1 Depuis 2007, le ministère de l’éducation nationale publie chaque année ce rapport statistique car « trop de disparités subsistent dans les parcours scolaires des filles et des garçons. L’éducation à l’égalité est nécessaire à l’évolution des mentalités ». De quelles disparités parle-t-on ? Ces disparités touchent-elles de la même façon l’ensemble des élèves français ou peut-on avancer quelques particularités propres aux zones à dominante rurale ? On sait déjà que ces écarts de cursus scolaire touchent l’ensemble des pays développés parmi lesquels la France et concernent essentiellement deux grands domaines : celui de la réussite et celui de l’orientation. Concernant le premier, rappelons quelques données générales citées par Fabienne Rosenwald1 dans une étude qui a été publiée en 2006 et qui clarifient bien les écarts. Ainsi 68 % d’une génération de filles ont le baccalauréat contre 56 % des garçons. Elles se distinguent également en menant des études plus longues que les garçons et en étant plus nombreuses à être diplômées du supérieur. Plus récemment, le ministère de l’éducation nationale français (MEN), dans ses publications statistiques de 20112, nous apprend qu’à 14 ans, 69 % des filles scolarisées sont en classe de troisième contre seulement 60 % des garçons du même âge ; qu’à 17 ans, 38 % des filles scolarisées sont en terminale GT contre 26 % des garçons du même âge et enfin que 68 % des filles obtiennent le baccalauréat contre 58 % des garçons. On voit donc ici se dessiner une tendance très nette et durable : les filles réussissent mieux leurs études que les garçons. En ce qui concerne le second domaine, des disparités d’orientation apparaissent aussi, mais nuancent cependant le constat précédent. Que ce soit dans le secondaire ou dans le supérieur, les filles sont surreprésentées dans les filières littéraires mais aussi dans les filières professionnelles de services, de l’enseignement et des écoles paramédicales et sociales. Inversement, les garçons sont surreprésentés dans les filières scientifiques et industrielles.

2Il existe donc des orientations à dominante masculine et d’autres à dominante féminine très largement admises par les parents comme par les élèves concernés mais encore par l’ensemble de la population y compris les acteurs du système éducatif. L’exemple des filles et de la science l’illustre bien comme l’a montré le rapport Maurice Porchet3 (2002). Dans cette enquête, il est demandé aux parents « En quoi souhaitent-ils que leurs enfants soient bons ? ». La hiérarchie sociétale est toujours la même quelle que soit la situation sociale des familles. Le français domine largement avec 57 % des réponses sans distinction de genre. Suivent les mathématiques avec 45 % mais avec une différence notable entre filles et garçons (respectivement 37 et 52 %). Les sciences prennent la troisième position avec 36 % mais là aussi apparaît un net écart entre les souhaits concernant les filles et ceux pour les garçons (respectivement 25 et 43 %). La même étude constate que lorsqu’on croise les regards des jeunes filles, des parents et des enseignants, on aboutit à l’acceptation d’un monde où il y aurait des métiers faits pour les hommes et d’autres faits pour les femmes.

3Quelques pistes explicatives sont amorcées et méritent toute notre attention. Il apparaît que les filles manquent de confiance en elles et pensent qu’il est difficile de concilier vie familiale et métiers scientifiques. De plus, on sait que c’est le niveau en mathématiques qui conduit l’élève à se sentir capable d’entreprendre des filières scientifiques. Or les filles se dévalorisent systématiquement dans l’estimation de leurs capacités. Au même niveau en terminale, les garçons s’estiment capables de poursuivre des études scientifiques à 82 % alors que les filles ne sont que 53 % !

Filles et garçons du rural : les filles meilleures que les garçons

4Les travaux conduits par l’OER ont permis de mettre en évidence quelques spécificités propres au rural qui mettent en évidence des écarts de performances et de trajectoires scolaires entre filles et garçons issus de zones à dominante rurale. Ces écarts sont variables selon le type de ruralité et concernent plus particulièrement le rural isolé ou les zones montagne tels que définis par la typologie INRA-INSEE de 19984. Pour l’essentiel, il ressort de ces recherches l’incidence des effets de contexte liés au territoire rural au travers de ses particularités et, que ceux-ci ne jouent pas de la même façon dans certains cas, sur les filles et sur les garçons. C’est ainsi que dès 20015, Philippe PERRIER-CORNET observait que si, dans tous milieux de vie confondus, les filles ont toujours des niveaux de formation plus élevés que les garçons, l’écart reste variable selon les espaces et est le plus accentué dans le rural éloigné où les garçons s’investissent beaucoup moins dans la formation que les filles et ont un comportement très différent de leurs homologues urbains : 10 % des garçons et 15 % des filles de 26-27 ans, originaires du rural ont au moins le niveau « bac plus 2 ».

5Ces quelques données mettent en évidence d’une part l’existence d’effets de territoire particuliers sur les cursus scolaires des élèves du rural et d’autre part que ces effets n’impactent pas de la même manière filles et garçons. Ce constat a été confirmé par mes propres recherches quelques années plus tard6 lorsque je me suis intéressé aux cursus comparés garçons/filles de la base OER à la rentrée 2004/2005, correspondant à l’entrée en seconde pour les élèves « à l’heure ». Le tableau qui suit conforte les grandes tendances évoquées plus haut. Ces données confirment l’avantage des filles sur les garçons à la fois en ce qui concerne leur suprématie dans les filières les plus « nobles » et leur score très nettement inférieur en ce qui concerne le taux de retard et celui des élèves en apprentissage. En ce qui concerne l’adéquation entre les vœux émis en fin de 3^ème et la réalité, notons que dans l’ensemble les élèves semblent faire preuve de lucidité.

Tableau 1 : Orientation des élèves à la rentrée 2004/2005

6Très clairement les données regroupées ci-dessus laissent apparaître des tendances fortes :

• Dans les territoires à dominante rurale, près de trois filles sur quatre choisissent des filières générales conduisant à des études longues alors que les garçons ne sont qu’un sur deux à le faire.
• En revanche près d’un quart des garçons sont dans des filières qui ne leur permettront que d’envisager des études courtes.

7Si l’on compare ces données propres au rural avec celles communiquées par le ministère de l’éducation nationale pour la même période7, on remarque que les jeunes ruraux se démarquent légèrement de l’ensemble de la population scolaire à la même période. A la rentrée 2004, pour l’ensemble des élèves français, on comptait 247 468 filles (soit 66,5 %) en seconde générale et technologique contre 198 942 garçons (soit 56,7 %) ce qui représente un différentiel de + 9,8 % au niveau national à comparer aux + 20,5 % de notre échantillonnage. On voit donc que l’écart entre filles et garçons en milieu rural est nettement plus prononcée que pour l’ensemble des élèves français de même niveau. Plusieurs hypothèses explicatives peuvent être retenues :

• Les parents encouragent fortement leurs filles à poursuivre des études longues
• Les filles elles-mêmes prennent conscience plus tôt que les garçons de la nécessité d’une orientation dans ces filières leur donnant plus tard davantage de choix d’orientations plus prometteurs en termes d’insertion sociale
• Il peut y avoir aussi une moins forte attraction chez elles du territoire rural d’origine que chez les garçons (même si leur attachement pour celui-ci reste fort).

Attachement au territoire et potentiel de mobilité

8On sait par les travaux de l’OER que les élèves ruraux manifestent un certain attachement à leur milieu. Pour les élèves de troisième de la base OER questionnés sur leurs souhaits de futur lieu d’exercice professionnel, celui-ci est massivement la « petite ou moyenne ville » et ils sont une majorité à vouloir rester dans leur région actuelle. (ALPE Y. et FAUGUET J.-L., tome 4, p. 51)8. On peut sans aucun doute affirmer que les élèves ruraux sont très nettement plus attachés à leur territoire que les élèves urbains plus prêts à quitter leur région pour une autre pour y trouver du travail. Mais cela touche-t-il de la même façon les filles que les garçons ? Toujours en 2001, le même Philippe PERRIER CORNET notait déjà que les filles étaient plus mobiles que les garçons, en particulier dans le rural isolé. « Si 45 % des jeunes de 26-27 ans résidaient en 1990 dans la même commune qu’au précédent recensement, quel que soit l’espace d’origine, les filles sont toujours plus mobiles que les garçons. Comme pour le niveau de formation, c’est dans le rural isolé que la différence entre filles et garçons est la plus forte : plus de la moitié des garçons y sont immobiles (et 35 % cohabitent avec leurs parents), contre seulement un tiers des filles. De plus, les filles d’origine rurale migrent plus que les autres filles : plus le rural est éloigné des pôles urbains, plus les filles ont tendance à migrer et plus les garçons ont tendance à rester immobiles... ».

9Mes propres recherches en 2005 (voir note 5) confirment très largement ce constat en étudiant les souhaits d’exercice du futur métier exprimés par les élèves de la base OER interrogés en 2004. Par souci de clarté, mais aussi en s’appuyant sur les analyses des résultats antérieurs de l’OER, certains items correspondant aux questions posées ont été regroupés en tant qu’indicateurs d’un potentiel déclaré de plus ou moins de mobilité. Sur le plan méthodologique, ce choix arbitraire reste évidemment critiquable, mais les données semblent cependant relativement « parlantes ».

10Il est intéressant de comparer les résultats de la première ligne au regard des réponses qui avaient été faites à la même question en 1999 lorsque les élèves étaient en CM2. A cette époque, 43 % des filles et 46 % des garçons déclaraient vouloir rester vivre à la campagne plus tard. On le voit, les souhaits des garçons n’ont guère évolué cinq ans plus tard. En revanche, ceux des filles ont notablement changé. Avec une baisse de près de 20 % sur cette question, on peut mesurer l’importance de leur changement de représentations. Il faut sans aucun doute y voir la conséquence d’une prise de conscience de celles-ci : la campagne ne saurait représenter le territoire le plus favorable pour trouver les meilleures conditions de vie et, tout particulièrement, de possibilités de trouver un emploi.

11Reste à définir ce qui pourrait expliquer cette meilleure lucidité des filles. Plusieurs pistes s’offrent à nous. La plus plausible nous est donnée par les psychologues. A quinze ans, de façon générale, les filles sont plus matures que les garçons et savent déjà mieux rationnaliser leurs choix qu’eux. Mais on peut également se tourner vers une explication plus sociologique. Les parents des élèves ruraux témoignent d’une plus forte ambition pour leurs filles que pour leurs garçons. Une étude de l’auteur sur deux milieux ruraux distincts, le rural isolé et le rural sous faible influence urbaine nous le montre.

Tableau 3 : Souhait des parents pour l’orientation de leurs enfants (Étude diachronique sur le rural isolé et le rural sous faible influence urbaine)

12Si cette étude ne concerne qu’une partie des élèves ruraux – et ne peut donc pas prétendre s’appliquer à l’ensemble du rural – elle nous donne cependant une indication assez sérieuse sur cette propension parentale à pousser davantage les filles que les garçons à entreprendre des études longues. On ne peut donc pas a priori rejeter l’hypothèse que cela représente un facteur explicatif potentiel qu’il faudra évidemment confirmer par une étude plus ciblée. Intéressons-nous maintenant aux projections concernant le lieu d’exercice professionnel envisagé par les jeunes ruraux.

13On observe que la proportion des filles qui envisagent d’exercer leur futur métier « loin » (847 réponses) est équilibrée avec celles qui ne le sont pas (860 réponses). En revanche, un net écart apparaît dans les réponses des garçons qui expriment majoritairement leur réticence à s’éloigner de leur actuel lieu de résidence (927 réponses contre 621). Cette tendance est confirmée lorsqu’on demande le lieu où l’élève aimerait ou n’aimerait pas exercer son futur métier (questionnaire à choix multiples). On constate que les réponses des filles à la première question sont très inférieures à celles des garçons (187 contre 277) et celles à la seconde très nettement supérieures (268 contre 149)9.

Graphique 1 : Souhaits des élèves ruraux concernant leur souhait de travailler à la campagne plus tard

Filles et garçons du rural : une baisse moindre chez les filles en ce qui concerne « l’amour de l’école »

14Dans le tome 4 des publications de l’OER10, J.-L. POIREY aborde la question de la dégradation du goût pour l’école des élèves ruraux. Le tableau qui suit nous en montre l’ampleur :

Tableau 5 - État comparatif de l’évolution du goût pour l’école entre les filles et les garçons (base générale)

15Deux données peuvent retenir notre attention. D’une part, il existe chez tous les élèves du rural une forte dégradation de leur goût pour l’école qui ne peut engendrer qu’une nette baisse de motivation risquant de nuire à leurs performances et, par voie de conséquence, à leurs ambitions ultérieures pour suivre un cursus long. D’autre part les filles, bien que fortement touchées (-30 % entre le CM2 et la 3^ème) sont moins atteintes que les garçons (-37 %). Toutefois, comme le souligne J-.L. POIREY, la dégradation est plus forte entre la 5^e et la 3^e pour les filles que pour les garçons. La quasi-totalité des élèves de la base est scolarisée dans des collèges ruraux. Cela pourrait expliquer une relative déception de la part des filles qui, selon l’auteur, sont plus sensibles que les garçons à la question de la vie dans l’établissement et surtout de l’environnement général de l’établissement.

Filles et garçons du rural : des écarts surprenants selon le type de ruralité

16L’étude comparative du rural isolé (RI) et de l’ensemble du rural démontre sans aucun doute des différences liées à la typologie, c’est-à-dire au milieu de vie et de scolarisation. A bien des égards, la comparaison des curricula respectifs des filles et des garçons laisse apparaître des incidences distinctes de ce que l’on appelle les effets de territoire (CHAMPOLLION, 2005, 2008, 2010). En tout premier lieu, il semble intéressant de noter que les filles du rural isolé se distinguent nettement de leurs homologues masculins quant aux choix d’orientation faits, à associer entre autres à « une côte d’amour » nettement plus marquée à l’égard de la chose scolaire. Elles restent 36 % à déclarer « bien aimer l’école » en troisième contre seulement 25 % des garçons. Certes, cet « amour » a connu une très forte érosion depuis le CM2, mais ce différentiel de 11 % est significatif d’une plus forte implication dans les études. Leur orientation à la rentrée de septembre 2004 témoigne non seulement de meilleurs résultats scolaires mais aussi de ce que l’on pourrait qualifier d’une plus forte opiniâtreté dans des choix de filières longues (et par symétrie du relatif rejet des cursus courts). Elles sont 10 % de plus que les garçons du même milieu à être en seconde GT, presque 5 % de moins en seconde PRO, presque 4 % de moins à être encore en troisième et presque 1 % de moins en apprentissage.

17La tendance est donc nette : les filles du rural sur la période étudiée « s’accrochent » et essaient de « garder le cap » vers les études longues. C’est d’autant plus remarquable que, curieusement, lorsque leurs parents ont été interrogés en fin de troisième sur leurs souhaits d’orientation pour leurs enfants, ils étaient 25 % à ne pas avoir répondu : c’est le plus fort taux de non réponse à cette question parmi les diverses catégories de parents issus d’espaces à dominante rurale ! Quand on sait que seulement 7 % des filles du rural n’ont pas répondu à la même question, ce très fort écart questionne : comment se fait il que des parents montrent une telle incertitude (si ce n’est du désintérêt ?) sur une question aussi importante ? Le faible taux de non réponse de leurs filles prouve au moins qu’elles sont conscientes des enjeux. Leur forte présence dans les secondes GT atteste d’une remarquable résistance. Ne perdons cependant pas de vue qu’il existe cependant une réelle baisse de leurs ambitions au cours de la scolarité du collège. Phénomène de découragement progressif ? Influence des garçons au sein du collège ? Ce sont des hypothèses envisageables, mais il existe sûrement d’autres explications…

En guise de conclusion provisoire

18Tout comme pour l’ensemble des élèves français, il existe des différences notables entre les cursus scolaires des filles et ceux des garçons dans les zones à dominante rurale. Mais force est de constater que ces différences sont accentuées tout particulièrement dans les zones isolées ou montagnardes où les filles témoignent d’une pugnacité remarquable qui les distingue des garçons, à la fois en termes de résultats scolaires, de choix d’orientation et de potentiel de mobilité. Ceci est avéré au moins sur l’ensemble de la période qui va de l’école à la fin des études secondaires. On pourrait logiquement en déduire qu’elles s’assurent par là même un meilleur avenir que leurs homologues masculins. Mais la réalité n’obéit pas toujours à la logique et il faut rester prudent car notre étude ne nous a pas encore permis d’étudier la période post baccalauréat. Enfin, il faut aussi déplorer que les mentalités n’évoluent pas assez vite et qu’il existe encore trop de représentations sexuées infondées qui hypothèquent largement l’égalité des chances des filles et des garçons dans notre système éducatif et dans le monde économique.