Introduction*
p. 31-32
Texte intégral
1On assiste depuis une trentaine d’années à un élargissement constant des champs de l’archéologie, d’abord centrée sur l’exploration des points de peuplement jusqu’à l’intérêt aujourd’hui manifesté pour l’histoire de portions d’espace, qu’elles aient été porteuses de sites, de parcellaires, d’activités artisanales ou agraires. Cet élargissement a rencontré les préoccupations liées aux transformations du paysage sous l’action conjuguée du climat et des sociétés anciennes. À cet égard, historiens et archéologues ruralistes, en étudiant les paysages actuels, contribuent à une forme de prospective : en analysant les processus de transformation dans la longue durée, la prévision de l’impact des aménagements actuels sur les paysages futurs devient possible. En effet, on peut considérer le paysage actuel comme un produit hérité de la succession des activités humaines et fruit de leurs aménagements. Depuis les années 1950, les historiens et archéologues du paysage ont montré que les agencements anciens de l’espace n’étaient pas tous systématiquement oubliés ou gommés, mais qu’ils pouvaient dans certains cas largement déterminer, orienter, rythmer les paysages postérieurs, y compris actuellement (Chouquer, 1997, p. 15).
2L’enjeu est aujourd’hui d’estimer l’emprise des activités humaines anciennes sur le milieu et leur conséquence sur l’environnement (Leveau, 2000). Cette estimation serait enrichie si l’on parvenait à mesurer, dans la longue durée, les variations enregistrées par les espaces effectivement cultivés et mis en valeur par les sociétés anciennes. En effet, de manière complémentaire à la connaissance fine des réseaux de peuplement et de leurs dynamiques (Archaeomedes), l’observation des phases d’emprise et de déprise des espaces cultivés fournirait des indications sur les besoins et les conditions de production des denrées agricoles. Cette information serait utile pour documenter la vitalité économique des espaces étudiés.
3Nous nous plaçons donc dans la filiation d’une archéologie agraire (Guilaine, 1991) dont le développement en France n’est sans doute pas antérieur aux années 1990 et accompagne l’essor d’une véritable archéologie préventive. En effet, les décapages de grandes surfaces, « au hasard » des aménagements des territoires, ont conduit à la fréquente mise au jour de traces agraires, de fossés, de réseaux viaires dont l’interprétation a nécessité une réflexion épistémologique sur la distinction même entre « site » et « hors site » (Boissinot, 2000). En donnant accès à des éléments de datation, souvent ténus mais toujours informatifs, l’archéologie préventive a permis d’ordonner dans le temps et dans l’espace l’ensemble de ces vestiges ingrats qui n’avaient été jusqu’alors envisagés que par photographie aérienne, apparaissant comme une compilation d’aménagements de toutes époques sans logique apparente, sinon celle d’un palimpseste (Chevallier, 1976). Cette métaphore a été employée à juste titre quand la matérialité des structures révélées en photo-interprétation désignait des formes parcellaires anciennes, scellées par la sédimentation, ce qui n’exclut ni la durée potentielle de leur existence passée, ni leur transformation dans le passé avant leur scellement. C’est une notion popularisée à l’époque où la photo-interprétation des missions IGN et de la photographie aérienne oblique a produit de grandes quantités d’informations sur des paysages et des structures archéologiques fossiles enfouis sous les sédiments. En revanche, quand ce sont des formes observables dans le paysage contemporain, dans le réseau viaire et dans la morphologie agraire, le mot « palimpseste » n’est plus adapté et c’est le lexique créé par Gérard Chouquer et ses disciples qui fait autorité, comme le concept de « transformission » qui rend compte de la transmission des formes en se transformant, un processus dynamique qui explique la résilience des formes d’organisation paysagères anciennes (Chouquer, 2007a ; Noizet, 2014). On peut affirmer que le lidar1 a apporté une autre dimension dans la révélation des formes archéologiques fossilisées à la surface du sol, même sous forme d’anomalies centimétriques. Les révélations observées par le lidar dans le Finage dolois sur les champs surélevés montrent à la fois, pour les mêmes types de réseaux, des microreliefs en réseaux fossilisés sous forêt et des formes visibles en microreliefs et en palimpseste (photo-interprétation de clichés IGN) en milieu découvert (Favory et al., 2017, p. 849‑862).
4Les objectifs du projet étaient donc d’évaluer et de mesurer comment se constituent et évoluent les territoires en considérant les activités de production agropastorale. Il s’agissait de modéliser l’évolution de l’espace et son taux d’anthropisation : modalités de la conquête agraire de l’espace, croissance et décroissance, voire abandon de certains espaces.
5À cette fin, deux types d’objets ont été mobilisés : les vestiges d’épandages agraires collectés en prospection pédestre et les structures agraires et parcellaires anciennes fossilisées sous les couverts forestiers actuels et en partie cartographiées grâce à des levés lidar2.
6Les parcellaires fossiles ont été étudiés selon une approche assez nouvelle, pas uniquement morphologique (Chouquer, 1996a, 1996b, 1997 ; Favory, 2012), mais comme les témoins d’une mise en culture des espaces, aujourd’hui forestiers, qu’ils occupent. L’approche a ainsi nécessité la reformalisation de l’information sur des portions de territoire (mailles, surfaces encloses).
7Le programme avait également pour objectif de mettre aux points des indicateurs quantitatifs permettant, pour la première fois, de comparer les dynamiques agraires de zones d’étude situées aussi bien en France septentrionale que méridionale, à partir d’épandages agraires identifiés en prospection pédestre. Ces épandages, observés et enregistrés sur le terrain depuis les années 1980 (Wilkinson, 1982 ; 1989 ; Bintliff et Snodgrass, 1988 ; Bakels, 1997), n’avaient été jusqu’à présent que peu mobilisés dans l’étude des dynamiques territoriales (Poirier et Nuninger, 2012 ; Raynaud, 1989 ; Favory et al., 1994).
Notes de bas de page
1 Cette méthode de télédétection, de plus en plus utilisée en archéologie, sert à réaliser des levés topographiques en trois dimensions très précis sur de grandes surfaces (Georges-Leroy, Nuninger et Opitz, 2014). Elle est particulièrement efficace sous couvert forestier pour détecter les microreliefs.
2 Un des séminaires de travail a porté sur la modélisation et la formalisation des études de l’atelier 1.
Notes de fin
* Nous remercions les experts du comité de pilotage pour leurs nombreuses remarques et suggestions, et particulièrement Élisabeth Zadora-Rio qui a suivi plusieurs réunions d’ateliers. Merci aussi à Alexia Fontaine et Jean-Baptiste Litot qui ont réalisé une partie des traitements géomatiques.
Auteurs
Conservatrice générale du patrimoine, actuellement inspectrice des patrimoines à la délégation, à l’inspection, à la recherche et à l’innovation (ministère de la Culture) et membre de l’UMR 6249 Chrono-environnement, CNRS-université de Franche-Comté (Besançon).
Chargé de recherche CNRS à l'UMR 5608 TRACES, CNRS-université Toulouse 2 Jean Jaurès (Toulouse).
Chef de projet « Forêt d'exception-Massif de Foutainebleau », archéologue à l'Office national des forêts et membre de l'UMR 7041 ArScAn, CNRS-universités Paris 1 Panthéon Sorbonne et Paris Nanterre.
Ingénieur INRAP, Lorraine.
Professeur honoraire d’histoire ancienne et archéologie gallo-romaine, UMR 6249 Chrono-environnement et UAR 3124 Maison des sciences de l‘homme et de l’environnement, CNRS-université de Franche-Comté (Besançon).
Ingénieure d'étude CNRS en géomatique à la MSH Clermont-Ferrand (UAR 3550).
Médiateur scientifique, association Les Petits Débrouillards Nouvelle-Aquitaine Sud (Bordeaux).
Professeur en archéologie à l'UMR 6298 ArTeHis, CNRS-université de Bourgogne (Dijon).
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