 La plupart des historiens considèrent pourtant que l’appel du 27 septembre porte sur la convocation d’un congrès constitutif d’une CGTR (cf. par exemple « Syndicalisme révolutionnaire et communisme », les archives de P. Monatte, texte de présentation de J. Maitron et C. Chambelland, p. 273) et R. Brecy, Le mouvement syndical en France (1871-1981), essai bibliographique, p. 120.
48 L’Humanité, 5 octobre 1921.
49 La délégation composée de Monmousseau et Dudilieux (UD de la Seine), Julienne (UD de Seine-et-Oise), Bert (UD de Haute-Vienne), Marie Guillot (UD de Saône-et-Loire), Cazals (UD du Doubs), Racamond (Alimentation) et Le Pen (Bâtiment) fut reçue par Calveyrach, trésorier de la CGT, mais se heurta à un refus du Bureau confédéral.
50 Cf. Monatte : « je pensais que pour rien au monde la minorité ne devait prendre la responsabilité de la scission. Pour des raisons de principe comme pour des raisons de tactique – on était au dernier quart d’heure, raison de plus pour tenir le coup quoi qu’on fasse, quoi qu’il arrive. Au congrès confédéral suivant, la minorité avait toutes chances de l’emporter. Victorieuse, elle ne pourrait pas être rendue responsable de la scission. En outre, elle garderait non seulement le vieux titre et la vieille maison, mais encore l’ensemble de ses militants de base qui, au syndicat, pensent plus aux problèmes corporatifs qu’aux questions de tendance. Aller volontairement à la scission et non la subir, c’était enfreindre une règle majeure de notre conception syndicaliste » (« La scission de 1921 » dans Trois scissions syndicales, p. 161-162).
51 Ibid. Cette « CGT-SR devait être constituée par les syndicats et les noyaux adhérant aux CSR », La Vie Syndicale, n° 1, octobre 1922, p. 2.
52 Ibid. « Les militants qualifiés de l’union des syndicats de la Seine, de la fédération des cheminots et du bâtiment, mis au courant d’une façon toute fortuite se réunissent immédiatement et imposent à la place dudit congrès (constitutif de la CGT-SR) la tenue d’un congrès unitaire « auquel furent convoqués tous les syndicats adhérant à la CGT ».
53 Cf. les vues idylliques développées dans Le Libertaire du 21 octobre : « Il importe de remettre tout à neuf sur un terrain vierge. Avant de reconstruire, il faut s’entendre sur le plan du bâtiment. Et puis une fois la maison construite, ceux qui voudraient l’habiter peuvent y venir. Et comme les fenêtres y seront plus larges que dans la vieille CGT vermoulue, les murs plus clairs et les plafonds plus hauts, je suis bien tranquille : il y aura du monde chez nous ».
54 À L’Atelier de début décembre, qui tente d’utiliser un article de Trotsky, au demeurant fort anodin, pour montrer que les communistes sont favorables à l’abandon des syndicats réformistes, Monatte rappelle : « Nous mettrons volontiers les “points sur les i” en rappelant à L’Atelier que les fameuses consignes de Lénine recommandent tout au contraire de lutter au sein de vieilles organisations syndicales et de pas consentir qu’on vous en chasse. Ce n’est pas tout à fait ce que vient de nous raconter L’Atelier qui devrait pourtant finir par les connaître puisqu’il les estropie inlassablement et sans pitié chaque semaine. Outre cela, le premier congrès de l’Internationale Syndicale Rouge a quasiment ouvert ses travaux à une résolution regardant comme une faute pour les révolutionnaires de sortir des vieux syndicats », (La VO, 9 décembre 1921). D’où les conseils de prudence de Monatte : « pas d’énervement, pas d’impatience : les imbéciles, en 1914, disaient : après tout, ils nous embêtent avec leurs menaces de guerre, qu’on la fasse donc ! Ne disons pas de même en 1921 : que les menaces de scission nous embêtent et qu’on la fasse donc ! c’est la méthode de Gribouille qui se jette à l’eau pour ne pas se mouiller », (cité dans Syndicalisme révolutionnaire et communisme, p. 274).
55 Et non comme le dit Maurice Labi (La grande division des travailleurs, p. 216) la dissolution des CSR : il s’agit là d’un évident contresens.
56 La La VO du 28 octobre : « quel est en somme le prétexte à la scission ? Ce n’est pas la constitution de nos CSR par individualité : contre cette forme d’organisation, ils ne peuvent rien, et elle est légitime au même titre que l’adhésion des syndiqués à un parti politique, à une secte religieuse ou un groupe philosophique. Le prétexte, c’est l’adhésion des syndicats aux CSR […] quelle est la valeur de l’adhésion des syndicats aux CSR ? Elle n’en a pas ; ce qui compte, c’est le noyautage, ce sont les groupes d’affinités pour la propagande des mêmes idées… Ils veulent faire la scission parce que des syndicats adhèrent aux CSR. Eh bien ! c’est simple, abandonnons cette adhésion, renforçons nos groupements d’affinité puisqu’aussi bien il n’y a que cela qui vaille ».
57 « Reste à savoir si ce que proposent les camarades de l’Isère suffirait à empêcher la scission et même à en reculer la date […] Même si les syndicats minoritaires retiraient leur adhésion des CSR, y aurait-il quelque chose de changé dans la situation des cheminots ? » (La VO, 28 octobre).
58 Avec l’approbation de l’ISR (cf. par exemple L’Internationale Syndicale Rouge du 15 novembre 1921, p. 334 sq.).
59 Voir par exemple le débat du 5 décembre : « Faut-il retirer les syndicats des CSR ? ».
60 Certes tous les majoritaires n’avaient pas le même sang-froid : en novembre, La Vie Ouvrière ouvre une rubrique « le bloc majoritaire se brise » qui fit état de résolutions des syndicats, d’Unions Départementales, de militants majoritaires hostiles à la scission. Mais cela ne changea apparemment rien à la détermination de la direction confédérale.
61 Aude, Charente Inférieure, Côte-d’Or, Creuse, Doubs, Indre, Indre-et-Loire, Isère, Rhône, Saône-et-Loire, Seine, Seine-et-Oise, Somme, Vaucluse, auxquelles s’ajoutent rapidement le Calvados, le Finistère, la Loire, la Seine Inférieure, le Var et le Vaucluse.
62 Alimentation, ameublement, bâtiment, blanchisserie, cheminots, coiffeurs, enseignement, sciage, tabletterie, teinture, voiture, aviation. Viennent ensuite un renfort des Produits Chimiques.
63 La circulaire de convocation était d’ailleurs ornée du label confédéral, ce que releva violemment Jouhaux dans Le Peuple du 12 décembre.
64 En quatre points : 1. Vérification des pouvoirs ; 2. La résolution de Lille et les exclusions ; 3. mesures à prendre ; 4. solidarité aux exclus. Déjà d’ailleurs pointaient les désaccords entre minoritaires sur l’objet de ce congrès : le 4 décembre, la CA de l’UD de la Seine, pourtant membre de la commission d’initiative, invitait tous les syndicats du département à se faire représenter au congrès, mais précisait que son délégué déposerait dès l’ouverture du congrès la motion préjudicielle suivante : « En ce qui concerne la 3e question, le congrès demande que, pour manifester son véritable désir d’unité, les délégués ne prennent aucune décision ferme, avant d’avoir rendu compte à leurs mandants, des méthodes diverses qui ont été préconisées, et adaptées pour sauver l’unité ouvrière », (texte ronéotypé, inclus dans les archives Monatte). C’était l’annonce du grand débat de la fin décembre.
65 Cf. F. Monatte, La VO du 5 décembre : « c’est vous les indisciplinés ».
66 Cf. Monatte : « déchirer est facile, recoudre difficile – la scission est un fait ; nous voilà avec deux organisations au moins pour des années, pour toujours peut-être, et de cela un syndicaliste révolutionnaire ne peut prendre son parti – que les groupes politiques et les groupes d’affinités se scindent autant de fois qu’il y a de courants et de doctrines, c’est logique. Mais le syndicat, groupement d’intérêt de la classe ouvrière ne peut être qu’unique sous peine de ne plus être lui-même qu’un groupe politique », (L’Humanité du 17 avril 1922). [Note manuscrite : à mettre ailleurs citation du 17 avril 1922].
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Michelet, à la recherche de l’identité de la France
De la fusion nationale au conflit des traditions
Aurélien Aramini
2013
Fantastique et événement
Étude comparée des œuvres de Jules Verne et Howard P. Lovercraft
Florent Montaclair
1997
L’inspiration scripturaire dans le théâtre et la poésie de Paul Claudel
Les œuvres de la maturité
Jacques Houriez
1998
Michelet, à la recherche de l’identité de la France
De la fusion nationale au conflit des traditions
Aurélien Aramini
2013
Fantastique et événement
Étude comparée des œuvres de Jules Verne et Howard P. Lovercraft
Florent Montaclair
1997
L’inspiration scripturaire dans le théâtre et la poésie de Paul Claudel
Les œuvres de la maturité
Jacques Houriez
1998
