1La tentative de persuasion peut se produire dans divers contextes physiques et sociaux. Ces contextes exercent un impact sur l’obtention ou pas d’un changement d’attitude. Plusieurs paramètres de la variable contexte ont fait l’objet d’études. Nous allons les aborder.

1. L’avertissement

1.1. Les premières expérimentations

2La première expérience sur cette question a été réalisée par Allyn et Festinger (1961). Ces auteurs présentaient à deux groupes d’adolescents un même message en faveur d’un contrôle des comportements autoroutiers. Dans une première condition, le thème du message n’était pas dévoilé aux adolescents (absence d’avertissement), dans une seconde condition on les avertissait du thème et de la personnalité de l’orateur (avertissement). Après écoute du message, les adolescents devaient coter leur attitude envers le contrôle routier. Pris globalement, les résultats obtenus montrent que les sujets avertis du thème du message ont changé moins d’attitude et jugé l’orateur plus partial que ceux non avertis. Cette différence, entre avertis et non avertis, s’observe uniquement chez les sujets ayant une forte attitude initiale c’est-à-dire fermement opposés aux contrôles.

3A la suite de l’expérience d’Allyn et Festinger, les chercheurs ont différencié deux types d’avertissement : 1) l’avertissement thématique. Cet avertissement informe les individus du thème (introduction des contrôles autoroutiers) et de la position défendue par l’orateur (les adolescents devraient être contrôlés). On ne mentionne pas l’intention persuasive de l’orateur ; 2) l’avertissement sur l’intention de persuader. Les sujets sont d’emblée avertis des intentions de l’orateur et savent qu’ils vont être soumis à une tentative de persuasion. Les sujets ne connaissent pas le thème faisant objet de persuasion ni même la position défendue par l’orateur.

4Sears et Freedman (1965) avertissaient leurs sujets, soit 10 minutes, soit 2 minutes, soit immédiatement avant la présentation du message. Les résultats montrent un effet principal de l’avertissement : les sujets placés dans la condition 10 minutes font montre d’un moindre changement d’attitude que ceux placés dans les deux autres conditions. Ainsi l’avertissement, s’il précède le message de quelques minutes, diminue l’impact du message. Selon ces auteurs, plus les sujets disposeraient de temps entre l’avertissement et la présentation du message, plus ils produiraient de défense ou contre-arguments susceptibles de bloquer la tentative de persuasion ultérieure. Une dizaine de minute serait un laps de temps largement suffisant pour se préparer à résister (cf. Hass et Grady, 1975).

5Selon Kiesler et Kiesler (1964), une simple phrase donnée aux sujets avant lecture du message peut suffire à les avertir d’une tentative de persuasion. L’avertissement, dans leur expérimentation, prenait la forme d’un astérisque disposée dans le corps du texte. Cet astérisque renvoyait le lecteur à une note située au bas du texte. Cette dernière indiquait que le message visait une tentative de persuasion. L’astérisque apparaissait, soit au début du message, soit à la fin, soit pas du tout. Les résultats montrent que les sujets non avertis ou ceux avertis à la fin de l’article se sont laissés le plus facilement persuadés. On n’observe pas de changement d’attitude chez ceux avertis au début du texte. Ainsi, la place de l’avertissement peut être fondamentale dans l’ampleur du changement d’attitude.

6Selon McGuire et Millman (1965), les sujets avertis d’une attaque persuasive auraient tendance à changer leur opinion et à adopter d’emblée la position faisant objet d’une attaque. Ce changement anticipé, face à une attaque imminente de leur opinion, s’expliquerait à des fins de préservation de son estime de soi et de gestion de ses impressions face à autrui. Cet effet se produirait sur des thèmes plutôt émotionnels et invérifiables. Il ne se produirait pas sur des thèmes plus techniques prenant assisses sur des bases objectives. Sans entrer dans les détails, retenons que la théorie de l’estime de soi de McGuire prédit un effet différent de l’avertissement selon la nature des thèmes (émotionnels vs. techniques) retenus dans le message. Les résultats obtenus vont dans le sens des attentes. Les sujets avertis d’une attaque imminente anticipent un changement d’attitude dans le sens de l’attaque persuasive lorsqu’il s’agit de thèmes émotionnels (cf. aussi Deaux, 1967 ; Hass et Linder, 1972 ; Papageorgis, 1967 pour des résultats allant dans le même sens).

7Hass (1975) a montré que les sujets avertis modèrent leur attitude dans l’attente d’une tentative de persuasion. Lorsqu’ils s’attendent à ce que la source présente une vue opposée à la leur, ils font montre d’un changement dans le sens de la position défendue par cette source, avant même d’écouter son message. Les sujets ne voudraient pas paraître indécis aux yeux d’autrui, ce qui est le cas s’ils changent d’attitude après avoir écouté le message.

1.2. Implication et avertissement

8Pour Petty et Cacioppo (1977), « l’avertissement motivent les individus à considérer soigneusement leurs propres opinions, générer leurs défenses cognitives en vue de l’attaque imminente ». Dans une première expérience, Petty et Cacioppo (1977) ont montré que lister ses pensées (réponses cognitives) avant réception du message persuasif peut générer une résistance similaire à un avertissement.

9Dans une autre expérience, les sujets de Petty et Cacioppo (1979) étaient, soit avertis, soit non avertis de l’intention persuasive d’un orateur. A la moitié des sujets (condition avertissement) on disait que le message « était conçu spécialement pour tenter de vous persuader sur le changement de certaines règles du collège ». A l’autre moitié on disait que le message faisait partie d’un projet de classe de journalisme (condition non avertissement). L’implication était aussi manipulée. On faisait croire à une moitié des sujets que ce changement devait se faire l’année prochaine (forte implication), à l’autre moitié qu’il était programmé dans cinq ans (faible implication). L’ensemble des sujets écoutait le message persuasif défendant le changement de certaines règles. Les sujets cotaient ensuite leurs opinions et listaient leurs pensées. Les résultats montrent qu’en condition de faible implication, l’avertissement n’a pas d’impact sur les attitudes. En revanche, les sujets fortement impliqués et avertis résistent le mieux à la tentative de persuasion subséquente même si la qualité de l’argumentation présentée est bonne. En effet, ces derniers génèrent deux fois plus de pensées négatives et moitiés moins de pensées positives que les sujets n’ayant pas reçu d’avertissement. Les sujets non avertis et fortement impliqués se laissent, en revanche, convaincre lorsque la qualité de l’argumentation présentée est bonne (cf. aussi Fukuda, 1986).

10Chen, Reardon, Rea et Moore (1992) ont montré que des sujets fortement impliqués, distraits après réception de l’avertissement, n’ont pas l’opportunité de trouver suffisamment de contre-arguments à l’encontre du message présenté. Ces sujets se laissent alors aussi facilement persuadés que ceux non avertis. Ces résultats montrent que la contre argumentation est le seul moyen dont disposent les sujets impliqués et avertis pour résister à une tentative de persuasion. Si cette contre argumentation est bloquée, par distraction, alors les sujets se laissent plus facilement persuadés par le message persuasif. Ces résultats vont aussi dans le sens de l’hypothèse de la « médiation cognitive » de la persuasion. Si la contre argumentation permet de résister à la persuasion via la production de réponses cognitives négatives, son blocage réduit la résistance à la persuasion (Romero, Agnew et Insko, 1996). Par ailleurs, l’acte même de lister les pensées avant la présentation du message peut engager les sujets (Kiesler, 1971). En effet, les sujets listant leurs propres opinions ou réponses cognitives avant d’être exposés au message persuasif se montrent plus résistants à une tentative de persuasion ultérieure que ceux n’ayant pas eu l’occasion de les lister. Par ailleurs, Zuwerink Jacks et Devine (2000) ont pu montrer que des sujets ayant une attitude de forte importance sont plus résistants à un message contrattitudinal, qu’ils soient avertis ou pas, que ceux ayant une attitude de faible importance. Ceux ayant une attitude de faible importance sont motivés à la défendre dès qu’ils savent disposer d’un délai suffisant pour se préparer à la réception du message persuasif. Pensées cognitives négatives et affectives (par exemple : l’irritation) contribuent alors à une plus grande résistance au message.

11Récemment, Benoit (1998) a réalisé une méta-analyse portant sur douze études rapportant les effets de l’avertissement.

Tableau 10. Les études utilisées dans la méta-analyse (d’après Benoit, 1998)

Tableau 11. Résultats de la méta-analyse de Benoit (1998)

12La corrélation obtenue de .18 indique qu’il existe un effet de l’avertissement sur la persuasion. Des individus avertis de la réception imminente d’un message à visée persuasive sont moins persuadés que ceux non avertis (cf. aussi O’Keefe, 1999). Plus récemment, Wood et Quinn (2003) ont réalisé deux méta-analyses sur avertissement et persuasion. Pris globalement, les résultats montrent qu’un avertissement menace l’attitude des sujets impliqués. Ils répondent alors d’une manière défensive, en adoptant un raisonnement biaisé, en renforçant cognitivement leur attitude. L’avertissement menace plutôt l’image de leur soi, leur crédibilité, s’ils sont faiblement impliqués. Le seul moyen de diminuer cette menace consisterait à changer préventivement d’attitude avant la délivrance du message.

2. La distraction

13Festinger et Maccoby (1964) sont les premiers à tester l’effet de distraction sur la persuasion. Les sujets écoutaient un message, contraire à leurs opinions, plaidoyant en faveur de l’ouverture d’établissements scolaires. La moitié visionnait sur un écran l’orateur (condition sans distraction), l’autre moitié visionnait un film n’ayant pas de rapport direct avec le message (condition avec distraction). Les résultats obtenus montrent que les seconds changent plus d’attitude, dans le sens de la position défendue dans le message présenté, que les premiers. La distraction provoquerait ce changement d’attitude en éliminant toute tentative de contre argumentation de la part des sujets (cf. aussi Freedman et Sears, 1965)1.

14Janis, Kaye et Kirschner (1965) ont testé l’effet d’un stimulus agréable ou distrayant sur la persuasion. Ils suggèrent que la prise de nourriture pendant la lecture d’un message favorise l’acceptation du message persuasif. L’expérience se déroulait sur deux groupes. Le premier groupe lisait quatre messages différents (il faut attendre encore 25 ans avant de trouver un médicament anti-cancéreux ; les forces américaines n’ont plus besoin de recruter des hommes, leur effectif est à réduire de 85 % ; on posera le pied sur la lune d’ici à la fin de la décennie ; les films en trois dimensions remplaceront ceux en deux dimensions d’ici à 3 ans) en mangeant une nourriture particulièrement appréciée, le second lisait ces quatre mêmes messages mais sans manger. Les résultats obtenus montrent que les sujets adhèrent plus au message lorsqu’ils mangent que lorsqu’ils ne mangent pas.

15Kiesler et Mathog (1968) donnaient à leurs sujets un message émanant soit d’une source crédible soit d’une source non crédible. Ces messages étaient présentés dans un contexte de faible ou forte distraction (par exemple : copier une liste de chiffres). Les résultats obtenus, conformes aux hypothèses, montrent une interaction entre la source et la distraction. La source produit un plus fort impact sur les attitudes en situation de distraction : une forte distraction inhibe la contre argumentation implicite.

Graphique 7. Changement d’attitude comme fonction de la distraction et la crédibilité de la source (d’après Kiesler et Mathog, 1968).

16Jusqu’au début des années soixante et dix, on pensait que l’absence de contre argumentation provoquait le changement d’attitude en situation de distraction. Cette contre argumentation n’était pourtant pas directement mesurée. Zimbardo et Ebbesen (1970) puis Osterhouse et Brock (1970) sont les premiers à l’avoir mesurée. Leurs résultats montrent, effectivement, que la contre argumentation diminue en situation de distraction. Plus récemment. Briller (1986) a réalisé une méta-analyse sur 41 expérimentations manipulant la distraction. Contrairement aux attentes, les résultats montrent qu’elle ne produit pas d’effet sur l’attitude (r = 0,03) mais plutôt sur la compréhension des messages (0,23). Ce dernier résultat s’inscrit dans le droit fil des travaux de McGuire (1966). Ce dernier avait formulé l’hypothèse que la distraction produisait un effet sur la compréhension du message (cf. aussi, Briller et Hall, 1968 ; Silverman et Régula, 1968 ; Vohs et Garrett, 1968 ; Haaland et Venkateses, 1968 ; Burgoon Fraedrich et Bachman, 1979 ; Romer, 1979).

17Petty et ses collaborateurs ont testé l’effet de la distraction sur le traitement des messages persuasifs. Petty, Wells et Brock (1976) ont montré que la distraction produisait un effet sur les attitudes seulement si l’argumentation est de faible qualité. L’analyse des pensées ou réponses cognitives a montré qu’en situation de distraction les sujets réduisent 1) la production de pensées défavorables envers une argumentation de mauvaise qualité ; 2) le nombre de pensées favorables envers une argumentation de bonne qualité.

Graphique 8. Changement d’attitude comme fonction de la distraction et de la qualité de l’argumentation (d’après Petty, Wells et Brock, 1976).

3. Les facteurs d’ambiance : musique, odeur

18Le pouvoir émotionnel de la musique est utilisé depuis longtemps à des fins thérapeutiques, pour soigner les angoisses, les dépressions, etc. Depuis récemment, on utilise la musique pour faire vendre. Plus de 250000 lieux publics diffusent de la musique d’ambiance dans leurs espaces de vente (Rieunier, 1998). Quelques études américaines menées au cours des vingt dernières années, ont permis d’apprécier les effets de l’atmosphère du magasin sur le comportement des clients. L’atmosphère agit sur l’acheteur par stimulation sensorielle pouvant résulter en perceptions mais aussi en émotions et en comportements. Ils montrent que les clients peuvent être particulièrement sensibles à l’ambiance dans laquelle ils effectuent leurs achats. La musique a certainement été le composant de l’atmosphère le plus étudié et plusieurs recherches ont montré que la musique est à même d’influencer le comportement des acheteurs. Le tableau ci-dessous résumé les principales expérimentations testant l’effet de la musique sur le comportement des clients :

19Après une analyse au plus près de la littérature, Rieunier (1998) propose trois conclusions : 1) la compréhension du lien musique/comportement d’achat doit passer par la prise en compte de trois variables modératrices ou médiatrices : niveau de stimulation désiré par les clients, congruence avec les goûts musicaux des clients, congruence avec l’image du magasin ; 2) les seuls résultats significatifs obtenus sont les suivants :

• lles individus passent plus de temps dans le magasin et dépensent plus lorsque la musique correspond à leurs goûts musicaux ; Le style de la musique d’ambiance peut influencer le montant des achats des consommateurs et le nombre d’achats imprévus (Sibéril, 1994). Le montant dépensé est positivement lié à la correspondance entre la musique diffusée et leurs goûts musicaux. De plus, la musique n’a pas le même effet selon les différents moments de la journée. Le style de musique et le tempo interagissent avec le moment de la journée : en période de pointe, le consommateur achète plus d’articles avec de la musique de variété (« top 50 ») au tempo rapide alors qu’en période creuse il achète plus avec de la musique classique au tempo lent ;
• les clients dépensent plus dans un magasin lorsqu’on y diffuse de la musique supposée congruente avec le type de produits qui y est vendu. Une musique plaisante n’est pas suffisante à aider les vendeurs. Elle peut même contrecarrer leurs arguments si les clients la considèrent comme non congruente avec le produit vendu (Chebat, Vaillant et Gélinas-Chebat, 2000) ;
• le style de musique influence le plaisir ressenti par le client vis-à-vis de l’atmosphère du magasin.

20L’odeur peut aussi influer sur le comportement des individus. Spangenberg, Crowley et Henderson (1996) ont montré que le parfum ambiant peut conduire à une expérience subjective accrue pour les clients. Le temps que les consommateurs passent à examiner les marchandises, à faire les files d’attente, à se faire servir, peut paraître plus court lorsqu’il est introduit un parfum ambiant. La présence d’un parfum non déplaisant dans un magasin est une façon peu coûteuse et efficace d’améliorer les réactions des consommateurs envers le magasin et ses marchandises. Enfin les commerciaux doivent, selon Spangenberg et ses collaborateurs, prêter attention à la congruence parfum/lieu d’achat. Mitchell, Kahn et Knasko (1995) ont montré que les parfums ambiants jugés congruents (un parfum de fleurs chez un fleuriste) ou incongruents (un parfum de chocolat chez un fleuriste) ont des effets différents sur le traitement de l’information et le choix des articles (cf. aussi Asmus et Bell, 1999 ; Baron, 1997).