« L’art de persuader a un rapport nécessaire à la manière dont les hommes consentent à ce qu’on leur propose, et aux conditions des choses qu’on veut faire croire. Personne n’ignore qu’il y a deux entrées par où les opinions sont reçues dans l’âme, qui sont ses deux principales puissances, l’entendement et la volonté. La plus naturelle est celle de l’entendement, car on ne devrait jamais consentir qu’aux vérités démontrées ; mais la plus ordinaire, quoique contre la nature, et celles de la volonté ; car tout ce qu’il y a d’hommes sont presque toujours emportés à croire non pas par la preuve mais par l’agrément ».
Blaise Pascal, « De Part de persuader »

1 Nous sommes constamment exposés à des messages conçus pour nous influencer : discussions amicales entre collègues, émissions de télévision, de radio, éditoriaux ou publicité. Le changement des attitudes constitue une particularité centrale dans la vie sociale de chaque individu et peut se produire lorsqu’un individu entre en communication avec autrui. La communication persuasive trouve alors son origine dans les interactions sociales. Les recherches sur la persuasion dont il va être question s’insèrent dans le cadre des travaux sur le changement d’attitude. Pour Eagly et Chaiken (1993), la persuasion se limite à la présentation de messages allant dans le sens contraire aux attitudes d’un individu. La persuasion, dans sa définition la plus basique, implique une source (émetteur) et une cible (récepteur). Elle a pour objectif de modifier les attitudes et, au-delà, le comportement.

2Le premier pas consiste à identifier les facteurs du processus de communication susceptibles de produire ces changements. « Qui dit quoi, à qui, comment, et avec quels effets ? » : c’est notamment à partir de cette question que se sont structurées les études sur la communication persuasive (Lasswell, 1948). Cette interrogation constitue la base d’un grand effort de recherche qui a commencé dans les années quarante et qui se poursuit aujourd’hui. Une communication persuasive efficace (quels effets sur les attitudes et/ou comportements ?) serait dépendante des variables source (qui ?), message (quoi ?), public (à qui), canal emprunté, et de leurs interactions (McGuire, 1996). Nous ne prétendons pas, dans cette première partie, à l’exhaustivité. Nous avons opté pour une présentation linéaire et succincte de chacune des variables entrant dans le phénomène persuasif et de leurs différents paramètres (Girandola, 2000).

3Avant d’entrer dans le domaine de la persuasion, il nous faut parler des attitudes. Quelles sont-elles ? Pourquoi les changer ? Les psychologues sociaux font de la notion d’attitude un des concepts fondamentaux de leur domaine (Doise, 1989). Cette notion a été introduite en 1918 par Thomas et Znaniecki qui ont découvert, en faisant l’analyse de contenu de lettres et de récits de vie d’immigrants arrivant aux Etats-Unis, que leurs comportements étaient sous-tendus par des orientations communes envers certains objets (par exemple : avenir, famille).

4Plus tard, Rosenberg et Hovland (1960) ont proposé une conception tri-componentielle de l’attitude. L’attitude est constituée de trois composantes en lien les unes aux autres : a) la composante affective (réactions émotionnelles envers l’objet d’attitude) ; b) la composante cognitive (pensées et croyances envers l’objet d’attitude) ; c) la composante comportementale ou conative (intention d’action). Prenons un exemple en examinant l’attitude d’un individu envers une voiture neuve. On peut observer sa réaction affective envers cette voiture (émotions, sentiments : excitation, plaisir esthétique) puis sa réaction cognitive composée de croyances diverses sur ses attributs (consommation, vitesse, etc.) pour finir avec sa réaction comportementale (la tester voire Tacheter).

5Pour Zanna et Rempel (1988), l’attitude est définie comme une catégorisation de l’objet attitudinal sur une dimension évaluative « défavomble-favorabk ». L’attitude est donc un jugement, une opinion, exprimant un degré d’aversion ou d’attirance. Cette attitude est un élément prenant appui sur trois sortes d’informations : une cognitive, une comportementale ou l’intention d’agir, une affective faisant référence à l’émotion ressentie. Ces auteurs suggèrent que ces trois informations prises séparément ou conjointement peuvent déterminer l’attitude.

6 Pratkanis et Greenwald (1989) proposent un modèle sociocognitif où les attitudes sont représentées en mémoire par une étiquette de l’objet d’attitude. Cette représentation comprend un résumé évaluatif concernant l’objet d’attitude. La conception de ces auteurs est représentative des récentes formulations cognitives. Ces formulations définissent l’attitude par sa fonction évaluative voire affective plutôt que faite de plusieurs composantes (cf. aussi Greenwald, Banaji, Rudman, Farnham, Nosek, et Rosier, 2000). Ainsi, certains auteurs (Eagly et Chaiken, 1993 ; Petty, Wegener et Fabrigar, 1997) préfèrent adopter une définition unidimensionnelle de l’attitude ne faisant pas appel à la distinction classique opérée par Rosenberg et Hovland (1960) ni à celle de Zanna et Rempel (1988). Par exemple, pour Eagly et Chaiken (1993, p. 1), « l’attitude est une tendance psychologique qui est exprimée en évaluant une entité particulière en termes de degré de favorabilité ou de non favorabilité ». Dans cette définition, la tendance psychologique (ou disposition psychologique) se réfère à un état interne à l’individu susceptible de durer un peu de temps voire relativement longtemps. Autrement dit, une attitude est une tendance psychologique ou disposition à réagir de façon favorable ou défavorable (négative ou positive) envers un objet particulier ou envers une classe d’objets. Ces auteurs accordent aussi une place très importante à l’évaluation. Posséder une attitude, c’est pouvoir situer un objet attitudinal (des choses concrètes, des éléments abstraits, des comportements) sur une dimension évaluative.

7Nous ne chercherons pas à insister sur les différences entre définitions, ni à sélectionner la meilleure, ni encore moins à proposer la nôtre. Ceci relève d’un ouvrage portant spécifiquement sur la nature de l’attitude. Ce n’est pas le propos du présent ouvrage. Le lecteur intéressé peut se reporter à l’ouvrage de Eagly et Chaiken (1993) sur la psychologie des attitudes. Enfin, signalons que les travaux sur l’influence sociale (Mugny et Pérez, 1993), mobilisant un recueil de recherches trop important pour être abordé dans notre cadre, ne seront que partiellement évoqués.