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Chapitre 1 : La source

p. 17-45


Texte intégral

1Les expérimentations manipulant la crédibilité ou l’expertise de la source (ou de l’émetteur) répondent à une même procédure. Classiquement, des sujets lisent un message sur un thème particulier. On fait croire à une moitié d’entre eux que ce message provient d’une source faiblement crédible, à l’autre moitié que ce message provient d’une source faiblement crédible. Après lecture du message, les sujets doivent donner leur opinion personnelle. Les résultats montrent, le plus souvent, que la source fortement crédible est la plus convaincante.

1. La crédibilité de la source

2La première expérimentation traitant de l’impact de la source a été réalisée par deux chercheurs américains au tout début des années cinquante. Hovland et Weiss (1951) présentaient un message identique à deux groupes de sujets. Pour un groupe, ce message émanait soi disant d’une source fortement crédible, pour l’autre groupe d’une source faiblement crédible. Hovland et Weiss ont testé l’impact persuasif de la source sur quatre thèmes différents.

Tableau 1. Les quatre thèmes et sources utilisés par Hovland et Weiss (1951)

Thèmes

Source Fortement Crédible

Source Faiblement Crédible

"La vente de drogue anti-histaminiques devrait-peut-elle se poursuivre sans prescription médicale ?"

New England Journal of Biology and Medicine

Magazine mensuel pour tout public

"La construction d’un sous marin atomique est-elle possible aujourd’hui (1950-1951) ?"

Robert J. Oppenheimer

Un journaliste de la Pravda

"L’industrie sidérurgique est-elle à blâmer pour le déficit actuel d’acier ?"

Bulletin of National Resources Planning Board

Editorialiste de droite, contre le new deal

"La télévision va t-elle favoriser une diminution de la fréquentation des théâtres d’ici à 1955 ?"

Fortune Magazine

Editorialiste de la presse à scandale

3Les résultats obtenus, après lecture, montrent que les sujets sont plus nombreux à changer d’opinion lorsque le message émane d’une source fortement crédible que d’une source faiblement crédible, (tableau 2)

Tableau 2. Pourcentage net d’individus ayant changé d’opinion dans chaque condition expérimentale (d’après Hovland et Weiss, 1951). Changement net = changement positif – changement négatif

Thèmes

Source fortement crédible

Source faiblement crédible

1- Anti-histaminiques

22,6

13,3

2- Sous-marin atomiques

36

0

3- Déficit d’acier

22,9

– 3,8

4- Avenir du théâtre

12,9

16,7

Moyenne

23

6,6

Différence entre moyennes

16,4

4Les mêmes sujets étaient à nouveau convoqués quatre semaines plus tard pour redonner leur opinion sur ces mêmes thèmes (seconde mesure). Les résultats obtenus, quatre semaines plus tard, montrent que l’impact de la forte crédibilité ne perdure pas. Tous les sujets expriment sensiblement la même opinion. Hovland et Weiss (1951) ont avancé l’idée d’un « effet donneur » ou « sleeper effect ». Les sources de forte crédibilité auraient un impact immédiat sur les opinions et/ou sur les attitudes mais pas différé. Selon ces auteurs, les sujets placés en situation de forte crédibilité seraient immédiatement convaincus par la crédibilité de la source. Le temps passant, ils oublieraient la source et ne conserveraient en mémoire que le contenu du message. Les sujets placés en situation de faible crédibilité se formeraient leur opinion sur le contenu du message puisqu’ils ne peuvent se fier à une source faiblement crédible. Ils oublieraient aussi la source faiblement crédible. Quatre semaines plus tard, tous les sujets auraient oublié la source et utiliseraient alors l’argumentation pour se former une opinion. Ce « sleeper effect » ne s’observe plus lorsqu’on rappelle aux sujets, lors de la seconde mesure, la source du message (Kelman et Hovland, 1953).

5Le sleeper effect fait l’objet, depuis les années cinquante, d’une abondante littérature en psychologie sociale expérimentale. Selon Pratkanis, Greenwald, Baumgardner et Leippe (1988), le sleeper effect procéderait d’un déclin différentiel. Argumentation et source seraient mises en mémoire mais la source s’y effacerait plus rapidement. Selon ces auteurs, on obtient un sleeper effect lorsque les sujets : (1) traitent soigneusement l’argumentaire persuasif, (2) prennent en compte des indices négatifs facilitant l’éveil de la réactance (par exemple : « ne personne intelligente n’a pas de choix que de croire... ») après lecture du message, (3) évaluent la crédibilité de la source immédiatement après la présentation de ces indices.

6Dans une autre expérience, Bochner et Insko (1966) donnaient aux étudiants de l’Université de Hawaii un message traitant de la durée de sommeil. La moitié des étudiants lisait un message émanant de J. Eccles, prix Nobel de physiologie (forte expertise), l’autre moitié un message de H. Olsen, directeur du Y.M.C.A de Forth Worth (faible expertise). Les messages étaient identiques mais différaient sur le nombre d’heures de sommeil recommandées. On donnait à un groupe un message recommandant huit heures de sommeil, à un autre groupe un message recommandant sept heures de sommeil et ainsi de suite jusqu’au dernier groupe qui lisait un message recommandant de ne pas dormir du tout (0 heures). Après lecture, chaque étudiant répondait à la question suivante : " Pour se sentir en pleine forme, combien faut-il d’heure de sommeil par nuit ? Les chercheurs s’attendaient à ce que les étudiants se rangent plus prés des recommandations formulées par la source fortement experte que celle faiblement experte. Les principaux résultats montrent que lorsque les deux sources recommandent seulement une heure de sommeil par nuit, la source fortement crédible a plus d’influence sur les étudiants que la source faiblement crédible. Les premiers jugent alors qu’il faut un peu moins de six heures de sommeil (5,8 en moyenne) pour se sentir en pleine forme contre un peu moins de sept heures pour les derniers (6,8 en moyenne).

7Les deux expériences que nous venons de présenter font partie des classiques de la littérature sur la persuasion. Elles montrent que le moyen le plus sûr de changer les opinions est encore d’utiliser une source fortement crédible.

1.1. La crédibilité de la source influence-t-elle dans toutes circonstances ?

8Petty, Cacioppo et Goldman (1981) ont montré que l’expertise de la source n’a pas d’impact persuasif si les individus se sentent particulièrement impliqués par le thème faisant objet de persuasion. Prenons un exemple. Nous savons que les étudiants sont unanimes pour dénoncer l’instauration d’examen de sélection à l’Université. Pour eux, le thème de la sélection est fortement impliquant. Supposons qu’ils lisent un message, en faveur de l’introduction de cet examen, émanant d’une source fortement crédible (un ministre de l’éducation). Vont-ils pour autant changer d’opinion sur la nécessité de cet examen ? Changeront-ils leurs opinions parce qu’un expert, au demeurant fortement crédible, s’y montre favorable ? Selon Petty et Cacioppo (1986)1, une source crédible produirait un impact persuasif lorsque les individus ne sont pas motivés ou capables d’évaluer soigneusement les arguments contenus dans le message. S’ils se montrent, en revanche, motivés ou capables d’évaluer l’argumentaire persuasif alors ils n’auraient pas recours à l’expertise de la source pour se forger une opinion. Cette hypothèse a été testée par Petty, Cacioppo et Goldman (1981). Ces auteurs informaient leurs sujets (des étudiants) que l’Université envisageait l’introduction d’un examen de sélection. On disait à une moitié des étudiants que cet examen serait introduit l’année prochaine (forte implication), à une autre moitié dans une dizaine d’années (faible implication). On apprenait à une moitié des étudiants que cette proposition émanait, soit d’une source fortement crédible (un professeur en Sciences de l’éducation), soit d’une source faiblement crédible (un lycéen). Finalement, la moitié des étudiants lisait un message donnant de bonnes raisons d’introduire cet examen (arguments forts), l’autre moitié un message donnant aucune bonne raison de l’introduire (arguments faibles). Conformément aux attentes, une forte implication conduit les sujets à évaluer plus soigneusement les arguments proposés. Le changement d’attitude envers l’introduction de l’examen de sélection est plus fort lorsque l’argumentation est de bonne qualité que de mauvaise qualité. Ici, la qualité de l’argumentation prend le pas sur la crédibilité de la source. Les sujets placés en situation de faible implication, quant à eux, forment leur attitude à partir du degré de crédibilité de la source. Celle fortement crédible a plus d’influence sur l’attitude que celle faiblement crédible. Ici, la crédibilité de la source prime sur la qualité de l’argumentation.

9Est-ce à dire que les individus fortement motivés basent leur jugement seulement sur la qualité de l’argumentation ? Rien n’est moins sûr. Chaiken et Maheswaran (1994) demandaient à des étudiants de l’Université de New York de participer à une étude commandée par un fabriquant de répondeurs téléphoniques. Les sujets devaient lire un message publicitaire de quatre pages sur le répondeur et donner leur avis. On disait à la moitié des sujets que ce répondeur serait bientôt commercialisé dans l’état de New York, que l’étude de marketing préalable à sa sortie était réalisée sur un faible échantillon de population. On leur faisait donc croire que les réponses de chacun auraient un poids important dans la décision finale du fabricant (motivation forte). A l’autre moitié on disait que le produit serait commercialisé dans le Middle-west, que l’étude était réalisée sur un grand échantillon et, par conséquent, que les réponses de chacun n’étaient pas très importantes (motivation faible). Par ailleurs, le message de quatre pages présentant le répondeur téléphonique était attribué soit à un journal spécialisé dans les tests scientifiques : « Consumer Reports » (source fortement crédible) soit au département marketing d’une chaîne de magasins discount : Kmart (source faiblement crédible). Enfin, pour un tiers des sujets, le message contenait une argumentation de bonne qualité, un autre tiers une argumentation de faible qualité, le tiers restant une argumentation ambiguë (composé d’arguments forts et faibles). Les sujets devaient, après lecture du message, coter leur attitude à l’égard du répondeur. Les résultats obtenus sont conformes aux attentes de Chaiken et Maheswaran. Les sujets peu motivés à traiter soigneusement l’argumentation fondent leurs jugements sur la crédibilité de la source quel que soit le type de message présenté. Les sujets fortement motivés sont influencés par l’argumentation développée dans le message. Ceux ayant lu un message de bonne qualité changent d’attitude quelle que soit la crédibilité de la source. Ceux ayant lu un message de mauvaise qualité ne changent pas d’attitude quelle que soit la crédibilité de la source. Ceux fortement motivés ayant lu un message ambigu changent d’attitude uniquement lorsque la crédibilité de la source est forte : ici, la crédibilité de la source affecte uniquement le jugement des sujets confrontés à un message ambigu. Ainsi, lorsque le message est particulièrement ambigu, les sujets impliqués utilisent à la fois la qualité de l’argumentation et la crédibilité de la source pour se former une attitude.

1.2. Exemples d’expérimentations sur l’effet de la source

1.2.1. Source et degré de divergence

10Une source est-elle toujours crédible quoi qu’elle dise ? Aronson, Turner et Carlsmith (1963) demandaient à des étudiantes de classer, par ordre de préférence, neuf strophes tirées de poèmes. On leur donnait ensuite un texte de deux pages présentant un classement de ces strophes. La moitié des sujets recevait un texte comportant un classement faiblement divergent du leur, l’autre moitié un classement fortement divergent. Le texte était attribué à une source, soit fortement crédible (le poète critique T.S. Eliot), soit faiblement crédible (une étudiante en théâtre : Agnes Sterns). Après lecture, les sujets devaient indiquer leur degré d’accord envers ce classement. Les résultats obtenus montrent que la source fortement crédible exerce le plus d’influence lorsque le degré de divergence du classement est élevé. La source faiblement crédible produit un impact maximum lorsque la divergence du classement est moyenne. Au fur et à mesure que la divergence croît, les sujets dévalorisent une source faiblement crédible : “seul un idiot prendrait une telle position". Ce n’est pas le cas avec une source fortement crédible : elle reste efficace même si la divergence est forte.

2.2.2 Parler contre son propre intérêt

11Walster, Aronson et Abrahams (1966) ont montré qu’une source de faible crédibilité a plus d’impact persuasif qu’une source de forte crédibilité lorsqu’elle défend un point de vue contraire au sien. Les sujets lisaient des messages en faveur d’une réforme judiciaire sur le pouvoir des procureurs. Ces messages étaient rédigés soit par des criminels (faible crédibilité) soit par des procureurs (forte crédibilité). Les résultats montrent que les procureurs plaidant en faveur d’une diminubon de leur pouvoir (position contraire à celle normalement attendue) sont plus persuasifs que des criminels plaidant la même chose. En revanche, des criminels défendant l’idée d’une augmentation du pouvoir des procureurs sont plus persuasifs que des procureurs défendant la même position. Ainsi, la source induit aussi un changement lorsqu’elle défend une position non conforme à ses intérêts. Par ailleurs, Mills & Harvey (1972) ont montré qu’une source fortement crédible produit plus d’impact si elle se présente avant de livrer son message qu’après. Le public adhérerait plus facilement aux arguments persuasifs. En revanche, une source faiblement experte gagnerait plus à se présenter après son message. Elle éviterait, de cette façon, que les sujets dévalorisent les arguments persuasifs présentés.

1.2.3 La source qui veut persuader

12Vaut-il mieux avertir ou pas l’auditoire d’une tentative de persuasion imminente ? Selon Petty et Cacioppo (1979), l’obtention ou pas du changement d’attitude serait fonction du degré d’implication des sujets. Des étudiants devaient écouter puis évaluer des éditoriaux traitant de l’introduction d’examen de sélection à l’Université. On avertissait la moitié d’entre eux que ces messages étaient destinés à les convaincre (condition avertissement), à l’autre moitié qu’il s’agissait simplement de quelques idées avancées par des journalistes (condition non avertissement). De plus, on faisait croire à une moitié des étudiants qu’il s’agissait d’introduire l’examen dès cette année à l’Université (forte implication) et à une autre moitié dans une autre Université (faible implication). Conformément aux hypothèses, en situation de forte implication, les sujets non avertis changent significativement plus d’attitude, jugeant l’examen plus positivement, que ceux avertis. En revanche, les sujets faiblement impliqués ne se différencient pas selon la présence versus l’absence de l’avertissement. Nous reviendrons plus en détail sur le rôle de la variable avertissement dans le contexte de la persuasion.

1.2.4. La couleur de peau

13Une source crédible peut-elle rester persuasive selon la couleur de sa peau ? Aronson et Golden (1962) donnaient à des étudiantes un message sur les avantages d’étudier les mathématiques. Ce texte émanait, selon les conditions expérimentales, d’un ingénieur de couleur blanche, d’un ingénieur de couleur noire, d’un laveur de vaisselle blanc, d’un laveur de vaisselle noir. Après lecture du message, les étudiantes devaient donner leur degré d’accord sur la nécessité des études mathématiques. Les résultats montrent que l’ingénieur, qu’il soit blanc ou noir, est plus persuasif que le laveur de vaisselle noir mais pas blanc. Le laveur de vaisselle blanc n’est pas significativement plus efficace que le noir. Si l’on tient compte maintenant du degré de racisme éprouvé envers les personnes de couleur (les auteurs avaient pris soin de faire remplir un questionnaire sur le racisme en phase pré expérimentale), les résultats montrent que les sujets non racistes sont plus influencés par un ingénieur noir et un laveur de vaisselle noir que les sujets racistes. Ils sont aussi plus influencés par un ingénieur noir que blanc. Quant aux sujets racistes, ils sont moins influencés par un laveur de vaisselle noir que blanc. En fait, les sujets non racistes surestiment la source noire, ceux racistes la sous-estiment. Les sujets, qu’ils soient racistes ou pas, forment leurs jugements sur des aspects non pertinents ou subjectifs comme la couleur de la source. Ainsi, la crédibilité de la source détermine son influence mais la crédibilité dépend moins de celui qui la possède que de celui qui l’attribue, de l’émetteur que du récepteur. Dans le même sens, White et Harkins (1994) ont étudié l’effet de la couleur de la source sur le changement d’opinion. Les résultats montrent qu’un message, même faiblement impliquant, est toujours soigneusement traité s’il est délivré par une source de couleur noire. Ces derniers résultats sont compatibles avec la théorie de Gaertner et Dovidio (1986) sur le racisme : les blancs, imprégnés de valeurs égalitaires et non racistes, se préoccupent de ne pas paraître raciste même s’ils le sont tout de même un peu. Par conséquent, ils se montrent motivés à traiter soigneusement les messages présentés par des sources de couleur noires. Par ailleurs, ceux exprimant une attitude négative envers les personnes de couleur traiteraient en profondeur le message afin de justifier, au final, une attitude peu favorable envers l’argumentation défendue.

1.2.5. La discrimination

14Petty, Fleming et White (1999) ont montré que les individus traitent soigneusement un message émanant d’un groupe subissant une discrimination ou une stigmatisation. Les messages émanaient soi-disant d’une source discriminée (des noirs dans l’expérience 1 ; des homosexuels dans l’expérience 2) ou non discriminée (des blancs, expérience 1 ; des hétérosexuels, expérience 2). Les résultats montrent que le message émanant de sources discriminées bénéficiait d’un traitement approfondi uniquement chez les lecteurs ne possédant pas un jugement discriminatoire à leur égard. Ces derniers sont alors le plus influencés par la qualité de l’argumentation. Cet effet va dans le sens de l’hypothèse des « chiens de garde » (« watchdog hypothesis ») : les individus ne faisant pas de discrimination traitent le message parce qu’ils savent que ces sources ne bénéficient pas d’une image positive dans la société. Selon Petty, Fleming et White, les « chiens de garde » sont suffisamment motivés pour traiter en profondeur ces messages : ils prêtent attention à leurs propres préjugés et restent vigilants aux préjugés des autres.

1.2.6 Le débit de parole

15Moore, Hausknech et Thamodoran (1986) ont testé l’effet du débit de parole sur le traitement de l’argumentation persuasive. Ils ont montré que des sujets soumis à un débit rapide génèrent moins de pensées favorables à l’audition des arguments et sont moins influencés par la qualité de l’argumentation que ceux soumis à un débit de parole normal. Pour se forger une attitude, les sujets se servent alors de la crédibilité de la source : une forte crédibilité entraîne un changement d’attitude positif, une faible crédibilité un changement négatif. Un débit normal offre, aux sujets, la possibilité de traiter soigneusement l’argumentation du message : c’est la qualité de l’argumentation qui est à l’origine du changement d’opinion. Autrement dit, si vous désirez convaincre facilement quelqu’un tout en étant pas sûr de vos arguments, mieux vaut parler vite que doucement et paraître expert sur le thème !

16Smith et Shaffer (1995) donnaient à leurs étudiants un message soit fortement impliquant (introduction d’un examen de sélection d’ici à l’année prochaine) soit modérément impliquant (introduction d’un examen de sélection dans six ans). La moitié des messages comprenait une argumentation de bonne qualité, l’autre moitié une argumentation de mauvaise qualité. De plus, la moitié des messages était délivrée à une vitesse, soit normale (180 mots à la minute), soit rapide (220 mots à la minute). Les résultats montrent que les sujets exposés à un débit normal expriment une attitude post-expérimentale plus favorable envers l’examen de sélection lorsque l’argumentation est de bonne qualité. En revanche, la qualité de l’argumentation ne produit pas d’effet chez les sujets exposés à un débit rapide. Cette rapidité, dans le discours, les empêcherait de traiter soigneusement les arguments. Les résultats montrent aussi que le débit rapide a plus d’influence que le débit normal lorsque l’argumentation est de faible qualité. Le débit rapide ne produit pas d’effet chez les sujets fortement impliqués mais un effet chez ceux modérément impliqués : ils l’utilisent comme indice de crédibilité (« les individus qui parlent rapidement sont sûrs d’eux ») et sont, par conséquent, plus influencés par un débit rapide que normal.

2. L’honnêteté de la source

17L’honnêteté de la source constitue un paramètre supplémentaire entrant en compte dans la caractéristique de la source. Ce paramètre, à notre connaissance, a été testé dans une seule expérimentation. Pour les besoins, Priester et Petty (1995) ont utilisé des sujets ayant un niveau différent de besoin en cognition autrement dit d’appétence pour l’effort cognitif. Les sujets remplissaient d’abord une échelle de besoin de cognition (Cacioppo & Petty, 1982, cf. encadré n° 1). Ceux ayant un score faible en besoin de cognition s’appuient, pour se forger une opinion, sur des indices n’ayant rien à voir avec la qualité de l’argumentation (par exemple : la source). Ceux ayant un score élevé de besoin de cognition s’appuient essentiellement sur la qualité des arguments présentés dans le message. Priester et Petty (1995) s’attendaient donc à ce que des sujets ayant un faible besoin de cognition soient plus influencés par un message émanant d’une source fortement honnête que d’une source faiblement honnête. Le message commençait par présenter la carrière professionnelle de M. McCarthy, travaillant dans l’éducation pendant plus de vingt-cinq ans et ayant occupé pendant douze ans la vice-présidence de l’Université de Chicago. Dans une condition, le message présentait les comptes de l’Université et précisait que McCarthy n’avait pas hésité à amputer de 15 % le budget de son propre département afin de rétablir l’équilibre financier de l’Université (forte honnêteté). Dans une autre condition, le message le présentait comme ayant réduit du même pourcentage le budget d’un département plus pauvre que le sien (faible honnêteté). Le message racontait ensuite que McCarthy était favorable à un examen de sélection à l’Université. Après lecture du message, les sujets devaient remplir des échelles d’attitude sur la sélection. Les résultats obtenus vont dans le sens des attentes de Priester et Petty. Les sujets ayant un faible besoin de cognition expriment une attitude plus favorable envers l’examen de sélection lorsque McCarthy est présenté fortement honnête plutôt que malhonnête. En revanche, les sujets ayant un fort besoin de cognition évaluent soigneusement l’argumentaire persuasif quel que soit le degré d’honnêteté de McCarthy. Ces derniers sont alors influencés par la qualité de l’argumentation : ils expriment une attitude plus favorable envers l’examen lorsqu’elle est de bonne qualité.

Encadré n° 1
Le besoin de cognition (« needfor cognition »)
Il existe des différences individuelles dans la motivation qu’ont les individus à traiter un message persuasif. Certains apprécient l’effort cognitif d’autres non. Les premiers ont un fort "besoin de cognition", les autres ont un faible "besoin de cognition" (Cacioppo et Petty, 1982). Les individus ayant un fort besoin de cognition formeraient leurs attitudes à partir de la qualité de l’argumentation proposée dans le message. Ceux ayant un faible besoin decognition n’apprécient pas l’effort cognitif et forment leur attitude sur des indices périphériques extérieurs au message comme la source. Par exemple, Cacioppo, Petty et Morris (1983) donnaient à leurs sujets un texte contraire à leurs attitudes contenant des arguments soit forts soit faibles en faveur d’une augmentation des frais d’inscription universitaires. Les résultats montrent que le changement d’attitude des sujets ayant un fort besoin de cognition est plus influencé par la qualité de l’argumentation que celui des sujets ayant un faible besoin de cognition. Ces derniers sont plus sensibles à des indices périphériques comme, par exemple, une source attrayante (Haugtvedt, Petty et Cacioppo, 1992). Les individus ayant un fort besoin de cognition sont habitués à engranger de l’information et à la manipuler. Les connections entre les composants de l’attitude se trouveraient ainsi renforcées ce qui rendrait cette attitude plus facilement accessible, persistante et résistante au changement. Les individus ayant un faible besoin de cognition sont moins habitués à manier l’information. Leur attitude serait basée sur des associations simples ou des inférences. L’attitude serait dès lors moins accessible et moins résistante face à une tentative de persuasion (Cacioppo, Petty, Kao et Rodriguez, 1986).

3. L’appréciation de la source

18Perloff (2001) a montré l’efficacité persuasive d’une personnalité sur l’attitude envers le sida. En 1991, Magic Johnson, joueur de basket-ball adulé, annonce sa séropositivité. Cette annonce est largement couverte par l’ensemble des médias pendant plusieurs semaines. Quelles vont en être les conséquences ? Dans les deux mois qui suivent cette annonce, un peu plus d’un million sept cent mille appels téléphoniques sont recensés, aux Etats-Unis, sur une ligne spéciale d’information sur le sida alors que l’on en comptait seulement 7372 sur le trimestre précédent l’annonce ! Les demandes d’examen de dépistage du HIV augmentent aussi. Peu de temps après l’annonce, le sida est considéré par l’opinion publique comme une menace potentielle, le préservatif bénéficie d’une image favorable ainsi que les individus atteints du virus. Toutefois, les individus les plus à risques ne changent rien à leur sentiment d’invulnérabilité, et n’en profitent pas pour initier des comportements de protection.

19Une appréciation favorable de la source aurait donc un impact sur les attitudes ou comportements. En situation expérimentale, Petty, Cacioppo et Schumann (1983) demandaient à leurs sujets d’examiner un livret contenant une douzaine d’annonces publicitaires. L’annonce sur laquelle portait l’étude concernait le “Rasoir Edge". Dans une condition de forte implication, on disait aux sujets que le rasoir allait bientôt être commercialisé dans leur région et qu’ils pourraient choisir, comme cadeau pour leur participation à l’étude, un rasoir parmi plusieurs marques disponibles. Dans une condition de faible implication on leur disait que le produit serait commercialisé dans d’autres régions que la leur et qu’ils pourraient choisir, en cadeau, un tube de dentifrice parmi plusieurs marques. Quatre versions différentes de l’annonce publicitaire étaient conçues. Deux montraient des photographies de célébrités sportives fortement appréciées du grand public (forte appréciation), deux autres montraient des citoyens anonymes de l’état de Californie (faible appréciation). Deux annonces contenaient six arguments forts et deux autres annonces six arguments faibles. Après lecture de l’annonce publicitaire, chaque étudiant devait donner son opinion sur les produits et sur le “Rasoir Edge”. Les résultats obtenus montrent que la source appréciée a un impact sur les attitudes des sujets les moins impliqués. En revanche, ceux fortement impliqués sont plus influencés par la qualité de l’argumentation publicitaire.

20Il s’avère que, dans certaines circonstances, la source peut être utilisée comme argument persuasif et non plus comme indice périphérique au message lui-même. Selon Petty et Cacioppo (1986), les variables de la persuasion (par exemple : la source), peuvent assurer différents rôles. La source peut servir d’argument persuasif lors d’un traitement approfondi de l’information. C’est le cas, par exemple, lorsqu’on prend en compte la source avant de se décider à traiter ou pas l’information persuasive : « est-ce que la beauté de cette personne a un lien avec ce qu’elle raconte dans le message ? » (principe de congruence). La congruence entre la source et ce qu’elle recommande serait un élément nécessaire au traitement approfondi de l’information.

21Selon Kirmani et Shiv (1998), la mise en valeur d’une marque de montre « sportive » serait en forte congruence avec une personnalité possédant ces mêmes caractéristiques, tel Clint Eastwood (représentant la rudesse) plutôt qu’avec une personnalité ne les possédant pas, tel Tom Hanks (représentant la gentillesse, la bonté). Ces auteurs ont montré qu’une forte congruence active un traitement de l’information persuasif approfondi qui, à son tour, produit une attitude favorable envers la marque. Ainsi, au même titre qu’une argumentation de bonne qualité, une source fortement congruente peut servir d’arguments de bonne qualité (« c’est une montre sportive choisie par Clint Eastwood, le cow-boy ») En revanche, une source faiblement congruente (par exemple : Tom Hanks vantant les qualités d’une montre sportive) conduit à un traitement superficiel de l’information. La source sert alors d’indice périphérique : on évalue la confiance, l’attrait, ou la crédibilité qu’on lui prête.

4. La similarité de la source

22Dans une recherche de Brock (1965), un vendeur (en fait l’expérimentateur) tentait de persuader des clients potentiels d’acheter des pots de peinture d’une marque particulière. Dans la condition de similarité, le vendeur avouait connaître peu la peinture mais disait l’avoir acquis récemment pour les mêmes travaux que ceux prévus par le client. Dans la condition de non similarité, le vendeur se disait expert en peinture et disait en avoir acheté beaucoup par le passé. Les résultats montrent que les clients achètent plus la marque de peinture recommandée lorsque le vendeur se déclare similaire au client (64 %) que lorsqu’il déclare sa différence (39 %). Dans la même veine, Cantor, Alfonso et Zillman (1976) donnaient à leurs étudiantes un message prenant position en faveur de la contraception. Ces chercheurs s’attendaient à ce qu’un message émanant d’une source similaire ait le plus d’influence sur leur décision d’utiliser des moyens contraceptifs. Pour certaines étudiantes, le message émanait d’un pair du même âge (forte similarité), pour d’autres, d’une femme de trente-neuf ans (faible similarité). Les résultats vont dans le sens attendu. Les étudiantes exposées au message émanant de la source fortement similaire se déclarent plus en faveur de la contraception que celles exposées au message émanant d’une source faiblement similaire.

23De nombreuses interrogations subsistent sur le rôle de la similarité dans la persuasion. Certains résultats montrent que la similarité produit un impact persuasif (e.g., Brock, 1965), d’autres montrent le contraire (e.g., Leavitt et Kaigler-Evans, 1975) ou encore aucun effet sur la persuasion (e.g., Wagner, 1984). Selon Simons, Berkowitz et Moyer (1970), il existe deux types de similarité : 1) la similarité de groupe se caractérise par des données socio-démographiques similaires : âge, sexe, couleur de peau ; 2) la similarité attitudinelle a trait aux valeurs et opinions communément partagées. Certains travaux montrent que le premier type de similarité produit plus d’impact que le second. Mais, la relation entre similarité et persuasion demeure, à bien des égards, complexe. La similarité aurait un effet indirect sur l’attitude : elle influencerait d’abord l’appréciation, la crédibilité et la confiance dans la source qui, à leur tour, produiraient un effet sur la persuasion. Selon ces auteurs, il faut donc se méfier des conclusions hâtives du type : « une plus grande similarité persuade plus » ou « qui se ressemble, s’assemble ».

5. Le nombre de sources

24Plusieurs sources valent-elles mieux qu’une seule ? Harkins et Petty (1981) amenaient des étudiants à lire un message, émanant soi-disant d’autres étudiants, en faveur de l’introduction d’un examen de sélection. Une moitié des sujets lisait trois arguments forts en faveur de l’examen, l’autre moitié trois arguments faibles. Ces arguments étaient présentés, soit par un seul étudiant, soit par trois étudiants différents. Les sujets devaient ensuite répondre à un questionnaire mesurant, notamment, leur attitude envers cet examen. Les résultats font état d’une interaction. Les sujets exposés à trois sources présentant des arguments forts ont une attitude plus positive envers la nécessité d’introduire cet examen que ceux exposés à la même information mais présentée par une seule source. En revanche, les sujets exposés à trois sources présentant des arguments faibles expriment une attitude moins favorable que ceux exposés à la même information présentée par une seule source. Ainsi, lorsque les sources sont nombreuses, les sujets adoptent un traitement approfondi de l’information puisqu’ils réussissent à différencier une bonne argumentation d’une mauvaise. Harkins et Petty (1981) avaient pris soin de mesurer les pensées générées par les sujets à la lecture du message persuasif. Ces pensées ou réponses cognitives sont au centre de la dynamique persuasive (cf. encadré n° 2) et de la formation ou changement d’attitude. Les résultats obtenus sur cette mesure montrent que les sujets exposés à trois sources présentant de bons arguments génèrent plus de pensées favorables que ceux exposés à la même argumentation mais émanant d’une seule source. Les sujets exposés à trois sources présentant de faibles arguments génèrent moins de pensées favorables que ceux exposés à la même argumentation mais émanant d’une seule source.

Encadré n° 2
Le rôle des réponses cognitives dans la dynamique persuasive
Selon Greenwald (1968a, 1968b), le rappel de l’argumentation persuasive ne joue pas un rôle essentiel dans la médiation des effets persuasifs. Généralement, on n’observe pas de corrélation significative entre rétention et persuasion. Ce sont les réponses cognitives produites (ou pensées) qui médiatisent le changement d’attitude et sa direction. Selon Petty et Cacioppo (1981), une réponse cognitive « est une unité d’information en rapport à un objet ou un thème, résultat du traitement cognitif ». L’individu confronte l’argumentation persuasive à ses attitudes préexistantes. Il génère alors des réponses cognitives soit favorables soit défavorables ou encore neutres envers cette argumentation. Si les réponses produites sont plutôt favorables, il aura tendance à adopter le point de vue défendu dans le texte. Si elles sont défavorables, il peut exprimer son désaccord et résister à la persuasion. Dans une de ses expériences, Greenwald (1968a, 1968b) a observé une corrélation significative de 0,65 entre les réponses cognitives produites et la persuasion (pour une revue détaillée voir Eagly et Chaiken, 1993). Les réponses cognitives sont recueillies à l’aide de la technique du listage de pensées (e.g., Brock, 1967) : les sujets doivent inscrire les pensées qui leur sont venues à l’esprit pendant la lecture du texte. Elles sont ensuite catégorisées par les sujets ou par des juges indépendants : favorables au message, non favorables ou neutres. La persuasion est donc fonction de la quantité, de la qualité, et du degré de confiance qu’on leur accorde.

25Dans une autre étude, Harkins et Petty (1987) demandaient à la moitié des sujets de lire un message contenant trois arguments. Un tiers des sujets lisait un message émanant d’une source, un autre tiers de trois sources indépendantes ne se connaissant pas, un dernier tiers de trois sources dépendantes c’est-à-dire ayant élaboré ensemble la rédaction des arguments. Les résultats montrent que les trois sources indépendantes produisent les attitudes les plus favorables envers l’examen. Les trois sources dépendantes ne produisent pas de changement d’attitude. La source seule se situe à un niveau intermédiaire. Pour Harkins et Petty, une information provenant de trois sources différentes n’ayant pas eu de contact entre elles est un gage, pour les sujets, de sûreté et de fiabilité. Dans une autre expérience, Harkins et Petty (1987) ont montré que les trois sources dépendantes exercent un plus grand impact positif sur l’attitude envers l’introduction de l’examen lorsqu’on précise qu’elles ont été choisies pour leur différence de point de vue plutôt que pour leur similarité.

26Ces expérimentations montrent finalement que les sources multiples augmentent l’élaboration de l’argumentation persuasive si cette dernière est de bonne qualité. Ce traitement de l’information dépend aussi de l’indépendance perçue des sources et de leur point de vue, au préalable, différents.

6. L’attrait de la source

27Une source séduisante pèsera t-elle plus dans la balance qu’une source moins séduisante ? Tout porte à croire que oui. Les exemples, sur ce point, sont particulièrement nombreux. Certains chroniqueurs donnent pour exemple les débats télévisés de la campagne présidentielle américaine. Le 21 octobre 1960 passe à la télévision américaine le dernier des quatre débats télévisés opposant Kennedy à Nixon dans la course à la Maison-Blanche. L’institut de sondage Gallup les donne à égalité : 49,9 % d’intention de vote pour chacun. Ce débat va décider du scrutin. Au final, Kennedy gagne l’élection avec 118000 voix d’avance sur Nixon. De l’avis des analystes, c’est la prestation des candidats, plus que leurs discours, qui a été déterminante. Nixon est apparu épuisé par une longue campagne électorale, pas vraiment sûr de ses réponses, contraint de justifier les actes de sa vice-présidence et surtout ne possédant pas autant d’attrait ou de séduction que Kennedy. Autant de faiblesse qui peuvent expliquer son manque de persuasion. Le débat politique n’est pas un concours de beauté, mais l’attrait exercé par Kennedy sur les téléspectateurs contribua à sa victoire. Dans le domaine de la politique, Efran et Patterson (1974) ont pu montrer, lors d’une élection parlementaire canadienne, que des politiciens attrayants comptabilisent plus de suffrages que ceux jugés moins attrayants. L’attrait est un atout en politique mais seulement pour les hommes. Ainsi, Sigelman et ses collaborateurs (1986) ont montré que des femmes attrayantes ne comptent ni plus ni moins de suffrages que celles moins attrayantes.

28Dans un contexte expérimental, Landy et Sigall (1974) donnaient à leurs étudiants, de l’Université de Rochester, un texte soi-disant écrit par une étudiante de l’Université de Ohio, Marylin Thomas. Ils avaient pour tâche d’évaluer la qualité du texte et la capacité d’écriture de Marylin. Par le biais d’une photographie attachée au texte, un tiers des sujets était amené à croire que Marylin était physiquement attrayante, l’autre tiers qu’elle ne l’était pas, le dernier tiers ne recevant pas de photo. La moitié des sujets lisait une version du texte de Marilyn bien écrite, l’autre moitié une version mal écrite. Les résultats montrent que les sujets ont évalué le plus favorablement le travail lorsque Marilyn est apparue physiquement attrayante. De plus, l’impact de l’attrait sur l’évaluation du travail est nettement plus prononcé lorsque la qualité du travail est relativement pauvre.

29Dans un autre contexte, Pallak (1983) rendait l’attrait d’une source soit fortement saillante, en fournissant une photographie couleur d’un beau jeune homme agrafée à un texte, soit faiblement saillante, en fournissant une photocopie noire et blanche de mauvaise qualité de cette même photographie. Le texte était distribué à des étudiantes qui devaient, après lecture, donner leur avis sur l’argumentation persuasive. Les résultats obtenus vont dans le sens des attentes. Lorsque l’attrait de la source est rendu saillante, les sujets adoptent la position défendue dans le texte sans tenir compte de la qualité des arguments. Selon Pallak, les sujets placés dans la condition forte saillance pourraient tenir le raisonnement suivant : "je suis généralement d’accord avec les gens que j’apprécie”. En revanche, les étudiantes placées dans la condition faible saillance traitent l’argumentaire persuasif sans tenir compte de la photographie. Ici, la persuasion procède d’un traitement cognitif de l’information persuasive.

30Pour Eagly et Chaiken (1984), l’attrait peut générer un transfert d’affect positif. L’attrait serait un « plus » dans une situation de persuasion, toutes choses étant égales par ailleurs. Ainsi, les effets de l’attrait dépendent du thème choisi, de l’implication des sujets, et du degré d’attrait de la source. Mais, la persuasion fondée sur l’attrait seul ne serait pas internalisée et, par conséquent, le changement d’opinion ne perdurerait pas (Kelman, 1958). Par ailleurs, Agocha et Cooper (1999), dans le domaine de la santé, ont montré que les hommes, dans le choix d’une partenaire, privilégient le physique des femmes au détriment de leur passé sexuel. L’attrait physique de la partenaire produit à la fois une baisse de la perception du risque de contraction du VIH et de l’intention de se protéger.

7. L’apparence faciale

31Est-ce qu’un sourire peut élire un président ?... C’est la question que se sont posés Mullen et ses collaborateurs (1986). Ces derniers ont mis en évidence l’influence persuasive exercée par les présentateurs de journaux télévisés sur le comportement électoral des citoyens lors de l’élection présidentielle américaine de 1984 entre Ronald Reagan (candidat républicain) et Walter Mondale (candidat démocrate). Ces auteurs ont visionné pendant une semaine, avant l’élection, tous les journaux télévisés du soir de Tom Brokaw pour la chaîne NBC, de Peter Jennings pour ABC et de Dan Rather pour CBS. Les résultats d’une première étude ont montré que seul Peter Jennings souriait plus lorsqu’il parlait de Reagan que de Mondale. Mullen et ses collaborateurs ont ensuite montré, en réalisant une enquête par téléphone dans plusieurs grandes villes du pays, que parmi les téléspectateurs ayant voté pour Reagan, ceux de ABC sont significativement plus nombreux à avoir voté pour lui que ceux de NBC et CBS pris ensemble. Est-ce à dire que le sourire de Jennings a contribué à l’élection de Reagan ? C’est ce que suggèrent ces auteurs. Selon eux, l’explication la plus plausible revient à considérer le sourire ou l’expression faciale comme un indice persuasif susceptible d’influencer le comportement de vote des téléspectateurs, les dispensant ainsi d’une évaluation attentive des arguments présentés.

32Selon Ottati et ses collaborateurs (1997), le style de traitement d’un message persuasif dépend des indices faciaux véhiculés par la source. L’expression faciale présentée par la source renseignerait les individus sur la stratégie de traitement du message à employer. Les sujets visionnaient une interview d’une quinzaine de minutes d’un candidat en course aux élections de la chambre des représentants de l’état d’Arizona. Ce candidat arborait, selon les conditions expérimentales, un visage soit « heureux », soit « neutre », soit « coléreux ». Dans ces trois conditions, le message était le même : il recommandait des solutions radicales pour en finir avec les problèmes sociaux (e.g., exclusion, contrôle des armes. Sida). Les sujets étaient soit fortement impliqués soit faiblement impliqués par ces thèmes. Conformément aux attentes et aux résultats antérieurs obtenus dans la littérature, les sujets fortement impliqués traitent soigneusement le message quelle que soit l’expression faciale présentée par la source. En revanche, ceux faiblement impliqués ne traitent pas soigneusement le message : ils basent leur jugement sur des indices et sont plus favorables à l’argumentation défendue lorsque la source arbore un visage « heureux » plutôt que « neutre ».

7.1. Morphologie faciale

33Des individus ayant une apparence faciale de bébés (e.g., visage rond et symétrique, grands yeux, nez court, petit menton) sont perçus comme ayant des attributs psychologiques de bébés (Berry et Brownlow, 1989). Ils sont perçus plus honnêtes, aimables, chaleureux, naïfs, et moins astucieux que ceux ayant des figures matures (Zebrowitz, 1994, 1997). Les sources ayant une apparence de bébé sont perçues comme digne de confiance, celles ayant une apparence mature comme crédible et experte. Brownlow (1992) demandaient à des étudiants de visionner une vidéocassette présentant des candidats étudiants en course à l’élection au conseil d’administration de l’Université. L’ensemble des candidats tenait un discours identique contre l’augmentation des frais d’inscription. Les sujets devaient juger pour chaque candidat, en phase de recueil des données, leur degré d’expertise et de confiance et s’ils avaient été convaincus par leurs arguments. Les candidats ayant une apparence de bébés furent jugés plus digne de confiance et moins expert que ceux ayant une apparence mature. De plus, lorsque les sujets avaient de bonnes raisons de suspecter la partialité des candidats, ils sont plus convaincus par un candidat à apparence de bébé que par un candidat à apparence mature. Le “visage honnête" du candidat, à apparence de bébé, atténue les doutes éveillés par sa partialité. Un pattern différent de résultat est obtenu lorsque les sujets ont des raisons de croire que le candidat manque d’expertise (un jeune étudiant qui n’a jamais participé à des activités universitaires). Dans ce cas, les sujets sont plus persuadés par une apparence mature que par une apparence de bébé. L’apparence mature compense les doutes éveillés par son manque d’expertise !

34D’autres expérimentations établissent un lien entre apparence et persuasion. Selon Eagly (1987), le stéréotype de la femme est constitué autour de traits comme « chaleureuse », « faible », « soumise » et « naïve ». Ces traits ne vont pas sans rappeler l’apparence de bébé. En revanche, le stéréotype de l’homme se constitue autour de traits tels que « froid », « fort », « dominant », « perspicace » et caractérisent plutôt une apparence mature. Brownlow et Zebrowitz (1990) ont pu montrer que les publicités mettant en scène des femmes induisent plus de confiance et moins d’expertise que celles mettant en scène des hommes. La crédibilité chez les femmes est la même que celle des individus à apparence de bébé : les femmes sont convaincantes quand elles jouent sur la dimension confiance. La crédibilité chez les hommes est identique à celles des individus à apparence mature : ils sont convaincants lorsqu’ils font valoir leur expertise. Dans une autre expérience, Berry et Zebrowitz-McArthur (1988) donnaient à des étudiants un soi-disant rapport utilisé par la cour de justice de Boston. Les cas étaient fictifs mais rédigés d’une manière authentique et accompagnés d’une photographie du prévenu à apparence, soit de bébé, soit mature. Après lecture d’un cas, les étudiants devaient décider de la culpabilité ou de l’innocence du prévenu. Basé sur l’hypothèse selon laquelle des individus ayant une apparence de bébé sont perçus plus naïfs, soumis, et honnêtes que leurs pairs à face matures, les auteurs s’attendaient à ce que les prévenus à apparence de bébé ne soient pas jugés coupables sur des actes intentionnels, mais le soient sur des actes de négligences. Les résultats vont dans le sens de ces attentes. Lorsque l’action est intentionnelle, les individus à apparence de bébés ont moins de chances d’être jugés coupables. En revanche, sur des actes de négligences, ces individus ont plus de chances d’être jugés coupables.

8. Les comportements non verbaux

35Mehrabian et Williams (1969) sont parmi les premiers à étudier le rôle des comportements non verbaux en situation de persuasion. Les comportements non verbaux concernent tous les mouvements et gestes que nous réalisons lorsque nous entrons en interaction avec autrui. Ils ont montré, par exemple, qu’une voix grave, un débit rapide peuvent contribuer à persuader (Stacks et Burgoon, 1981 ; Burgoon, Buller et Woodall, 1994 ; Burgoon, Dunbar et Segrin, 2002). Dans ce sens, Burgoon, Birk et Pfau (1990) ont pu montrer l’existence de comportements non verbaux liés à la persuasion. Plus précisément, ces comportements influenceraient d’abord la crédibilité de la source qui, à son tour, aurait un impact sur la persuasion. Ainsi, l’ensemble des comportements non verbaux qui relèvent de la voix, de la kinésique (mouvements) et de la proxémique (utilisation de l’espace), quand ils ont une connotation plaisante et agréable, favoriseraient ces jugements de crédibilité. En outre, une grande compétence est attribuée à la source lorsque ses expressions faciales et son ton de voix sont agréables. Une grande sociabilité est associée à une kinésique et à une proxémique de caractère direct, à une allure « relax » et à un ton de voix agréable. On sait aussi que les comportements non verbaux ne sont pas bien contrôlés par la source. Un contrôle accru de ces comportements, et l’apprentissage de ce contrôle, pourrait faciliter le processus de persuasion (Biland, 1999 ; Carli, LaFleur, et Loeber, 1995 ; Marsh, O’Rourke et Julka, 1997).

36Dans une procédure répliquant l’expérience de Petty, Cacioppo et Schumann (1983), Huddleston (1985 ; in Petty et Cacioppo, 1986, p. 146-150) faisaient visionner à ses sujets un message commercial vantant les qualités d’un stylo (Oméga III). Ils devaient recevoir, en récompense de leur participation, un stylo. En situation de forte implication, on leur disait qu’ils avaient le choix entre plusieurs marques de stylos, en situation de faible implication on leur imposait un stylo quelconque. Ils visionnaient ensuite la bande vidéo. Un commercial vantait les qualités du stylo Oméga III en s’aidant d’une argumentation, soit de bonne qualité, soit de mauvaise qualité. Le comportement non verbal (CNV) de ce commercial était aussi manipulé. Dans une condition, il souriait de temps en temps, évitait le contact avec les yeux en regardant au-dessus de l’objectif de la caméra, et bougeait dans sa chaise (CNV négatif). Dans une autre condition, il souriait pendant toute la durée de la publicité, regardait fixement l’objectif, et ne bougeait pas (CNV positif). Les résultats montrent que le CNV sert d’indice périphérique lorsque les sujets ne sont pas impliqués : le CNV positif produit un plus fort impact, que le CNV négatif, sur l’intention d’acheter le stylo Oméga III quel que soit la qualité de l’argumentation proposée. En revanche, le CNV ne produit n’a pas d’effet en situation de forte implication : les sujets ont la plus forte intention, de se procurer le stylo, lorsque l’argumentation est bonne (Petty, 2001).

9. Combinaison des paramètres de la source : consistance et inconsistance

37Un seule caractéristique de la source a été manipulée dans les différentes expérimentations que nous venons de présenter. Le plus souvent, la source suscite un traitement plutôt passif de l’information si les individus sont peu impliqués. Qu’adviendrait-il si la source se présente comme possédant deux caractéristiques contradictoires ? Une source experte et honnête aurait-elle le même effet sur le traitement de l’argumentation qu’une source experte mais malhonnête ? Ziegler, Diehl et Ruther (2002) ont montré que la qualité de l’argumentation (bonne vs. mauvaise) peut conduire à un traitement de l’information actif et soigneux (voie centrale ou systématique) lorsque la source du message présente des caractéristiques inconsistantes (par exemple : source experte mais non appréciée) plutôt que consistante (par exemple : source experte et appréciée). Autrement dit, les arguments forts produisent un changement d’attitude allant dans le sens de la position défendue dans le texte lorsque la source est experte mais non appréciée ou non experte mais appréciée. Cet effet s’avère particulièrement fort chez les individus faibles en besoin de cognition. L’inconsistance entre deux caractéristiques d’une source provoquerait selon ces auteurs un effet de surprise (ou une violation des attentes) ce qui activerait, chez ces sujets, et dans ce cas précis, un traitement particulièrement soigneux de l’information. Quant à ceux ayant un fort besoin de cognition, leur attitude serait déterminée par la qualité de l’argumentation uniquement lorsque la source est experte. Ce dernier résultat va dans le sens du rôle multiple des variables avancée par Petty et Cacioppo (1986) : la source peut être considérée dans certains cas comme un indice périphérique et dans d’autres comme un bon argument suscitant un traitement soigneux de l’argumentation.

Conclusion

38Dans une méta-analyse, Wilson et Sherell (1993) ont montré l’existence d’une corrélation positive s’élevant à 0,30 entre source et persuasion. Autrement dit, la manipulation de la source explique 9 % de la variance parmi les études rapportant des résultats significatifs.

Encadré n° 3
La source explique 9 % de la variance
Il ne faut pas nécessairement de grandes valeurs de la variance pour obtenir un effet important. Selon Rosenthal et Rubin (1982), nous sommes trop enclins à examiner une petite valeur de la variance ou r2 pour qualifier cet effet de peu important. Si l’on prend 100 personnes dans un groupe contrôle et 100 personnes dans un groupe expérimental, pour les classer dans des catégories dichotomiques (persuasion/pas de persuasion), une corrélation de .30 (racine carrée de .09) correspond à X2 = 18. Un tel X2 donnerait une table de contingence dans laquelle 65 des 100 sujets composant le groupe expérimental présenteraient un effet de persuasion, contre 35 des 100 sujets composant le groupe contrôle !

39C’est l’expertise qui produit les plus grands effets et explique en moyenne 16 % de la variance. Le rôle de la source dans la dynamique persuasive est plus complexe qu’on ne le pense. Jusqu’à la fin des années soixante et dix, les chercheurs testaient l’effet de la source et formulaient généralement l’hypothèse d’un effet principal sur l’attitude. L’introduction de la variable implication, par Petty et Cacioppo (1981), a permis de mieux comprendre les mécanismes œuvrant à l’obtention d’un effet de la source sur les attitudes. Les sujets utilisent la source, pour se forger une opinion, lorsqu’ils sont faiblement impliqués. Il faut voir ici un enrichissement des modèles de la persuasion.

L’INFLUENCE MINORITAIRE ET MAJORITAIRE EN SITUATION DE PERSUASION

1. La théorie de l’élaboration du conflit (Pérez et Mugny, 1993)

40Cette théorie a pour postulat fondamental que l’influence sociale “découle d’une divergence avec autrui (les sources d’influence) ». L’élaboration du conflit signifie la manière dont le sujet traite cette divergence et lui donne une signification. L’élaboration du conflit se fait en fonction du type de tâche et du type de source qui introduit la « divergence » (Pérez et Mugny, 1993, p. 27). Pour étudier l’influence produite par une source donnée, on confronte la cible à un ensemble d’arguments différents des siens (Mugny et Butera, 1995). Le principe organisateur de l’influence des sources est de mobiliser une représentation. Ainsi, " une situation d’influence serait-elle filtrée par la cible en terme de qui influence et qui doit se soumettre et être influencé" (Pérez et Mugny, 1993). Pour faire bref, les conflits créés par une source adoptant une position contraire à la cible prennent une signification selon qu’il s’agit d’une source intragroupe (provenant du groupe) ou hors groupe soutenue soit par une majorité soit par une minorité. Pour Pérez et Mugny (1993), les conflits créés dans les tâches d’opinions sont de nature identitaire. Que faut-il entendre par minorité ou majorité ? Ce peut être, par exemple, un pourcentage de référence (telle opinion est soutenue par 12 % d’individus interrogés, une autre par 88 %), ce peut être aussi le degré d’expertise de la source (un groupe de professeur en économie politique versus un groupe de militants).

41Prenons un premier exemple. Le tabagisme est vécu en fonction de la signification qu’elle donne à l’identité du fumeur. Les fumeurs ont une identité sociale et personnelle Cette identité est notamment associée à l’intention de ne pas s’arrêter de fumer. Falomir et Invemizzi (1999) présentaient un texte contre le tabac à des fumeurs. Deux variables étaient croisées. Une moitié des fumeurs recevaient un texte provenant, soit de fumeurs, soit de non-fumeurs. On disait à une autre moitié que les textes provenaient soit d’une majorité soit d’une minorité. Les résultats obtenus montrent que les fumeurs mobilisent une certaine résistance aux messages persuasifs en ne remettant pas en cause leur identité. Cependant, une condition incite plus les fumeurs à cesser de fumer que les autres : la majorité intragroupe. Elle introduirait, chez les fumeurs, un conflit normatif puisque la contre norme (i.e., il faut cesser de fumer) est issue de l’intragroupe, c’est-à-dire du groupe des fumeurs. Le seul moyen, pour les fumeurs, de résoudre ce conflit est de se conformer à son groupe de référence (Falomir et Tomei, 2001). Autre exemple, Falomir, Mugny et Pérez (1996) donnaient à une moitié des fumeurs un plaidoyer anti-tabac émanant d’une source de statut supérieur (un groupe de professeur d’Université), à l’autre moitié un plaidoyer émanant d’une source de statut inférieur (un groupe d’étudiants). Une moitié était libre de fumer pendant le temps de l’expérience, l’autre moitié non. Les résultats montrent que face à une source de haut statut, les fumeurs ont besoin de réguler positivement leur identité en fumant. En effet, ceux ayant fumé pendant l’expérience sont plus influencés par la source de haut statut que ceux n’ayant pas fumé. En revanche, fumer face à une source de statut inférieur, accroît la résistance au changement. Paradoxalement, permettre à des fumeurs de s’adonner à leur vice, plutôt que de leur interdire peut les conduire à disposer de plus fortes intentions de cesser de fumer. Ainsi, les sources expertes ont avantage à assurer à la cible un traitement correct voire à la réconforter dans ses comportements ou attitudes initiaux plutôt que de l’ébranler : les fumeurs changent davantage s’ils peuvent fumer pendant l’élaboration du conflit. Les résultats obtenus par Mugny et Pérez (1993) suggèrent de s’intéresser au conflit identitaire entre source et cible, particulièrement sur les attitudes ou les comportements difficiles à modifier ou résistants au changement comme le tabac, l’alcool, la conduite autoroutière (e.g., Mugny et Falomir, 2001 ; Pérez, et Mugny, 1990 ; Pérez, Moscovici et Mugny, 1991).

2. La théorie de la conversion

42Cette théorie repose sur le conflit socio-cognitif. Face à une source majoritaire, les sujets s’engageraient dans un processus de comparaison sociale, de complaisance à l’égard de la source, puis d’acceptation publique de l’information émanant de la source. Les supports majoritaires induisent un processus de comparaison. Les membres du groupe se focalisent sur "ce que les autres disent, afin de s’inscrire dans le droit fil des leurs opinions et jugements" (1980, p. 214). Dans ce cas, le travail sociocognitif des sujets est faible. Les supports minoritaires consistants de ne se contredisant pas induisent, le plus souvent, un processus de validation. Les membres du groupe tentent de “voir ce que la minorité a vu, de comprendre ce quelle a compris" (p. 214). Dans ce cas, la validation procède d’un effort cognitif important : la reconsidération de l’objet du message. Il se manifesterait alors un comportement de conversion se caractérisant par un changement privé des attitudes (choix personnels) mais pas public (réponses sociales). Selon Moscovici, les minorités consistantes (Moscovici et Nemeth, 1974 ; Moscovici et Lage, 1976 ; Moscovici, Lage et Naffrechoux, 1969) auraient plus d’influence sur les attitudes que les majorités. Une minorité de deux compères était placée dans des groupes de six sujets. Ces derniers devaient juger la couleur des diapositives projetées sur un mur. Ces compères avaient pour tâche de déclarer de couleur verte des diapositives de couleur bleues. Dans la condition où les compères étaient consistants entre eux, c’est-à-dire qu’ils ne se contredisaient pas sur un ensemble de 36 tours, ils parvenaient à influencer la majorité des réponses données par les quatre autres sujets. La consistance affichée par les compères accroît la perception de confiance et de certitude. Lorsque les compères ont des réponses inconsistantes leur influence chute considérablement sur deux tiers des tours. Ces expériences vont dans le sens de la théorie de la conversion : aussi longtemps qu’une minorité demeure consistante dans ses comportements, elle peut influencer les opinions et attitudes d’autrui.

43Cependant, le comportement consistant n’est pas une condition suffisante pour que s’impose une minorité. D’autres facteurs doivent être pris en compte : par exemple, le fait que la source défende un sujet original plutôt que conventionnel (Mucchi-Faina et ses collaborateurs, 1991), le fait que le contenu soit plus ou moins conflictuel (Mugny et ses collaborateurs, 1984), le fait que le contexte normatif soit bien approprié à la situation d’influence (Mugny, 1983), le fait que la minorité adopte un style d’expression positif, sans négation, plutôt qu’un style négatif, avec négation au sein d’un discours (Buschini, 1998).

3. Les modèles du traitement de l’argumentation

44Plusieurs résultats expérimentaux ne vont pas dans le sens des prédictions formulées par Moscovici. Mackie (1987) a montré que la minorité ne bénéficie pas systématiquement d’une attention particulière et d’un traitement approfondi de l’argumentation qu’elle présente. Mackie (1987) présentait aux sujets des messages contraires à leurs attitudes, émanant d’une source soit minoritaire soit majoritaire. En phase de recueil des données, les sujets devaient coter leur attitude. Contrairement aux prédictions issues de la théorie de la conversion, Mackie observe plus de changement d’attitude lorsque le message émane d’une source majoritaire plutôt que minoritaire.

45Dans une de leur expérience, Baker et Petty (1994) faisaient lire à leurs sujets un texte sur les finances de l’état d’Ohio. Ce texte défendait l’idée d’un engagement des étudiants dans un service civil de deux ans afin de maintenir les frais d’inscription au même niveau. On leur faisait croire que les frais d’inscription tripleraient si les étudiants n’y participaient pas. On disait à une moitié des sujets que le message émanait d’une minorité (18 % des habitants et 12 % des étudiants de l’état de Ohio), à l’autre moitié d’une majorité (86 % des habitants et 78 % des étudiants). Une moitié recevait un texte contenant des arguments faibles et l’autre moitié des arguments forts. Les résultats obtenus montrent que la qualité de l’argumentation produit un plus fort impact sur les attitudes envers le service civil quand elle reflète une position majoritaire plutôt que minoritaire. La qualité des arguments employés par la source minoritaire ne produit pas d’effet sur l’attitude envers le service civil. Tout porte donc à croire qu’une source majoritaire défendant un point de vue contraire aux opinions des sujets conduit à un traitement de l’argumentation. Ainsi, les expériences de Mackie (1987), Baker et Petty (1994, expérience 1) montrent qu’un support majoritaire motive plus au traitement des arguments qu’un support minoritaire.

46La position défendue par Moscovici (1980) selon laquelle une source minoritaire induit plus de traitement du message qu’une source majoritaire est remise en cause par ces résultats. Selon Moscovici, les sujets traitent soigneusement le point de vue de la minorité afin de comprendre ce qu’elle dit et pourquoi. Ce traitement du message peut conduire à une conversion à la position minoritaire.

47Martin et Hewstone (2001) montrent qu’une source majoritaire ou minoritaire peut conduire à un traitement systématique de l’information. Une analyse serrée de littérature montre que certaines expérimentations emploient des messages à visée persuasive qui remettent en cause l’intérêt du soi des sujets (« self-interest »), ce qui introduirait un biais dans le traitement de l’argumentation. Martin et Hewstone ont utilisé deux thèmes importants mais ne remettant pas directement en cause l’intérêt du soi des sujets. Les résultats obtenus font, apparaître un effet de la qualité de l’argumentation pour la source minoritaire : le traitement du message s’effectue d’une manière systématique. Ces derniers résultats vont dans le sens de la théorie de la conversion de Moscovici (1980). En revanche, lorsqu’il s’agit d’un message allant contre l’intérêt du soi des sujets, c’est la source majoritaire qui provoque un traitement systématique de l’information (Baker et Petty, 1994). Deux autres expérimentations montrent que le traitement systématique des messages, qu’ils émanent d’une source majoritaire ou minoritaire, dépend bien du niveau d’habilité et de motivation à traiter ces messages. Martin et Hewstone (2001) induisaient différents niveaux de motivation à traiter les messages (faible vs. moyen, vs. fort) puis donnaient à leurs sujets soit un message émanant d’une source minoritaire vs. majoritaire avec des arguments forts vs. faibles. Avec un faible niveau de traitement de l’argumentation, on n’observe pas d’effet de la qualité de l’argumentation mais un effet de la source (le message majoritaire est plus persuasif que le message minoritaire) : les sujets ont emprunté la voix heuristique du traitement de l’information. Un niveau de traitement modéré conduit les sujets à utiliser la voie systématique lorsqu’il s’agit d’une source minoritaire. Enfin, un niveau de traitement élevé conduit les sujets à emprunter la voie systématique que la source soit majoritaire ou minoritaire. Contrairement à la théorie de la conversion de Moscovici (1980), à l’approche objective du consensus de Mackie (1987) et à la théorie de la convergence-divergence de Nemeth (1986), aucun de ces deux types de sources ne conduit préférentiellement à un type de traitement plutôt qu’à un autre. Martin et Hewstone montrent que le type de traitement employé et ses conséquences pour le changement d’attitude dépend, plus simplement, du niveau d’habileté et de motivation des sujets à traiter l’information. Ainsi, la question serait moins de savoir quel type de traitement de l’information est induit par une source majoritaire ou minoritaire que de connaître les conditions de l’emprunt de la voie systématique par ces deux sources.

48Dans une seconde expérience, Baker et Petty (1994) donnaient aux sujets soit un message pro-attitudinel (allant dans le sens de leur opinion) soit contrattitudinel (contraire à leur opinion). Ces messages émanaient d’une source soit majoritaire soit minoritaire et contenaient des arguments soit forts soit faibles. Les résultats montrent que dans les situations inattendues (la source majoritaire défendant une position contrattitudinelle ou la source minoritaire une position pro attitudinelle), la qualité de l’argumentation produit un plus fort impact sur l’attitude envers le service civil qu’en situation attendues ou prévisibles (la source majoritaire défendant une position pro attitudinelle ou la minoritaire défendant une position contrattitudinelle). Baker et Petty concluent que source majoritaire ou minoritaire peuvent générer un traitement de l’argumentation lorsque les sujets sont surpris par le point de vue des sources ne correspondant pas à leurs attentes. Ainsi, les sources majoritaires et minoritaires peuvent induire un changement d’attitude procédant d’un soigneux examen de l’argumentation.

49Dans la même optique, De Dreu et De Vries (1996) puis De Vries et ses collaborateurs (1996) ont pu montrer qu’un message à source majoritaire, contraire aux attitudes et opinions des sujets, entraîne un traitement convergent de l’argumentation (i.e., confirmer le point de vue de la majorité à tout prix car elle tient la "bonne position") lorsque les individus ont peu confiance en eux-mêmes2. Si les individus ont confiance en leur opinion, alors ils considèrent le support majoritaire comme une heuristique. Une source minoritaire engagerait les sujets dans un traitement de l’argumentation divergent (i.e., falsification de la position minoritaire) et produirait, dans le meilleur des cas, un changement d’attitude sur des thèmes associés au thème central du message (e.g., quand une minorité plaide en faveur de l’avortement, le changement est, par exemple, observé sur le thème de la contraception) lorsqu’il devient difficile voire impossible de négliger plus longtemps la position minoritaire. S’il est possible de ne pas prendre en compte le point de vue minoritaire, alors celui-ci est considéré comme une heuristique et rejetée : on n’observe pas de changement d’attitude. L’ensemble de ces résultats montre que le support numérique affecte à la fois la décision de s’engager dans un traitement de l’argumentation du message et la façon dont le message est traité (convergent versus divergent).

50Selon le modèle de la comparaison du contexte (Alvaro et Crano, 1997), un message émanant d’une source minoritaire intragroupe bénéficierait d’un crédit positif auprès de son groupe d’appartenance. Pour peu que l’objet d’attitude soit faiblement résistant au changement, cette source stimulerait l’attention des sujets et, au-delà, un traitement du message persuasif ayant pour conséquence une diminution de la contre argumentation. Le changement d’attitude se produirait alors sur une ou des attitudes liée(s) à celle qui est centrale au message. Alvaro et Crano (1997) faisaient lire un message à des étudiants de l’Université de l’Arizona concernant l’exclusion des soldats homosexuels de l’armée américaine. Ce message était attribué soit à une source majoritaire intragroupe (association pour la représentation des étudiants de l’Université de l’Arizona) soit minoritaire hors groupe (étudiants du lycée de Pima) soit à une minorité intragroupe (Association des étudiants de l’Université d’Arizona pour la santé mentale dans l’armée : organisation radicale de cinquante étudiants s’opposant fortement à l’engagement d’homosexuels dans l’armée). Les auteurs observent un changement d’attitude, de la part de leurs étudiants, dans la condition minoritaire intragroupe non pas sur le bannissement des homosexuels de l’armée mais sur une attitude liée : le contrôle des armes. Comparés aux autres groupes, la minorité intragroupe est évaluée plus positivement, et son message moins fortement contre argumenté.

Notes de bas de page

1  – Présentation de la théorie de la probabilité d’élaboration de Petty et Cacioppo, cf. pp. 126.

2  – A tout le moins lorsque les sujets disposent de suffisamment de ressources cognitives pour s’y engager (e.g., en l’absence de distraction)

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