Chapitre 1
Approches statistiques et spatiales du mobilier hors site de prospection
p. 33-50
Texte intégral
1Nous proposons d’utiliser le mobilier hors site récolté en prospection pédestre pour estimer l’emprise des espaces exploités et l’intensité de cette mise en valeur. La présence de ces tessons généralement roulés, récoltés la plupart du temps de façon diffuse sous forme de halos autour des points de peuplement, est interprétée comme les seuls témoins matériels de la pratique de l’épandage de fumures dans les parcelles cultivées selon le schéma interprétatif suivant : les déchets domestiques (dont les poteries cassées) auraient été jetés sur les tas de fumier généralement situés à proximité de l’habitat. Le fumier a été épandu dans certaines parcelles cultivées. Seuls les éléments solides contenus dans la fumure (dont les tessons de poterie) subsistent après que les matières organiques se sont décomposées. Cette interprétation est étayée par des sources écrites et iconographiques, des fouilles et des observations ethnographiques que nous avons déjà exposées ailleurs (Poirier et Nuninger, 2012).
2Cette position est défendue depuis les années 1970 par plusieurs chercheurs. On citera en particulier les travaux de Glenn Foard en Angleterre qui a été l’un des premiers à attirer l’attention sur l’intérêt à étudier les vestiges récoltés « hors site », jusque-là interprétés comme un « bruit de fond » à éliminer (Foard, 1978). Les recherches menées dans ce sens ont permis de se libérer d’une approche de la prospection systématique centrée sur la découverte des sites, au profit d’une vision continue de l’espace où les vestiges récoltés « hors site » livrent une information concernant l’emprise des établissements sur l’espace environnant. D’autres ont suivi cette voie, surtout des chercheurs anglo-saxons travaillant souvent sur des espaces méditerranéens ou moyen-orientaux (Wilkinson, 1982 ; 1989 ; Gallant, 1986 ; Bintliff et Snodgrass, 1988).
3Il faut toutefois signaler que l’intérêt pour le mobilier hors site (son état de conservation, sa densité et sa répartition) n’est apparu dans un premier temps que dans le but de valider l’existence de sites identifiés, de faire progresser la procédure de distinction site/hors site et de l’asseoir sur des analyses statistiques. Il a rarement été considéré comme un objet d’étude à part entière (sinon dès les années 1980 dans Gaffney et Gaffney, 1988). En France, les premières zones d’épandage inventoriées en Languedoc oriental, à l’initiative de Claude Raynaud, qui a modélisé ce recensement systématique (Raynaud, 1989), sont celles de la Vaunage (Parodi, Raynaud et Roger, 1987) et de la commune de Valergues, prospectée en février 1986. Une tentative d’exploitation statistique de l’information livrée par les zones d’épandage a été menée sur les données réunies dans la prospection du territoire de Lunel-Viel, réalisée en 1987 et 1988 (Favory et al., 1994). Il faut attendre les années 2000 pour trouver les premiers travaux consacrés à la dynamique des espaces agraires fondés sur l’analyse de la répartition des artéfacts récoltés hors site (Nuninger, 2002 ; Bertoncello et Nuninger, 2010 ; Jones, 2004).
4La localisation de ces épandages permet, avec quelques limites liées au besoin ou non d’amender les parcelles, à la quantité variable de céramique en usage au cours du temps ou à la gestion des déchets sur les sites ruraux, d’estimer une surface minimale mise en exploitation par les sociétés anciennes au cours du temps. Il est ainsi possible de mesurer des phases d’emprise et de déprise spatiale, d’intensification ou de relâche de la pression humaine sur le terroir, témoignant des conditions et des nécessités économiques des espaces et des périodes étudiées.
Présentation des zones ateliers (ZA) [fig. 1]
5Il n’a pas été question, dans le cadre du programme Archaedyn, de réaliser des opérations de terrain spécifiquement dédiées aux questionnements posés. Le collectif réuni a travaillé à la mise en commun de bases de données déjà acquises auparavant dans le cadre d’autres programmes ou de travaux doctoraux. L’essentiel des discussions a donc porté sur les aspects méthodologiques d’acquisition de ces données de manière à estimer la possibilité de les comparer, et sur les moyens de mise en œuvre de ces comparaisons.
Figure 1. Localisation des zones d’études des épandages agraires

6Il est donc utile dans un premier temps de présenter le contexte géohistorique de chacune des microrégions investies, ainsi que les objectifs et les méthodes des programmes qui ont conduit à leur prospection et à la production des données mobilisées dans Archaedyn.
Touraine : Neuvy-le-Roi1
7L’étude de la commune de Neuvy-le-Roi a pris la forme de plusieurs campagnes de prospections archéologiques au sol entre 1992 et 1996 sous la direction d’Agatha Poirot, dans le cadre d’une recherche doctorale qui n’a pas abouti. Les principaux résultats de cette étude ont toutefois été réunis dans un article de la Revue archéologique du centre de la France (Poirot, 1998). Le choix de cette commune pour y développer un programme de recherche répondait à deux critères essentiels :
- Cette agglomération, située à 30 kilomètres au nord de Tours, a été identifiée au Novus vicus cité par Grégoire au vie siècle, pour laquelle l’évêque de Tours mentionne les reliques de saint André et de saint Vincent. Ces deux saints ont d’ailleurs laissé des traces dans le village dans la mesure où Saint-Vincent est l’actuelle église paroissiale et Saint-André une ancienne chapelle abandonnée au xviiie siècle.
- Cette zone du nord de la Touraine était également mal connue sur le plan archéologique. Il s’agissait donc de vérifier si la densité du peuplement y était la même que dans la partie sud du bassin-versant de la Loire.
8L’objectif était donc de restituer le contexte du peuplement et le parcellaire rural dans lequel s’est inscrite l’agglomération, comprendre la formation du terroir et identifier si la paroisse ou un éventuel vicus antérieur sont à l’origine de sa mise en place. Le haut Moyen Âge était donc une période particulièrement visée par ces travaux. Un autre objectif concernait l’étude de la répartition et l’évolution de l’habitat, ainsi que l’estimation de sa densité et de sa stabilité au cours du temps.
9La prospection au sol, associée au dépouillement des sources écrites, des anciens cadastres et des photographies aériennes, a été le moyen privilégié de réalisation de cette étude. Ces campagnes de ramassage systématique ont permis de couvrir plus de 700 hectares selon une procédure en deux passages, à une maille maximale de 5 mètres, et d’identifier 97 sites et 13 indices de sites.
10La synthèse des résultats obtenus démontre une présence humaine à Neuvy-le-Roi depuis le Paléolithique. On constate toutefois un contraste entre le grand nombre de sites des périodes préhistorique et historique, et la faible représentation de la Protohistoire. L’auteur interprète ce hiatus comme la conséquence d’une mauvaise conservation du mobilier de cette période, dans la mesure où des vestiges protohistoriques ont été révélés par la prospection aérienne. La continuité de l’habitat est assurée au moins depuis la période gallo-romaine. Elle s’accompagne d’une relative stabilité puisqu’un léger déplacement s’opère au fil des époques. Cette étude a d’ailleurs révélé de remarquables exemples de continuité d’occupation sur de petites surfaces. Une même parcelle peut avoir livré un site Néolithique, un site protohistorique, une villa elle-même remplacée par un habitat du haut Moyen Âge qui se trouve à quelques dizaines de mètres de l’habitat actuel. L’image qui se dégage de la seule lecture de la dynamique du peuplement est celle d’une relative stabilité de l’occupation, qui n’exclut cependant pas l’existence de hiatus.
Berry : Sancergues2
11L’étude archéologique des trois communes de Charentonnay, Sancergues et Saint-Martin-des-Champs (Cher) a été réalisée dans le cadre d’une thèse (Poirier, 2007 ; 2010). Ces trois communes, situées aux confins du Berry et du Nivernais, présentaient au début de l’étude de grandes lacunes documentaires dans la mesure où cette région est restée à l’écart des grands programmes de prospection aérienne et au sol. L’objectif était de mesurer l’influence de cette situation de marge et de contact entre plusieurs unités paysagères sur la dynamique du peuplement et du paysage dans la très longue durée (de la Préhistoire au xixe siècle). À cette occasion, les données archéologiques acquises au cours des prospections au sol ont été confrontées à l’image du paysage et du peuplement livrée par les sources écrites médiévales et modernes, les données planimétriques modernes et contemporaines.
12Le programme de prospection au sol développé dans le cadre de cette étude a été réalisé entre 2003 et 2006, permettant de couvrir près de 500 hectares sur l’ensemble des trois communes de Charentonnay, Sancergues et Saint-Martin-des-Champs, soit environ 10 % de leur surface totale, selon la même procédure de terrain que celle utilisée à Neuvy-le-Roi (deux passages ; 5 mètres de résolution). Dans l’emprise de ces 500 hectares, une quarantaine de concentrations de mobilier délimitable a été repérée et identifiée à des indices de sites archéologiques. Les 221 unités de collecte du mobilier hors site ont permis d’enregistrer plus de 50 000 artéfacts de toutes périodes, dont plus de 7 600 tessons de poterie datables de la Protohistoire au xxe siècle.
13Le croisement des différentes images issues des informations archéologiques, écrites et planimétriques, permet de discerner plusieurs phases dans la structuration du tissu de peuplement et du paysage environnant. Comparativement au cœur de la Champagne berrichonne, qui a révélé une grande densité de points de peuplement antique, et le développement d’un réseau d’habitat hiérarchisé (Gandini, 2008), la zone étudiée paraît occupée de manière relativement modeste. Ce résultat amène à conclure que les marges de la cité des Bituriges, sans être totalement déserte, étaient occupées de manière moins intensive que le cœur de son territoire. La période allant du ive au viie siècle apparaît comme une phase de déclin de l’occupation du sol, autant dans le tissu de peuplement que dans l’occupation agraire, qui se recentre autour de quelques pôles moins nombreux qu’auparavant. Les viiie-xe siècles témoignent d’une reprise de grande ampleur. Cette phase est la mieux représentée dans les données issues de la prospection au sol, par le nombre d’établissements identifiés comme par la croissance des espaces cultivés et l’intensité de leur mise en valeur. La baisse du nombre d’établissements identifiés par l’archéologie associée aux premiers enregistrements par les sources écrites de points de peuplement encore occupés actuellement, incite à voir dans la seconde partie du Moyen Âge (xie-xve siècles) une phase de stabilisation du tissu de peuplement, qui se caractérise par l’abandon d’un grand nombre de sites implantés au cours de la mise en valeur de nouveaux espaces lors de la phase précédente. Le recentrage des amendements agraires autour de quelques pôles conduit à penser que les pratiques agraires se sont transformées, associant un amendement intensif par fumures au plus près des lieux habités, et la pratique de la pâture libre sur le reste du terroir exploité. À partir du xvie siècle, on discerne une nouvelle phase d’essor du tissu de peuplement et des espaces cultivés. Les sources archéologiques témoignent de l’importance de l’implantation de nouveaux habitats matérialisant la mise en valeur agraire d’espaces jusque-là peu exploités, en particulier dans la moitié orientale de la zone étudiée pénalisée par des sols contraignants. Les mentions textuelles relevées pour cette période vont également dans ce sens par le nombre important de lieux habités mentionnés dans les documents des xvie-xviiie siècles qui n’ont laissé aucune trace dans le réseau de peuplement enregistré par le cadastre de 1829. Les mêmes sources témoignent du gain des espaces cultivés sur les espaces boisés.
Touraine : Choisille3
14Le bassin-versant de la Choisille, affluent de la Loire au nord de Tours, a été prospecté sous forme de fenêtres restreintes entre 2006 et 2008 dans le cadre du programme ECLIPSE ii qui visait notamment à mesurer le lien entre occupation du sol et dynamiques érosives (Gandini, 2008 ; Poirier et al., 2013).
15L’apport attendu des données archéohistoriques à ce programme était double. Tout d’abord, elles devaient permettre la restitution des dynamiques de l’occupation du sol par la mise en œuvre de la prospection archéologique sur sol nu et le dépouillement des sources écrites médiévales et modernes. De plus, la spatialisation des activités humaines au cours du temps était envisagée comme l’un des apports informatifs majeurs des données archéologiques, en complément des données sédimentologiques et palynologiques qui raisonnent sur la base de sondages ponctuels au sein de l’espace étudié.
16Si différents secteurs du bassin-versant de la Choisille ont fait l’objet de travaux de fouilles archéologiques préventives, comme sur la commune de Chanceaux-sur-Choisille (Creusillet, Fournier et Arquille, 2004), la majeure partie de l’espace étudié n’est pas renseignée par ces interventions, qui ne fournissent d’ailleurs qu’un éclairage ponctuel, limité à des emprises réduites, sur la chronologie des occupations humaines. La mise en œuvre de prospections au sol est apparue comme un moyen privilégié pour approcher le continuum spatial que constituent les points de peuplement et leurs espaces agraires associés, dans le but de localiser et de mesurer l’intensité de la pression humaine dans l’espace et dans le temps. Toutefois, la présence importante de secteurs boisés a limité l’accessibilité des terrains à la prospection de surface.
17La dispersion dans l’espace des unités de collecte du mobilier archéologique et une probable fixation précoce des points de peuplement à leur emplacement actuel n’ont pas conduit à la découverte d’un nombre important de sites pouvant être interprétés comme des établissements abandonnés : vingt-deux seulement ont été repérés pour l’ensemble des trois secteurs et pour l’ensemble de la fourchette chronologique considérée, de la Protohistoire à la période moderne. Si les périodes anciennes (Protohistoire et période romaine) semblent bien représentées autour de Chanceaux-sur-Choisille, l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge (ive-xie siècles) n’ont livré aucun indice d’établissement. Le Moyen Âge central (xiie-xve siècles) est uniquement représenté en amont autour du hameau de Chenusson. Les périodes moderne et contemporaine ne livrent que de deux à cinq sites. Il est donc délicat de décrire l’évolution de l’occupation du sol, et son éventuelle conséquence sur l’évolution du paysage, sur la seule base de ces quelques données ponctuelles et lacunaires.
18La restitution des dynamiques de l’occupation du sol repose donc plutôt sur des indicateurs d’intensité et d’emprise de l’exploitation agraire des trois secteurs d’investigation telle qu’elle est lisible grâce aux variations du mobilier hors site interprété comme vestige d’épandage agraire. On constate une présence faible à moyenne au cours de la Protohistoire, une forme de pic au cours des ier-iiie siècles, puis une diminution au cours de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge (ive-xie siècles). On observe une légère reprise au Moyen Âge central et final (xiie-xve siècles), mais sans comparaison avec la période moderne et contemporaine qui est lisible comme une phase de reprise et de développement importants.
Languedoc : la Vaunage4
19La Vaunage (Gard) est une entité géomorphologique correspondant à la combe drainée par le bassin-versant supérieur du Rhôny. Elle couvre un territoire d’environ 100 kilomètres carrés s’étendant sur neuf communes actuelles. Elle occupe les ultimes reliefs des garrigues calcaires sous-cévenoles, culminant entre 200 et 300 mètres.
20La Vaunage occupe en Languedoc oriental une position privilégiée, entre le Vidourle à l’ouest, les garrigues au nord et à l’est et la plaine littorale au sud. Cette situation charnière et la proximité de la ville de Nîmes à l’est, qui favorise l’accès à des ressources variées, à des communications et à des débouchés commerciaux, expliquent sans doute en partie la forte densité de son occupation. La région offre en outre aux établissements humains des sites naturels variés : sommets de collines propices aux installations, versants peu escarpés et sols profonds dans la plaine.
21La Vaunage bénéficie d’un long historique de recherches qui trouve son origine au xixe siècle avec un intérêt très tôt développé pour les oppida protohistoriques, intérêt favorisé par de nombreux vestiges apparents et un vaste vignoble soigneusement et régulièrement labouré, propice aux découvertes fortuites.
22À partir des années 1960 sont conduites des recherches programmées et régulières durant une vingtaine d’années, d’abord centrées sur la fouille des principaux oppida de l’âge du fer. Les années 1970 ont vu se développer des travaux plus modestes sur la période gallo-romaine et la préhistoire. Il faut attendre les années 1980 pour que l’intérêt pour la période médiévale se développe (Parodi, Raynaud et Roger, 1987).
23C’est au cours des années 1990 que des prospections systématiques conduites par François Favory et Claude Raynaud ont permis de compléter l’inventaire des sites connus jusque-là essentiellement par des découvertes fortuites. Ce programme visait à rétablir l’homogénéité spatiale des données, pour analyser les modes d’occupation et de mise en valeur du sol, dans le rapport qu’entretiennent les différentes formes de l’habitat sur le long terme. La procédure de terrain alors mise en œuvre (Raynaud, 1989) a permis l’identification de sites d’habitats, abondamment mobilisés dans le cadre du programme Archaeomedes, mais aussi de zones d’épandages agraires, étudiées en détail pour l’âge du fer par Laure Nuninger dans le cadre de sa thèse (Nuninger, 2002).
24L’unité d’enregistrement du mobilier hors site est constituée le plus souvent par un groupe de parcelles. La délimitation des zones d’enregistrement est fondée sur la qualité et la quantité du mobilier hors site. Un changement dans la composition du bruit de fond ressenti par l’équipe de terrain engendre un changement de zone d’enregistrement. Les zones d’enregistrement ont une surface comprise entre 0,5 et 5 hectares.
Languedoc : Lunellois5
25La microrégion du Lunellois (Hérault) englobe un espace situé entre la vallée du Lez et celle du Vidourle, qui résume les grands traits du littoral du golfe du Lion : un littoral bas et sableux de formation récente, et une vaste lagune orientée parallèlement à la ligne du rivage et cloisonnée aujourd’hui entre plusieurs étangs, dont celui de l’Or ou de Mauguio. Les deux fleuves qui encadrent la région ont joué un rôle important dans la transformation du paysage par d’importants dépôts alluviaux ayant progressivement colmaté les dépressions et la lagune. La costière lunelloise, formée de puissantes alluvions anciennes rhodano-duranciennes à formations de galets, marque les premiers reliefs collinaires. La région lunelloise présente ainsi des facettes contrastées par la juxtaposition de ces unités morphologiques, ce qui explique l’intérêt de cette zone qui rassemble sur environ 500 kilomètres carrés les différents éléments d’un géosystème littoral méditerranéen. L’enjeu des recherches archéologiques a donc consisté à étudier l’insertion des sociétés rurales dans un tel milieu.
26Contrairement à la Vaunage, le Lunellois et la plaine littorale n’ont pas bénéficié de travaux systématiques avant les dernières décennies. La région fait l’objet depuis 1986 de recherches collectives sur l’histoire du peuplement, des sociétés agricoles et de leur environnement, du Néolithique au Moyen Âge, mobilisant des données historiques, archéologiques, géographiques et paléoenvironnementales (Raynaud, 1989). Plus de 400 établissements ont pu être recensés par des prospections, des fouilles ou des dépouillements de sources historiques. Les questions de peuplement, de systèmes agraires et de transformation environnementales ont été traitées dans la longue durée, avec une focalisation particulière de la conquête romaine au Moyen Âge.
27La procédure de terrain des prospections systématiques est la même que celle utilisée en Vaunage et a permis d’identifier des sites d’habitat et des zones d’épandages agraires.
Provence : Maures6
28C’est en 1990, dans le cadre du projet Fréjus-Argens, que fut mis en place un programme de prospection dans plusieurs communes de la vallée de l’Argens (Var). À la suite de l’incendie de 1990, le massif des Maures fut intégré à l’étude, afin de profiter des conditions exceptionnelles de visibilité du sol. Les seuls sites connus dans le massif des Maures avant ces prospections étaient des sites perchés, principalement des oppida, en raison de l’importance de leurs structures, souvent assez bien conservées et facilement repérables (Bertoncello et Gazenbeek, 1997, p. 602).
29L’équipe a donc prospecté systématiquement crêtes et sommets, versants et épaulements, vallons et pieds de pente. Plus de 100 gisements archéologiques ont ainsi été repérés, toutes périodes confondues, parmi lesquels seuls 4 % correspondaient à des sites perchés et fortifiés (Bertoncello et Gazenbeek, 1997, p. 603).
30L’unité d’enregistrement du mobilier (hors site) est variable selon les milieux. En milieu cultivé, l’ensemble du secteur n’étant pas « prospectable » (visibilité), les zones d’épandage sont souvent discontinues dans l’espace. Le secteur a été divisé en zones de prospection englobant des zones d’épandages cohérentes. Chaque zone de prospection est dotée d’un numéro identifiant auquel se rapportent également toutes les unités d’épandages incluses dans la zone de prospection. En milieu de garrigue, les zones d’épandage ont été dessinées et dotée d’un numéro identifiant. Les secteurs prospectés sont soit représentés par des zones, soit par des flèches indiquant le cheminement des prospecteurs.
31Les plus anciennes traces d’occupation humaine rencontrées dans le massif des Maures remontent au Paléolithique moyen, alors que les vestiges lithiques sont très rares sur le rocher de Roquebrune, où les premiers indices d’installation véritable sont attribuables au Néolithique moyen. Le peuplement du massif des Maures et du rocher de Roquebrune est caractérisé par une occupation dense au deuxième âge du fer, suivie d’un hiatus pendant l’époque romaine, où l’habitat se concentre dans les zones basses. L’occupation des massifs ne reprend qu’à la fin de l’Antiquité, avec une vigueur qui surprend quand on connaît l’indigence des vestiges de cette époque en plaine (Bertoncello et Gazenbeek, 1997).
32L’examen de l’évolution du nombre d’établissements occupés entre le iie siècle av. J.-C. et le viie siècle ap. J.-C. met en évidence deux cycles successifs, qui présentent un processus similaire de croissance du nombre d’établissements suivie d’une réduction de l’effectif, mais divergent par leur amplitude respective. Le premier cycle connaît une augmentation très progressive du nombre d’établissements entre le iie siècle av. J.-C. et le ier siècle ap. J.-C., pour atteindre au iie siècle son maximum. La fin de ce cycle est, au contraire, caractérisée par une réduction très brutale de l’effectif entre les iie siècle et iiie siècle. Le second cycle débute ensuite au ive siècle par une faible reprise, confirmée au ve siècle. Il s’agit toutefois d’un phénomène de courte durée, puisque s’amorce, dès le siècle suivant, une diminution du nombre d’occupations jusqu’à seulement trois au viie siècle (Bertoncello, 2005, p. 46).
Le protocole analytique
Un cadre chronologique commun
33Le premier écueil rencontré a été celui de la définition d’un cadre chronologique commun aux différentes zones d’étude, alors même que les capacités de datation de la céramique sont très variables d’une région à l’autre, allant du demi-siècle en Languedoc pour la période romaine, à seulement trois ou quatre siècles en Berry ou en Touraine, pour ce type particulier de mobilier qu’est le mobilier de prospection récolté en dehors de tout contexte stratigraphique. Le parti a donc été pris d’utiliser le plus petit dénominateur commun, le cadre chronologique permettant d’intégrer un maximum de zones d’étude. Le temps d’observation (de la Protohistoire à la période moderne) a donc été divisé en six phases chronologiques d’amplitudes variables :
- ve siècle av. J.-C.-ier siècle av. J.-C. pour la phase 1 (Protohistoire).
- ier-iiie siècles pour la phase 2 (Antiquité).
- ive–viie siècles pour la phase 3 (Antiquité tardive et très haut Moyen Âge).
- viiie-xie siècles pour la phase 4 (haut Moyen Âge).
- xiie-xve siècles pour la phase 5 (Moyen Âge central).
- xvie-xviiie siècles pour la phase 6 (époque moderne).
34C’est à l’échelle de chacune de ces phases qu’ont été observées les valeurs de superficie amendée et de densité moyenne de mobilier hors site.
Une approche comparative et quantitative
35L’objectif du collectif était de dépasser les comparaisons empiriques, assez subjectives, qui peuvent être réalisées par tout lecteur sur la base de synthèses microrégionales telles que nous avons pu les présenter, de manière très littéraire précédemment. Notre obsession constante était d’objectiver autant que possible les observations sur la base de données quantifiées de manière à faciliter les comparaisons interrégionales.
36Nos questionnements portaient essentiellement sur les variations d’emprise des espaces cultivés et sur l’intensité de leur mise en valeur pour l’agriculture. Les phénomènes spatiaux que nous avons cherchés à identifier peuvent être décrits par quelques termes très usuels tels qu’« extension » et « rétraction » (pour les questions d’emprise), « intensification » et « déprise » (pour les questions d’intensité). Les épisodes d’extension des espaces cultivés ou d’intensification de leur mise en valeur sont alors interprétés comme des indices d’une certaine prospérité des campagnes, à l’inverse des épisodes de rétraction ou de déprise. La mobilité (au sens de déplacement) des espaces cultivés était également centrale : les espaces agraires étaient-ils fixes ou mobiles ? Dans quelles mesures les sociétés anciennes se sont-elles enracinées sur certains terroirs, ou au contraire ont-elles cherché à mettre en valeur de nouveaux espaces ? Nous avons donc choisi ou imaginé des indicateurs permettant d’évaluer ces variations, dans l’espace et dans le temps.
37En utilisant la localisation des épandages agraires restitués grâce au mobilier hors site de prospection, il est possible pour chaque zone atelier de retracer l’évolution de la superficie amendée et de l’intensité de cet amendement. Il est également possible de mesurer les dynamiques spatiales qui affectent les espaces cultivés d’une période à l’autre au moyen des statistiques spatiales. L’approche comparative doit permettre d’identifier les particularismes locaux et les tendances communes à ces espaces très différents, de la France du Centre comme du Sud.
Comparer l’évolution des superficies amendées
38Le calcul, pour chaque zone atelier (ZA) et pour chaque période, de la somme des unités de collecte (UC) ayant livré au moins un témoignage d’amendement (un tesson au moins), permet de lire les pulsations des espaces amendés dans la longue durée en termes d’extension ou de rétraction (fig. 2). Cette approche sera complétée en dernier lieu par l’utilisation de statistiques spatiales dans le but de mesurer les effets de ces dilatations et contractions des espaces intensément cultivés (Poirier et al., 2012, p. 39‑59).
Figure 2. Évolution des superficies amendées

39Les valeurs brutes de superficie ne sont pas comparables d’une ZA à l’autre, puisqu’elles sont déterminées par la taille de ces ZA, elle-même conditionnée par l’emprise des prospections au sol réalisées. On a donc fait le choix de normaliser les valeurs brutes obtenues par l’emprise totale des prospections réalisées. Ainsi les valeurs peuvent être comparées et mises au même niveau. Chaque période est représentée par un pourcentage de la superficie totale prospectée.
40Il faut d’emblée signaler un démarrage variable au cours de la Protohistoire, avec des superficies amendées variant de moins de 5 % pour les Maures à plus de 90 % pour la Vaunage. Les deux ZA les plus méridionales ne montrent donc pas la même image au cours de cette première phase chronologique étudiée. Les trois zones les plus septentrionales apparaissent moins différentes les unes des autres avec des valeurs s’échelonnant de 14 % pour la vallée de la Choisille à près de 30 % pour la commune de Neuvy-le-Roi.
41La période romaine (ier-ive siècles) apparaît partout comme une phase d’extension des espaces amendés, mais pas nécessairement comme un pic d’occupation. La progression est assez spectaculaire dans la plupart des ZA, mis à part la Vaunage où la superficie amendée ne progresse que de 2 %. Toutefois, la marge de progression n’y était pas très grande, l’image de campagnes pleines étant déjà bien lisible à la phase précédente. Partout ailleurs, la superficie amendée progresse nettement d’environ 40 ou 50 %, et jusqu’à 75 % d’augmentation pour le massif des Maures qui passe de 4 % à la phase 1 à plus de 80 % de superficie amendée à la phase 2.
42Si l’on observe partout une extension des espaces amendés au cours de la période romaine (phase 2), on enregistre également partout une certaine déprise au cours de l’Antiquité tardive (phase 3), mais là encore selon des modalités très différentes. Alors que la superficie amendée chute fortement dans la vallée de la Choisille (6,5 %) et dans les Maures (1,6 %), l’exploitation agraire se maintient à plus 20 % de la superficie prospectée dans la région de Sancergues, près de 60 % à Neuvy-le-Roi et la diminution concerne moins de 10 % de la superficie prospectée en Vaunage, dont l’emprise amendée se maintient à plus de 88 %.
43Dans trois cas, la diminution des espaces amendés se poursuit au cours du haut Moyen Âge (phase 4). La part des terrains amendés se réduit à 4 % de la superficie prospectée dans la vallée de la Choisille, 13 % en Vaunage tandis qu’aucun témoignage d’amendement de cette période n’a été relevé dans le massif des Maures. À l’inverse, dans la région de Sancergues et à Neuvy-le-Roi, les emprises mises en valeur progressent au haut Moyen Âge jusqu’à 67 % pour l’une et 82 % pour l’autre zone atelier.
44Les évolutions sont très diverses pour le Moyen Âge central (phase 5). Si trois zones ateliers affichent approximativement le même score autour du tiers de superficie amendée (Berry_Sancergues, Touraine_Choisille et Vaunage), cette proximité masque de réelles disparités dans les tendances observées. Parmi les deux zones ateliers qui avaient témoigné d’une progression sensible des espaces amendés au cours de la phase précédente, l’une (Touraine_Neuvy-le-Roi) voit cette emprise se confirmer par une nouvelle augmentation de la surface amendée, tandis que l’autre (Berry_Sancergues) montre un nouveau recul de cette superficie autour de 34 %. En revanche, les trois zones ateliers qui avaient subi une déprise à la phase 4 montrent une reprise plus ou moins forte à la phase 5. Cette reprise est très nette en Touraine_Choisille et en Vaunage qui passent respectivement de 4 à 32 % et de 13 à 35 % de superficie amendée.
45La période moderne enfin (phase 6) apparaît dans la majorité des cas observés comme la période d’extension maximale des espaces amendés qui s’étendent à l’ensemble des terrains prospectés (entre 95 et 99 % des espaces prospectés de Berry_Sancergues, Touraine_Choisille et Touraine_Neuvy-le-Roi). Le massif des Maures n’appartient pas à ce modèle, la superficie amendée de la période moderne n’atteignant que 10 % de la superficie prospectée. Les données n’ont pas été calculées pour la Vaunage.
Estimer l’intensité de l’exploitation agraire (fig. 3)
46L’indice d’intensité de l’exploitation agraire a pour but de mesurer, sur la longue durée, l’intensité de la mise en valeur du sol en étudiant les valeurs de densité de tessons récoltés hors site dans les zones d’épandage. Cette densité est censée refléter la régularité et/ou l’intensité des amendements agraires réalisés dans les parcelles concernées au cours de chaque période chronologique.
Figure 3. Évolution de l’intensité des amendements agraires (pourcentage du stock de l’ensemble du mobilier hors site)

47Cette valeur de densité étant variable d’une région à l’autre, mais aussi d’une période chronologique à l’autre (car intimement liée à la quantité de céramique en circulation, plus abondante par exemple, et en général, pour les périodes romaine ou moderne que pour le haut Moyen Âge), il avait été décidé de ne pas travailler sur les valeurs brutes de densité dans chaque unité de collecte (UC), mais plutôt de normaliser ces valeurs en travaillant sur des classes d’écart à la densité moyenne observée à chaque pas de temps.
48On a donc calculé, pour chaque UC et à chaque pas de temps, l’écart entre la densité de mobilier observée dans l’UC et la densité moyenne de mobilier calculée pour la période sur l’ensemble des UC de la zone d’étude.
49Pour obtenir un indice synthétique décrivant l’intensité de la mise en valeur de l’UC dans la longue durée, on a calculé la moyenne des écarts à la densité moyenne de chaque période. Pour faciliter la comparaison des zones d’étude entre elles, cet écart moyen a été normalisé par la valeur du plus grand écart observé (défini comme base 100). Chaque UC a ainsi été qualifiée par le pourcentage que représente son écart moyen à la densité moyenne par période par rapport à l’écart maximal observé.
50Il apparaît que ce mode de calcul présente un biais : il repose sur le calcul de la moyenne des écarts bruts à la densité moyenne de mobilier de chaque période, c’est-à-dire sur des valeurs brutes difficilement comparables entre elles. En effet, ces valeurs brutes sont potentiellement plus élevées pour les périodes où la quantité de mobilier est plus importante et potentiellement plus faibles pour les périodes où cette quantité est moins importante.
51Une nouvelle méthode de calcul de cet indice d’intensité a donc été mise au point dans le cadre d’Archaedyn. La normalisation des valeurs brutes y intervient plus tôt, au niveau de chaque période chronologique. Les écarts de densité des UC avec la densité moyenne sont normalisés par le plus grand écart observé pour chaque phase chronologique. Ce sont ces écarts normalisés dont on calcule ensuite la moyenne, donc sur la base de valeurs tout à fait comparables entre elles. Le résultat correspond au pourcentage moyen du plus grand écart observé à la densité moyenne par période.
52Un test réalisé sur les données de la Vaunage montre que les deux méthodes de calcul aboutissent à des résultats similaires en termes de hiérarchisation des unités de collecte avec des différences minimes, mais intéressantes : cela conduit à faire remonter dans la hiérarchie des UC pour lesquelles les valeurs de densités étaient faibles à moyennes pour l’Antiquité et tout à fait correctes pour l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge, mais dont la mise en valeur significative avait été noyée dans la globalisation des valeurs brutes.
Estimer la durabilité de la mise en valeur agricole (fig. 4)
Figure 4. Comparaisons microrégionales des indices de durabilité

53Après l’examen, période par période, de l’évolution de l’emprise et de la densité du mobilier hors site, une interrogation essentielle portait sur une estimation synthétique de la durabilité de la mise en valeur agraire, au sein de chaque unité de collecte d’abord, puis au sein de chaque zone atelier. Il s’agissait de pouvoir identifier les zones ayant fait l’objet d’un amendement ancien mais éphémère, les zones ayant fait l’objet d’un amendement ancien et régulier jusqu’à la période moderne (une forme d’enracinement du finage) et les zones n’ayant fait l’objet que d’une mise en valeur récente et/ou irrégulière. En bref, nous souhaitions pouvoir estimer la régularité de la mise en valeur des terroirs dans la longue durée.
54Nous avons donc imaginé, pour chaque UC, un indice de durabilité (Poirier et Tolle, 2008) : « occ/total x 1-rupt/occ », où « occ » désigne le nombre de phases occupées (ayant livré au moins un tesson hors site), « rupt » le nombre de ruptures dans l’occupation (phases sans aucun tesson hors site succédant à une phase occupée) et « total » désigne le nombre total de phases prises en compte. Le calcul de la moyenne de cet indice au sein de chaque ZA permet de les hiérarchiser en fonction de ce critère.
55Le massif des Maures et la vallée de la Choisille, en Touraine, apparaissent comme les deux zones atelier présentant l’indice de durabilité moyen le plus faible (0,25). On trouve ensuite les ZA Berry_Sancergues et la Vaunage avec des indices de durabilité moyens (respectivement 0,6 et 0,47) alors que la ZA Touraine_Neuvy-le-Roi se détache nettement avec un indice de durabilité moyen de 0,66.
56La distribution précise des valeurs prises par l’indice de durabilité apporte des informations complémentaires. La ZA Berry_Sancergues est effectivement représentée par une majorité d’UC présentant un faible indice de durabilité, même si les autres classes ne sont pas absentes avec environ 10 % d’UC chacune. La vallée de la Choisille montre une distribution bien plus tranchée avec plus de 60 % d’UC présentant un indice inférieur à 0,2, moins de 1 % des UC présentant un indice compris entre 0,6 et 0,8, et aucune supérieure à 0,8. La répartition est très tranchée également dans le massif des Maures dont les UC se répartissent sur les deux premières classes de durabilité. En revanche, la distribution est mieux partagée dans la ZA Touraine_Neuvy-le-Roi où une majorité d’UC présente les valeurs les plus fortes sans que les autres classes ne soient totalement délaissées, présentant jusqu’à 17 % des UC pour la classe 0,4-0,6. La Vaunage enfin montre un pic de représentation sur la classe 0,4-0,6 et dans une moindre mesure sur la classe 0,6-0,8.
Mesurer les dynamiques spatiales : barycentres des finages amendés
Figure 5. Exemple d’analyse spatiale des barycentres (Touraine_Neuvy-le-Roi)

57Il est également utile de mesurer les dynamiques spatiales qui animent les zones amendées dans la longue durée. En effet, les variations d’emprise et d’intensité déjà étudiées peuvent aussi être couplées à des variations dans la localisation géographique des principaux espaces mis en valeur. Pour mesurer cette mobilité, nous avons choisi de calculer, pour chaque phase chronologique, le centre de gravité des unités de collecte (c’est-à-dire la moyenne des coordonnées géographiques), pondéré à chaque pas de temps par la densité de mobilier hors site qui y a été collecté (fig. 5). Ainsi, en fonction des zones qui peuvent être nouvellement mises en valeur et de celles qui peuvent être délaissées par rapport aux phases chronologiques précédentes, le barycentre des épandages n’est jamais situé exactement au même endroit d’une phase à l’autre. On peut donc mesurer l’ampleur de ses déplacements et interpréter leur direction. Dans le cas de la zone atelier Berry-Sancergues par exemple, qui montre une opposition est/ouest bien marquée dans la géologie et les typologies de sols, le déplacement régulier du barycentre des épandages de l’ouest vers l’est illustre la mise en valeur progressive de sols plus difficiles à cultiver.
58On calcule ensuite la distance en ligne droite séparant les barycentres de deux périodes consécutives. Pour comparer la mobilité des épandages d’une zone d’étude à l’autre, et pallier les différences de taille de celles-ci, ces distances sont normalisées par la plus grande distance possible au sein de la zone d’étude, à savoir la diagonale du rectangle permettant d’inclure toutes les unités de collecte. On obtient ainsi, pour chaque transition, une valeur en pourcentage comparable d’une zone à l’autre (fig. 6).
Figure 6. Variations microrégionales des barycentres

59La confrontation des dynamiques spatiales des espaces amendés des différentes zones d’étude sur le même graphique livre les résultats suivants.
60On constate des déplacements moyens assez faibles sur l’ensemble de la chronologie envisagée à Neuvy-le-Roi, en Vaunage et à Sancergues (5 à 7 %), et des déplacements moyens beaucoup plus élevés dans la vallée de la Choisille ou dans les Maures. Toutefois, ces différences tiennent sans doute aussi à la morphologie de ces zones d’études et à la répartition des unités de collecte du mobilier hors site en leur sein. En effet, les unités de collecte de la vallée de la Choisille sont réparties en trois secteurs assez espacés les uns des autres, ce qui a pu conduire à augmenter artificiellement la valeur des déplacements du barycentre des épandages. Il en va de même dans le massif des Maures, où la zone d’étude est très étendue selon un axe nord-sud.
61Dans le détail, on constate à Neuvy-le-Roi une forme de stabilisation progressive des zones amendées, comme l’illustre la diminution régulière de la distance séparant les différents barycentres (de près de 8 % entre la Protohistoire et le Haut-Empire à environ 2 % entre haut et bas Moyen Âge). Au contraire, à Sancergues, les zones amendées montrent une alternance de stabilité et de mouvement : stabilité entre la Protohistoire et la période romaine (4 %) ou entre haut et bas Moyen Âge (2 %), mais mouvements plus importants entre Haut- et Bas-Empire (10 %) ou entre bas Moyen Âge et période moderne (11 %).
Quel lien entre établissements et épandages ?
62Un volet important de l’étude porte sur l’examen des relations spatiales entre établissements et épandages. En effet, on lit souvent dans la littérature que les épandages de fumures étaient nécessairement concentrés à proximité des établissements sources, dans la mesure où il s’agit de matières pondéreuses nécessitant des moyens de transport et une force de travail importante pour son acheminement et son épandage. Constatant empiriquement l’inégale vérification de cette hypothèse, nous avons souhaité la tester de manière quantitative. Il s’agit donc concrètement de mesurer le degré de polarisation des épandages agraires par les établissements qui en sont potentiellement la source.
63Pour cela, nous postulons une forme de continuité spatiale des épandages agraires (dont témoignent d’ailleurs les tests d’autocorrélation spatiale effectués). Nous avons donc transformé le semis des points constitués par les centroïdes des unités de collecte de mobilier hors site en couvertures raster par interpolation (Krigeage simple), au sein du logiciel ArcGis.
64Nous avons ensuite défini des buffers de 500 mètres de rayon autour de chacun des établissements et calculé la quantité moyenne de mobilier hors site contemporain de l’occupation de l’établissement contenue dans ces disques de voisinage (calcul du pourcentage de l’écart maximal à la densité moyenne de mobilier pour la période) [fig. 7].
Figure 7. Exemple d’interpolation avec buffer (Touraine_Neuvy-le-Roi, phase 4)

65Ces valeurs moyennes obtenues pour chaque période peuvent ensuite être confrontées sur un même graphique illustrant l’évolution de la polarisation des épandages par les établissements pour chaque zone d’étude. Cette information est utile pour estimer la place occupée par les établissements dans la gestion de l’espace agraire, et les possibilités de mises en culture éloignées des centres d’exploitation.
66On interprétera donc l’augmentation de la polarisation comme une intensification des activités agraires à proximité de l’habitat, et les diminutions de la polarisation comme de possibles phases d’extension des espaces cultivés sur des espaces éloignés des cœurs de finages habituels.
67En Berry_Sancergues, la polarisation des épandages par les habitats augmente entre la Protohistoire et la période romaine, puis diminue au cours de l’Antiquité tardive. Elle remonte ensuite au haut Moyen Âge et au Moyen Âge central avant de se stabiliser à la période moderne (fig. 8).
Figure 8. Polarisation des épandages par les habitats (Berry_Sancergues)

68En Touraine_Neuvy-le-Roi, la polarisation augmente entre la Protohistoire et la période romaine, avant de diminuer durant l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge. Elle remonte ensuite au Moyen Âge central avant de diminuer à nouveau à la période moderne (fig. 9).
Figure 9. Polarisation des épandages par les habitats (Touraine_Neuvy-le-Roi)

69En Vaunage, la polarisation des épandages est plus forte à la Protohistoire que pendant le Haut-Empire. Elle augmente ensuite pendant l’Antiquité tardive avant de redescendre au haut Moyen Âge et se stabiliser au Moyen Âge central (fig. 10).
Figure 10. Polarisation des épandages par les habitats (Languedoc_Vaunage)

Confrontation aux paramètres socioenvironnementaux
70On a cherché enfin à déterminer les facteurs permettant d’expliquer la variabilité des valeurs prises par les indicateurs de durabilité et d’intensité de l’occupation du sol en comparant leur distribution à d’autres variables socioenvironnementales au sein d’une analyse factorielle.
71Il ne s’agissait pas d’expliquer à tout prix les variations observées par une forme de déterminisme environnemental, mais plutôt d’estimer le poids des contraintes éventuelles (en termes de pentes, de qualité des sols ou d’ensoleillement) de manière à mettre en lumière les adaptations locales développées par les sociétés anciennes.
72Cette étude n’a pu être réalisée que sur trois zones ateliers (Touraine_Neuvy-le-Roi, Touraine_Choisille et Berry_Sancergues) qui bénéficiaient de l’ensemble des données disponibles pour la réaliser, en particulier pour ce qui concerne la qualité des sols.
73Chaque unité de collecte de mobilier hors site a donc été décrite selon plusieurs paramètres géographiques et archéologiques, grâce au SIG. La discrétisation des valeurs obtenues en différentes classes a été réalisée dans l’objectif d’obtenir des classes d’effectifs égaux, de manière à accorder un poids statistique similaire à chacune des modalités de chaque variable. En effet, le test d’une discrétisation selon des seuils naturels, qui permet la définition de classes homogènes en leur sein et très différenciées les unes des autres (méthode qui minimise la variance intraclasse et maximise la variance interclasses) a conduit à la définition de modalités trop peu représentées en termes d’effectifs.
74De même, tous les critères descriptifs initialement envisagés n’ont pas été retenus dans l’analyse finale. Les analyses intermédiaires réalisées ont montré qu’un certain nombre étaient redondants les uns avec les autres, ou inutiles. Le critère de distance des unités de collecte au cours d’eau le plus proche a par exemple été abandonné. Déjà mise en doute pour l’analyse de l’implantation des habitats (qui peuvent être équipés dès l’Antiquité de puits et/ou de citernes), l’étude de cette proximité ne semble pas non plus être justifiée pour les espaces cultivés. La prise en compte de cette variable supposerait l’existence d’ouvrages importants d’irrigation qui ne sont pas du tout attestés dans les régions analysées. De plus, cette variable est importante pour ce qu’elle implique dans les caractéristiques pédologiques, déjà envisagées par ailleurs (hydromorphie, texture). L’intégration de cette variable semble enfin biaiser la classification, du fait même de la configuration des zones d’étude : par exemple, la zone atelier Touraine_Choisille, dont le programme de prospection a été développé pour l’étude de l’occupation du sol et de ses conséquences sur l’érosion et l’accumulation de sédiments au sein d’un bassin-versant, a délibérément été implantée au plus près du cours d’eau étudié, ce qui explique que, mécaniquement, la plupart des UC de cette zone se situent très près des cours d’eau, indépendamment de leurs autres caractéristiques socioenvironnementales.
75La prise en compte conjointe de l’exposition des versants et de l’ensoleillement, d’abord envisagée, est sans doute redondante. D’ailleurs, l’information recherchée dans l’étude de la répartition des UC par rapport à l’exposition des versants est bien celle que fournit l’ensoleillement moyen, en matière de confort, d’abri des vents dominants, et plus généralement de climat local.
76Enfin, il a été constaté au fil des analyses réalisées que la prise en compte simultanée des trois estimateurs « archéologiques » (durée, stabilité et durabilité) est redondante. On ne retiendra donc que les critères synthétiques de « durabilité » et d’« intensité » dans l’analyse finalement réalisée.
77L’intensité des pentes a d’abord été calculée, pour chaque unité de collecte (UC) de chaque zone atelier, sous la forme d’un pourcentage moyen de déclivité (en %). Ce critère peut être considéré comme influant sur l’attractivité ou la répulsivité de certains espaces dans le cadre d’une activité agricole dans la mesure où des pentes trop fortes nécessitent des efforts importants pour la conduite des cultures et favorisent le lessivage des sols. Ces déclivités moyennes ont ensuite été réparties, pour l’ensemble du corpus, en trois classes distinguant les déclivités faibles, moyennes et fortes :
- PENTE1 : [0 à 0,984 %] : 187 UC ;
- PENTE2 : [0,984 à 1,789 %] : 188 UC ;
- PENTE3 : [1,789 à 5,63 %] : 188 UC.
78L’ensoleillement moyen perçu sur une année par chaque unité de collecte a été calculé (en watt-heure/m²). La quantité d’énergie solaire (lumineuse et calorique) reçue en divers points d’un espace peut être considérée comme jouant un rôle dans la croissance des plantes cultivées. C’est pourquoi il est utile de confronter le degré d’investissement des sociétés anciennes en matière agraire avec la variabilité de l’ensoleillement. Pour cela, nous avons utilisé le module d’ArcGis permettant de dériver une valeur de radiation solaire en différents points des surfaces étudiées en se fondant sur le modelé du terrain (MNT). En effet, à l’échelle du paysage, la topographie est un facteur important qui détermine la variabilité spatiale de l’ensoleillement. Les variations d’altitude, d’orientation, et les ombres portées par des éléments topographiques ont une incidence sur la quantité d’ensoleillement reçue à différents endroits. Cette variabilité change aussi avec l’heure du jour et le moment de l’année, et contribue à la variabilité du microclimat. Les valeurs observées sur l’ensemble des zones ateliers ont été réparties en trois classes :
- SOLAR1 : [1032430 à 1085260 Wh/m²] : 187 UC ;
- SOLAR2 : [1085270 à 1099280 Wh/m²] : 188 UC ;
- SOLAR3 : [1099290 à 1139730 Wh/m²] : 188 UC.
79La qualité des sols a été jugée plutôt favorable ou plutôt défavorable à l’agriculture ancienne non mécanisée en se fondant sur les typologies de sols élaborées dans les différentes régions étudiées. Pour chaque unité de collecte, le type de sol majoritaire présent dans son emprise a été calculé sous SIG.
80En Touraine, on rencontre huit types de sols dans l’emprise des zones prospectées, d’après la typologie réalisée par la chambre d’agriculture d’Indre-et-Loire7 :
- Classe 1 : la classe 1 correspond aux tourbes et nappes. Elle regroupe les marais, tourbières et sols à nappe perchée, caractérisés par une saturation en eau, les sols alluviaux lourds à nappe permanente profonde, également caractérisés par une très forte hydromorphie. Leur vocation herbagère est très bien affirmée puisque les prairies sont toujours vertes en été.
- Classe 2 : la classe 2 présente des sols superficiels, calcaires ou non, avec présence de gros blocs de pierre. Leur potentiel agricole est faible ; ils constituent, au mieux, des terrains de parcours.
- Classe 3 : la classe 3 rassemble les sols hydromorphes, tous les sols argileux non calcimagnésiques, ou vertiques. Ces sols, que les savoir-faire d’aujourd’hui ont déjà beaucoup de difficulté à mettre en valeur, étaient sans doute impossibles à exploiter dans le cadre d’une agriculture traditionnelle.
- Classe 5 : la classe 5 correspond aux sols calcimagnésiques. Leur richesse agronomique et leur productivité, en font de très bons sols, résistants à l’érosion latérale et géochimique.
- Classe 6 : la classe 6 regroupe les sols calcaires lourds. Leur lourdeur les rend difficilement accessibles à l’exploitation. Une certaine hydromorphie peut s’y ajouter.
- Classe 8 : la classe 8 correspond aux sols limoneux classiques. Ces sols sont légers, assez faciles à travailler et assez productifs, avec de bonnes capacités agronomiques. Ils sont cependant hydromorphes et opposent quelques difficultés de mise en œuvre, dans la mesure où ils nécessitent des travaux d’assainissement.
- Classe 9 : la classe 9 désigne les argiles à silex et les sols de pente. Ce sont les profils les moins stables dans le temps. Les érosions successives, voire permanentes pour certains milieux, peuvent être rapides.
- Classe 12 : la classe 12 regroupe enfin les sols anthropisés actuellement, à savoir les surfaces trop perturbées (jardins), ou détournées de leur fonction première (carrières, remblais…) ou tout simplement construites.
81En Berry, quatre types de sols différents sont représentés au sein des unités de collecte de la zone atelier Berry_Sancergues, d’après le classement réalisé dans le cadre du projet collectif de recherche sur le Berry ancien (Batardy, Buchsenschutz et Dumasy, 2001) :
- Le type 2 correspond aux sols alluviaux et colluviaux. On considère en effet que ces secteurs subissent de constantes modifications du fait d’apports sédimentaires récurrents et que, de ce fait, il n’est pas possible d’évaluer leurs potentialités agricoles. Il faut noter simplement que ces zones présentent habituellement des sols assez riches plutôt favorables à l’agriculture. La diversité est toutefois grande et l’on peut trouver dans l’emprise de ces zones des sols très favorables (limons d’inondation) comme des sols très défavorables (du fait de leur hydromorphie par exemple).
- Le type 9 correspond aux sols limoneux et sablo-limoneux. Ce sont des sols carbonatés, des sols bruns et des sols lessivés bénéficiant d’un drainage correct. Ils présentent une texture légère mais une structure fragile, avec une tendance à la compaction et à la battance. Ils peuvent également être acides, ce qui les rend peu favorables à l’agriculture.
- Les sols de type 10 sont argileux. Ces sols sont sains, sans contrainte majeure, si ce n’est une texture un peu lourde qui rend le travail plus difficile. Ils peuvent être pénalisés sur le plateau calcaire de Champagne berrichonne par la présence d’importants fragments de calcaire et par la faible profondeur du profil qui peut entraîner un déficit hydrique en été. Ils sont plutôt favorables aux cultures mais peuvent aussi constituer d’excellents terrains de parcours.
- Le type 11 regroupe les sols limono-argileux et limono-argilo-sableux. Sans contrainte, ces sols sont décrits comme étant très favorables à l’agriculture. Ils pourront être préférés aux sols de la classe 10, un peu lourds à travailler sans moyens mécaniques.
82Les différents types de sols des deux régions concernées ont finalement été reclassés en deux modalités :
- SOLA : plutôt défavorables, pénalisés par leur hydromorphie, pierrosité, structure lourde ou acidité (231 UC) ;
- SOLB : plutôt favorables (légers et/ou riches) [326 UC].
83La densité du tissu de peuplement alentour a également été mesurée. Pour chaque unité de collecte, le nombre d’établissements présents dans un rayon de 500 mètres alentour, toute période confondue, a été calculé sous SIG. Il s’agit ainsi de mesurer le rôle du tissu de peuplement dans la durabilité et l’intensité de la mise en valeur du sol :
- ETAB1 : aucun établissement alentour (191 UC) ;
- ETAB2 : un à deux établissements (185 UC) ;
- ETAB3 : plus de trois établissements (187 UC).
84Tous ces critères, associés aux indicateurs de durabilité et d’intensité des épandages, ont été combinés dans une analyse factorielle (fig. 11) réalisée grâce au logiciel XLStats.
Figure 11. Analyse factorielle

85L’axe 1 est clairement structuré par les variables d’intensité, d’ensoleillement, et dans une moindre mesure par l’indicateur de peuplement alentour. La partie droite du plan factoriel regroupe les modalités les plus faibles des variables durabilité, intensité, ensoleillement et peuplement alentour, tandis que la moitié gauche en regroupe les modalités les plus fortes, dont l’association est ainsi mise en évidence. Les qualités différentes de sols sont dans des cadrans opposés du plan factoriel.
86La classification ascendante hiérarchique (CAH) opérée à la suite de cette analyse factorielle permet donc, dans les grandes lignes, de regrouper les unités de collecte présentant des valeurs d’intensité et durabilité faibles associées à des conditions socioenvironnementales défavorables (pentes fortes, faible ensoleillement, sols défavorables et peuplement alentour peu développé) dans les classes 2 et 3. Les unités de collecte présentant les plus fortes valeurs d’intensité et de durabilité associées à des paramètres socioenvironnementaux plutôt favorables sont regroupées dans la classe 5.
87Mais on trouve également, en classe 4 par exemple, des zones où la durabilité est parfois forte, malgré des paramètres socioenvironnementaux très moyens. À l’inverse, la classe 1 regroupe des zones d’épandage dont la durabilité et l’intensité de mise en valeur sont moyennes malgré de bonnes conditions socioenvironnementales. Ceci constitue donc une remise en cause du simple déterminisme géographique (fig. 12).
Figure 12. Classification ascendante hiérarchique des unités de collecte du mobilier hors site
Classe | Classe 1 | Classe 2 | Classe 3 | Classe 4 | Classe 5 |
Effectif | 22,7 % | 29,5 % | 11,5 % | 17,1 % | 19,2 % |
Description | Durabilité et intensité moyennes, sur des pentes et des qualités de sols indifférentes, bénéficiant d’un bon ensoleillement et d’un bon tissu de peuplement alentour | Durabilité moyenne et intensité faible, sur des pentes plutôt fortes et faiblement ensoleillées, présentant des sols plutôt défavorables et un faible réseau de peuplement alentour | Durabilité et intensité faibles, pentes faibles à moyennes, moyennement ensoleillées, bénéficiant de sols plutôt favorables et d’un tissu de peuplement indifférent | Durabilité moyenne à forte mais intensité indifférente, sur des pentes moyennes, moyennement ensoleillées, bénéficiant de sols favorables et d’un tissu de peuplement moyen | Intensité et durabilité maximales, sur des pentes indifférentes, un ensoleillement plutôt bon, des sols généralement favorables et un bon tissu de peuplement |
Quel apport à la connaissance des dynamiques d’occupation du sol ?
La place de la période romaine dans la trajectoire des espaces exploités
88L’emprise spatiale de l’occupation du sol gallo-romaine apparaît nettement et partout, mais selon des modalités différentes : elle peut s’inscrire dans la continuité d’une occupation agraire déjà bien implantée à la Protohistoire (comme en Vaunage), constituer le démarrage d’une mise en valeur très discrète jusqu’alors (comme en Berry ou en Touraine), ou encore un unique événement sans grand lendemain (massif des Maures).
Une « déprise » de l’Antiquité tardive ?
89Le poncif de la déprise généralisée de l’Antiquité tardive, déjà fortement nuancé à la suite des travaux d’Archaeomedes qui avaient mis en évidence une concentration de l’habitat (c’est-à-dire un probable regroupement de population sur des sites moins nombreux mais plus grands), peut à nouveau être discuté sur la base des observations de l’espace agraire (Van der Leeuw, Favory et Fiches, 2003). Comme on l’a déjà noté, cette déprise est réelle partout, mais dans des proportions très variables : l’espace amendé reste globalement stable dans les régions méridionales (même si la densité de mobilier décroît fortement) et, s’il diminue plus nettement ailleurs, les finages ne sont pas désertés pour autant ; l’espace amendé représente encore entre 20 et 60 % des surfaces prospectées (sauf dans le massif des Maures ou dans la vallée de la Choisille).
Une croissance agricole au haut Moyen Âge ?
90Cette étude permet également de documenter la question débattue de l’existence et des modalités d’une certaine forme de croissance agricole au haut Moyen Âge (Devroey, 2008). Les différentes lectures et relectures des cartulaires et polyptyques carolingiens avaient cristallisé le débat dans les années 1980 (Centre culturel de l'abbaye de Flaran, 1990). Si les données de l’archéologie préventive fournissent aujourd’hui ponctuellement des informations sur cette question – en mettant au jour des aires d’ensilage de denrées agricoles (Carme et Henry, 2010), des parcellaires organisés et des établissements agricoles nombreux (Faure-Boucharlat, 2001 ; Gentili, Lefèvre et Mahé, 2003 ; Peytremann, 2003 ; Carré, 2011) –, l’estimation de la surface occupée par les espaces cultivés constitue une information de choix pour évaluer cette croissance. Elle est très nette en Touraine et en Berry, où la progression des surfaces amendées est spectaculaire ; elle est beaucoup plus difficile à mettre en évidence dans les contextes méridionaux.
Dépasser les contraintes environnementales pour accroître l’espace amendé
91Cette étude démontre enfin la capacité des sociétés anciennes à dépasser certaines contraintes géographiques. Si l’accroissement des espaces cultivés est fait d’emprises et de déprises successives, il est évident sur la longue durée. Les besoins de production des denrées agricoles ont conduit les sociétés successives à intégrer dans leurs espaces cultivés des contextes géographiques a priori défavorables : des pentes fortes ou peu ensoleillées, des sols lourds ou acides, des espaces de marges éloignés des lieux habités. Cette intégration a dû s’accompagner de progrès technologiques et d’efforts supplémentaires en matière d’amendement des sols, dont témoigne l’augmentation des densités de mobilier d’épandage à la période moderne par exemple.
92Cette approche permet donc de restituer les « trajectoires » de mise en valeur de l’espace rural, dans la longue durée, par les sociétés anciennes. L’interprétation doit bien sûr en rester prudente, compte tenu des limites liées à la présence ou non de mobilier hors site. L’absence de ce mobilier ne signifie pas forcément absence d’exploitation, et les résultats obtenus ne constituent qu’une estimation minimale des espaces mis en culture, les seuls amendés et fumés, probablement ceux les plus intensément cultivés. Toutefois, le suivi de ces espaces privilégiés a permis de lire les pulsations de cet espace agraire intensif en termes d’emprises, déprises et reprises et ainsi d’aborder les rythmes économiques qui ont animé ces espaces au cours du temps. L’approche comparative permet, non pas de remettre en cause en bloc les modèles macroéconomiques existants, mais d’en observer les modulations locales en descendant à l’échelle microrégionale et en variant les contextes d’observation.
Notes de bas de page
1 Voir Poirot, 1998.
2 Voir Poirier, 2007 et 2010.
3 Voir Poirier et al., 2013.
4 Voir Van der Leeuw, Favory et Fiches, 2003, p. 172‑174.
5 Voir Van der Leeuw, Favory et Fiches, 2003, p. 175‑176 ; Raynaud, 1989.
6 Voir Bertoncello et Gazenbeek, 1997 ; Bertoncello, 2005.
7 © Chambre d’agriculture 37 – INRA, Unité INFOSOL, Orléans 2004.
Auteurs
Conservatrice générale du patrimoine, actuellement inspectrice des patrimoines à la délégation, à l’inspection, à la recherche et à l’innovation (ministère de la Culture) et membre de l’UMR 6249 Chrono-environnement, CNRS-université de Franche-Comté (Besançon).
Chargé de recherche CNRS à l'UMR 5608 TRACES, CNRS-université Toulouse 2 Jean Jaurès (Toulouse).
Chef de projet « Forêt d'exception-Massif de Foutainebleau », archéologue à l'Office national des forêts et membre de l'UMR 7041 ArScAn, CNRS-universités Paris 1 Panthéon Sorbonne et Paris Nanterre.
Ingénieur INRAP, Lorraine.
Professeur honoraire d’histoire ancienne et archéologie gallo-romaine, UMR 6249 Chrono-environnement et UAR 3124 Maison des sciences de l‘homme et de l’environnement, CNRS-université de Franche-Comté (Besançon).
Ingénieure d'étude CNRS en géomatique à la MSH Clermont-Ferrand (UAR 3550).
Médiateur scientifique, association Les Petits Débrouillards Nouvelle-Aquitaine Sud (Bordeaux).
Professeur en archéologie à l'UMR 6298 ArTeHis, CNRS-université de Bourgogne (Dijon).
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Étude interdisciplinaire et comparative des délimitations territoriales entre la France et la Suisse, entre la Bourgogne et la Franche-Comté (xive-xxie siècle)
Benjamin Castets Fontaine, Maxime Kaci, Jérôme Loiseau et al. (dir.)
2019
Un mousquetaire du journalisme : Alexandre Dumas
Sarah Mombert et Corinne Saminadayar-Perrin (dir.)
2019
Libertaire ! Essais sur l’écriture, la pensée et la vie de Joseph Déjacque (1821-1865)
Thomas Bouchet et Patrick Samzun (dir.)
2019
Les encyclopédismes en France à l'ère des révolutions (1789-1850)
Vincent Bourdeau, Jean-Luc Chappey et Julien Vincent (dir.)
2020
Le patrimoine industriel au prisme de nouveaux défis
Usages économiques et enjeux environnementaux
Marina Gasnier
2018
La petite entreprise au péril de la famille ?
L’exemple de l’Arc jurassien franco-suisse
Laurent Amiotte-Suchet, Yvan Droz et Fenneke Reysoo
2017
Une imagination républicaine, François-Vincent Raspail (1794-1878)
Jonathan Barbier et Ludovic Frobert (dir.)
2017