1. Engagement et exposition sélective à l’information

1Comment les individus font-ils pour se convaincre que leur choix est finalement le meilleur ? Ils recherchent l’information confirmant leur choix et ignorent celle qui s’y oppose. C’est l’exposition sélective à l’information. Selon Frey et Wicklund (1978), le libre choix (ou l’engagement) conditionnerait cette exposition sélective. Ces auteurs demandaient à quatre-vingt quinze sujets d’un lycée de Mannheim (Allemagne) de réaliser une tâche fastidieuse pendant dix minutes (écriture des combinaisons de quatre chiffres aussi vite que possible) en condition de faible vs. fort choix. Dans la condition de fort choix, on leur disait que leur participation à cette tâche était volontaire. Dans la condition de faible choix, on leur désignait la tâche à réaliser sans rien ajouter. Les sujets commençaient la tâche. Trois minutes après, l’expérimentateur les arrêter en leur disant qu’ils pouvaient en savoir plus sur cette tâche. On leur donnait alors une liste de titres d’articles. La moitié des titres justifiaient la copie de chiffres (par exemple : "En quoi l’écriture de chiffres accroît la créativité", "En quoi l’écriture de chiffres est liée à une valeur scientifique"), l’autre moitié ne la justifiait pas (e.g. "En quoi l’écriture de chiffres tue la créativité", "En quoi l’écriture de chiffre n’a pas de valeur scientifique"). Les résultats obtenus vont dans le sens des attentes des auteurs. Les sujets placés en situation de libre choix choisissent significativement plus les articles justifiant leur acte (copie de chiffres) que ceux placés en situation de non libre-choix. Dans une autre condition, on demandait aux sujets de choisir les trois titres d’articles qu’ils désiraient lire le plus et les trois titres qu’ils désiraient lire le moins. Les résultats montrent que les sujets placés en situation de libre choix évitent significativement plus les articles ne justifiant pas leur acte que ceux placés en non libre choix.

2Dans la même veine, mais s’agissant cette fois de l’exposition sélective après réalisation d’un acte contrattitudinel, Cotton et Hieser (1980) ont montré. dans une réplique de l’expérience de Frey et Wicklund (1978), que les sujets placés en situation de libre choix désirent plus, que ceux placés en situation de non libre choix, obtenir de l’information justifiant leur acte et éviter l’information ne le justifiant pas. Les sujets devaient rédiger en condition de faible vs. fort choix un plaidoyer contrattitudinel en faveur de l’implantation d’une centrale nucléaire prés d’habitations. Après rédaction on donnait aux sujets de l’information allant soit dans le sens de l’acte contrattitudinel (information consistante) soit dans le sens contraire (information inconsistante) sous forme de brochure et participation à une discussion de groupe. Cette information était offerte, soit avant, soit après les mesures d’attitude à l’égard de l’implantation de la centrale nucléaire. Les résultats obtenus par Cotton et Hieser montrent, comme attendu, que les sujets ayant rédigé leur essai en condition de libre-choix éprouvent plus de dissonance et, par conséquent, changent plus d’attitude que ceux placés en situation de non libre choix. Les sujets placés en situation libre-choix désirent tendanciellement plus d’information consistante aussi bien sous la forme de brochures que de participation à une discussion de groupe (pour la construction de la centrale) et significativement moins d’information inconsistante (contre la construction de la centrale) que les sujets placés en non libre choix. L’exposition sélective est, par conséquent, plus forte lorsque les sujets sont engagés dans l’acte décisionnel.

3Plusieurs expérimentations manipulent l’engagement des sujets dans la recherche d’information subséquente. Par exemple, Brock et Balloun (1967) faisaient écouter à des pratiquants religieux un message soit allant dans le sens de leur valeur sur l’Eglise soit un message s’y opposant. Le message était présenté avec du bruit blanc que les sujets pouvaient éliminer en pressant un bouton. Ces auteurs mesuraient le degré d’exposition à une information consistante ou inconsistante. Les résultats montrent que les sujets appuient significativement plus sur le bouton lorsque le message va dans le sens de leurs valeurs que lorsqu’il s’y oppose. Ces résultats ont été répliqués sur des fumeurs et non fumeurs. Les premiers pressent le bouton plus souvent lorsqu’ils sont soumis à un message pro-attitudinel que contrattitudinel ; les seconds plus souvent lorsque le message est anti-tabac que pro tabac.

4Dans le même sens, Batson (1975) demandaient à cinquante jeunes femmes pratiquantes de l’Eglise presbytérienne du New Jersey de déclarer publiquement si elle croyait ou pas à la divinité de Jésus. Après avoir complété, en phase de pré-test, une échelle composée de trente items relatifs à leur foi (e.g. « Jésus a fait des miracles », « Jésus était seulement un humain »), Batson leur présentait un message allant dans le sens contraire à leur opinion sur la divinité de Jésus. La foi était ensuite mesurée, en post-test, sur une échelle de vingt items identique à celle utilisée en pré-test. Les résultats sont conformes à ce que l’on peut prédire à partir de la théorie de la dissonance cognitive (Festinger, 1957). Ceux croyant à la divinité de Jésus et ayant accepté la véracité de l’information contrattitudinelle ont intensifié leur opinion initiale, selon laquelle Jésus est d’origine divine. Ceux ne croyant pas à cette divinité ou qui y croyaient mais n’ayant pas accepte la véracité de l’information contrattitudinelle ne montrent pas cette radicalisation de leurs opinions. Ainsi, les jeunes femmes engagées publiquement choisissent de radicaliser leurs croyances pour mieux les défendre face à cette attaque persuasive. Selon Batson (1975), tenter de persuader un individu fermement engagé ne va pas sans difficulté. Si cet individu n’accepte pas l’argumentation persuasive, alors les arguments employés n’auront servi à rien. S’il les accepte, alors on est en mesure d’attendre une radicalisation de son opinion initiale. Le problème n’aurait pas d’issue (cf. Kiesler, 1971, pour une conclusion identique).

5Sweeney et Gruber (1984) ont réalisé une enquête sur les préférences des électeurs américains conduite pendant l’affaire du Watergate (juin 1972 – août 1974). Ces auteurs ont sélectionné et interrogé des électeurs ayant fermement soutenu un candidat lors de l’élection présidentielle de novembre 1972 à la Maison Blanche. Ce soutien devait constituer un fort engagement de leur part. Deux types d’électeurs étaient ainsi sélectionnés : ceux ayant soutenu Nixon (candidat républicain), ceux ayant soutenu McGovern (candidat démocrate). Un groupe contrôle a été ajouté : ceux n’ayant pas voté ou ne se souvenant plus pour quel candidat (groupe d’indécis). Ces trois types d’électeurs étaient interviewés par téléphone sur leur perception du Watergate, affaire remettant en cause la probité de l’administration républicaine la plus proche du président Nixon. Ces interviews se faisaient selon trois moments précis : avant les auditions des individus impliqués dans l’affaire (15 et 16 mai 1973), pendant les auditions (30 mai), et après la fin des auditions (30 juin et 1^er juillet). Selon Sweeney et Gruber (1984), les électeurs soutenant Nixon éprouveraient de la dissonance et, par conséquent, comme fonction de sa réduction, procéderait à un évitement sélectif de toute information remettant en cause leurs croyances sur leur candidat favori. Ceux soutenant McGovern devraient montrer un plus fort intérêt concernant ces informations que ceux n’ayant pas d’avis entre ces deux candidats. Les résultats vont dans le sens des attentes. Les individus soutenant Nixon montrent une indifférence ou un évitement relatif aux informations concernant les affaires du Watergate. Ils montrent significativement moins d’intérêt, que ceux soutenant McGovem, à ces affaires. Qui plus est, les individus soutenant Nixon disent avoir tendanciellement moins de connaissance sur ces affaires que ceux soutenant McGovem et significativement moins que ceux n’ayant pas d’avis particulier.

6Dans une autre expérience, Frey et Stalhberg (1986) demandaient à un groupe de sujets de défendre une position contrattitudinelle sur la légalisation de la marijuana. On leur donnait ensuite l’occasion de choisir des articles à lire pour ou contre cette légalisation. Les résultats montrent que les sujets d’un groupe contrôle, n’ayant pas eu à écrire l’essai contrattitudinel, ne se différencient pas dans le choix de ces articles. En revanche, ceux ayant tenu un discours contrattitudinel en faveur de la légalisation ont choisi significativement plus d’articles allant dans le sens de leur engagement comportemental en faveur de la légalisation.

7Selon Festinger (1964), il existe deux façons de justifier une décision engageante. Le sujet peut ajouter des arguments ou éléments nouveaux, allant dans le sens (information consistante) de ceux déjà disponibles lors de la prise de décision ou réfuter des arguments ou éléments n’allant pas dans ce sens (information inconsistante). Cette réfutation serait d’autant plus facile pour les sujets que les arguments employés ne sont pas de bonne qualité (Lowin, 1967 ; Kleinhesselink et Edwards, 1967). Cependant, les sujets préfèrent chercher une information consistante lorsqu’ils pensent que la réfutation n’ira pas sans difficulté.

8Lowin (1969) puis Frey (1981) ont pu montrer que la compétence de la source a un impact sur l’exposition sélective. On sait que les sujets sélectionnent de préférence de l’information consistante après une décision engageante. Si cette information émane d’une source fortement crédible, alors ils éprouveraient un besoin de lire cette information. Si, en revanche, l’information consistante émane d’une source faiblement crédible, les sujets pourraient la rejeter et préférer prendre connaissance d’information inconsistante afin de la réfuter. Dans le même esprit, Frey (1981b) puis Frey et Rosch (1984) étudient l’impact des décisions réversibles vs. irréversibles sur l’exposition sélective. Pour faire bref, ces auteurs ont pu montrer que les décisions irréversibles, les plus engageantes, provoquent les plus forts effets d’exposition sélective à l’information. Les sujets sélectionnent l’information allant dans le sens de la décision irréversible. Les décisions réversibles, les moins engageantes, ne génèrent pas d’exposition sélective en faveur d’informations consistantes.

9Après avoir passé en revue l’ensemble des recherches sur l’exposition sélective, Frey (1986) conclut que les individus recherchent des informations nouvelles allant dans le sens ou pas de leur décision aussi longtemps qu’ils pensent pouvoir revenir sur cette dernière (réversibilité). Lorsqu’il n’est plus possible de revenir sur leur décision (irréversibilité), les individus ignorent toute information allant dans le sens contraire à leur décision et amplifient la recherche d’information allant dans le sens de cette décision (Cotton, 1985).

2. Exposition sélective et influence minoritaire

10Selon Nemeth et Rogers (1995), un message minoritaire stimulerait une recherche d’informations non biaisée. On informait les sujets qu’ils allaient participer à une étude concernant une réglementation restrictive dans les logements étudiants (par exemple : instauration d’un couvre-feu pour tous ; séparation des hommes et des femmes). On disait à la moitié des étudiants qu’on envisageait l’introduction de cette proposition pour l’année prochaine (forte implication) ou dans quatre ans (faible implication). On leur donnait ensuite un résultat de sondage sur cette question. On leur faisait croire que cette proposition était soutenue, soit par 80 % des étudiants (majorité), soit par 20 % (minorité). L’expérimentateur leur demandait ensuite s’ils désiraient lire des commentaires sur cette étude. Une douzaine d’articles étaient à la disposition des sujets. Les résultats vont dans le sens des attentes. En condition de forte implication, la proposition minoritaire stimule une recherche d’information : les sujets choisissent de lire plus d’articles que ceux exposés à un message majoritaire. Ces sujets choisissent aussi bien des articles en faveur que contre cette restriction. En revanche, les individus exposés à la proposition majoritaire montrent une nette préférence pour des articles allant dans le sens défendu par la majorité. Un raisonnement basé sur la base de l’exposition sélective prédirait le contraire. En effet, on pourrait s’attendre à ce que les individus prenant connaissance de la position minoritaire choisissent l’information allant dans le sens de leur opinion (majoritaire) plutôt que le contraire. Ainsi, les individus ne sont pas nécessairement motivés par l’exposition sélective. Ils préfèrent aussi rechercher de l’information contraire à leur point de vue pour se forger une attitude plus sûre ou certaine.

2.1. Dissonance post-décisionnelle et recherches de nouvelles informations

11Dans son ouvrage consacré à la réduction de la dissonance pré et post-décisionnelle, Festinger (1964) et ses collaborateurs posent la question de la réduction de la dissonance faisant suite à une prise décision irréversible, autrement dit fortement engageante. Il revient à Jecker (1964) d’avoir le premier étudié la question. Cet auteur a montré qu’un individu éprouvant de la dissonance, après une décision engageante, recherche de l’information susceptible de réduire cette dissonance et met tout en œuvre pour éviter son augmentation. Jecker a montré que l’individu s’expose volontairement à l’information qui va dans le sens de cette décision (information consistante) et évite celle remettant en cause ce choix (information inconsistante).

12Selon Canon (1964), un sujet confiant dans ses capacités de jugement préférerait lire de l’information inconsistante lorsqu’elle est utile. En revanche, un sujet n’ayant pas confiance en ses capacités de jugement préférerait prendre connaissance d’information consistante. Les résultats vont dans le sens des attentes de Canon. Les résultats sont représentés dans le tableau ci-dessous :

Tableau 40. Préférence moyenne pour l’information consistante (calculé à partir d’un écart avec la préférence pour l’information consistante) comme fonction du degré de confiance (fort vs. faible) et du degré d’utilité de l’information inconsistante proposée (très utile vs. peu utile). Plus les chiffres sont élevés, plus les sujets préfèrent prendre connaissance d’information consistante (allant dans le sens de leur décision).

13Les sujets pouvaient choisir, après la prise de décision, de lire de l’information consistante ou inconsistante. On voit que les sujets peu confiants préfèrent lire les articles qui vont dans le sens de leur décision lorsque l’information est peu utile. En revanche, ceux fortement confiants préfèrent lire les articles n’allant pas dans le sens de leur décision lorsque l’information est très utile à prendre en compte. Dans ce droit fil, Lowe et Steiner (1968) ont pu montrer que l’information consistante aussi bien qu’inconsistante est perçue comme utile lorsque les sujets ont à prendre une décision réversible donc non engageante. Des jeunes filles de l’Université de l’Illinois devaient décider de prendre rendez-vous, en vue d’une sortie, avec un des deux jeunes hommes qu’on leur présentait. Après s’être décidées, les jeunes filles à qui on disait que leur choix était réversible ont choisi de lire significativement plus d’information consistante et inconsistante sur le jeune homme choisi et sur celui non choisi que celles à qui on disait que leur choix était irréversible. Ces dernières préfèrent lire de l’information consistante allant dans le sens de leur décision. Selon Lowe et Steiner, les individus préféreraient s’exposer à l’information qui leur est la plus utile pour réduire leur dissonance. Cette utilité dépendrait de la réversibilité vs. irréversibilité de l’acte décisionnel engageant (cf. Behling, 1971 ; Brock, Stuart et Becker, 1970 ; Mills, 1965 ; Mills et Jellison, 1968 ; Mills et Ross, 1964 ; Wicklund et Brehm, 1976 pour un bref résumé).

14Dans le même ordre d’idée, Janis et Rausch (1970) ont conduit une expérience de terrain sur la relation entre le refus des étudiants de s’enrôler dans l’armée américaine pour participer à la guerre du Viêt-Nam (engagement ferme) et la sélection de l’information persuasive qu’ils opéraient par la suite. L’étude a été conduite au printemps 1968 aux Etats-Unis au moment le plus fort d’une contestation étudiante prônant la désobéissance civile face à l’enrôlement des étudiants. Sur le campus de l’Université de Yale circulait depuis déjà quelques mois une déclaration contre l’enrôlement obligatoire dans l’armée. Cette déclaration prenait la forme d’une pétition déjà signée par des centaines d’étudiants. Cette contestation était appuyée par certains dignitaires comme le sénateur McCarthy candidat à la nomination démocrate pour les présidentielles de novembre 68, opposant à la politique « va-t-en-guerre » de l’administration Johnson, et par le journal local qui faisait largement écho dans ses colonnes des débats brûlants et contestations étudiantes sur le campus. La pétition "We-Won’t-Go" qui circulait dans les résidences universitaires et sur le campus déclarait : « Nous, les hommes en âge d’être enrôlés, pensons que les Etats-unis conduisent un guerre injuste contre le Viêt-Nam. Nous ne pouvons pas, en conscience, participer à cette guerre. Nous déclarons, par conséquent, notre détermination à refuser l’incorporation aussi longtemps que les Etats-unis se battront au Viêt-Nam ». La signature d’une telle pétition constituait un engagement très fort de la part des étudiants d’autant plus que le nom des signataires était publié dans le journal local. Adhérer à la désobéissance civile et, par conséquent, refuser l’incorporation valait jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et une amende de 10000 dollars. Les étudiants refusant l’incorporation pouvaient aussi s’attendre à trouver des obstacles dans la poursuite de leurs études (par exemple : refus de bourses). Les étudiants paryicipants au mouvement de la désobéissance civile étaient régulièrement sollicités et priés par les officiels du département de la Justice, par les sénateurs en faveur de la guerre, de respecter la loi et l’ordre. Les étudiants discutaient souvent entre eux des risques encourus en cas de désobéissance civile et tentaient d’envisager des alternatives. Soixante deux étudiants de l’Université de Yale ont été approchés et répartis en quatre groupes différant selon leur degré d’engagement envers la pétition : 1) ceux ayant signé la pétition “We-Won’t-Go" et dont les noms avaient été publiés dans les journaux ; 2) ceux sur le point de signer mais encore indécis ; 3) ceux sollicités mais qui, après réflexion, ont refusé de signer ; 4) ceux ayant refusé net de signer. Dans une première partie de l’expérience, chaque sujet était interviewé sur leurs opinions puis on leur demandait s’ils désiraient prendre connaissance de huit articles (quatre en faveur de l’enrôlement, quatre contre) parus dans divers magazines. Les résultats obtenus par Janis et Rausch montrent que les quatre groupes ne différent pas quant aux intentions de lire les articles prônant le non enrôlement des étudiants. En ce qui concerne les quatre autres articles défendant l’idée d’un enrôlement, on observe des différences. Les étudiants qui émettent les jugements les plus défavorables envers l’enrôlement (ceux ayant signé la pétition et, par conséquent, les plus engagés) expriment le plus d’intention de les lire que les sujets placés dans les trois autres groupes. Comment expliquer que les individus les plus engagés acceptent de lire des articles prenant position en faveur de l’enrôlement ? Selon Janis et Rausch (1970), les sujets engagés se déclarent contre l’enrôlement mais se sentent anxieux et incertains sur les risques encourus par leur décision, même s’ils pensent que leur opinion est moralement justifiée. En fait, ces sujets désirent prendre connaissance de ces articles pour faire attention aux contre-arguments avancés, pour rester vigilant et se prémunir 1) de toute attaque persuasive ultérieure qu’ils pourraient subir de la part de leur proches (e.g. parents et/ou amis), 2) des conséquences négatives découlant de leur refus de l’incorporation (adopter le statut d’objecteur de conscience, décider de quitter le pays). Bref, les individus les plus engagés restent les plus vigilants ou clairvoyants pour parer toute attaque en s’informant sur les risques encourus en cas de désobéissance civile. Cette vigilance, procédant de l’engagement, se déclencherait lorsque les sujets font l’objet de sérieux avertissement et sont exposés à des risques.

15Ces résultats ne vont pas sans rappeler les recherches de McGuire (1964) sur l’inoculation. Ne pourrait-on pas avancer que ces sujets fortement engagés cherchent finalement à s’inoculer des contre-arguments afin de pouvoir mieux résister à toute attaque persuasive contrattitudinale ?

16Dans une deuxième partie de l’expérience, on demandait à chaque étudiant de lire deux articles de six cents mots ayant trait à la pétition "We-Won’t-Go" et sur le problème de l’enrôlement forcé. Le premier message défendait l’idée de la pétition, le second était fermement contre. Après lecture, on demandait aux étudiants d’exprimer leur degré d’accord avec chacun des ces deux messages. Comme attendu, les quatre groupes ont donné une évaluation plus favorable au message en faveur de la pétition et contre l’enrôlement qu’au message prenant cause contre la pétition et pour l’enrôlement. Plus précisément, ce sont les sujets ayant signé la pétition et ceux sur le point de le faire (les deux groupes les plus engagés) qui se déclarent les plus favorables au texte en faveur de la pétition et les moins favorables au texte contre la pétition (cf. Frey et Schulz Hardt, 2001 pour une revue de question sur la prise de décision en groupe ; Mann, 1971 puis Mann et Taylor, 1970 pour les effets de l’engagement en phase de pré décision).

17Diverses expérimentations ont été réalisées dans le paradigme de l’exposition sélective. D’Alessio et Allen (2002) ont réalisé une méta-analyse testant le lien entre réduction de la dissonance et exposition sélective à l’information. Les résultats sont consignés dans le tableau ci-dessous :

18Les résultats, sur seize expérimentations répondants rigoureusement aux critères du paradigme de la sélection de l’information, attestent d’un lien significatif et positif entre réduction de la dissonance et sélection de l’information (r = .22, N = 1922). Ces résultats sont tout à fait conformes aux premières suggestions émises par Festinger (1957).

3. Effets des croyances antérieures sur l’argumentation persuasive

19Dans une expérience s’inscrivant dans la recherche biaisée d’information, Lord, Ross et Lepper (1979) ont montré que les opinions initiales des sujets ne sont pas sans conséquences sur l’appropriation ultérieure d’information. Les individus auraient tendance à traiter l’information partialement, autrement dit, à minimiser celle contraire à leur point de vue et à accepter plus facilement celle allant dans le sens inverse, afin de maintenir leurs croyances initiales. Un processus d’assimilation biaisé serait à l’origine de ces effets. Lord et ses collaborateurs (1979) présentaient, dans un premier temps, à des tenants et à des détracteurs de la peine de mort un même texte sur les résultats de deux études, une sur l’efficacité et l’autre sur l’inefficacité de cette mesure. Ils leur présentaient ensuite en détail la conception de ces études, la procédure de recherche utilisée, quelques critiques sur cette procédure. Les sujets répondaient ensuite à un questionnaire d’attitude et à des questions sur l’impact des résultats de cette étude sur leur jugement envers la peine de mort. Les résultats sont consignés dans le tableau ci-dessous :

Tableau 42. Evaluations des études par les tenants et détracteurs de la peine de mort. Les chiffres représentent l’évaluation moyenne de la procédure employée dans les études (échelle de -8 « très mal conçue » à +8 « très bien conçue »). Plus les chiffres sont élevés, plus les sujets jugent la procédure employée dans les études présentées bien conçue.

Tableau 43. Evaluations des études par les tenants et détracteurs de la peine de mort. Les chiffres représentent l’évaluation moyenne concernant le degré de conviction des sujets (échelle de -8 « pas du tout convaincante » à +8 « tout à fait convaincante »). Plus les chiffres sont élevés, plus les sujets jugent convaincante l’étude présentée.

20Les résultats vont dans le sens des attentes. La volonté des sujets d’interpréter les données présentées en fonction de leurs expériences passées (donc, de leur engagement) et de leur connaissances leur permet de donner sens à leur conviction. Que les sujets soient pour ou contre la peine de mort, ils trouvent dans les données qu’on leur présente les raisons qui justifient leurs attitudes et actions. Ces auteurs concluent en soulignant que les tentatives de fournir des preuves objectives sur des sujets d’actualité brûlant "nourrit plutôt qu’apaise le débat".

4. Engagement et support social

21Le support social peut participer à la réduction de la dissonance post décisionnelle. Stroebe et Diehl (1981, 1988) ont pu montrer, dans le paradigme de la soumission induite, que les sujets bénéficiant d’un support social après rédaction d’un essai contrattitudinel éprouvaient moins de dissonance. Ces auteurs ont publié un ensemble de quatre expériences. Chaque fois, deux étudiants sont invités à rédiger dans un contexte de libre-choix un essai contrattitudinel. Lorsque le premier (le sujet naïf) a accepté, il constate que le second (compère de l’expérimentateur) refuse. Selon Stroebe et Diehl, ces refus doivent augmenter la dissonance et susciter un plus grand changement d’attitude. Mais, les résultats obtenus sont ambigus. Par exemple, dans une expérience, la condition avec le compère rebelle ne suscite pas un taux de changement supérieur à celui obtenu dans une condition sans compère.

22Cooper et Mackie (1983), à partir des travaux sur l’identité sociale, prédisent que les sujets ne modifieront pas une position essentielle à leur définition sociale. Les sujets étaient des membres d’un groupe universitaire militant en faveur de Ronald Reagan comme candidat à la présidence américaine. Ils étaient amenés à rédiger un texte qui, dans une condition, recommandait de voter pour Jimmy Carter (condition « Carter ») et dans une autre condition plaidait en faveur d’une extension de la prise en charge publique des soins médicaux (condition « programme santé »). Les sujets, en faveur de Reagan, avaient exprimé une forte opposition à Carter et aux programmes de santé.

Tableau 44. Attitude moyenne des sujets face à l’élection de Carter et nu subventionnement de programme de santé selon le type de plaidoyer contrattitudinel (Carter vs. programme santé) et le choix (absence vs. présence). Plus les chiffres sont élevés, plus les sujets sont favorables à Carter ou au programme de santé.

23Lorsque l’acte contrattitudinal remet directement en question l’appartenance catégorielle des sujets soutenant Reagan (condition « Carter »), on observe qu’ils rejettent Carter (2,98 vs. 4,09) tout en modifiant leur attitude sur un problème associé : les programmes de santé (6,63 vs. 3,28). Lorsque l’acte contrattitudinel porte sur un élément plus périphérique (condition « programme Santé »), ils modèrent leur position initiale sur ce thème en direction du plaidoyer contrattitudinel, tout en ne modifiant pas leur attitude à l’égard de Carter dans cette même direction. La dissonance qui résulte d’un engagement contrattitudinal semble plus important lorsque cet acte menace l’identité. Les sujets diminuent cette dissonance en adoptant une position plus modérée sur une dimension évaluative proche (le programme de santé). Ainsi, ils introduisent en modifiant leur attitude à l’égard des programmes de santé un élément consistant avec leur comportement contrattitudinal.

24Des résultats semblables ont été retrouvés par Clémence (1988). Selon cet auteur, si on permet aux sujets de disposer d’un support catégoriel à leur attitude (avant la réalisation de l’acte), alors ils résisteront au conflit généré par l’acte problématique et la préservation de leur opinion. En revanche, si les sujets sont isolés, sans ancrage catégoriel, ils vont réduire leur dissonance en changeant d’attitude dans le sens de l’acte. Cette hypothèse a été testée dans trois expériences. Les sujets (des élèves de 16 à 17 ans) étaient amenés, dans un contexte de libre choix ou de non choix, à donner les aspects positifs d’une chanson « y » qu’ils n’appréciaient guère (leur choix se portait sur la chanson « x »). Certains sujets bénéficiaient d’un support catégoriel fort (les élèves de la classe et leur école préféraient la chanson « x ») ou faible (les élèves de leur école préféraient la chanson « x » et les élèves de la classe, la chanson « y »), d’autres ne bénéficiaient pas d’un tel support. Conformément aux hypothèses, les résultats de la première expérience montrent une revalorisation de la chanson « y » (effet de rationalisation) dans la condition où les sujets avaient été amenés à rédiger librement l’essai et ne disposaient d’aucun support catégoriel. Ce changement d’attitude n’est pas observé dans les deux autres conditions. Dans la seconde expérience, on observe un maintien de l’évaluation initiale de la chanson chez les sujets en situation de libre choix et qui disposent d’un support catégoriel important. Par contre, ces sujets ont tendance à modifier leur jugement sur des aspects partiels de la chanson (voix, rythme, musique et parole). La troisième expérience a reproduit ces résultats. Des élèves instituteurs (appartenance catégorielle faible) et des instituteurs expérimentés (appartenance catégorielle forte) étaient amenés à justifier une notation contraire à la leur, en situation de libre choix ou de non libre choix. Les résultats montrent qu’en situation de choix, les instituteurs ne modifient pas leur notation lors de la correction d’une nouvelle copie et dévalorisent la tâche (banalisation de l’exercice de notation). En revanche, les élèves instituteurs ont tendance à modifier leur notation ultérieure dans le sens de l’acte (effet de rationalisation). La dévalorisation de la tâche n’est pas observée dans ce groupe. La réduction de la dissonance post-décisionnelle pourrait se résoudre dans la recherche d’un support social majoritaire ou dans la conversion à une position majoritaire (cf. Moscovici et Mugny, 1987).