Chapitre 3
La diffusion depuis les gîtes
p. 143-170
Texte intégral
1Plusieurs des jeux de données à notre disposition concernent l’étude d’un matériau ou d’un objet spécifique dont l’origine est identifiée. On connaît dans ce cas un point de départ et un point d’arrivée et il est alors possible d’étudier la manière dont les objets sont parvenus du gîte au dernier lieu de consommation, sans nécessairement connaître exactement le parcours physique – les voies empruntées –, et sans savoir s’il existait d’éventuels intermédiaires. Cette approche vise à reconstituer les modes de diffusion : pourquoi et comment sont diffusés les produits, quels produits en particulier – quelle partie de la production globale –, combien, dans quelles directions, etc. ? Ce sont les mécanismes des transferts qui nous intéressent, notamment les phénomènes de sélection et/ou, dans certains cas, des transformations que l’on peut supposer avoir eu lieu au cours de la diffusion. Cela permettra de comprendre les choix effectués en fonction des cultures, des organisations sociales, de la distance séparant le gîte du lieu de consommation, témoignant par exemple de goûts différents ou bien d’une valeur ajoutée au produit.
2Le premier cas qui sera développé ici concerne les haches néolithiques en jades alpins. Nous présentons ci-après, l’ensemble du raisonnement qui s’appuie à la fois sur les données issues des recherches systématiques des membres du programme JADE depuis les années 1990, et sur un ensemble d’analyses spatiales faisant appel tantôt à la cartographie des répartitions, tantôt à la modélisation et aux statistiques spatiales.
Le cas des haches alpines : une apparente unité mais des processus complexes
3Tirées de carrières en altitude dans les Alpes italiennes, plus précisément dans le massif du Mont-Viso près de Turin, et dans celui du Mont-Beigua au nord de Gênes, les haches en jades ont circulé à travers toute l’Europe occidentale, sur des distances considérables, atteignant 2 000 kilomètres à vol d’oiseau, jusqu’aux rivages atlantiques d’une part, et jusqu’à la mer Noire d’autre part (fig. 34). Leur répartition couvre ainsi toute l’Europe occidentale, de la péninsule ibérique jusqu’au Danemark, avec néanmoins une forte concentration en France – notamment dans le Bassin parisien et la vallée du Rhône – qui s’explique par la position privilégiée de cette région dans les circulations, mais aussi par un accès plus important aux données, tandis que les vides ou les effectifs plus faibles s’expliquent tantôt par leur position plus marginale ou lointaine le long des axes de circulation principaux, tantôt par des biais documentaires ou des effets de la recherche1. Toutefois, dans l’ensemble, si l’on tient compte des effets de ces deux phénomènes conjugués – position dans les réseaux et biais de la recherche –, on pourrait estimer que la diffusion des jades alpins est relativement uniforme. L’espace est assez bien couvert et les plus faibles effectifs aux périphéries peuvent naturellement s’expliquer par une décroissance avec la distance induite par une diffusion de proche en proche.
Figure 34. Répartition générale des longues haches en jades alpins

Source : Données : JADE 2014, Pierre Pétrequin – Fond : ESRI WBM, NASA SRTM – CAO : Estelle Gauthier, 2016.
Des phénomènes de sélection
4Cependant, en arrière-plan de l’apparente unité de ces réseaux de transfert, à partir d’un centre unique, se dessinent des modes de diffusion bien plus complexes. Il faut pour cela porter un regard plus fin sur les répartitions. La prise en compte de différents descripteurs doit ici permettre de mieux comprendre les mécanismes de la diffusion en faisant apparaître notamment des différences chronologiques ou régionales (Renfrew, 2005). Les facteurs de distinction considérés ici sont : le type (Pétrequin, Sheridan et al., 2008 ; Pétrequin, Cassen et al., 2012b), la longueur, le matériau (roches sombres/roches claires ; Pétrequin, Sheridan et al., 2011 ; Coccato et al., 2013) et son origine (Beigua/Viso ; Pétrequin, Errera et al., 2012), les niveaux de finition (Pétrequin, Cassen et al., 2012b) et le contexte d’enfouissement (Cassen et al., 2012 ; Pétrequin, Pétrequin et al., 2017d). Chacun de ces facteurs peut être considéré seul ou bien par deux2.
5Bien qu’une simple cartographie des répartitions soit tout à fait à même de montrer les phénomènes spatiaux particuliers à ces différents descripteurs, une modélisation des points moyens accompagnés de leurs ellipses de déviation standard fera davantage ressortir ces phénomènes (Hodder et Orton, 1976, p. 207-208 ; Pumain et Saint-Julien, 1997, p. 54 ; Nuninger et al., 2012a), en résumant la distribution en un point unique qui correspond à la tendance principale et en représentant, par les ellipses, l’amplitude et la direction de cette tendance3. Le point moyen constitue en effet « un premier indice synthétique de la direction principale prise dans l’espace par le processus de diffusion » (Pumain et Saint-Julien, 2001, p. 166). Bien entendu, il faut se souvenir que cette méthode simple permet de créer un point qui n’a qu’une valeur statistique et présente seulement une tendance très générale. Ainsi un point moyen situé plutôt au centre de la distribution, avec une ellipse de déviation standard large et circulaire, indique une distribution vaste et relativement uniforme. Au contraire, un point moyen éloigné du centre avec une ellipse de taille réduite correspond à une répartition régionalisée, et si l’ellipse est ovalaire, la distribution tend à privilégier une direction en particulier. La méthode des points moyens, bien qu’elle lisse les détails, est donc un bon outil de visualisation des tendances. Cela permet en outre, par la clarté de ce mode de représentation, d’afficher sur une même carte un nombre de critères relativement important – les types, par exemple sont ici au nombre de 18, il n’est pas pensable de représenter sur une même carte toutes ces distributions. Il est ainsi plus aisé de les comparer.
6Pour les différents facteurs considérés, des tendances nettes apparaissent. On constate tout d’abord que la distinction des critères liés au matériau et à son origine – déterminés par comparaison entre les analyses des lames polies et celle des échantillons naturels d’un référentiel européen (Prichystal et Trnka, 2001 ; Errera et al., 2006 ; Prichystal, 2013) – laissent apparaître un double système d’opposition à petite échelle.
7Les roches claires (jadéitites) se trouvent plutôt dans la partie septentrionale (Bassin parisien, Allemagne, Grande-Bretagne, etc.) du domaine de diffusion des jades alpins et les roches sombres (omphacitites, éclogites) dans la zone méridionale (Midi de la France, Italie, Espagne), créant ainsi une opposition nord/sud en Europe occidentale (fig. 35, Pétrequin, Sheridan et al., 2011). Pour les éclogites, l’essentiel des artéfacts se situe près des carrières, avec une diminution rapide, suivie d’une diffusion régulière, mais en faible nombre. Au contraire, les jadéitites sont peu représentées dans les gîtes et montrent une concentration remarquable entre 650 et 1 000 kilomètres4. L’idée d’un mode de diffusion différent entre éclogites et jadéitites vient immédiatement à l’esprit, mais ce n’est probablement pas le meilleur – et en tout cas, pas le seul – système explicatif. Les sondages dans les carrières du mont Viso/Bulè en septembre 2007 (Pétrequin, Pétrequin et al., 2007) ont montré que la jadéitite était globalement plus rare et plus précieuse que l’éclogite dans les gisements primaires eux-mêmes (Pétrequin, Sheridan et al., 2011). La valorisation sociale de la jadéitite était déjà telle, dans les carrières, que même les plus petites ébauches étaient redescendues en vallée, tandis que des ébauches de haches en éclogite de 15 centimètres de longueur ou davantage étaient abandonnées sur les postes de taille si elles n’étaient pas parfaites. L’hypothèse de deux modes de diffusion n’est probablement pas fausse, mais reste donc à un niveau très superficiel des systèmes explicatifs, tandis que la valorisation sociale différente de l’un et l’autre groupe de roches permet de mieux comprendre la gestion particulière des ébauches et des outils. D’autres approches archéologiques ont également démontré que les deux groupes de carrières du mont Viso, l’un surtout avec de l’éclogite, l’autre surtout avec de la jadéitite, avaient été exploités par deux groupes humains et culturels distincts (Pétrequin, Pétrequin et al., 2019).
Figure 35. Points moyens et ellipses de déviation standard de la distribution des roches claires et roches sombres

Source : Données : JADE 2014, Pierre Pétrequin – Fond : ESRI WBM, NASA SRTM – CAO : Estelle Gauthier, 2016.
8Tandis que les productions du Viso se retrouvent dans toute l’Europe occidentale, ce sont surtout les productions issues des carrières du mont Beigua qui semblent avoir été choisies pour la diffusion des jades alpins en direction de la mer Noire (fig. 36). En effet, si l’on tient compte du nombre d’individus – et pas uniquement de la localisation des découvertes –, le point moyen des exemplaires issus du Beigua est nettement attiré vers l’est en comparaison de la répartition globale des haches, et plus spécifiquement de celle des exemplaires issus du Viso. Des connexions spécifiques des réseaux de transferts sont sans doute à l’origine de cette préférence et de ce qui apparaît ainsi comme une opposition est/ouest (Errera et al., 2006 ; Pétrequin, Cassen et al., 2012b).
Figure 36. Points moyens et ellipses de déviation standard de la distribution des haches en jades originaires du mont Viso et du mont Beigua

Source : Données : JADE 2014, Pierre Pétrequi – Fond : ESRI WBM, NASA SRTM – CAO : Estelle Gauthier, 2016.
9On se doute, bien sûr, qu’au cours du millénaire que compte le cycle social de circulation des haches en roches alpines, ces objets valorisés ont subi des variations de forme, phénomène classique de l’affichage des inégalités sociales dans un système d’objets-signes5 (Pétrequin et Pétrequin, 2006 ; Musée national de Préhistoire, 2015 ; Pétrequin, Pétrequin et al., 2015 ; 2017d). Différents groupes typologiques ont été identifiés dès 1998 (Pétrequin, Croutsch et Cassen, 1998 ; Pétrequin, Cassen et al., 2012b ; Gauthier et Pétrequin, 2017a). Alors que certains types ont une diffusion large (Puy, Durrington, Chelles), d’autres ont une diffusion bien plus limitée (fig. 37) : Bégude à proximité des gîtes alpins, Saint-Michel et Tumiac en Bretagne, Pauilhac dans le Midi de la France. Ainsi, des types régionaux se distinguent : certains peuvent être qualifiés de « méridionaux » (Bégude, Pauilhac), car ils sont surtout présents en Italie et dans le sud de la France. D’autres sont dits « septentrionaux » (Altenstadt-Greenlaw et Chenoise), car ils se retrouvent surtout du Bassin parisien à la Grande-Bretagne et au Danemark, avec une concentration importante en Allemagne. Enfin, certains sont nommés « carnacéens » (Bernon, Tumiac, Saint-Michel), car ils se trouvent pour l’essentiel en Bretagne.
Figure 37. Points moyens et ellipses de déviation standard de la distribution des principaux types de haches en jades alpins

Source : Données : JADE 2014, Pierre Pétrequin – Fond : ESRI WBM, NASA SRTM – CAO : Estelle Gauthier, 2016.
10Si des préférences régionales peuvent expliquer ces tendances, des raisons chronologiques sont aussi en cause. La prise en compte de la typochronologie6 montre tout d’abord une expansion progressive du phénomène vers le nord-ouest, par étapes, avec sur la fin des phases de repli (Pétrequin, Sheridan et al., 2015). Pendant le ve millénaire, les haches en jades ont en effet suivi la frontière entre cultures méridionales et danubiennes en direction de la Bretagne, puis l’expansion du Michelsberg depuis le Bassin parisien vers l’Allemagne à partir de 4300 av. J.-C. (Jeunesse et al., 2003), enfin la colonisation néolithique de la Grande-Bretagne et de l’Irlande au début du ive millénaire (Klassen et al., 2009 ; Pailler et Sheridan, 2009 ; Pétrequin, Sheridan et al., 2008). Le type Bégude étant le plus ancien, il a connu une diffusion surtout régionale, qui ne dépassait guère 800 kilomètres à vol d’oiseau, alors même que se mettait tout juste en place la circulation des jades alpins. Au contraire, Tumiac, Saint-Michel et Altenstadt, conçus au moment de l’intensification de la circulation, sont les plus éloignés des carrières. Le type Puy est parmi les plus récents et les plus largement diffusés le long de réseaux de transferts qui se restreignent toutefois au continent à cette époque (Pétrequin, Cassen et al., 2012b, p. 699).
Figure 38. Points moyens et ellipses de déviation standard de la distribution des six niveaux de finition des haches en jades alpins

Source : Données : JADE 2014, Pierre Pétrequin – Fond : ESRI WBM, NASA SRTM – CAO : Estelle Gauthier, 2016.
11L’équipe du programme JADE a très tôt reconnu l’importance pour ces objets socialement valorisés de la plus ou moins grande régularité des haches polies et de la qualité de la finition et du polissage. Six catégories ont ainsi été distinguées (Pétrequin, Cassen et al., 2012b), depuis les ébauches (niveaux 1, non polies et 2, à polissage partiel), les outils d’abattage (niveaux 3, à bouchardage et polissage partiel et 4, à polissage total irrégulier), jusqu’aux exemplaires polis à glace (niveau 5) ou même décorés ou perforés (niveau 6). La cartographie des centres de gravité des répartitions par niveau de finition (toutes les haches à l’échelle de l’Europe, fig. 38), montre bien que, schématiquement, la qualité du polissage croît depuis les carrières (niveau 1) en direction de la Bretagne (niveaux 5 et 6). Les exemplaires qui ont subi un polissage plus intensif se retrouvent ainsi plus fréquents, loin des gîtes alpins. Cette augmentation est progressive depuis la zone alpine en direction du nord et de l’ouest, mais ne se déroule pas partout à la même vitesse : lente d’abord sur les 500 premiers kilomètres, puis de façon exponentielle entre 800 et 1 210 kilomètres. La diffusion devient donc beaucoup plus lointaine pour les exemplaires ayant le plus haut degré de finition, qui se déplacent plus « rapidement », loin de la source, que pour les haches affichant des niveaux moindres de polissage, le plus souvent trouvées à proximité des gisements naturels de matières premières.
12En distinguant les indices de polissage en fonction du matériau (jadéitites claires contre éclogites et omphacitites sombres), des différences apparaissent encore : à proximité du gîte, on trouve des haches en éclogite à différents niveaux de polissage, depuis les ébauches jusqu’aux haches de poli 6, alors que l’on retrouve surtout des haches en jadéitite à faible niveau de polissage. Là aussi, la différence de valorisation sociale des deux types de roches est certainement en cause.
13Si l’on tient compte de la longueur des pièces complètes (fig. 39), on constate que les exemplaires de très grande taille, surdimensionnés par rapport à leur fonction technique ont un point moyen plus éloigné du centre de gravité de la zone d’étude que les haches de dimension plus réduite. Il s’éloigne en direction de l’ouest – et légèrement vers le nord. L’ellipse de déviation standard est quant à elle un peu plus petite. On peut en déduire que ces haches surdimensionnées ont statistiquement tendance à apparaître davantage à l’ouest – et dans une moindre mesure au nord – : en Bretagne, sur la façade atlantique, dans le Bassin parisien, en Grande-Bretagne et en Allemagne, des secteurs qui peuvent être considérés, pour la circulation des jades, comme des régions périphériques, tandis qu’on les retrouvera plus rarement à proximité des centres de production.
14Tant pour la longueur des pièces que pour le niveau de finition, cela peut correspondre à une sélection progressive des exemplaires ayant une plus forte valeur sociale, au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la région source. Ils gagnent ainsi à la fois en exotisme, en ancienneté – les transferts étant relativement lents, un important décalage chronologique existe entre des objets d’un même type découverts dans le Piémont et en Grande-Bretagne –, en esthétisme et en valeur symbolique – les pièces les plus longues, les plus brillantes, les plus fines – pour devenir de véritables signes sociaux.
Figure 39. Points moyens et ellipses de déviation standard de la distribution des trois classes de longueur des haches en jades alpins

Source : Données : JADE 2014, Pierre Pétrequin – Fond : ESRI WBM, NASA SRTM – CAO : Estelle Gauthier, 2016.
15Enfin, les contextes de découverte viennent encore appuyer l’hypothèse d’une sélection des jades selon la distance, favorisant les meilleurs marqueurs sociaux, loin des sources de matières premières (fig. 40) : alors que les habitats sont majoritaires dans un cercle de 200 kilomètres autour des gîtes, où les haches en jades sont surtout utilisées comme outils d’abattage ; au-delà, ce sont plus fréquemment dans des dépôts groupés (Pétrequin, Cassen et al., 2009) et des tombes, parfois monumentales comme les tumulus carnacéens en Bretagne (Cassen, 2000), ou luxueuses, comme les tombes des nécropoles de Varna, aux côtés de nombreux objets d’or (Pétrequin, Cassen et al., 2012d), que les haches en jades alpins ont été enterrées. Certaines sépultures riches et imposantes étaient selon toute vraisemblance réservées à des personnages de haut rang (Cassen et al., 2011 ; 2012 ; Pétrequin, Sheridan et al., 2008 ; Roussot-Laroque, 2008). Ces dépositions volontaires s’accompagnent d’une forme de ritualisation (Pétrequin, Sheridan et al., 2012 ; Cassen, 2014), avec des positions particulières – plantées verticalement, tranchant vers le haut –, le choix de contextes spécifiques liés aux montagnes, aux pierres dressées ou à l’eau (tourbières, marais, bords de rivières, etc., « milieu humide » sur la figure 40), des dépôts symboliques par paires, ou encore des destructions volontaires (haches brisées ou brûlées) qui témoignent également d’une utilisation à la fois sociale et religieuse des haches en jades alpins (Pétrequin, Cassen et al., 2012e). On ajoutera à cela leur représentation sur de nombreuses stèles et parois de monuments carnacéens que l’on retrouve par ailleurs de façon très similaire en Bourgogne et dans le Bassin parisien (Cassen, 2007 ; 2017a ; Cassen et al., 2014). Il est très probable que les lames en jades aient été très tôt intégrées pleinement à la mythologie néolithique, en particulier carnacéenne (Cassen, 2000 ; 2012). Ainsi, à distance des sources de matières premières, les haches en jades alpins, avaient acquis une valeur nouvelle, celle d’objets-signes et appartenaient surtout à la sphère sociale et religieuse. Une fois intégrées à la mythologie carnacéenne, elles ont ensuite accompagné la diffusion de cette symbolique le long de la façade atlantique et vers l’intérieur du continent (Cassen, 2017b).
Figure 40. Points moyens et ellipses de déviation standard de la distribution des contextes de découverte des haches en jades alpins

Source : Données : JADE 2014, Pierre Pétrequin – Fond : ESRI WBM, NASA SRTM – CAO : Estelle Gauthier, 2016.
16Ainsi, toutes ces particularités, c'est-à-dire la multiplicité – voire l’opposition – des réseaux de transferts, les phénomènes de sélection visant une augmentation de la valeur ajoutée et les préférences régionales, prouvent que les transferts des haches en jades alpins sont loin d’être simples et uniformes. Différents mécanismes à la fois économiques, sociaux, religieux et culturels interviennent simultanément.
La distance à la source : tests du modèle « down-the-line »
17Nous l’avons constaté, la diffusion des haches en jades se veut complexe, elle s’accompagne de choix régionaux sur des critères bien spécifiques qui modifient la valeur et les caractéristiques morphologiques des objets au cours de leurs transferts. Alors que certaines sélections des pièces (taille, polissage, matériau) influent nettement sur les tendances globales présentées par les variations en fonction de la distance à la source, des courbes dénombrant les individus découverts à un pas régulier de distance donneront plus de détails sur les modes de transferts. La diffusion des longues haches en jades depuis les gîtes alpins à travers toute l’Europe correspond-elle à une transmission de proche en proche (« down-the-line ») ou bien à des modes de transferts plus spécifiques (fig. 41) ? Cette question est posée en référence aux modèles de Colin Renfrew (Renfrew, 1975, fig. 10 ; Renfrew et Bahn, 1991 ; voir aussi Grancher et al., 2016) qui restent des modèles théoriques, même si leur élaboration provient des travaux qu’il a menés sur la production et la distribution de l’obsidienne en Anatolie. Il s’agit de reproduire cet exercice afin d’identifier parmi ces différents modes de diffusion, celui qui correspond le mieux aux longues haches en jades alpins, en nous appuyant sur les effectifs des objets découverts.
Figure 41. Trois des modèles de décroissance avec la distance de Colin Renfrew

Source : D’après Colin Renfrew (1975, fig. 14), modifié par Estelle Gauthier, 2018.
18Nous choisissons de calculer la distance par rapport au mont Viso, considéré comme l’origine principale des réseaux de transfert européen (fig. 42). Le graphique général pour l’Europe occidentale présente deux tendances associées : certes, une diminution progressive avec la distance, mais aussi de multiples pics de plus ou moins grande amplitude tout le long de l’axe, espacés de façon presque régulière tous les 100 kilomètres environ. On identifie ainsi de larges concentrations, séparées par des zones vides ou à faible densité de vestiges. L’approche de la répartition de toutes les haches en Europe occidentale ne montre guère, nous l’avons vu plus haut, de biais au niveau de l’échantillonnage, car il s’agit d’un long travail systématique qui a fait appel à des dizaines d’informateurs différents pendant presque une demi-génération. La carte de répartition générale où figure le nombre de haches dans chaque commune (fig. 34) est extrêmement explicite : des zones de fortes densités s’opposent à des lacunes et des vides parfaitement confirmés par de nouveaux contrôles des séries muséographiques et des publications. L’hypothèse de transferts de proche en proche, down-the-line, ou bien encore de transferts de biens de prestige (fig. 41a et b ; Renfrew, 1975) ne peut rendre compte de cette disposition géographique très particulière, composée de concentrations régionales successives. La situation s’apparente en fait à un modèle avec intermédiaires (fig. 41c ; Renfrew et Bahn, 2000 ; Pétrequin, Gauthier et al., 2012), qui comporte des centres de redistribution dans la diffusion du produit et qui correspond ici plutôt à un fonctionnement en « places centrales »7. Nous interprétons cette courbe comme un phénomène d’ordre social : nous voyons ici l’effet de la circulation de biens hautement valorisés, des objets-signes, dont la fonction n’est certainement pas limitée au « prestige » ou à l’« apparat », dans un système social très inégalitaire où les élites sont concentrées – comme les haches elles-mêmes – dans des régions à forte densité de population (Pétrequin, Croutsch et Cassen, 1998 ; Pétrequin, Pétrequin et al., 2017d). Les haches auraient été redistribuées entre groupes d’élites régionales, les centres de pouvoir et de densité de population pouvant coïncider avec des terres agricoles particulièrement riches, des sources salées ou d’autres productions marines. S’y déroulent alors des phénomènes d’accumulation, de thésaurisation et de destruction – haches brûlées, cassées volontairement, enterrées, immergées – de ces signes affectés aux dieux ou aux puissants. C’est ainsi que les concentrations de haches les plus importantes vont se situer aux deux extrémités du réseau : chez les producteurs et leurs voisins immédiats, d’une part, où elle s’apparente à une diffusion de proche en proche, et d’autre part, dans les communautés où les fonctionnements sociaux sont franchement inégalitaires, à 500, 800, 1 000 kilomètres de là, dans le Bassin parisien, la basse vallée de la Loire, le golfe du Morbihan où elles correspondent à une thésaurisation avec une faible remise en circulation. Entre les deux, les haches ont circulé en bon nombre, les intermédiaires ont pu également en thésauriser une partie, mais sans avoir eu les moyens sociaux de conserver la plupart.
Figure 42. Variation de la distance au mont Viso des lieux de découverte des longues haches en jades alpins (hormis celles provenant du mont Beigua)

Source : Données : JADE 2014, Pierre Pétrequin – DAO : Estelle Gauthier, 2016.
19Cependant, on introduit ici des biais méthodologiques à vouloir traiter toute l’information géographique simultanément. Une diffusion en direction de la vallée du Pô et de l’Italie est en effet, sur le plan culturel et strictement archéologique, très différente d’une diffusion en direction du nord-ouest de l’Europe, au-delà des Alpes. Une approche globale ne peut donc pas être jugée satisfaisante dans la mesure où les chemins empruntés suivent plusieurs axes distincts, et peuvent ne pas correspondre aux mêmes logiques de diffusion ni aux mêmes fonctionnements. La prise en compte de critères distinctifs est nécessaire pour mettre en évidence ces phénomènes complexes.
20Par exemple, une projection sur un plan vertical des variations de haches de type Bégude en fonction de la distance – en prenant ici comme origine Alba, le principal centre italien de la mise en forme des haches par percussion –, montre au contraire que leur diffusion serait homogène dans les premiers 800 kilomètres (décroissance lente et régulière) avant de diminuer rapidement au-delà de cette distance (fig. 43). Cette observation est vraie pour le type Bégude, dont la diffusion débute avec le ve millénaire et qui atteint la Bretagne (à 800 kilomètres) un peu avant 4500 avant notre ère, mais la raréfaction brutale du nombre de haches au-delà de 800 kilomètres marque la limite du monde néolithique méridional au milieu du ve millénaire et le transfert tardif (après 4000) de quelques individus de type Bégude selon un autre réseau, par l’ouest de l’Allemagne et jusqu’au Danemark. Il est donc assez difficile d’exploiter ce type de projection « globale », qui neutralise les spécificités régionales et réunit artificiellement différents axes de transfert.
Figure 43. Variation de la distance des lieux de découverte des haches en jades de type Bégude par rapport aux ateliers d’Alba

Source : DAO réalisée par Estelle Gauthier, 2019.
21À terme, il est important de repérer, sur carte et en chronologie, les différents réseaux de circulation et de les isoler afin d’étudier les artéfacts en ensembles géographiques distincts. Leur prise en compte doit permettre d’affiner les premiers modèles généraux en y intégrant les différents fonctionnements selon les axes de diffusion et les cultures (Gauthier et Pétrequin, 2017b). En l’absence d’une périodisation pour chaque objet – impossible à réaliser, car il s’agit d’un phénomène très complexe : objets d’une durée de vie très longue, association de plusieurs types dans un même lieu de découverte, etc. –, l’analyse doit être menée à partir d’une typochronologie applicable seulement dans une zone épicentre à définir pour chaque type.
22Cinq axes sont ainsi définis (fig. 44 ; Pétrequin, Pétrequin et al., 2017d), et les analyses de distances sont réalisées tour à tour suivant chacun de ces axes pour comparer la distribution des différents types. Les axes 1 et 5 ont pour origine le centre des exploitations du mont Viso. L’axe 1 part des gîtes alpins en direction du Bassin parisien. L’axe 5 correspond à la voie méridionale, depuis les gîtes alpins vers le Morbihan en passant par le Midi de la France. Les axes 2, 3 et 4 partent d’un point que nous avons défini dans le Bassin parisien, à 500 kilomètres du mont Viso. Chacun prend ensuite une direction différente, l’axe 2 vers le nord de la France et la Grande-Bretagne, l’axe 3 vers l’Allemagne et l’axe 4 vers la Bretagne.
Figure 44. Les cinq axes définis comme les principales voies de diffusion des jades alpins

Source : Données : JADE 2014, Pierre Pétrequin – DAO : Estelle Gauthier et Émeline Le Goff, 2016.
23Différents tests ont montré qu’un pas de 10 kilomètres est ici le plus approprié pour faire ressortir les phénomènes, en particulier les effets d’accumulation, de façon ni trop fine – ce qui aurait pour effet d’isoler les données et perdrait tout intérêt pour notre analyse –, ni trop grossière – l’effet de lissage masquerait les phénomènes de concentrations que l’on cherche à observer. La distance euclidienne a été privilégiée plutôt qu’une distance pondérée à la topographie, d’une part parce que l’impact du relief pour ces sociétés anciennes n’est sans doute pas le même que dans nos sociétés modernes, d’autre part parce que nous ne pouvons pas travailler sur les routes réelles empruntées, il serait donc illusoire de chercher à s’approcher davantage de la distance réellement parcourue. Pour les axes 1 à 4, le calcul des distances euclidiennes a été effectué directement par une jointure spatiale. Pour l’axe 5, qui est courbe, un axe moyen théorique, appuyé en partie sur les réseaux hydrographiques et longeant ensuite la côte atlantique, a été tracé ; des projections linéaires8 ont ensuite été réalisées afin de comptabiliser les haches tous les 10 kilomètres, puis le résultat a été traduit sous la forme d’un graphique.
24Afin de mettre en valeur les résultats et pouvoir plus aisément confronter les profils, des courbes de tendance ont été tracées. La méthode choisie est celle des moyennes mobiles plutôt que la méthode polynomiale, car elle est la plus à même de lisser les résultats tout en conservant les tendances et surtout les changements de tendance, c’est-à-dire les pics de la distribution9. On notera toutefois que comme il s’agit de moyennes, les pics sont de plus faible amplitude que les effectifs réels. Par ailleurs, cette méthode produit un décalage fixe au niveau des abscisses (de 30 kilomètres dans notre cas), dont il faut tenir compte pour la lecture du résultat. Les graphiques proposés dans les figures suivantes ont ainsi été corrigés afin d’afficher les distances réelles. Pour confronter plus aisément les profils, nous ne conservons des histogrammes que leurs courbes de tendance qui, bien qu’elles lissent quelque peu les résultats, reflètent la forme des distributions et permettent de comparer la position et l’amplitude relative des pics d’un nombre assez important de types de haches différents sur un même graphique.
25Suivant les axes considérés, les types remarquables varient. Ainsi, pour les axes 1 et 2, le type Bégude, méridional, le type Altenstadt-Greenlaw, septentrional, ainsi que les types à large diffusion, Durrington et Puy, retiendront notre attention – les autres types septentrionaux Chenoise et Glastonburry sont présents en trop peu d’exemplaires.
26Sur l’axe 1 (fig. 45), nous constatons que les pics relatifs aux différents types de haches sont sensiblement identiques, ce qui témoigne d’une certaine stabilité des grands « centres » de consommation des haches en jades. On note tout d’abord une concentration très importante dans les cent premiers kilomètres autour du Viso. Cette concentration correspond aux haches et ébauches trouvées dans la région piémontaise et alpine et concerne surtout les types les plus anciens, dits méridionaux, Bégude et Durrington. On en trouve en effet une quantité très importante au sein des habitats et ateliers du nord de l’Italie. Le type Bégude se raréfie après 200 kilomètres ; ce modèle sera présent de façon anecdotique jusqu’à 700 kilomètres, dans la basse vallée de la Seine. Le type Durrington connaît un schéma assez comparable, mais il reste assez bien représenté tout le long de l’axe 1. Le type Altenstadt-Greenlaw est quasiment absent jusqu’à 250 kilomètres environ. Les premiers pics sont de faible amplitude : ils se trouvent à environ 200 kilomètres, en Suisse occidentale, près du lac Léman et 260 kilomètres, en Franche-Comté et autour du lac de Bienne. C’est surtout à partir de 500 kilomètres, dans le Bassin parisien, que ce type connaît les concentrations les plus importantes. D’une façon générale, cette zone est particulièrement riche et les types représentés y sont très variés.
Figure 45. Variations de la distance au mont Viso des longues haches en jades alpins, distinguées selon leur type et observées le long de l’axe 1


Légende : En haut = représentation graphique ; en bas = représentation cartographique.
Source : Données : JADE 2014, Pierre Pétrequin – DAO : András Márton, 2016.
27Outre-Manche, le long de l’axe 2, les concentrations sont plus faibles et moins régulières (fig. 46). Quatre zones se démarquent du sud-est de la Grande-Bretagne à l’Écosse. Si les types Bégude, Durringon et Puy y sont très peu représentés, c’est surtout le type Altenstadt-Greenlaw qui domine sur cet axe. Il présente trois concentrations : l’une au sud de la Grande-Bretagne et les deux autres en Écosse, soit vers 1 400 et 1 550 kilomètres du Viso. L’arrivée des haches en jades alpins depuis le nord de la France est tardive : elle serait en effet à mettre en relation avec la colonisation néolithique de la Grande-Bretagne et de l’Irlande aux alentours de 4000 avant notre ère (Sheridan et Pailler, 2012), avec les courants « Carinated Bowl » et « trans-Manche ouest » notamment – et non pas les courants précédents originaires du Morbihan, ce qui explique le faible nombre d’exemplaires carnacéens. Par ailleurs, une longue perduration des types Durrington et Altenstadt dans le nord de la France et une arrivée très tardive du type Puy expliqueraient le faible nombre d’exemplaires de ce dernier type.
Figure 46. Variations de la distance au Bassin parisien des longues haches en jades alpins, distinguées selon leur type et observées le long de l’axe 2


Légende : En haut = représentation graphique ; en bas = représentation cartographique
Source : Données : JADE 2014, Pierre Pétrequin – DAO : András Márton, 2016.
28Le long de l’axe 3 (fig. 47), à ces mêmes types s’ajoutent les types Chenoise et Glastonbury que l’on trouve essentiellement dans cette partie de l’Europe – bien que leurs effectifs soient plus faibles que les modèles précédents. On y compte également un bon nombre d’exemplaires du type Chelles, plus fréquent encore sur l’axe 4. Le Bassin parisien et la vallée de la Seine présentent bien entendu des valeurs fortes. Le long de cet axe, qui se dirige ensuite vers le centre de l’Allemagne et qui traverse tout le nord-est de la France et le Benelux, la concentration la plus forte se trouve en Allemagne occidentale, le long de la vallée du Rhin, entre 350 et 450 kilomètres du Bassin parisien. Tous les types sélectionnés sont concernés. Il en va de même de deux autres pics de relativement forte amplitude, l’un à 250 kilomètres environ, correspondant à une densité élevée de haches trouvées en Belgique, l’autre, un peu plus faible, dans le centre de l’Allemagne, à 600-650 kilomètres du Bassin parisien. D’autres pics secondaires s’observent régulièrement, les différents types présentant des courbes similaires, hormis le type Puy, sans doute en raison d’un décalage chronologique plus important. Le type Altenstatd-Greenlaw présente des pics plus fréquents et plus élevés, tandis que le type Durrington, pourtant bien représenté sur les autres axes est ici beaucoup moins abondant.
Figure 47. Variations de la distance au Bassin parisien des longues haches en jades alpins, distinguées selon leur type et observées le long de l’axe 3


Légende : En haut = représentation graphique ; en bas = représentation cartographique
Source : Données : JADE 2014, Pierre Pétrequin – DAO : András Márton, 2016.
29L’axe 4 conduit du Bassin parisien vers la Bretagne (fig. 48). Deux autres modèles de haches en jades, les types Saint-Michel et Tumiac, caractéristiques de cette région, ont des effectifs élevés. Au début de la courbe, de nombreux pics s’observent ; ils sont dus aux nombreuses trouvailles déjà mentionnées le long de la basse vallée de la Seine et en Picardie. Si on y rencontre quelques pics de faible amplitude de haches de type Tumiac, le type Saint-Michel est quant à lui quasiment absent de cette première partie de l’axe. Cependant, la zone la plus intéressante est la Bretagne, la région de Carnac en particulier, où l’on rencontre un nombre élevé de haches, plus particulièrement les types Tumiac et Saint-Michel, mais également Chelles et Bégude. On remarquera la très faible représentation du type Altenstadt-Greenlaw dans le golfe du Morbihan.
30Cette autre approche des répartitions fait donc apparaître une série de pôles de concentration placés tous les 100 kilomètres environ, le long de la voie continentale, partant des gîtes alpins en direction des périphéries nord-occidentales de l’Europe du jade. Cette répartition par pôles réguliers correspondrait non pas au modèle « down-the-line », mais plutôt à des transferts successifs entre centres de redistribution. Par ailleurs, ces pôles sont souvent communs aux concentrations de plusieurs types différents de haches, laissant penser qu’il s’agit des mêmes aires de consommation, peut-être occupées par des élites locales. Cette méthode nous permet également d’observer le point de départ et l’amplitude de la diffusion des types régionaux le long des grands axes de diffusion. Si certains sont présents sur tout le parcours (Bégude, Durrington, Chelles, Puy), d’autres apparaissent au contraire dans des secteurs bien particuliers et connaissent une diffusion beaucoup plus limitée faite de quelques pôles disposés le long d’un seul axe (Tumiac, Saint-Michel, Chenoise, Glastonbury, Altenstadt-Greenlaw, etc.). En effet, à partir du Bassin parisien se dessinent trois voies très différentes, marquées chacune par des concentrations régulières de types régionaux. La consommation des haches en jades prend alors des visages différents dans ces aires d’affinités culturelles distinctes.
31Le Bassin parisien fait ainsi office de plaque tournante dans la diffusion des haches en jades par l’intérieur du continent, au carrefour de ces trois voies. En outre, ce secteur très riche constitue en lui-même un important pôle de concentration et de diffusion des jades. L’autre grand pôle d’attraction, plus marqué encore, se trouve à l’extrémité de l’axe 4, dans le golfe du Morbihan. Ces deux grands centres présentent tous deux, non seulement un nombre d’exemplaires de haches en jades bien plus important que dans les centres secondaires régionaux, mais également une grande diversité de types. Cela semble indiquer que ces deux centres jouent un rôle particulier dans la diffusion des modèles alpins et dans l’inspiration des modèles régionaux.
Figure 48. Variations de la distance au Bassin parisien des longues haches en jades alpins, distinguées selon leur type et observées le long de l’axe 4


Légende : En haut = représentation graphique ; en bas = représentation cartographique
Source : Données : JADE 2014, Pierre Pétrequin – DAO : András Márton, 2016.
32L’axe 5 qui correspond à la voie méridionale et atlantique de diffusion (fig. 49), montre un fonctionnement très singulier. Hormis les deux pics principaux en début et fin de parcours, l’axe ne connaît pas de concentration de forte amplitude, uniquement quelques-unes modestes, vers 250 kilomètres du Viso dans la vallée du Rhône, vers 750 kilomètres, en Bordelais et entre 850 et 1 000 kilomètres, dans la région nantaise. Tandis que le type Bégude connaît une décroissance rapide dès les cent premiers kilomètres, pour se retrouver à nouveau en nombre à partir de la Loire, le type Durrington reste assez bien représenté tout le long de l’axe. Le type Altenstadt-Greenlaw est ici peu fréquent. Le type Pauilhac, qui se rencontre seulement sur cette voie de diffusion, ne présente quant à lui que des concentrations modestes, l’une entre 500 et 650 kilomètres du Viso, du Languedoc à la Garonne, l’autre en Bretagne aux côtés des types Tumiac et Saint-Michel. Il n’existe donc pas sur cette voie de centre de redistribution aussi important que la concentration du Bassin parisien sur l’axe septentrional.
Figure 49. Variations de la distance au mont Viso des longues haches en jades alpins, distinguées selon leur type et observées le long de l’axe 5


Légende : En haut = représentation graphique ; en bas = l’axe utilisé et son découpage selon un pas de 10 kilomètres.
Source : Données : JADE 2014, Pierre Pétrequin – DAO : András Márton, 2016.
33Ces analyses ont mis en évidence des fonctionnements différents pour chacun des types de haches en jades. La courbe de décroissance du nombre d’exemplaires de type Bégude ne correspond pas au modèle de diffusion de proche en proche ; elle suggère plutôt des échanges interrégionaux entre les élites d’un bien à forte valeur ajoutée (Samzun et al., 2012), avec une raréfaction rapide de ces biens « exotiques » et une sélection des haches les plus longues. Pendant les premiers siècles du ve millénaire, ces haches représentent déjà un bien socialement valorisé dès les premières étapes de leur production : dans les exploitations en altitude, les roches, rares et difficiles à exploiter, étaient sélectionnées avec soin et mises en forme, demandant un long investissement en temps pour produire les lames taillées les plus longues possible, mais devenues techniquement inutiles. De longues haches et des anneaux disques ont été thésaurisés dans des tombes monumentales probablement dès la fin du Villeneuve-Saint-Germain. La répartition du type Durrington couvre à peu près toute l’Europe occidentale, depuis l’Italie du Nord jusqu’à la Bretagne, la Grande-Bretagne et une partie de l’Allemagne. Comme pour les autres types, les concentrations successives de haches de type Durrington depuis les Alpes en direction de l’Écosse ne peuvent correspondre à des échanges de type down-the-line, exception faite de l’axe 3, qui ne présente pas de concentrations marquées de Durrington.
34Le modèle va ensuite en se complexifiant, un type de hache chassant l’autre pour répondre à des goûts régionaux et aux besoins de la compétition sociale. Les formes se régionalisent. Ainsi, les types Altenstadt-Greenlaw, Chenoise et Glastonbury se retrouvent essentiellement le long des axes 2 et 3, le type Altendtadt-Greenlaw étant le plus représenté. À l’instar des types précédents, des séries de concentrations plus ou moins fortes jalonnent le parcours de ces haches et témoignent de la présence de places centrales, où certaines haches ont été thésaurisées, tandis que d’autres étaient redistribuées en direction des élites plus lointaines. Les plus importants de ces pics se trouvent dans le Bassin parisien, dans le sud de la Grande-Bretagne, en Écosse (axe 2) et la moyenne vallée du Rhin (axe 3). Pour le type Pauilhac, franchement méridional, les principales concentrations, bien que modestes, se situent dans la vallée de la Garonne et en Bretagne (axe 5). Néanmoins, la transmission des jades sur cet axe semble plus directe, les centres de redistribution le jalonnant n’ayant pas l’envergure suffisante pour retenir un grand nombre d’exemplaires. Enfin, pour les types dits carnacéens, Tumiac et Saint-Michel, le golfe du Morbihan apparaît comme la zone d’accumulation ultime, le principal foyer d’attraction des jades alpins, où une grande diversité de types se concentre.
35Plusieurs changements surviennent au moment de la mise en place de la circulation du type Puy, un type tardif qui commence à prendre de l’importance vers la fin du ve millénaire. Outre des décalages des aires de concentration, on observe que le type Puy marque la fin de la régionalisation et de l’opposition nord-sud encore très nette à la phase précédente. Par ailleurs, alors que les transferts de jades alpins se poursuivent, comme en témoignent les fortes concentrations sur les principaux axes de communication, la présence du type Puy est moins marquée dans les périphéries, comme en Grande-Bretagne. L’image la plus significative que l’on retirera des courbes de décroissance avec la distance est la relativement faible présence du type Puy sur l’axe 4 en direction du golfe du Morbihan qui semble marquer la fin de l’attractivité de cette zone et de l’impact du phénomène carnacéen sur les transferts de jades alpins, peut-être en raison de l’adoption de nouveaux modèles régionaux d’objets-signes (Grande-Bretagne) et d’une modification de la structure sociale (Morbihan) qui ne permet plus de soutenir les importations à très longue distance. Si les transferts de jades alpins se poursuivent de façon encore importante, comme en témoignent les fortes concentrations sur les autres axes, ce phénomène est donc sans doute en lien avec un effondrement social dans la région du golfe du Morbihan (Pétrequin, Cassen et al., 2012b).
36La prise en compte des niveaux de polissage permet d’apporter davantage de détails. On vérifie très bien que les indices de polissage sont d’autant plus élevés que les objets sont éloignés de la source ou de l’atelier (voir fig. 38), notamment pour les types anciens comme Bégude (fig. 50). Pour ce type, on observe la plupart des ébauches à la source, tandis que les sites des cent premiers kilomètres comptent à la fois de nombreuses ébauches et des outils. Les niveaux 3 et surtout 4 restent majoritaires jusqu’aux environs de 700 kilomètres et ce quel que soit l’axe de diffusion, puis le polissage plus soigné de niveau 5 domine sur le reste du parcours et plus particulièrement dans le golfe du Morbihan. Ce processus de polissage, qui s’intensifie avec la distance aux sources jusqu’à obtenir des chefs-d’œuvre difficiles à imiter, semble en bon accord avec des modalités de transfert entre élites régionales.
Figure 50. Variations de la distance au mont Viso des haches de type Bégude, distinguées selon leur niveau de polissage et observées le long des cinq axes définis comme les principales voies de diffusion

Source : Données : JADE 2014, Pierre Pétrequin – DAO : András Márton, 2016.
37Les haches de type Altenstadt-Greenlaw montrent une évolution similaire, mais leurs ébauches sont très exceptionnelles et le niveau 3 peu fréquent (fig. 51). À partir du Bassin parisien, les haches de poli 5 sont les plus nombreuses, mais on compte encore beaucoup de haches de poli 4. À partir de 700 kilomètres, le poli 5 domine très nettement et les haches de poli 6 se font de plus en plus nombreuses, notamment en Allemagne. Comme cela a déjà été observé précédemment, ce type est très peu abondant à l’extrémité de l’axe 4, dans le golfe du Morbihan. Elles y sont néanmoins représentées par quelques objets au poli de niveau 6.
Figure 51. Variations de la distance au mont Viso des haches de type Altenstadt-Greenlaw, distinguées selon leur niveau de polissage et observées le long des quatre axes définis comme les principales voies de diffusion

Données : JADE 2014, Pierre Pétrequin – DAO : András Márton, 2016.
38Pour les haches de type Puy la situation est plus complexe (fig. 52). On suit de façon moins évidente l’augmentation du niveau de polissage des haches avec la distance aux sources de matières premières. Comme pour le type Bégude, les gîtes recèlent d’ébauches (niveaux 1 et 2), mais celles-ci diminuent très fortement immédiatement au sortir des gîtes alpins, sur les sites d’habitat et les ateliers du Piémont. Les outils au polissage de type 4 dominent jusqu’au Bassin parisien. Bien que le poli de niveau 5 devienne ensuite plus fréquent, les polis de niveaux 3 et 4 sont encore abondants en Allemagne. Les haches de type Puy sont peu fréquentes en Grande-Bretagne, comme on l’a déjà noté, ainsi que dans le golfe du Morbihan – hormis quelques exemplaires de poli 5. Le long de la voie méridionale, les haches de poli 5 se font rapidement de plus en plus nombreuses ; elles dominent dès 400 kilomètres et encore plus fortement dans le sud-ouest de la France.
Figure 52. Variations de la distance au mont Viso des haches de type Puy, distinguées selon leur niveau de polissage et observées le long des cinq axes définis comme les principales voies de diffusion

Données : JADE 2014, Pierre Pétrequin – DAO : András Márton, 2016.
Des transformations au cours des transferts
39Nous avons mis en évidence des phénomènes d’ordre spatial (régionalisation) et chronologique qui témoignent de la complexité des réseaux de transferts des jades alpins : des sélections des objets ayant la plus forte valeur ajoutée, une augmentation du polissage avec la distance aux gîtes, des phénomènes de thésaurisation et une diffusion qui ne s’effectue pas seulement de proche en proche ou sur un mode spécifique aux biens de prestige, mais via des centres de pouvoirs jalonnant les réseaux de transferts et contribuant à la redistribution des haches – avec pourtant un centre plus attractif et influent qui constitue le véritable épicentre de la distribution de ces objets signes sociaux pendant le ve millénaire : le golfe du Morbihan.
40La combinaison de toutes ces observations nous permet d’aller encore plus loin dans la compréhension des modes de diffusion des jades alpins. Nous pointons ici quelques singularités très révélatrices. La fréquence des très grandes haches et les niveaux de finition des objets augmentent avec la distance. Bien que ces sélections puissent répondre à des goûts régionaux ou bien à une valorisation des objets avec l’éloignement des gîtes, elles peuvent aussi correspondre à des modifications plus profondes et symboliques des objets au cours des transferts entre centres de pouvoir. En effet, les ébauches connues (et déterminées) appartiennent surtout aux types alpins (Bégude, Durrington, Puymirol, Puy ; fig. 53 en bas à gauche), tandis que l’on remarque l’absence (sauf rares exceptions ; Pétrequin, Errera et al., 2009) des ébauches de types régionaux comme Altenstadt-Greenlaw, Chenoise, Glastonburry, Tumiac ou Saint-Michel. Les lames ayant servi d’outils d’abattage, de niveaux 3 ou 4, sont aussi le plus souvent ces types alpins, bien que les haches de type Altenstadt-Greenlaw soient aussi bien représentées. On remarquera le cas particulier du type Rarogne présent surtout au niveau 3, mais ses effectifs sont très faibles. Parmi les haches de niveau 5, le type Bégude est beaucoup moins abondant, tandis que les haches de type Puy, Durrington ou Altenstadt-Greenlaw sont majoritaires. C’est à ce niveau de finition que l’on trouve le plus souvent les haches de type Bernon, Chenoise, Glastonburry (fig. 53 en bas à droite). Enfin, le niveau 6 est surtout représenté par les types Saint-Michel, Tumiac et Pauilhac qui se trouvent essentiellement sous cette forme (respectivement 71, 64 et 81 % ; fig. 53 en haut).
Effectifs des longues haches en jades alpins par type et par niveau de finition
Polissage Type | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | Ind. | Total |
Bégude | 38 | 12 | 51 | 111 | 42 | 1 | 13 | 268 |
Durrington | 47 | 8 | 28 | 52 | 81 | 4 | 8 | 228 |
Chelles | 4 | 42 | 84 | 36 | 5 | 171 | ||
Altenstadt-Greenlaw | 1 | 1 | 5 | 25 | 76 | 8 | 5 | 121 |
Chenoise | 3 | 15 | 1 | 19 | ||||
Glastonbury | 9 | 16 | 3 | 2 | 30 | |||
Puymirol | 2 | 6 | 4 | 7 | 23 | 7 | 2 | 51 |
Bernon | 1 | 2 | 1 | 8 | 23 | 4 | 3 | 42 |
Saint-Michel | 1 | 4 | 2 | 17 | 24 | |||
Tumiac | 3 | 12 | 39 | 7 | 61 | |||
Pauilhac | 1 | 1 | 1 | 22 | 1 | 26 | ||
Rarogne | 7 | 1 | 2 | 3 | 13 | |||
Puy | 21 | 5 | 32 | 118 | 107 | 2 | 4 | 289 |
Indéterminé | 75 | 17 | 18 | 41 | 26 | 3 | 188 | 368 |
Proportions (en %) des longues haches en jades alpins par type et par niveau de finition
Polissage Type | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | Ind. |
Bégude | 14 | 4 | 19 | 41 | 16 | 0,4 | 5 |
Durrington | 21 | 4 | 12 | 23 | 36 | 2 | 4 |
Chelles | 2 | 25 | 49 | 21 | 3 | ||
Altenstadt-Greenlaw | 1 | 1 | 4 | 21 | 63 | 7 | 4 |
Chenoise | 16 | 79 | 5 | ||||
Glastonbury | 30 | 53 | 10 | 7 | |||
Puymirol | 4 | 12 | 8 | 14 | 45 | 14 | 4 |
Bernon | 2 | 5 | 2 | 19 | 55 | 10 | 7 |
Saint-Michel | 4 | 17 | 8 | 71 | |||
Tumiac | 5 | 20 | 64 | 11 | |||
Pauilhac | 4 | 4 | 4 | 81 | 4 | ||
Rarogne | 54 | 8 | 15 | 23 | |||
Puy | 7 | 2 | 11 | 41 | 37 | 1 | 1 |
Indéterminé | 20 | 5 | 5 | 11 | 7 | 1 | 51 |
Figure 53. Variation du degré de finition des longues haches en jades alpins selon leur type

Légende : En haut = effectifs ; au centre = pourcentages par niveau de finition ; en bas = représentation graphique.
Source : Données : JADE 2014, Pierre Pétrequin – DAO : Estelle Gauthier, 2016.
41L’absence d’ébauches de certains types et leur présence uniquement sous la forme d’objets finis, voire surpolis, semblent indiquer un mode de production différent du modèle classique et attendu qui prévoit la préparation de l’ébauche en vue de la mise en forme du type en question. Dans ce modèle, l’ébauche préfigure déjà le type final, comme c’est le cas pour le type Bégude ou Durrington par exemple. Au contraire, ici on pourrait voir dans l’absence des stades initiaux de la mise en forme, une retransformation de haches déjà existantes et d’un tout autre type par des épisodes successifs de mise en forme et d’amincissement par polissage (Pétrequin, Cassen et al., 2012b ; 2013). L’équipe du programme JADE a en effet mis en évidence de telles transformations : par exemple Altenstadt-Greenlaw vers Puy ou vers Tumiac, Bégude vers Bernon, Durrington vers Puy, Puy vers Chelles (Pétrequin, Cassen et al., 2012b).
42L’ébauche de Lugrin10 est un cas très particulier. Cette ébauche en jadéitite alpine de la seconde moitié du ve millénaire était préparée pour la mise en forme simultanée de deux haches, l’une de type Durrington, l’autre probablement du type Altenstadt-Greenlaw (Pétrequin, Errera et al., 2009). Trouvée à distance des gîtes alpins et de la zone principale de production du Piémont, et loin des principales voies de transferts de longues haches alpines, cette ébauche semble déjà avoir acquis des caractéristiques propres aux objets-signes à vocation à la fois sociale et religieuse : son lien avec le symbolisme de la paire de haches est évident (Cassen, 2012) ainsi que son dépôt au pied d’un bloc erratique – suggérant un dépôt de nature rituelle. Ainsi, l’amélioration à l’extrême du niveau de polissage, comme on le voit notamment en bout de chaîne des transferts11, n’est apparemment pas la seule manière de concevoir ces objets-signes sociaux. Néanmoins, la genèse de cet objet reste exceptionnelle.
43La rareté des ébauches situées loin des gîtes, la complémentarité de la distribution de certains types (fig. 54) et la tendance à une augmentation progressive du polissage (voir fig. 38) sont autant d’arguments pour supposer une transformation progressive des pièces au cours de leurs transferts. Une grande partie des pièces semblent avoir gagné en valeur grâce à un repolissage entraînant une métamorphose globale, la création de nouveaux types plus à même de correspondre aux goûts et à la volonté de représentation socioculturelle des élites locales. La réappropriation des plus belles pièces, sélectionnées et repolies pour en modifier la forme, devait permettre de relancer leur valeur idéelle (Pétrequin, Sheridan et al., 2011).
44Ces transformations successives débutant en Italie du Nord pour s’achever en Écosse laissent penser à l’existence de centres spécialisés situés sur les principaux axes de transfert et dans les centres régionaux de pouvoir. Les principaux se trouveraient au nord des Alpes entre 200 et 400 kilomètres des gîtes alpins et vers 500 kilomètres dans le Bassin parisien (fig. 54).
Figure 54. Complémentarité de la distribution des types Durrington, Altenstadt et Tumiac

Légende : Cette complémentarité vient appuyer l’hypothèse de transformations par repolissage des longues haches afin de créer des types régionaux.
Source : Données : JADE 2014, Pierre Pétrequin – Fond : ESRI WBM, NASA SRT – CAO : Estelle Gauthier, 2016.
45Ainsi, une partie des Durrington et Puymirol auraient été sélectionnées à leur arrivée au nord des Alpes et dans le Bassin parisien, puis repolies pour produire des types Altenstadt-Greenlaw qui auraient alors, pour certaines, poursuivi leur course en direction du nord-est – beaucoup finissant par être déposées –, et d’autres en direction de la Bretagne, où elles auraient été repolies en haches de type Tumiac, une conception spécifiquement carnacéenne, intégrant souvent d’autres modifications typiques du domaine carnacéen (perforation du talon, aménagement d’une arête médiane). Des phénomènes de repolissage du type Bégude et Chelles en vue de leur amincissement voient aussi le jour en Morbihan (Gauthier et Pétrequin, 2017a), avec les types Bégude repolis et Bernon parfois associés à des anneaux-disques (Pétrequin, Pailler et al., 2017). Ces traitements participent directement à la valorisation de ces produits dans l’imaginaire social et démontrent une liaison quasi directe entre le mont Viso et le golfe du Morbihan. C’est ainsi qu’elles sont devenues des objets-signes prestigieux ou même sacrés, manipulés par des personnages hors du commun, cumulant fonctions religieuses et fonctions politiques (Pétrequin, Pétrequin et al., 2006 ; Pétrequin, Cassen et al., 2013). Certaines ont fini par intégrer les assemblages funéraires de tumulus géants carnacéens, tandis que d’autres au contraire, sont reparties en sens inverse (Cassen, 2003 ; Pétrequin, Cassen et al., 2012c).
46Les quelques exemplaires dispersés vers l’intérieur du continent pourraient en effet être des retours de l’aire carnacéenne. Vers le milieu du ve millénaire, Carnac semble être l’épicentre de l’Europe du jade. Le golfe du Morbihan a attiré un nombre remarquable d’objets-signes exotiques : les haches et les anneaux en jades alpins bien sûr, mais aussi des perles en variscite de la péninsule ibérique (Cassen et Vaquer, 2015 ; Guilaine et al., 2015 ; Pétrequin, Pétrequin et al., 2019 ; Querré et al., 2016) et probablement des haches en fibrolite de la péninsule ibérique (Pétrequin, Sheridan et al., 2015). En retour (fig. 55), le succès des modèles carnacéens fut tel que des haches en jades repolies en Morbihan ont été diffusées dans toutes les directions sur près 1 000 kilomètres à vol d’oiseau voire davantage, accompagnant vraisemblablement la diffusion du « mégalithisme » et d’une partie de la mythologie carnacéenne jusque dans les Alpes suisses et en Allemagne centrale, et peut-être même dans le sud de l’Italie (Klassen et al., 2012a ; 2012b ; Pétrequin, Pétrequin et al., 2007 ; Pétrequin, Cassen et al., 2009 ; Sheridan et al., 2010). On remarque en effet que le polissage de niveau 5 et les aménagements typiquement carnacéens tels que le talon perforé ou une arête médiane sont relativement bien présents dans la zone alpine, ce qui correspond sans doute à un retour de haches à fort niveau de polissage dans le nord de l’Italie. Le phénomène carnacéen a également suscité des imitations en roches locales (Samzun et al., 2012 ; Pétrequin, Gauthier et Pétrequin, 2010 ; Sheridan et Pailler, 2012), notamment des haches de type Tumiac à talon perforé (Pétrequin, Cassen et al., 2012c), comme le type Cangas dans l’ouest de la péninsule ibérique ou le type Zug en Suisse et en Allemagne du Sud-Ouest (Pétrequin, Cassen et al., 2006 ; Pétrequin, Gauthier et al., 2012).
Figure 55. Principales circulations de biens socialement valorisés (haches en jades alpins, variscite espagnole) et imitations locales (types Zug, Cangas) en Europe occidentale pendant les ve et ive millénaires avant notre ère

Source : Données : JADE 2014, Pierre Pétrequin – Fond : ESRI WBM, NASA SRTM – CAO : Estelle Gauthier, d’après Pétrequin, Cassen et al. (2012b) et Pétrequin, Pétrequin et al. (2019).
47À l’autre bout de l’Europe, en Bulgarie, le même phénomène de transformation par repolissage s’observe avec les types Varna (trapézoïdal) et Durrington/Chelles amincis (Pétrequin, Cassen et al., 2012b ; Pétrequin, Errera et al., 2017).
48En Allemagne/Belgique, on a dénombré plusieurs cas de haches de type Altenstadt/Greenlaw transformées en type Puy, parfois associées à des lames en cuivre dans les dépôts. Apparaissant vers 4300 av. J.-C., ce type a été conçu sur le modèle d’outils en cuivre (Klassen et al., 2012a ; Pétrequin, Pétrequin et al., 2019), un phénomène qui démontre sans aucun doute une influence de l’Europe du cuivre à cette époque (Cassen, 2003 ; Klassen et al., 2012a ; Roussot-Laroque, 2008).
49Le cas des jades alpins a montré que les processus de diffusion peuvent être particulièrement complexes, et présenter d’importantes variations dans le temps et l’espace. La diffusion de tels produits, utilisés à l’origine comme des outils d’abattage, mais qui deviennent au fur et à mesure de leur diffusion des objets-signes à la fois sociaux et religieux, est sujette à des mécanismes complexes. Ce type de diffusion ne peut pas être appréhendé en considérant le corpus comme un tout uniforme ; des critères de distinction morphologique entre les pièces doivent être recherchés pour saisir en détail les mécanismes de ces transferts différents d’une région à l’autre et évolutifs.
50Ces analyses spatiales s’appuient donc non seulement sur un inventaire exhaustif des objets, mais également sur des études pluridisciplinaires préalables (études typologiques, datations, études des contextes, analyses de matériaux, morphométrie, etc.). Une fois la caractérisation des pièces réalisée, les analyses spatiales ont permis de mieux comprendre leur répartition. Nous avons mobilisé ici deux méthodes simples de statistiques spatiales :
- les points moyens qui nous ont permis de saisir les différences majeures dans les distributions des haches en distinguant et en combinant plusieurs critères (typologie, matériau, finition, etc.) ;
- les analyses de distance à la source qui permettent de modéliser la variation du nombre d’exemplaires retrouvés le long d’un axe de diffusion.
51À chaque étape de l’analyse, sont ressorties des informations de plus en plus détaillées sur les modes de transferts. Il est à présent possible d’émettre des hypothèses solides sur le fonctionnement des réseaux depuis les gîtes alpins jusqu’aux périphéries, et ce malgré une complexité croissante des modes de transferts à mesure que l’on s’éloigne des gîtes.
52Nous proposons d’appliquer en partie cette méthodologie à un autre cas d’étude très proche sur plusieurs aspects : celui des haches à talon normandes de l’âge du bronze moyen dans la basse vallée de la Seine.
Le cas des haches à talon normandes dans la basse vallée de la Seine
53Ce cas d’étude présente en effet des similarités. Si les haches à talon sont sans doute des objets utilitaires, elles ont également une valeur sociale forte comme, d’une manière générale, tous les objets de bronze à cette époque. Produites en nombre, en masse et en série aux alentours des xve et xive siècles av. J.-C., on en compte un très grand nombre dans tout l’ouest de la France, mais elles sont également parvenues jusque dans le domaine nord-alpin.
54À partir d’un modèle morphologique standard, la production s’organise en différents ateliers respectant ces règles et se diversifiant par l’ajout d’un décor sommaire (Gabillot, 2003). À la suite d’une étude sur les traces de préparation des objets en bronze qui a permis de montrer que cette étape finale de la chaîne opératoire était organisée de manière bien spécifique en Normandie (Gabillot, 2006 ; Gabillot et al., 2009 ; Forel et al., 2009 ; Monna et al., 2013), l’équipe de Mareva Gabillot souhaite observer la manière de gérer cette préparation des objets au sein d’un même ensemble typologique cohérent afin de comprendre dans quelle mesure les objets sont préparés différemment ou non selon leur éloignement du centre producteur. Le corpus de haches normandes se prête aisément à cette analyse, car la plupart des objets ont été observés en macroscopie.
55Le type considéré a été nommé « normand » en raison de la concentration particulièrement importante de ces pièces en Haute-Normandie (Verney, 1988 ; Gabillot, 2003). On ne sait pas exactement où ces haches ont été produites et il est même très probable qu’il y ait eu plusieurs ateliers dans des lieux différents. Cependant, une hypothèse plus ou moins couramment et tacitement acceptée par les protohistoriens, est que le lieu de production se trouve être la zone de plus grande concentration, qui est, dans ce cas, la basse vallée de la Seine. Bien qu’il n’y ait aucune preuve que ce fut bien le lieu où toutes les haches de ce type ont été produites, il est certain que cette concentration très élevée est significative et correspond peut-être à la première élaboration du modèle ou encore son adoption par les populations locales de préférence à d’autres modèles de haches à talon.
56Pour l’analyse fine de leur répartition, il ne sera pas possible de prendre en compte une éventuelle discrimination des matériaux, ni de faire une distinction typologique ou chronologique étant donné le caractère très uniforme de ces haches-ci, mais les analyses morphologiques et chimiques des pièces permettent d’identifier un critère de différenciation pertinent : le degré de finition des pièces. Dans la continuité des recherches sur les modes de préparation des lames de haches après la fonte dans des moules bivalves (Gabillot, 2006), une grille de classification des objets selon leurs niveaux de finition a en effet été conçue dans le cadre d’Archaedyn ii sur le modèle de celle conçue par Pierre Pétrequin pour les jades alpins. Des niveaux de 1 à 6 ont ainsi été attribués à chaque exemplaire pour mesurer le degré de finition depuis l’ébauche tout juste sortie du moule jusqu’à la lame complètement polie et affutée.
57La cartographie des points moyens des distributions par niveau de finition a ensuite été réalisée (fig. 56). La position des différents barycentres montre tout d’abord le rôle essentiel de la basse vallée de la Seine comme axe de diffusion des haches à talon normandes. En effet, les concentrations les plus importantes jalonnent la vallée tandis que la périphérie est faiblement représentée. Il est donc logique que les points moyens s’éloignent très peu de l’axe formé par le cours de la Seine. On remarque la proximité des distributions des niveaux 3 et 4, ce qui laisse penser qu’ils sont à un stade de production équivalent et qu’ils ont un mode de diffusion très similaire. Il en va de même pour les niveaux 5 et 6. Trois états peuvent donc être distingués : 2 – les ébauches de niveau 1 telles que définies pour les jades alpins sont absentes –, 3 et 4 – des produits finis, mais guère plus qu’il n’en faut pour être simplement utilisés – et enfin les niveaux 5 et 6 sont des objets qui ont subi un traitement beaucoup plus poussé et soigné.
Figure 56. Distribution des points moyens correspondant aux niveaux de finition des haches à talon normandes et leurs ellipses de déviation standard

Source : Fond : IGN GeoFLa, Route 120 – Données : Mareva Gabillot – CAO : Estelle Gauthier.
58Le plus remarquable dans la distribution de ces points moyens est l’augmentation progressive des niveaux de finition à mesure que l’on s’éloigne de l’origine supposée de la production. Ainsi, les ébauches semblent rester relativement proches de l’estuaire de la Seine ; leur point moyen est situé nettement en aval de fleuve. L’ellipse quant à elle est très oblongue. Elle s’oriente dans l’axe de la Seine, mais elle est aussi très étroite, ce qui montre que les haches à ce stade de finition s’en éloignent peu. Les haches de niveaux 3 et 4 ont un point moyen situé un peu plus loin. Leurs ellipses de déviation standard sont plus grandes et plus larges, ce qui indique une répartition un peu plus lointaine de ces objets dans la vallée. Enfin, les haches de niveaux 5 et 6 voient leurs points moyens se rapprocher nettement du Bassin parisien et leurs ellipses s’élargir encore. Celles-ci ne sont plus vraiment dans l’axe de la Seine ; les haches qui possèdent le plus haut degré de finition ont été largement diffusées dans toutes les directions.
59Ainsi, dans les deux cas d’étude présentés, les points moyens des niveaux de finition suivent clairement un modèle linéaire : ils se placent le long d’une droite ou d’une courbe qui représente la direction principale de la diffusion, suivant probablement de grands axes de circulation. Par ailleurs, et c’est là le plus intéressant, ils se succèdent dans l’ordre le long de cet axe, les exemplaires les moins travaillés se trouvant près de l’origine de la diffusion, gîtes ou ateliers, le niveau de finition augmentant ensuite progressivement avec la distance. Ainsi, pour les haches à talon, cette augmentation se fait de manière graduelle depuis l’estuaire de la Seine jusqu’au Bassin parisien. Les ellipses de déviation standard montrent quant à elles que les artéfacts font l’objet d’une diffusion de plus en plus large. Exception faite des haches surpolies en jades alpins, celles de niveau 6 (fig. 38), qui correspondent essentiellement à des modèles carnacéens et dont l’ellipse se resserre autour du golfe du Morbihan, les ellipses de déviation standard ont aussi tendance à s’élargir progressivement à mesure que les objets sont davantage travaillés.
60Les distributions des données relatives au niveau de travail des pièces correspondent donc à une diffusion progressive de produits avec un niveau croissant de finition à partir d’une zone « source » vers l’une des marges de la zone d’étude. Ce modèle peut correspondre à une diffusion par expansion (propagation) combinée à une diffusion par migration (fig. 57) si l’on se réfère aux modèles proposés par Denise Pumain et Thérèse Saint-Julien (2001, p. 156-157, p. 166 et fig. 4.6.a), la migration se faisant ici le long d’un axe. En effet, dans le cas d’une simple diffusion par expansion, les ellipses de déviation standard doivent s’élargir, reflétant ainsi l’expansion de l’aire touchée par la distribution des données ; le point moyen, quant à lui, devrait alors peu bouger et rester fixé sur le foyer primaire de la diffusion. Dans le cas de la diffusion par migration, les points moyens se déplacent en suivant un tracé plus ou moins linéaire ou plus complexe tandis que les aires touchées évoluent peu. Or, dans les deux cas observés, tant pour les haches en jades alpins que pour les haches à talon de type normand, les points moyens se déplacent de façon régulière et ordonnée, et les ellipses de déviation standard s’élargissent. Il faut donc y voir une combinaison des deux modes de diffusion. Toutefois, cette situation implique que les objets se déplacent par étapes et connaissent tour à tour différents foyers de diffusion. Dans notre cas, on pourra supposer qu’il s’agit de lieux intermédiaires, des centres de redistribution, comme cela a été démontré plus haut, par une autre méthode12, pour les haches en jades alpins.
61Dans le cas des haches en jades alpins, les produits diffusés à partir de la source ont subi des transferts progressifs vers le nord-ouest européen et ont été transformés au cours de leurs déplacements (Pétrequin, Sheridan et al., 2011 ; Pétrequin, Cassen et al., 2012b). Un schéma similaire peut-il être proposé pour la diffusion des haches à talon normandes de l’âge du bronze moyen dans la basse vallée de la Seine ? Il est extrêmement tentant de proposer une interprétation parallèle. Si l’on se réfère aux résultats obtenus pour les haches alpines, pour lesquelles les lieux de production sont connus, nous serions face à un modèle similaire pour les haches à talon de type normand, à savoir un nombre plus élevé de produits avec un degré faible de préparation à proximité de la région de production supposée et des objets plus soigneusement finis à mesure que l’on s’éloigne de la source. Ce phénomène pourrait être lié à une sélection progressive des pièces les mieux finies, comme les sélections déjà attestées dans les modes de préparation des haches à talon bretonnes et normandes (Gabillot, 2006). En observant l’exemple des haches alpines, nous pourrions aussi supposer l’existence de relais dans la distribution des haches à talon normandes. Ces lieux hypothétiques dans lesquels les haches auraient été acquises, puis redistribuées, seraient probablement à situer le long de la vallée de la Seine qui apparaît comme l’axe structurant de la diffusion.
Figure 57. Modèle de la diffusion par expansion combinée à la diffusion par migration

Source : DAO réalisé par Estelle Gauthier.
62Il faut cependant rester très prudent quant à une transposition si simple de ces résultats, car des travaux récents montrent que le schéma d’organisation de la production des haches au Bronze moyen dans le domaine atlantique pourrait être complexe (Gabillot et al., 2009 ; Forel et al., 2009). Cette simple hypothèse est certainement valable dans une certaine mesure, mais il faut tenir compte aussi de préférences spécifiques dans les choix des produits, notamment dans la manière dont ils ont été préparés (Gabillot, 2006). Il est très probable qu’au sein d’un même type, diffusé sur un vaste territoire de plusieurs centaines de kilomètres carrés, des tendances particulières se soient exprimées localement. Il reste aussi à résoudre la question de l’emplacement des ateliers (Gabillot et al., 2009).
63Quoi qu’il en soit, nous avons affaire à deux régimes de répartition spatiale linéaire, l’un d’est en ouest et l’autre d’ouest en est, pour deux produits auxquels on confère une dénomination fonctionnelle commune, celle de « haches », mais dont la fonction sociale peut ne pas avoir été si semblable. En outre, les deux types de production ont eu plusieurs milliers d’années d’écart : les haches de jade entre 4700 et 3600 avant notre ère ; les haches de bronze aux environs de 1500-1300 av. J.-C. Ces différences évidentes rendent les résultats particulièrement intéressants. Dans les deux cas, il semble y avoir une relation particulière entre la région de production – ou le lieu présumé de l’invention – d’un modèle et son aire de diffusion. En d’autres termes, on pourrait penser, à partir de ces deux exemples archéologiques, que dans les régions sources, on trouverait un grand nombre de produits non finis et au contraire, le long de la route s’en éloignant, des objets de plus en plus travaillés seraient devenus plus fréquents. Au-delà des aspects purement pratiques, comme l’abandon d’ébauches ratées en cours de production, il semblerait que la valeur des objets change à mesure que l’on s’éloigne de la source, incitant à choisir les plus belles pièces pour des déplacements plus lointains. Une telle observation est typique pour des haches en pierre, au moins d’après les exemples ethnoarchéologiques de Nouvelle-Guinée (Pétrequin et Pétrequin, 1999, p. 376-380 ; 2006), mais elle doit être démontrée pour les situations passées. Bien qu’il y ait encore beaucoup à faire avant que ces tendances puissent être interprétées, les trajectoires observées et leur champ d’application se sont révélés être un moyen particulièrement pertinent pour caractériser les modes de diffusion des deux produits concernés, ou tout au moins identifier de nouvelles pistes de réflexion.
64À travers ces deux exemples, nous avons constaté que la prise en compte globale d’une distribution d’un objet, qui a priori semble uniforme, mène le plus souvent à une impasse, tandis que la distinction de critères discriminants permettra de pointer des particularités et des mécanismes plus complexes. Dans le cas des haches en jades, la question des réseaux a été soulevée par la séparation de plusieurs axes de diffusion aux fonctionnements très différents, que ce soit du point de vue culturel, économique ou social. La prise en compte des matériaux (roches sombres/claires) et des origines précises donne de précieux renseignements sur l’organisation des gîtes et des réseaux qu’ils alimentent. La typologie a bien entendu permis d’appréhender la chronologie des transferts, mais elle a aussi démontré des phénomènes de transformation des pièces dans une optique de régionalisation. Les niveaux de finition ont apporté des informations très intéressantes sur le cycle de vie des objets : on a pu en effet observer à quels moments les pièces sortaient du circuit. Cependant, son apport principal réside avant tout dans le statut des haches en jades qui diffère profondément d’une région à l’autre et avec l’éloignement des gîtes. Les contextes de découverte appuient alors les interprétations. Pour les haches à talon normandes qui d’un point de vue chronologique et typologique sont plus unitaires, de telles particularités s’observent également, ce qui suggère que les modes de transferts étaient sans doute plus complexes qu’une simple diffusion de proche en proche ou directe depuis la source.
Notes de bas de page
1 Voir « Des critères spécifiques », chap. 1, fig. 13 qui décrit la répartition des données de ce corpus. Par exemple, à cette étape du programme, la péninsule ibérique ou l’Italie méridionale avaient encore été peu prospectées, de même que l’Europe centrale. Ces vides documentaires ont été comblés depuis grâce au programme ANR JADE 2 (Pétrequin, Gauthier et Pétrequin, 2017).
2 Au-delà de deux, la difficulté réside dans le trop faible nombre d’individus recensés.
3 Pour des exemples en archéologie : Bertoncello et al. (2012) ; Gauthier (2004) ; Nuninger et al. (2012a) ; Poirier (2010).
4 Les préférences pouvant varier selon le type de lame polie (Pétrequin, Cassen et al., 2012b).
5 Voir chapitre 2, note 11.
6 Une argumentation serrée a permis progressivement de dater les évolutions des différents types si bien que l’on en connaît aujourd’hui la succession en termes de chronologie relative (Pétrequin, Cassen et al., 2012b). Mais, il serait bien aventureux de vouloir lui attribuer des valeurs absolues, en années solaires, sur les 2 600 kilomètres que compte la circulation de ces objets entre la Sicile et l’Irlande.
7 Selon la terminologie employée par Colin Renfrew (1975, p. 5-6 et p. 10). Dans la théorie des lieux centraux, les villes faisant office de centres de distribution de biens et de services pour une population dispersée, on y observe naturellement des regroupements de ces mêmes biens (voir Christaller, 1933 ; Bailly et Béguin, 1998 ; Pumain et Saint-Julien, 2001). En outre, selon Manuel Castells (GCVN, 1972), « la centralité est la combinaison à un moment donné d’activités économiques, de fonctions politiques et administratives, de pratiques sociales, de représentations collectives, qui concourent au contrôle et à la régulation de l’ensemble de la structure de la ville ». La centralité « dépend du pouvoir d’attraction ou de diffusion de cet élément qui repose à la fois sur l’efficacité du pôle central et sur son accessibilité » (Merlin et Choay, 1988). Cette association de fonctions et le rôle de ces pôles dans la diffusion des produits semblent particulièrement bien adaptés dans le cas présent (Cassen, 2012 ; Pétrequin, Pétrequin et al., 2017d).
8 Voir ci-après « Évaluer l’importance relative des différents axes de circulation », chap. 6.
9 La période choisie pour le calcul des moyennes mobiles est ici de 4.
10 Voir « Nécessité d’une étude tridimensionnelle : temps, espace, fonctions », chap. 2.
11 Voir ci-avant « Des phénomènes de sélection », en particulier la figure 38.
12 Voir ci-avant « La distance à la source : test du modèle « down-the-line ».
Auteurs
Maître de conférences, UMR 6249 Chrono-environnement et MSHE C. N. Ledoux (Besançon)
Chargé de recherches CNRS, UMR 8215 Trajectoires (Paris-Nanterre)
Directeur de recherches CNRS émérite, MSHE C. N. Ledoux (Besançon)
Chargée de recherches CNRS, UMR 6298 ArTeHiS (Dijon)
Post-doctorant, UMR 8215 Trajectoires (Paris-Nanterre)
Chercheur associée, UMR 6298 ArTeHiS (Dijon)
Chargé de recherches CNRS, UMR 7055 Préhistoire et Technologie (Nanterre)
Chercheur associée, UMR 7041 Arscan, Ifpo (Nanterre)
Référente SIG et topographie, INRAP Grand-Ouest
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