Conclusion/synthèse de la seconde partie
p. 259-264
Texte intégral
1L’atelier 3 de l’ACI Archaedyn et de l’ANR Archaedyn ii a été avant tout une expérience collective. Pour la première fois, des chercheurs travaillant sur la circulation de matériaux ou de produits très divers se réunissaient pour se pencher sur des approches méthodologiques communes et nouvelles, faisant appel aux géostatistiques et à la modélisation spatiale. Face à la très grande diversité des jeux de données et des questionnements, l’entreprise s’est avérée au premier abord plutôt complexe, mais, en nous appuyant sur les produits les mieux documentés, plusieurs méthodes d’analyse spatiale se sont révélées efficientes et surtout réapplicables ou adaptables à d’autres cas d’étude. Nous regroupons ici, en guise de conclusion, quelques remarques synthétiques concernant notre expérience, même si l’ensemble de ces recherches doivent être encore approfondies, en particulier pour les premières approches développées sur la multitude des questionnements possibles.
2Avec des bases de données déjà acquises dans le cadre d’autres programmes, il est très vite apparu nécessaire de formaliser les conditions dans lesquelles ces inventaires avaient été conçus et les conséquences d’éventuels déséquilibres documentaires sur le plan spatial1. Ainsi, l’atelier 3 s’est rapproché de l’atelier 4, consacré aux recherches purement méthodologiques, pour concevoir un outil commun d’évaluation de la confiance indispensable à la bonne interprétation des cartes de répartition. Si cet outil a été adopté par l’ensemble des ateliers du programme, les critères d’évaluation de la fiabilité des données restent spécifiques à notre thématique. Nous préconisons une définition très personnelle des niveaux de fiabilité – et donc subjective, mais qui d’autre que le concepteur de la base de données, connaissant toutes les conditions de sa réalisation, pourrait en faire une évaluation critique ? Cette dernière peut s’appuyer sur des critères variés, tels que la quantité et la qualité des investigations archéologiques, les conditions de découverte fortuite, la conservation et l’accessibilité des informations, et des choix personnels. Tous ces critères sont à hiérarchiser et peuvent diverger d’un secteur à l’autre. Ces cartes de fiabilité sont également un outil efficient d’aide à l’interprétation des répartitions, et représentent une première étape nécessaire avant l’analyse des données.
3Le second constat de notre équipe est que, pour obtenir des résultats nouveaux et pertinents, nous devions dépasser la simple carte de répartition des découvertes et nous pencher sur les processus mêmes de diffusion. Pour ce faire, divers lieux d’un bout à l’autre du réseau doivent être mis en relation : des gîtes, des ateliers, des intermédiaires – par exemple des centres de redistribution –, des lieux de consommation, des lieux de dépôt, etc., ces lieux représentant autant de maillons importants dans la chaîne des transferts. Les seuls sites de découverte correspondant uniquement à la dernière étape de la vie des objets, ne sont pas suffisants pour appréhender correctement la question de leur diffusion – ou du moins n’en montrent qu’un aspect. Pour arriver à intégrer tous ces lieux et étapes, il est nécessaire de reconstituer la biographie des objets et leur parcours2. Dans le cas des haches néolithiques en jades alpins, un tel travail a été rendu possible grâce à une étude longue et minutieuse des pièces, couplée à des recherches de terrain et à un inventaire quasiment exhaustif. Ces recherches de plus de trente années ont permis notamment d’identifier les sources de la matière première – analyses spectroradiométriques, analyses physicochimiques, prospections –, des ateliers de mise en forme ou retransformation – sondages, études morphotypologiques et cartographiques –, des acteurs – origine des exploitants, statut des consommateurs – et des comportements – sélections, modifications de la forme des objets, conditions de dépôt – qui permettent d’appréhender les mécanismes de la circulation des objets en jades en Europe. Pour le bronze, le travail est tout aussi complexe, puisque l’origine même des différents matériaux qui le composent reste difficile à identifier. Toutefois, les travaux de l’équipe de Maréva Gabillot sur la morphotypologie et les modes de production des haches à talon normandes apportent des données nouvelles sur les modes de diffusion de cette production depuis les ateliers.
4La prise en compte de ces multiples lieux intervenant dans les processus de diffusion ne peut se faire de façon traditionnelle, par de simples cartes en points. En effet, l’étude des transferts suppose de considérer les interactions. Les liens entre ces sites sont tout aussi importants que leur identification et leur positionnement sous forme d’unités cartographiques. Ainsi, c’est en concevant le système d’information géographique comme un réseau que ces liens pourront être étudiés. Ces nœuds (lieux) et ces arêtes (liens, chemins, axes) doivent en effet constituer ensemble un « graphe ».
5L’intégration des données dans cette structure nécessite que les bases de données soient réorganisées. En effet, pour inclure à la fois la dimension spatiale (la position des lieux et des axes), temporelle (la biographie des objets) et fonctionnelle (le rôle des lieux dans le réseau), nous proposons de concevoir une géodatabase dont l’élément le plus important – celui faisant le lien entre les différents types de lieux et les artéfacts –, serait la liste des étapes de la biographie des objets3. Notons que c’est la dimension temporelle qui permet d’étudier la mobilité des objets dans le réseau.
6Néanmoins, cette temporalité reste relative dans la plupart des cas, car nous sommes confrontés à la grande difficulté d’appréhender le temps de la circulation (durée du parcours entre deux sites, temps de conservation, etc.) ou le temps de l’objet lui-même (« durée de vie ») qui semblent bien plus courts que nos possibilités de datation pour les périodes du Néolithique et de la Protohistoire ancienne4. Alors que nous datons la plupart des sites et des types d’objets par phases, en chronologie relative – sauf dans quelques cas, où ils sont datés par des méthodes de datation absolue, mais avec l’imprécision que nous leur connaissons –, il nous faudrait une bien meilleure précision pour percevoir le temps de la circulation. La biographie des objets est donc conçue comme une succession d’étapes (t1, t2, etc.) et non comme une série de dates qui nous auraient permis d’appréhender les évolutions au cours du temps (en années solaires). La question des dynamiques temporelles pourra cependant être approchée au travers de la confrontation de grandes phases, par exemple grâce à la prise en compte de la typologie.
7On le voit, les travaux préliminaires à réaliser avant les analyses spatiales à proprement dites étaient nombreux. Il a fallu évaluer les inventaires, retravailler les bases de données, trouver des solutions pour gérer les datations et les incertitudes5. Ces réflexions ont abouti à plusieurs propositions de solutions et d’outils (cartes de fiabilité, géodatabase tridimensionnelle) qui ne peuvent faire l’économie de longues études préalables des artéfacts (études morphométriques, analyses physicochimiques, typologiques, reconstitutions de la chaîne opératoire, expérimentations, etc.).
8Concernant l’analyse des données, trois thèmes de recherche principaux (fig. 2) ont été abordés :
- La diffusion de la matière première ou des produits manufacturés depuis les gîtes ou les ateliers. À travers l’étude des liens entre lieux « sources », identifiés formellement ou supposés, et sites de consommation6, le but est non seulement d’identifier la direction des transferts, d’estimer des distances de diffusion, éventuellement de quantifier les flux, mais surtout de mettre en évidence des mécanismes particuliers dans les processus de diffusion comme des phénomènes de sélections ou des modes de transferts particuliers qui ne correspondraient pas forcément au traditionnel modèle « down-the-line » ;
- L’organisation spatiale de la consommation. Dans un premier cas, l’étude de la répartition des lieux de découverte permet de mettre en évidence des configurations particulières, notamment des zones de concentration de produits que nous envisageons comme d’importants pôles de consommation7. Cette approche offre la possibilité d’appréhender l’organisation de la consommation au regard du peuplement, des dynamiques culturelles, de l’organisation territoriale et sociale, des ressources ou des axes de communication. Dans un second cas, en l’absence même du produit, nous interrogeons l’interaction entre ressources naturelles et zones de peuplement à travers l’exemple de l’exploitation des sources salées de Moldavie roumaine aux périodes néolithique et énéolithique8. Le but est d’appréhender les stratégies de peuplement et de caractériser les effets de l’exploitation des ressources en sel sur la stabilité et le développement des communautés. Ces travaux s’appuient sur la mise en place d’indicateurs liés à l’environnement des sites, en particulier à la topographie. Plusieurs approches ont été proposées à travers des analyses de densité, de visibilité, de temps de parcours ou par le calcul de différents indices synthétiques pour aboutir à une modélisation des situations environnementales ;
- La structure des réseaux de circulation. Les axes de circulation sont au centre de ce dernier thème9. Quelles sont leur organisation et leur importance au sein du réseau ? Comment se sont-ils développés ? L’objectif est d’évaluer le poids de chaque axe en quantifiant la consommation le long de voies identifiées ou supposées. En reconstituant le parcours de chaque objet, nous avons également comptabilisé non plus seulement les découvertes à proximité du réseau, mais aussi le nombre d’artéfacts qui aurait effectivement emprunté chaque tronçon à un moment donné, afin d’obtenir une modélisation plus réaliste de la circulation des produits. Au final, une analyse du réseau par différents indices de centralité des nœuds permet de mieux en comprendre la structure. En tentant de distinguer les « effets réseaux » des « effets spatiaux » sur l’implantation des nœuds les plus importants, nous cherchons par exemple à déterminer si les pôles majeurs ont une position particulièrement avantageuse dans le graphe dont ils auraient pu tirer parti.
9Tous ces questionnements ont en commun la recherche d’une organisation et de fonctionnements particuliers dans la diffusion des produits, notamment à travers l’étude des liens existants entre les différents lieux impliqués dans les transferts. La plus grande limitation à l’étude de la diffusion d’un produit serait de considérer que la carte de répartition issue de la spatialisation des données du corpus se suffirait à elle-même. C’est par la recherche de particularités au sein de la diffusion du produit que l’on peut mettre en évidence des mécanismes spécifiques. En effet, si nous avions considéré le corpus des haches en jades comme un tout, il n’aurait pas pu en ressortir de fonctionnements particuliers tant leur répartition semble – à première vue seulement – homogène à l’échelle de l’Europe occidentale. La mise en évidence de modes de diffusion différents d’une région à l’autre n’a été rendue possible que par la prise en compte de multiples critères distinctifs – typochronologie, matières premières, gîtes d’origine, niveaux de finition, contextes de découverte etc. C’est également le cas pour tous les jeux de données que nous avons mobilisés. Des critères chronologiques sont nécessaires à la mise en évidence des dynamiques spatiales, mais un ensemble d’autres paramètres peut également être pris en compte – des critères physicochimiques, morphométriques, techniques ou iconographiques, selon les cas. La démultiplication des indicateurs peut apporter des informations complémentaires permettant de mieux caractériser la diffusion et éventuellement compenser la faible représentativité de certaines données. Il est toujours possible de rechercher au sein du corpus des particularités à observer ensuite en cartographie. C’est avant tout sur de telles discriminations des données que reposent l’originalité et la pertinence des résultats.
10Toutes les approches proposées ont en commun le besoin de dépasser les cartes de répartition des découvertes. En effet, nous avons déjà souligné que la prise en compte des seuls lieux de découverte n’est pas suffisante, mais il convient aussi de se détacher d’une représentation discrète des données dans l’espace par une approche purement cartographique. Une simple distribution ponctuelle permet certes de positionner les sites, mais elle ne permet pas à elle seule d’appréhender leurs relations ni de percevoir des tendances plus globales à l’échelle de la zone d’étude. Le recours aux statistiques et à la modélisation spatiale doit nous permettre de mettre en évidence des phénomènes par la création d’informations qui ne sont pas du ressort de la seule interprétation visuelle. En effet l’usage de la quantification et des statistiques permet d’objectiver les résultats afin de dépasser une lecture qui pourrait être vague, imprécise et trop subjective. La modélisation, quant à elle, a pour objectif de sélectionner les éléments pertinents et d’en matérialiser les relations sous une forme compréhensible immédiatement sans que le lecteur ait à intervenir dans cette interprétation. La maîtrise des méthodes de calcul – mais aussi de représentation : sémiologie, discrétisation – est alors la condition même de la pertinence des résultats.
11Dans un premier temps, nous avons mobilisé des analyses du semis de points (méthode du plus proche voisin)10 et des statistiques descriptives sous la forme des points moyens (barycentres) et de leurs ellipses de déviation standard11. Cette approche simple permet de présenter les tendances principales d’une distribution, d’observer si les données sont réparties de façon homogène ou concentrées dans un secteur en particulier et, dans ce cas, la direction prise par la distribution. Il est intéressant de comparer le point moyen au centre géométrique de la zone d’étude, au barycentre de la distribution globale ou bien à l’origine des transferts. Nos exemples, concernant une source unique, s’y prêtaient particulièrement. Cette méthode est également utile pour comparer plus facilement un grand nombre d’indicateurs ou plusieurs distributions. Ainsi, nous avons observé, aussi bien pour les longues haches en jades que pour les haches à talon normandes, une tendance similaire à l’augmentation progressive des niveaux de finition à mesure que l’on s’éloigne de l’origine supposée de la production. La disposition des points moyens nous amène à suggérer que ces haches font l’objet d’une forme de circulation spécifique que nous interprétons comme une diffusion par expansion combinée à une diffusion par migration. Cette forme particulière de diffusion serait liée à des phénomènes de sélection progressive des pièces les mieux travaillées pour les transferts les plus lointains.
12À la suite de ces premières approches globales faisant ressortir des tendances générales, plusieurs approches locales, impliquant une quantification des données, ont été développées afin de mettre en évidence les variations dans l’espace.
13Ainsi, à partir d’une origine unique, nous nous sommes intéressés aux quantités de produits présentes à des pas de distance réguliers depuis cette source, afin de visualiser graphiquement les variations avec l’éloignement12. En comparant les schémas obtenus avec les différents modèles théoriques de Colin Renfrew (1975), les modes de diffusion peuvent être caractérisés. De cette façon, pour les haches en jades, les accumulations de produits plus ou moins éloignées des gîtes alpins correspondraient à une diffusion via des centres de redistribution, places centrales disposées tout le long des réseaux de transferts.
14Une autre solution pour quantifier l’information et modéliser cartographiquement le résultat, consiste à restaurer la continuité de l’espace. Il est alors nécessaire que l’information soit renseignée partout, c’est-à-dire que les données ne peuvent pas rester discrètes. On change à la fois l’échelle et la forme de la représentation des données : d’une représentation ponctuelle discrète nous passons à une généralisation des données au niveau d’une unité d’espace surfacique ou linéaire. L’espace est alors renseigné en tout point, c’est-à-dire de façon continue. Néanmoins, il n’est pas justifié de tenter de reconstituer la continuité des données elles-mêmes par une interpolation de celles-ci. En effet, l’interpolation s’applique à des données variant de manière continue et progressive dans l’espace – notamment des données environnementales liées à la topographie ou au climat : altitude, températures, etc. –, dont il est alors possible d’estimer les manques à partir d’échantillons. Néanmoins, pour des données de nature discrète – comme la répartition des populations, des produits ou des ressources –, il n’est pas question de faire de telles interpolations ; les données sont comptabilisées par unité, éventuellement avec une pondération et un lissage (local uniquement).
15Il est alors nécessaire d’adopter une unité d’espace qui servira de référence au comptage des données. Dans un même espace, ces unités doivent être identiques ou bien le résultat relativisé en tenant compte de la variation de ces unités. Deux jeux de données à confronter doivent également adopter la même unité de division (résolution).
16Par exemple, quand nous avons souhaité appréhender l’organisation des aires de consommation13, l’espace étant une surface, nous avons choisi le plus simplement de créer un maillage carré régulier. Chaque maille résume alors toute l’information qu’elle contient en un chiffre unique. Cette donnée peut être qualitative – présence, majorité d’un critère codé numériquement – ou quantitative – somme, somme focale, densités de noyau. Nous avons privilégié la méthode des densités de noyau pour sa capacité à faire ressortir les principaux pôles de concentration. En jouant sur la discrétisation des données, des pôles aux poids différents en termes d’intensité, de stabilité et/ou d’étendue apparaissent, ce qui permet de les hiérarchiser. Plusieurs méthodes ont également été proposées pour discrétiser les valeurs de densité afin de sélectionner les pôles les plus importants et de pouvoir les confronter à d’autres jeux de données, comme dans l’exemple des haches en jades et des toponymes liés au sel. Il est aussi possible de comparer ou combiner différents indicateurs au sein d’un même corpus – matériaux, types, catégories, datations, etc. Ainsi, la confrontation de telles cartes de densités de noyau réalisées par phases successives, permet d’appréhender les évolutions des dynamiques spatiales des principales aires de consommation.
17Pour étudier les voies de circulation, nous prenons en compte un « espace linéaire »14. Ici, seul l’axe est considéré et non l’espace qui l’entoure. La projection des données sur un axe découpé en tronçons selon un pas régulier permet de les quantifier tout le long de cette ligne. La question se pose alors des limites de l’aire de sélection des données, qui, suivant le jeu de données, peut être tantôt une distance fixe de part et d’autre de l’axe (zone tampon), tantôt un espace choisi selon le contexte géographique, comme un bassin-versant.
18Ces deux approches nécessitant un découpage de l’espace, surfacique pour l’une, linéaire pour l’autre, il s’avère important de définir la résolution à adopter – pour la segmentation de l’axe, le maillage de la zone d’étude ou la taille du voisinage dans le cas des densités de noyau. Plusieurs méthodes peuvent être employées pour optimiser la résolution : un calcul basé sur le nombre de sites et la surface totale de la zone d’étude, à partir de tests empiriques ou encore selon un choix logique (la taille estimée des territoires par ex.), l’important étant d’obtenir des résultats significatifs par rapport aux données et à la thématique.
19Dans le cadre de ces analyses à petite échelle (suprarégionale à européenne), nous avons volontairement considéré l’espace comme homogène et uniforme. Différents tests ont en effet montré qu’à cette échelle, la prise en compte du relief influait assez peu sur le résultat. Par ailleurs, les études ethnographiques ont prouvé que lorsqu’il s’agit d’atteindre une ressource convoitée, le franchissement d’un col n’est pas un réel problème en soi ; dans ces cas-là, les contraintes à la circulation ne peuvent pas être évaluées au regard de nos critères modernes. En revanche, lorsque nous envisageons de confronter le peuplement à la présence de ressources à l’échelle d’une région ou d’un petit territoire, les critères environnementaux interviennent forcément. S’ils conditionnent le positionnement de ladite ressource (la géologie par ex.), ils jouent également sur les possibilités de contrôle de son exploitation (la topographie par ex.). Ainsi, outre les classiques questions de distances euclidiennes, interviennent non seulement des notions d’accessibilité – distances réelles à parcourir, difficultés de franchissement, barrières, chemins à adapter –, mais aussi des notions de temps de parcours. Deux endroits d’un même territoire ne seront pas nécessairement aussi bien positionnés par rapport à la ressource. Une localisation plus avantageuse peut favoriser le développement économique et/ou social d’un habitat. De tels critères peuvent donc intervenir dans les choix d’implantation des sites.
20D’autre part, un autre type de relation que le contact direct, peut entrer en ligne de compte dans le contrôle d’une ressource ou d’un territoire : la relation visuelle. Si le fait de voir ne signifie pas posséder, une relation visuelle permet néanmoins un contact permanent et immédiat. Elle offre donc des conditions plus stables de contrôle et permet des réactions plus rapides. Les approches développées sur les sites néolithiques et énéolithiques de Moldavie15 ont montré que ces critères ont une forte influence sur l’organisation et les dynamiques spatiales du peuplement.
21Il reste bien entendu encore de nombreuses pistes à explorer. D’un point de vue thématique, il serait notamment intéressant d’étudier des produits dont on connaît plusieurs sources afin d’identifier les mécanismes liés aux choix d’approvisionnement. Nous souhaiterions également appliquer nos méthodes d’analyse à de multiples productions participant à un même réseau de diffusion, afin d’identifier les situations complexes liées à des circulations en échange ou en retour. La restitution d’un vaste réseau de circulation de produits socialement valorisés permettrait d’établir une cartographie des dynamiques sociales dans un système combinant différents modes d’expression du pouvoir. Il serait également séduisant de confronter les circulations de produits de statuts différents, depuis les objets du quotidien aux produits les plus précieux, les plus rares et les plus recherchés, pour appréhender le fonctionnement des réseaux de transferts sur de multiples échelles emboîtées. Les études que nous avons menées ont constitué un premier pas vers une approche plus globale de la circulation des produits au sein de systèmes économiques, culturels et sociaux à la fois divers et complexes. Cependant, il reste encore bien du chemin à parcourir et d’autres voies à explorer.
22En tout état de cause, cette expérience collective a montré la nécessité d’observer les données par un autre biais que celui de la simple carte de répartition des découvertes, en faisant appel à des analyses statistiques ou à de la modélisation spatiale. Si l’analyse à un niveau global ou local des semis de points apporte de nombreuses informations sur les modes de diffusion, à l’échelle régionale, la prise en compte de l’environnement des sites permet également de mieux comprendre les liens entre peuplement et gestion des ressources.
23Nous avons par ailleurs souligné l’utilité de discriminer les données par de multiples critères. L’étude de la diffusion nécessite une meilleure connaissance de l’objet et de son histoire, car c’est seulement à ce moment-là que le parcours de l’objet peut être véritablement appréhendé.
24Toutefois, si le produit ou l’artéfact archéologique est au cœur de la thématique, ce sont bien les lieux et les routes qui font l’objet de l’analyse spatiale. La reconstitution du réseau requiert la modélisation, sous la forme d’un graphe, de l’ensemble des relations entre tous les lieux impliqués dans les transferts. Les flux correspondent ainsi à une succession de déplacements d’artéfacts, considérés individuellement, entre les divers nœuds du réseau. Il devient alors possible de quantifier le volume global des transferts le long des axes de circulation, et d’observer des états successifs des flux en tenant compte des unités de temps plus ou moins régulières.
25La particularité de la modélisation des réseaux de circulation est la possibilité de prendre en compte tout le cheminement de chaque objet, y compris des circulations en double sens ou des parcours très complexes qui nous échapperaient totalement sur une carte de répartition traditionnelle. Cela permet en outre de renouveler la lecture des données dans une approche plus dynamique et surtout plus complète. La lecture des réseaux de transfert s’en trouve ainsi profondément modifiée. D’une vision statique et diffuse des répartitions ponctuelles, la modélisation permet d’obtenir à un ensemble cohérent de lieux liés par un même phénomène : la volonté de mettre relation les populations et les produits convoités.
Notes de bas de page
1 Voir « Évaluation de la fiabilité des répartitions », chap. 1.
2 Voir « Modélisation thématique : vocabulaire et concepts », chap. 2.
3 Voir « Du modèle conceptuel de données à la géodatabase », chap. 2.
4 Voir « Mise en application et perspectives », chap. 2.
5 Voir « Tables de données et spatialisation », chap. 1.
6 Voir chapitre 3.
7 Voir chapitre 4.
8 Voir chapitre 5.
9 Voir chapitre 6.
10 Voir « Mesurer le degré d’agrégation du peuplement », chap. 5.
11 Voir « Le cas des haches alpines : une apparente unité mais des processus complexes », chap. 3.
12 Voir « La distance à la source : tests du modèle “down-the-line” », chap. 3.
13 Voir chapitre 4.
14 Voir chapitre 6.
15 Voir « Mesurer la visibilité depuis les sites d’habitat », chap. 5.
Auteurs
Maître de conférences, UMR 6249 Chrono-environnement et MSHE C. N. Ledoux (Besançon)
Chargé de recherches CNRS, UMR 8215 Trajectoires (Paris-Nanterre)
Directeur de recherches CNRS émérite, MSHE C. N. Ledoux (Besançon)
Chargée de recherches CNRS, UMR 6298 ArTeHiS (Dijon)
Post-doctorant, UMR 8215 Trajectoires (Paris-Nanterre)
Chercheur associée, UMR 6298 ArTeHiS (Dijon)
Chargé de recherches CNRS, UMR 7055 Préhistoire et Technologie (Nanterre)
Chercheur associée, UMR 7041 Arscan, Ifpo (Nanterre)
Référente SIG et topographie, INRAP Grand-Ouest
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