1. Impact des comportements passés sur les cognitions

1Dès 1964, Festinger suggère qu’un changement comportemental a peu de chance de se produire après une tentative de persuasion. En effet, après une tentative de persuasion réussie, les individus sont amenés à confronter leur nouvelle attitude aux informations provenant de leur environnement. Information que l’on peut qualifier de contrattitudinale car s’opposant, le plus souvent, à cette attitude nouvellement formée.

2Les derniers travaux sur la question formulent des hypothèses sur les relations entre comportement passé et cognitions. L’ensemble expérimental, proposé par Albarracin et ses collaborateurs, montre que les comportements passés exercent un rôle non négligeable sur les cognitions. Albarracin et Wyer (2000) manipulaient, chez leurs sujets, le comportement passé. Ils faisaient croire aux sujets qu’il s’agissait de tester une nouvelle procédure informatisée permettant de mesurer les tendances comportementales « inconscientes ». Le supposé test consistait à présenter, sur un écran, des affirmations subliminales sur le thème de l’université (par exemple : « donner aux étudiants des tickets gratuits pour les rencontres sportives »). On disait aux sujets que ces affirmations subliminales devraient susciter, chez eux, des « sentiments inconscients donnant lieu à une intuition plus consciente ». On leur demandait aussi de donner une indication comportementale selon cette intuition : répondre « oui » ou « non » à chaque affirmation présentée. Chacune de ces réponses était interprétée par le programme informatique comme un vote favorable ou pas envers cette affirmation. Après la présentation de plusieurs affirmations, on donnait à tous les sujets le même feedback sur chacune des affirmations présentées sauf sur celle portant sur l’introduction d’un examen de sélection. On manipulait le comportement passé : on faisait croire à la moitié des sujets qu’elle avait voté pour cet examen et à l’autre moitié qu’elle avait voté contre. Les sujets remplissaient ensuite des échelles d’attitude envers cet examen puis on observait leur comportement ultérieur (voter définitivement pour ou contre cet examen). Il s’agissait, pour Albarracin et Wyer, d’étudier l’influence causale du comportement passé sur les décisions futures et les processus cognitifs qui médiatisent ces décisions. Les principaux résultats montrent que le comportement passé (voter oui ou non lors de la phase de présentation subliminale) peut exercer un impact direct sur les attitudes et intentions. Les sujets utilisent le comportement passé pour prendre des décisions ultérieures (voter à nouveau pour ou contre) s’ils n’ont pas assez de motivation et/ou de capacités pour réfléchir aux conséquences du choix de leur vote. D’autres résultats montrent que le comportement passé ne produit pas d’impact sur les comportements ultérieurs lorsque les individus sont distraits (par le son d’une bande magnétique). Or, on sait que la distraction empêche toute activité cognitive approfondie de l’information. L’impact du comportement passé sur le comportement ultérieur (ou prise de décision ultérieure) serait donc médiatisé, selon Abarracin et Wyer, par une activité cognitive. Reste à connaître sa nature.

3Selon Albarracin et Wyer, le balayage biaisé « biased scanning » rendrait le mieux compte de ce traitement cognitif. Selon le balayage biaisé, les sujets conscients de leur comportement passé entreprennent, en mémoire, une revue sélective et soignée, d’informations justifiant la réalisation et la légitimité de ce comportement. Cette information récupérée en mémoire influencerait l’intention de répéter ce comportement lorsque l’occasion se présente. Les distraire de ce travail, empêcherait le comportement passé d’exercer un impact sur les attitudes et comportements ultérieurs. Le balayage biaisé serait une première explication du lien comportement passé/ cognitions.

4Certains résultats se prêtent aussi à une explication en terme d’auto perception (Bem, 1972). Rappelons que, selon Bem, l’individu connaît ses attitudes en les inférant d’observations de son comportement et/ou des circonstances dans lesquelles il a été amené à le tenir : « quelle doit être mon attitude pour me comporter ainsi dans cette situation là ? » (Bem et McConnel, 1970). Bref, les sujets conscients de leur comportement passé infèrent leur attitude à partir de ce comportement. Cette attitude sert de vecteur dans la réalisation du comportement ultérieur (identique au comportement passé). Une différence fondamentale entre le mécanisme du balayage biaisé et de l’auto perception tient au fait que le premier implique la saillance ou la disponibilité de croyances déjà existantes, le second la création de nouvelles croyances.

5Une autre explication, en terme d’heuristique comportementale n’est pas confirmée par les résultats. Selon l’hypothèse de l’heuristique comportementale, le comportement passé exercerait une influence directe sur le comportement ultérieur indépendamment de l’attitude envers ce comportement. Les sujets utiliseraient leur comportement passé comme une heuristique ou raccourci pour répéter le même comportement. L’attitude n’interviendrait pas. Les résultats obtenus ne montrent pas d’influence directe du comportement passé sur le comportement ultérieur. Mais cela n’est pas vraiment étonnant. D’abord le comportement proposé aux sujets est nouveau (voter pour un examen), ensuite on sait que l’heuristique comportementale fonctionne bien lorsque le comportement à réaliser est routinier et se produit dans un contexte stable (Ouellette et Wood, 1998). Ce qui n’est pas le cas ici.

6Dans une autre expérimentation, Albarracin et McPatt (2001) manipulaient la présentation du message persuasif : soit les sujets lisaient un message de bonne qualité prenant position pour l’introduction d’un examen de sélection, soit on leur faisait croire, hors conscience (même procédure subliminale que précédemment), qu’ils avaient pris position en faveur ou pas de cet examen. Les sujets remplissaient ensuite un questionnaire d’attitude et d’intention de vote lors d’un prochain référendum. Le même questionnaire était utilisé lors de deux sessions différentes espacées de une et deux semaines. Les sujets devaient donner leur avis définitif par l’intermédiaire d’un vote lors du remplissage du dernier questionnaire. Les principaux résultats montrent a) qu’un message persuasif employant une bonne argumentation est plus efficace qu’un message persuasif utilisant une mauvaise argumentation ; b) que les sujets ayant cru voter en faveur de l’examen (comportement passé) expriment des attitudes plus favorables, envers cet examen, que ceux ayant cru voter contre. Par ailleurs, les effets du message persuasif se délitent peu à peu au fil des deux sessions expérimentales alors que les effets du rappel du comportement passé sont stables et persistants1 (cf. Albarracin, Cohen et Kumkale, sous presse).

2. Quand la persuasion "engage" et que l’engagement "persuade"...

7Les derniers modèles sur la persuasion prennent en compte, de plus en plus, le rôle du comportement passé dans la dynamique persuasive. Ainsi, Albarracin (2002) suggère qu’une tentative de persuasion réussie a d’autant plus de chance de maintenir un changement comportemental qu’elle associe étroitement le comportement à réaliser. Par la suite, les individus peuvent se souvenir à la fois des arguments contenus dans le message persuasif et du (ou des) comportement(s) réalisé(s) dans la foulée. Quelques résultats expérimentaux vont dans ce sens. Ainsi, Zanna, Fazio et Ross (1994) ont pu montrer que les stratégies comportementales employées conduisent, le plus souvent, à une plus grande maintenance du changement d’attitude que les stratégies classiques de persuasion. Des sujets exposés à un message à visée persuasive devaient, avant d’exprimer leur attitude finale, soit se souvenir des comportements passés réalisés allant dans le sens de ce message, soit exprimer directement leur attitude. Les résultats montrent les plus forts effets de changement et de maintenance de l’attitude nouvelle lorsqu’ils sont amenés à se souvenir de ces comportements passés.

2.1 Conséquences du rappel des comportements passés après une tentative de persuasion réussie

8Selon Ross, McFarland et Fletcher (1981), les attitudes nouvellement acquises seraient en mesure d’influencer le rappel des comportements passés. Pour les besoins de cette expérience, deux truismes (croyances largement répandues, jamais remises en cause et donc facilement vulnérables) étaient utilisés (« il est important de se brosser les dents après chaque repas » et « il est important de prendre une douche ou un bain au moins une fois par jour »). La moitié des sujets lisaient un message, soit favorable, soit défavorable (par exemple : « le dentifrice érode la dent, les gencives et l’émail sont attaqués... ») envers le brossage des dents. L’autre moitié lisait un message, soit favorable, soit défavorable envers la prise de bain (par exemple : « les bains détruisent une partie de la peau protégeant des infections... »). Les résultats, concernant la tentative de persuasion, sont consignés dans le tableau ci-dessous :

Tableau 45. Score moyen d’attitude. Plus les scores sont forts, plus l’attitude est défavorable.

9Les sujets ayant lu un message défavorable jugent le brossage et les bains significativement plus négativement que ceux ayant lu un message favorable ou placés en contrôle. Ces attitudes, nouvellement formées, peuvent-elle influencer le rappel des comportements passés ? Tout de suite après l’écoute des messages, les sujets étaient invités à participer à une autre expérience n’ayant, soi-disant, aucun lien avec cette dernière. Les sujets devaient remplir des questionnaires sur leur « Personnalité et style de vie ». On donnait à une moitié des sujets une version du questionnaire leur demandant, notamment, d’estimer la fréquence de leur brossage de dents durant les deux dernières semaines écoulées (« Combien de fois vous êtes-vous brossé les dents les deux semaines passées ? Après le petit-déjeuner, après le repas, après le dîner ? ») et combien de fois ils avaient pris un bain (ou douches) durant les deux dernières semaines. A l’autre moitié des sujets, on donnait un questionnaire où ils devaient coter leurs attitudes, notamment, envers le brossage des dents et la prise de bains. L’ensemble des sujets ayant répondu au même questionnaire sur le brossage des dents et la prise de bains, ceux ayant écouté un message persuasif sur le brossage de dents servaient de contrôle pour ceux ayant écouté un message sur la prise de bain et vice-versa. Les résultats figurent dans le tableau ci-dessous :

Tableau 46. Les chiffres indiquent le nombre moyen de brossage de dents et de prise de bains estimés durant les deux semaines précédentes.

10Les sujets placés dans la condition « message défavorable » se souviennent avoir brossé leurs dents significativement moins de fois que les sujets placés dans la condition « message favorable » (28,62 vs. 35,85). Cette différence ne s’observe pas sur la prise de bain. Peut-être s’agit-il d’un événement plus marquant et complexe que le brossage des dents : les sujets s’en souviendraient mieux et seraient moins enclins à distordre cet événement en mémoire. Ross et ses collaborateurs (1981) observent cette différence lorsqu’ils demandent à leurs sujets combien de fois ils ont pris un bain le mois précédent et non plus les deux dernières semaines. Dans ce cas, les sujets exposés au message favorable rapportent avoir pris significativement plus de bains que ceux exposés au message défavorable (25,33 vs. 17,15). Les résultats, pris globalement, montrent que des attitudes nouvellement formées peuvent biaiser le rappel des comportements passés. Les individus reconstruiraient leurs comportements à la lumière de leur nouvelle attitude pour mieux les faire correspondre, pour donner à cette nouvelle attitude un soubassement comportemental cohérent, en se focalisant sur les comportements allant dans le sens de leur nouvelle attitude. Ainsi, les sujets en viennent à croire que leurs comportements passés vont dans le sens de leur nouvelle attitude. Bref, les sujets à qui on demande de se rappeler ou de se souvenir de leurs comportements passés après une tentative de persuasion réussie devraient finalement posséder une nouvelle attitude plus persistante dans le temps que ceux n’ayant pas eu l’occasion de s’en souvenir. Ce serait donc bien ici le soubassement comportemental rappelé qui créerait une attitude plus « forte », plus persistante, plus résistante. Attitude appelée à créer de nouveaux comportements allant dans le même sens.

11Dans ce droit fil, Ross, McFarland, Conway et Zanna (1983, exp. 3) ont mesuré la résistance d’une attitude nouvellement formée à une contre-attaque persuasive. Tous les sujets étaient exposés au message défavorable portant sur le brossage des dents. On demandait ensuite à une moitié des sujets de rappeler le nombre de brossage de dents durant les deux semaines écoulées (condition « rappel pertinent »). Ils étaient soumis, juste après, à une contre attaque persuasive prenant position pour le brossage des dents (par exemple : « il faut un brossage régidier, il est très utile de se brosser les dents, etc. ») et finissaient par remplir l’échelle d’attitude. On demandait à l’autre moitié des sujets de rappeler des comportements n’ayant rien à voir avec le brossage des dents (le port de la ceinture de sécurité) avant de procéder aux mesures attitudinelles (condition « rappel non pertinent »). Afin de s’assurer que le rappel comportemental était biaisé, Ross et ses collaborateurs ont comparé les fréquences rapportées des sujets sur le brossage des dents après lecture du message défavorable, à celles rapportées par des sujets contrôle non exposés à ce message persuasif défavorable.

Tableau 47. Rappel moyen et attitude moyenne concernant le brossage de dents. Plus les chiffres sont élevés, plus l’attitude est défavorable envers le brossage.

12Les sujets dans la condition « rappel pertinent » rapportent s’être brossés les dents significativement moins de fois que les sujets du groupe contrôle (21,6 vs. 25,6). Est-ce que le rappel des comportements allant dans le sens de la nouvelle attitude « engage » les sujets ? Ont-ils résisté à la contre attaque ? Tout porte à croire que oui. Les sujets dans la condition « rappel pertinent » sont significativement moins favorables envers le brossage des dents que ceux dans la condition « rappel non pertinent » (13,29 vs. 11,01). Comme prévu, les sujets qui rappellent leurs comportements passés pertinents après la tentative de persuasion réussie sont moins influencés par la contre attaque que ceux ayant rappelé des comportements non pertinents (en fait, les sujets placés dans la condition de « rappel pertinent » sont aussi défavorables, après la contre attaque, envers le brossage que des sujets d’une condition de « rappel pertinent » n’ayant pas reçu de contre attaque, M. = 12,81). Le rappel comportemental semble donc bien augmenter la persistance de l’attitude nouvellement formée ou, à tout le moins, la rendre plus résistante au changement. Selon Ross et ses collaborateurs, le rappel de comportements passés pertinent servirait, finalement, à augmenter la résistance de la nouvelle attitude. Cet « engagement » permettrait de résister à toute contre-attaque.

13Dans une troisième expérience (Ross, McFarland, Conway et Zanna, 1983, exp. 2), on désirait tester l’effet du rappel des comportements passés sur les intentions comportementales subséquentes. Les sujets devraient adopter des comportements allant dans le sens de leur nouvelle attitude si on leur donne l’opportunité de rappeler leurs comportements passés après la tentative de persuasion. Les sujets étaient conduits à écouter un message persuasif sur la prise d’exercice physique soi disant rédigé par un professeur d’université. Ce message prenait vigoureusement partie contre l’exercice physique évoquant jusqu’à des blessures inopinées. Après écoute, dans la condition « rappel pertinent », on demandait aux sujets de rappeler leur propre exercice physique (« veuillez décrire les divers types d’exercices physiques vigoureux dans lesquels vous vous êtes engagés durant les 5 dernier mois. Dans votre description, veuillez préciser si vous vous êtes engagés seul ou avec la compagnie d’autres, l’heure à laquelle vous avez fait de l’exercice et où. Après description, notez le nombre de fois où vous avez pris part à chaque activité et le nombre moyen de minutes que vous y avez consacrée chaque fois »). Cette façon de procéder avait pour objectif de créer une attitude négative envers le sport de forte intensité. Dans la condition « rappel non pertinent », ils devaient rappeler leur utilisation de la ceinture de sécurité. Les sujets remplissaient ensuite un questionnaire et cotaient leur attitude envers l’exercice physique. Un à 5 jours après la session expérimentale, les sujets recevaient un appel téléphonique d’un membre du département d’Athlétisme de l’Université de Waterloo (en fait, un compère). Cette personne expliquait qu’elle encourageait les étudiant à suivre des classes de fitness jusqu’à 5 fois par semaine, pour un prix dérisoire (dix dollars), sur le campus de l’université. On demandait aux sujets, ayant accepté d’y participer, combien de fois par semaine ils se rendraient à ces cours. L’attitude des sujets obtenue, après avoir écouté le message anti-exercice et rappelé leurs comportements passés, était comparée à celle de sujets contrôle n’ayant pas écouté le message ni rappelé de comportement. Les résultats sont consignés dans le tableau ci-dessous :

Tableau 48. Attitude et intention comportementale moyenne concernant les activités physiques sportives intensives.

14Les sujets placés dans la condition « rappel pertinent » ont une attitude significativement plus défavorable envers l’exercice sportif que les sujets contrôle (15,8 vs. 11,2) mais ne différant pas des sujets placés dans la condition « rappel non pertinent » (15,8 vs. 16,0). Manifestement, la manipulation du rappel n’influence pas l’extrémité de l’attitude. Selon Ross et ses collaborateurs, cela n’est pas étonnant. On sait que les sujets peuvent être engagés à des niveaux différents tout en ayant des attitudes identiques. Par exemple, Kiesler et Sakumura (1966) ont montré que la manipulation d’une récompense n’influence pas les attitudes des sujets mais leur engagement.

15Est-ce que le rappel génère des intentions comportementales allant dans le sens des attitudes ? Les sujets placés dans la condition « rappel pertinent » se portent significativement moins volontaires pour suivre les cours que ceux placés dans la condition « rappel non pertinent » (0,42 vs. 0,97). 22 % de sujets se portent volontaires pour au moins un cours par semaine dans cette première condition contre 41 % dans cette dernière. Les résultats vont, une fois de plus, dans le sens des attentes. Les sujets placés dans la condition « rappel pertinent » se portent significativement moins volontaires après avoir rappelé leurs activités sportives intenses et leur attitude défavorable envers ces derniers.

16Se souvenir des actes antérieurs justifiant la nouvelle attitude conduirait le sujet à tisser un lien entre ses actes et sa nouvelle attitude. Le rappel peut ne pas influencer les attitudes mais seulement « l’engagement », ce qui permettrait aux sujets de résister à une attaque persuasive ultérieure ou de réaliser des comportements allant dans le même sens que l’attitude qui leur est conforme (cf. Lydon, Zanna et Ross, 1988 pour un prolongement).

17Pour Fazio, Herr et Olney (1984), le rappel comportemental renforce la nouvelle attitude et augmente sa persistance parce qu’elle devient plus accessible pour les sujets. Par exemple, des sujets amenés à rappeler leurs comportements religieux (rappel pertinent) répondent plus rapidement aux enquêtes sur leurs attitudes religieuses comparativement à ceux n’ayant pas eu l’occasion de rappeler ces comportements ou ceux ayant rappelé des événements de leur enfance (rappel non pertinent).

18S’agit-il d’une nouvelle technique d’engagement ? Le rappel de comportement antérieur après ou avant la présentation d’une communication persuasive 1) pourrait augmenter l’efficacité de cette dernière sur le changement des attitudes, comparativement à une situation sans rappel et 2) rendre les attitudes plus résistantes à toute nouvelle information n’allant pas dans leur sens. Reste à opérationnaliser convenablement ce facteur et notamment le tester en lien avec le sentiment de liberté : des individus déclarés libres de rappeler des comportements feraient montre de plus de résistance que ceux n’ayant pas été déclarés libres. Il pourrait s’agir là d’une nouvelle technique de communication engageante ou d’engagement dans la communication. Ce serait la recherche en mémoire d’un soubassement comportemental, justifiant la nouvelle attitude, qui favoriserait la résistance ultérieure. Cette façon de procéder ne va pas sans rappeler le paradigme de l’hypocrisie. Souvenons-nous que, dans ce paradigme, les sujets sont amenés à délivrer un discours normatif (« c’est bien d’économiser de l’eau ») puis à se souvenir de l’ensemble des comportements n’allant pas dans le sens de ce discours c’est-à-dire citer des exemples contre-normatifs (« je suis resté trop longtemps sous la douche »). Un prolongement serait de mesurer la fréquence des comportements rappelés comme moyen de réduire la dissonance éprouvée issue de la contradiction existante entre le discours normatif et contre-normatif ou de tester la possibilité pour les sujets de minimiser l’importance (ou trivialisation) de ces comportements afin de réduire leur dissonance.

3. Nouvelles recherches sur le lien entre engagement et persuasion : vers une communication engageante

19Girandola, Joule et Didelot (2002) ont testé les effets de la réalisation d’un acte engageant sur le changement d’attitude faisant suite à une tentative de persuasion. L’acte engageant concerne ici la rédaction d’un essai pro-attitudinel, c’est-à-dire conforme aux attitudes des sujets. Avant de présenter l’expérience, revenons sur la théorie de l’engagement et les modèles duels de la persuasion. Souvenons-nous que, pour Joule et Beauvois, l’engagement est tributaire de la situation qui engage ou pas l’individu dans ses actes et qui favorise ou entrave l’établissement d’un lien entre l’individu et ses agissements. Pour Joule et Beauvois l’engagement « correspond, dans une situation donnée, aux conditions dans lesquelles la réalisation d’un acte ne peut être imputable qu’à celui qui l’a réalisé » ou encore « l’engagement correspond aux conditions de réalisation d’un acte qui, dans une situation donnée, permettent à un attributeur d’opposer cet acte à l’individu qui l’a réalisé ». Nous savons que l’on peut manipuler l’engagement en jouant sur de nombreux facteurs : 1) le caractère public de l’acte : un acte réalisé publiquement est plus engageant qu’un acte dont l’anonymat est garanti ; 2) les conséquences de l’acte : un acte est d’autant plus engageant qu’il est lourd de conséquences ; 3) le coût de l’acte : un acte est d’autant plus engageant qu’il est coûteux ; 4) et enfin, le contexte de liberté : facteur essentiel à l’engagement.

20Il est maintenant bien établi que l’engagement dans un acte pro-attitudinel (par exemple : signer une pétition pour une cause à laquelle on adhère) a pour effet de favoriser la résistance au changement notamment lorsque les convictions de l’individu sont ultérieurement attaquées (par un tract contrattitudinel). Selon Kiesler, l’engagement rend saillantes les cognitions ou croyances en rapport avec le comportement dans lequel l’individu a été engagé. Cette saillance favorise leur accessibilité en mémoire rendant l’acte et l’attitude qui lui correspond plus résistants au changement. Selon Eagly et Chaiken, l’engagement permet à l’attitude de devenir forte autrement dit l’engagement renforce l’attitude. Selon les modèles duels de la persuasion (l’E.L.M. de Petty et Cacioppo et T.H.S. de Chaiken), l’implication personnelle a un impact sur la motivation à traiter l’argumentation persuasive. Il y a implication lorsque le thème traité est particulièrement important pour l’individu. On se souvient que le degré de motivation peut déterminer l’emprunt soit de la voie centrale ou systématique soit de la voie périphérique ou heuristique. Par exemple, Petty, Cacioppo et Goldman (1981) demandaient à des étudiants d’écouter un message, contraire à leur attitude, en fait un message favorable à l’introduction d’un examen de sélection. Trois variables étaient manipulées : 1) l’implication personnelle des étudiants. En situation d’implication forte, on disait aux étudiants que l’examen était prévu dès la semaine suivante. En situation d’implication faible, on leur disait que l’examen ne serait organisé que dans une dizaine d’années ; 2) la qualité des arguments. Un message contenait des arguments de très bonne qualité en faveur de l’introduction de cet examen, un autre message des arguments de moins bonne qualité ; 3) la crédibilité de la source : un message était soi-disant rédigé par une source experte (un groupe de professeur constituant une commission sur l’éducation) et un autre soit disant rédigé par une source faiblement experte (un groupe d’étudiants). Les résultats obtenus sont conformes aux attentes : chez les étudiants dont la motivation à traiter le message persuasif est forte, c’est-à-dire ceux placés en situation de forte implication, la qualité de l’argumentation a plus d’impact sur le changement d’attitude que l’expertise de la source : les sujets empruntent la voie centrale du traitement de l’information. Le contraire est observé chez les étudiants dont la motivation à traiter les arguments est faible : ils empruntent la voie périphérique. En d’autres termes et comme attendu, lorsque l’implication est forte, les sujets empruntent la voie centrale alors qu’ils empruntent la voie périphérique lorsque l’implication est faible. Nous avons formulé 2 hypothèses : 1) en l’absence d’engagement, les sujets placés en situation de forte implication devraient davantage modifier leur attitude dans le sens du message persuasif que les sujets placés en situation de faible implication. On s’attendait à observer un effet de persuasion classique (hypothèse préalable) ; 2) les sujets ayant rédigé l’essai pro-attitudinel dans un contexte fortement engageant devraient mieux résister à la tentative de persuasion que ceux ayant rédigé cet essai dans un contexte faiblement engageant et, a fortiori, que ceux n’ayant pas rédigés ce texte et ceci dans les deux modalités de la variable implication (hypothèse principale).

21Nous avons emprunté l’essentiel de notre procédure à Petty, Cacioppo et Goldman. Elle s’en différencie toutefois sur trois points essentiels : avant de prendre connaissance du message persuasif contraire à leur attitude (le message contrattitudinel), certains sujets rédigeaient un essai allant dans le sens de leur attitude (pro-attitudinel). L’argumentation et l’expertise de la source n’étaient pas manipulées. La variable implication était la seule manipulée. Dans toutes les conditions expérimentales on utilisait une source fortement crédible et une argumentation de bonne qualité ; le thème du message persuasif concernait l’augmentation des frais d’inscription universitaire et non plus l’introduction d’un examen de sélection. En condition contrôle, on mesurait l’attitude des sujets à l’égard du thème. On disait à la moitié des sujets que l’augmentation des frais entrerait en vigueur l’année prochaine et à l’autre moitié que cette augmentation n’aurait lieu que dans 5 ans. Les sujets donnaient leur attitude sur les mêmes échelles que celles employées dans les conditions expérimentales. La manipulation de l’implication dans la condition contrôle n’a pas produit d’effet sur les attitudes rapportés, comme chez Petty et ses collaborateurs. Les données pour ces deux conditions ont, par conséquent, été agrégées.

22Tous les sujets ont été recrutés par l’expérimentateur pour les besoins d’une étude universitaire portant sur l’augmentation des frais d’inscription. 11 leur précisait, aussi, que cette étude avait un rapport direct avec ses propres travaux. 120 étudiants ont pris part à l’expérience. Les consignes différaient suivant les différents degrés d’engagement dans la rédaction du texte pro-attitudinel. Pour ce qui est de la manipulation de la variable engagement : 1) en condition de fort engagement, les sujets étaient déclarés libre de réaliser la tâche demandé, à savoir : rédiger des arguments pro-attitudinel contre l’augmentation des frais d’inscription. Ils devaient inscrire leur nom et prénom : caractère public de l’acte. On leur disait ensuite que les arguments trouvés seraient communiqués à la présidence de l’université : importance de l’acte. Ils disposaient de 4 minutes pour rédiger leur essai ; 2) en condition de faible engagement, l’expérimentateur ne faisait pas mention du destinataire de l’étude (pas de publicité de l’acte) et les sujets n’avaient pas le choix de réaliser la tâche (libre-choix). On leur donnait simplement la feuille sur laquelle ils avaient à rédiger, pendant quatre minutes, des arguments contre l’augmentation des frais universitaires ; 3) dans la condition sans engagement, les sujets écoutaient le texte et ne devaient pas rédiger de texte pro-attitudinel.

23En ce qui concerne l’écoute du message enregistré, on leur faisait croire que le département de psychologie devait réaliser une étude en collaboration avec l’administration. L’étude consistait, soi-disant, à évaluer la qualité du message enregistré sur différents paramètres (voix, longueur...). Le caractère persuasif du message n’était, bien évidemment, pas mentionné. Pour ce qui est maintenant de la manipulation de la variable implication : suivant les conditions de faible et de forte implication, le début et la fin du message différaient. Dans un cas, on disait aux sujets que l’augmentation des frais n’entrerait en vigueur que dans 5 ans, dans l’autre cas l’année prochaine. Les deux messages avaient évidemment leur partie centrale strictement identique. On procédait ensuite au recueil des variables dépendantes. On démystifiait et remerciait les sujets par la suite.

24La mesure de l’attitude constituait notre variable dépendante principale. On demandait aux sujets de se positionner sur trois échelles en 9 points chacune : l’augmentation des frais d’inscription est une chose bonne/mauvaise, bénéfique/nuisible, favorable/défavorable. Les réponses étaient anonymes et les questionnaires sitôt remplis étaient déposés dans une enveloppe. Un index d’attitude a été construit : les réponses ont été ajoutées et standardisées pour chaque sujet.

25L’ANOVA 3x2 révèle un effet principal de l’implication (F (1,114) = 9.814, p = .0222). Les résultats obtenus montrent que les sujets dans les conditions de faible implication expriment une attitude plus favorable envers l’augmentation des frais d’inscription que ceux placés dans les conditions de forte implication. Nous n’observons pas d’effet principal de l’engagement. L’interaction entre implication et engagement n’est pas significative. Toutefois, les effets simples montrent que si nous observons bien un effet de persuasion en l’absence d’engagement (pas de rédaction d’essai), les sujets faiblement impliqués sont significativement plus favorables à une augmentation des frais que ceux fortement impliqués (-0,49 vs 0,14). Or, ce sont les sujets fortement impliqués qui devraient être le plus motivés à traiter l’argumentation persuasive et, par conséquent, à être le plus influencés par une argumentation forte. Ces résultats sont donc inverses à ceux traditionnellement obtenus dans la littérature sur la persuasion. Il semble qu’une argumentation forte ne suffise pas à induire un changement d’attitude conforme aux prédictions des théoriciens de la persuasion. Une interprétation peut toutefois être avancée en restant dans le cadre de la persuasion. Selon Johnson et Eagly (1989), des individus fortement impliqués par un message touchant leur soi résistent à al persuasion. 11 n’est pas impossible que le thème de l’augmentation des frais d’inscription remette en cause le soi des sujets, à tout le moins, sur un aspect important de leur identité : l’appartenance au groupe étudiants que pourrait menacer une augmentation des frais d’inscription. Ainsi, les sujets fortement impliqués soucieux de la préservation de leur soi résisteraient davantage à une forte argumentation que ceux faiblement impliqués. On s’attendait aussi à ce que les sujets fortement engagés résistent plus à la persuasion que ceux faiblement engagés que l’implication soit faible ou forte. L’interaction entre implication et engagement n’est pas significative. Toutefois, les effets simples montrent d’abord qu’un fort engagement « casse » les effets de l’implication observés en situation sans engagement. En effet, la condition fort engagement/faible implication (M. = – 0, 15) ne se différencie pas de la condition fort engagement/forte implication (M. = 0,30). Un fort engagement permet de mieux résister aux effets de l’implication : l’attitude des sujets fortement impliqués et celles des sujets faiblement impliqués ne se distingue pas. Nous observons le même pattern de résultat dans le contexte de faible engagement. La condition faible engagement/faible implication (M. = -0,40) ne se distingue pas de la condition faible engagement/forte implication (M. = 0,12). L’engagement dans un essai attitudinel, qu’il soit faiblement ou fortement engageant, entraverait la motivation des sujets à traiter l’information persuasive contrattitudinale. Bref, les effets des deux modalités de la variable implication (faible vs. forte) ne se différencient pas lorsque les sujets sont, au préalable, soit faiblement engagés soit fortement engagés. Contrairement à ce qui est observé en l’absence d’engagement. Là, on retrouve un effet de l’implication sur l’attitude même si cet effet, nous l’avons vu, ne va pas dans le sens attendu.

26Nous avons vu que, contrairement à nos attentes et à la littérature, les sujets les plus impliqués changent le moins d’attitude. Les théoriciens de la persuasion avancent une interprétation en termes de protection du soi (Johnson et Eagly, 1989) ou éventuellement de motivation défensive (Chaiken et Eagly, 1998). En effet, pour Eagly et Chaiken, une forte implication peut rendre saillant des conséquences négatives ou des attributs négatifs de l’objet. En somme, la proposition en faveur d’une augmentation des frais dans leur université dès l’année suivante pourrait bien rendre particulièrement saillantes les conséquences négatives de cette augmentation. Les sujets résisteraient à l’argumentation même si elle est de bonne qualité, en la négligeant par une sorte de « blocage cognitif ». On sait que le traitement de l’information est en partie déterminé par la motivation des individus à traiter l’information et à leur capacité à le faire. Il s’agirait, à l’avenir, de mieux comprendre comment l’engagement intervient dans le traitement des messages : agit-il sur la motivation des sujets ou sur leurs capacités à traiter l’information ou sur les deux à la fois ? Enfin, concernant le message persuasif lui-même, plusieurs expériences sont envisageables. Tout d’abord la source et l’implication pourraient se décliner suivant deux modalités : faible vs. forte. Enfin, l’ordre d’écriture des réponses cognitives peut aussi se manipuler. Par exemple, mettre par écrit les réponses cognitives avant de se positionner sur les échelles d’attitude produirait-il un effet d’engagement ?

27Dans une autre expérimentation testant le lien entre engagement et persuasion, Girandola, Goûtas et Michelik (2003), s’inspirant de la procédure expérimentale utilisée par Ahluwalia (2000), ont montré que des sujets engagés résistent moins bien à une argumentation difficilement réfutable que facilement réfutable. Les sujets devaient lire un dossier de presse présentant un nouveau produit (une paire de basket) et lister des arguments positifs en faveur de cette paire de basket. On disait aux sujets placés dans la condition fort engagement que leurs arguments, leur identité, leur photo seraient rendus publics via une campagne publicitaire. Aux sujets placés dans la condition faible engagement, rien de tout cela n’était précisé. L’expérimentateur leur présentait ensuite une soi-disant étude de consommation remettant en cause les qualités de cette nouvelle basket. Pour un moitié des sujets, cette étude était réfutable (échantillon non représentatif, graphique incompréhensible), pour l’autre moitié elle était irréfutable (échantillon représentatif, graphique complet et clair, tests adéquats). On s’attendait principalement à ce que les sujets engagés résistent plus facilement à ce type message qu’il soit réfutable ou irréfutable. En revanche, les sujets faiblement engagés devraient se laisser persuader plus facilement par le message et juger la basket de mauvaise qualité lorsque le message est réfutable plutôt qu’irréfutable. Nos hypothèses sont, en partie, confirmées. Comme attendu, on observe les effets de persuasion classique chez les sujets faiblement engagés : le message irréfutable a plus d’impact persuasif que le message réfutable. De manière inattendue, on observe le même patron de résultat chez les sujets engagés : le message irréfutable a plus d’impact persuasif que le message réfutable. Il semble que les sujets engagés résistent plus difficilement à l’objectivité des faits, à l’irréfutabilité du message présenté que ceux engagés et exposés à un message réfutable. L’engagement semble céder du « terrain » au message persuasif irréfutable sans toutefois complètement s’annihiler. En effet, les sujets engagés et exposés au message irréfutable se laissent moins persuadés que ceux faiblement engagés. Cette expérimentation ouvre d’autres perspectives concernant le croisement des variables engagement et persuasion. Dans ce droit fil, on peut tester l’impact de l’engagement sur un message faiblement vs. fortement argumenté. On sait qu’un message fortement argumenté, selon Petty et Cacioppo (1986) a toutes les chances de persuader lorsque le sujet est fortement impliqué. On peut suggérer qu’un message fortement argumenté a plus de chance de « casser » l’engagement initial des sujets qu’un message faiblement argumenté.

3.1. Exemples de recherches appliquées

28Selon Joule, Py et Bernard (sous presse), un message persuasif aurait plus de chance de déboucher sur les effets escomptés s’il a été précédé par un ou plusieurs actes préparatoires engageants consistants avec lui. Hoarau, Joule et Milhabet (2002) ont illustré les effets de l’engagement comportemental en réalisant une étude durant l’hiver 2000 auprès d’une soixantaine de familles de la région PACA. Cette étude avait notamment pour objectif l’évaluation des capacités de mobilisation des ménages (par des indicateurs comportementaux) de cette région pour l’économie d’énergie. Ces auteurs ont rencontré les ménages concernés à deux reprises. Lors de la première rencontre, il s’agissait, 1) selon les principes de la théorie de l’engagement, de réaliser le soubassement comportemental engageant recherché ; 2) de solliciter la réalisation systématique durant les 15 jours à venir d’un acte (ou de deux ou trois) a priori anodin mais non systématiquement réalisé(s). Ce premier contact était aussi l’occasion de fournir aux familles, une documentation susceptible de les aider à trouver des justifications (techniques, économiques, idéologiques) pour pérenniser d’éventuelles pratiques familiales nouvelles. Lors de la deuxième rencontre, ces auteurs s’assuraient que le ou les comportement(s) que les familles s’étaient engagées à réaliser l’avait bien été et ils s’efforçaient d’en obtenir un nouveau plus coûteux que le (ou les) précédent(s). Un contact téléphonique, un mois plus tard, permettait de savoir si ce nouveau comportement avait ou pas été effectivement réalisé. Les attitudes étaient aussi recueillies : elles étaient présentées au début de l’intervention, lors de la première rencontre (mesures pré-expérimentales) et en fin d’intervention, au terme de la seconde rencontre (mesures post-expérimentales). Les résultats obtenus montrent qu’il est possible en s’appuyant sur une démarche d’engagement de mobiliser les ménages. Toutes les personnes sollicitées ont accepté de réaliser au moins un acte économique durant la semaine test, 80 % d’entre elles s’engageant à en réaliser au moins trois. 93 % des personnes sollicitées ont réalisé des comportements économiques durant la semaine test et 88 % ont accepté de s’engager dans la réalisation d’un acte plus difficile en termes de coût psychologique ou financier (le plus souvent : achat d’une lampe de basse consommation) et parmi eux, une personne sur deux déclare l’avoir effectivement réalisé quinze jours plus tard. Les mesures d’attitude (avant-après) montrent que les sujets ont modifié de façon significative leurs attitudes dans le sens attendu. Hoarau, Joule et Milhabet concluent alors en esquissant les principes d’une communication engageante (Joule, Py et Bernard, à paraître) : communication qui passe par la recherche d’un soubassement comportemental adéquat. Il s’agit d’obtenir, de la part des sujets, la réalisation d’actes préparatoires dans un contexte de libre choix, d’absence de promesse de récompense et de menace de punition afin que la personne puisse tisser un lien entre ce qu’elle fait et ce qu’elle est.

29Dans un autre contexte, il s’agissait d’amener des citoyens à voter lors de consultations électorales. Gumy, Deschamps et Joule (2002) ont souhaité voir si la théorie de l’engagement conservait son utilité dans le cadre de la lutte contre l’abstentionnisme électoral. Les électeurs ont été sollicités en situation de groupe (une vingtaine d’individus) et non plus en situation individuelle. Le 21 mai 2000, les Suisses devaient se prononcer sur les accords bilatéraux entre la Confédération Helvétique et l’Union Européenne. Les sujets (89 étudiant(e) s de l’Ecole Sociale et Pédagogique de Lausanne) ont été répartis en quatre groupes : 2 groupes contrôles et 2 groupes expérimentaux. Dans un premier groupe contrôle (contrôle "sensibilisation") les sujets étaient soumis, quelques jours avant le vote, à un discours persuasif visant à les sensibiliser à la nécessité d’aller voter le jour J. Dans le second groupe contrôle les sujets n’étaient pas sollicités avant le vote. Les sujets des deux groupes expérimentaux étaient soumis au même discours persuasif que les sujets du groupe contrôle "sensibilisation" quelques jours avant le vote, mais l’expérimentateur obtenait en plus de leur part un acte préparatoire engageant : remplir un questionnaire censé permettre de mieux comprendre les raisons de l’abstentionnisme électoral (condition expérimentale "questionnaire") ou rédiger un essai contre l’abstentionnisme électoral (condition expérimentale "essai"). L’engagement des sujets dans les conditions expérimentales était obtenu en jouant sur leur sentiment de liberté. Ils étaient déclarés libres d’accepter ou pas de répondre au questionnaire ou de rédiger l’essai demandé. Bien évidemment, ces auteurs s’attendaient à observer plus de participation électorale dans les conditions expérimentales que dans les conditions contrôles. Les résultats concernent les comportements effectifs de votes, la carte d’électeur permettant a posteriori de savoir si la personne avait ou non pris part au scrutin. Dans la condition contrôle, le taux de participation obtenu était de 62,9 % (le taux de participation a été de 45,8 % dans l’ensemble du canton de Vaud, Suisse). Dans la condition contrôle "sensibilisation" ce taux est de 50 %. Il est de 76.9 % dans la condition expérimentale "questionnaire" et de 78.9 % dans la condition expérimentale "essai". Les résultats vont dans le sens attendu : prises ensemble, les deux conditions expérimentales se distinguent significativement des conditions contrôles prises ensemble. Les résultats sont très nets lorsqu’on compare les conditions expérimentales à la condition contrôle "sensibilisation", mais ils le sont moins lorsqu’on s’intéresse à la comparaison conditions expérimentales/condition contrôle " pur" où la différence n’est pas significative. Les résultas de Gumy, Deschamps et Joule (2002) invitent à repenser les stratégies de lutte contre l’abstentionnisme. La persuasion seule ne favoriserait pas le comportement de vote. Pour être efficace, elle aurait besoin d’être associée à une stratégie d’engagement.

30D’autres expérimentations, dans la littérature, montrent les effets d’une stratégie reposant à la fois sur l’engagement et la persuasion. Stice Chase, Stormer et Appel (2001) ont conçu un programme d’intervention destiné aux jeunes femmes souffrant de désordres alimentaires. Selon ces auteurs, les techniques dites participatives et, par conséquent, engageantes seraient plus efficaces dans la transformation des attitudes à l’égard de la minceur voire dans la réduction des comportements de désordre alimentaires que celles basées sur les stratégies persuasives ou éducationnelles classiques. 87 jeunes femmes âgées de 17 à 29 ont participé à ce programme d’une durée de 7 semaines (cf. aussi Stice, Mazotti, Weibel, et Agras, 2000). Les sujets étaient affectés au hasard, soit dans le groupe expérimental (n = 48) aux techniques participatives engageantes, soit dans un groupe contrôle (n = 39) où des techniques plus classiques étaient employées (par exemple : exposés). Ils s’attendaient à ce que ces sujets, placés en situation participative, réduisent notamment leur sentiment d’insatisfaction concernant leur corps et ne pensent plus la minceur comme un idéal féminin. Pour chacun de ces deux groupes, les sujets assistaient à 3 sessions d’une heure espacée d’une semaine. Les sujets remplissaient tous un questionnaire d’attitude avant l’intervention (niveau de base), après l’intervention de 3 semaines, et 4 semaines après la fin de l’intervention. Dans le groupe expérimental, ces auteurs ont conduit leurs sujets à réaliser toute une série de comportementaux dans un contexte de liberté. La procédure employée dans ce groupe est, selon nous, similaire à une procédure d’engrenage2 composée d’une succession de pied-dans-la-porte. En effet, au fil de ces 3 sessions, les sujets discutaient en groupe, rédigeaient un texte ou tenaient un jeu de rôle contre la minceur en tant qu’idéal féminin, s’engageaient à noter ses sentiment et impressions sur son propre corps en face d’un miroir, et s’engageaient à porter des pantalons courts. Les résultats vont dans le sens des attentes des auteurs sur deux mesures principales : les sujets du groupe expérimental croient moins en la minceur comme idéal féminin et sont plus satisfaits de leur corps (changement d’attitude). Ces effets perdurent 4 semaines après l’intervention ! Cette manière de procéder (engagement suivi de discussion) relève du paradigme de la communication engageante associant action et information. Ici, les actes de participation à une discussion, ou la tenue d’un jeu de rôle, n’auraient pas les mêmes retombées comportementales et cognitives s’ils ont été réalisés ou pas dans un contexte engageant et montre l’intérêt qu’il y a à faire reposer les stratégies d’information, de sensibilisation et de persuasion sur un soubassement comportemental (par exemple : accepter une discussion, un jeu de rôle).

31Dans une autre expérimentation, Cobern, Porter, Leeming et Dwyer (1995) ont manipulé deux niveaux d’engagement. Dans une première condition (n = 40), les sujets s’engageaient, en signant une carte, à recycler pour une période de quatre semaines et à parler de cette action de recyclage autour d’eux, plus particulièrement, à leurs voisins (diffusion). On leur remettait un formulaire où ils devaient noter le nom et l’adresse des voisins à qui ils en avaient parlé. Dans une seconde condition (n = 40), les sujets étaient engagés dans le comportement de recyclage en signant seulement la carte. On ne leur demandait pas d’en parler aux voisins. Dans une dernière condition (n = 40), aucun contact n’était établi (groupe contrôle) avec les expérimentateurs. Cobern et ses collaborateurs (1995) s’attendaient à observer les plus forts taux de recyclage dans les conditions engagement/diffusion de l’information que dans les conditions engagement seul et contrôle. Au total, l’étude a été réalisée sur 120 foyers répartis dans trois quartiers d’une même ville, aux caractéristiques socio-démographiques identiques. Les résultats montrent que les sujets dans la condition engagement/diffusion augmentent significativement plus leur comportement de recyclage pendant 4 semaines (le taux de recyclage passe de 24 % avant intervention à 48 % après l’intervention) que ne le font ceux placés dans la condition engagement seul et contrôle. De plus, dans la condition engagement/diffusion, les sujets poursuivent le recyclage pendant un an, après avoir reçu notification que leur période d’engagement était achevée ! Les résultats montrent aussi un effet de la diffusion : les voisins ayant eu l’occasion de s’entretenir avec ceux engagés à diffuser recyclent plus que ceux du groupe contrôle. Cet effet s’observe encore un an après. Signalons que l’on n’observe pas d’effet de l’engagement seul : le recyclage des individus placés dans cette condition (engagement/sans diffusion d’information) ne se différencie pas de celui du groupe contrôle. Les résultats obtenus par Cobern et ses collaborateurs (1995) peuvent s’inscrire certainement, eux aussi, dans le paradigme de la communication engageante. En effet, les sujets recyclent le plus lorsque les arguments avancés en diffusion entre en résonance -voire en consistance- avec ce qu’ils ont pu préalablement faire (ici, signer la carte), avec un soubassement comportemental engageant.

32Pour ces recherches, qu’elles soient fondamentales (par exemple : Girandola, Joule et Didelot, 2002) ou appliquées (par exemple : Cobern et ses collaborateurs, 1995), la question ne se résume pas seulement à qui dit quoi, à qui, dans quel canal et avec quel effet ? Elle est : quel est le soubassement comportemental engageant à obtenir du récepteur ? Selon Joule et ses collaborateurs (sous presse), la question devrait être reformulée ainsi : qui dit quoi, à qui, dans quel canal, en lui faisant faire quoi, et avec quel effet comportemental ? Ce soubassement comportemental passe par la réalisation d’actes préparatoires dans un contexte (libre choix, absence de promesse de récompense et de menace de punition, etc.) où l’individu puisse tisser un lien entre ce qu’il fait et ce qu’il est, et finalement entre ce qu’il est et la cause à défendre ou à promouvoir.

33Le projet est maintenant d’approfondir une articulation entre les travaux sur l’engagement et les travaux sur la persuasion quel que soit le domaine d’application (par exemple : éducation à la santé, à la citoyenneté, éco-citoyenneté). Cette voie de recherche nous semble des plus prometteuses.