Introduction

1 18 grèves avec 950 grévistes selon les décomptes officiels, certes très en-dessous de la réalité, mais indicatifs.

2 Cf. Max Gallo, Quelques aspects de la mentalité et du comportement ouvrier dans les usines de guerre 1914-1918, « Le Mouvement Social », août-septembre 1966.

3 Cf. Péricat, in Rapport du CDS, novembre 1917 : « ce meeting a eu un très grand succès. À la sortie, une manifestation s’organisa spontanément. Nous étions une dizaine de mille […] sur le parcours rues Grange-aux-Belles, Lancry, Boulevard Magenta, et Place de la République […] ».

4 Cf. La Fédération des Métaux : ses syndicats avaient placé 18 000 cartes en 1916 ; 162 680 cartes au 2^e trimestre 1917.

5 Jouhaux, discours in CR du Congrès de Lyon, septembre 1919, p. 229. « Commissaire à la Nation ? Dans quel esprit ? Pour défendre la guerre ? Je n’ai pas le texte du décret ; c’est Jules Guesde qui l’avait rédigé. Dans son esprit, c’était une reconstitution révolutionnaire, quelque chose qui précédait le Comité de Salut Public ».

6 « Nos organisations centrales venaient de se révéler trop faibles pour empêcher la guerre, après tant d’années de propagande organisatrice. Mais on pouvait se dire que la faute en incombait aux masses restées à l’écart et qui n’avaient pas compris le devoir de l’Internationalisme. Cette dernière lueur vacille sous la parole des militants d’un pays et de l’autre. C’est au centre que le feu, c’est-à-dire la foi, a manqué ». Ainsi parle Monatte dans sa lettre de démission du CCN de la CGT en décembre 1914, reconnaissant implicitement (dans ce qui est la première manifestation publique d’un militant qui va dès lors instruire sans fléchir le procès de la direction confédérale) qu’en août 1914, toute résistance lui paraissait impossible. Ceci pour citer l’une des positions les plus inflexible : on connaît trop ailleurs les déclarations des majoritaires et des ralliés de la veille (Merrheim au Congrès de Lyon 18 septembre 1919 : « […] à ce moment, la classe ouvrière soulevée par une vague formidable de nationalisme n’aurait pas laissé aux agents de la force publique le soin de nous fusiller : elle nous aurait fusillés elle-même »), de centristes tout neufs du parti socialiste (Frossard, au congrès de la CGT de juillet 1918 : « La vérité c’est que le 31 Juillet 1914, si nous avions voulu essayer de résister, nous aurions été emportés par le torrent de chauvinisme qui déferlait à ce moment-là sur le pays ») ; enfin de minoritaires, de presque tous les minoritaires : Rosmer, cf. le Mouvement Ouvrier Français pendant la guerre, tome 1, p. 209 (« faillite de l’Internationale ? Plutôt faillite du prolétariat international »), Péricat (« quoique ne reconnaissant pas de frontière ni de patrie, j’ai eu peur, c’est vrai, du poteau, d’exécution »), Monatte, dans son grand discours de Lyon (« Je ne ferai pas au Bureau Confédéral le reproche de ne pas avoir déclenché la grève générale devant la mobilisation ; non ! nous avons été impuissants les uns les autres ; la vague a passé, nous a emportés »). En face peu, très peu de témoignages (cf. celui peu connu, du métallurgiste lyonnais Rey, au Congrès de l’UD de la Seine, le 2 avril 1916 : « c’était une humiliation à nos yeux, s’il y avait eu un homme à la tête de la CGT, s’il y avait eu des représentants socialistes et syndicalistes, nous étions capables d’enrayer cette guerre[…] », in P.V. de l’Union des Syndicats ouvriers de la Seine, 30 avril 1916 – Archives de l’Institut Français d’Histoire sociale.

7 Cf. le discours de Jouhaux au Congrès de Lyon de 1919, in CR du congrès, p. 227 : « Si on entend par collaboration que, cédant aux circonstances, accablées par elles, comme les autres camarades, essayant de défendre pied à pied les intérêts ouvriers, j’ai pris ma place partout où il était nécessaire de les défendre ; cette collaboration je l’ai faite ».

8 Cf. Georges Lefranc, Le mouvement syndical français sous la Troisième République : « Il ne veut rien faire contre, ni même sans le mouvement syndical ; à chaque instant, il consulte Jouhaux et ses amis ; ils agissent sur lui ; mais il agit au moins autant sur eux : au cours de ces conversations, peu à peu, sans qu’on y prenne garde à la CGT, une autre technique d’action syndicale s’ébauche », souligné par l’auteur, p. 293.

9 Cf. Hodee A., Secrétaire de la Fédération de l’Agriculture (« le plus majoritaire des majoritaires » sans doute, avec Rivelli, des inscrits maritimes), dans La Clairière du 1^er juin 1918 : « Tourner indéfiniment dans le même cercle de théorie ne paraît plus suffisant. En présence des faits, nous avons senti combien lamentable était notre programme. La visite récente des Américains a dessillé bien des yeux » (il s’agit de la tournée en France d’une délégation de l’AFL) ; cf. également discours de Gompers, secrétaire général de l’AFL, au CCN de la CGT, le 26 septembre 1918, in « Réception de Samuel Gompers […] ». Voir à ce sujet Fine M., « Samuel Gompers et le mouvement ouvrier français (1918-1919) », in Le Mouvement Social, n° 68, juillet-septembre 1969 p. 3-34.

10 « Avec vous, nous pensons que l’Humanité aujourd’hui aspire à la liberté de la vie et non à réaliser des équilibres de puissances ».

11 Voir à ce sujet, les pénétrantes analyses d’Annie Kriegel, Aux origines du communisme français, pages 316 et suivantes et surtout, conclusion de la deuxième partie, pages 527 et suivantes.

12 Cf. « compte rendu sténographique de la première réunion du CCN tenue à Paris les 15 et 16 décembre 1918 », pp. 115 à 127. On nous permettra de citer, une fois de plus, le grand discours de Jouhaux marquant l’abandon officiel des références révolutionnaires et le ralliement au réformisme ; Cf. La Bataille du 25 juillet 1919, page 4  : « Nous sommes de ceux qui pensent que la CGT veut aboutir à des résultats pratiques qui ne sont pas seulement dans ce que l’on est convenu d’appeler la “Révolution” en faisant rouler trois grands R […] La Révolution, on a dit ce matin qu’elle n’était qu’un mot. Oui ce n’est qu’un mot, parce que pour la plupart d’entre nous, il n’y a rien derrière ! Mais que signifie-t-il pourtant ? La Révolution est-ce l’acte catastrophique qui détermine l’écroulement d’un système ? Ou est-ce au contraire le signe précurseur d’évolution qui, peu à peu, pénètre ce système, l’action qui a sapé un régime et qui dans le sein même de la réforme a constitué l’organisme nouveau, qui lui succédera ? C’est là qu’est la Révolution pour les révolutionnaires conscients, et cela n’a jamais été autre chose pour la CGT » (souligné par nous, J.C.).

13 On suivra de près A. Kriegel dans le récit de cette étrange conférence (toute l’Internationale tenant dans quatre voitures, selon la boutade de Trotsky) et de l’étrange délégation française : seuls représentants à une conférence socialiste internationale, deux militants de cette CGT, syndicaliste révolutionnaire, rebelle à toute collaboration avec « les partis et les sectes » – Merrheim et Bourderon – ce dernier étant, il est vrai, membre du PSU. Cf également Rosmer à Monatte, 15 septembre 1915 : « Je n’ai pas vu la résolution. G. avait conseillé de ne pas la prendre, prévoyant un examen sérieux à la frontière, qui n’a pas manqué. Merr. (Merrheim) dit qu’elle est bien, quoiqu’un peu trop marxiste » in Archives Monatte.

14 Dont le Congrès des 14-15 juillet 1916 vote à une large majorité (57 voix contre 21) la motion « internationaliste » présenté par Bouët.

15 Si, à la 2^e Conférence Nationale des Fédérations, des Unions […] (cf. compte-rendu détaillé dans La Bataille, n° 418, 419 et 420 (24-26 décembre 1916), Merrheim et Bourderon y animent à nouveau l’offensive contre Jouhaux (cf. n° 419, p. 2 : discours très résumés et n° 420, p. I (même remarque), ils votent tous les deux l’appui de la CGT à la demande du Président Wilson (que chaque État précise publiquement ses conditions de paix), adoptée à l’unanimité. C’est en effet le « pacifisme » wilsonien qui va, constituer le terrain de rencontre entre la première minorité « durable » de la CGT et la direction confédérale.

16 « Où allons-nous avec cette bande de fous ? », phrase citée par A. Kriegel, p. 225. Marie Guillot (lettre à Monatte du 28 janvier 1918, Archives Monatte) juge l’homme sans tendresse mais avec finesse : « il est extrêmement modéré, timoré même en tout ce qui n’est pas « faits économiques ». D’être resté sur sa position d’avant-guerre l’a mis en avant dans la grande tourmente : quand on va voir se développer une tendance plus extrémiste, il sera centre droit ».

17 L’Union des Métaux du 1^er mai 1917 contient encore une transparente allusion à un possible soulèvement français (« nous saurons s’il le faut nous dresser pour nous à nos camarades de Russie et d’Allemagne dans une action internationale et commune contre la guerre de conquête ». Paradoxalement, le succès inespéré du meeting du CDS, les mutineries et les grèves que Merrheim appelait de ses vœux semblent précipiter son évolution : cette poussée révolutionnaire est tout à la fois trop forte pour ne pas mettre en danger le pays après la terrible saignée d’avril, et trop faible pour ouvrir de réelles perspectives révolutionnaires.

18 Il faut suivre de très près l’analyse brillante d’Annie Kriegel, p. 223 et suivantes qui soutient que « la fidélité de Merrheim à sa conception primitive du syndicalisme devant la guerre est entière ; c’est l’intervention de la Révolution d’Octobre qui modifie les conditions dans lesquelles il entendait précédemment insérer son opposition à la guerre impérialiste ». En d’autres termes, ce n’est pas Merrheim qui change, mais la situation. De ce point de vue, on ne peut que tomber d’accord avec A. Kriegel : l’analyse qu’elle fait de l’opposition de Merrheim, de ses incessantes réserves, force la conviction. Mais pourquoi choisir comme date charnière, l’Octobre russe ? L’hypothèse est certes séduisante, qui rend compte de l’attitude ultérieure de Merrheim : dans toutes les luttes livrées par la « nouvelle majorité » jusqu’à la scission, c’est Merrheim qui fera front sur – ou plutôt contre – la Russie soviétique ; expliquer cette constance par un traumatisme originel, strictement contemporain d’Octobre, et situer le passage avec armes (et quelles armes !) et bagages à la majorité, justement à cet instant-là, est infiniment tentant. Pourtant l’examen attentif de la chronologie auquel nous convie A. Kriegel elle-même semble bien montrer que dès le printemps 1917, Merrheim n’a plus de minoritaire que le nom : il ne veut plus avoir affaire aux « fous » du CDS. A une réunion du Comité Confédéral du 4 avril 1917, il s’élève de toutes ses forces contre l’éventualité d’une paix signée entre la Russie et l’Allemagne (cf. A. Kriegel, op. cit., p. 227). Dans cette perspective, la Révolution soviétique ne fait qu’achever son évolution.

19 C’était, très tôt, la conviction de Marie Guillot : « nos amis sont très fâchés contre Merrheim. Ils l’accusent de lâcher sa place de chef du parti de la paix. La motion de Clermont ne me satisfait pas. Et j’ai quasi hurlé en lisant certains passages, me demandant si c’est bien vrai que les minoritaires avaient pu signer ça ». In Archives Monatte, lettre du 18 janvier 1918.

20 Péricat lui-même s’est rallié « dans l’intérêt du CDS, en maintenant la minorité unie » : cf. cahier des procès-verbaux du CDS, archives Péricat.

21 Cf. Jacques Julliard, Clemenceau, briseur de grèves, Paris, Julliard, coll. Archives.

22 Cf. Merrheim, discours au Congrès de 1919, Lyon, CR p. 177 : « J’avais pour ma part refusé de me rencontrer avec Clemenceau, malgré qu’il m’eût fait appeler quatre fois ; j’ai peut-être été un des rares qui n’ont pas eu peur de sa venue au pouvoir. En réalité, il faut se rendre compte que la résolution de la Conférence de Clermont-Ferrand est sortie pour faire face à ce que beaucoup de camarades de la minorité considéraient comme un nouveau danger qui venait se dresser contre la classe ouvrière par l’arrivée au pouvoir de M. Clemenceau ».

23 Et sans discrétion excessive, en plein règne clémenciste ; c’est Péricat qui y déclare fin mars : « nous devons organiser un mouvement important et prochain pour forcer le gouvernement à conclure un armistice immédiat » ; c’est Andrieux qui lors du meeting du 1^er mai évoque « la prochaine grève qui sera un commencement de révolution » (cité par A. Kriegel, op. cit. p. 210).

24 Archives Monatte : « Voilà : on me fait mener une vie impossible ; des réunions, que dis-je, des tournées de réunions, des courses presque chaque soir au Comité Fédéral de la Loire, avec le boulot, cela constitue pour moi un éreintement complet » (Archives Monatte, Lettre de Dumoulin, 28 janvier 1918).

25 Cf. la même lettre à Monatte, dans laquelle il explique par le menu la genèse de la décision de grève générale : « je sens bien qu’à part Duranton, tous les gars du Comité (il s’agit du Comité Fédéral du syndicat des mineurs de la Loire) veulent la grève pour la grève ; au risque d’indiscipline nationale […] J’ai pensé, je pense encore que le moment est venu d’être casse-cou ou rien. J’ai senti, je sens toujours, autour des mineurs quelque chose qui gronde. J’ai vu et entendu des choses qui m’invitent à mettre le courant sur la motrice ».

26 Son de cloche très différent, en effet, le 22 avril, Dumoulin à Monatte : « Nous vivons des temps malheureux […] La Loire fera le 1^er mai malgré les avis officiels. Seuls les mineurs ne chômeront pas. Situation emmerdante. Les extrémistes, Andrieux et d’autres, venaient de Paris, où on les a convaincus que Merrheim trahit la cause minoritaire […] Ainsi nous avons un 1^er mai sur les bras, qui heureusement réunira, bien des chômeurs, mais qui sera un échec national. Puis un congrès minoritaire qui sera battu en brèche par les premiers zimmervaldiens et dont le fiasco est certain. Il ne m’appartenait pas hier de prêcher la reculade, mais j’aurais voulu qu’elle vienne d’elle-même par la sensation nette de l’échec à subir… ».

27 Compte-rendu sténographique du 13^e Congrès de la CGT, p. 176, séance du 13 juillet 1918 : « pas une réunion ni un congrès d’individus sans mandat […] Nous avons refusé les délégués qui ne représentaient pas une organisation syndicale […] Il y a eu 246 délégués, parlant au nom d’Unions, de Bourses et de syndicats […] qui comptent 70 % des effectifs de la CGT ».

28 Sur le compte duquel on semble avoir quelque peu hésité : agent pacifiste au service de l’Allemagne ou commis voyageur bolchévique au service de la Révolution ? Le choix du premier thème indique à l’évidence que la Révolution soviétique ne galvanisait pas encore – faible diffusion des thèmes bolcheviques ? Inquiétudes face aux négociations avec l’Allemagne ? – les masses ouvrières ; moins sans doute que le thème de la paix immédiate.

29 Que Clemenceau ait bien fait cette analyse-là, confirmation en été donnée au Congrès de Lyon de 1919. Cf. Jouhaux, compte-rendu du Congrès de Lyon, p. 235 : « Et ici je veux rappeler un incident. C’était avant le Congrès de Saint-Etienne, je causais avec des camarades. Je venais d’apprendre que le gouvernement venait d’autoriser le Congrès de Saint-Etienne et je disais aux camarades qui étaient autour de moi : “c’est un piège, on attend nos camarades au détour du chemin. On va se servir de leurs déclarations pour les brimer. Peut-être devrions-nous les mettre en garde contre cela. » Mais les camarades me répondaient : « mais si tu dis cela, malheureux […] tu vas être accusé de vouloir empêcher la tenue du Congrès de St Etienne ». Je me suis tu […] Mais après le Congrès de Saint-Etienne dans une réunion du Comité Confédéral, j’ai répété devant ce Comité ce que j’avais dit […] et l’on m’a reproché de ne pas l’avoir déclaré avant […] Car, t’en souviens-tu Merrheim, quand nous sommes allés voir le Président pour lui demander le retour des camarades qui avaient été renvoyés dans leurs dépôts et l’élargissement de ceux qui avaient été emprisonnés, ce que l’on nous dit : « Je les guettais ». Le chat avait guetté les souris ! […] Merrheim : et il ajouta : « leur plan, je l’ai eu avant eux ! ».

30 Voir les souvenirs de Lorduron, alors devenu secrétaire de l’UD de la Loire, dans La VO du 24 décembre 1920 – « Souvenirs », qui, à dire le vrai, souffrent d’être publiés à trois jours de l’ouverture du congrès confédéral. Celui d’Orléans, durant lequel Dumoulin, sera, plus que Jouhaux, plus que Merrheim, la cible de la minorité. Ceci dit, Dumoulin, n’a pas protesté contre cette évocation.

31 Et qui motive peut-être l’inquiétude des leaders majoritaires que soulignent deux rapports de police du 15 juillet : à la réunion des majoritaires, « Jouhaux montre la nécessité pour les majoritaires de prendre leur repas ensemble afin de se concerter sur les interventions ou décisions à prendre au Congrès » et « Jouhaux indique la nécessité de faire présider autant que possible les séances du congrès par un majoritaire » et de « tirer parti des dissentiments qui séparent les minoritaires au sujet de Merrheim ». AN, F7, 13 581.

32 Cf. Merrheim ; discours au Congrès de Lyon, p. 179, (au sujet de Jouhaux) : « j’aurais pu obtenir de ce Congrès une majorité […] J’aurais écarté du mouvement confédéral un homme, qui peut nous rendre de grands services et qui nous en a rendu d’immenses depuis que l’unité été reconstituée dans la CGT » in CR sténographique et « l’affreux passage de la lettre de Dumoulin » (affreux d’avoir été écrit après le congrès de 1918 alors que déjà est prise la décision de rallier la direction confédérale et d’accabler Merrheim, car c’est le seul, le dernier moyen de prouver à Monatte qu’on est encore minoritaire) : « Je remonte avec Griot (Rosmer) et Merr. jusqu’aux Buttes, là-haut. Là, je lui parle de choses intimes, de nos amitiés, de toi, mon pauvre Pierre. Il réfléchira. Le lendemain, il prononce son discours. Il ne renie, il n’abandonne rien. Mais le ton, l’allure modérée, le souci du rapprochement, la peur du Tigre, le rapport de Perès, l’influence de gens extérieurs, tout cela se sent fortement. Les termes sont durs pour ceux qui ont agi ; ils sont enveloppés et calculés pour ceux qui ont trahi ». Dumoulin à Monatte, juillet 1918 (Archives Monatte).

33 Cf. CR sténo […], p. 175, « je déclare aux camarades du CDS que je ne saurais être leur représentant à cette tribune ».

34 Lettre à Monatte, 22 juillet 1918 : « on m’apprend que le lendemain, il y a une réunion des Minorités, Bld de l’hôpital. Je demande à Merrh. s’il s’y rendra ? Non, me répond-il, je n’irai pas “chez les fous” » ; et encore « on s’est mis d’accord (chez les “extrémistes”) pour dire qu’il fallait réaliser l’unité minoritaire au congrès confédéral. Une délégation est nommée pour voir Merrheim et me voir pour s’entendre. Je présente cette délégation, je défends sa thèse : on ne s’entend pas. Quatre jours durant, on ne s’entend pas […] je plaide, j’essaie d’accrocher les frères ennemis par un texte, je sens que l’on ne veut pas se voir. Quelles vilaines heures j’ai vécu là ». (In Archives Monatte).

35 Celui-ci d’ailleurs tente de montrer qu’il n’a rien oublié du passé : cf. rapport sur la 3^e journée du congrès, AN, F7, 13 581 : « on me crie, “embrassez-vous !” Non, ce n’est pas cela que le vote de la commission signifie. Les minoritaires qui disent qu’ils ne voteront pas pour avoir une action plus présente enlèvent précisément une partie de cette force à la cause de la classe ouvrière. Aujourd’hui les personnalités disparaissent devant l’intérêt commun. Mais nous, les minoritaires, si demain la majorité ne tient pas son engagement, nous la chasserons du Comité Confédéral ». Au moment où la réaction se dresse contre nous, nous n’avons pas le droit de refuser nos forces à la CGT ».

36 Lettre à Monatte, 22 juillet 1918 (in Archives Monatte).

37 « Je ne pouvais pas répondre présent. Ceux qui le pouvaient, Merrheim, Bourderon étaient loin de penser à le faire ».

38 Le rapprochement de deux thèses laisse peu de doutes à cet égard : « j’essaie d’atténuer, de faire comprendre, de raisonner […] rien, on ne veut rien savoir, on dresse devant soi des périls, Mauricius, Boudoux, Vallet […] etc. ». Or nul n’ignore, dans le mouvement ouvrier français, qu’il y a au moins un cas « Boudoux » et un cas « Mauricius » : personnages plus inquiétants que pittoresques qui donnent large prise aux accusations de corruption, de « fil à la patte » – « Bourderon pose cette question : Avez-vous des hommes pour demain ? Des hommes pour remplacer Jouhaux et ses collègues ? Cette question s’adressait à Vallet, à Thuillier, à Hubert, alors que nous allions vers l’inévitable nègre-blanc ». Toutes les citations qui étayent cette analyse sont extraites de la lettre capitale qu’adressa Dumoulin à Monatte le 22 juillet 1918, et qui constitue le document le plus précieux sur la nouvelle dislocation de la minorité à la fin de la guerre.

39 En fait, dès le 19 juillet, un rapport de police considérait le compromis comme une victoire majoritaire, cf. AN F7 13581 : « L’on peut, dès maintenant qu’il ne s’en suivra, quant au fond, aucun changement dans la politique de Défense Nationale, suivie par la CGT depuis août 1914 […] Il se peut que dans la suite, pour donner satisfaction aux éléments de la nuance minoritaire modérée, les manifestations de la CGT prennent une allure plus énergique […] que par le passé. Mais là se bornera tout le changement ».

40 « Je suis rentré hier totalement usé […] J’ai été tourmenté d’une autre façon. J’ai autrement souffert par ailleurs […] J’ai fait d’énormes sacrifices, j’ai beaucoup souffert. Je me suis abîmé pendant une semaine pour aboutir à l’endroit où je ne voulais pas arriver » (idem). Dumoulin à Monatte le 22 juillet 1918.

41 « Vraiment Jouhaux s’est montré un autre homme. Du reste depuis quelques temps, les gens sont habitués à rencontrer partout Jouhaux avec Merrheim. Les temps ont vraiment changé et les hommes se sont amendés » (idem). Quel contraste entre cette fiévreuse recherche de justifications et l’analyse par Monatte, – digne et poignante tout à la fois, – du « cas » Merrheim (in “Le 16 avril, La VO reparaîtra”, première circulaire de lancement du journal : « Aujourd’hui la confusion est complète. Nous avons besoin de clarté. S’arrête qui voudra sur le bord de la route, terrassé par la fatigue, par le manque de confiance et d’espoir – pour un homme comme Merrheim, nous ne voyons pas d’autre explication […] ».

42 Lettre de Dumoulin à Monatte le 19 novembre 1919 (Archives Monatte).

43 Idem : « J’y vais de l’explication de mon embarras. Je ne t’ai pas dit qu’à Paris à la suite du congrès, avant de rentrer à Roche, j’ai pris des engagements. Voilà tout de go ce que c’est : je serai le candidat de la Fédération des Métaux au poste de secrétaire adjoint de la CGT au prochain Conseil National. C’est pire que nègre-blanc ? Vu de ton coin, oui. Jugé sur place, non ».

44 « J’ai l’impression très nette que le reniement, la trahison ne se sont pas sauvés au Congrès Confédéral. Je suis convaincu d’une capitulation certaine et prochaine des majoritaires […] Je n’ai pas peur de moi, je trouverai un chemin ferme autour du marais […] L’essentiel, l’important, ce qui domine tout le reste, c’est de ne pas se laisser prendre dans les engrenages de la machine […] Je ne nie pas que le jeu est dangereux. Les contacts sont mauvais par leur influence et la loi d’attraction joue ici son rôle. Ne te récrie pas !! Je veux perdre le moins de temps possible ». (idem). C’est d’ailleurs l’avis exprimé par de nombreux minoritaires ; par exemple Frossard qui expose dans Le Populaire du 19 juillet 1918 une thèse hardie : le compromis passé est en réalité une totale victoire minoritaire. Il parle d’une « Résolution d’action dont toute la partie positive donne pleinement satisfaction aux minoritaires […] Sur la paix, sur l’Internationale, sur les moyens à mettre en œuvre pour obtenir les passeports, enfin sur la révolution russe, elle est d’une clarté parfaite. Les majoritaires de la CGT en effet ne ressemblent guère à ceux du parti. Ils se sont ressaisis assez vite et pour faire oublier leurs erreurs d’hier, ils paraissent décidés à agir vigoureusement avec nous. Pouvions-nous demeurer dans une opposition confuse, alors qu’ils allaient jusqu’à constater en termes explicites l’identité de leur formule de paix avec celle de Zimmerwald ? Zimmerwald ? Le mot y est […] ».

45 Il est de fait, par ailleurs que Dumoulin continue à donner des gages de ses convictions minoritaires ; en janvier 1919, alors qu’il agit aux côtés d’un Merrheim dont l’anti-soviétisme devient véhément, il rapporte de la Conférence de Berne, de nombreuses brochures « soviétiques », en particulier celles du groupe communiste français à Moscou, dont les premières lettres de Jacques Sadoul (cf. lettre à Rosmer à Monatte, le 14 février 1919 : « il est revenu lesté »).

46 « J’ai connu l’an dernier ton succès, Monatte, complet et les délégués qui sont ici m’ont acclamé, ils m’ont ovationné comme ils t’ont ovationné hier ; tu méritais cette ovation que l’on m’a donnée l’année dernière ; au lieu de me laisser griser, au lieu d’obéir aux suggestions de ceux-là, je ne l’ai pas fait. Voilà, ce que vous me reprochez et je veux que vous continuiez de me le reprocher ; au lieu d’obéir à vos suggestions, au lieu de vouloir devenir votre chef, j’ai préféré tout sacrifier sur l’autel de l’unité ouvrière ». Cf.  compte-rendu sténographique du Congrès de Lyon, intervention de Dumoulin, p. 203.

47 Alors que 369 syndicats étaient signalés comme minoritaires le 15 juillet, par un rapport de police, cf. AN, F7, 13 581.

48 Certains ne surent pas – même parmi ces délégués tenus par un mandat impératif – résister à l’opération conciliant les intérêts ouvriers et les exigences nationales réapprises, rétablissant l’unité du mouvement et, ce faisant, lui donnait une force sans précédent ; qui lui permettait enfin de conquérir sur la bourgeoisie terrorisée en cette veille de Révolution, d’appréciables avantages pour la classe ouvrière. C’est le cas de Monmousseau qui déclarera, avec franchise à Lyon : « ce n’est pas par tactique gue l’an dernier j’ai voté cette motion d’unanimité, bien qu’étant mandaté pour voter pour la minorité […] Beaucoup d’entre nous ont été pris dans un courant qui nous emportait dans un esprit de conciliation » ; compte-rendu sténographique du Congrès de Lyon, p. 41.

49 Cf. Le rapport de police p. 3883 du 23 juillet 1918, AN, F7 13 581, « seuls, Keufer et la Fédération du Livre se sont montrés de véritables ouvriers français ce qui leur a valu les épithètes de “patriotards et de nationalistes” ».

50 Certains militants du CDS paraissaient même disposés à rallier la majorité : cf. le rapport de police, p 3860 du 18 juillet, AN F7 13 581, « D’après Rémy, du bâtiment, et Bardet, des chauffeurs, les syndicalistes minoritaires sont décidés à ne plus laisser subsister le CDS, si le congrès de la CGT vote une motion engageant les organisations ouvrières à s’opposer à la guerre ».

51 Et, très tôt sur les Bouches-du-Rhône, le Gard, la Haute-Vienne, vieilles terres du syndicalisme révolutionnaire, mais aussi UD de très grande importance.

52 Et la liste en serait incomplète si on ne signalait pas qu’à la démobilisation, rejoignirent d’emblée les rangs de la nouvelle majorité, des opposants de la première heure (et qui, justement avaient payé cher cette opposition) : Lenoir (démobilisé le premier et présent dans les “Métaux” dès 1918), Rey, Million.

53 Auxquels, bien entendu, il faut ajouter, ce qui demeure, après la défection de Merrheim, du « noyau » de La VO sur lequel, après la thèse de Christian Gras, nous n’avions peu de choses à dire, et qui, plus que dans les assemblées, s’exprime par la diffusion de textes clandestins. Ses membres préfèrent – au moins pour Rosmer qui n’a rien du tribun – conseiller les dirigeants – surtout Merrheim – et semblent nombreux à demeurer quasiment aux « lisières » de la minorité. Le problème n’a pas été soulevé par Christian Gras et nous n’avons nulle explication à proposer à cette attitude, qui comporte, il faut néanmoins le souligner, quelques exceptions : L. Bouët, Hasfeld. Est-ce réserve devant la composition, la direction et la maladresse constante du CDS ? Cette explication ne pourrait guère être avancée qu’à partir de 1917, Rosmer se félicitant de la création du CDS et le défendant ensuite pendant longtemps.

54 Ce qui justifie amplement le jugement porté en juin 1919 par Monatte : « Au congrès de l’an dernier, la minorité révolutionnaire et antiguerrière se disloqua, c’est un fait ; une partie de ses éléments, la plus grande, suivant Merrheim, Bourderon, Frossard et Dumoulin vota la résolution d’unanimité et donna le baiser de la réconciliation aux judas du syndicalisme », in « Que faire au prochain congrès confédéral ? », La Vie Ouvrière, 4 juin 1919.

55 Sur ces points, voir Annie Kriegel, op. cit., p. 232.

56 Cf. par exemple, dans Le Mouvement Social, l’article de Max Gallo sur les « ouvriers des usines de guerre », n° 56, juillet-septembre 1966, p. 3-33.