Conclusions et perspectives
p. 95-96
Texte intégral
1Les travaux menés au sein de l’atelier 1 de l’ACI Archaedyn et de l’ANR Archaedyn ii, consacré aux « Aires d’approvisionnement, terroirs et finages » sont le fruit de réflexions collectives menées durant une dizaine d’années. Si l’objectif de départ était commun – aborder la dynamique des finages dans la longue durée –, la nature différente des objets disponibles, des zones d’épandage et des parcellaires, a constitué à la fois une difficulté et une opportunité. Ainsi, les échanges pour mettre au point une démarche partagée et des indicateurs d’analyse adaptés ont été particulièrement stimulants.
2La méthode, largement exploratoire, a pu être testée dans sa globalité, de la création d’indicateurs à leur combinaison et à leur confrontation aux paramètres socioenvironnementaux. Ces indicateurs, véritables outils comparatifs, constituent la base de ce protocole analytique aboutissant à la caractérisation des espaces agropastoraux à travers le temps. Ainsi, l’analyse de l’espace lui-même a nécessité la reformalisation des données sur des portions d’espace artificielles (mailles, unités de collectes) ou d’origine anthropique (entités surfaciques limitées). Les deux types d’objets mobilisés ont montré tout l’apport qu’ils peuvent fournir à ce type d’étude, alors même qu’ils ont été jusqu’alors peu utilisés dans ce sens.
3Les premières difficultés à lever ont porté sur la datation des objets retenus. Ainsi, les capacités de datation de la céramique des épandages, très variables d’une zone à l’autre, ont nécessité de définir un cadre chronologique commun basé sur le plus petit dénominateur. Il a ainsi été divisé en phases chronologiques d’ampleurs variables. Les parcellaires fossiles sont quant à eux difficiles à dater finement. La majorité de ceux mobilisés sont attribuables à l’Antiquité sans plus de précision et la résolution chronologique des vestiges de la forêt de Haye est d’amplitude très variable et parfois très large (Antiquité ; époques médiévale et moderne, jusqu’au xviie siècle ; xixe-début xxe siècle).
4Autre point délicat, la majorité des parcellaires se rapportent à une seule phase chronologique. Ceux-ci n’ont donc pu être intégrés dans nos réflexions sur les dynamiques que de manière indirecte, comme des témoins d’une profonde mutation dans l’occupation du sol, qu’il convenait de caractériser, la forêt ayant succédé durablement (depuis plus de quinze siècles) à des occupations agropastorales.
5Ces points posés, plusieurs axes ont été explorés, avec la mise au point d’indicateurs et de méthodes d’analyses propres aux caractéristiques de chaque objet, ainsi qu’aux modes d’acquisition des données. On a d’abord cherché à qualifier les espaces, par l’évaluation des superficies amendées ou par la détermination de zones plus structurées au sein des parcellaires (ESL). On a aussi mesuré l’intensité de l’exploitation agraire, par la densité des vestiges (densité des tessons récoltés hors sites, densité des tas d’épierrement ou des linéaments parcellaires) ou par la longueur des linéaments, témoignant de l’importance du degré d’organisation.
6L’appréhension des dynamiques d’occupation a exigé l’élaboration d’autres indicateurs ou outils : indicateur de durabilité intégrant le nombre de phases d’occupation et de ruptures dans celle-ci (épandages), le déplacement spatial du barycentre des finages amendés ou la délimitation par périodes des zones retournées définitivement à la forêt après une exploitation agropastorale. L’analyse de l’évolution des surfaces amendées par périodes a aussi fourni des éléments sur ces dynamiques d’occupation.
7Toutes ces caractéristiques ont été confrontées aux données socioenvironnementales disponibles. La densité du tissu de peuplement ou de l’équipement viaire dans, ou autour, des espaces exploités a été mesurée à partir des unités de collectes, des mailles ou des ESL (présence/absence ou nombre d’établissements ou de voies à l’intérieur de la zone retenue ou dans une zone tampon autour de celle-ci). Le lien entre les établissements et les zones exploitées a aussi été abordé par la densité de mobilier hors site autour des établissements. Le poids éventuel des contraintes du milieu naturel a quant à lui été analysé en s’appuyant sur les critères de pente, de situation topographique, d’ensoleillement et de qualité des sols (qualité agrologique, pierrosité, rochers).
8Tant pour les épandages que pour les parcellaires, une partie des indicateurs d’intensité, de durabilité ou de structuration a été combinée par analyse factorielle, avec (pour les épandages) ou sans (pour les parcellaires) les données socioenvironnementales. Les zones homogènes de parcellaires obtenues par analyse factorielle ont toutefois été comparées avec d’autres méthodes au contexte environnant, puisque l’objectif pour les deux types d’objets était bien de comparer les zones exploitées avec ce contexte.
9Les résultats obtenus relativisent le poids des contraintes socioenvironnementales en montrant la capacité des sociétés anciennes à les surmonter pour élargir leur espace agraire en dépit, par exemple, des limites agrologiques des sols, des conditions topographiques ou de l’éloignement de centres de peuplement.
10Les variations de l’emprise des espaces amendés et de l’intensité des amendements dans la longue durée définissent la trajectoire de mise en valeur des espaces ruraux, qui est complémentaire de celle du système de peuplement. Cet examen conduit à revisiter certains topoi historiographiques tels que l’impact massif et généralisé de la colonisation romaine en termes d’aménagement des campagnes, la « déprise » de l’Antiquité tardive ou l’atonie économique du haut Moyen Âge. La confrontation de zones d’études, tant septentrionales que méridionales, illustre la diversité des situations et compense la vision très locale de l’analyse du terroir.
11Les indicateurs caractérisant les parcellaires ont permis de relativiser l’influence de la topographie sur leur implantation et sur leur morphologie, même si dans chaque zone les secteurs les plus pentus sont évités. Dans des contextes globalement riches en pierres, les sols les plus pierreux sont également évités, mais la question de l’impact des épierrements anciens sur la pierrosité actuelle se pose. Toutefois, pour la forêt de Haye, on observe une évolution dans le choix des sols entre l’Antiquité et le Moyen Âge, avec, pour ce dernier, une préférence qui se porte sur des sols plus épais et plus acides, dans un contexte également de profonde mutation dans l’occupation du sol. En effet, si, durant l’Antiquité, les établissements ruraux sont au cœur de l’espace cultivé (champs en général à moins de 500 mètres d’un établissement), les villages ou fermes médiévaux et modernes sont localisés jusqu’à quatre kilomètres de l’espace cultivé. Enfin, l’examen de ces indicateurs soulève aussi des questions sur les modalités d’exploitation de ces espaces. Si certains sont voués, un temps au moins, à la culture comme le montre la fouille de certaines structures, mais aussi l’intensité de l’épierrement ou ses modalités (absence de tas dans certaines parcelles, tas disposés en lignes), d’autres sont probablement destinés au pacage des bêtes, comme certaines ESL de Saint-Quirin où abondent tas d’épierrement et rochers. De même, la présence de « vides » de parcellaires ou d’ESL de très grandes surfaces invite à s’interroger sur la localisation de petits bois.
12Des limites persistent toutefois dans ces analyses. Ainsi, pour les parcellaires, les surfaces des zones étudiées, qui varient de 40 à près de 11 000 hectares, rendent les comparaisons délicates. Seule l’analyse selon les mêmes protocoles d’autres vastes zones permettra de valider ce protocole d’étude. Les télédétections lidar menées ces dernières années en France montrent que de nombreux massifs forestiers recèlent des structures agraires fossiles sur des surfaces parfois considérables (par exemple en Bourgogne, dans les forêts des boucles de la Seine en Normandie, dans celles autour de Chambord, en forêt de Compiègne ou encore dans les Charentes [cf supra]). Il faut également noter que la comparaison entre les parcellaires fossiles conservés sous forêt et les parcellaires fossoyés mis au jour dans le cadre d’opérations d’archéologie préventive n’a pu être menée du fait de surfaces trop petites et surtout discontinues. Cette comparaison reste toutefois un enjeu méthodologique pour l’avenir.
13Si ce volume présente les résultats des analyses et traitements réalisés dans le cadre du programme Archaedyn, arrivé à son terme en 2012, il n’en faut pas moins évoquer ici la postérité des interrogations thématiques et des propositions méthodologiques que ce projet a engendrées. Soulignons tout d’abord que les travaux sur les espaces ruraux antiques ont été avantageusement prolongés dans le cadre de l’ERC Rurland (dirigé par Michel Reddé) à laquelle plusieurs d’entre nous ont participé. Ce projet collectif a été l’occasion de mobiliser à nouveau les données et les acquis d’Archaedyn sur la question particulière des systèmes parcellaires antiques du nord-est de la Gaule dans leurs interactions avec les systèmes de peuplement, en les remettant en perspective avec les parcellaires fossoyés (Favory et Fruchard, 2018 ; Fruchart, 2018a et b ; Fruchart et Favory, 2018). La démarche quantitative et comparative qui s’appuie sur les vestiges d’épandages agraires se poursuit également, notamment dans un grand quart sud-ouest de la France qui n’avait pas fourni de zone atelier dans le cadre d’Archaedyn. Des travaux doctoraux (Luault, 2020) et des programmes collectifs (Pousthomis et al., 2014 ; Poirier, 2018 ; 2021) ont documenté ces dernières années différents secteurs d’Occitanie par des prospections pédestres systématiques incluant la collecte et l’analyse des vestiges d’épandage, et ouvrant la voie à une intégration de ces zones dans une démarche comparative globale. Ces travaux documentent en particulier les périodes médiévale et moderne, peu concernées jusqu’à présent par les approches quantitatives et comparatives des espaces ruraux. Ils explorent à nouveaux frais la question des transitions entre Antiquité tardive et haut Moyen Âge, les modalités médiévales d’occupation du sol, l’articulation entre habitat groupé et habitat dispersé ou encore l’impact de l’économie monastique sur la mise en valeur des terroirs.
Auteurs
Conservatrice générale du patrimoine, actuellement inspectrice des patrimoines à la délégation, à l’inspection, à la recherche et à l’innovation (ministère de la Culture) et membre de l’UMR 6249 Chrono-environnement, CNRS-université de Franche-Comté (Besançon).
Chargé de recherche CNRS à l'UMR 5608 TRACES, CNRS-université Toulouse 2 Jean Jaurès (Toulouse).
Chef de projet « Forêt d'exception-Massif de Foutainebleau », archéologue à l'Office national des forêts et membre de l'UMR 7041 ArScAn, CNRS-universités Paris 1 Panthéon Sorbonne et Paris Nanterre.
Ingénieur INRAP, Lorraine.
Professeur honoraire d’histoire ancienne et archéologie gallo-romaine, UMR 6249 Chrono-environnement et UAR 3124 Maison des sciences de l‘homme et de l’environnement, CNRS-université de Franche-Comté (Besançon).
Ingénieure d'étude CNRS en géomatique à la MSH Clermont-Ferrand (UAR 3550).
Médiateur scientifique, association Les Petits Débrouillards Nouvelle-Aquitaine Sud (Bordeaux).
Professeur en archéologie à l'UMR 6298 ArTeHis, CNRS-université de Bourgogne (Dijon).
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